On dit qu’il faut se battre pour devenir Grand Maître du Grand Orient de France. En 1861, deux candidats, des cousins, firent pire : ils s’affrontèrent en duel.
par Michel Battesti
Perrin, 2010, 616 p., 27 €
1Troisième enfant de Jérôme Bonaparte et de Catherine de Wurtemberg, neveu donc de Napoléon 1er et frère de la princesse Mathilde, né à Trieste en 1822, Napoléon Joseph Charles Paul Bonaparte est connu sous les noms de Prince Jérôme, de Prince Napoléon ou le sobriquet de Plon-Plon.
2Dans sa jeunesse, au cours des années d’exil, il reçoit une formation militaire, sert comme officier dans le Wurtemberg (1840-1842) et mène une vie de dandy, cultivant sa ressemblance physique avec feu l’Empereur.
Initié dès 1848 aux Amis de la Patrie
3Elu de la Corse en 1848 puis de la Sarthe en 1849, il siège sur les bancs de la Montagne. Son père avait été Grand Maître de la Grande Loge de Westphalie, le fils est initié, en 1848, aux Amis de la Patrie (G∴O∴ D∴F∴) que préside Eugène Moutonnet, bonapartiste de gauche, futur vénérable de la loge Bonaparte (1852) où Plon-Plon figure comme membre d’honneur.
4En décembre 1848, son cousin Louis-Napoléon, à qui il est lié par une sincère affection, devient président de la République, avec l’appui de la droite monarchiste. Plon-Plon dénonce l’intervention de l’armée française à Rome, réclame l’amnistie pour les insurgés de Juin, participe au comité de résistance au coup d’Etat, intervient auprès de son cousin pour obtenir la libération de détenus et le retour de réfugiés.
5Il appelle ensuite de ses vœux un Empire progressiste, se référant à l’attitude de son oncle pendant les Cent-Jours. D’où des relations orageuses avec Napoléon III et l’hostilité constante à son égard de l’Impératrice et des conservateurs. Il est, avant la naissance du Prince impérial, le troisième dans l’ordre de succession, d’où le soupçon de vouloir détrôner son cousin en cas de défaillance.
Un César déclassé s’affichant avec Rachel ou des demi-mondaines
6Altesse impériale et sénateur en 1852, général de division (au grand dam de l’armée) en 1853, il dispose avec son père de la jouissance du Palais-Royal et du château de Meudon. Il préside l’Exposition Universelle de 1855.
7Son aisance financière lui permet d’être un mécène, protecteur des artistes, ami des écrivains, recevant à Paris dans sa somptueuse maison pompéienne. Grand voyageur également, il explore notamment les mers au-delà du cercle polaire, visite les exploitations agricoles en Angleterre, rencontre Lincoln aux Etats-Unis.
8Que faire, se demande l’Empereur, de ce « César déclassé » au franc-parler, inconstant, orateur iconoclaste au Sénat, aux amours tumultueuses, s’affichant avec la tragédienne Rachel ou avec des demi-mondaines ?
Son premier surnom, Plon-Plon, devient Craint-Plomb lorsqu’il quitte la bataille de l’Alma
9Pendant la guerre de Crimée, il prouve pourtant ses qualités militaires et son courage à la bataille de l’Alma, mais supporte mal l’autorité de Canrobert ; malade, il est évacué, d’où l’accusation de lâcheté et le surnom de « Craint-plomb ».
10L’Empereur crée pour lui en 1858 le ministère de l’Algérie et des Colonies, nomination bien accueillie par les colons mécontents du pouvoir des militaires. Il aurait voulu accorder la nationalité française aux juifs algériens mais il se heurte au parti clérical, élabore un projet de réforme foncière, soutient l’action de Faidherbe au Sénégal. Faute d’« esprit de suite », comme le lui reproche Napoléon III, il démissionne en 1859, au désespoir des libéraux.
11L’entrevue de Plombières, le 21 juillet 1858, entre l’Empereur et Cavour, précipite les évènements en Italie. L’accord verbal est concrétisé par un traité signé le 26 janvier 1859 par le Prince Jérôme, venu à Turin demander la main de Clotilde, la fille de Victor Emmanuel II. Un mariage peu assorti : Jérôme, âgé de 37 ans, est athée et Clotilde, très pieuse, n’en a que 16. La France vient au secours du Piémont. Plon-Plon participe aux opérations militaires et négocie avec François-Joseph les bases de la paix.
Napoléon Jérôme, par Hippolyte Flandrin (1860)
Napoléon Jérôme, par Hippolyte Flandrin (1860)
Il bat le prince Murat et devient Grand Maître du Grand Orient mais n’est pas intronisé
12Pour se débarrasser du despotique Prince Murat, soumis à réélection en 1861, des maçons du Grand Orient le contactent en mai 1861 pour qu’il se présente à la Grande Maîtrise. Il accepte, renonce sur la demande de son cousin Murat puis change d’avis, assuré du succès.
13En dépit de la pression des partisans de l’ancien Grand Maître, il est élu mais Murat procède à une épuration et à la suspension des travaux. Il ne sera donc pas intronisé ! Nous apprenons par cet ouvrage que les deux cousins se sont même battus en duel !
14Après cet échec, Jérôme ne s’intéresse plus à la maçonnerie, même si, parmi ses proches, plusieurs sont maçons comme le comte polonais Xavier Branicki, Edmond About et le socialiste Armand Lévy.
15L’Empire, en 1860, amorce « un demi-tour à gauche » (Proudhon), ce qui lui ouvre un espace politique. Il soutient la presse libérale d’opposition : Le Siècle et L’Opinion nationale du saint-simonien Adolphe Guéroult, crée « Le groupe du Palais-Royal » pour appuyer les revendications ouvrières, demande la libéralisation de l’Empire, prend conscience de la menace prussienne, se prononçant pour le service militaire de trois ans. Il assiste impuissant à sa chute. Il est à Florence pour négocier l’entrée en guerre de l’Italie alors que l’Empereur est fait prisonnier à Sedan.
Athée, il mange gras le vendredi saint et rate la présidence du parti bonapartiste
16Se démarquant des bonapartistes, il est élu député républicain en Corse en 1876 puis battu par le baron Haussmann. La mort du Prince impérial en 1879 aurait pu en faire le chef du parti bonapartiste mais c’est son fils honni, Victor, qui, avec « l’Appel au peuple», en prend la direction.
17Flaubert, en faisant savoir qu’il avait dîné gras chez Sainte-Beuve, avec Renan et quelques autres, le vendredi saint de l’an 1868, avait provoqué un scandale, mais il inaugurait une tradition aujourd’hui maintenue par les libres-penseurs. Aussi n’est-on pas surpris qu’il ait fallu attendre qu’il soit inconscient pour lui administrer l’extrême-onction à Rome, en 1891.
18Un livre passionnant qui peint talentueusement le personnage, son entourage et les évènements et confirme que la maçonnerie ne l’a intéressé que momentanément.
19A. C.