Couverture de CDU_043

Article de revue

Eiso et theos

Pages 9 à 10

L’au-delà de l’athéisme (et du théisme, évidemment) n’implique pas qu’il faille intégrer l’ignorance (divine ?) à l’assomption de notre vie pour justifier l’espérance de l’homme.

LES DÉMONS DE GÖDEL
Logique et folie
Pierre Cassou-Noguès
Seuil, coll. Science ouverte, 2007, 285 p., 21 €
ÉSOTÉRISME ET CHRISTIANISME
Histoire et enjeux théologiques d’une expatriation
Jérôme Rousse-Lacordaire
Paris, Cerf, coll. Cogitatio fidei, 2007, 367 p., 44 €
PAR-DELÀ L’ATHÉISME
François Gachoud
Cerf, coll. La nuit surveillée, 2007, 179 p., 25 €

1« Intériorité et dieu » ? Quiconque a le souci de conserver son libre-arbitre afin de vivre en humaniste opère, aujourd’hui encore, de façon plus ou moins délibérée, le choix de se situer à une distance réfléchie et engagée par rapport au monde et à soi-même. Cela implique de ne pas sombrer dans l’océan de la communication passagère et superficielle, et de résister aux sirènes qui poussent à croire en la transparence de l’homme et au bien-fondé des excès de la compassion.

2L’armature de ce souci de l’individu à construire son libre-examen et à développer des expériences philanthropiques se trouve renforcée quand elle est confortée par la lecture de trois ouvrages récents mis au service des exigences de l’esprit.

3Pour y pénétrer, peut-être convient-il de partir d’une question, certes majeure mais aussi difficile à entendre dans sa sécheresse abstraite : « L’ensemble de tous les ensembles fait-il partie de lui-même » ?

Kurt Gödel

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Kurt Gödel

4Cette question posée au début du XX ème siècle obtint une réponse déterminante de la part d’un des penseurs les plus puissants des décennies suivantes : Kurt Gödel. En effet, cet auteur a démontré qu’une réponse positive ou négative demeure impossible puisque nul ne peut décider laquelle des deux serait la bonne, étant donné qu’à cet endroit l’homme se heurte à l’incomplétude de sa raison.

5Pour s’en assurer, il convient de reconnaître logiquement que la question posée concerne un monde (ici arithmétique) qui ne se clôt pas sur lui-même et ne possède pas ses propres outils qui lui permettraient de devenir son propre édifice parfait, juste et fini.

6Monde ouvert ? Homme ouvert ? Rationalité ouverte ? Pierre Cassou-Noguès, qui a excellemment travaillé sur l’œuvre et la vie de Gödel, en explore la portée et les risques d’excès. Il rappelle également avec quel soin le logicien s’exerçait à la philosophie vouée à assumer sa face ésotérique. Cela faisait qu’il se sentait sans cesse flirter avec la déraison dans laquelle il aurait sombré s’il s’était laissé aller à clore son monde imaginaire au point que les fantasmes qu’il élaborait eussent été pris au mot et au fait. Pour peu que devienne floue la distinction entre un intelligible spirituel le plus rigoureux possible et celui que produisent, dans le rapport au corps sensible et cérébral, le temps et l’espace avérés.

7C’est depuis cette base théorique que les deux autres ouvrages, explorés avec la même curiosité intellectuelle, prennent une dimension très explicite.

8Dans celui de Jérôme Rousse-Lacordaire, est pris le parti d’une lecture de l’ésotérisme chrétien sans dissonance avec les canons de l’Église romaine. Cela fait que le regard porté sur l’initiation (surtout maçonnique) est confiné dans un examen de surface. En effet, l’homme y est appréhendé à l’aune de ses représentations dans lesquelles sont incluses celles du theos, le dieu à l’égard duquel on conserve assez d’imagination pour en assumer l’infini ordinaire.

L’espérance qui demeure au cœur de l’homme est celle des francs-maçons quand ils évoquent ce non-su qu’est l’Orient éternel.

9En revanche, on y fait l’économie de l’imaginaire au point de réduire le secret à une objectivation qui n’est que masquée sans être considérée comme inaccessible aux élus touchés par la grâce.

10Théisme donc qui, malgré de louables efforts d’explicitation, peine légitimement à supporter que son opposé puisse être avancé dans le couple théisme-athéisme dont, cependant, les polarités demeurent de même ordre sur le plan intellectuel.

11Or, c’est précisément à l’interrogation de la « sortie » de ce discours antagonique que s’attaque François Gachoud. Comment l’homme d’aujourd’hui se débat-il pour aller « par-delà l’athéisme » ?

12Fort d’une réflexion complexe selon laquelle immanence et transcendance entrent en interaction, l’homme est censé faire émerger, depuis son for intérieur, une transcendance qui n’exclut pas les limites de son esprit. Il bute cependant sur l’explicitation des conjectures de l’infini à un point critique qui est atteint quand l’auteur en vient à tenter une hypothèse paradoxale héritée autant de Nietzsche que de Kierkegaard : celle d’une cohérence rationnelle contenue dans l’idée du retour du sujet sur son origine vitale.

13Autrement dit, l’homme pourrait se réconcilier avec le monde à la condition que soit postulée une hypothétique résurrection dont le cas du Christ ouvrirait la voie intelligible. Comme si, à l’instar de l’Autre et de soi-même, irrémédiablement séparés et conjoints dans un regard réciproque, le système de la vie pourrait se boucler sur lui-même (par « automanifestation de la chair ») sans échelles spatio-temporelles définies.

14Ainsi un cycle serait-il instillé dans l’esprit. Il possèderait assez de congruence pour que l’au-delà de l’athéisme (et du théisme, évidemment) n’implique pas qu’il faille intégrer l’ignorance (divine ?) à l’assomption de notre vie pour justifier l’espérance qui demeure au cœur de l’homme. Probablement celle que les francs-maçons évoquent, vaille que vaille, quand ils invoquent ce non-su qu’est l’« Orient éternel » qui parachève les soubresauts de la vie terrestre.


Date de mise en ligne : 28/05/2021

https://doi.org/10.3917/cdu.043.0009

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