Couverture de CDSU_067

Article de revue

Gérer l’espace public : le champ des possibles

Pages 23 à 25

Notes

  • [1]
    L’aménagement de cette allée et d’autres projets d’initiatives citoyennes ont fait l’objet d’une visite lors d’une journée en septembre 2017.
  • [2]
    Lors de la construction du quartier Confluence à Lyon, des bacs potagers étaient installés provisoirement dans un jardin public central, puis déplacés en fonction des demandes. L’expérience a suscité la construction d’un jardin potager pérenne. Des démarches similaires sont possibles en partenariat avec l’association des Incroyables Comestibles.
  • [3]
    Sur les projets temporaires, cf. l’article d’I. Chenevez dans le présent numéro, pp. 42-44.
  • [4]
    Le collectif Etc avait notamment recensé un certain nombre de projets et de structures allant dans le sens de « pratiques de participation créative » lors de son « détour de France » en 2012. Les présentations sont à retrouver sur leur site internet www.collectifetc.com.
  • [5]
    Une trentaine d’espaces publics de proximité ont été aménagés par la Ville de Montreuil avec le programme « PEPA ».
  • [6]
    La Ville de Grenoble propose à ses habitants une soixantaine d’espaces verts « à adopter » et pouvant être convertis en espaces de jardinage.

1L’espace public, c’est le socle de la ville. Sa composition, ses matériaux, ses arbres dégagent une ambiance aussi importante que les bâtiments qui l’entourent. Sur le parvis d’une gare, à l’arrêt de bus ou sur un trottoir en sortant de sa voiture, le premier ressenti est lié à cette ambiance que renvoient l’espace et ses usagers. Et tout problème rencontré impacte cette première sensation : un lampadaire cassé ou des travaux sur un trottoir. Car on ne remarque généralement que les défauts de gestion, moins les problèmes de conception.

La gestion n’est plus un palliatif à la conception

2Le temps passé à la gestion et l’entretien des espaces publics peut parfois être vécu comme un déficit de réflexion et d’accompagnement. C’est un massif végétal mal placé, difficile à entretenir, un accès trop étroit, du mobilier qui se dégrade rapidement. Faciliter l’entretien, c’est nécessairement intégrer dès la conception les contraintes d’une gestion durable et les besoins d’une gestion urbaine de proximité. Le choix des végétaux, des matériaux, du mobilier, leur emplacement, mais aussi la clarification des domanialités permettent de fluidifier la coordination des gestionnaires. Il s’agit aussi de s’assurer que le coût d’entretien supplémentaire restera raisonnable, tant sur le budget que sur les compétences requises.

3Même si la phase de gestion des espaces publics suit mécaniquement la livraison d’un aménagement, ce n’est plus seulement une adaptation aux usages « après-projet » ou uniquement un « passage de relais » entre concepteurs et services gestionnaires. La gestion est aussi continue que le projet urbain dans cette transformation permanente de la ville. Continuité de services et des cheminements en phase chantier, dispositifs d’écoute, mobilisation amont, outils participatifs de signalement viennent petit à petit se raccrocher aux attentes de la population vis-à-vis de la gestion urbaine de proximité.

Pour une logique réparatrice : consolider ?

4Réparer, c’est souvent gérer les usages non prévus, des détournements de l’espace, des dégradations récurrentes. Le détournement peut être malveillant ou pragmatique, en fonction du point de vue : un espace pour se mettre à l’abri des regards, le contrôle d’un passage ou simplement un chemin informel dans un espace végétalisé. L’enjeu porte sur les déformations visibles que ces usages entraînent : du mobilier détruit, modifié, des tags. Le gestionnaire doit alors réagir vite face aux déformations pour agir sur l’ambiance et le sentiment de sécurité ; pour montrer qu’il y a bien un garant des lieux.

5La gestion agit aussi comme un correcteur, avec une logique réparatrice qui devient force de projet. À Saint-Martin-d’Hères, dans le quartier Renaudie [1], une allée a été réhabilitée en collaboration avec les services techniques et les riverains. La résolution des problèmes d’occupation et de sécurité est devenue un véritable projet de reconquête pour redonner envie d’habiter les logements adjacents. Des espaces tampons entre les seuils des logements et le cheminement ont par exemple été créés, permettant de mettre un peu de distance entre les logements et l’espace circulé. Même si l’opération a un périmètre assez réduit, l’impact est fort sur cet espace de passage quotidien.

6Dans ce sens, réparer c’est aussi adapter. Certains projets prévoient un budget dédié pour des petits travaux d’adaptation après aménagement, car tout n’est pas modélisable. D’autres utilisent la modularité des espaces et du mobilier, et donc leur évolutivité par rapport aux usages. C’est un banc que l’on peut déplacer si le besoin se fait sentir, ou des bacs potagers déplaçables au fur et à mesure que le projet avance [2]. C’est assumer la temporalité des aménagements en créant des espaces transitoires, temporaires, éphémères [3].

Pour une logique d’anticipation : tester avant de transformer ?

7Anticiper est naturellement synonyme de bonne gestion matérielle : garantir le remplacement de mobilier ou utiliser des matériaux robustes. Et dans une logique de construction du projet, anticiper c’est aussi tester les usages sur les espaces actuels. Il s’agit autant d’éviter des mauvais choix que de susciter l’intérêt. Un aménagement temporaire donne l’occasion de créer une animation éphémère de l’espace permettant à la fois de donner envie et de recueillir les avis in situ, ceux des usagers comme ceux des gestionnaires. De nombreux exemples existent dans ce sens : du mobilier d’assise à choisir ou à déplacer, une rue fermée temporairement avant d’en faire une zone de rencontre, de la peinture au sol pour orienter les piétons. Des collectifs d’architectes ont beaucoup exploré ces possibilités, dans des quartiers en renouvellement urbain, mais aussi dans des centres-bourgs [4]. Ce type d’aménagement éphémère soulève inévitablement un certain nombre de questions. Comment anticiper le passage de relais entre « initiateurs » et « gestionnaires » ? Comment éviter les frustrations d’un projet non pérennisé ? Comment s’assurer du respect des normes de sécurité et d’accessibilité sans pour autant perdre en réactivité et en créativité ?

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© Marion Cluzel

Pour une logique d’adaptation : concevoir des petits aménagements ponctuels ?

8Les modes de conception et de gestion de l’espace public évoluent : outils numériques, aménagements ponctuels, tests d’espaces et de mobiliers, cogestion avec des habitants. En dehors des grandes transformations de places et de boulevards, des services font le pari de transformer l’espace par des petits aménagements, modestes en taille et en budget. Ces interventions ponctuelles ne sont toutefois pas reproductibles partout. Il ne s’agit pas non plus d’aménager au coup par coup, mais plutôt de concrétiser rapidement des éléments d’une stratégie d’aménagement globale.

9Le but est d’adapter progressivement l’espace à ses usages, de répondre aux besoins du quotidien par des interventions rapides. La gestion durable de l’espace, c’est aussi le pérenniser en apportant des améliorations par petites touches, sans transformation profonde. Un espace public ancien, une friche ou une rue peuvent retrouver une vitalité par un simple jalonnement de petites interventions. La Ville de Montreuil a par exemple mis en place un programme de travaux intitulé « Petits Espaces Publics Autrement » [5] : plusieurs espaces ont été transformés à peu de frais mais avec une forte valeur ajoutée en termes d’usages et de confort : quelques plantations sur une placette, l’élargissement de trottoirs sur une petite rue…

Accompagner la gestion : gérer c’est aussi impliquer

10La gestion est l’affaire de tous : habitants, usagers occasionnels, commerçants, scolaires… mais aussi jardiniers, agents d’entretien, qui ont un rôle implicite de donneurs d’exemples voire de médiateurs. En tant qu’usager, c’est être sensibilisé, respectueux, avoir des activités et des comportements adaptés. Mais c’est aussi être perçu comme expert d’usage, voire concepteur et gestionnaire potentiels.

11Au-delà de consultations lors de réunions publiques, impliquer les usagers à la construction et la gestion des espaces publics représente un idéal en termes de gestion et de coproduction de la ville. Or tout cela prend du temps et beaucoup d’énergie pour une mobilisation difficile et le risque d’aboutir à peu d’actions concrètes. Plusieurs pistes sont esquissées pour redonner au citoyen l’envie de participer à la gestion des espaces. Ce sont par exemple les « jardins à adopter » [6] proposés par la Ville de Grenoble, ou simplement l’utilisation de l’espace public comme un lieu pédagogique : signalétique en lien avec les plantations, repérage des associations locales en lien avec le jardinage collectif.

12La gestion de l’espace public via des initiatives citoyennes pose aussi beaucoup de questions quant à la relation entre institution(s) et citoyens. Où placer le curseur : déléguer, encadrer, contrôler les initiatives de citoyens ? Qui prend le relais en cas d’abandon ou de détérioration du mobilier construit par des citoyens ?

13L’espace public véhicule le paradoxe d’être inscrit dans le temps long, avec des limites qui évoluent très peu et des végétaux qui grandissent lentement. Et parallèlement, les travaux sont nombreux et les évolutions permanentes, tentant de concilier robustesse des espaces, service continu et adaptabilité aux usages. L’enjeu d’une gestion pérenne serait finalement de composer avec ces temporalités, en mêlant à la fois une action continue de consolidation d’une ambiance et d’une identité avec des petites améliorations qui redonnent du sens et de l’envie aux usagers quotidiens.


Date de mise en ligne : 17/02/2021

https://doi.org/10.3917/cdsu.067.0023

Notes

  • [1]
    L’aménagement de cette allée et d’autres projets d’initiatives citoyennes ont fait l’objet d’une visite lors d’une journée en septembre 2017.
  • [2]
    Lors de la construction du quartier Confluence à Lyon, des bacs potagers étaient installés provisoirement dans un jardin public central, puis déplacés en fonction des demandes. L’expérience a suscité la construction d’un jardin potager pérenne. Des démarches similaires sont possibles en partenariat avec l’association des Incroyables Comestibles.
  • [3]
    Sur les projets temporaires, cf. l’article d’I. Chenevez dans le présent numéro, pp. 42-44.
  • [4]
    Le collectif Etc avait notamment recensé un certain nombre de projets et de structures allant dans le sens de « pratiques de participation créative » lors de son « détour de France » en 2012. Les présentations sont à retrouver sur leur site internet www.collectifetc.com.
  • [5]
    Une trentaine d’espaces publics de proximité ont été aménagés par la Ville de Montreuil avec le programme « PEPA ».
  • [6]
    La Ville de Grenoble propose à ses habitants une soixantaine d’espaces verts « à adopter » et pouvant être convertis en espaces de jardinage.

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