Couverture de CDSU_059

Article de revue

La santé, une préoccupation secondaire pour les jeunes des quartiers de Rhône-Alpes

Pages 16 à 17

Notes

  • [1]
    Lors de l’enquête, il s’agissait des Cucs (contrat urbain de cohésion sociale) et des Zus (zone urbaine sensible).
  • [2]
    Drees, « Les usagers des urgences. Premiers résultats d’une enquête nationale », Études et Résultats, n° 212, 2003.
  • [3]
    Dépendance significative entre le fait de renoncer à aller chez le médecin et le quartier d’implantation.
  • [4]
    Dépendance significative entre le fait de s’estimer en bonne santé et le quartier d’implantation.

1Questionner le rapport à la santé est un exercice complexe. Il l’est d’autant plus avec certains publics, peu enclins aux enquêtes Ce frein à aborder ces questions a été confirmé lors d’une étude conduite par la Mrie et financée par la DRJSCS Rhône-Alpes. Cette dernière s’est intéressée à la vie des jeunes qui résident dans les quartiers prioritaires [1] des territoires de Romans-Bourg-de-Péage et Roannais Agglomération. Cette gêne à évoquer sa santé et la méconnaissance qui l’entoure sont en elles-mêmes des éléments de réponse aux questions qui traitent du rapport au soin dans ces secteurs particuliers, notamment vis-à-vis du public 16-25 ans, celui privilégié par l’étude. L’enquête révèle certains points particuliers qui semblent spécifiques aux jeunes des quartiers.

L’accès aux soins, une étape parfois difficile à franchir

2Ces jeunes sont près de 16% à ne pas posséder de carte Vitale et l’accès à une complémentaire santé semble encore plus délicat Près d’un tiers des jeunes n’en disposent pas ou, plus encore, ne savent pas s’ils en disposent En matière d’accès aux soins, le questionnaire de l’étude s’intéresse aux lieux et professionnels consultés par les jeunes au cours de l’année Sans surprise, les lieux de consultation les plus récurrents sont les cabinets des médecins généralistes ou spécialistes qu’ont consultés près des trois quarts des jeunes Viennent ensuite les urgences, sollicitées par 29% ; taux important qui interroge sur le rapport à la santé de ces jeunes Ce point a été développé à plusieurs reprises dans les échanges avec des professionnels Cependant, si le fort recours aux urgences interpelle dans cette étude et apparaît légèrement exacerbé, il semble être une réalité pour l’ensemble de cette tranche d’âge Au niveau national en 2002, les 16-25 ans sont plus d’un quart à avoir sollicité le service des urgences au cours de l’année [2] À noter que 12% des jeunes interrogés dans notre étude n’ont fréquenté aucun lieu de soin dans l’année.

3Ce dernier point renvoie à la question du renoncement à se faire soigner évaluée à travers la question suivante : « Est-ce qu’il t’arrive de renoncer à aller voir le médecin, quand tu en as besoin ? » Sur les 41% des jeunes qui affirment renoncer à se faire soigner :

  • un quart le justifie par une maladie « pas assez grave » pour consulter : « C’est pas toujours si grave ou alors parfois nous avons les médicaments chez nous » ;
  • un jeune sur cinq en raison de contraintes temporelles ou géographiques dissuasives à ses yeux : « pas le temps d’y aller », attente trop longue chez le médecin ou pour prendre un rendez-vous, faible mobilité, etc. ;
  • 15% parce qu’ils n’ont pas confiance (ou peur) en la médecine : « phobie des médecins, hôpitaux, etc. » ;
  • quasiment la même proportion à cause de problèmes financiers ou administratifs : « J’avais pas d’argent et pas de mutuelle » ;
  • et enfin quelques-uns parce qu’ils ont « la flemme » d’y aller ou préfèrent se débrouiller eux-mêmes.

4Ce phénomène de renoncement aux soins est moins fréquent chez les jeunes qui résident en dehors des quartiers prioritaires Ces derniers ne sont que 31% à renoncer à se faire soigner [3].

La santé, une question éludée par les jeunes des quartiers

5L’étude révèle un constat inquiétant concernant ces jeunes qui ne poussent pas les portes des lieux médicaux Ils sont souvent réservés quant à leur état de santé Plus d’un quart de ceux qui renoncent à se faire soigner ne s’affirment pas en bonne santé (ou ne savent pas). Globalement, 8% de l’ensemble des jeunes interrogés ne s’estiment pas en bonne santé et 9% ne savent pas s’ils sont en bonne santé La part de ceux qui ne parviennent pas à s’exprimer sur leur état de santé pose question : comment comprendre l’absence de représentation sur sa santé ? Ainsi, en tout 79% des jeunes des quartiers s’estiment en bonne santé. Cette proportion monte à 91% chez les jeunes vivant hors des quartiers prioritaires Les jeunes interrogés semblent donc plus souvent pessimistes quant à leur état santé [4]

6Ces chiffres apportent des informations sur le regard que ces jeunes portent sur leur santé Pour autant, rien ne permet d’affirmer que cela les inquiète réellement. Exprimer cette mauvaise santé sans forcément agir en conséquence donne des informations sur le désintérêt marqué des jeunes sur ces questions Il semblerait que le rapport à leur corps ne soit considéré que lors de souffrances, physiques ou psychiques, importantes.

L’emploi, une priorité avant la santé

7Cette appréhension de la santé signale que les questions relatives à ce sujet ne sont pas prioritaires pour les jeunes qui résident dans les quartiers Pendant l’étude, des entretiens semi-directifs et libres ont été conduits Si lors des premiers, les questions de santé étaient abordées, c’était toujours en réponse aux questions de l’enquêteur À l’inverse, lors des entretiens libres qui s’apparentent plus à des conversations, ce thème n’a jamais été abordé Cependant, ce désintérêt peut paraître paradoxal au regard de l’appréhension négative qu’ils se font de leur santé. Une explication pourrait être le nivellement des préoccupations de ce public Si la santé peut leur faire défaut, il s’avère que la problématique qui les préoccupe tous reste l’insertion, l’emploi, les revenus, etc D’ailleurs, quand la santé est discutée spontanément, ce n’est jamais frontalement et cela reste connecté à d’autres réalités, comme lors de cet échange avec Aziz, 20 ans, titulaire d’un CAP et sans emploi :

« J’ai envie de travailler, des fois ça me fait cogiter, voilà j’me couche, et là j’me dis il faut que tu dormes, mais pour faire quoi demain matin ? On va se lever, on va rien faire, c’est pas normal. »

8Son sommeil difficile et les questions qu’il se pose sont directement liés à l’absence d’activité professionnelle. Il en est de même pour Camara, 23 ans, titulaire du Brevet des collèges et sans emploi En l’écoutant, il est possible d’appréhender l’agencement des priorités de cette jeunesse :

« Si un employeur m’appelle à 8h du matin, même si j’ai pas dormi, je réponds, j’attends que ça. Et dormir tôt, j’y arrive jamais. »

9Alors qu’il évoque un problème que l’on pourrait rattacher à des questions de santé, il le connecte immédiatement à celui de l’emploi Et dans le même temps, il connaît ses droits puisqu’il explique être couvert par la CMU, ce qui signifie pour lui « j’peux me soigner si j’ai besoin ». Le problème étant que des formes de non-recours touchent ce public et que la santé demeure bien souvent au second plan.

10Communiquer auprès de ce public (sur des questions de prévention par exemple) nécessite forcément d’avoir intégré ce désintérêt, car il est potentiellement préjudiciable à la santé. Agir auprès de ces jeunes est d’autant plus important que les renoncements aux soins peuvent porter en eux les germes de complications futures et fortement préjudiciables. En définitive, si la jeunesse des quartiers prioritaires s’avère distante des questions de santé, c’est parce que sa situation globale de vie ne la satisfait pas. Ainsi, un des leviers pour modifier ce rapport particulier pourrait être d’aborder la santé par le biais de l’insertion, cette dernière semblant concentrer toutes les attentions.


Date de mise en ligne : 17/02/2021

https://doi.org/10.3917/cdsu.059.0016

Notes

  • [1]
    Lors de l’enquête, il s’agissait des Cucs (contrat urbain de cohésion sociale) et des Zus (zone urbaine sensible).
  • [2]
    Drees, « Les usagers des urgences. Premiers résultats d’une enquête nationale », Études et Résultats, n° 212, 2003.
  • [3]
    Dépendance significative entre le fait de renoncer à aller chez le médecin et le quartier d’implantation.
  • [4]
    Dépendance significative entre le fait de s’estimer en bonne santé et le quartier d’implantation.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.87

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions