Notes
-
[1]
In « L'Art Romantique » (1852).
-
[2]
Ce travail doit beaucoup aux fructueux échanges entretenus avec M. Thibault Garo à l'occasion de la préparation et de la soutenance de son mémoire : La liberté d'expression d'artistique (M2 Droit privé fondamental, UBO, 2017).
-
[3]
Pour une vue d'ensemble, A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, 5e éd., LexisNexis, Paris 2017.
-
[4]
Il existe ainsi des codes, des mouvements, des méthodes, des critiques artistiques. Aussi, tout comme le droit est normatif, l'art apparaît parfois comme une discipline normée.
-
[5]
J. Carbonnier, Flexible Droit - Pour une sociologie du droit sans rigueur, coll. Anthologie du droit, LGDJ, Paris 2013, spéc. p. 24.
-
[6]
J. Carbonnier, « L'hypothèse du non-droit », Archives de philosophie du droit, Sirey, Paris 1963, repris in Flexible droit, préc., p. 25-47.
-
[7]
Th. Garo, La liberté d'expression d'artistique, op. cit.
-
[8]
M. Heidegger, L'Origine de l'œuvre d'art, 1935.
-
[9]
Ibid., spéc. : « Tout l'affairement autour des œuvres d'art, si poussé et désintéressé qu'il soit, n'atteint jamais les œuvres que dans leur être-objet. Mais l'être objet n'est pas l'être-œuvre ».
-
[10]
Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. - Sur ce texte, v. P. Sirinelli, « Premières vues sur la loi Création », Dalloz IP/IT 2017, p. 193 ; S. François, « Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine », JCP.A 2017, p. 42.
V. également la déclaration de Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, à l'occasion de l'adoption du projet de loi en première lecture à l'Assemblée Nationale : « il s'agissait d'inscrire dans la loi une nouvelle liberté : la liberté de création. Nous avons voulu que ce principe général ait force de loi, comme la liberté d'expression ou la liberté de conscience. Parce que ce texte entend libérer toute pratique artistique ou culturelle de ce qui l'entrave. Parce qu'il entend faire progresser la participation et l'implication de tous les citoyens dans la vie culturelle - car la liberté de création n'a de sens que si elle bénéficie à tous » : http://www.culture.gouv.fr/Presse/Archives-Presse/Archives-Communiques-de-presse-2012-2017/Annee-2015/Declaration-de-Fleur-Pellerin-a-l-occasion-de-l-adoption-du-projet-de-loi-Liberte-de-creation-architecture-et-patrimoine-en-premiere-lecture-a-l-Assemblee-Nationale -
[11]
T. corr. Paris, 7 févr. 1857, Madame Bovary, Gazette des tribunaux, 9 févr. 1857.
-
[12]
T. corr. Paris, 20 août 1857, Les fleurs du mal, Gazette des tribunaux, 21 août 1857 : ces célèbres décisions font suite aux poursuites, sur le fondement du délit d'outrage aux bonnes mœurs, des auteurs de Madame Bovary et des Fleurs du mal. L'infraction, depuis abrogée, était ainsi formulée à l'article 287 de l'ancien Code pénal de 1810 : « Toute exposition ou distribution de chansons, pamphlets, figures ou images contraires aux bonnes mœurs, sera punie d'une amende de seize francs à cinq cents francs, d'un emprisonnement d'un mois à un an, et de la confiscation des planches et des exemplaires imprimés ou gravés, de chansons, figures ou autres objets du délit ».
-
[13]
C. Delavaux & M.-H. Vignes, Les procès de l'art, Petites histoires de l'art et grandes affaires de droit, éd. Palette, Paris 2013.
-
[14]
TGI Paris, 25 juin 2007, n° 06/10149, D. 2008. 57, note A. Tricoire ; D. 2007. 2771, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot D. 2008. 57.
-
[15]
V. not. le célèbre arrêt Benjamin : CE 19 mai 1933, Lebon n° 17413 17520, à propos de la censure d'un arrêté de police du maire de Nevers interdisant la tenue d'une conférence littéraire intitulée : « Deux auteurs comiques : Courteline et Sacha Guitry », Lebon
-
[16]
Sur la notion juridique d'œuvre d'art, v. J.-M. Pontier, « La notion d'œuvre d'art », RD publ. 1990. 1425.
-
[17]
V. également l'idée selon laquelle la liberté de création aurait pour revers nécessaire la liberté de l'accès à l'art. En ce sens, v. DUDH, art. 27, al. 1er : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ».
-
[18]
CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c/ Suisse, req. n° 10737/84.
-
[19]
[« Liberté d'expression »]
-
[20]
Le paragraphe 2 se lit comme suit : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ». Du point de vue des sources, l'article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 énonce que « Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices ». L'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 prévoit que « Toute personne a droit à la liberté d'expression », qui « comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières sous formes orale, écrite, imprimée ou artistique ». La Conférence générale de l'Unesco a adopté en octobre 1980 une Recommandation relative à la condition de l'artiste, en vertu de laquelle « Les États membres se doivent de protéger, défendre et aider les artistes et leur liberté de création ». Enfin, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose en son article 13 que « Les arts et la recherche scientifique sont libres ».
-
[21]
CEDH, 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, req. n° 5493/72.
-
[22]
M. Macovei, Un guide sur la mise en œuvre de l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, Précis sur les droits de l'Homme n° 2, publication du Conseil de l'Europe : https://rm.coe.int/168007ff5b
-
[23]
CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c/ Suisse, op. cit. - Pour une vue d'ensemble, v. B. Nicaud, La réception du message artistique à la lumière de la CEDH, Thèse, Univ. Limoges, 2011, 611 p.
-
[24]
CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c/ Suisse, op. cit.
-
[25]
En droit européen, v. not. CEDH, 24 mai 1988, Müller et a. c/ Suisse, op. cit. ; CEDH, 1re Ch., 25 janv. 2007, Vereinigung Bildender Künstler c/ Autriche, n° 68354/01, D. Lefranc, L'affaire “Apocalypse”, un revirement dans la jurisprudence de la CEDH en matière de liberté d'expression artistique ?, Auteurs et médias, 2007/4, p. 327-336.
En droit français, v. not. TGI Paris, 17e Ch. Civ., 2 juin 2004, M. Ben Salah c/ L. Delahaye, Agence Magnum et a., LPA 2004, n° 214, III, p. 156, note C. Bigot ; TGI Paris, 17e ch. civ., 9 mai 2007, I. Chatenet de Puysegur c/ SA Gallimard et F.-M. Banier ; TGI Paris, 17e Ch. Civ., 25 juin 2007, Ass. Espace Tutelles et M. Dolibois c/ F.-M. Banier et éd. Gallimard, op. cit. ; Paris, 11e ch., 5 nov. 2008, C. Bigot, « La liberté de création artistique prévaut, dans certaines limites, sur le droit à l'image », D. 2009. 470 ; A. Bonnal, « Les conflits entre les droits de la personnalité et la liberté de création et d'illustration », Légicom, n° 43, 2009/2, p. 23. - A. Tricoire, « Les œuvres et les visages : la liberté de création s'affirme contre le droit à la vie privée et le droit à l'image », op. cit. -
[26]
Th. Garo, La liberté de création artistique, op. cit.
-
[27]
Ibid.
-
[28]
A. Tricoire, Petit traité de la liberté de création, coll. Cahiers libres, éd. de la Découverte, Paris 2011, p. 7.
-
[29]
Contra. Ph. Mouron, « La liberté de création au sens de la loi du 7 juillet 2016 », RDLF 2017, chron. n° 30 : selon l'auteur, l'intérêt de cette consécration est « nul », cette liberté, « exprimant le droit à la culture, (...) n'ayant finalement que peu d'autonomie conceptuelle » ; v. également M. Cornu, « Le législateur culturel et les chantiers de la création, de l'architecture et du patrimoine », CCE, mars 2017, p. 1 ; D. Cohen, « La liberté de créer », in R. Cabrillac [Dir.], Libertés et droits fondamentaux, 23e éd., Dalloz, Paris, 2017, p. 557.
-
[30]
CEDH, 24 mai 1988. Müller et autres c/ Suisse, op. cit.
-
[31]
Ibid.
-
[32]
CEDH, 20 sept. 1994, Otto-Preminger-Institut c/ Autriche, n° 13470/87 : refus de la Cour de condamner l'Autriche qui avait censuré un film sur le fondement du délit de blasphème, encore pratiqué dans ce pays ; CEDH, 22 oct. 2007, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c/ France, n° 21279/02 ; n° 36448/02 : refus de la Cour de sanctionner la France, qui avait condamné un écrivain pour diffamation contre un homme politique, bien qu'en l'espèce les propos diffamatoires aient été ceux de personnages fictifs d'un roman. - comp. CEDH, 8 juill. 1986, Lingens c/ Autriche, série A n° 103 : primauté de la liberté d'expression d'un journaliste autrichien, condamné pour diffamation par les juridictions internes pour avoir écrit un article dénigrant virulemment un homme politique.
-
[33]
CEDH, 29 mars 2005, Alinak c/ Turquie, n° 40287/98 : primauté de la liberté d'expression d'un écrivain turc, condamné dans son pays pour appel à la violence. La cour, relevant d'abord le caractère fictionnel du récit, tempère : « ... il convient néanmoins de garder présent à l'esprit que le média utilisé par le requérant est le roman, forme d'expression artistique qui s'adresse à un public relativement étroit comparé, par exemple, aux mass médias... » pointant le risque pour une œuvre sensible d'être comprise au premier degré par une partie du public, tout en admettant le caractère artistique, suggestif de celle-ci.
-
[34]
CEDH, 13 sept. 2005, İ.A. c/ Turquie, n° 42571/98, AJDA 2006. 466, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2006. 662, chron. F. Massias . - V. également, en matière picturale, CEDH, 25 janv. 2007, Vereinigung Bildender Künstler c/ Autriche, n° 68354/01, AJDA 2007. 902, chron. J.-F. Flauss : primauté de la liberté d'expression artistique du dessinateur satirique, condamné par les juridictions internes pour injure contre les hommes politiques qu'il avait grimés dans des positions sexuelles grotesques, cela au motif que « ... la satire est une forme d'expression artistique et de commentaire social qui, de par l'exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter », ce qui, selon la Cour, procède du cours normal de l'échange des idées dans une société démocratique.
-
[35]
CEDH, 12 mars 2015, Almeida Leitão Bento Fernandes c/ Portugal, n° 25790/11.
-
[36]
TGI Paris, 9 mai 2007, D. 2008. 57.
-
[37]
CA Paris, 5 nov. 2008, Isabelle de Chastenet de Puységur c/ F. M. Banier, n° 07/10198, D. 2009. 470, D. 2009. 470, note C. Bigot. - sur cette question, v. A. Bonnal, « Les conflits entre les droits de la personnalité et la liberté de création et d'illustration », Légicom, n° 43, 2009/2, p. 23 ; A. Tricoire, « Les œuvres et les visages : la liberté de création s'affirme contre le droit à la vie privée et le droit à l'image », D. 2008, p. 57.
-
[38]
V. infra.
-
[39]
CA Paris, 11e ch. sect. A, 5 nov. 2008, I. de Chastenet de Puységur c/ Éd. Gallimard, La nouvelle revue française et F.-M. Banier. - dans le même sens, v. TGI Paris, 16 nov. 2006, Pogrom, Légipresse, avr. 2007. p. 72, not. : « la création artistique nécessite une liberté accrue de l'auteur, qui peut s'exprimer tant sur les thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent ou inquiètent »; Civ. 1re, 9 juill. 2009, Société Jacky boy music, n° 07-19.758 Civ. 1re, D. 2009. 2110 ; RTD civ. 2009. 695, obs. J. Hauser. - C. Bigot, « La liberté de création prévaut, dans certaines limites, sur le droit à l'image », D. 2009. 470.
-
[40]
Th. Garo, La liberté de création artistique, op. cit.
-
[41]
Civ. 1re, 16 sept. 2010, Our Body, CCE 2010, comm. 112, note A. Lepage.
-
[42]
C. pén., livre II, titre II, chap. V : Des atteintes à la dignité de la personne. - En droit administratif, v. D. Maus, « À propos des ordonnances Dieudonné : dignité de la personne humaine et ordre public », D. 2014. 200.
-
[43]
C. pén., art. 227-23 s.
-
[44]
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, spéc. art. 24 (modif. Loi n° 2017-86 du 27 janv. 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, JORF n° 0024 du 28 janv. 2017).
-
[45]
Pour une vue d'ensemble, G. Goffaux-Callebot, J.-B. Seube & D. Guével (dir.), Droit(s) et street art - De la transgression à l'artification, LGDJ, Paris 2017.
-
[46]
Sur l'articulation droit - fiction, v. not. F.-X. Roux-Demare & M.-Ch. Dizès (dir.), Les fictions en droit, coll. Colloques et Essais, Institut Universitaire Varenne, Paris 2018.
-
[47]
CA Versailles, 18 févr. 2016, RG n° 15/02687, D. 2017. 935, obs. RÉGINE .
-
[48]
M. Combet, « Liberté d'expression - Affaire Orelsan : l'art à tout prix ? », JAC 2016, n° 38, p. 36. - en matière de rap, v. également les affaires visant les groupes Suprême NTM, Ministère A.M.E.R, La Rumeur, Youssoupha, Monsieur R., Morsay ou Damso.
-
[49]
TGI Paris, 16 juin 2011, Légipresse n° 286. I. p. 464 ; TGI Paris, 16 nov. 2006, Légipresse, avr. 2007. p. 72 ; TGI Paris (17e ch.), 8 déc. 2017, « Jo le Phéno » pour la condamnation d'un clip de rap, "Bavure", pour provocation publique à la commission d'une atteinte volontaire à la vie et injure publique envers une institution publique ; Lyon, 4e ch., 12 janv. 2018, S. Zouggagh c/ AGRIF, Légipresse, avr. 2018, n° 360 à propos de la publication d'un ouvrage intitulé Nique la France, constitutive de provocation et d'injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une nation.
-
[50]
Th. Garo, La liberté de création artistique, op. cit.
-
[51]
TGI Paris, 9 mai 2007, n° 06/03296, D. 2008. 57, op. cit. : « Le caractère artistique de l'ouvrage en cause, réalisé par un photographe de renom et récompensé par le Prix 2006 du meilleur livre allemand dans la Section « Art et Photographie », n'est pas contesté et n'est même pas contestable »1. Cela revient à déduire le caractère artistique de l'œuvre du statut d'artiste de son auteur.
-
[52]
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 10e éd., coll. Droit Fondamental, PUF, 2017, p. 51 : « Le processus de création artistique ne serait autre qu'un enfantement, analogue à celui de l'être humain : l'œuvre est conçue, c'est l'« idée » ; puis intervient la gestation : préparation, assemblement, coordination (plan) croissance - c'est la « composition » ; enfin, l'œuvre vient au monde : écriture du roman, de la pièce, du scénario - c'est l'« expression » ».
-
[53]
CA Paris, 13 mars 1986, Gaz. Pal. 1986. 1. p. 238.
-
[54]
E. Treppoz, « Pour une attention particulière du droit à la création : l'exemple des fictions littéraires », D. 2011. 2487.
-
[55]
V. Civ. 1re, 15 mai 2015, Malka c/ Klasen, n° 13-27391 : cassation d'un arrêt qui n'établissait pas de contrôle de proportionnalité entre droit d'auteur et liberté de création artistique.
-
[56]
V. également la théorie du fait constant, en vertu de laquelle est considéré comme constant le fait affirmé par une partie et non contesté par l'autre ; appliqué à notre matière, la théorie reviendrait à déduire le caractère artistique d'un fait de création de sa non-contestation par les parties au cours de l'instance. - v. Th. Le Bars, « La théorie du fait constant », JCP.G 1999, n° 44, p. 1969.
-
[57]
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 12e éd., coll. Quadrige, PUF, Paris 2018, v. "Censure".
-
[58]
D'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.
-
[59]
A.-S. Chavent-Leclère, « Les aspects de droit pénal de la loi LCAP », JAC 2017, n° 43, p. 20.
-
[60]
A. Lepage, « Un nouveau délit d'entrave dans le Code pénal : l'entrave à la liberté de la création artistique », Légipresse 2017, n° 354, p. 543.
-
[61]
Sur cette question, v. les réserves de G. Beaussonie, in « La loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine », RSC 2016. 822, not. : « La liberté de création n'étant qu'une forme de liberté d'expression, il était naturel que la protection de celle-ci, en l'occurrence pénale, s'étende à celle-là. En revanche, cette nouvelle liberté n'étant pas inéluctablement une de celles qui s'expriment collectivement, au contraire des autres prévues par le texte - expression, travail, association, réunion, manifestation et délibération -, on comprend qu'elle ait eu droit à son propre alinéa ».
-
[62]
En tant qu'infraction politique, et en vertu de l'article 431-2 du code pénal, le délit d'entrave à la liberté de création peut être sanctionné d'une des peines complémentaires prévues aux articles 131-26 et 131-27 du même code.
-
[63]
E. Polymenopoulou, La liberté de l'art face à la protection des croyances religieuses : étude d'un conflit de valeurs sous le prisme du droit international, thèse, Droit, Université de Grenoble, 2011. V. T. corr. Avignon, 15 mai 2017, inédit, à propos de la photographie « l'Immersion Piss Christ », de l'artiste américain Andres Serrano, dégradée en 2011 en Avignon à coups de marteau pour des motifs d'ordre blasphématoire. L'œuvre représentait un crucifix immergé dans de l'urine et du sang : condamnation à des peines d'amende ; Crim. 14 nov. 2017, Golgota picnic, Légipresse n° 355, nov. 2017 : dans cette affaire, l'Agrif reprochait à la pièce Golgota picnic du dramaturge argentin Rodrigo Garcia et programmée par le théâtre du Rond-Point, de présenter l'iconographie chrétienne comme une image de la terreur et de la barbarie : relaxe.
1« C'est le propre des œuvres vraiment artistiques, d'être une source inépuisable de suggestions ».
3Dire le droit et dire l'art [2] - Entre l'art et le droit, il existe une différence fondamentale de raison d'être : tandis que la normativité inhérente à la règle juridique permet d'affirmer que le droit dispose, à l'inverse la suggestivité propre à la création artistique autorise à écrire que l'art propose. Si cette altérité d'objet pourrait amener à penser que les deux disciplines sont exclusives l'une de l'autre, évoluant parallèlement sans facteurs de perturbation réciproque, il existe pourtant entre elles un certain nombre de points de contact. L'art est ainsi parfois envisagé par une notion juridique particulière : l'œuvre de l'esprit [3], habituellement qualifiée selon des critères de création, de forme et d'originalité et qui fait naître au profit de son auteur un droit réel sur celle-ci. L'œuvre de l'esprit n'est cependant pas nécessairement une œuvre d'art, laquelle, bien que parfois normée [4], apparait moins catégorique. Essentiellement suggestive, l'œuvre d'art transmet un message plus ou moins ambigu qui sera diversement reçu par le public, libre d'y voir ou non quelque espèce de signification. Il existe ainsi, autour de l'art, une indéfectible sphère de liberté : celle de l'artiste de suggérer par l'œuvre, puis celle du public de la ressentir en autonomie et notamment à l'abri du discours péremptoire du droit. L'art est ainsi animé par une invincible part de non-droit [5], alors que la tentation inverse du panjurisme [6] pourrait conduire à confondre la rigueur intrinsèque au droit et l'autonomie inhérente à l'art. « Le discours du droit sur l'art deviendrait alors une prétention du premier à cerner le second dans sa réalité ontologique et ainsi à le juridiciser » [7], c'est-à-dire à faire dire au droit ce qu'est, n'est pas, voire ce que doit être l'art. Aussi, questionner le juge sur l'art comporte parfois le risque de nier, par l'impérativité, la pluralité des suggestions que l'art porte. Si le juge dit le droit, il n'a pas à dire l'art, de même que dire l'œuvre de l'esprit n'est pas dire l'œuvre d'art, ou que connaître de l'auteur n'est pas nécessairement connaître de l'artiste. Dans le rapport du droit à l'art, deux discours a priori peu compatibles coexistent donc : d'un côté, ce que l'œuvre dit : le discours de l'art, suggestif ; de l'autre, ce que le droit en dit : le discours sur l'art, impératif. Aussi, pour ne pas dire l'art au lieu du droit, c'est plutôt vers un « affairement autour des œuvres d'art » [8]- et non sur les - que devrait s'articuler le discours juridique, tout en prenant la précaution de ne pas s'avancer sur leur sens. Cela revient à reconnaître qu'il y a une part de l'art dont le discours juridique devrait avoir l'humilité d'admettre qu'elle peut parfois lui échapper [9]. Au fond, il s'agit de formuler une interrogation philosophique mâtinée de considérations juridiques : comment juger l'art ?
4Au-delà, il en va du respect de la liberté créatrice de l'artiste, dont la consécration en droit est précisément intervenue avec la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine [10], qui dispose sobrement en son article premier que « la création artistique est libre » tout en précisant qu'« elle s'exerce dans le respect des principes encadrant la liberté d'expression et conformément aux dispositions de la première partie du Code de la propriété intellectuelle ». Dans une première approche, le concept juridique de liberté de création artistique suggère un formidable potentiel de protection de l'autonomie de l'art. Il est vrai qu'instituer légalement la liberté de création artistique ne serait pas nécessaire si les limites qui lui sont parfois opposées n'étaient pas de nature à la menacer. La liberté des arts, avant d'apparaître dans le marbre de la loi, a en effet souffert d'atteintes aussi diverses que fameuses ; au temps de l'ordre moral ou religieux, les offenses artistiques étaient sanctionnées par la loi pénale : ainsi des célèbres procès en outrage aux bonnes mœurs intentés contre Flaubert [11] ou Baudelaire [12], parmi d'autres [13]. Néanmoins, jusqu'à la loi du 7 juillet 2016, l'art s'est progressivement affirmé, parfois même en opposition avec l'idée de norme ; les publics s'en sont emparés et les réponses du droit ont donc dû évoluer. Aussi, depuis la déclaration de Versailles, faite par Louis XVI le 15 mars 1777 et qui avait déjà proclamé la liberté des arts, se succèderont maintes faveurs législatives propres à en favoriser indirectement la protection. Ce n'est qu'au tournant du XXe siècle que la liberté des arts va être appréhendée sous un angle de garantie et de protection, puisque la promotion des activités artistiques par les pouvoirs publics et l'effectivité juridique de la liberté d'expression se font progressivement jour. De la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 à « l'exception culturelle française », en passant par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ou l'abolition du délit d'outrage aux bonnes mœurs, le XXe Siècle a porté de grandes mutations favorables à la liberté des artistes tout comme à l'autonomie de l'art.
5Il n'est néanmoins pas question de considérer ici la liberté de création artistique comme un blanc-seing [14]. Il est constant en effet que la loi et les tribunaux sont à même de lui opposer les limites administratives, pénales, civiles qu'imposent la sauvegarde de l'ordre public, la vie en société ou les droits d'autrui. Car à l'instar de toute liberté, la création artistique est en tout état de cause susceptible d'abus. A priori, le cadre administratif de son exercice a vocation à prévenir de tels excès, en soumettant par exemple la publication d'œuvres à des régimes d'autorisation préalable ou en prenant des mesures de police générale lorsqu'elle suscite un risque sérieux de trouble à l'ordre public [15]. A posteriori, le contentieux judiciaire saura faire son œuvre pénale et civile lorsque les conditions d'engagement de la responsabilité de l'artiste seront réunies. Tout est donc question d'équilibre entre respect de la liberté de création artistique et respect de la loi au sens large. Il demeure que, mise en pratique, la liberté de création n'empêche pas toujours que des décisions de censure opèrent une indélicate immixtion du droit dans le domaine de l'art. Le droit n'élude pas toujours efficacement la tentation de fonder en morale ou en esthétique des jugements autoritaires qui interviennent alors sur l'art et non autour de l'art et qui empiètent indûment sur la part de non-droit qu'il importe de reconnaître dans les faits de création artistique.
6La consécration récente du principe selon lequel la création artistique est libre valide l'idée, déjà largement répandue, que la liberté de créer doit être érigée un principe tandis que la censure doit demeurer à l'état d'exception. Cette aubaine pourrait constituer le point de départ d'un changement de positionnement du discours du droit sur l'art ; elle devrait mettre au service des artistes un outil juridique de défense de la création. Ce faisant, la loi nouvelle permet de penser la liberté de création comme un droit subjectif de l'artiste, tout à la fois autonome (I) et opposable (II).
I - L'autonomie contemporaine de la liberté de création artistique
7L'émancipation récente de la liberté de création artistique devra désormais amener le juge à la qualifier en droit et donc à attribuer à l'art une certaine juridicité. Du point de vue des mots, si « créer » consiste à donner une existence, à l'inverse une définition juridique de l'art [16] n'est ni possible, ni souhaitable. Davantage que l'art lui-même, ce sont alors les différents éléments de l'affairement autour de l'art, son environnement et ses externalités, qui apparaîtront susceptibles de qualification. C'est donc le fait de création lui-même davantage que sa dimension artistique, ou non, qui pourra être envisagé. Ainsi la liberté de création artistique pourra-t-elle être qualifiée de norme autonome et se faire règle à elle-même (A) ; elle octroiera alors à l'artiste, à titre individuel, le bénéfice d'un droit subjectif lui permettant d'exiger le respect de sa liberté de créer (B).
A - La liberté de création artistique émancipée de la liberté d'expression
8L'attachement historique de la liberté de création artistique à la liberté d'expression - L'autonomie de la liberté de création artistique commande qu'elle existe par elle-même, qu'elle s'autosuffise. Or, avant sa formulation expresse dans la loi, sa protection par le juge s'est toujours appuyée sur une application particulière de la liberté d'expression [17], avec laquelle la liberté de création artistique a ainsi longtemps entretenu un rapport d'accessoire à principal. Du fait de ce rattachement de la création artistique à une liberté surplombant l'ordre juridique étatique de par sa source constitutionnelle et conventionnelle [18], il eût été commode de déduire le caractère fondamental de la liberté artistique. À l'analyse pourtant, les choses sont plus complexes. En droit français, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 vise « la libre communication des pensées et des opinions » et précise que « tout Citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ». En droit européen, l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme [19] protège quant à lui « la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées » [20], ce qui constitue, selon la jurisprudence européenne, « l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun » [21]. En principe, la protection s'étend à toute expression, quels qu'en soient le contenu et le mode de diffusion et alors même que les informations ou idées considérées comporteraient un risque potentiel ou avéré d'atteinte aux droits des tiers [22]. La création artistique s'inscrit dans ce cadre à la manière d'une contribution spéciale à l'échange d'idées et d'opinions, étant rappelé que selon le droit européen, la représentation et la diffusion libres des œuvres d'art ne font l'objet de restrictions que dans les sociétés autoritaires [23]. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme est de ce point de vue claire : « Ceux qui créent, interprètent, diffusent, ou exposent une œuvre d'art contribuent à l'échange d'idées et d'opinions indispensables à une société démocratique. D'où l'obligation, pour l'État, de ne pas empiéter indûment sur leur liberté d'expression » [24].
9Bien qu'effectivement protégée par la liberté d'expression [25], la liberté de création artistique, d'ambition et de domaine plus spéciaux, méritait cependant autre chose : son autonomie. En effet, si la création artistique peut consister en la communication d'informations et d'idées par la voie de l'œuvre d'art, si elle peut être regardée comme le reflet de la liberté d'opinion de l'artiste, cependant la liberté d'expression dans son acception européenne semble cantonnée à la protection de la liberté des discours et n'embrasse donc pas complètement la liberté de création artistique. Puisque presque infini, le champ de la création artistique est plus large que celui de la seule expression, qui en est certes une modalité. « Là où le fait d'expression ne retient que les caractères discursifs et communicationnels de l'œuvre, le fait de création concentre l'attention sur son émergence puis son accession au domaine de l'art : s'en suit une divergence de fonction entre les libertés d'expression et de création artistique » [26]. C'est pourquoi les formes artistiques ne sauraient être bornées aux seules formes de transmission du discours ; « si une œuvre d'art peut exister par l'écrit, la parole, l'imprimé, la radiodiffusion, le cinéma ou la télévision, qui sont autant de supports d'un discours, elle le peut tout autant par le geste, l'image, le son, l'odeur, etc. Aussi, il n'est, en faits d'art, pas seulement question de discours ou de message, mais plus essentiellement de suggestions » [27]. Protéger la création artistique par la liberté d'expression opère donc une réduction du fait de création à un fait d'expression.
10Le détachement contemporain de la liberté de création artistique de la liberté d'expression - On pourrait voir dans la liberté de création une liberté d'expression spéciale, au sens d'un contrat spécial, i.e qui serait née de la liberté d'expression mais dont l'affirmation progressive de sa spécificité a permis de l'en détacher, jusqu'à la rendre autonome. Pourtant, lorsqu'elle est protégée au nom de la liberté d'expression [28], il n'est pas possible de considérer le principe de liberté de création artistique comme une règle indépendante, ne serait-ce que parce que les textes n'évoquent expressément ni l'art, ni l'œuvre d'art, ni l'artiste. La liberté d'expression, qui envisage l'art comme une forme d'expression spéciale cantonnée à ses aspects communicationnels, et la liberté de création artistique, qui envisage le processus créatif dans sa globalité, ne poursuivent donc pas le même objectif, in fine. Aussi est-il davantage question dans le droit positif de liberté d'expression artistique que de liberté de création artistique [29], ce qui n'est pas exactement la même chose.
11En l'en détachant justement pour l'ériger en prérogative affranchie, la véritable nouveauté du droit français réside donc dans la consécration, au moins formelle, de la protection désormais autonome de la création artistique. En réalité, il semble que la nouvelle loi s'inspire, au moins dans l'esprit, de l'évolution de la jurisprudence européenne vers l'admission progressive d'une logique de spécificité de la création artistique. Dans l'ordre des choses, le lien entre l'art et la liberté d'expression a d'abord été tissé par le droit européen. Ainsi, dans le célèbre arrêt « Müller c/ Suisse » du 24 mai 1988 [30], la Cour européenne des droits de l'Homme rattache la création littéraire au régime de l'article 10 de la convention, estimant que « de par son activité créatrice, l'artiste exprime non seulement sa vision personnelle du monde, mais aussi l'idée qu'il se fait de la société dans laquelle il vit. C'est dans cette mesure que l'expression artistique contribue non seulement à la formation mais aussi à l'expression de l'opinion publique. Par ailleurs, l'expression artistique peut également amener le public à une confrontation avec les grandes questions de son époque » [31]. Cette position va un temps perdurer [32] avant que la tentation de l'autonomie de l'art n'émerge progressivement avec les affaires « Alinak c/ Turquie » [33] et « I.A. c/ Turquie » [34], qui marquent en 2005 une évolution de l'approche de l'œuvre de fiction, désormais doublement perçue. D'un côté, l'œuvre est comprise comme un discours univoque et se rattache en ce sens à la liberté d'expression ; mais de l'autre - c'est là tout l'intérêt de l'évolution - elle est aussi perçue comme telle, c'est-à-dire comme une création distinctement fictionnelle. Autrement dit, à propos d'une même œuvre, le discours qu'elle porte relèverait de la liberté d'expression tandis que sa dimension fictionnelle la rattacherait à la liberté de création. C'est d'ailleurs dans cet esprit que, dans une décision de 2015 [35] (certes rendue au visa de l'article 10), la cour de Strasbourg visera expressément la « liberté de création artistique ».
12En droit français, c'est bien la dimension artistique d'une œuvre qui justifie parfois la protection de l'artiste. Notamment, en 2007, à propos d'un recueil de photographies de personnes prises sur l'espace public et sans le consentement des sujets, le TGI Paris relève, en s'appuyant sur « le caractère artistique de l'ouvrage en cause, [qui] n'est pas contesté et n'est même pas contestable », que « lorsque l'exercice par une personne de son droit à l'image aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté d'expression artistique » [36], cette dernière doit primer. Dans le sillon de la cour européenne, l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris [37] abondera en ce sens et, par l'utilisation du contrôle de proportionnalité [38], affirmera que « la protection des droits d'autrui et la liberté d'expression artistique revêtent une identique valeur et qu'il convient de rechercher leur équilibre et de privilégier une solution protectrice de l'intérêt le plus légitime ». À la manière d'un mécanisme d'exception, « le droit à l'image doit céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste » [39].
B - Le statut de la création artistique, fait juridique et droit subjectif
13Comme tout fait quelconque, la création artistique peut emporter des effets de droit si, subsidiairement, elle constitue une nuisance au corps social ou une atteinte civile à l'un de ses membres. Dans un cas comme dans l'autre, « le fait de création sera bien un fait juridique ; soit que son produit, l'œuvre d'art, réponde de la qualification d'œuvre de l'esprit ; soit que sa réalisation constitue, pour son auteur, un fait générateur de responsabilité. Sous cet angle, le fait de création est un fait quelconque dont les conséquences juridiques peuvent se répercuter sur l'œuvre et/ou sur la personne de son auteur » [40]. C'est donc la responsabilité juridique de l'artiste qui apparaît comme limite essentielle au libre cours de ses faits de création ; l'objet de la réponse judiciaire tiendrait alors dans la qualification d'un abus de liberté de création artistique.
14En matière pénale, l'abolition du délit d'outrage aux bonnes mœurs a notamment eu pour objet en 1994 de mettre fin aux décisions de censure qui avaient frappé certaines œuvres d'art sous couvert de motifs moraux ou religieux. À l'examen, il apparaît que ce type de censure perdure ponctuellement, par d'autres moyens qui s'appuient sur des sources éparses mais au champ d'application suffisamment étendu pour être parfois mobilisés à fin de condamnation de faits de création artistique. Avec la force de l'évidence, des textes répriment ainsi les atteintes à l'intégrité du corps [41] ou à la dignité humaine [42], la mise en péril des mineurs causées par des images ou des représentations [43] ; d'autres sanctionnent la provocation de pensées haineuses et de comportements violents ou discriminatoires décelés dans le message d'une œuvre [44]. En matière civile, une œuvre d'art est également susceptible de porter atteinte à l'intégrité du corps humain ou au droit de propriété d'autrui, comme en matière de street art [45]. Ces limites sont autant de freins légitimes et entendus à la liberté d'expression et, par extension, à la liberté de création artistique. Au-delà de cas explicites où l'art se fait nettement infractionnel ou attentatoire aux intérêts protégés du corps social ou d'autrui, toute la difficulté consistera à isoler, dans l'œuvre, ce qui relève de la réalité du discours de ce qui résulte de la fiction [46]. Si la première est imputable à la personne de l'auteur, la seconde devrait ne pas être reprochable à l'artiste.
15Il n'est pas rare que des associations dédiées à la protection des droits des mineurs, des femmes, des homosexuels ou à la lutte contre le racisme, parmi d'autres causes, se constituent partie civile et abondent à des fins de censure d'œuvres d'art, avec des réussites inégales. Ainsi par exemple, le rappeur Orelsan a été relaxé, le 18 février 2016, par la cour d'appel de Versailles [47] alors qu'il était poursuivi pour injure publique et provocation à la violence envers les femmes dans plusieurs de ses textes, notamment celui de la chanson « Sale Pute », qui avait suscité un émoi médiatique. Pour prononcer la relaxe, les juges du fond relèvent notamment le caractère fictionnel des propos tenus par l'artiste dans les chansons litigieuses [48]. Selon la cour, ces propos correspondent à ceux d'un personnage et ne peuvent donc pas être imputés à la personne de leur auteur. Le juge écarte ainsi l'application de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, fait primer la liberté d'expression des artistes, mais encore met en avant le caractère artistique de l'œuvre attaquée. À l'inverse, en 2011, le même article avait pu servir de fondement pour sanctionner la provocation à des violences, due au clip d'un titre de rap intitulé « Tirez sur les keufs ! », composé par Abdul X ; il a été estimé qu'il y avait dans cette chanson un appel explicite et général à la violence contre la police, dont l'interprétation s'est révélée univoque [49]. Dans cette affaire, les juges n'ont pas retenu le caractère fictif de l'œuvre.
16En tout état de cause, « l'effectivité juridique de la liberté de création artistique repose sur le fait qu'elle parvienne à devenir opposable, c'est-à-dire qu'elle prenne le sens, au profit de l'artiste, d'un véritable droit au respect de sa liberté de création » [50]. Dans le cas contraire, la reconnaissance de cette liberté serait purement formelle, symbolique. Depuis que la loi a posé le principe selon lequel « la création artistique est libre », il est permis de croire que ce nouveau principe a vocation à amener la création artistique vers un niveau renforcé de protection (II).
II - La force nouvelle de la liberté de création artistique
17C'est une déclinaison particulière de la liberté d'expression qui a permis à la création artistique de prendre peu à peu les traits d'une liberté autonome et opposable erga omnes. Si la liberté de création artistique est une liberté publique, elle accorde alors à tout citoyen la possibilité de participer par l'art à la vie publique ; si elle est une liberté individuelle, elle permet à chacun de revendiquer, dans les limites de la loi, le droit au libre-cours de son activité artistique. Au-delà, pour que le régime de cette liberté permette de prendre en compte le caractère suggestif et fictionnel de l'œuvre, il est nécessaire pour celui qui l'invoque d'apporter la preuve de l'existence d'un fait juridique de création artistique. Autrement dit, c'est à la condition de prouver que sa création relève du domaine de l'art (A) que le titulaire de la liberté sera fondé à bénéficier de la protection que la loi a récemment institué (B).
A. - La preuve du fait de création artistique
18Il n'appartient ni la loi, ni au juge, de déterminer ce qui ressort ou non du domaine de l'art. Cependant, pour se prévaloir de la liberté attachée, il est nécessaire pour la personne qui l'invoque de prouver que sa création en relève. Dans la plupart des cas, c'est l'œuvre elle-même qui apportera la preuve du fait de création artistique. Le raisonnement consiste à admettre que la forme de l'œuvre (cinématographique, chorégraphique, théâtrale, littéraire, musicale, etc.) fait présumer que la création considérée appartient bien au domaine de l'art. La preuve tout à la fois périlleuse et impérieuse d'un fait de création artistique tiendrait alors dans la preuve de l'existence matérielle de l'œuvre, qui devra pouvoir être reliée au monde de l'art. À défaut, le caractère artistique du fait de création pourra résulter du fait qu'il émane d'une personne admise et reconnue comme artiste dans la sphère sociale. La constatation que les créations de cette personne ont été diffusées dans le cadre d'évènements artistiques (expositions, éditions, concerts, festivals, happenings, etc.), attesterait de sa qualité d'artiste [51]. Axé sur l'artiste davantage que sur l'œuvre, ce faisceau d'indices a aussi pour limite de “favoriser” les artistes professionnels ou pour le moins reconnus - il est vrai les plus poursuivis en justice - alors même que la liberté des arts doit profiter à tous. La réalisation d'actes de conception, davantage que l'œuvre qui en résultera, peut aussi servir de critère déterminant pour l'application du principe de liberté de création. À partir de la notion d'œuvre de l'esprit, le Professeur Gautier estime que le fait de création peut être décomposé en une succession d'actes de conception (volonté du créateur), de composition (travail créatif, effort de création) et d'expression (forme, diffusion) [52]. Selon cette analyse, la preuve de la conception d'une œuvre permet normalement à son auteur de bénéficier des dispositions de l'article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle, selon lequel « l'œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur ». Sous cet angle, la preuve de l'existence d'une œuvre d'art peut tenir dans la preuve de sa conception. En pratique, cet enjeu probatoire reposera sur des éléments matériels et formels (travaux préparatoires, ébauches, esquisses, plans, etc.). C'est en ce sens, dans l'affaire « Christo » [53], que la cour d'appel de Paris a qualifié d'œuvre de l'esprit un projet d'emballage du pont Neuf avant même que l'œuvre n'ait été véritablement achevée. Le caractère protégeable par le droit d'auteur d'une œuvre, à la manière d'une garantie, serait un autre moyen pour l'artiste de prouver la dimension artistique de l'œuvre et d'ainsi opposer utilement sa liberté de création. Il a même été proposé « de faire dépendre le bénéfice de la liberté de création de la protection par le droit d'auteur », en ayant cependant égard à « l'intention de l'auteur de créer ou non une œuvre artistique » [54]. Si cette suggestion a le mérite de la clarification, il apparaît pourtant que soumettre le bénéfice de la liberté de création artistique à la qualité d'auteur réduirait sévèrement le champ de la liberté. Il pourrait par exemple suffire, pour débouter un artiste qui s'en prévaut, de contester l'originalité de l'œuvre. Dès lors, réserver le bénéfice de la liberté de création artistique aux seules œuvres protégeables par le droit de la propriété intellectuelle [55] porterait atteinte à son autonomie. Celle-ci suppose le libre-cours des faits de création selon des règles propres au domaine de l'art et ne doit pas dépendre de son caractère protégeable par le droit d'auteur. La liberté de création, si elle peut s'appuyer sur la notion juridique d'œuvre de l'esprit, ne doit cependant pas y être soumise. Aussi, la seule circonstance de la conception de l'œuvre apparaît suffisante pour attester d'un fait de création ; pour peu qu'il puisse être rattaché au domaine des arts [56], ce fait pourra alors être protégé par la loi.
B. - L'opposabilité de la liberté de création artistique
19En tant que droit subjectif, la liberté de création artistique doit être opposable erga omnes, aux personnes publiques et aux personnes privées. Il demeure qu'un principe de liberté étant plus souvent saisi par ses limites que par son étendue, la véritable portée de la liberté de création artistique dépendra, quantitativement et qualitativement, de la force de la censure. Dans le langage commun, le terme « censure », qui évoque une posture liberticide, est connoté négativement. Dans le langage du droit, la censure est une « opération de contrôle qui peut avoir un caractère préventif (ex. contrôle de police administrative auquel peuvent être soumis la presse ou le cinéma sous forme d'autorisation préalable à la publication), s'exercer a posteriori (contrôle juridictionnel) ou intervenir dans l'une ou l'autre perspective » [57]. Puisque la censure est un contrôle, elle ne s'exerce pas sur la liberté de créer elle-même, mais sur l'œuvre, qui en est le résultat. Il est vrai que si le droit français a connu ces dernières années quelques affaires discutées sur ce que des œuvres ont prétendument dit, c'est aussi parce que les artistes ont eu a priori le droit de s'exprimer. A posteriori, il apparaît que la protection de la liberté de création artistique pourra s'appuyer sur des règles issues du droit pénal et du droit civil.
20Opposabilité pénale - Sur le plan répressif, la loi permet désormais de protéger pénalement la liberté de création artistique contre la censure privée. En effet, si l'article 431-1 du code pénal sanctionne [58] « le fait d'entraver, d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression », la loi du 7 juillet 2016 lui a ajouté un nouvel alinéa qui vise expressément les entraves faites à « l'exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique », ce qui constitue au passage une affirmation législative claire de l'autonomie de cette liberté [59]. Alors que la censure est parfois venue limiter l'expression artistique au nom de l'ordre moral, la loi du 7 février 2016 vient désormais la défendre au nom de l'ordre pénal [60].
21Aussi, lorsque le juge aura à qualifier l'infraction de l'article 431-1 (nouveau), et étant donné l'interprétation stricte qui prévaut en droit pénal, il lui faudra distinguer la liberté d'expression de la liberté de création artistique. En outre, le texte ne se borne pas à viser la liberté de création, mais punit spécifiquement l'entrave à sa diffusion, ce qui permet d'envisager la création artistique dans sa globalité, de la conception à la diffusion. Pour la loi, il s'agit, outre renforcer la protection de la liberté de création, d'interdire tout fait d'atteinte à l'intégrité et à la diffusion des œuvres d'art. Il est à noter que l'article 431-1 du Code pénal relève de la catégorie des infractions politiques et plus précisément des atteintes à l'autorité de l'État (C. pén., livre IV, titre III) [61]. D'une certaine manière, ce positionnement laisse à penser que le législateur a voulu réaffirmer le monopole de l'État pour la censure publique, en sanctionnant sévèrement [62] les actes ou les menaces de censure privée qui reposent pour l'essentiel sur des mobiles moraux ou religieux [63].
22Opposabilité civile - Sur le plan civil, deux hypothèses sont envisageables, selon que la liberté de création artistique sera examinée in abstracto à la lumière d'un autre intérêt protégé d'inégale valeur ; ou bien qu'elle le sera in concreto, en tant que telle, à la lumière d'une prérogative de même valeur. Dans le premier cas, c'est mécaniquement le principe le plus élevé dans la hiérarchie des normes qui primera. Or, strictement comprise, la valeur du principe de liberté de création artistique est législative, sa seule source autonome étant l'article 1er de la loi du 7 juillet 2016. En ce sens, celle-ci n'aurait pas (plus) une valeur fondamentale consacrée par la Constitution ou la Convention européenne des droits de l'Homme. Il y a là quelque ironie à constater que l'autonomie de la liberté de création artistique a entraîné son recul dans la hiérarchie des normes ; en tant que déclinaison spéciale de la liberté d'expression, la création artistique était protégée par la Constitution et le droit européen ; en tant que règle autonome, elle ne l'est désormais plus que par la loi (ce qui n'empêche cependant pas le juge d'invoquer l'article 10 de la convention européenne). Dans le second cas, la liberté des arts est susceptible d'être mise en balance dans le cadre d'un contrôle de proportionnalité ; cela signifie que cette liberté, dans l'hypothèse où elle serait menacée, doit pouvoir être opposée à d'autres intérêts de valeur hiérarchique égale. L'autonomie de la liberté de création artistique fait d'elle un principe dont le respect peut être exigé d'autrui et dont l'application peut être exigée du juge. Aussi, dans le cadre d'une analyse in concreto, si la liberté de création artistique fait face à un principe de valeur équivalente, le juge devra soupeser les intérêts en cause tels qu'ils résultent des faits de l'espèce. Il s'agira alors, à la manière d'une exception artistique, d'analyser le fait de création en tenant compte de sa dimension fictionnelle, tout en prenant la précaution de ne pas juger l'art. Si la création ou la diffusion de l'œuvre souffre quelque entrave illicite, la liberté de création artistique devra pouvoir être mobilisée avec succès. Mais il se peut à l'inverse que le fait de création, malgré la prise en compte de son caractère suggestif, se révèle injustement attentatoire à un intérêt qui lui est en l'espèce antinomique. Dans ce cas, en cas d'atteinte qualifiée au respect de la dignité humaine, à la vie privée, à la protection des mineurs, de l'ordre public ou encore à la propriété d'autrui, etc., alors la liberté de création artistique devra logiquement s'effacer.
Notes
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[1]
In « L'Art Romantique » (1852).
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[2]
Ce travail doit beaucoup aux fructueux échanges entretenus avec M. Thibault Garo à l'occasion de la préparation et de la soutenance de son mémoire : La liberté d'expression d'artistique (M2 Droit privé fondamental, UBO, 2017).
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[3]
Pour une vue d'ensemble, A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault, Traité de la propriété littéraire et artistique, 5e éd., LexisNexis, Paris 2017.
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[4]
Il existe ainsi des codes, des mouvements, des méthodes, des critiques artistiques. Aussi, tout comme le droit est normatif, l'art apparaît parfois comme une discipline normée.
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[5]
J. Carbonnier, Flexible Droit - Pour une sociologie du droit sans rigueur, coll. Anthologie du droit, LGDJ, Paris 2013, spéc. p. 24.
-
[6]
J. Carbonnier, « L'hypothèse du non-droit », Archives de philosophie du droit, Sirey, Paris 1963, repris in Flexible droit, préc., p. 25-47.
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[7]
Th. Garo, La liberté d'expression d'artistique, op. cit.
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[8]
M. Heidegger, L'Origine de l'œuvre d'art, 1935.
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[9]
Ibid., spéc. : « Tout l'affairement autour des œuvres d'art, si poussé et désintéressé qu'il soit, n'atteint jamais les œuvres que dans leur être-objet. Mais l'être objet n'est pas l'être-œuvre ».
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[10]
Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. - Sur ce texte, v. P. Sirinelli, « Premières vues sur la loi Création », Dalloz IP/IT 2017, p. 193 ; S. François, « Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine », JCP.A 2017, p. 42.
V. également la déclaration de Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, à l'occasion de l'adoption du projet de loi en première lecture à l'Assemblée Nationale : « il s'agissait d'inscrire dans la loi une nouvelle liberté : la liberté de création. Nous avons voulu que ce principe général ait force de loi, comme la liberté d'expression ou la liberté de conscience. Parce que ce texte entend libérer toute pratique artistique ou culturelle de ce qui l'entrave. Parce qu'il entend faire progresser la participation et l'implication de tous les citoyens dans la vie culturelle - car la liberté de création n'a de sens que si elle bénéficie à tous » : http://www.culture.gouv.fr/Presse/Archives-Presse/Archives-Communiques-de-presse-2012-2017/Annee-2015/Declaration-de-Fleur-Pellerin-a-l-occasion-de-l-adoption-du-projet-de-loi-Liberte-de-creation-architecture-et-patrimoine-en-premiere-lecture-a-l-Assemblee-Nationale -
[11]
T. corr. Paris, 7 févr. 1857, Madame Bovary, Gazette des tribunaux, 9 févr. 1857.
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[12]
T. corr. Paris, 20 août 1857, Les fleurs du mal, Gazette des tribunaux, 21 août 1857 : ces célèbres décisions font suite aux poursuites, sur le fondement du délit d'outrage aux bonnes mœurs, des auteurs de Madame Bovary et des Fleurs du mal. L'infraction, depuis abrogée, était ainsi formulée à l'article 287 de l'ancien Code pénal de 1810 : « Toute exposition ou distribution de chansons, pamphlets, figures ou images contraires aux bonnes mœurs, sera punie d'une amende de seize francs à cinq cents francs, d'un emprisonnement d'un mois à un an, et de la confiscation des planches et des exemplaires imprimés ou gravés, de chansons, figures ou autres objets du délit ».
-
[13]
C. Delavaux & M.-H. Vignes, Les procès de l'art, Petites histoires de l'art et grandes affaires de droit, éd. Palette, Paris 2013.
-
[14]
TGI Paris, 25 juin 2007, n° 06/10149, D. 2008. 57, note A. Tricoire ; D. 2007. 2771, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot D. 2008. 57.
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[15]
V. not. le célèbre arrêt Benjamin : CE 19 mai 1933, Lebon n° 17413 17520, à propos de la censure d'un arrêté de police du maire de Nevers interdisant la tenue d'une conférence littéraire intitulée : « Deux auteurs comiques : Courteline et Sacha Guitry », Lebon
-
[16]
Sur la notion juridique d'œuvre d'art, v. J.-M. Pontier, « La notion d'œuvre d'art », RD publ. 1990. 1425.
-
[17]
V. également l'idée selon laquelle la liberté de création aurait pour revers nécessaire la liberté de l'accès à l'art. En ce sens, v. DUDH, art. 27, al. 1er : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ».
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[18]
CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c/ Suisse, req. n° 10737/84.
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[19]
[« Liberté d'expression »]
-
[20]
Le paragraphe 2 se lit comme suit : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ». Du point de vue des sources, l'article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 énonce que « Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices ». L'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 prévoit que « Toute personne a droit à la liberté d'expression », qui « comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières sous formes orale, écrite, imprimée ou artistique ». La Conférence générale de l'Unesco a adopté en octobre 1980 une Recommandation relative à la condition de l'artiste, en vertu de laquelle « Les États membres se doivent de protéger, défendre et aider les artistes et leur liberté de création ». Enfin, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose en son article 13 que « Les arts et la recherche scientifique sont libres ».
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[21]
CEDH, 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, req. n° 5493/72.
-
[22]
M. Macovei, Un guide sur la mise en œuvre de l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, Précis sur les droits de l'Homme n° 2, publication du Conseil de l'Europe : https://rm.coe.int/168007ff5b
-
[23]
CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c/ Suisse, op. cit. - Pour une vue d'ensemble, v. B. Nicaud, La réception du message artistique à la lumière de la CEDH, Thèse, Univ. Limoges, 2011, 611 p.
-
[24]
CEDH, 24 mai 1988, Müller et autres c/ Suisse, op. cit.
-
[25]
En droit européen, v. not. CEDH, 24 mai 1988, Müller et a. c/ Suisse, op. cit. ; CEDH, 1re Ch., 25 janv. 2007, Vereinigung Bildender Künstler c/ Autriche, n° 68354/01, D. Lefranc, L'affaire “Apocalypse”, un revirement dans la jurisprudence de la CEDH en matière de liberté d'expression artistique ?, Auteurs et médias, 2007/4, p. 327-336.
En droit français, v. not. TGI Paris, 17e Ch. Civ., 2 juin 2004, M. Ben Salah c/ L. Delahaye, Agence Magnum et a., LPA 2004, n° 214, III, p. 156, note C. Bigot ; TGI Paris, 17e ch. civ., 9 mai 2007, I. Chatenet de Puysegur c/ SA Gallimard et F.-M. Banier ; TGI Paris, 17e Ch. Civ., 25 juin 2007, Ass. Espace Tutelles et M. Dolibois c/ F.-M. Banier et éd. Gallimard, op. cit. ; Paris, 11e ch., 5 nov. 2008, C. Bigot, « La liberté de création artistique prévaut, dans certaines limites, sur le droit à l'image », D. 2009. 470 ; A. Bonnal, « Les conflits entre les droits de la personnalité et la liberté de création et d'illustration », Légicom, n° 43, 2009/2, p. 23. - A. Tricoire, « Les œuvres et les visages : la liberté de création s'affirme contre le droit à la vie privée et le droit à l'image », op. cit. -
[26]
Th. Garo, La liberté de création artistique, op. cit.
-
[27]
Ibid.
-
[28]
A. Tricoire, Petit traité de la liberté de création, coll. Cahiers libres, éd. de la Découverte, Paris 2011, p. 7.
-
[29]
Contra. Ph. Mouron, « La liberté de création au sens de la loi du 7 juillet 2016 », RDLF 2017, chron. n° 30 : selon l'auteur, l'intérêt de cette consécration est « nul », cette liberté, « exprimant le droit à la culture, (...) n'ayant finalement que peu d'autonomie conceptuelle » ; v. également M. Cornu, « Le législateur culturel et les chantiers de la création, de l'architecture et du patrimoine », CCE, mars 2017, p. 1 ; D. Cohen, « La liberté de créer », in R. Cabrillac [Dir.], Libertés et droits fondamentaux, 23e éd., Dalloz, Paris, 2017, p. 557.
-
[30]
CEDH, 24 mai 1988. Müller et autres c/ Suisse, op. cit.
-
[31]
Ibid.
-
[32]
CEDH, 20 sept. 1994, Otto-Preminger-Institut c/ Autriche, n° 13470/87 : refus de la Cour de condamner l'Autriche qui avait censuré un film sur le fondement du délit de blasphème, encore pratiqué dans ce pays ; CEDH, 22 oct. 2007, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c/ France, n° 21279/02 ; n° 36448/02 : refus de la Cour de sanctionner la France, qui avait condamné un écrivain pour diffamation contre un homme politique, bien qu'en l'espèce les propos diffamatoires aient été ceux de personnages fictifs d'un roman. - comp. CEDH, 8 juill. 1986, Lingens c/ Autriche, série A n° 103 : primauté de la liberté d'expression d'un journaliste autrichien, condamné pour diffamation par les juridictions internes pour avoir écrit un article dénigrant virulemment un homme politique.
-
[33]
CEDH, 29 mars 2005, Alinak c/ Turquie, n° 40287/98 : primauté de la liberté d'expression d'un écrivain turc, condamné dans son pays pour appel à la violence. La cour, relevant d'abord le caractère fictionnel du récit, tempère : « ... il convient néanmoins de garder présent à l'esprit que le média utilisé par le requérant est le roman, forme d'expression artistique qui s'adresse à un public relativement étroit comparé, par exemple, aux mass médias... » pointant le risque pour une œuvre sensible d'être comprise au premier degré par une partie du public, tout en admettant le caractère artistique, suggestif de celle-ci.
-
[34]
CEDH, 13 sept. 2005, İ.A. c/ Turquie, n° 42571/98, AJDA 2006. 466, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2006. 662, chron. F. Massias . - V. également, en matière picturale, CEDH, 25 janv. 2007, Vereinigung Bildender Künstler c/ Autriche, n° 68354/01, AJDA 2007. 902, chron. J.-F. Flauss : primauté de la liberté d'expression artistique du dessinateur satirique, condamné par les juridictions internes pour injure contre les hommes politiques qu'il avait grimés dans des positions sexuelles grotesques, cela au motif que « ... la satire est une forme d'expression artistique et de commentaire social qui, de par l'exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter », ce qui, selon la Cour, procède du cours normal de l'échange des idées dans une société démocratique.
-
[35]
CEDH, 12 mars 2015, Almeida Leitão Bento Fernandes c/ Portugal, n° 25790/11.
-
[36]
TGI Paris, 9 mai 2007, D. 2008. 57.
-
[37]
CA Paris, 5 nov. 2008, Isabelle de Chastenet de Puységur c/ F. M. Banier, n° 07/10198, D. 2009. 470, D. 2009. 470, note C. Bigot. - sur cette question, v. A. Bonnal, « Les conflits entre les droits de la personnalité et la liberté de création et d'illustration », Légicom, n° 43, 2009/2, p. 23 ; A. Tricoire, « Les œuvres et les visages : la liberté de création s'affirme contre le droit à la vie privée et le droit à l'image », D. 2008, p. 57.
-
[38]
V. infra.
-
[39]
CA Paris, 11e ch. sect. A, 5 nov. 2008, I. de Chastenet de Puységur c/ Éd. Gallimard, La nouvelle revue française et F.-M. Banier. - dans le même sens, v. TGI Paris, 16 nov. 2006, Pogrom, Légipresse, avr. 2007. p. 72, not. : « la création artistique nécessite une liberté accrue de l'auteur, qui peut s'exprimer tant sur les thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent ou inquiètent »; Civ. 1re, 9 juill. 2009, Société Jacky boy music, n° 07-19.758 Civ. 1re, D. 2009. 2110 ; RTD civ. 2009. 695, obs. J. Hauser. - C. Bigot, « La liberté de création prévaut, dans certaines limites, sur le droit à l'image », D. 2009. 470.
-
[40]
Th. Garo, La liberté de création artistique, op. cit.
-
[41]
Civ. 1re, 16 sept. 2010, Our Body, CCE 2010, comm. 112, note A. Lepage.
-
[42]
C. pén., livre II, titre II, chap. V : Des atteintes à la dignité de la personne. - En droit administratif, v. D. Maus, « À propos des ordonnances Dieudonné : dignité de la personne humaine et ordre public », D. 2014. 200.
-
[43]
C. pén., art. 227-23 s.
-
[44]
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, spéc. art. 24 (modif. Loi n° 2017-86 du 27 janv. 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, JORF n° 0024 du 28 janv. 2017).
-
[45]
Pour une vue d'ensemble, G. Goffaux-Callebot, J.-B. Seube & D. Guével (dir.), Droit(s) et street art - De la transgression à l'artification, LGDJ, Paris 2017.
-
[46]
Sur l'articulation droit - fiction, v. not. F.-X. Roux-Demare & M.-Ch. Dizès (dir.), Les fictions en droit, coll. Colloques et Essais, Institut Universitaire Varenne, Paris 2018.
-
[47]
CA Versailles, 18 févr. 2016, RG n° 15/02687, D. 2017. 935, obs. RÉGINE .
-
[48]
M. Combet, « Liberté d'expression - Affaire Orelsan : l'art à tout prix ? », JAC 2016, n° 38, p. 36. - en matière de rap, v. également les affaires visant les groupes Suprême NTM, Ministère A.M.E.R, La Rumeur, Youssoupha, Monsieur R., Morsay ou Damso.
-
[49]
TGI Paris, 16 juin 2011, Légipresse n° 286. I. p. 464 ; TGI Paris, 16 nov. 2006, Légipresse, avr. 2007. p. 72 ; TGI Paris (17e ch.), 8 déc. 2017, « Jo le Phéno » pour la condamnation d'un clip de rap, "Bavure", pour provocation publique à la commission d'une atteinte volontaire à la vie et injure publique envers une institution publique ; Lyon, 4e ch., 12 janv. 2018, S. Zouggagh c/ AGRIF, Légipresse, avr. 2018, n° 360 à propos de la publication d'un ouvrage intitulé Nique la France, constitutive de provocation et d'injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une nation.
-
[50]
Th. Garo, La liberté de création artistique, op. cit.
-
[51]
TGI Paris, 9 mai 2007, n° 06/03296, D. 2008. 57, op. cit. : « Le caractère artistique de l'ouvrage en cause, réalisé par un photographe de renom et récompensé par le Prix 2006 du meilleur livre allemand dans la Section « Art et Photographie », n'est pas contesté et n'est même pas contestable »1. Cela revient à déduire le caractère artistique de l'œuvre du statut d'artiste de son auteur.
-
[52]
P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 10e éd., coll. Droit Fondamental, PUF, 2017, p. 51 : « Le processus de création artistique ne serait autre qu'un enfantement, analogue à celui de l'être humain : l'œuvre est conçue, c'est l'« idée » ; puis intervient la gestation : préparation, assemblement, coordination (plan) croissance - c'est la « composition » ; enfin, l'œuvre vient au monde : écriture du roman, de la pièce, du scénario - c'est l'« expression » ».
-
[53]
CA Paris, 13 mars 1986, Gaz. Pal. 1986. 1. p. 238.
-
[54]
E. Treppoz, « Pour une attention particulière du droit à la création : l'exemple des fictions littéraires », D. 2011. 2487.
-
[55]
V. Civ. 1re, 15 mai 2015, Malka c/ Klasen, n° 13-27391 : cassation d'un arrêt qui n'établissait pas de contrôle de proportionnalité entre droit d'auteur et liberté de création artistique.
-
[56]
V. également la théorie du fait constant, en vertu de laquelle est considéré comme constant le fait affirmé par une partie et non contesté par l'autre ; appliqué à notre matière, la théorie reviendrait à déduire le caractère artistique d'un fait de création de sa non-contestation par les parties au cours de l'instance. - v. Th. Le Bars, « La théorie du fait constant », JCP.G 1999, n° 44, p. 1969.
-
[57]
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 12e éd., coll. Quadrige, PUF, Paris 2018, v. "Censure".
-
[58]
D'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.
-
[59]
A.-S. Chavent-Leclère, « Les aspects de droit pénal de la loi LCAP », JAC 2017, n° 43, p. 20.
-
[60]
A. Lepage, « Un nouveau délit d'entrave dans le Code pénal : l'entrave à la liberté de la création artistique », Légipresse 2017, n° 354, p. 543.
-
[61]
Sur cette question, v. les réserves de G. Beaussonie, in « La loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine », RSC 2016. 822, not. : « La liberté de création n'étant qu'une forme de liberté d'expression, il était naturel que la protection de celle-ci, en l'occurrence pénale, s'étende à celle-là. En revanche, cette nouvelle liberté n'étant pas inéluctablement une de celles qui s'expriment collectivement, au contraire des autres prévues par le texte - expression, travail, association, réunion, manifestation et délibération -, on comprend qu'elle ait eu droit à son propre alinéa ».
-
[62]
En tant qu'infraction politique, et en vertu de l'article 431-2 du code pénal, le délit d'entrave à la liberté de création peut être sanctionné d'une des peines complémentaires prévues aux articles 131-26 et 131-27 du même code.
-
[63]
E. Polymenopoulou, La liberté de l'art face à la protection des croyances religieuses : étude d'un conflit de valeurs sous le prisme du droit international, thèse, Droit, Université de Grenoble, 2011. V. T. corr. Avignon, 15 mai 2017, inédit, à propos de la photographie « l'Immersion Piss Christ », de l'artiste américain Andres Serrano, dégradée en 2011 en Avignon à coups de marteau pour des motifs d'ordre blasphématoire. L'œuvre représentait un crucifix immergé dans de l'urine et du sang : condamnation à des peines d'amende ; Crim. 14 nov. 2017, Golgota picnic, Légipresse n° 355, nov. 2017 : dans cette affaire, l'Agrif reprochait à la pièce Golgota picnic du dramaturge argentin Rodrigo Garcia et programmée par le théâtre du Rond-Point, de présenter l'iconographie chrétienne comme une image de la terreur et de la barbarie : relaxe.