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Article de revue

Syndrome et séquelles du bébé secoué

Pages 47 à 53

1Le pronostic du syndrome du bébé secoué est sévère : différents facteurs expliquent ce mauvais pronostic. Tout d'abord, le jeune âge de l'enfant, qui a le plus souvent moins d'un an et, dans deux tiers des cas, moins de 6 mois. Or, toutes les données de la littérature indiquent que, chez l'enfant, le pronostic est d'autant plus sévère que l'atteinte survient jeune. Facteur supplémentaire : le caractère souvent diffus des lésions cérébrales dû au manque d'oxygène par arrêt respiratoire déclenché par le secouement.

2Un autre facteur, récemment connu, est la fréquente répétition des épisodes de secousses. Ainsi Adamsbaum et coll., en 2010, à partir de 29 aveux d'auteurs de syndrome du bébé secoué, ont trouvé un taux de récidive des secousses de 55 %, de 10 à 30 fois, en moyenne 10 fois par enfant, parfois quotidiennement ou pluri quotidiennement, pouvant s'étaler sur des semaines, voire des mois. Or, un traumatisme qui survient sur un cerveau déjà lésé par une secousse précédente produit des conséquences plus sévères.

3Enfin, le dernier facteur est le fait que l'enfant n'est amené à l'hôpital que lorsque l'adulte ne peut plus faire autrement, donc tardivement en comparaison à un traumatisme accidentel. Et de plus, lorsque l'enfant arrive à l'hôpital, aucune explication n'est donnée par l'adulte l'accompagnant. Il y a donc retard aux soins et retard au diagnostic, ce qui favorise l'apparition de lésions secondaires et en conséquence des séquelles plus importantes.

Le mécanisme de secouement

Ce n'est pas un jeu compte tenu de sa violence. Jouer n'est pas secouer et secouer n'est pas jouer ! Le mécanisme est bien plus violent qu'une chute de faible hauteur, et même qu'une chute de grande hauteur. Il correspond à la violence d'un accident de la voie publique à haute cinétique. Il s'agit d'un mouvement de flexion-extension et rotation brutale infligé à la tête de l'enfant. Il est classique de mettre en avant le fait que l'enfant a une tête volumineuse, qu'il ne tient pas sa tête, que souvent l'espace entre le cerveau et le crâne est plus important que chez l'adulte, que le cerveau n'est pas encore myélinisé donc très aqueux. Ces facteurs entrent évidemment en ligne de compte. Mais il ne faut surtout pas oublier le rapport de force entre l'enfant et l'adulte, qui s'occupe de lui. Le poids de l'adulte peut être de 10 à 20 fois le poids de l'enfant. Par exemple, lorsqu'il s'agit d'un enfant de 6 mois, pesant 7 kg face à un adulte de 70 kg, le rapport est de 1/10. Lorsqu'il s'agit d'un enfant peu après la naissance, dont le poids est de 4 kg, face à un adulte de 80 kg, le rapport est de 1/20. Il faudrait imaginer les conséquences de secousses d'un adulte de 50 kg par un être pesant 500 kg à une tonne. L'enfant est donc d'une certaine manière fragile mais il est surtout vulnérable.

4Les séquelles peuvent être évidentes d'emblée ou bien apparaître ou ne devenir apparentes que progressivement au fur et à mesure de l'enfance et de l'adolescence.

5Ceci s'explique par le fait que le stock de neurones dont nous disposons est constitué à la moitié de la grossesse, soit 20 semaines. Il est d'environ 100 milliards de neurones. Ensuite, toutes l'enfance et l'adolescence seront nécessaires pour tirer parti de ce stock de neurones grâce aux stimulations diverses qui sont apportées à l'enfant. Lorsque l'enfant est secoué, il y a un traumatisme cérébral et les neurones sont altérés ou détruits. Ces neurones ne pourront être remplacés, comme c'est le cas pour d'autres lésions de notre corps (lésions cutanées, hépatiques...). Les apprentissages ne vont donc plus pouvoir se faire comme ils auraient dû. Les difficultés vont devenir apparentes au fur et à mesure, à retardement, par défaut d'apprentissage, d'autant que, concomitamment, les exigences envers l'enfant augmentent, et la tolérance envers des difficultés de comportement diminue.

6Le taux moyen de mortalité de 20 % (10 à 40 % selon les études de la littérature) et moins d'un quart des enfants survivants semble indemne de séquelles alors que les études ont peu de recul (moins de 10 ans) et que le pourcentage d'enfants avec des séquelles augmente avec ce recul. Ces séquelles peuvent être évidentes d'emblée, l'enfant présente au maximum un tableau de polyhandicapé avec un état pauci relationnel : hémiplégie uni ou bilatérale, troubles visuels allant jusqu'à la cécité uni ou bilatérale, très faible interaction, déficience mentale, absence de langage... L'atteinte peut être moindre : hémiparésie, maladresse, tremblement, malvoyance. Une épilepsie peut apparaître bien plus fréquemment qu'après un traumatisme crânien accidentel et est plus difficile à contrôler. Les séquelles peuvent revêtir également un autre aspect appelé handicap invisible mais qui n'en est pas moins délétère. Ce handicap invisible est très fréquent après traumatisme crânien, particulièrement chez l'enfant : l'atteinte somatique est minime, voire absente. L'enfant a une apparence normale ou subnormale. Les séquelles sont comportementales et cognitives. Il peut s'agir d'un défaut d'inhibition, de contrôle de soi, avec impulsivité, agitation permanente, mouvements brutaux, mise en danger, absence d'empathie, qui vont altérer considérablement ou rendre impossible une relation harmonieuse avec les autres. Il peut y avoir simultanément un défaut d'initiative et d'intérêt, condition pourtant indispensable au développement de l'enfant. L'atteinte intellectuelle est également variée : défaut de jugement, de raisonnement, de mémoire, d'attention, difficultés visuo-spatiales et praxiques. La lenteur et la fatigabilité sont constantes, favorisant les difficultés de comportement.

7Ces atteintes diverses, associées fréquemment à des troubles visuels (malvoyance uni-ou bilatérale), peuvent faire que l'enfant n'a plus rien à voir avec un enfant ordinaire. Également, les soins qui lui sont donnés n'ont rien à voir avec ceux prodigués à un enfant ordinaire. Cette notion est très importante à considérer lorsqu'il s'agit de déterminer le temps de tierce personne à accorder dans le cadre d'une indemnisation. Si l'état de l'enfant nécessite une prise en charge très particulière : surveillance permanente, stimulation de tous les instants, on ne pourra se référer au temps normalement dévolu par les parents à un enfant sans lésions cérébrales.

8Le syndrome du bébé secoué constitue une infraction pénale. En France, depuis 1990, existe la possibilité d'être indemnisé de séquelles d'une infraction pénale par le fonds de garantie des victimes lorsque l'auteur n'est pas identifié ou impécunieux.

9Or, depuis 26 ans en France, alors que plus de 5 000 enfants ont été victimes de ce syndrome, moins de 400 dossiers ont été ouverts au fonds de garantie des victimes au titre du syndrome du bébé secoué et moins de 20 nouveaux dossiers sont ouverts par an.

10L'enfant secoué est victime à double titre : par la violence qu'il a subie mais aussi parce que ses droits en tant que victime ne sont pas respectés. Pour qu'il y ait indemnisation par le fonds de garantie des victimes, beaucoup de conditions doivent être réunies : le diagnostic doit être posé, le signalement doit être fait, le dossier ne doit pas être classé sans suite, le diagnostic de syndrome du bébé secoué doit être confirmé par l'expert judiciaire, et la Commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) doit être saisie, et donc un administrateur ad hoc doit avoir été désigné si l'auteur est l'un des parents ou possiblement l'un des parents. Si un seul des maillons de la chaîne manque, la CIVI ne sera pas saisie.

11Le diagnostic est maintenant beaucoup plus facile à établir depuis qu'ont été définis en 2011 et actualisés en 2017 des critères diagnostiques sous forme de recommandations aux professionnels à l'issue d'une réflexion menée avec le soutien méthodologique de la Haute autorité de santé http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1095929/recomniandation-syndrome-du-bebe-secoue

12La méthodologie s'est appuyée sur des données objectives irréfutables :

13

  • d'une part, les lésions constatées dans le cas du syndrome du bébé secoué (la pierre cardinale est l'hématome sous-dural, c'est-à-dire du sang situé entre l'encéphale et le crâne, en dedans de la dure-mère, qui est une des méninges, ceci après rupture de veines ponts reliant l'encéphale et le crâne ; les autres lésions très évocatrices sont les hémorragies rétiniennes) ;
  • d'autre part, les mécanismes allégués par l'adulte accompagnant l'enfant : soit une absence d'histoire, soit une histoire de chute, de manoeuvres de réanimation après un malaise, qui serait survenu spontanément, un jeu, l'intervention d'un autre enfant, un manque d'oxygène, l'accouchement, les vaccins...

14Le travail a consisté à étudier toutes les lésions induites par ces divers mécanismes (étude de la littérature et avis d'experts) puis à comparer ces lésions à celles du syndrome du bébé secoué. Soit les lésions étaient identiques et le mécanisme pouvait être retenu, soit elles étaient très différentes ou inexistantes et le mécanisme était rejeté. C'est ainsi qu'on a montré que les lésions du syndrome du bébé secoué ne pouvaient être dues à une chute de faible hauteur, une manoeuvre de réanimation, un jeu, un manque d'oxygène, des vaccins... Le seul mécanisme pouvant entraîner certaines lésions similaires est l'accouchement. Mais l'enfant est asymptomatique et les lésions (hématome sous-dural, hémorragies rétiniennes) disparaissent toutes en moins d'un mois.

15À partir de ces résultats, des critères diagnostiques ont été établis fondés exclusivement et de façon novatrice sur les lésions objectivées chez l'enfant par le bilan hospitalier et l'histoire rapportée par l'adulte et non sur les facteurs de risque.

16Le signalement est fait maintenant également beaucoup plus facilement dans la mesure où les recommandations aux professionnels préconisent un signalement dès que le syndrome du bébé secoué est envisagé. Pour rappel on appelle signalement maintenant uniquement ce qui est transmis au procureur de la République (par opposition à la transmission d'informations préoccupantes à la cellule de recueil des informations préoccupantes dépendant du conseil départemental).

17Deux missions existent, qui peuvent être utilisées dans le cadre du syndrome du bébé secoué.

18Tout d'abord, la mission d'imputabilité des lésions au syndrome du bébé secoué chez l'enfant vivant, qui a été publiée dans la Gazette du palais en décembre 2011. Elle décrit la méthodologie à suivre par l'expert judiciaire pour arriver au diagnostic de syndrome du bébé secoué et également pour procéder à la datation clinique, c'est-à-dire déterminer le moment ou la période où l'enfant n'a plus son comportement ni ses performances habituelles, ce changement survenant au moment ou immédiatement au décours des secousses.

19Autre mission : la mission spécifique traumatisme crânien dite mission « Vieux », écrite en 2001 par un groupe de travail interministériel présidé par Madame Élisabeth Vieux, présidente de chambre à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à laquelle la garde des Sceaux Madame Lebranchu avait demandé de faire des propositions afin d'améliorer l'indemnisation après traumatisme crânien grave. Cette mission a pris en compte les spécificités du traumatisme crânien : anosognosie, très fréquent handicap invisible, atteinte des actes élaborés plus que des actes simples de la vie quotidienne... et y a répondu point par point en préconisant en particulier la nécessité d'entendre les doléances des proches, la nécessaire description minutieuse du déroulement d'une journée, voire d'une semaine, afin de mieux cerner les difficultés présentées par la personne, mais aussi la question est posée de la protection juridique de la personne. Cette mission s'accompagne d'une annexe à lire obligatoirement et préalablement présentant des points essentiels spécifiques du traumatisme crânien. Cette mission insiste sur la nécessité de bilans neuropsychologiques et sur l'intérêt de bilans par un ergothérapeute. Pour l'enfant, compte tenu de la genèse des séquelles, il est écrit que la consolidation ne doit pas être précoce, possiblement pas avant la fin de la deuxième décennie afin de mieux cerner les séquelles et les besoins en tierce personne qui constituent toujours le poste essentiel au moment de la consolidation. Mais ces besoins en tierce personne doivent aussi être considérés dès le traumatisme crânien, bien avant la consolidation, et réévalués tout au long de l'enfance et de l'adolescence.

20L'indemnisation doit contribuer à favoriser le développement de l'enfant et à limiter les séquelles. Elle peut revêtir diverses formes : aide personnalisée scolaire, éducative, financement de soins non pris en charge par l'assurance-maladie comme l'ergothérapie ou la psychothérapie, vacances en structure adaptée pour enfants handicapés/adaptation du logement...

21Le coût des soins après syndrome du bébé secoué est très important initialement mais aussi tout au long de l'existence. Il faut considérer les soins initiaux : hospitalisation, de nombreuses consultations mais aussi la rééducation multimodale (orthophonie, ergothérapie, psychomotricité, kinésithérapie), qui s'étalera sur de nombreuses années. Il faut prendre en compte les besoins en tierce personne pour les actes simples et également élaborés de la vie quotidienne. Il ne faut pas oublier l'aide aux aidants car les proches sont souvent très affectés, d'une part, par les conséquences de traumatisme crânien mais, d'autre part, lorsque l'auteur est, par exemple, assistante maternelle, par le fait que le traumatisme est dû à un tiers. Un soutien psychothérapeutique est très souvent indispensable.

22Il ne faut pas oublier également les coûts indirects : l'enfant n'aura pas la productivité qu'il aurait dû avoir et ses gains seront réduits ou inexistants à l'âge adulte. Les parents, pour s'adapter aux besoins de l'enfant, sont souvent obligés de réduire leur activité et de l'adapter avec pour conséquence une perte de salaire, et enfin le coût de l'éducation spéciale puis éventuellement de la structure spécialisée lorsque l'enfant sera adulte.

23Une étude a été faite en Nouvelle-Zélande sur les coûts directs reliés au syndrome du bébé secoué prenant en compte les soins hospitaliers, la rééducation ambulatoire, l'éducation spéciale, les frais de justice d'enquête et de protection de l'enfant, la punition des coupables, enfin les soins pour la vie entière en cas de handicap modéré à sévère. Le coût estimé est supérieur à 1 million de dollars néo-zélandais, ce qui correspond à 700 000 euros ; le coût direct de l'hospitalisation initiale ne représentant que 4 % du coût direct total.

24La prise en charge médicale, rééducative et éducative après un traumatisme crânien, s'étend sur des années, parfois sur toute la vie. Elle est faite de soins de rééducation, mais aussi d'une adaptation du contexte afin de limiter et de contenir les troubles du comportement si fréquents.

25Le mieux est évidemment d'éviter le secouement. Éviter le premier secouement par une meilleure information des nouveaux parents et par la transmission d'un message très simple : « si vous êtes exaspérés par votre bébé et par ses pleurs, que vous avez tout fait (donner à boire, vérifier que sa couche est propre, faire un câlin, vérifier qu'il n'est pas trop couvert ou insuffisamment couvert, vérifier qu'il n'a pas de fièvre...), que malgré tout il continue à pleurer et que vous n'en pouvez plus, le mieux est de le coucher sur le dos dans son lit dans sa chambre et de quitter la pièce ». Un bébé ne risque rien à pleurer seul dans son lit. Il est en danger dans les bras d'un adulte exaspéré.

26Mais il faut également éviter les récidives de secouement. Il est donc urgent de faire le diagnostic de violence le plus tôt possible. Une ecchymose chez un enfant qui ne se déplace pas seul doit absolument alerter et faire évoquer la possibilité de violence. Également, il ne faut pas passer à côté des signes d'un premier secouement. En dehors d'un malaise grave, il peut s'agir d'un enfant irritable, dont le tonus a diminué, moins compétent dans son interaction, présentant des troubles du sommeil et/ou de l'alimentation, des vomissements sans fièvre ni diarrhée. Il peut aussi être observé une cassure de la courbe du périmètre crânien ou une stagnation de la courbe du poids. Il est alors important que l'enfant soit soigneusement examiné, que son périmètre crânien soit mesuré et rapporté à la courbe et qu'au moindre doute l'enfant soit adressé à l'hôpital afin qu'un bilan soit réalisé.

27Enfin, un autre moyen de prévenir les récidives est d'identifier l'auteur du secouement afin d'éviter les réitérations sur cet enfant ou sur d'autres enfants. D'où l'importance de la datation clinique qui permettra à la justice d'identifier l'auteur puisque l'enfant, lorsqu'il est secoué, est le plus souvent avec un seul adulte, même s'il y a d'autres enfants présents.

28Le syndrome du bébé secoué est un problème de santé publique qui concerne tous les professionnels mais également le grand public. C'est un traumatisme crânien évitable. Tout doit être fait pour prévenir le secouement et ses récidives mais également, en cas de séquelles, pour favoriser une prise en charge optimale de l'enfant et le respect de ses droits en tant que victime.

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