Notes
-
[1]
Recherche réalisée avec le soutien de la mission de recherche Droit et Justice, sous la direction scientifique de F. Affergan, C. Besnier, A. Jolivet, La construction de la motivation des décisions criminelles à l'audience : France, Belgique, Suisse, déc. 2016.
-
[2]
A. Kuhn et Y. Jeanneret, Précis de procédure pénale, éditions Stämpfli, Bern, 2013, p. 5.
-
[3]
C'est ce que démontre C. Chanez dans son ouvrage Épistémologie de la vérité dans le code de procédure pénale suisse, éditions Schulthess, Genève, 2009.
-
[4]
A. Garapon, D. Salas, Les nouvelles sorcières de Salem. Leçon d'Outreau, éditions du Seuil, Paris, 2006.
-
[5]
R. David, C. Jauffret-Spinosi, Les grands systèmes de droit contemporain, éditions Dalloz, 11e édition, Paris, 2002, pp. 16-19.
-
[6]
L. Gschwend, « Droit pénal » in Dictionnaire historique de la Suisse, éd. Gilles Attinger, Bern, 2006.
-
[7]
Rappelons que la Constitution de 1848 donne naissance à « l'État fédéral » suisse qui constitue la première étape de la formation de la Confédération suisse.
-
[8]
L'organisation judiciaire règle les questions relatives à l'organisation des juridictions, la composition des tribunaux, la fixation des modalités de l'élection des magistrats et des juges laïcs, l'attribution des sanctions pénales.
-
[9]
A. Kuhn, Procédure pénale unifiée : reformatio in pejusaut in melius ?, éd. La Question, Charmey, 2008, p. 21.
-
[10]
Le modèle de participation citoyenne tessinois ne correspond pas à un véritable jury populaire. L'appellation d'« assessori giurati » laisse entendre que l'on se situe entre le juré et le juge assesseur plutôt que face à la figure du juré stricto sensu. Les jurés assesseurs ne détiennent que deux caractéristiques des jurés : ils sont issus de la société civile et sont tirés au sort avant le début des débats. En revanche, ils remplissent l'ensemble des caractéristiques des échevins et des juges laïcs, à l'exception du tirage au sort. A. Kuhn, A. Mancuso, Y. Jeanneret, N. Aminian, L. La Sala, op. cit. Ares Bernasconi (dir.) Geschworenengerichte - der unbequemeMythos/ Giuricpopolari - il mitoscomodo/ Jurys populaires - le mythe inconfortable, éditions Helbing Lichtenhahn, Basel, 2014, pp. 99-112.
-
[11]
A. Kuhn et Y. Jeanneret, op. cit., p. 153.
-
[12]
J. Danet, La justice pénale entre rituel et managment, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010.
-
[13]
C. Besnier, La vérité côté cour, une ethnologue aux assises, éditions La Découverte, Paris, 2017.
1Dans le cadre d'une recherche intitulée « La construction de la motivation des décisions criminelles à l'audience : France, Belgique, Suisse », nous avons réalisé une étude ethnographique comparative des cours criminelles françaises, belges et suisses [1].
2Je me chargerai dans cet article de rendre compte uniquement du terrain suisse afin de mettre en avant ses caractéristiques propres et d'en dégager les enseignements principaux. La confrontation des terrains nous a permis de tirer des conclusions concernant la question de la motivation des décisions criminelles dans les trois pays étudiés, mais nous laissons le lecteur se référer au rapport de recherche pour approfondir cette question.
3Je tiens tout d'abord à souligner la richesse incroyable du terrain suisse pour l'observateur étranger, qui plus est pour le sociologue du droit qui privilégie une méthodologie de recherche ethnographique. Rappelons que la Suisse est divisée en vingt-six cantons qui forment la Confédération helvétique. Ce petit pays, qui n'appartient pas à l'Union européenne, dénombrant, un peu plus de huit millions d'habitants, se caractérise par une stabilité politique exceptionnelle et une économie solide. La société suisse est multi culturaliste et multi linguiste, aspects qui en font un objet d'étude particulièrement riche pour qui s'intéresse aux questions culturelles et développe une approche de type anthropologique.
4Une des particularités de la Suisse provient de son système politique fédéral qui a des conséquences au niveau de l'organisation et du fonctionnement des institutions. Depuis 1848, la Suisse dénombre vingt-six cantons, soit autant de mini-États disposant d'une constitution propre et donc souverains dans bien des domaines qui vont au-delà du droit (organisation judiciaire mais également éducation, fiscalité, etc.). C'est la Constitution fédérale qui règle la répartition des compétences entre Confédération et cantons en matière de droit pénal et de procédure pénale. Selon André Kuhn et Yvan Jeanneret [2], il existe quatre principaux types de législations pénales en Suisse : le droit pénal (droit de fond), la procédure pénale (droit de forme), le droit de l'exécution des sanctions et enfin l'organisation judiciaire. Les deux premières législations sont de la compétence fédérale alors que les deux dernières relèvent de la compétence des cantons.
5Avant l'introduction du nouveau code de procédure pénale en 2011, on dénombrait vingt-six codes de procédure pénale. Le modèle choisi est qualifié de modèle du « Ministère public II » et est fortement inspiré du modèle de procédure pénale allemand. Il est centralisé sur une vision d'efficacité, de respect du contradictoire et des grands principes du procès équitable. Il apparaît comme un modèle qui dépasse la distinction traditionnelle accusatoire/inquisitoire, se donnant comme objectif de rechercher la vérité avec des parties actives aux procès. La question de « la recherche de la vérité » apparaît fondamentale dans la procédure pénale suisse [3]. À la différence des modèles de procédure anglo-saxons de common law, où les deux parties s'affrontent autour de deux versions, le modèle suisse reste proche du modèle inquisitoire où prédomine la recherche de la vérité au cours de l'enquête puis des débats à l'audience publique. La procédure suisse pourrait être qualifiée d'accusatoire en trompe-l'oeil.
6Bien que la procédure pénale ait été unifiée en 2011, les cantons gardent une autonomie en matière d'organisation judiciaire. Loin des catégories juridiques, l'organisation judiciaire peut être qualifiée comme étant la « composante culturelle » qui différencie les cantons les uns des autres. Les lois d'organisation judiciaire cristallisent avec plus ou moins d'intensité les pratiques judiciaires qui relèvent de l'histoire de chaque canton, bien que l'introduction du nouveau code de procédure pénale tende peu à peu à les uniformiser.
7Notre méthodologie de recherche est innovante dans la mesure où notre objectif est d'étudier le droit à l'aide des outils ethnographiques. Nous étudions simultanément les textes juridiques (codes, organisation judiciaire, lois, etc.) et la pratique judiciaire en nous rendant sur le terrain, c'est-à-dire que nous assistons à des audiences criminelles en première instance et en appel et nous réalisons des entretiens avec les acteurs professionnels du procès. Rares sont les recherches qui choisissent un tel parti pris lorsqu'il s'agit d'étudier le droit, les tribunaux et la pratique judiciaire. Lors des observations, nous n'hésitons pas à engager des discussions informelles avec des personnes présentes dans la salle d'audience, qu'elles soient ou non acteurs du procès. Cette approche est imparfaite, variable, parfois même fragile, mais elle nous permet de recueillir quantité d'informations inédites et surtout elle nous donne la possibilité de saisir « la chair » du procès, les émotions, les non-dits, la tonalité des audiences « l'âme du procès pénal ».
8Invoquer les points forts de notre méthodologie n'a de sens que si nous en évoquons également les points faibles. L'approche ethnographique est coûteuse en temps, elle est complexe dans la mesure où les contraintes du terrain sont nombreuses (déplacements, calendrier des audiences, disponibilité des acteurs de terrain, etc.). En Suisse, sur les vingt-six cantons, nous nous sommes rendus dans seulement trois d'entre eux. Il est évident que notre recherche se présente plus comme une première ébauche d'un travail qui pourrait être approfondi à l'ensemble du pays, en mobilisant une équipe de recherche plus vaste et ayant la maîtrise linguistique nécessaire à un tel projet.
9Afin de rendre compte des enseignements qui se dégagent de l'étude du procès criminel suisse, tant sur le plan théorique que suite à l'observation des audiences criminelles, j'exposerai les points suivants : les étapes historiques qui ont amené au nouveau code de procédure pénale, les grands principes du code de procédure pénale, le déroulement du procès pénal suisse et enfin les enseignements issus directement du terrain et du travail ethnographique réalisé dans les cantons de Genève, Vaud et Tessin.
10Il m'importe de transmettre l'idée selon laquelle les comparaisons internationales apportent un éclairage nouveau sur des questions centrales que se posent tous les pays concernant le fonctionnement du procès pénal. Le cas de la Suisse offre des réponses intéressantes concernant une série de points actuellement discutés en France (suppression du juge d'instruction, suppression du jury, avenir de la cour d'assises, etc.). Certes, il faut bien se garder de penser que les modèles juridiques puissent être transposés à l'identique d'un pays à l'autre. Le poids des cultures juridiques est un facteur central à prendre en compte lorsque l'on observe le droit et sa mise en oeuvre au-delà de nos frontières [4]. S'ouvrir aux pratiques judiciaires telles qu'on peut les observer dans d'autres pays, se confronter à d'autres approches et mises en pratique du droit développées ailleurs se révèlent être d'une grande richesse et permet de donner de la profondeur à des débats souvent stériles lorsqu'ils sont cantonnés au niveau national.
Les étapes historiques de l'évolution du procès pénal suisse
11L'héritage de la Révolution française, la cour d'assises française et son jury ont influencé aux XIXe et XXe siècles les procédures pénales et la pratique judiciaire suisses (Suisse romande et Tessin). Mais la Suisse a réalisé au cours du XXe siècle d'importantes réformes, glissant du modèle inquisitoire au modèle accusatoire. Historiquement, la Suisse romande et le Tessin appartiennent à la famille de droit dite « romano-germanique ». Ces pays ont une origine commune, celle du droit romain dont la procédure relève de la civil law par contraste avec les pays anglo-saxons de common law [5]. Les pays de civil law traduisent le modèle inquisitoire où la figure du juge est centrale : il recherche la vérité, c'est à lui que reviennent les fonctions d'enquête à charge et à décharge et de jugement ; les parties, le ministère public et la défense sont relégués au second plan. Dans le modèle accusatoire que connaissent les pays de common law la figure du juge est celle d'un arbitre impartial, qui veille au respect des règles de procédure. Les parties dirigent le procès en apportant les preuves.
12La doctrine et le politique ont nourri de nombreuses réflexions qui ont abouti à de « nouveaux » systèmes en matière de procédure pénale. L'histoire du droit pénal [6] et des institutions pénales suisses comprend des influences culturelles provenant de France et d'Allemagne. Les cantons romands (comme le canton de Vaud et de Genève) ainsi que le Tessin ont connu l'influence des Lumières, de la pensée de Montesquieu, de Beccaria et du code d'instruction criminelle français de 1808. Les cantons germanophones ont connu l'influence de penseurs allemands tels que Von Feuerbach ou encore Von Zeiller marqués par les idées libérales de Kant. D'où la création d'une multiplicité de législations cantonales avec des systèmes et des sanctions différents. En pratique, on note une sensibilité pénale différente entre les cantons romands et les cantons alémaniques, les premiers étant plus sévères. Cette différence reflète les disparités que l'on retrouve dans le traitement de la sanction entre les pays du nord de l'Europe et les pays du sud de l'Europe.
13La naissance de la Confédération avec la rédaction de la Constitution en 1848 marque le premier pas vers l'unification des législations juridiques [7]. Vers 1890, le pluralisme juridique exprime le souhait d'unifier le droit pénal. Cette tâche est confiée au juriste Cari Stooss, et les avant-projets aboutissent à l'adoption du code pénal en 1937, qui entrera en vigueur en 1942. Aujourd'hui, le droit pénal suisse est majoritairement influencé et structuré par le droit germanique. La partie générale du code pénal a été réformée en 2002 et est entrée en vigueur en 2007. La Suisse, en adoptant la réforme du code de procédure pénale en 2007 (entrée en vigueur en 2011), a pris une autre direction.
14L'unification du code de procédure pénale (appelé « code de procédure fédérale ») appliqué depuis 2011 est également d'inspiration germanophone même si l'organisation judiciaire reste toujours de la compétence des cantons [8]. Jusqu'à cette date, chaque canton affirmait sa souveraineté en matière de procédure pénale. Cette disparité, autant de procédures que de cantons, était complexe et devenait absurde notamment lorsqu'une infraction avait lieu sur plusieurs cantons. Après avoir établi un concordat d'entraide judiciaire et de coopération intercantonale en matière pénale qui permettait à l'enquêteur d'accomplir des actes de procédure en dehors du canton, une « votation populaire » (ou référendum) du 12 mars 2000 a permis de modifier l'article 123 de la Constitution fédérale. Désormais, la législation en matière de droit pénal et de procédure pénale relève de la Confédération. Cette modification constitutionnelle est entrée en vigueur le 1er avril 2003. Ce long processus législatif a permis d'obtenir le texte définitif du 5 octobre 2007 et le nouveau code de procédure pénale unifié qui est entré en vigueur le 1er janvier 2011.
Le code de procédure pénale unifié et ses grands principes
15Le nouveau modèle suisse est considéré par ses théoriciens comme le plus efficace et le plus rapide en Europe. Il est présenté comme le système de « l'avenir » selon André Kuhn [9]. Le code de procédure pénale de 2011 impose des obligations aux cantons en matière d'organisation judiciaire : tous les cantons doivent prévoir la suppression du jury populaire et du juge d'instruction. Désormais, le pouvoir de l'instruction revient au ministère public. Parallèlement, un tribunal des mesures de contrainte a été créé et la présence de l'avocat est obligatoire dès la première heure de garde à vue. La motivation était déjà en vigueur dans l'ensemble des cantons avant la réforme de 2011 ; néanmoins l'appel est devenu obligatoire dans tous les cantons.
La suppression du jury populaire et l'introduction de juges laïcs et d'échevins
16Les membres du tribunal doivent consulter le dossier avant les débats. L'obligation de prendre connaissance du dossier avant l'audience rend incompatible, selon le Conseil fédéral, la présence du jury populaire au sens strict du terme. De plus, le « principe de l'immédiateté limitée » (ou oralité limitée) conduit au nonreexamen de la preuve à l'audience quand celle-ci a été valablement admise durant l'instruction. Ces deux réformes fondamentales ont conduit à la suppression de l'institution du jury. Bien que la présence de jury populaire avant la réforme ne concernât que quelques cantons, cette appellation a aujourd'hui définitivement disparu. Si l'institution du jury au sens strict a été écartée, pour autant « les juges laïcs » gardent leur pertinence au sein de cette nouvelle organisation judiciaire.
17À Genève, le jury populaire a été supprimé suite à un référendum. Les juges laïcs des tribunaux et des cours criminelles sont appelés « juges assesseurs ». Ils perpétuent symboliquement le rôle du jury populaire de l'ancien droit et donnent une plus grande légitimité aux décisions de justice tout en se conformant aux exigences posées par le nouveau code de procédure pénale. Comme les magistrats professionnels, les juges laïcs sont élus directement par le peuple pour une durée de six ans et sont présentés par un parti politique. Ils sont indemnisés à l'heure pour le travail sur dossier et la préparation des débats ainsi que pour les heures passées en audience. Il s'agit donc d'un emploi à temps partiel sur une durée de six années. Ils n'ont pas de formation particulière et acquièrent une expérience au fil de l'exercice de leur mandat. Dans le canton du Tessin, un référendum a été favorable au maintien officiel des jurés ; cependant, il s'agit plutôt d'une formation mixte [10]. Les jurés populaires appelés assessori giurati (jurés assesseurs) sont proposés par les partis politiques proportionnellement au nombre de voix obtenues lors de l'élection du Grand Conseil (parlement du canton). Ils ne sont donc pas tirés au sort sur les listes électorales. Une liste publique et consultable sur le site Internet du canton est réalisée pour une période de dix années. C'est le Grand Conseil qui procède à leur élection. Deux listes distinctes sont constituées : une de quatre-vingt-dix personnes concernant les juridictions pénales de premières instances, une seconde composée de soixante personnes concernant les juridictions d'appel et de révision. Les jurés assesseurs prêtent serment une seule fois lors de leur nomination devant le parlement. Dans le canton de Vaud, les juges laïcs sont considérés comme des juges assesseurs, ce sont des citoyens qui postulent à des offres d'emploi de « juges laïcs » qui représentent généralement vingt à trente pour cent des juges. Ils sont nommés pour une durée de cinq ans renouvelable et n'ont pas de formation juridique particulière. Il s'agit d'une forme d'échevinage puisqu'ils représentent la société civile et, dans le même temps, ils acquièrent une certaine expérience judiciaire.
La suppression du juge d'instruction et la création du tribunal des mesures de contrainte
18Désormais, le ministère public se substitue au juge d'instruction et dirige seul l'enquête. Il dresse éventuellement l'acte d'accusation. Il se présente devant le tribunal pour requérir (comme aux USA, en Allemagne, en Italie et devant les tribunaux pénaux internationaux). La police est entièrement subordonnée au ministère public. Mais ce dernier connaît un important contrepoids à son pouvoir par l'introduction du tribunal des mesures de contrainte. La création du tribunal des mesures de contrainte provient de la volonté de ne pas cumuler dans les mains d'une seule autorité, le ministère public, l'ensemble des pouvoirs liés à l'instruction pénale. La compétence de ce tribunal est de condamner les principales atteintes aux droits fondamentaux des prévenus. C'est une juridiction qui fournit des garanties supplémentaires aux prévenus et qui statue généralement dans les 48 heures pour la détention provisoire lors du déroulement, de l'instruction. « Le terme « mesures de contrainte » recouvre tous les actes de procédure effectués par les autorités pénales qui portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes (art. 196 du CPP). » [11] Le tribunal des mesures de contrainte représente l'autorité qui statue sur la détention provisoire en phase d'instruction, la détention pour des motifs de sûreté tant que l'affaire se trouve devant le tribunal de première instance, sur des questions d'hospitalisation du prévenu à des fins d'expertise. Il a également la possibilité d'ordonner d'autres mesures de contrainte demandées au préalable par le ministère public (limitation temporaire des relations entre le prévenu et son défenseur lorsqu'il existe des risques fondés d'abus, surveillance de la correspondance, surveillance des relations bancaires, etc.). Le tribunal des mesures de contrainte statue généralement de manière définitive sauf lorsqu'il est possible d'exercer une voie de recours en matière de détention provisoire.
L'avocat dès la première heure (art. 306 du CPP)
19La présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue renforce les garanties du prévenu dès le début de l'instruction. Ce principe est une garantie importante pour le recueil des premières dépositions par la police.
La transcription obligatoire des débats et l'introduction de l'appel
20Toutes les déclarations des témoins, de l'accusé et de la partie civile sont notées au fur et à mesure de l'audience par le greffier, relues et signées par leur auteur. Cette transcription des débats est versée au dossier pour être consultée en cas d'appel. La nouvelle règle de la transcription des débats va dans le sens d'un gain de temps de la procédure en cas d'appel. Seuls les points litigieux de la transcription des débats de première instance et de la motivation sont discutés en appel. Alors qu'en France l'audience ré-instruit oralement l'intégralité du dossier en convoquant l'ensemble des témoins, en Suisse l'écrit se substitue à l'oralité des débats.
Le déroulement de la procédure pénale
21Lors de la dénonciation ou de la découverte d'une infraction, la police débute l'enquête en procédant aux premières investigations afin de récolter les faits constitutifs et de mettre en sûreté les traces et autres moyens de preuve. Elle tente alors d'identifier l'auteur de l'infraction puis l'appréhende si nécessaire. Dans le cadre de l'enquête policière, un avocat peut prendre part aux interrogatoires du prévenu qui est autorisé à tout moment à être assisté d'un défenseur.
22La police a l'obligation d'informer le ministère public sur tous les événements sérieux, et ce dernier peut donner des directives et confier des mandats à la police. Il lui revient également la décision d'ouvrir l'instruction qui aura pour but d'établir les faits et de mettre le dossier en état d'être jugé, tant sur la question de la culpabilité que sur celle de la peine. Le cas échéant, le ministère public dirige l'instruction, qu'il mène aussi bien à charge qu'à décharge, et ordonne les mesures de contrainte nécessaires - c'est-à-dire les actes de procédure qui portent atteinte aux droits fondamentaux des intéressés - à l'exception des mesures les plus graves, telle la détention avant jugement, qui relèvent du tribunal des mesures de contrainte. Un recours pourra en outre être déposé contre les décisions et les actes de procédure de la police et du ministère public. Les phases d'investigation policière et d'instruction forment ensemble la procédure préliminaire.
23Lorsque la procédure porte exclusivement sur des infractions issues d'une plainte, le ministère public peut initier une conciliation entre le prévenu et le plaignant dans le but d'aboutir à un arrangement à l'amiable et à un retrait de plainte. De même, si une exemption de peine au titre de réparation (au sens de l'art. 53 du code pénal) est envisageable, le ministère public tente une conciliation dans le but d'aboutir à une éventuelle réparation. Lorsque l'instruction est terminée, le ministère public décide de la clôturer. Il a alors le choix entre classer l'affaire, émettre une ordonnance pénale ou engager l'accusation devant le tribunal compétent lorsqu'il estime que les soupçons sont suffisamment établis.
24Le renvoi de l'affaire devant le tribunal marque le début de la procédure de première instance, qui fait suite à la procédure préliminaire. La direction de la procédure passe alors des mains du ministère public à celles du tribunal, le premier devenant simple partie au procès. Il y aura ensuite l'audience devant le tribunal de première instance qui peut, sous certaines conditions, être composé d'un juge unique. Les débats se clôturent par un jugement qui se traduit par un acquittement ou une condamnation qui pourra faire l'objet d'un appel. Cette phase de débats de première instance peut être remplacée par des procédures spéciales, parmi lesquelles l'ordonnance pénale et la procédure simplifiée. Ces procédures offrent au ministère public et au prévenu la possibilité de négocier sur le verdict de culpabilité et la sanction pour autant que la peine envisagée ne dépasse pas cinq ans de privation de liberté. Une telle procédure sera possible, sur proposition du prévenu qui a reconnu les faits et les prétentions civiles. Le tribunal sera ensuite amené à avaliser l'accord passé entre le ministère public et le prévenu. Le cas échéant, l'accord sera assimilé à un jugement. Si les négociations n'aboutissent pas, la procédure ordinaire suit son cours et les déclarations faites par les parties dans le cadre de la procédure simplifiée deviennent caduques.
Les enseignements de l'étude de la pratique judiciaire suisse
25L'étude de la pratique judiciaire s'est faite au travers des observations de terrain. Lorsque l'on s'intéresse aux audiences criminelles, des différences subsistent entre les trois cantons étudiés. Cette richesse ethnographique corrobore l'idée selon laquelle l'audience est un moment « à part » dans l'ensemble des étapes de la procédure pénale, un moment qui a d'une part une fonction concernant la recherche de la vérité à proprement parler, mais également concernant « l'humanité » du procès, autrement dit la dimension sociale faite d'échanges, de paroles et de gestes.
26Il se dégage des lignes précédentes un point central concernant le fonctionnement de la procédure pénale suisse : désormais l'écrit domine toutes les étapes de la procédure et l'oralité est reléguée au second plan. L'audience en subit une transformation immédiate. Durant l'audience, la retranscription des débats est faite systématiquement par l'intermédiaire du président qui reformule les débats. Le fait, de « protocoler », pour reprendre la terminologie employée dans les cantons romands, hache les audiences, leur enlève de la fluidité. Autre exemple de la prédominance de l'écrit sur l'oral : dans de nombreuses affaires pénales, lorsque la peine encourue est inférieure à cinq ans d'emprisonnement, il n'y a pas de verdict oral, la décision est rendue par écrit. De même, dans le canton de Vaud, l'appel n'existait pas avant 2011 et les audiences que nous avons pu observer sont très brèves puisque le dossier reste le support central pour les juges et que l'appel se limite aux points contestés.
27Ainsi toutes les audiences que nous avons pu observer, quels que soient les cantons, sont encore fortement marquées par le « compromis inquisitoire » et rappellent encore les audiences criminelles françaises. Mais les audiences sont difficiles à suivre car seulement une partie des preuves sont discutées durant l'audience, et la narration de l'affaire telle qu'elle peut être observée en France est très morcelée.
28Le rituel judiciaire existe encore, bien que la structure du procès, telle qu'elle est désormais conçue par le code de procédure pénale unifiée, tende à réduire la place de l'oralité au profit de l'écrit. Si des caractéristiques propres aux pratiques judiciaires de l'avant 2011 subsistent, les différences entre les cantons vont peu à peu s'atténuer. Certes, l'organisation judiciaire reste de la compétence des cantons, certaines marges dans l'organisation des rôles et des noms des institutions resteront cantonales puisque des différences culturelles, qui vont au-delà de la culture judiciaire, sont irréductibles. On peut donner comme exemple celui du port de la robe, encore d'actualité dans le canton de Vaud alors qu'il n'est plus de mise dans le Tessin. La temporalité du procès diffère également d'un canton à l'autre. Dans le Tessin, la continuité de la délibération et du rendu de la décision sont toujours d'actualité, tout comme dans le canton de Genève. Dans le canton de Vaud, plusieurs jours de délibération sont prévus après l'audience et ensuite le verdict est rendu.
29Le point le plus important observable dans la pratique judiciaire suisse est la question de la motivation des décisions criminelles. La motivation écrite existait déjà avant la réforme du code de procédure pénale. Le texte de motivation est important (plusieurs dizaines de pages) et reprend l'affaire depuis l'acte d'accusation jusqu'au verdict. Ce sont généralement des textes clairs et pédagogiques qui expliquent en détail la décision prise par les juges. Quant à la pratique de la motivation orale suite au verdict, elle s'est révélée être un exercice fort intéressant à observer. Ce type de motivation est laissé à la discrétion des présidents. À la cour d'appel pénale de Locarno, dans le Tessin, j'ai assisté aux longues motivations orales de la Présidente qui s'adresse aux parties entre une demi-heure et trois quart d'heure, selon les affaires, afin d'expliquer en détail la décision rendue. Elle le fait immédiatement après la délibération et ce type de motivation nous est apparu d'une grande clarté.
Conclusion
30Le modèle suisse de procédure pénale nous donne à voir une justice efficace, rapide, qui répond bien aux exigences du procès équitable selon les requêtes de la CEDH. La réforme du code de procédure pénale de 2011 s'inscrit dans le mouvement global de rationalisation et de managérialisation de la procédure pénale tel que le décrit Jean Danet [12]. Ce mouvement est européen et ses promoteurs sont présents dans tous les pays.
31Mais comme l'exemple suisse le prouve, le coût symbolique d'une telle justice passe par l'abandon du « temps » de l'audience et par conséquent de la « parole judiciaire » qui se délie dans le prétoire au profit d'une « justice de dossiers », désincarnée. Il apparaît important donc de se demander avec précision ce que l'on attend de la justice criminelle afin d'effectuer des choix en matière de politiques pénales. Si l'audience disparaît, c'est l'oralité qui disparaît avec elle. Or nous savons combien l'oralité peut avoir un rôle important dans la recherche de la vérité [13].
Notes
-
[1]
Recherche réalisée avec le soutien de la mission de recherche Droit et Justice, sous la direction scientifique de F. Affergan, C. Besnier, A. Jolivet, La construction de la motivation des décisions criminelles à l'audience : France, Belgique, Suisse, déc. 2016.
-
[2]
A. Kuhn et Y. Jeanneret, Précis de procédure pénale, éditions Stämpfli, Bern, 2013, p. 5.
-
[3]
C'est ce que démontre C. Chanez dans son ouvrage Épistémologie de la vérité dans le code de procédure pénale suisse, éditions Schulthess, Genève, 2009.
-
[4]
A. Garapon, D. Salas, Les nouvelles sorcières de Salem. Leçon d'Outreau, éditions du Seuil, Paris, 2006.
-
[5]
R. David, C. Jauffret-Spinosi, Les grands systèmes de droit contemporain, éditions Dalloz, 11e édition, Paris, 2002, pp. 16-19.
-
[6]
L. Gschwend, « Droit pénal » in Dictionnaire historique de la Suisse, éd. Gilles Attinger, Bern, 2006.
-
[7]
Rappelons que la Constitution de 1848 donne naissance à « l'État fédéral » suisse qui constitue la première étape de la formation de la Confédération suisse.
-
[8]
L'organisation judiciaire règle les questions relatives à l'organisation des juridictions, la composition des tribunaux, la fixation des modalités de l'élection des magistrats et des juges laïcs, l'attribution des sanctions pénales.
-
[9]
A. Kuhn, Procédure pénale unifiée : reformatio in pejusaut in melius ?, éd. La Question, Charmey, 2008, p. 21.
-
[10]
Le modèle de participation citoyenne tessinois ne correspond pas à un véritable jury populaire. L'appellation d'« assessori giurati » laisse entendre que l'on se situe entre le juré et le juge assesseur plutôt que face à la figure du juré stricto sensu. Les jurés assesseurs ne détiennent que deux caractéristiques des jurés : ils sont issus de la société civile et sont tirés au sort avant le début des débats. En revanche, ils remplissent l'ensemble des caractéristiques des échevins et des juges laïcs, à l'exception du tirage au sort. A. Kuhn, A. Mancuso, Y. Jeanneret, N. Aminian, L. La Sala, op. cit. Ares Bernasconi (dir.) Geschworenengerichte - der unbequemeMythos/ Giuricpopolari - il mitoscomodo/ Jurys populaires - le mythe inconfortable, éditions Helbing Lichtenhahn, Basel, 2014, pp. 99-112.
-
[11]
A. Kuhn et Y. Jeanneret, op. cit., p. 153.
-
[12]
J. Danet, La justice pénale entre rituel et managment, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010.
-
[13]
C. Besnier, La vérité côté cour, une ethnologue aux assises, éditions La Découverte, Paris, 2017.