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Article de revue

Pour une typologie analytique des motivations criminelles

Pages 587 à 600

Notes

  • [1]
    Pour chaque dossier ont été collectés et analysés l'arrêt pénal, la feuille de questions, l'ordonnance de mise en accusation et la feuille de motivation.
  • [2]
    Sur ce point v. La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, p. 70 « Analyse des données statistiques ».
  • [3]
    Les éléments à charge identifiés à l'intérieur des feuilles de motivation sont les suivants : aveu de l'accusé, déclarations de la partie civile, autres déclarations ou témoignages, expertises médico-légales, preuves éléments matériels hors expertise, présomption de faits, expertise psychologique ou psychiatrique de la partie civile, contradictions entre les déclarations de l'accusé et les éléments du dossier, expertise ADN, déclaration du coauteur, contradiction dans les déclarations de l'accusé, expertise psychologique ou psychiatrique de l'accusé, expertise autre (balistique, etc.), expertise psychologique ou psychiatrique de la victime (non constituée).
  • [4]
    Circulaire du 15 déc. 2011 relative à la présentation des dispositions de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, relatives à la cour d'assises applicables au 1er janv. 2012, NOR : JUSD1134281C.
  • [5]
    Circulaire du 15 déc. 2011, op. cit.
  • [6]
    Ces arrêts ont en effet disparu depuis qu'a été créée par la loi organique n° 2001539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au CSM une procédure de non admission des pourvois. V. M. Cottin, « La Cour de cassation se dote d'une procédure d'admission des pourvois en cassation », D. 2002. 748.
  • [7]
    A. Perdriau, Des « arrêts brévissimes » de la Cour de cassation, JCP 1996, I, 3943, n° 40 et s. ; V. Vigneau, Le régime de la non-admission des pourvois devant la Cour de cassation, D. 2010. 102 et s., spéc. p. 108.
  • [8]
    Circulaire du 15 déc. 2011, op. cit.
  • [9]
    La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, p. 83.
  • [10]
    La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, op. cit., p. 84.
  • [11]
    V. La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, p. 99.
  • [12]
    Art. 365-1 CPP.
  • [13]
    Un président de cour d'assises interroge, in La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, p. 99.

1La première source de données retenue lors de cette recherche portant sur la motivation des décisions de cour d'assises est le résultat de la collecte de différentes pièces contenues dans les dossiers criminels  [1], dont les feuilles de motivation, issues de six juridictions. L'échantillon s'est porté sur la totalité des décisions rendues pour chaque juridiction choisie du 1er janvier 2012, date d'entrée en vigueur de la réforme imposant la motivation des décisions de cour d'assises, au 31 décembre 2013, soit deux années complètes. Ce sont au total 317 motivations qui ont fait l'objet d'une analyse. Cette analyse statistique croisée s'est employée à réaliser un examen comparatif des cooccurences entre plusieurs variables  [2], principalement le volume général des motivations et leur structure argumentative. Concernant cette dernière variable, ont été codés les différents éléments à charge contenus dans ces feuilles de motivation  [3]. En règle générale effectivement, et conformément à ce qu'a prévu le législateur de 2011, seuls des éléments à charge sont présents dans la motivation. L'article 365-1 CPP indique en effet que « la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises ». La circulaire du 15 décembre 2011  [4] précise à ce propos qu'il n'est besoin de mentionner dans la feuille de motivation que les éléments à charge dont il est apparu, au cours de la délibération, qu'ils avaient convaincu l'ensemble des membres de la juridiction ou, tout au moins, une majorité qualifiée. On trouvera donc dans ces motivations des éléments probatoires tels que des déclarations, des éléments matériels, ou bien encore des conclusions d'expertise.

2Mais lors de cette analyse statistique, il nous est très vite apparu que certaines feuilles de motivation de notre échantillon contenaient des éléments que nous n'avions pas codés car ne constituant pas des éléments à charge. Par exemple, sont inclues dans certaines motivations des remarques préliminaires précisant le contexte dans lequel le crime a été commis. D'autres motivations ne présentent que de rares éléments probatoires sous la forme d'un inventaire alors que certaines développent une véritable argumentation juridique. Nous avons donc repris l'ensemble des 317 feuilles de motivation afin de procéder à une analyse qualitative. Celle-ci nous a permis d'identifier six modèles de motivation, c'est-à-dire présentant des récurrences, des caractéristiques similaires. Cette classification en modèles n'est bien évidemment pas hermétique et certaines motivations relèvent de plusieurs modèles, motivations que nous avons qualifiées d'hybrides.

3Le graphique ci-dessous renseigne sur la fréquence de ces différents modèles de motivation.

4
tableau im1

5Le présent, article propose donc de présenter cette typologie analytique des motivations en s'appuyant sur cette partition entre les motivations ne contenant que des éléments à charge (I) et celles présentant un contenu plus varié (II).

I - Les motivations ne contenant que des éléments à charge

6Fort logiquement donc, dans la plupart des cas, seuls des éléments à charge, plus ou moins détaillés, figurent dans la motivation. Deux modèles de motivation ne contenant que des éléments à charge, à l'exclusion de tout autre élément, peuvent être identifiés : la motivation sommaire et la motivation recensement qui à elles deux représentent 65 % des motivations composant notre échantillonnage.

A - La motivation recensement

7Cette catégorie de motivation contient uniquement des éléments à charge ayant emporté la conviction de la cour et du jury. Peuvent ainsi figurer dans ce type de motivation les déclarations de l'accusé, celles des victimes, des éléments matériels ou bien encore des conclusions d'expertises. Ces éléments à charge sont listés et détaillés avec un degré de précision variant d'une motivation à l'autre mais, en tout état de cause, il ne s'agit pas uniquement de viser la catégorie juridique - aveu, expertise psychologique, etc. - mais aussi de préciser leur teneur. La motivation ci-dessous reproduite en constitue une illustration.

Extraits de motivation recensement (dossier de viol)

- l'expertise médico-légale de la victime a établi dès le 17/9/2009 et alors que celle-ci était âgée de 15 ans, l'existence d'une défloration ancienne alors que rien dans le dossier et dans les débats n'a permis de l'attribuer à une autre personne qu'à celle de A :
- la perquisition effectuée au domicile de l'accusé a permis de découvrir des préservatifs et un calendrier décrit par la victime et portant mention notamment des dates des règles de celle-ci :
- les constatations dans l'expertise pédopsychiatrique conduite par le Dr ... font état :
- d'une absence d'antécédents de troubles mentaux ;
- d'une absence de tendance psychologique à l'affabulation ;
- de l'existence de l'empreinte d'une effraction psychique liée à des abus sexuels ; et décrivent une jeune fille enfantine et pas sexualisée ;
- ces conclusions sont globalement confirmées par la seconde expertise psychologique réalisée par un autre expert, plus d'un an après la première, et selon laquelle la mineure présente un tableau clinique classique des abus sexuels ainsi que des éléments à caractère post traumatiques nettement repérables compatibles avec les faits dénoncés ;
- l'accusé a, à de multiples reprises, tant dans ses 4ème, 5ème et 6ème auditions par la police, qu'aux interrogatoires du juge d'instruction, que dans ses déclarations à l'expertise psychiatrique et médico-psychologique, enfin dans plusieurs correspondances adressées à ce dernier, reconnu la réalité d'abus sexuels répétés commis par lui sur la jeune victime ;
8Contrairement à d'autres catégories de motivation plus fréquemment utilisées pour certaines infractions, les motivations recensement ne présentent pas de particularités véritablement remarquables par rapport à notre échantillonnage global. Comme dans l'ensemble des motivations que nous avons analysées, les motivations recensement concernent en premier lieu des crimes sexuels et, en second rang, des atteintes à la vie, puis des atteintes aggravées aux biens.
tableau im2
Le fait que la motivation recensement soit utilisée pour tous les crimes est une des raisons nous amenant à considérer que ce type de motivation constitue en quelque sorte le droit commun de la motivation. À cela s'ajoute la fréquence de son utilisation. Les motivations recensement constituent 54 % de notre échantillonnage (168 sur les 317). Cette façon de motiver est en outre pratiquée, plus ou moins systématiquement, par les vingt-cinq magistrats constituant notre échantillonnage, ce qui contribue également à faire de cette motivation recensement le droit commun de la motivation.

B - La motivation sommaire

9Comme le modèle précédent, la motivation sommaire ne comprend que des éléments à charge mais elle se distingue par sa brièveté. Ce sont des motivations très courtes, moins d'une page lorsqu'il n'y a qu'un seul accusé, le plus souvent seulement quelques lignes. Outre la classique phrase introductive, identique ou similaire à celle proposée dans la circulaire de présentation de la réforme  [5], seuls les éléments à charge, peu nombreux, figurent dans ces motivations sommaires. Deux ou trois éléments sont listés sans que leur contenu ne soit détaillé. Il est seulement fait état de la catégorie juridique à laquelle appartient l'élément à charge : aveu, déclarations de la partie civile, preuve scientifique, etc.

Exemple de motivation sommaire (viol)

La cour d'assises a été convaincue de la culpabilité de... pour le crime de viol sur mineur de 15 ans, pour les délits d'agressions sexuelles sur mineur de 15 ans et corruption de mineurs de 15 ans en raison des éléments à charge suivants qui ont été discutés lors des débats et qui ont constitué les principaux éléments à charge exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury préalablement au vote des questions : S'agissant des faits de viols sur mineur de 15 ans :
- les aveux de l'accusé réitérés lors des débats devant la cour d'assises,
- les déclarations de la partie civile réitérées devant la cour d'assises.
S'agissant des faits d'agressions sexuelles sur mineur de 15 ans :
- les aveux de l'accusé réitérés lors des débats devant la cour d'assises,
- les déclarations de la partie civile réitérées devant la cour d'assises.
S'agissant des faits de corruption de mineur de 15 ans :
- les aveux de l'accusé réitérés lors des débats devant la cour d'assises.

10En cas de pluralité d'infractions ou d'accusés, la motivation sommaire peut faire plus d'une page, sous chaque accusé étant listés deux ou trois éléments à charge. Parfois, certaines motivations renvoient, pour chaque accusé successif, à la motivation figurant sous le premier accusé.

11Comme l'illustre l'exemple ci-dessus reproduit, la lecture de la motivation, à elle seule, ne permet pas de connaître, même seulement de manière superficielle, les faits de l'espèce. On est bien loin de la motivation circonstanciée. Au contraire, ce type de motivation, dépersonnalisée et laconique, est transposable d'une affaire à une autre. Ces motivations minimalistes se rapprochent à cet égard des anciens arrêts tampons  [6] de la Cour de cassation se caractérisant par « les caractères répétitif et dépersonnalisé d'arrêts, qui reproduisent invariablement des formules maintes fois employées, et qui ne se distinguent que par les noms des parties et l'indication de la décision attaquée »  [7].

12Ces motivations minimalistes sont loin de constituer la majorité des cas, mais nous en avons tout de même recensé 36 sur un total de 317 motivations, ce qui représente un peu plus de 11,4 % des dossiers étudiés.

13Dans cette catégorie, comme le montre le graphique ci-dessous, il est possible de constater une surreprésentation des atteintes sexuelles (21 motivations). Viennent ensuite à égalité les atteintes aux biens et les atteintes à la vie (6 motivations chacune).
tableau im3
Sans grande surprise, il apparaît également que, dans la quasi-totalité des cas, la motivation est elliptique dans des affaires dans lesquelles l'accusé a avoué sa culpabilité soit totalement, cas de loin le plus fréquent (28 motivations sur 36), soit au moins partiellement (4 cas sur 36).
tableau im4
Au total donc, ces motivations sommaires concernent dans près de 90 % des cas des dossiers dans lesquels au moins une partie des faits est reconnue et, dans 80 % des cas, des faits reconnus dans leur intégralité.

14Ces motivations elliptiques en présence d'aveux de l'accusé s'inscrivent a priori dans les préconisations formulées par la circulaire du 15 décembre 2011  [8], laquelle suggère en effet que la motivation « pourrait être beaucoup plus concise si l'accusé a reconnu les faits qui lui sont reprochés, cette reconnaissance constituant alors le premier des éléments à charge, dont il pourra ensuite indiquer de façon particulièrement succincte qu'il est corroboré par tels ou tels éléments ». Il est indéniable que certains présidents de cours d'assises font, consciemment ou non, une application extrêmement zélée de cette circulaire en rédigeant des motivations « particulièrement succinctes ».

15Mais, peut-on encore considérer que l'on est, en l'espèce, en présence d'une motivation véritable ? Si, comme l'expriment plusieurs des présidents de cours d'assises interrogés lors de cette étude  [9], motiver c'est expliquer les raisons qui ont amené la cour à statuer dans un sens ou dans l'autre, force est de constater que dans ce type de motivation le souci pédagogique est inexistant. Il est indéniable que ces motivations sommaires n'atteignent pas non plus l'objectif de donner à l'accusé, voire au ministère public, les éléments permettant d'apprécier l'opportunité d'interjeter appel. Certes, dans la plupart de ces motivations elliptiques, l'accusé a avoué, il n'a donc a priori pas de raisons de faire appel pour contester sa culpabilité. En cas d'appel au quantum, la peine n'étant pas motivée, la motivation, quel que soit son modèle, ne lui sera d'aucune aide. Enfin, l'indigence de ces motivations ne peut permettre une quelconque rationalisation de la prise de décision criminelle. On ne peut alors que conclure à l'inutilité de ces motivations elliptiques qui n'apportent rien de nouveau par rapport à ce qui a été débattu lors de l'audience et pas plus par rapport au dossier de la procédure. Il est en outre possible de douter du fait qu'une présentation aussi elliptique que celle-ci reflète véritablement les principaux points qui ont été débattus lors du délibéré, ce qui est pourtant l'exigence posée par l'article 365-1 CPP.

16Dès lors, comment expliquer que certains présidents, puisque c'est eux qui rédigent les motivations, soient si économes de leurs mots ?

17Les entretiens menés avec ces magistrats  [10] nous permettent d'avancer quelques explications. L'une d'entre elles réside dans le fait que certains présidents ont vécu la réforme de 2011 comme une contrainte, comme une « surcharge de travail » qui leur a été imposée. « Cela a rajouté une strate de complication dans le fonctionnement de la cour d'assises ». Motiver de façon aussi sommaire leur permet de se conformer formellement à l'exigence légale tout en minimisant la contrainte que constitue, selon eux, cette obligation de motivation.

18Certains magistrats invoquent également la crainte d'une censure par la Cour de cassation. La longueur étant considérée comme un risque, l'idée est d'être concis afin de minimiser les risques de censure. Il est pourtant possible de penser que ce caractère extrêmement elliptique n'interdit pas que la Cour de cassation, dans un avenir plus ou moins proche, prononce une censure sur ce motif.

19Les motivations sommaires et les motivations recensement représentent à elles deux 65 % de notre échantillonnage. À côté de ces motivations ne contenant que des éléments à charge, ont été identifiés d'autres modèles de motivation au contenu plus varié.

II - Les motivations à contenu varié

20Si l'article 365-1 CPP envisage seulement la présence d'éléments à charge dans les feuilles de motivation, force est de constater que certaines d'entre elles contiennent d'autres éléments, soit à la place, soit, le plus souvent, en plus de ces éléments à charge. Plusieurs modèles peuvent ainsi être distingués : la motivation démonstrative, péremptoire, pédagogique et narrative.

A - Les motivations démonstratives

21Ces motivations ont ceci de caractéristique qu'elles procèdent toutes par démonstration, soit en fait par l'utilisation notamment de présomption de faits (est déduit d'un élément connu un élément inconnu), soit en droit pour lesquelles est effectué un véritable travail de qualification juridique. La motivation reproduite ci-dessous illustre un tel raisonnement juridique, en l'espèce le rejet d'un fait justificatif, la légitime défense.

Extrait de motivation démonstrative (dossier de meurtre)

SUR LA LEGITIME DEFENSE
Considérant que le fait justificatif tiré de la légitime défense, ne saurait prospérer s'il existe une disproportion manifeste entre le moyen de défense employé, en l'occurrence un coup de couteau au coeur, et la gravité de l'atteinte, présentée par l'accusé comme un seul coup de poing, reçu avant le coup de couteau ;
Considérant qu'en l'espèce, s'il est constant, eu égard au conflit préexistant entre les quartiers Dupleix et Commerce du XVe arrondissement de Paris, aux circonstances de la venue sur les lieux de S... et au nombre des individus présents face à celui-ci, que le contexte était menaçant, il y a lieu de constater que la majorité des témoins, atteste que les principales violences sur l'accusé ont été commises postérieurement au coup de couteau ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des témoignages, tant à l'instruction qu'à l'audience de cette Cour, que bien que D... ait saisi S... par le col de son pull et que pour certains, celui-là ait demandé à ce que certains de ses amis aillent chercher des bombes lacrymogènes, il est établi que D..., n'était porteur d'aucune arme et n'avait pas frappé l'accusé ;
Considérant au surplus, tant à la confrontation devant le juge d'instruction qu'à l'audience de cette Cour, les témoins, à l'exception d'A... ont affirmé que personne n'avait touché S... l'avant le coup de couteau, hormis D... qui l'avait saisi par le col ;
Considérant qu'en toutes hypothèses, et à supposer que soit établi, que des violences aient été exercées sur S... antérieurement au coup de couteau, il ne résulte pas des débats, que la vie de ce dernier ait été mise en danger par ces éventuelles violences, de sorte que sa réplique, consistant à diriger son couteau dans une zone vitale de D... s'est avérée disproportionnée ave la menace ou l'atteinte commise ; qu'il s'ensuit que doit être écarté le fait justificatif tiré de la légitime.

22Quant au domaine de ces motivations démonstratives, il ressort de notre recherche que le recours à ce type de motivation concerne principalement les atteintes à la vie (21 motivations sur 38, soit 58 %), viennent ensuite les atteintes sexuelles (12 motivations, soit 33 %). Ceci est spécifique aux motivations démonstratives puisque les atteintes à la vie constituent dans l'ensemble de notre échantillonnage seulement 30% des infractions, loin derrière les atteintes sexuelles lesquelles représentent 44,8% des infractions principales de nos dossiers.

tableau im5

23Concernant les atteintes à la vie, plusieurs éléments constitutifs de l'infraction ou circonstances aggravantes nécessitent effectivement un travail de qualification : l'intention homicide en premier lieu mais aussi, le cas échéant, la préméditation pour la qualification d'assassinat en sus d'éventuels faits justificatifs, tels que, on l'a vu, la légitime défense. Quant aux atteintes sexuelles, la démonstration consiste dans la plupart des hypothèses à qualifier la contrainte, l'extrait de motivation ci-dessous en constitue un exemple.

Extrait de motivation démonstrative (dossier de viol)

(...) La contrainte résulte de la différence de taille, de force et d'âge entre l'accusé et la victime, de l'endroit obscur, clos et isolé où il l'a entrainée et où elle ne pouvait espérer aucun secours extérieur, de son insistance bien qu'il reconnaisse qu'elle lui a dit non au départ, et des propos menaçants qu'il lui a tenus. L'emprise sur la victime a été d'autant plus forte qu'elle est décrite comme influençable et immature par les experts, étant en outre âgé de seulement 13 ans et demi.

B - Les motivations péremptoires

24Ces motivations, pratiquées par seulement six des vingt-cinq présidents constituant notre échantillonnage, se caractérisent par le fait qu'elles contiennent toutes des affirmations non étayées, en plus ou en remplacement d'éléments à charge. Pour ce type de motivation, on constate en effet que peu d'éléments à charge, voire aucun, autre que l'aveu, sont exposés.

25Certaines formulations, comme « il ressort des débats que.. », « il est constant que...» sont caractéristiques, sans que pour autant elles soient systématiquement employées dans toutes ces motivations que nous avons qualifiées de péremptoires. Est reproduit ci-dessous un exemple de motivation péremptoire.

Exemple de motivation péremptoire (dossier de viol)

Accusé : ..., accusé de viol sur mineur de 15 ans par ascendant légitime
...a reconnu avoir commis sur sa fille...âgée de trois ans les faits qui lui sont reprochés, et il ressort des autres éléments exposés au cours des débats que ces faits peuvent effectivement lui être imputés.
Par ailleurs l'élément intentionnel de l'infraction ressort également des débats.
Sa culpabilité pour ce crime est donc établie.
tableau im6

26Quant aux infractions faisant l'objet de ces motivations péremptoires, aucune ne domine véritablement même si les atteintes sexuelles et les atteintes à la vie sont les plus représentées.
Le fait que ces motivations péremptoires soient rares -5 % de notre échantillonnage - et pratiquées par relativement, peu de présidents de cour d'assises s'explique aisément. Motiver, en effet, consiste à exposer les raisons qui ont emporté la conviction de la cour et du jury. Ce type de motivation semble bien davantage relever de l'affirmation que de l'explication. À maints égards, ces affirmations péremptoires ne constituent pas une motivation véritable, mais sont tout au contraire la négation de la motivation.

C - Les motivations pédagogiques

27Les motivations que nous avons qualifiées de pédagogiques sont peu nombreuses - seulement quatre motivations sur les 317 analysées - mais il nous a semblé néanmoins important de les distinguer compte tenu de leur typicité.

28Ces quatre motivations ont en effet pour point commun de contenir, soit dans un préambule, soit dans le début du corps proprement dit de la motivation, une sorte de « mise au point », de développement à valeur particulièrement pédagogique. Indéniablement en rédigeant ces motivations, les magistrats ont souhaité faire oeuvre de pédagogie et transmettre un message particulièrement explicite à tous, accusés, parties civiles mais aussi opinion publique. La teneur de ces messages à vertu pédagogique diffère, bien sûr, selon l'affaire : viols répétés sur des enfants, terrorisme ou meurtre commis par un militaire.

29Compte tenu de la longueur de ces motivations - 21 pages pour la plus longue, 5 pages pour la plus brève - nous ne reproduisons ci-dessous que les extraits les plus significatifs de ces motivations.

Exemple de motivation pédagogique (dossier de meurtre)

La décision d'exécuter X n'a pas été le fruit d'un geste instinctif dans un contexte d'urgence et de confusion mais bien un choix réfléchi et délibéré.
Le respect de la hiérarchie militaire, même en temps de guerre et a fortiori dans le cadre d'une opération de maintien de la paix ordonnée par l'ONU, ne peut justifier qu'un militaire supprime un homme blessé et ligoté quand bien même il serait responsable d'exactions répétées à l'égard des populations civiles.
En outre loin d'avoir été contraint d'exécuter un ordre à l'évidence illicite, l'adjudant chefR a en réalité toujours pleinement revendiqué le bien fondé de son geste criminel et défendu la légitimité de cet ordre à ses yeux, compte tenu des crimes imputés à X et de l'impuissance de la justice ivoirienne à y mettre un terme.
Son adhésion assumée à l'ordre de tuer X, en violation de toutes les règles nationales et internationales régissant les conflits armés et le traitement des prisonniers, a gravement porté atteinte aux valeurs fondamentales de la République française qu'il était pourtant censé représenter et défendre.

Extrait de motivation pédagogique (dossier d'infractions sexuelles)

Cour d'Assises des Mineurs de statuant en première Instance
FEUILLE DE MOTIVATION
Affaire L... F, B... E et G articles 365-1 du code de procédure pénale
1. Observations liminaires sur la responsabilité pénale de
Si l'Ecole ... a pu développer un projet pédagogique original, les dérives pédophiles qui l'ont accompagnées dès sa création ont réduit à néant ce projet pour ceux qui en ont été victimes.
La Cour d'Assises ne peut en outre que constater, au vu des faits commis sur B... dès 1965, que l'attirance pédophile de L... est bien antérieure à l'Ecole ... et aux événements de mai 1968.
Dès lors, les viols et les agressions sexuelles commis sur de très jeunes garçons pendant plus de 20 ans ne s'inscrivent nullement dans le contexte d'une époque prétendument permissive mais bien dans le cadre d'une sexualité déviante et profondément traumatisant pour les victimes.
Par ailleurs, dès le début des années 1980, plusieurs parents avaient fait par à I... de leur inquiétude vis à vis de la pédophilie et donc de leur profond désaccord sur les relations sexuelles entre adultes et enfants.
Il savait donc parfaitement que son comportement n'était ni accepté socialement ni toléré par les parents dont il a gravement trahi la confiance.
L'éloignement des enfants de leur environnement familial, leur isolement affectif pendant des mois parfois des années, le recours à la nudité et aux massages dérivant vers des caresses sexuelles, le discours permissif sur la pédophilie inspiré de la Grèce antique, la mise en cause systématique des valeurs sociales et parentales, les mises au point collectives parfois humiliantes, caractérisent un conditionnement quasi-sectaire à l'égard d'enfants particulièrement vulnérables dont l'objectif principal était à l'évidence pour lui, non pas d'atteindre un idéal pédagogique utopique dont il aurait l'architecte, mais en réalité d'assurer son emprise psychologique et d'assouvir ses pulsions sexuelles au détriment de leur épanouissement et du projet éducatif affiché par l'association.
Si ceux qui ont échappé à ces dérives pédophiles ont retiré un indéniable bénéfice de leur séjour au sein de l'Ecole..., les enfants qui ont été utilisés comme objets sexuels pendant des années et qui avaient pourtant investi en L... toute leur confiance ont été profondément culpabilisés, déstructurés et meurtris.
Enfin, la Cour relève la lenteur avec laquelle il a finalement admis une partie des fait des dénoncés.

30Ces motivations pédagogiques sont toutes intervenues, au sein de la même cour d'assises, dans des affaires à retentissement médiatique exceptionnel. Ceci explique pour une part pourquoi ces présidents ont eu la volonté de motiver de la sorte. L'auteur de deux de ces motivations pédagogiques confie ainsi que, lorsqu'il y a un débat de société important, il s'efforce dans sa motivation « d'expliquer quel est le positionnement de la cour d'asises dans le débat de société qui est soulevé par [l']affaire ». Il ajoute concernant la motivation adoptée dans le dossier d'infractions sexuelles dont un extrait est reproduit ci-dessus que la lecture du dossier ne lui avait pas permis de « sentir à quel point ce dossier était le reflet d'une évolution sociétale fondamentale. C'était un miroir de l'évolution de la société » qui lui est « apparu important d'introduire dans la motivation ». Sont ainsi explicités dans cette motivation pédagogique le contexte de l'époque, post mai soixante-huit, libéral mais n'autorisant pas pour autant la pédophilie, ainsi que l'ambiance sur le bateau amenant au conditionnement des enfants victimes des viols.

D - La motivation narrative

31La motivation narrative a ceci de particulier qu'elle contient une explication du contexte de l'infraction. Comme son nom l'indique, il s'agit de raconter l'histoire. Les éléments à charge sont restitués dans leur contexte factuel. Le déroulement des événements jusqu'à la commission de l'infraction, puis parfois le cheminement de l'enquête ayant conduit à l'arrestation du ou des accusés sont repris de manière souvent très détaillée. Quant aux éléments à charge, ils sont présentés soit au fur et à mesure de la narration, tant des faits que de l'enquête, soit après la narration du déroulement chronologique des faits. Les faits se comprennent alors à la seule lecture de la motivation. Ce sont souvent des motivations longues dans des affaires complexes. L'extrait de motivation narrative reproduit ci-dessous l'atteste.

Exemple de motivation narrative (dossier de tentative de meurtre)

Cour d'assises de...
Le mardi 19 mars 2013
Feuille de motivation article 365-1 du Code de procédure pénale
Accusé :
Crime : - d'avoir, à... (Loire) le 8 juin 2012 en tous cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, tenté de donner volontairement la mort au Brigadier J... ladite tentative, manifestée par un commencement d'exécution, en l'espèce en ayant tiré sur le policier en face à face au niveau du coeur, avec cette circonstance que les faits ont été commis à l'encontre d'un fonctionnaire de la police nationale dans l'exercice de ses fonctions et n'ayant ainsi manqué son effet que par suite d'une circonstance indépendante de sa volonté (port d'un gilet pare-balles du policier).
Fait prévu et réprimé par les articles 121-5, 221-4, 221-8, 221-9, et 221-9-1 du Code Pénal.
Motivation : la cour d'assises a été convaincue de le culpabilité de l'accusé pour le crime ci-dessus spécifié, en raison des éléments à charge suivants qui ont été discutés lors des débats et qui ont constitué les principaux éléments à charge exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury préalablement au vote sur les questions :
- l'accusé a fait plaider sa cause en admettant qu'il était bien coupable des faits qui lui étaient reprochés à ce titre, même s'il a soutenu qu'il n'avait pas eu l'intention de donner la mort à J...
- cette reconnaissance a été corroborée par les autres éléments à charge ci-dessous :
- les policiers J... F... P... et D... ont déclaré à l'audience de la cour, de façon concordante et conformément à ce qu'ils avaient déjà indiqué au cours de l'enquête et de l'instruction, qu'à la demande de leurs supérieurs hiérarchiques et à celle de sept habitants du quartier de l'Hôtel Dieu de..., ils étaient intervenus en ce lieu dans la nuit du 8 au 9 juin 2011 et avaient constaté la fin d'une bagarre sans gravité opposant un nombre indéterminé d'hommes, variant de 5 à 7, qui s'étaient enfuis à leur vue ;
- ayant débuté le contrôle d'identité de certains d'entre eux, ils se sont aperçus qu'un homme s'enfuyaient en courant voulant échapper à ce contrôle ;
- poursuivi par J... qui l'a déséquilibré à l'intersection du quai de la Rive et la rue de la Charité, cet homme a fait feu dans sa direction et dans celle de R..., à deux reprises, puis après s'être retourné et placé de face par rapport aux poursuivants, a encore trié dans leur direction avec un pistolet, à une distance d'environ 1,50 m, en atteignant J... à la partie gauche de la poitrine, la balle ayant été arrêtée par son gilet pare-balles ; J... a contourné le tireur et tandis que R... lui faisait un balayage au niveau des jambes, ce qui entraînait sa chute au sol, le premier policier a réussi à maintenir l'individu interpellé à personnellement vu l'accusé tirer en direction de ses collègues ;
- s'il est donc acquis que Y... a bien volontairement tiré en direction de J... et de R... il ne résulte pas de circonstances matérielles de la cause que la preuve soit rapportée qu'il avait, à ce moment là, des intentions homicides ;
- comme précédemment, la cour a considéré comme constant que J... et R... étaient bien, au moment des faits, fonctionnaires de police dans l'exercice de leurs fonctions, qu'ils étaient revêtus de leurs uniformes, lesquels comportaient des inscriptions réfléchissantes sérigraphiées « police », qu'ils avaient fait des sommations à l'accusé à de nombreuses reprises, ainsi que leurs collègues présents à proximités de véhicules sérigraphiés et dont les gyrophares étaient allumés, de sorte que l'accusé ne pouvait pas ignorer leur qualité de policiers;
tableau im7

32Parmi les 13 motivations narratives recensées, soit environ 4 % de notre échantillonnage, a été relevée une surreprésentation des atteintes à la vie.
Quelques professionnels rencontrés, particulièrement des avocats généraux, sont assez sceptiques face à ce type de motivation  [11]. Ils ne sont pas loin de penser que, parfois, la motivation n'est en rien une oeuvre originale. Plus précisément, elle ne serait que la reprise du rapport préalable ou de certains éléments de l'ordonnance de mise en accusation (OMA), voire la reprise du rapport préalable qui ne serait lui-même qu'un copier-coller de cette OMA. Certains ajoutent que l'OMA elle-même reprendrait en grande partie le réquisitoire du parquet. Si tel est le cas, la motivation ne peut prétendre se conformer aux exigences légales. La motivation doit en effet contenir les principaux éléments à charge, exposés au cours des délibérations  [12]. Comme l'explicite un magistrat, elle doit être « le reflet [...] des débats judiciaires, du procès, cela ne peut pas être le reflet de l'instruction ou alors cela signifie que le procès n'a pas de sens, n'a pas d'utilité et après tout dispensons-nous du procès et jugeons sur dossier avec des conclusions écrites ! »  [13]. Assurément, on ne peut espérer cela pour le devenir de la cour d'assises.


Date de mise en ligne : 01/04/2019

https://doi.org/10.3917/cdlj.1704.0587

Notes

  • [1]
    Pour chaque dossier ont été collectés et analysés l'arrêt pénal, la feuille de questions, l'ordonnance de mise en accusation et la feuille de motivation.
  • [2]
    Sur ce point v. La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, p. 70 « Analyse des données statistiques ».
  • [3]
    Les éléments à charge identifiés à l'intérieur des feuilles de motivation sont les suivants : aveu de l'accusé, déclarations de la partie civile, autres déclarations ou témoignages, expertises médico-légales, preuves éléments matériels hors expertise, présomption de faits, expertise psychologique ou psychiatrique de la partie civile, contradictions entre les déclarations de l'accusé et les éléments du dossier, expertise ADN, déclaration du coauteur, contradiction dans les déclarations de l'accusé, expertise psychologique ou psychiatrique de l'accusé, expertise autre (balistique, etc.), expertise psychologique ou psychiatrique de la victime (non constituée).
  • [4]
    Circulaire du 15 déc. 2011 relative à la présentation des dispositions de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, relatives à la cour d'assises applicables au 1er janv. 2012, NOR : JUSD1134281C.
  • [5]
    Circulaire du 15 déc. 2011, op. cit.
  • [6]
    Ces arrêts ont en effet disparu depuis qu'a été créée par la loi organique n° 2001539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au CSM une procédure de non admission des pourvois. V. M. Cottin, « La Cour de cassation se dote d'une procédure d'admission des pourvois en cassation », D. 2002. 748.
  • [7]
    A. Perdriau, Des « arrêts brévissimes » de la Cour de cassation, JCP 1996, I, 3943, n° 40 et s. ; V. Vigneau, Le régime de la non-admission des pourvois devant la Cour de cassation, D. 2010. 102 et s., spéc. p. 108.
  • [8]
    Circulaire du 15 déc. 2011, op. cit.
  • [9]
    La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, p. 83.
  • [10]
    La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, op. cit., p. 84.
  • [11]
    V. La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, p. 99.
  • [12]
    Art. 365-1 CPP.
  • [13]
    Un président de cour d'assises interroge, in La motivation en actes. Analyse empirique de la motivation des décisions de cours d'assises, p. 99.

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