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Article de revue

Le juge et le notaire à l'heure de la déjudiciarisation

Pages 161 à 171

Notes

  • [1]
    Amendement n° C L186 du 30 avr. 2016.
  • [2]
    Pour paraphraser Georges Brassens qui définissait la mort comme le moment où l'âme et le corps ne sont plus d'accord que sur un seul point : la rupture (Supplique pour être enterré à la plage de Sète).
  • [3]
    Rapport Guinchard, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, La Documentation française, 2008.
  • [4]
    J. Casey, « Procédure de divorce et liquidation du régime matrimonial. Le divorce de la raison et du possible ? », Droit de la famille, n° 1, janv.. 2008, étude 1.
  • [5]
    P. Potentier, « Le juge et le notaire », La Semaine juridique notariale et immobilière, n° 23, 6 juin 2008, 1214.
  • [6]
    V. le Rapport d'enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs, paru en 1998, et le Livre blanc sur la protection des majeurs rédigé en 2012.
  • [7]
    Par un mandat sous seing privé, le mandant ne peut donner pouvoir au mandataire de vendre ses biens immobiliers et la loi prévoit que le juge des tutelles pourra à tout instant demander au greffier en chef du tribunal d'instance de vérifier les comptes du mandataire selon les modalités de l'article 511 du code civil.
  • [8]
    L'article 1255 du code de procédure civile précise en effet que « la désignation anticipée du curateur ou du tuteur prévue par l'article 448 du code civil ne peut être faite que par une déclaration devant notaire ou par un acte écrit en entier, daté et signé de la main du majeur concerné ».
  • [9]
    « Actes de notoriété : Rachida Dati justifie la compétence exclusive du notaire », La Semaine juridique notariale et immobilière, 7 nov. 2008.
  • [10]
    La renonciation à succession devant notaire concernera les successions ouvertes à compter du 1er novembre 2017.
  • [11]
    On peut y ajouter la simplification du partage avec incapable (2006) ou la quasi suppression de l'ordonnance d'envoi en possession (2016).
  • [12]
    Source : Conseil supérieur du notariat.
  • [13]
    Comme le chantait Georges Brassens - qui aura donc accompagné cet article - dans La Marche nuptiale.

1C'est en toute discrétion, à la suite d'un amendement gouvernemental surprise et printanier [1] introduit dans le projet de loi « Justice du XXIe siècle », que le divorce et, par voie de conséquence, le mariage viennent de connaître une petite révolution : les époux qui ne s'entendent plus que sur un seul point, la rupture [2] du mariage, n'auront plus à se tourner vers le juge pour qu'il prononce leur divorce ; c'est au notaire qu'il revient de constater celui-ci.

2Une petite révolution qui fut loin de déclencher la même passion que l'ouverture, au début du quinquennat de François Hollande, du mariage aux couples de même sexe. L'adoption définitive du texte par l'Assemblée nationale, le 12 octobre 2016, et la décision du Conseil constitutionnel, le 17 novembre 2016, de ne pas le censurer, sont passées quasi inaperçues. Il s'agit pourtant d'une réforme qui consacre la thèse de ceux qui voient dans le mariage un contrat et non une institution et qui supprime l'une des différences jusque-là mises en avant entre le mariage et le pacs : les partenaires étaient dispensés d'aller au tribunal pour mettre fin à leur union ; pas les époux.

Un divorce sans juge ?

3Sans remonter à la loi Naquet qui, en 1884, autorisa le divorce, accordons-nous un flash-back d'une quarantaine d'années en nous rappelant que c'est à une époque où la France était gouvernée à droite que le ministre de la Justice de Valéry Giscard d'Estaing, Jean Lecanuet, parvint à convaincre l'Assemblée d'instaurer le divorce par consentement mutuel. Nous étions en 1975, peu après les événements de mai 1968, et cette réforme s'inscrivait dans un mouvement législatif de modernisation de la société impulsé par des hommes et des femmes politiques qui ne donnaient pourtant pas spécialement l'image d'une bande de beatniks échappés du festival de Woodstock. Un mouvement symbolisé également par la majorité à 18 ans et la légalisation de l'avortement.

4Avant cette réforme, quand un couple souhaitait mettre fin à son mariage, il devait, pour saisir le tribunal, s'inventer des torts et demander à des amis des témoignages de complaisance. Une mascarade dont personne n'était dupe et qui discréditait le rôle des juges et des avocats. Dans le film de Claude Sautet Vincent, François, Paul et les autres, sorti en 1974, on voit ainsi le personnage interprété par Yves Montand solliciter de ses amis, joués par Serge Reggiani et Michel Piccoli, de fausses lettres de témoignage contre son épouse, incarnée par Stéphane Audran ; au grand dam de ces derniers qui considèrent la femme de leur copain comme une amie. Un an plus tôt, c'est en musique que Michel Delpech décrivait cette situation dans sa chanson Les Divorcés : « Si tu voyais mon avocat, / Ce qu'il veut me faire dire de toi : / Il ne te trouve pas d'excuses. / Les jolies choses de ma vie, / Il fallait que je les oublie : / Il a fallu que je t'accuse ».

5Devant ces difficultés, beaucoup de couples continuaient à cohabiter et leurs enfants étaient alors témoins de leur déchirure ; d'autres vivaient séparés de fait et refaisaient bientôt leur vie sans pouvoir se remarier. Un adultère - voire une bigamie - provoqué par une loi obsolète, que le film de Claude Sautet, mais aussi La Gifle de Claude Pinoteau, sorti la même année, mettaient en scène. Dans le film qui rendit célèbre Isabelle Adjani, Lino Ventura et Annie Girardot, sans être divorcés, vivent en effet en couple, chacun de leur côté.

6La réforme de 1975 était donc indispensable, même si certains avaient exprimé la crainte qu'en facilitant le divorce on contribue à le développer. Jean Lecanuet, devant les caméras de télévision, jurait ses Grands Dieux que non : on connaît la suite.

7En 2004, alors que, déjà, l'on regrettait que les tribunaux soient débordés et que la soif de rapidité était en train de gagner chaque jour un peu plus les esprits, la procédure fut simplifiée à la satisfaction générale : il fut décidé que les époux n'auraient plus à passer qu'une seule fois devant le juge quand, auparavant, après avoir présenté leur requête, ils devaient attendre trois mois pour pouvoir la réitérer.

8 On avait à peine eu le temps de goûter les bienfaits de cette simplification qu'une annonce gouvernementale fit, en 2008, l'effet d'une bombe : à la demande du président Sarkozy, la garde des Sceaux, Rachida Dati, venait de confier à Serge Guinchard le soin de rendre un rapport qui proposerait des pistes de déjudiciarisation, et notamment de réfléchir à la possibilité de confier le divorce amiable aux notaires. Une nouvelle qui fut interprétée comme une déclaration de guerre faite aux avocats par les tabellions, alors que ces derniers étaient les premiers étonnés par la nouvelle qui, au reste, ne visaient pas à écarter les avocats de la procédure, mais les juges. Comme beaucoup de familles, la grande famille du droit se trouvait ainsi déchirée à la suite d'un malentendu. En l'occurrence, comme pour réconcilier tout le monde, la conclusion du rapport, rendu en juin 2008, fut qu'il n'était pas opportun de dessaisir le juge du divorce sans contentieux [3].

Un gouvernement en quête d'économies

9Mais, et c'est devenu une tarte à la crème de l'écrire, tout s'accélère dans la société contemporaine et la réforme de 2004 ne permettait plus, face à des unions de plus en plus fragiles, d'une part, et aux manques de moyens des tribunaux, d'autre part, de rendre dans des délais qui paraissent raisonnables des jugements de divorce par consentement mutuel. Et malgré les conclusions du rapport Guinchard de 2008, certes commandé sous une autre présidence, le gouvernement a donc sauté le pas d'une déjudiciarisation partielle du divorce.

10Contrairement à 1975, personne ne remettait pourtant en cause le mécanisme législatif. La problématique était plus terre à terre : à défaut d'augmenter le nombre de juges, solution contraire aux nécessaires économies budgétaires de l'État, le gouvernement a décidé de les décharger des dossiers de divorces amiables.

Le justiciable y trouvera-t-il son compte ?

11Au regard de la vitesse de la procédure, peut-être. Mais comme aimait à le rappeler Thierry Rolland en pleine épopée des Verts de 1976, soit un an après la naissance du divorce par consentement mutuel : « il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ».

12 Au regard du coût de la procédure, sûrement pas, puisque le couple sera dorénavant obligé de recourir à deux avocats, au lieu d'un auparavant. Au regard de l'équité, enfin, un doute existe. Car, dans le système de 1975, la menace de voir le juge refuser de prononcer le divorce, « s'il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l'un des époux », incitait les époux à une certaine autodiscipline. Dans le système nouveau, l'équilibre de la convention reposera sur les épaules des avocats et de nombreuses associations, notamment de défense du droit des femmes, ont fait valoir que le sort des parties allait ainsi dépendre de la qualité de leur défenseur présupposée proportionnelle au montant de leurs honoraires. D'autres ont considéré que seul le magistrat est le garant de l'intérêt des enfants. Un amendement a ainsi été proposé sans succès par le sénateur Yves Détraigne pour limiter la déjudiciarisation du divorce amiable aux couples sans enfants.

13 Car il convient de souligner que, dans le nouveau divorce par consentement mutuel, le notaire ne remplace pas à proprement parler le juge. Là où le rôle du juge, défini par le législateur de 1975, était de juger, ce qui est bien naturel, de la qualité de la convention avant de prononcer le divorce - rôle actif s'il en est -, celui du notaire, dessiné par le législateur de 2016, se limite, sans qu'il rencontre les époux, à vérifier que la convention qui lui aura été adressée par les avocats est valable en la forme pour ensuite lui donner la force exécutoire et « constater », et non « prononcer », le divorce. La nuance est de taille. Le juge qui prononçait un divorce faisait connaître sa décision. Le notaire qui constatera le divorce rendra exécutoire la décision des époux.

14 L'État y trouvera-t-il son compte ? Rien n'est moins sûr. Que l'on se reporte au rapport Guinchard évoqué plus haut, et l'on peut lire que, « pour l'État lui-même, le gain à attendre d'une telle déjudiciarisation est très incertain, au regard des postes de juges et de greffiers dont il pourrait ainsi faire l'économie ». À cela, on pourra ajouter la probabilité de voir ces divorces aux conséquences décidées sans le contrôle d'un juge donner lieu à de plus nombreuses procédures en révision ; mais aussi, à une diminution du nombre des procédures amiables et, parallèlement, une augmentation de celui des procédures contentieuses. Enfin, l'intervention de deux avocats aura pour corollaire une demande accrue d'aide juridictionnelle.

Dix ans de déjudiciarisation

15Cette réforme s'inscrit dans une récente évolution législative qui, quelles qu'en soient les raisons - sociologiques, philosophiques ou plus simplement budgétaires -, tend, notamment dans le domaine du droit de la famille, à décharger le juge de certaines missions, parfois pour les confier au notaire.

16 Dès le début de cette vague de déjudiciarisation, certains regrettaient une contractualisation du droit de la famille, comme Jérôme Casey : « En bout de course, il faut un tiers pour regarder le résultat de cette négociation, pour lui donner toute sa valeur. Le retrait du juge n'est jamais une bonne chose, ce vide n'étant pas remplacé quoiqu'on en dise » [4].

17D'autres, comme Philippe Potentier, préféraient y voir la victoire de la volonté unilatérale : « En vérité, ce qui caractérise le mieux cette tendance législative, c'est de dire que la volonté est source de droit, et qu'à côté d'un droit légal, qui reste prégnant par nécessité et applicable par défaut, on encourage parallèlement un droit volontaire, chargé de se substituer à ce droit légal qui devient de ce fait subsidiaire » [5].

18 Sur les dix années qui viennent de s'écouler, on peut ainsi passer en revue quelques réformes qui ont eu un impact significatif sur la pratique des tribunaux, comme des notaires.

Le changement de régime matrimonial

19Comme de divorcer, changer de régime matrimonial n'a pas toujours été possible : ce n'est que depuis 1965 qu'un couple en a la faculté. Mais le législateur de l'époque avait, pour tempérer son audace, exigé que l'acte notarié par lequel les époux exprimaient leur décision soit homologué par le juge, qui devait vérifier que la démarche était bien guidée par l'intérêt de la famille et non par le souci de nuire aux enfants ou aux créanciers.

20Mais les mentalités évoluent, et les époux du XXIe siècle comprenaient mal d'avoir à demander à un juge l'autorisation d'adopter un régime matrimonial qui leur paraissait mieux adapté à leur situation, tandis qu'un couple de concubins qui décidaient de régulariser leur situation pouvait choisir librement, dans un contrat de mariage, le régime matrimonial qui lui convenait. De surcroît, très rares étaient les refus d'homologation, alors que les délais pour obtenir un jugement atteignaient souvent une année. Grand était le risque qu'un des époux décède dans l'intervalle, alors que souvent une telle démarche est guidée par le souci d'organiser au mieux sa succession.

21Cette nécessité d'obtenir l'homologation judiciaire de l'acte de changement de régime matrimonial a été utilement supprimée en 2006. À présent, le notaire notifie l'acte aux enfants et aux éventuels créanciers du couple, lesquels disposent d'un délai de trois mois pour s'y opposer. En l'absence d'opposition, l'acte prend effet rétroactivement au jour de sa signature, ce qui résout le problème d'un décès trop rapide. Un jugement d'homologation n'est plus nécessaire qu'en présence d'enfants mineurs, ou en cas d'opposition des créanciers ou des enfants majeurs.

Des alternatives à la tutelle

22L'engorgement des services des tutelles des tribunaux d'instance est regretté depuis bientôt vingt ans. Les rapports se sont suivis et ressemblés à ce sujet [6], pour constater deux phénomènes parallèles : l'augmentation des tutelles en raison de l'allongement de l'espérance de vie, mais aussi de nouveaux cas d'incapacité dus à l'alcoolisme et à la toxicomanie ; et la diminution régulière des moyens humains et financiers des tribunaux d'instance. À défaut de pouvoir augmenter ces moyens, il s'est agi d'imaginer des procédures remplaçant la tutelle.

L'habilitation familiale

23La récente habilitation familiale, imaginée en 2015, est l'une d'elles. Elle permet, quand une personne n'est plus en mesure de manifester sa volonté, qu'un proche - ascendant, descendant, partenaire de pacs, concubin - soit désigné par le juge des tutelles pour la représenter dans tous les actes de sa vie ou seulement pour certains. Cette personne n'est donc plus placée sous tutelle, de sorte que le juge se trouve déchargé du contrôle de la gestion de la personne habilitée.

24 Avant cette réforme, un mécanisme comparable existait déjà, mais seulement au profit du conjoint de la personne diminuée. Cette nouvelle mesure, fort bienvenue, qui évite pour les proches la démarche mal vécue de devoir mettre un parent sous tutelle, prend en compte deux phénomènes de société : l'allongement de l'espérance de vie et la crise du mariage. Le retraité du XXe siècle, s'il vivait en couple, était marié et ne divorçait pas, ou presque pas. Celui du XXIe siècle ose choisir le concubinage ou le pacs pour partager son toit et peut se retrouver seul à la suite d'un divorce. On dispose donc moins souvent qu'auparavant d'un conjoint pour représenter les victimes d'une maladie d'Alzheimer.

Le mandat de protection future

25La réforme de la protection juridique des majeurs de 2007 avait déjà introduit dans notre droit une véritable alternative à la tutelle : le mandat de protection future notarié. Par cet acte, une personne en pleine possession de ses moyens peut désigner celui qui aurait pour mission de le représenter s'il était un jour dans un état qui aurait nécessité sa mise sous tutelle. Profitant de sa lucidité, il donne à son mandataire toutes les instructions sur les actes patrimoniaux ou personnels qu'il souhaite qu'il entreprenne dans cette éventualité. Et si le mandat prend effet, c'est au notaire que revient le soin de vérifier la gestion du mandataire.

26 La signature d'un mandat de protection future, s'il est notarié [7], évite ainsi au juge des tutelles d'intervenir aux trois étapes essentielles d'une tutelle : le jour où le mandant est considéré médicalement inapte à manifester sa volonté, puisque le simple visa par le greffier de l'expédition de l'acte et d'un certificat médical rend effectif le mandat ; à l'occasion d'actes de gestion qui auraient nécessité qu'il rende une ordonnance d'autorisation ; en fin d'année, dans le cadre du contrôle de la gestion du mandataire.

27Cependant, ce mandat peine à devenir de pratique courante. Une des causes de ce succès en demi-teinte est sans doute l'impossibilité pour le mandant de donner pouvoir au mandataire de vendre ses résidences principale et secondaire sans que ce dernier doive obtenir, au préalable, une autorisation du juge des tutelles.

28Le mandat de protection future séduit le public parce qu'il confère au mandant la certitude qu'il ne sera jamais mis sous tutelle et qu'il lui assure la possibilité de garder la main sur l'organisation des dernières années de sa vie, sans qu'un tiers, en l'occurrence un juge, s'immisce dans ses choix. Or, la grande majorité des Français ne possède qu'un bien immobilier, leur résidence principale, et ce bien constitue l'essentiel de leur patrimoine. Celui qui souhaitait régulariser un mandat de protection future a le sentiment d'un retour à la case départ quand on lui explique que son mandataire, comme un tuteur, devra solliciter une autorisation du juge pour vendre ce bien.

La désignation de son futur curateur ou tuteur

29Proche, dans l'esprit, du mandat de protection future, est l'acte, lui aussi issu de la réforme de 2007, par lequel une personne désigne son éventuel curateur ou tuteur.

30Cette déclaration, dont le législateur a voulu prioritairement confier la rédaction au notariat [8], participe elle aussi, quoique plus modestement, à la déjudiciarisation : tout en permettant au particulier de prendre une part active à l'organisation de son incapacité éventuelle, elle décharge le magistrat du choix du représentant. Ainsi allégées, les procédures de mise sous tutelle ou curatelle devraient s'en trouver accélérées.

L'acte de notoriété

31Mais il n'est pas que le juge des tutelles que le notaire a été appelé, ces dernières années, à épauler.

32La loi relative à la simplification du droit de 2007 a ainsi déchargé les tribunaux d'instance de la délivrance des actes de notoriété établissant les dévolutions successorales, pour confier cette mission aux seuls notaires, spécialistes reconnus des successions. Depuis, les héritiers dont l'auteur ne possédait pas de patrimoine notable et qui, auparavant, obtenaient du tribunal d'instance l'acte de notoriété permettant de débloquer un livret de Caisse d'épargne ou de vendre une voiture doivent se tourner vers le notaire pour obtenir ce sésame ouvre-toi. À en croire Rachida Dati, garde des Sceaux à l'origine de cette réforme, c'est d'environ trente mille actes de notoriété par an que les greffiers en chef des tribunaux se sont trouvés déchargés grâce à cette nouvelle mission de service public notarial [9].

Le consentement à adoption

33Trois ans plus tard, le législateur a cette fois fermé le bureau du greffier en chef du tribunal de grande instance aux particuliers désireux de faire enregistrer leur consentement à une adoption ; ces consentements doivent à présent nécessairement être constatés dans un acte notarié.

34En l'occurrence, bon nombre de dossiers d'adoption simple trouvent leur origine dans une conversation avec un notaire. C'est souvent ce dernier qui en a donné le conseil à une famille harmonieusement recomposée qui, parfois, en ignorait même la possibilité et qui découvre avec bonheur les effets tant civils que fiscaux d'une telle adoption : s'il est adopté par le conjoint de son parent, non seulement le bel enfant se mue en enfant - et, à ce titre, est appelé à hériter de l'adoptant - mais, de surcroît, il bénéficiera du tarif fiscal des transmissions en ligne directe bien plus avantageux que celui entre étrangers (un abattement de 100 000 euros et un impôt le plus souvent limité au taux de 20 % contre un abattement de 1 594 euros et des droits calculés à 60 %...). La démarche s'inscrira donc dans un dossier de donation ou dans le cadre de la préparation d'une succession. Aussi, que le consentement à adoption doive être constaté dans un acte reçu par un notaire paraît aller de soi et décharge utilement les greffes des TGI.

L'enregistrement des PACS

35Depuis 2011, ont été dévolues aux notaires les formalités d'enregistrement des pacs notariés, autrefois de la compétence exclusive du greffe du tribunal d'instance. Les partenaires avaient ainsi le choix entre régulariser leur convention par acte sous seing privé et la faire enregistrer au tribunal, avec des délais, une fois encore, de plus en plus longs ; ou confier la rédaction de leur pacs au notaire qui en assure alors aussitôt l'enregistrement.

36 En la matière, les réformes succèdent aux réformes à un rythme effréné : la loi « Justice du XXIe siècle » évoquée au début de cet article décharge cette fois définitivement les tribunaux d'instance de l'enregistrement des pacs sous seing privé pour confier cette mission aux officiers d'état civil. Un transfert qui avait déjà été préconisé en 2008 par le rapport Guinchard, encore lui. L'Association des maires de France s'y était alors opposée, inquiète, à une époque où le mariage était encore nécessairement hétérosexuel, d'une confusion entre le pacs et la vieille institution. On le constate, tout évolue bien vite.

La renonciation à succession devant notaire [10]

37Cette même loi « Justice du XXIe siècle » laisse la possibilité aux héritiers qui le souhaitent de renoncer à une succession dans un acte notarié, et non plus obligatoirement auprès du greffe du tribunal de grande instance, comme c'était jusque-là la règle.

38Le rapport Guinchard, on y revient, avait considéré qu'en raison de la gratuité de la démarche cette déclaration devait rester de la compétence exclusive du tribunal de grande instance. L'héritier voulant échapper aux dettes de son auteur trouvait à coup sûr cette analyse à son goût, a fortiori depuis que l'on peut transmettre sa déclaration au greffe du tribunal sans se déplacer, facilité accordée par la loi de simplification et d'allégement des procédures de 2009.

39Mais l'existence de dettes supérieures à l'actif successoral n'est pas la seule raison qui conduit à renoncer à une succession. L'allongement de l'espérance de vie - encore elle ! -a pour conséquence que l'on hérite de plus en plus tard. Et, depuis 2006, la représentation successorale de l'héritier renonçant, autrefois impossible, est devenue la règle. Avant cette réforme, en effet, la part qui aurait dû revenir au renonçant profitait aux acceptants. Aujourd'hui, elle profite à ses enfants.

40Aussi, est-il de plus en plus fréquent de voir un orphelin retraité préférer que ses enfants héritent directement de leur grand-mère, plutôt que de devoir leur consentir une donation une fois la succession de sa mère acceptée. D'autant que, fiscalement, les enfants venant en représentation bénéficient du même tarif que celui auquel aurait été soumis leur parent.

41Une renonciation à succession, qui évite une double mutation, s'avère un nouvel outil de transmission au régime fiscal particulièrement intéressant. Or, sauf à être très bien informé - l'ubérisation du droit a ses limites... -, l'héritier qui s'en servira le fera sur le conseil du notaire de la succession. Et comme le délai pour obtenir du greffe le récépissé de la déclaration de renonciation était parfois de plusieurs mois, on regrettait que cette renonciation ne puisse pas résulter d'une déclaration faite dans l'un des actes reçus par le notaire. Tant que ce récépissé n'était pas obtenu, le dossier de succession se trouvait en attente ; il était impossible de vendre les biens immobiliers sur lesquels continuaient de courir les charges, et le délai fiscal de six mois pour payer les droits de succession était difficilement respecté, ce qui entraînait des intérêts de retard.

Le notaire, « magistrat de prévention »

42Ce récent mouvement de déjudiciarisation, dont il vient d'être dressé le catalogue non exhaustif [11], décharge, peu à peu, les juridictions de missions que le rapport Guinchard, maintes fois cité, qualifiait de « notariales ou administratives, en ce sens qu'elles se rattachent à des missions d'officier public ou de service public, sans pour autant mettre en œuvre un pouvoir d'appréciation juridictionnel ».

43 Semblable évolution législative souligne la parenté qui existe entre le juge et le notaire. Ce n'est pas pour rien que ce dernier est qualifié de magistrat de l'amiable. Son acte authentique a non seulement une date certaine, une force probante, mais aussi la force exécutoire, tout comme une décision judiciaire.

44 D'ailleurs, dans l'esprit des particuliers, la frontière est parfois difficile à cerner entre le notaire et le juge. Beaucoup seraient prêts à voir, dans le notaire, un juge de paix, un magistrat de proximité, vers qui l'on se tourne dans une démarche volontaire. À l'occasion, par exemple, du règlement d'une succession, en cas de divergence avec un cohéritier, ils peuvent être surpris d'entendre le notaire leur répondre qu'il « n'est pas juge » et que la question, pour être tranchée, doit être portée devant le tribunal.

45 Et quand une mise sous tutelle ou sous curatelle d'un de leurs proches s'avère nécessaire, le réflexe de bon nombre de justiciables est de prendre d'abord rendez-vous chez leur notaire. Certains s'attendent à ce que ce dernier puisse procéder à la mesure de protection. À défaut, ils se renseignent auprès de lui sur les différentes solutions qui s'offrent à eux, auxquelles vient s'ajouter à présent l'habilitation familiale. Quant au mandat de protection future, cela faisait bien longtemps que les notaires entendaient, à l'occasion de discussions avec leurs clients, exprimer le voeu qu'un tel outil notarial existe.

46Sur ces questions de pertes d'autonomie, de plus en plus fréquentes et qui angoissent et touchent douloureusement les familles, le notaire est le premier confident. Accessible, il remplit son rôle de « notaire de famille ».

47Mais il n'est pas besoin de réformes pour que le notaire, au quotidien, participe à la déjudiciarisation. Il y travaille en établissant des actes dont moins de 1 pour 1000 [12] donne lieu à un contentieux ; en cherchant, quand cela devient nécessaire, à faire naître dans l'intimité de son bureau le dialogue entre les parties pour parvenir à un accord ; en les invitant, le cas échéant, à saisir un centre de médiation notarial ; et, avec la conviction que mieux vaut prévenir que guérir, en cherchant à conseiller ses clients en amont pour leur éviter des querelles ultérieures.

48C'est ainsi qu'à l'occasion d'un achat à deux, le notaire pourra alerter le couple sur la nécessité de déterminer avec précision, dans l'acte, les proportions d'acquisition, pour que celles-ci reflètent bien la participation de chacun. Si, d'aventure, l'histoire d'amour connaissait un triste épilogue, cette précaution permettra de ne pas envenimer les opérations de partage. Les bons comptes font les bonnes séparations, en quelque sorte. Les amoureux de 2017, rendus conscients de la fragilité de leur union par les exemples qui les entourent ou par leur propre expérience, sont aujourd'hui plus réceptifs que leurs aines à ces conseils de prudence notariale.

49Quant au couple qui décide, après « long temps d'amour, long temps de fiançailles » [13] et un éventuel passage par la case « pacs », de sauter le pas et de se marier, il trouvera, dans les conseils du notaire sur le choix du régime matrimonial, le moyen d'éviter au maximum les motifs de friction dans le cadre de la succession du premier des deux qui s'éteindra ou - le nombre d'années de réflexion n'étant pas gage de pérennité - à l'occasion de leur divorce.

50 De plus en plus souvent, d'ailleurs, ces futurs époux, sans doute inspirés par l'exemple de stars américaines dont la presse se fait parfois l'écho, interrogent le notaire sur la possibilité, dans le contrat de mariage, d'organiser à l'avance leur éventuel divorce. Ce qui a conduit la profession notariale à réfléchir, au cours de son congrès tenu à Marseille en juin 2014, sur la possibilité de déterminer une formule de calcul de la prestation compensatoire dans le contrat de mariage ou dans un acte notarié dressé en cours d'union. Une prestation que le juge aurait pu revisiter si, au moment du divorce, elle ne correspondait plus aux hypothèses fixées à l'origine.

51 Cette proposition n'a finalement pas été retenue par les congressistes, mais nul doute que ce débat sera repris dans les années à venir. Cette évolution probable, tout en participant à la déjudiciarisation et en témoignant de la complémentarité entre le juge et le notaire, serait un pas de plus vers la contractualisation du mariage dont la réforme du divorce par consentement mutuel, on l'a dit au début de cet article, constitue une première étape. Preuve que l'on peut voir, dans le mouvement de déjudiciarisation, le reflet de l'évolution de la société dont le juge et le notaire sont les témoins attentifs.

Notes

  • [1]
    Amendement n° C L186 du 30 avr. 2016.
  • [2]
    Pour paraphraser Georges Brassens qui définissait la mort comme le moment où l'âme et le corps ne sont plus d'accord que sur un seul point : la rupture (Supplique pour être enterré à la plage de Sète).
  • [3]
    Rapport Guinchard, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, La Documentation française, 2008.
  • [4]
    J. Casey, « Procédure de divorce et liquidation du régime matrimonial. Le divorce de la raison et du possible ? », Droit de la famille, n° 1, janv.. 2008, étude 1.
  • [5]
    P. Potentier, « Le juge et le notaire », La Semaine juridique notariale et immobilière, n° 23, 6 juin 2008, 1214.
  • [6]
    V. le Rapport d'enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs, paru en 1998, et le Livre blanc sur la protection des majeurs rédigé en 2012.
  • [7]
    Par un mandat sous seing privé, le mandant ne peut donner pouvoir au mandataire de vendre ses biens immobiliers et la loi prévoit que le juge des tutelles pourra à tout instant demander au greffier en chef du tribunal d'instance de vérifier les comptes du mandataire selon les modalités de l'article 511 du code civil.
  • [8]
    L'article 1255 du code de procédure civile précise en effet que « la désignation anticipée du curateur ou du tuteur prévue par l'article 448 du code civil ne peut être faite que par une déclaration devant notaire ou par un acte écrit en entier, daté et signé de la main du majeur concerné ».
  • [9]
    « Actes de notoriété : Rachida Dati justifie la compétence exclusive du notaire », La Semaine juridique notariale et immobilière, 7 nov. 2008.
  • [10]
    La renonciation à succession devant notaire concernera les successions ouvertes à compter du 1er novembre 2017.
  • [11]
    On peut y ajouter la simplification du partage avec incapable (2006) ou la quasi suppression de l'ordonnance d'envoi en possession (2016).
  • [12]
    Source : Conseil supérieur du notariat.
  • [13]
    Comme le chantait Georges Brassens - qui aura donc accompagné cet article - dans La Marche nuptiale.
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