Couverture de CDLJ_1602

Article de revue

Le juge français, le juge européen et le législateur face à la gestation pour autrui

Pages 191 à 203

Notes

  • [1]
    Cass., ass plén., 3 juill. 2015, no 14-21.323, Bull. I, no 45, D. 2015. 1819, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1481, édito. S. Bollée ; ibid. 1773, point de vue D. Sindres ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 857, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 915, obs. REGINE ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 496 ; ibid. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 885, et la note ; RTD civ. 2015. 581, obs. J. Hauser.
  • [2]
    Sur les aspects médicaux, V. l'art, de S. Javerzat, publié dans le présent numéro.
  • [3]
    Cass., ass. plen., 31 mai 1991, no 90-20.105, Bull. no 4, D. 1991. 417, rapp. Y. Chartier ; ibid. 318, obs. J.-L. Aubert, note D. Thouvenin ; ibid. 1992. 59, obs. F. Dekeuwer-Défossez ; RFDA 1991. 395, étude M. Long ; Rev. crit. DIP 1991. 711, note C. Labrusse-Riou ; RTD civ. 1991. 517, obs. D. Huet-Weiller ; ibid. 1992. 88, obs. J. Mestre ; ibid. 489, étude M. Gobert.
  • [4]
    Cass. 13 sept. 2013, 1re civ. pourvois no 12-18.315, D. 2013. 2382, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2349, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 954, obs. REGINE ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 579, obs. F. Chénedé ; ibid. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 600, obs. Clélia Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013. 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser et 12-30.138, D. 2013. 2383 ; ibid. 2349, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 954, obs. REGINE ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 579 ; ibid. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 600, obs. Clélia Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013. 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser, Bull. no 176.
  • [5]
    À l'occasion des affaires Mennesson et Labassée, la Cour européenne des droits de l'homme a procédé à une recherche de droit comparé couvrant trente-cinq États parties à la Convention autres que la France. Cette étude fait apparaître que la GPA est expressément interdite dans quatorze de ces États, qu'elle est autorisée, sous réserve de conditions strictes, dans sept d'entre eux et que, dans les autres, elle est soit interdite en vertu de dispositions générales soit non tolérée soit dans une situation juridique incertaine.
  • [6]
    Pour une analyse complète de cette décision, V. S. Hennette-Vauchez et F. Bellivier, Chronique Bioéthique, Revue Droit, sciences et techniques, 2015.
  • [7]
    Cass. Avis no 14-70.006, Bull. no 6 59, D. 2014. 2031, obs. A. Dionisi-Peyrusse, note A.-M. Leroyer ; ibid. 2015. 21, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1777, chron. I. Gallmeister ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2014. 555 ; ibid. 523, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2014. 872, obs. J. Hauser et 14-70.007, Bull. Avis no 7, D. 2014. 2031, note A.-M. Leroyer ; ibid. 2015. 21, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1777, chron. I. Gallmeister ; AJ fam. 2014. 555, obs. F. Chénedé ; ibid. 523, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 144, note S. Bollée.

1On voudrait, dans les lignes qui suivent, revenir sur les arrêts que l'assemblée plénière de la Cour de cassation a rendus, le 3 juillet 2015 [1], à propos de deux affaires portant sur la transcription, sur les registres de l'état civil français, de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger à la suite d'une gestation pour autrui (GPA). Cette question, qui pourrait paraître secondaire, est en réalité très importante puisqu'il s'agit de savoir comment un pays, qui n'admet pas la pratique de la GPA, est néanmoins amené à tenir compte de l'intérêt des enfants nés dans de telles conditions. Cette confrontation entre le souci de faire respecter un interdit et celui d'assurer aux enfants une protection dont personne ne conteste le principe n'est pas propre à la France car la plupart des États, et notamment des États européens, interdisent la GPA mais ne peuvent, pas empêcher que des enfants naissent ainsi.

2 Au-delà de la solution adoptée, ces arrêts fournissent une illustration intéressante de l'interaction qui peut exister entre le législateur, peu enclin à se saisir de certains sujets, la Cour de cassation, qui ne choisit pas les problèmes qu'elle doit trancher et qui ne peut, à l'occasion d'une affaire particulière, que traiter une partie d'un vaste problème, et la Cour européenne des droits de l'homme, qui identifie des violations de la Convention sans imposer une voie pour y mettre fin. Ils révèlent également la place importante qu'occupent la doctrine et les décisions de cours suprêmes étrangères dans la réflexion menée par la Cour de cassation sur un sujet particulièrement sensible. La lecture du rapport établi à l'occasion de cette affaire par l'auteur du présent article en témoigne. Ce rapport, ayant été publié en même temps que les arrêts, on invite le lecteur à s'y reporter pour de plus amples développements.

La question posée

3Les deux affaires dont la Cour de cassation se trouvait saisie concernaient chacune la transcription, sur les registres de l'état civil français, d'un acte de naissance établi en Russie. Dans les deux cas, le père figurant sur l'acte était de nationalité française et la mère de nationalité russe. Dans les deux cas, le père avait reconnu l'enfant avant sa naissance. Dans les deux cas, le procureur de la République, ainsi que le lui permet la loi, s'était opposé à la transcription en invoquant l'existence d'une convention de gestation pour autrui conclue entre les parents.

4Il n'est pas inutile de rappeler que la transcription d'un acte d'état civil établi à l'étranger n'est pas une formalité obligatoire mais qu'elle facilite grandement, sur le plan pratique, la vie des personnes concernées.

5Il faut rappeler également que la gestation pour autrui est le fait, pour une femme, de porter un enfant pour le compte d'autrui et de s'en séparer à la naissance au profit, du ou des parents dits « d'intention », c'est-à-dire du ou des parents pour le compte desquels l'enfant a été porté. On doit parler du ou des parents car il peut s'agir d'une personne seule ou d'un couple et, s'il s'agit d'un couple, il peut s'agir d'un couple de même sexe ou de sexes différents [2].

6Ainsi que l'a relevé l'Académie de médecine, cette définition recouvre plusieurs cas différents suivant, que les spermatozoïdes sont ceux du père d'intention ou d'un tiers et que les ovocytes sont ceux de la mère qui a porté l'enfant, de la mère d'intention ou d'une autre femme. Il en résulte un grand nombre de combinaisons et, dans la pratique, on les rencontre toutes.

7Dans la première des deux affaires dont la Cour était saisie, l'acte de naissance désignait, comme mère, la femme qui avait accouché sans que l'on sût si elle avait fourni l'ovocyte. Quant au père désigné dans l'acte, on ne savait pas si c'est lui qui avait fourni les spermatozoïdes. La cour d'appel ne s'était pas interrogée sur ce point puisqu'elle avait jugé, conformément aux conclusions du procureur de la République, qu'une convention de GPA avait été conclue entre les parents et que l'existence de cette convention suffisait à faire obstacle à la transcription de l'acte de naissance.

8Le père a formé un pourvoi contre cet arrêt, soutenant que la cour d'appel avait méconnu l'article 47 du code civil. Cet article dispose :

9Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même, établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

10Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 7 du décret no 62-921 du 3 août 1962 modifié :

11Les actes de l'état civil dressés en pays étranger qui concernent des Français sont transcrits soit d'office soit sur la demande des intéressés, sur les registres de l'état civil de l'année courante, tenus par les agents diplomatiques ou les consuls territorialement compétents (...)

12Le demandeur faisait valoir qu'on peut déduire de ces textes que, dès lors que l'acte de naissance établi à l'étranger est régulier sur le plan formel et que la réalité de la filiation paternelle et maternelle n'est pas contestée, il doit être procédé à la transcription de cet acte de naissance, sans que l'on puisse y opposer le fait qu'une convention de GPA aurait été conclue. En juger autrement irait à l'encontre du droit de l'enfant au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 9 du code civil, un tel droit impliquant que chacun puisse établir les détails de son identité d'être humain, ce qui inclut sa filiation et sa nationalité. Le refus de transcription serait également contraire à l'article 3-1 de la Convention de New York du 26 janvier 1980 relative aux droits de l'enfant. Cet article, auquel la Cour de cassation reconnaît un effet direct, stipule que :

13Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

14Dans la seconde affaire, l'acte de naissance désignait également comme mère la femme qui avait, accouché sans que l'on sût, là non plus, si elle avait fourni l'ovocyte. S'agissant du père, la cour d'appel avait jugé qu'il s'agissait du père biologique en se fondant sur un rapport d'expertise russe. Elle en avait déduit qu'il fallait ordonner la transcription à l'égard du père mais aussi à l'égard de la mère, qu'elle a qualifiée de mère biologique au motif qu'il s'agissait de la femme ayant accouché. La cour d'appel avait adopté cette solution au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant et après avoir constaté que l'absence de transcription était source de difficultés pratiques importantes dans la vie familiale de cet enfant.

15La procureure générale près la cour d'appel s'est pourvue contre cet arrêt. Elle a fait valoir qu'en droit français les conventions portant sur une GPA sont nulles et que la Cour de cassation tirait de cette nullité, qui est d'ordre public, l'impossibilité absolue de faire figurer à l'état civil français l'acte de naissance d'un enfant né dans de telles conditions. S'agissant de l'intérêt de l'enfant, elle soutenait qu'il convenait de tenir compte de l'intérêt des enfants en général, qui est de ne pas naître dans de telles conditions, et non pas seulement de l'intérêt des enfants déjà nés. Une telle considération, à laquelle s'ajoute la nécessité de protéger les femmes auxquelles il est demandé de porter un enfant, devait conduire, selon elle, à donner son plein effet à l'interdiction de la GPA. Elle ajoutait que, dans le cas d'espèce, l'intérêt de l'enfant n'était pas compromis puisqu'il disposait d'un acte de naissance étranger, qu'il vivait en France avec son père et qu'il pouvait se voir reconnaître la nationalité française.

16Il n'est pas inintéressant de relever que le Défenseur des droits avait également déposé des observations, ainsi que l'y autorise l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011. Il faisait valoir que le refus de transcription est contraire à la jurisprudence la plus récente de la Cour européenne des droits de l'homme, en ce qu'il porte une atteinte disproportionnée à l'identité de l'enfant. Il ajoutait que les réclamations dont il est régulièrement saisi témoignent des difficultés pratiques auxquelles sont confrontés les enfants dont l'acte d'état de naissance n'a pas été transcrit. Enfin il faisait valoir que les enfants ne sauraient être tenus pour responsables et subir les conséquences du mode de procréation choisi par leurs parents.

17La Cour de cassation se trouvait donc saisie de pourvois formés contre deux décisions rendues à quelques mois d'intervalle par la même cour d'appel dans deux affaires mettant en cause des situations factuelles très proches et où, pourtant, les solutions retenues étaient en opposition : refus de transcription dans le premier cas, transcription dans le second. Cette divergence s'expliquait par le fait qu'entre le premier arrêt et le second la Cour européenne des droits de l'homme avait rendu deux décisions condamnant la France.

L'état du droit français

18Avant de revenir sur ces deux décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, qui furent nécessairement au coeur de la réflexion de la Cour de cassation, il convient de rappeler très brièvement l'état de la législation et la jurisprudence qui était alors celle de la Cour de cassation.

19C'est la Cour de cassation qui, la première, a jugé que la GPA est contraire tant à l'indisponibilité du corps humain qu'à l'indisponibilité de l'état des personnes pour en déduire, par un arrêt de 1991 [3], que l'enfant né dans de telles conditions ne peut faire l'objet d'une adoption plénière par la femme qui l'a recueilli à sa naissance. Cet arrêt a inspiré le législateur, qui a introduit trois ans plus tard dans le code civil un article 16-7 énonçant que : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ». Il résulte de l'article 16-9 du même code que cette nullité est d'ordre public. En revanche, aucune loi n'indique que le fait qu'un enfant est né par suite d'une GPA interdit que sa filiation soit établie. La situation est donc différente de celle qui prévaut en cas d'inceste.

20Le code pénal contient des dispositions incriminant certains cas d'incitation à la GPA, notamment lorsqu'elle donne lieu à rémunération, ou à la substitution d'enfant, ce qui suppose une déclaration de naissance non conforme à la réalité. La seule disposition qui vise spécifiquement la GPA ne concerne que l'intermédiaire entre les parents d'intention et la mère qui porte l'enfant. Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque les faits ont été entièrement commis dans un pays où ils ne sont pas répréhensibles. C'est ce qui résulte de l'article 113-6 du code pénal. Cette limite spatiale du droit pénal français a conduit des juges d'instruction, dans d'autres affaires, à rendre des ordonnances de non-lieu en faveur de personnes mises en cause pour des GPA réalisées à l'étranger.

21Il apparaît ainsi que, d'une part, le juge a précédé le législateur dans la prohibition de principe de la GPA ; d'autre part, le législateur a légiféré a minima en se bornant à prévoir la nullité des conventions de GPA et en pénalisant l'activité d'intermédiaire ou certains cas de GPA. Cependant la portée de l'interdit posée par la Cour de cassation est grande puisqu'elle en déduit que l'existence d'une convention de GPA empêche tout établissement de la filiation d'un enfant né dans ces conditions, ainsi que son adoption. Elle jugeait également qu'il s'oppose à ce que la France transcrive son acte de naissance, y compris lorsque le père qui figure sur cet acte a fourni les gamètes et que la mère est la femme qui a accouché. Cette jurisprudence s'était d'abord fondée sur l'ordre public avant de recourir, à partir de 2013, à la notion de fraude [4]. Or le législateur n'est jamais intervenu, malgré plusieurs propositions de loi en ce sens, pour limiter la portée de cet interdit.

22En lui-même cet interdit n'est contraire à aucun texte ou principe international et il est d'ailleurs posé dans une majorité d'États [5].

23 La question de l'intérêt de l'enfant s'est évidemment très vite posée. L'intérêt de l'enfant est consacré notamment par les textes internationaux déjà mentionnés et auxquels la Cour de cassation reconnaît une applicabilité directe. Il s'agit également d'un principe interne de valeur constitutionnelle, dont on trouve une émanation dans de nombreuses lois. Dans un premier temps, la Cour de cassation a considéré que l'intérêt de l'enfant était respecté dès lors que les juges du fond constataient que le refus de transcrire son acte de naissance ne l'empêchait pas de vivre en France, voire d'acquérir la nationalité française. À partir de 2013, elle a jugé que l'intérêt de l'enfant ne pouvait pas être utilement invoqué, ce qui revenait à dire qu'il ne saurait entrer en ligne de compte face à la gravité de la fraude commise, l'idée étant que l'interdiction posée par le droit français serait privée en partie de sa portée si elle pouvait être aisément contournée par le recours à une GPA pratiquée à l'étranger et qui aurait, finalement, exactement les mêmes conséquences que si elle avait été pratiquée en France. C'est une jurisprudence que l'on pourrait qualifier de « préventive » ou de « dissuasive ». Elle entendait faire abstraction de l'intérêt de l'enfant déjà né afin de mieux préserver celui des enfants à naître, en dissuadant les parents potentiels de recourir à cette pratique. Elle reposait, en quelque sorte, sur le droit des enfants à ne pas naître dans de telles conditions.

Les exigences posées par la Cour européenne des droits de l'homme

24Cette jurisprudence a été remise en cause par les arrêts rendus le 26 juin 2014 par la Cour européenne des droits de l'homme dans les affaires Mennesson et Labassée Il convient de relever que le gouvernement français n'a pas demandé, comme il en avait la possibilité, que ces affaires soient réexaminées par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme. Il a donc implicitement accepté les décisions.

25Il est important de ne pas s'en tenir à la conclusion des arrêts, à savoir que la France a été condamnée pour l'absence de transcription de la paternité biologiquement établie, mais d'avoir également à l'esprit l'ensemble du raisonnement de la Cour. Ces arrêts s'inscrivent eux-mêmes dans une continuité avec d'autres arrêts antérieurs et postérieurs, qui ne concernent pas des affaires françaises mais la Cour de cassation devait en tenir compte, suivant le principe qu'elle a affirmé de la manière la plus solennelle dans son arrêt d'assemblée plénière du 15 avril 2011 et conformément, d'ailleurs, à sa pratique habituelle. Il faut ajouter immédiatement que le respect des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme n'impose pas nécessairement une voie unique. Comme on le sait, la Cour de Strasbourg s'attache au résultat obtenu plutôt qu'aux moyens qui ont permis de l'atteindre.

26Les arrêts Mennesson et Labassée ont été rendus à la suite de deux arrêts de la Cour de cassation. Ils concernent des enfants nés à l'issue d'une gestation pour autrui pratiquée aux États-Unis avec l'implantation d'embryons dans l'utérus d'une autre femme, issus des gamètes de M. Mennesson, dans un cas, et de M. Labassée, dans l'autre cas. Dans les deux cas, l'ovule provenait d'un don. Des jugements, prononcés aux États-Unis, indiquent que les époux Mennesson et Labassée sont les parents respectifs de ces enfants. La Cour de cassation avait jugé, dans ces deux affaires, qu'il ne saurait être donné effet, en France, à une possession d'état invoquée pour l'établissement de la filiation résultant d'une gestation pour autrui et qu'était justifié le refus de transcrire un acte de naissance d'un enfant né dans les mêmes conditions.

27La Cour européenne des droits de l'homme a examiné à la fois l'atteinte à la vie familiale et l'atteinte à l'intérêt de l'enfant. Elle a considéré que la vie familiale était affectée mais dans une mesure qui n'excédait pas la marge d'appréciation laissée aux États, compte tenu de l'objectif poursuivi, à savoir lutter contre la pratique de la GPA. Sur ce point, la Cour de Strasbourg s'est attachée à vérifier que le juge français avait examiné concrètement la situation des requérants avant de juger que l'atteinte portée à leur vie familiale n'était pas excessive. Dans ces affaires, la Cour de cassation avait jugé qu'il n'y avait pas eu atteinte à la vie familiale (c'était en 2011, donc avant qu'elle décide que l'intérêt de l'enfant et la protection de la vie familiale ne peuvent pas être utilement invoqués). Ce contrôle était minime mais la Cour européenne des droits de l'homme l'a jugé suffisant.

28En ce qui concerne l'intérêt de l'enfant, la portée de l'arrêt doit également être appréciée avec précision. Le fait de ne pas reconnaître la filiation d'un enfant telle que cette filiation est établie dans un autre pays porte en lui-même atteinte à l'identité de cet enfant. Cette constatation de la Cour ne vaut pas seulement à l'égard de la filiation paternelle biologiquement établie. Elle vaut à l'égard de la filiation en général. Simplement, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que cette atteinte est inacceptable lorsqu'il s'agit de la filiation biologiquement établie. Dans le cas d'espèce, la Cour européenne des droits de l'homme n'a évoqué que la filiation paternelle car la filiation maternelle, telle qu'établie par le jugement américain, était une filiation d'intention et la question de la filiation biologique à l'égard de la mère ne se posait donc pas. Mais on ne pouvait manquer de s'interroger sur le point de savoir si le raisonnement que la Cour européenne des droits de l'homme tient à l'égard du père ne vaut pas également à l'égard de la mère.

29 Dans le sens inverse, ce que la Cour condamne, ce n'est pas le refus de transcription pris isolément mais la combinaison, on devrait dire le cumul, entre ce refus et l'impossibilité d'établir, selon les règles du droit français, la filiation biologique de l'enfant. Autrement dit, il suffisait, pour échapper au grief de la Cour européenne des droits de l'homme, soit de permettre l'établissement de la filiation soit de permettre la transcription.

Les voies explorées par la Cour de cassation

30Dans son exploration des deux voies qu'ouvrait cette alternative, la Cour de cassation pouvait enrichir sa réflexion en puisant non seulement dans les très nombreux articles de doctrine consacrés à cette question mais encore dans l'étude sur la révision des lois de bioéthique réalisée par le Conseil d'État en avril 2009, lequel recense notamment les difficultés pratiques que rencontrent, dans leur vie quotidienne, les enfants dont l'acte de naissance n'est pas retranscrit. On relèvera que le même Conseil d'État avait, par ailleurs, rejeté, par un arrêt du 12 décembre 2014, un recours formé contre la circulaire dite « Taubira », qui enjoint les procureurs généraux de veiller à ce qu'il soit fait droit aux demandes de délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l'étranger de Français, même lorsqu'il apparaît qu'il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui, dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d'un acte d'état civil étranger probant au regard de l'article 47 du code civil. La Cour de cassation pouvait également nourrir sa réflexion de la lecture du rapport déposé en avril 2014 par le groupe de travail présidé par la sociologue Mme Irène Théry et dont le rapporteur était Mme Anne-Marie Leroyer, professeur de droit. Après avoir fait un examen approfondi des autres solutions envisageables, ce rapport préconise une reconnaissance totale des situations valablement constituées, tout en suggérant que cette reconnaissance s'accompagne d'un engagement ferme de la France en faveur de la création, sur le modèle de la Convention de La Haye sur l'adoption, d'un instrument international de lutte contre l'asservissement des femmes via l'organisation de gestations pour autrui contraires aux droits fondamentaux de la personne. Enfin, la Cour de cassation avait connaissance des décisions rendues par les cours suprêmes de différents pays européens confrontées à la même question. Parmi ces décisions, on mentionnera tout particulièrement celle que le Bundesgerichtshof (Allemagne) a rendue le 10 décembre 2014, dans laquelle il a accepté de reconnaître une décision californienne indiquant deux hommes, unis en Allemagne par un partenariat enregistré, comme pères de l'enfant, alors même que la législation allemande interdit de contourner l'interdiction de la gestation pour autrui, laquelle s'applique même si la gestation résulte d'une convention conclue et exécutée dans un État étranger qui l'autorise. Si cette décision présente un intérêt tout particulier pour le juriste français, ce n'est pas uniquement par la solution qu'elle adopte mais également par les motifs très développés qui la sous-tendent et dans lesquels le Bundesgerichtshof expose longuement les arguments en faveur d'une reconnaissance et ceux qui s'y opposent [6].

31La première des deux voies mentionnées plus haut consistait à continuer de refuser la transcription tout en indiquant que l'intérêt de l'enfant était préservé par le fait que sa filiation pouvait être établie selon les règles du droit français. La jurisprudence antérieure de la Cour de cassation aurait été ainsi assortie d'une sorte de réserve de conventionalité. Cette voie était préconisée par plusieurs auteurs, qui faisaient valoir que, sur le plan symbolique, elle offrait l'avantage d'établir un partage entre les parents « fautifs » auxquels on aurait continué à interdire de faire transcrire l'acte d'état civil et l'enfant « innocent » auquel on aurait permis de faire reconnaître sa filiation. Dans les faits, cependant, on ne peut pas oublier que l'enfant subit, autant que les parents, les conséquences d'un refus de transcription. En refusant à ces derniers de faire transcrire l'acte, on sanctionne donc également l'enfant. Par ailleurs, il pouvait apparaître peu cohérent de refuser la transcription au nom de l'ordre public ou de la lutte contre la fraude avant de permettre l'établissement d'une filiation qui sera évidemment tout autant contraire à l'ordre public. Surtout, si l'action en reconnaissance de paternité paraît relativement aisée, grâce à l'article 311-17 du code civil, qui permet de faire jouer la loi nationale du père, donc, en général, la loi française, l'établissement de la filiation maternelle paraît beaucoup plus incertain. C'est en effet alors la loi nationale de la mère qui doit s'appliquer. Ainsi que le faisaient apparaître certaines études doctrinales très fouillées, on risquait de se heurter alors à de grandes difficultés, notamment dans les cas où la loi nationale ne prévoit pas d'action en reconnaissance ou en recherche de maternité.

32L'autre voie envisageable était celle de la transcription. Cette voie se dédoublait elle-même selon que l'on se limitait à la filiation paternelle biologiquement établie ou que l'on transcrivait l'ensemble de l'acte. La première solution conduisait à s'interroger sur le contrôle que les autorités françaises peuvent exercer sur la réalité du lien biologique. Il faut rappeler que l'on n'est pas ici dans l'un des cas où la loi permet de recourir à un test biologique. Si l'on voulait procéder néanmoins à ce contrôle il fallait donc que la Cour de cassation se substitue au législateur en créant un cas nouveau où le test est permis. Cette démarche prétorienne avait la faveur du procureur général près la Cour de cassation. Cependant, on sait que le législateur se montre très prudent et le Conseil constitutionnel vigilant dans la définition des cas dans lesquels un test ADN peut être effectué. Cette solution supposait par ailleurs que le ministère public demande systématiquement un examen biologique lorsque les documents fournis ne lui paraissent pas fiables.

33En tout état de cause, la transcription de la seule filiation paternelle biologiquement établie ferait très vite apparaître le problème de la filiation maternelle. Si les arrêts Mennesson et Labassée ne se sont pas prononcés sur ce point c'est uniquement en raison du fait que la mère désignée dans l'acte de naissance était la mère d'intention. Mais la logique de son raisonnement conduit à considérer le cas de la mère biologique de la même manière que le père biologique. Seulement se poserait alors la question de savoir qui est la mère biologique. Dans le second des arrêts dont la Cour de cassation était saisie, la cour d'appel avait considéré qu'il s'agissait de la femme ayant accouché puisque c'est elle que le droit français désigne. Mais il n'était pas prétendu qu'une autre femme, celle qui aurait fourni les ovocytes, puisse être la mère. Que se passera-t-il le jour où ce sera le cas ? Si l'on considère, comme la Cour européenne des droits de l'homme, que l'identité d'une personne passe par la connaissance de ses origines, il n'y a pas de raison de privilégier la femme qui a accouché sur celle dont l'enfant porte les gènes. Mais on se heurte alors à la règle française selon laquelle la mère est la femme qui a accouché et, plus généralement, aux principes du droit français qui ne font pas du lien biologique l'alpha et l'oméga de la filiation. En témoigne par exemple l'interdiction de rechercher la paternité biologique en cas d'assistance à la procréation médicale. Il semble que cette interdiction se concilierait mal avec la recherche d'un lien biologique qui serait exigée en cas de GPA.

La solution retenue

34Il est impossible de dire ici quelles sont, parmi les différentes considérations qui viennent d'être évoquées, celles qui ont conduit les conseillers de la Cour de cassation à adopter la solution qu'ils ont retenue. Mais il est certain que la simple lecture des arrêts ne donne aucune idée de la richesse des débats menés à cette occasion. Sous cet angle, la différence entre les arrêts qui sont examinés ici et l'arrêt du Bundesgerichtshof est flagrante. La solution retenue par la Cour de cassation est très simple dans son expression. Elle consiste à admettre la transcription, sur le fondement de l'article 47 du code civil et du décret du 3 août 1962, dans tous les cas où les mentions qui figurent sur l'acte à transcrire apparaissent conformes à la réalité. Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, c'est la Cour de cassation qui avait fait de l'existence d'une convention de GPA l'obstacle absolu à toute transcription d'un acte d'état civil. La loi, elle, se borne à énoncer que la convention est nulle, ce qui revient à dire qu'elle ne peut produire aucun effet. Ainsi le ou les parents d'intention ne pourra (ont) pas invoquer cette convention pour exiger que la mère qui a porté l'enfant l'abandonne. On peut penser également que cette dernière ne pourrait pas non plus se fonder sur la convention pour réclamer le paiement de la rémunération si la convention en a prévu une. Mais peut-on tirer autre chose de l'article 16-7 du code civil qui prévoit la nullité de la convention ? Probablement non, du moins dans le cas de figure qui se présentait à la Cour de cassation, c'est-à-dire des actes de naissance mentionnant des parents dont il n'était pas contesté qu'ils étaient respectivement le père biologique et la femme qui avait accouché. Dans ce cas, en effet, la filiation ainsi indiquée n'est pas une conséquence de la convention mais une conséquence de la naissance. La preuve en est que, si la même procréation avait eu lieu sans convention de GPA, les liens de filiation seraient exactement les mêmes. Dans ce cas de figure, l'existence d'une convention de GPA est neutre et sa nullité ne change rien. Ou alors il faudrait dire que, sans convention, il n'y aurait pas eu de naissance, mais c'est alors la naissance qu'il faudrait annuler. On peut penser qu'en procédant à une telle annulation le juge excéderait ses pouvoirs...

35 Aussi, l'interdiction de transcrire l'acte de naissance ne résultait-elle pas de la loi mais bien uniquement de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui en avait fait une conséquence de l'atteinte à l'ordre public et de la fraude, même si l'on peut penser qu'en refusant d'intervenir le législateur a approuvé implicitement cette jurisprudence. Par ses arrêts du 3 juillet 2015, elle a ouvert une porte dans une barrière qu'elle avait érigée quelques années plus tôt. Ce faisant, elle n'a ni privé l'article 16-7 du code civil de ses effets ni légitimé la GPA. Par ailleurs, tout en se montrant soucieuse de se conformer aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme, dans l'interprétation que leur donne la Cour de Strasbourg, la Cour de cassation a choisi une voie qui reste cohérente avec le système juridique français. Une telle démarche l'a conduite, dans le cas d'espèce, à retenir une solution différente de celle qu'une lecture rapide des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme semblait imposer. Cette approche nous semble conforme aux rôles respectifs qu'occupent la Cour européenne des droits de l'homme et les cours suprêmes des pays signataires de la Convention.

Les incertitudes qui demeurent

36Ces arrêts laissent cependant subsister une ambiguïté quant au sens des mots « conforme à la réalité » qui figurent dans l'article 47 du code civil.

37Si on entend par là la réalité juridique telle que la créent les règles de droit français, il faut considérer que la transcription doit être refusée à chaque fois qu'il est établi que la mère désignée dans l'acte n'est pas la femme qui a accouché et/ou que le père n'est pas celui que désigne le droit français. La manière dont est rédigé l'article 47 est ici importante. Il n'incombe pas au requérant de prouver que l'acte est conforme à la réalité mais au ministère public de prouver qu'il ne l'est pas. S'agissant de la mère, il appartiendrait alors au juge du fond de montrer que la mère désignée n'est pas la femme qui a accouché. S'agissant du père, il faudrait distinguer selon qu'il y a eu ou non reconnaissance de paternité de la part du père désigné. Dans le premier cas, cette désignation est conforme à la réalité puisqu'il est le père au sens du droit français, du moins tant que cette paternité n'a pas été contestée mais on ne voit pas qu'elle puisse l'être dans le cadre d'une action relative à la transcription. Il faut rappeler que, dans ce cadre, les textes ne permettent pas qu'une expertise biologique soit ordonnée. Lorsqu'il n'y a pas eu de reconnaissance de paternité, il faudrait imaginer que des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent qu'il n'est pas le père. Tel serait le cas si, par exemple, l'acte de naissance mentionnait deux pères (cas soumis au Bundesgerichtshof). Il est alors certain qu'un des deux au moins n'est pas le père biologique.

38 Les remarques qui viennent d'être faites valent pour le cas où l'on considère que la réalité, au sens de l'article 47, est la réalité juridique résultant de l'application des règles françaises. Mais on pourrait également concevoir que la réalité est celle qu'établit le droit étranger et considérer, par exemple, que si le droit étranger admet la parentalité d'intention, l'acte de naissance qui fait apparaître les parents d'intention est conforme à la réalité.

39 La première conception est cohérente avec l'idée d'annulation des conséquences d'une convention de GPA. Ainsi qu'il a été dit plus haut, lorsque la mère désignée est la femme qui a accouché et le père le père biologique, les mentions qui figurent sur l'acte de naissance ne sont pas une conséquence de la convention de GPA mais seulement une conséquence de la naissance. Il en va autrement lorsque l'un ou l'autre des parents désignés est un parent d'intention. Dans ce cas, c'est bien parce qu'il y a une convention de GPA que ce parent apparaît sur l'acte de naissance. Aussi faudrait-il considérer que, dans un tel cas, l'acte de naissance n'est pas conforme à la réalité, sauf à faire produire un effet à la convention de GPA, ce que l'article 16-7 du code civil interdit. C'est un argument fort en faveur de cette première conception.

40 La seconde conception se réclame davantage de la notion même de reconnaissance. Reconnaître un acte étranger n'implique pas que le même acte aurait été dressé si l'on avait appliqué les règles du pays qui le reconnaît. C'est seulement l'ordre public international français qui peut s'opposer à ce que l'on reconnaisse cet acte. La question est alors de savoir si la nullité d'ordre public qui atteint toute convention de GPA (mais il s'agit de l'ordre public français) implique nécessairement l'existence d'une règle d'ordre public international s'opposant à la transcription d'un acte de naissance dont les mentions seraient différentes s'il n'y avait pas eu une telle convention. Si l'on juge que non et si l'on retient ainsi que la réalité, au sens de l'article 47, est la conformité aux règles de droits applicables dans le pays où l'acte a été dressé, il faudra admettre que puisse être transcrit, par exemple, un acte de naissance faisant apparaître deux parents du même sexe. Un tel cas de figure est déjà admis par la Cour de cassation, ainsi que cela résulte des avis qu'elle a rendus sur l'adoption par l'épouse de la mère d'un enfant né par PMA [7]. Il est également admis par l'arrêt précité du Bundesgerichtshof.

41 D'autres considérations peuvent dicter le choix qui devra être fait entre ces deux interprétations. Supposons le cas de figure dans lequel la mère qui apparaît sur l'acte de naissance est la femme qui a fourni les ovocytes et qui compte s'occuper de l'enfant (donc la mère d'intention). Si l'on retient la première conception de la notion de réalité, l'acte ne sera pas transcrit, du moins en ce qui concerne la filiation maternelle, puisqu'il ne s'agit pas de la femme qui a accouché. Mais peut-on dire que la femme qui a porté l'enfant est une mère plus réelle que celle dont il porte les gènes et qui l'élève ? Par ailleurs, si l'on transpose à la filiation maternelle le raisonnement que la Cour européenne des droits de l'homme a tenu à l'égard de la filiation paternelle biologiquement établie, ne risquerait-on pas une nouvelle condamnation dans le cas d'un refus de transcription d'un acte faisant apparaître comme mère la femme qui a fourni les ovocytes ?

42 Dans les affaires qui lui ont été soumises le 3 juillet, la Cour de cassation n'a pas eu à trancher ce point puisqu'il n'était pas contesté que le père était le père biologique ni la mère la femme qui avait accouché, de sorte que rien ne laisse supposer que les faits déclarés ne correspondaient pas à la réalité, au sens de l'article 47, quelle que soit l'interprétation qu'on en fait. Le débat reste donc ouvert.


Date de mise en ligne : 01/04/2019.

https://doi.org/10.3917/cdlj.1602.0191

Notes

  • [1]
    Cass., ass plén., 3 juill. 2015, no 14-21.323, Bull. I, no 45, D. 2015. 1819, obs. I. Gallmeister, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1481, édito. S. Bollée ; ibid. 1773, point de vue D. Sindres ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 857, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 915, obs. REGINE ; ibid. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 496 ; ibid. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 885, et la note ; RTD civ. 2015. 581, obs. J. Hauser.
  • [2]
    Sur les aspects médicaux, V. l'art, de S. Javerzat, publié dans le présent numéro.
  • [3]
    Cass., ass. plen., 31 mai 1991, no 90-20.105, Bull. no 4, D. 1991. 417, rapp. Y. Chartier ; ibid. 318, obs. J.-L. Aubert, note D. Thouvenin ; ibid. 1992. 59, obs. F. Dekeuwer-Défossez ; RFDA 1991. 395, étude M. Long ; Rev. crit. DIP 1991. 711, note C. Labrusse-Riou ; RTD civ. 1991. 517, obs. D. Huet-Weiller ; ibid. 1992. 88, obs. J. Mestre ; ibid. 489, étude M. Gobert.
  • [4]
    Cass. 13 sept. 2013, 1re civ. pourvois no 12-18.315, D. 2013. 2382, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2349, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 954, obs. REGINE ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 579, obs. F. Chénedé ; ibid. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 600, obs. Clélia Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013. 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser et 12-30.138, D. 2013. 2383 ; ibid. 2349, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 954, obs. REGINE ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 579 ; ibid. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 600, obs. Clélia Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013. 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser, Bull. no 176.
  • [5]
    À l'occasion des affaires Mennesson et Labassée, la Cour européenne des droits de l'homme a procédé à une recherche de droit comparé couvrant trente-cinq États parties à la Convention autres que la France. Cette étude fait apparaître que la GPA est expressément interdite dans quatorze de ces États, qu'elle est autorisée, sous réserve de conditions strictes, dans sept d'entre eux et que, dans les autres, elle est soit interdite en vertu de dispositions générales soit non tolérée soit dans une situation juridique incertaine.
  • [6]
    Pour une analyse complète de cette décision, V. S. Hennette-Vauchez et F. Bellivier, Chronique Bioéthique, Revue Droit, sciences et techniques, 2015.
  • [7]
    Cass. Avis no 14-70.006, Bull. no 6 59, D. 2014. 2031, obs. A. Dionisi-Peyrusse, note A.-M. Leroyer ; ibid. 2015. 21, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1777, chron. I. Gallmeister ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2014. 555 ; ibid. 523, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2014. 872, obs. J. Hauser et 14-70.007, Bull. Avis no 7, D. 2014. 2031, note A.-M. Leroyer ; ibid. 2015. 21, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1777, chron. I. Gallmeister ; AJ fam. 2014. 555, obs. F. Chénedé ; ibid. 523, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 144, note S. Bollée.
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