Notes
-
[1]
T. Sauvel, Histoire du jugement motivé, RDP, 1955, p. 36.
-
[2]
Sur le rôle que joue la motivation des décisions dans la construction de la légitimité du juge V. F. Hourquebie,. Sur l'émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la V République, Bruylant, 2004, pp. 485-506.
-
[3]
N. Mac Cormick, The motivation of judgement in the common law, in Ch. Perelman et P. Foriers, La motivation des décisions de justice, Bruylant, 1978, p. 180
-
[4]
N. Mac Cormick, "The motivation of judgement in the common law", art. cit., p. 168.
-
[5]
« There is an obvious and marked reciprocity of style between lawyer's and judge's arguments in our System, and it cannot be fanciful to ascribe that to an underlying reciprocity of expectations", ibid., p. 170.
-
[6]
A. Touffait et A. Tunc, Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment celles de la Cour de cassation, RTD civ. 1974. 489. Dans le même sens, F.-M. Schroeder, Le nouveau style judiciaire, Dalloz, Paris, 1978.
-
[7]
Extrait du texte de la conférence prononcée dans la Grand'Chambre de la Cour de cassation le 31 mars 2005, en ligne sur le site de la Cour de cassation www.courdecassation. fr/colioques_activites_formation_4/2005_2033/yan_a-guila_8092.html
-
[8]
H. L. A. Hart, Le concept de droit, Publications des facultés universitaires de Saint-Louis, Bruxelles, 1976, p. 119
-
[9]
N. Me Cormick, Raisonnement juridique et théorie du droit, PUF, Les voies du droit, 1996, p. 117.
-
[10]
On en retrouve la pratique dans plusieurs décisions. À titre d'exemple, le meilleur exemple de cette stratégie est l'affaire First National Bank of SA Ltd t/a Westbank v./ Commissionner, South African Revenue Service (2002[4] SALR 768 [CC]).
-
[11]
B. Ackerman, The living constitution, in E. Smith (ed.), Constitutional justice under old constitutions, The Hague, Kluwer law international, 1995, p. 315.
-
[12]
L'affaire qui lui était soumise "must be considered on the light of our whole experience, and not merely in that of what was said a hundred ycars ago" (State of Missouri v./ Holland, 252 US 416, 433 (1920) ; dans le même sens V. le dictum du juge Warren l'affaire Trop v./ Duiles : "the court recognized in that case that the words of the amendment are not precise, and that their scope is not static. The amendment must draw its meaning from the evolving standards of decency that mark the progress of a maturing society" (Trop v./ Duiles, 356 US 86 (1958) ; cité in R. Bismuth, L'utilisation de sources de droit étrangères dans la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis, RIDC, 1-2010, pp. 127-128.
-
[13]
G. Zagrebeisky, La doctrine du droit vivant et la question de constitutionnalité, Constitutions 2010. 1
-
[14]
Plus généralement, sur l'argument pragmatique, V. Ch. Perelman, Le champ de l'argumentation, PUB, 1970, p. 100.
-
[15]
V. F. Gea et C. Marraud, Programme analytique de l'argumentation judiciaire en droit du travail. La justification de la prémisse normative, mission Droit et Justice, févr. 2008, p. 6.
-
[16]
M. Hale, Considerations touching the amendment or alteration of laws, Francis Hargrave (ed.) (Coilecteana juridical 1791, pp. 253-289) cité in M. Kriele, Das demokratische Prinzip im Grundgesetz, Veröffentlichungen der Vereinigung der deutschen Staatrechtlehrer, Heft 29, pp. 46-84.
-
[17]
Chaim Perelman note à cet égard que « le transfert émotif opéré par l'argument pragmatique s'impose même de façon si évidente que bien souvent l'on croit tenir à quelque chose pour sa valeur propre alors qu'on ne s'intéresse qu'aux conséquences », in Le champ de l'argumentation, op. cit., p. 101.
-
[18]
Ce rôle assigné au conséquentialisme ferait du raisonnement judiciaire en common law un autre modèle type de raisonnement en concurrence avec le modèle d'argumentation strictement déductif, « I shall raise the question wether the importance ascribed by some judjes ans jurists to arguments of principle and yo consequantialist arguments does not suggest the existence within the system of another ideal type which competes with the deductive-subsumptive model of argumentation », in N. Mac Cormick, art. cit., p. 181.
-
[19]
E. Jouannet, Remarques conclusses, in H. Ruiz-Fabri et J.-M. Sorel (dir.), La motivation des décisions des juridictions internationales, Collection Contentieux international, Pedone, 2008, p. 268.
-
[20]
Ibid. Et l'auteur de relever que, « pour certains, les juges procèdent essentiellement de cette façon : partent de la solution et remontent régressivement au principe ou à la règle [mais une question se pose] : Comment parvenir à cette solution concrète et envisager les conséquences favorables intuitivement si on n'a pas en arrière-plan mental la connaissance du droit et de la solution approximative par subsomption », ibid., p. 268.
-
[21]
Selon l'expression de J. Wrobleski, Motivation de la décision judiciaire, in Ch. Perelman et P. Foriers, La motivation des décisions de justice, Bruylant, 1978, pp. 111-135.
-
[22]
Sur la notion de contrainte V. M. Troper, V. Champeil-Desplats et G. Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, LGDJ, 2005. Et notamment l'essai de typologie des contraintes en fonction du résultat produit, du degré de contraintes ou de son origine (pp. 16-23) et la nature des contraintes juridiques qui s'imposent au juge tant dans sa démarche décisoire que justificatrice (pp. 111-114). Dans le même sens, V. M. Troper, La motivation des décisions constitutionnelles, in Ch. Perelman et P. Foriers, La motivation des décisions de justice, Bruxelles, Bruylant, 1978, pp. 296 et s.
-
[23]
Ch. Perelman, La logique juridique et l'argumentation, in Ch. Perelman, Logiques juridiques : nouvelle rhétorique, Dalloz, 1999.
-
[24]
Th. Roux, Principle and pragmatism on the constitutional court of South Africa, l-CON, Vol. 7, no 1, 2009, p. 112. Dans le même sens, V. L. Epstein a. J. Knight, Toward a strategic revolution in judicial politics : a look back, a look ahead, 53 Pol. Res. Q. 62 (2000). Sur le processus de "dedsion-making" de la Cour suprême des États-Unis, V. plus généralement les approches néo-institutionnelles, et not. C.-W. Clayton a. H. Gil-mann eds., Univ. Chicago Press, 1999 : V. aussi C.-VV. Cornell, Collegial norms and opinion-writing on the US Suprême court, in F. Hourquebie (dir.), Principe de collégialité et cultures judiciaries, Bruylant, 2010, pp. 195-214.
-
[25]
Les policy preferences participent clairement d'une démarche réaliste et pragmatique du juge anglo-saxon. Mais si elles contribuent à prédéterminer le sens d'un jugement, elles n'en corrigent pas forcément la portée au vu des conséquences qu'il aura.
-
[26]
L. Epstein, 0. Shvetsova a. J. Knight, « The role of constitutional courts in establishment of democratic Systems of government », 35 Law a. Soc'y Rev. 117 (2001) : J. Knight a. L. Epstein, « On the struggle for judicial supremacy », 30 Law a. Soc'y Rev. 87(1996).
-
[27]
Th. Roux, art. cit., p. 108.
-
[28]
Dans ce sens V. G. Scoffoni, La légitimité du juge constitutionnel en droit comparé : les enseignements de l'expérience américaine, RIDC no 2, 1999, p. 269 : et du même auteur, Justice constitutionnelle et démocratie aux États-Unis, Crises, no4, 1994, pp. 162-164.
-
[29]
V. not. les décisions Brown v./ Board of education, 347 US 483 (1954) : United States v./ Nixon, 418 US 683 (1955) : Stanford v./ Kentucky, 109 S. Ct. 2969 (1989) : Walton v./ Arizona, 110 S. Ct. 3047 (1990)...
-
[30]
Planned Parenthood v./ Casey, 112 S. Ct. 2791 (1992), at 2814.
-
[31]
G. Scoffoni, Les enseignements d'une vieille démocratie : l'exemple américain, art. cit., p. 198.
-
[32]
Les raisonnements de la Cour suprême sur des sujets politiques sensibles comme le traitement médical maintenant en vie, Cruzan, 497 US 261 (1990), l'avortement (Planned Parenthood v./ Casey, 112 S. Ct. 2791 (1992) ou le suicide médicalement assisté (Washington, v./ Glucksberg, 117 S.Ct. 2258 [1997]) sont caractéristiques du recours au consequatialism.
-
[33]
R.-H. Fallon Jr., Implementing the Constitution, Harvard Law Review, vol. 11, no 1, nov. 1997, p. 148.
-
[34]
G. Scofoni, La légitimité du juge constitutionnel en droit comparé : les enseignements de l'expérience américaine, art. cit., p. 270.
-
[35]
N. Mac Cormick, The motivation of judgements in the common law, art. cit., p. 171.
-
[36]
Ch. Perelman, Logiques juridiques, op. cit., p. 136.
-
[37]
Ibid.
-
[38]
Ibid., p. 137.
-
[39]
E. Jouannet, « Remarques conclusses », art. cit., p. 279.
-
[40]
Ibid.
-
[41]
Ibid., p. 280.
-
[42]
Pour aller plus loin sur cette question V. J.-CI. Guiliermet, La motivation des décisions de justice : la vertu pédagogique de la justice, L'Harmattan, coll. Bibliothèque de droit, 2006, pp. 14 et s.
-
[43]
A. Tunc, La Cour de cassation en crise, Archives de philosophie du droit, 1985, p. 166. Et dans le même sens, V. Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, RTD civ. 1974. 503.
-
[44]
F. Géa et C. Marraud, op. cit., p. 6.
-
[45]
« It is thus to choose between two alternative forms of society, accordingly as one or other of the competing versions, the competing concrete rules, is chosen. Could it be rational to make such a choice without taking serious consideration of the practical effects to be anticipated as foilowing from the choice ? ", in N. Mac Cormick, art, cit., p. 184.
-
[46]
M.-Cl. Ponthoreau, La reconnaissance des droits non écrits (...), op. cit., pp. 206-207.
-
[47]
T. Aguila, conférence prononcée dans la Grand'Chambre de la Cour de cassation le 31 mars 2005, préc.
-
[48]
« On en trouve une illustration dans les fameuses conclusions de Romieu sur l'arrêt Cames de 1895, lequel, trois ans avant la législation sur les accidents du travail, avait créé, d'une manière purement prétorienne, un régime de responsabilité pour risque en matière d'accident de service des fonctionnaires. « La justice, disait Romieu, veut que l'État soit responsable vis-à-vis de l'ouvrier des dangers que lui fait courir sa coopération au service public ». C'est un argument de pure équité, et qui n'est évidemment pas expressément repris par l'arrêt Cames, qui se borne à poser la règle nouvelle sans la justifier », ibid.
-
[49]
T. Gaudemet, Les méthodes du juge administratif, Paris, 1972, p. 51.
-
[50]
P. Foriers, Les lacunes du droit, Études de logique juridique, tome 2, Bruxelles, 1967, p. 57.
-
[51]
Pour une analyse approfondie du raisonnement finaliste V. F. Rouvillois, Le raisonnement finaliste du juge administratif, RDP, 1990, pp. 1820 et 1826.
-
[52]
La théorie du bilan coût/avantage chère au juge administratif plane sur son raisonnement finaliste.
-
[53]
Ibid., p. 1831.
-
[54]
Deux références stimulantes peuvent être particulièrement consultées : W.-H. Rehnquist, The notion of a living constitution, Texas law review, Vol. 54, no 4, 1976, p. 694, et D.-J. Goldford, The american constitution and the debate over originalism, New York, Cambridge University Press, 2005, pp. 67 et s.
-
[55]
O. Dutheillet de Lamothe, Les modes de décision du juge constitutionnel, texte prononcé lors du Séminaire international de justice constitutionnelle organisé par le Centre d'études constitutionnelles et administratives de l'Université catholique de Louvain, Bruxelles, 6-7 décembre 2001, http://www.conseil-constitutionnel, fr
-
[56]
ibid.
-
[57]
Commentaire in Marie-Claire Ponthoreau, op. cit., p. 207.
-
[58]
http://www.conseii-constitutionnei.fr/conseil-constitution-nel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depui 1959/2010/2010-14/22-qpc/decision-n-2010-14-22-qpc-du-30-juiliet-2010.48931.html
-
[59]
V. E. Daoud, Garde à vue : faîtes entrer l'avocat, Constitutions 2010. 583 .
-
[60]
B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Melin-Soucramanien, D. Rousseau et X. Philippe, tes grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1983, Dalloz, 2009, p. 36 (2e. éd., 2014).
-
[61]
Ibid., p. 87.
-
[62]
Ibid., p. 88.
-
[63]
Ibid., pp.83-84.
-
[64]
Ibid., p. 142.
-
[65]
Ibid, p. 50.
-
[66]
Ibid.
-
[67]
Ibid.
-
[68]
Ibid.
-
[69]
Ibid., p. 163.
1En 1771, Jousse, conseiller au présidial d'Orléans, après avoir rappelé que les juges ont certes le droit de motiver leurs jugements, ajoute que mieux vaut ne pas user de ce droit « afin de ne pas donner lieu à des chicanes de la part de celui qui aurait perdu sa cause » [1]... La méfiance à l'encontre de la motivation n'était que le reflet d'un droit autoritaire et de la défiance envers les juges [2].
2Deux cent trente ans plus tard, la discussion ne porte bien sûr plus sur la nécessité ou non de motiver la décision (la littérature sur ce point est absolument abondante et est l'oeuvre en France, mais aussi en Belgique, des théoriciens du droit, notamment dans le cadre de nombreux travaux sur l'interprétation), mais bien sur la nature des arguments de la motivation, arguments dont l'opposition classique entre les deux grandes traditions juridiques ne manque pas de révéler les singularités. La lecture des décisions montre en effet qu'il y aurait bien un style « mode in common law », dont le réalisme autorise certaines libertés avec la rigueur juridique, face à un style « produit du droit continental », pour lequel la démarche formaliste et hypothético-déductive du raisonnement trouverait sa traduction dans le positivisme de la motivation. Difficile de nier a priori cette dualité. Encore faudrait-il identifier un marqueur caractéristique, (le plus caractéristique ?), de cette différence d'approche. L'argument conséquentialiste utilisé naturellement par le juge de common law est peut-être celui-là.
3Si la question, sur ce point précis, a soulevé assez peu d'intérêt doctrinal, en France à tout le moins, il n'en a pas été de même dans la doctrine anglo-saxonne (surtout, d'ailleurs, pour répondre aux étonnements des juristes continentaux qui voient dans le consequentialism plutôt une « anomalie » qu'un mode d'argumentation logique des décisions judiciaires). Les common lawyers saisissent ainsi l'argument conséquentialiste par une question simple : « What will be the consequences if one rather thon another of alternative available rulings is chosen ? » [3].
4Ce processus de justification qui consiste à tester les alternatives possibles d'une décision de justice par l'évaluation de ses effets non seulement juridiques mais surtout sociaux, économiques, voire même politiques, est véritablement au coeur de la motivation des décisions des juges anglo-saxons (I). Pour autant, il n'est pas interdit de penser que le juge continental, s'inspirant de la pratique de son homologue anglo-saxon, recourt à cette technique de motivation. Mais avec une différence notable : il ne le revendique pas (encore...) (III).
I - Le recours assumé au conséquentialisme dans la motivation des décisions du juge de common law
5La justification d'une motivation conséquentialiste est double : d'une part, elle est en adéquation avec la méthode réaliste et pragmatique du juge anglo-saxon (A) ; d'autre part, elle correspond à la démarche finaliste du juge qui consiste à chercher une satisfaction équitable pour les parties (B).
A - Conséquentialisme et démarche réaliste
6Le recours aux considérations extra-juridiques, à l'aune desquelles le juge anglo-saxon évalue l'impact, c'est-à-dire les conséquences d'une décision à prendre, se comprend au regard du rôle social dévolu aux juges dans les pays de common law (1) ; ce qui interroge sur les paramètres mobilisés dans cette démarche conséquentialiste (2).
1 - Le rôle social du juge en common law
7En recourant à l'argument conséquentialiste, le juge de common law fait clairement appel à des références que l'on pourrait qualifier d'extra-juridiques, qui ont pour effet de placer la démarche conséquentialiste en dehors de tout positivisme. C'est avant tout la plus grande liberté dont jouit le juge en common law, puisqu'il est le créateur du droit et bénéficie, à ce titre, d'un véritable rôle social, qui justifie le recours à un argument atypique, c'est-à-dire qui échappe aux contraintes juridiques inhérentes tant au raisonnement judiciaire qu'à la motivation de la décision qui en découle. Car la motivation, telle qu'elle est conçue dans le droit anglo-saxon, consiste avant tout à indiquer les raisons de toute nature qui ont guidé la Cour dans les options qu'elle a jugées préférables plutôt qu'à réduire la justification au seul droit applicable. Et Neil Mac Cormick d'avancer une explication qui tient à ce qu'en common law, et en Grande-Bretagne particulièrement, ce qui importe dans le recrutement du juge n'est pas tant sa science juridique que son art de la pratique généralement révélé par une longue expérience en tant qu'avocat [4]. De surcroît, quand le juge envisage les effets que produirait sa décision, il ne fait que répondre aux arguments que lui a soumis l'avocat. D'où les fortes similarités entre le style argumentatif réaliste et conséquentialiste du juge et le style argumentatif pragmatique de l'avocat [5].
8Ce constat se retrouve dans la description que les professeurs Touffait et Tune ont pu présenter de l'attitude du juge en common law : « L'audience, déjà, permet un dialogue très libre entre juge et avocats. Rien n'est exclu de ce dialogue. Il porte à la fois sur les faits, sur les moyens, sur les arguments, sur les conséquences des diverses solutions possibles - conséquences pour les parties en cause et conséquences sociales, car le droit est un art social : en cas d'accident de la circulation par exemple, on ne se bornera pas à un raisonnement logique, mais on examinera l'incidence de telle ou telle règle sur le comportement des usagers de la rue et de la route. En pratique, le jugement reflète ce dialogue. Le juge cherche moins à être bref qu'à se faire comprendre (...). La partie perdante sait vraiment pourquoi elle perd. Les juristes qui lisent la décision savent pourquoi elle a été rendue » [6].
9Cette observation qui pourrait surprendre rend parfaitement compte d'un fonctionnement de la justice qui cesse d'être purement formaliste et qui vise l'adhésion des parties et le soutien de l'opinion publique. Dans ce schéma, l'autorité et le pouvoir du juge se trouvent accrus et il est normal qu'il justifie par une argumentation appropriée comment il en a usé. Ainsi, il ne suffit plus d'indiquer que la décision est prise sous couvert d'une motivation simplement légale mais bien de montrer qu'elle est équitable, opportune et socialement utile.
2 - L'identification des facteurs extra-juridiques
10Au vu du réalisme du juge, que doit-on penser de la rédaction des décisions sur le modèle anglo-saxon ? Décision dans laquelle le juge dévoile les « vrais » motifs de la décision, c'est-à-dire les motifs que le juge continental dissimule derrière des motivations de droit. Ce type d'argumentation doit-il être combattu pour la seule raison que le « non-dit », que l'on trouverait dans la motivation de la décision d'un juge continental, est révélé au moyen d'arguments au mieux para-juridiques et « au pire » extra-juridiques, qui relèvent de la subjectivité du juge plus que d'une démarche objective et empirique ? En tout état de cause, l'argument conséquentialiste permet de porter à la connaissance le sens caché et non plus le seul sens apparent de la motivation ; et ce contrairement à ce que permet une simple lecture formaliste de cette dernière.
11Le recours à des facteurs extra-juridiques dans la démarche justificatrice ne doit donc pas pour autant interdire de se demander si ces facteurs sont du droit et s'ils font partie de l'ordre juridique. La réponse est bien entendue duale. Pour les tenants du formalisme et du positivisme, ces facteurs extra-juridiques ne peuvent être du droit. Yann Aguila a très bien repris le raisonnement qui conduit à cette conclusion. Il relève que « la science juridique ne doit pas juger le droit, mais seulement le décrire, de l'extérieur. Dès lors, les considérations politiques et morales ne relèvent pas du discours juridique, que celui-ci soit tenu dans le jugement ou dans les universités. Elles relèvent, tout au plus de la sociologie, c'est-à-dire de l'étude du comportement des juges » [7]. À cette logique formelle s'oppose l'opinion des auteurs anglo-saxons qui vont considérer que ces facteurs externes au droit n'en sont pas moins indispensables au bon fonctionnement du système juridique ; ils sont une sorte d'accessoire de l'ordre juridique, que Hart qualifie de « règles secondaires » [8] et Mac Cormick de « justifications de second ordre » [9]. Mais ces accessoires n'en sont pas moins à ce point indispensables que l'ordre juridique ne pourrait fonctionner sans leur prise en considération. Ce qui justifie que ces paramètres extra-juridiques soient bien au coeur de l'argumentation juridique.
12Ainsi, les juges de common law et d'ailleurs aussi les juges des systèmes mixtes (et on pense ici principalement à la Cour suprême indienne ou la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud) n'hésitent pas à envisager les conséquences qu'une interprétation aurait sur l'ordre moral, social ou économique pour motiver leur décision. De même, l'appréciation du coût de la justice et la nécessaire rationalisation des moyens financiers disponibles conduisent à faire de l'analyse économique du droit (Law and economics pour les Anglo-Saxons) un paramètre de l'évaluation des conséquences de la décision par le juge de common law. Entre deux solutions qui aboutissent au même résultat, celle qui présentera un avantage économique en termes de diminution du coût de la justice pour la collectivité ou de minimisation des conséquences financières pour les acteurs impliqués sera privilégiée. L'exposé des avantages économiques, sociaux, moraux ou éthiques passe en toutes hypothèses par la mobilisation des exigences d'équité ou la recherche du soutien de l'opinion publique. C'est par cette balance des intérêts impliqués « multifactor balancing tests » pour le juge sud-africain [10]) que le juge va élaborer une motivation qui débouchera sur une solution socialement acceptable et juridiquement raisonnable.
13Cette pratique de l'argument conséquentialiste se double d'ailleurs généralement d'une interprétation « évolutive » du texte en cause. C'est notamment le cas aux États-Unis avec le living constitutionalism [11] qui soutient l'idée d'une constitution devant s'interpréter de façon dynamique à l'aune de l'évolution de la société (V. par exemple l'arrêt State of Missouri v./ Holland, 1920) [12]. Loin de se substituer au consequentialism, l'interprétation évolutive des normes (ou la théorie du droit vivant en Italie) [13] la renforce puisque, finalement, le but ultime tant de la technique argumentative que de la méthode interprétative est de permettre au juge d'adapter en douceur le droit aux nouvelles exigences de la société, de le mettre en adéquation avec la réalité sociale. D'où l'interrogation sur les étapes du raisonnement conséquentialiste.
B - Conséquentialisme et démarche finaliste
14L'entreprise de justification par les conséquences de la décision aboutit à renverser le raisonnement du juge de common law, faisant presque de la mesure d'impact la prémisse d'un raisonnement, qui n'aurait pourtant rien de syllogistique a priori, et de sa traduction, dans les références extra-juridiques mentionnées dans la motivation, la conclusion (1). Le consequentialism, en impliquant un raisonnement régressif et non plus strictement déductif, a notamment pour effet de faire entrer le juge anglo-saxon dans une stratégie de légitimation bien plus sociale que juridique (2), stratégie officiellement étrangère au juge de droit continental.
1 - Un raisonnement conséquentialiste singulier
15En dehors de toute logique de raisonnement judiciaire et de motivation des décisions de justice, l'argument conséquentialiste vise à apprécier un acte, un événement, une règle ou toute autre chose en fonction de ses conséquences favorables ou défavorables [14]. Plus particulièrement, dans le cadre de la motivation de la décision de justice, on le rappelle, le recours à l'argument conséquentialiste consisterait à justifier la solution ou l'interprétation d'un texte par les conséquences qu'impliquerait une solution contraire [15]. Pour reprendre les mots du Chief Justice Matthew Hale et les appliquer à l'argumentation par les conséquences, justifier une décision légale et a fortiori judiciaire, c'est « comparer les alternatives résultant de l'une ou l'autre norme envisagée, en apprécier les conséquences prévisibles pour la vie pratique, humaine, économique et sociale et choisir celle qui, dans une pesée impartiale des conséquences favorables ou défavorables, produira par comparaison les plus petits inconvénients et les plus grands avantages » [16]. Dans cette hypothèse, c'est tout ou partie de la valeur des conséquences qui est transféré sur ce qui est considéré comme cause ou obstacle [17]. Ainsi, le juge en common law a-t-il pour souci de veiller à ce que sa jurisprudence, de surcroît revêtue de l'autorité du précédent, n'ait pas de conséquences excessives. Pour cela, il prend en compte la réalité en s'appuyant sur les considérations que l'on peut qualifier de pratiques à défaut de strictement extra-juridiques d'opportunité, des considérations sociologiques et plus largement sociales. En cela, le conséquentialisme s'oppose radicalement au formalisme, remarquablement incarné par le syllogisme judiciaire « à la française ». Et c'est certainement là, comme on le rappelait précédemment, une des raisons principales qui fait que le juge anglo-saxon est plus enclin que le juge continental à utiliser ce type d'argument.
16Découle fort naturellement de ce constat le fait que l'argument conséquentialiste pourrait être considéré comme une forme d'inversion du raisonnement du juge et de renversement du sens de la motivation [18].
17Inversion du raisonnement, premièrement, car c'est l'évaluation des conséquences possibles d'une décision à la lumière du standard de l'acceptable et du raisonnable dans une société démocratique qui va rétroagir sur le choix du juge de privilégier une solution plutôt qu'une autre. Le syllogisme formel et sa rigueur logique semblent bien loin. Pourtant, certains auteurs s'interrogent sur le point de savoir si l'argumentation par les conséquences n'aboutit pas, malgré tout, à faire précéder le raisonnement « d'un syllogisme spontané, intuitif, en fonction des moyens les plus forts de droit présentés par le demandeur, dont on soupèse ensuite les conséquences et que l'on maintient ou non au profit d'une autre solution, éventuellement présentée sous la forme d'un autre syllogisme » [19]. Si un raisonnement de découverte conséquentialiste devait être identifié, il signifierait que « le juge part des conséquences qu'il perçoit immédiatement dans une telle solution et donc [qu'] il prend comme prémisse la conséquence et conclut par l'énoncé d'un principe dont elle pourrait se déduire. Dans ce cas, le principe, la règle, résultent de la conséquence » [20]. La rigueur formaliste et positiviste semblerait donc assez largement éloignée dans le recours à l'argument conséquentialiste. Pour autant, la justification par l'argument présente un avantage : il contribue à doter la motivation de « justifications externes » [21] ; justifications absentes dans le raisonnement des juges continentaux qui érigent le syllogisme en rempart des non-dits de la motivation.
18Renversement du sens de la motivation, deuxièmement, car le prisme de la tradition continentale a toujours conduit à considérer que la motivation enserrait le pouvoir de juge dans un système de contraintes [22]. La transcription de ses présupposés normatifs dans la motivation devait limiter son arbitraire et conforter sa soumission à la loi. En cela, la motivation est étroitement liée au rôle qu'un système juridique entend assigner à ses juges. Et précisément, l'argument conséquentialiste, et plus largement la manière dont les juges anglo-saxons privilégient, dans leur motivation, la narration au syllogisme formel, renversent ce présupposé. L'exposé des choix politiques ou éthiques en amont, et l'étude de leur impact sur le système social entendu largement en aval, ont décomplexé la motivation (au sens de libérée) d'un côté, mais l'ont aussi « recomplexée » (au sens de compliquée) de l'autre. Là où le juge était contraint, il devient libre. Là où il était lié, il devient affranchi. Si on ajoute à cela que les opinions séparées telles que pratiquées par les juges anglo-saxons, et notamment par la Cour suprême des États-Unis, ont largement contribué à rendre leurs décisions moins formalistes et plus ancrées dans la réalité économique et sociale [23], on comprend que le consequentialism, comme argument de la motivation parmi d'autres en common law, va participer d'une véritable stratégie de légitimation des cours qui l'utilisent.
2 - Une stratégie de légitimation sociale
19Le test conséquentialiste, qui vise à une balance optimale des intérêts en présence, doit permettre de mesurer les effets d'une décision dans la sphère sociale et, en dernière instance, de rendre la solution choisie suffisamment acceptable par et pour la communauté. Ce faisant, les cours de common law raisonnent selon des modèles de choix rationnels [24] ; elles deviennent des acteurs stratégiques. Leur étroite dépendance avec leur environnement institutionnel (institutional context) et social les contraint à adapter/ajuster leurs décisions en fonction des attentes, des choix idéologiques/convictions (au sens de policy préférences ou policy considérations [25]) et des réactions de leurs membres, certes, mais surtout des autres acteurs politiques, des pouvoirs publics, des groupes hors de la Cour et de l'opinion publique [26]. Ce « judicial behaviour » (qui a des conséquences directes sur la motivation de la décision), que la science politique américaine a qualifié de « stratégie model », renvoie à l'analyse dominante du moment aux États-Unis. Mais il a été précédé de la mise en évidence d'autres modèles types dont le « stratégie model » réalise en quelque sorte une synthèse : les « legal and semi legal models » (Howard Gillman [2001], Mark Graber [2006], Keith Whittington [2000]) - les juges font du respect de la règle de droit leur ligne de conduite ; et l'« attitudinal model » (Harold Spaeth [1979] and Glendon Schubert [1965]), qui établit le lien entre le sens des votes et les policy preferences des juges en dehors de toute considération liée à l'acceptation de la décision.
20La mise en évidence du comportement judiciaire de la Cour suprême des États-Unis, certainement transposable à d'autres cours de common law, révèle bien la démarche de légitimation dans laquelle le juge est entré et à l'aune de laquelle il mesure l'« institutional security » (qui est la capacité de la Cour à résister aux attaques sur son indépendance) [27], tous ces buts en fonction desquels le raisonnement du juge peut être guidé participent clairement selon nous de sa « stratégie de légitimation sociale » [28].
21Sous cet angle, l'autorité du juge américain semble d'autant plus grande qu'elle s'appuie sur une large part de l'opinion publique qu'elle tente de rallier à travers la prise de décision en faisant d'elle une exigence essentielle de son système de légitimation [29] ; le test conséquentialiste devant alors permettre à la Cour de mesurer quelle solution est susceptible d'être la plus équitable et acceptable par la majorité des citoyens, au vu des conséquences politiques, économiques, sociales ou culturelles (V. dans ce sens l'opinion du juge Sauter dans l'affaire Planned parenthood v./ Casey [30]). Cette démarche, a priori étrangère au juge continental, repose sur un fonctionnement de l'opinion publique aux États-Unis qui n'est pas celui de l'opinion dans les pays continentaux. En common law, l'opinion dominante, majoritaire ou consensuelle résulte d'un débat contradictoire, basé sur le pacte social fondateur. Ainsi, les partis politiques, tout comme les lobbies représentatifs de la société civile, émergent dans l'espace de l'opinion publique avec une égale légitimité de départ incontestable. La stratégie de légitimation sociale repose alors sur la manière dont la Cour traduit dans la motivation la volonté de répondre à cette demande sociale. « Pour rechercher les solutions les plus raisonnables pour le groupe social le plus large » [31], la Cour suprême tente d'anticiper les réactions du public à ses décisions [32], au besoin en prenant en compte les sondages. Ainsi, dans l'affaire Washington v./ Glucksberg (1997) relative au suicide médicalement assisté, la Cour n'a-t-elle pu ignorer que près de soixante pour cent des Américains étaient favorables à cette forme de suicide. Pour les auteurs américains, il ne s'agit pas là, pour le juge, de « prétendre exprimer une vérité absolue mais de participer à un processus nécessairement collectif d'interprétation » [33]. Ce que la doctrine anglo-saxonne justifie en expliquant que « le rôle du juge consiste moins à imposer des vues personnelles sur l'application de tel principe (...) qu'à rechercher une solution tenant compte de l'ensemble des positions raisonnables exprimées » [34].
22Il n'est pas certain que le juge continental ne procède pas de même, à la différence qu'il fait tout pour ne pas le manifester.
II - Le recours implicite au conséquentialisme dans la motivation des juges continentaux
23L'argument conséquentialiste pleinement assumé dans la démarche justificatrice des juges anglo-saxons ne relèverait-il pas du non-dit dans le raisonnement des juges européens ? Il nous semble que la justification par les conséquences n'est pas inexistante chez les juges continentaux ; simplement, elle n'est pas assumée parce que, au vu de la tradition juridique, il n'est pas utile ni ne serait légitime qu'elle le soit. D'où deux questions. Premièrement, l'importation de cette technique argumentative chez les juges de civil law est-elle possible et envisageable (A) ? Et d'ailleurs, deuxièmement, certains juges européens, et notamment français, se réfèrent de plus en plus à cette motivation mais « sans le dire » et donc en masquant cet argument par des « fausses » justifications normatives ? (B).
A - l'importation de la motivation conséquentialiste par les juges de civil law
24Neil Mac Cormick a pu relever qu'il ne semble pas exister de différence de style argumentatif aussi grande que les apparences pourraient le laisser croire entre les méthodes de justifications des juges de common law et ceux de civil law (« I do not believe that in truth and in substance there is as profound a difference between common law nd civilian processes of reasoning as the considerable but superficial difference of appearances would suggest » [35]).
25Ainsi, et en dehors du seul fait de considérer que, quelle que soit la traditionjuridique, le droit a une fonction sociale (il s'insère dans le milieu social autant qu'il le traduit), l'importation de l'argument conséquentialiste dans la tradition continentale semble possible pour une raison systémique (1) et une raison sociologique (2).
1 - La raison systémique
26Sans affirmer que la dichotomie classique entre les deux grandes familles de droit a vécu, ce qui serait excessif, il serait pour autant aussi excessif de ne pas soutenir qu'il n'y a pas aujourd'hui une certaine convergence entre ces deux modèles. La place de la règle de droit législatif est de plus en plus prégnante en common law ; alors que les rôles de la jurisprudence et de l'interprétation des juges ne sont plus véritablement discutés dans la tradition continentale. Le juge n'y est plus exclusivement dans une démarche déductive et une vision légaliste, il va chercher une solution équitable et raisonnable au jugement, « en un mot, [une solution] qui puisse être en même temps juste et conciliable avec le droit en vigueur » [36]. Autrement dit, « la solution recherchée devrait non seulement pouvoir s'insérer dans le système mais aussi se révéler socialement et moralement acceptable par les parties et par le public éclairé » [37]. La preuve est le recours par le juge continental aux normes non écrites comme les principes généraux du droit ou les principes de valeur constitutionnelle. Tout en restant dans ce que son système de droit l'autorise, le juge réalise, peut-être sans l'assumer pleinement, une synthèse entre l'équité et la loi en corrigeant la rigueur de cette dernière par l'utilisation d'un droit prétorien. Le juge n'est plus seulement l'auxiliaire du législateur ; il en est aussi le complément. Cette modification de l'office se traduit alors très directement sur la dualité des arguments justificatifs qu'il utilise : « Comme il s'agit de rendre les décisions de justice acceptables, le recours aux techniques argumentatives devient indispensable ; mais comme il s'agit [aussi] de motiver les décisions en montrant leur conformité au droit en vigueur, l'argumentation judiciaire sera spécifique (...) » [38].
2 - La raison sociologique
27En s'appuyant sur la sociologie du droit, il est permis de considérer que la motivation des décisions de justice ne reflète pas uniquement la culture judiciaire ou le phénomène de juridictionnalisation croissante de la société ; elle révèle aussi les « nouveaux paradigmes » [39] qui s'imposent de manière identique aux juges, quelles que soient leurs traditions juridiques, et aux destinataires de la décision de justice. Il en va ainsi, d'une part, du paramètre éthique et moral qui, explicitement ou implicitement, irrigue de plus en plus tant le délibéré que la motivation. Il en va aussi, d'autre part, de l'exigence de communication dans une société où « l'autorité de la décision ne suffit pas à elle seule » [40]. La nécessité d'expliquer, de justifier et d'argumenter vis-à-vis des tiers fait que « la motivation est devenue communication (...) ; elle n'est plus [seulement] un procédé de justification mais [devient] aussi un procédé de justification » [41]. La motivation juridique n'est alors plus suffisante ; elle doit se doubler de justification sur les antinomies entre les normes et les valeurs dans un souci d'intelligibilité, d'équité et de justice de traitement [42].
28Les raisons sont fortes pour conclure à l'importation dans le droit continental d'une technique de justification dont il n'est pas certain que les juges ne la pratiquent pas déjà de manière « officieuse ».
B - La pratique de l'argumentation conséquentialiste par les juges de civil law
29Si les juges ordinaires usent d'ores et déjà, même timidement, du conséquentialisme (1), le Conseil constitutionnel adopte inévitablement une telle motivation dans le contrôle objectif des normes mais le recours au conséquentialisme s'accroît sous l'effet de la question prioritaire de constitutionnalité qui entend promouvoir l'émergence d'un contentieux concret de la loi (2).
1 - La Cour de cassation et le Conseil d'État
30Concernant la Cour de cassation, André Tunc, qui n'a cessé de plaider en faveur de l'ouverture de la Cour à la réalité sociale - c'est-à-dire d'une prise en compte des conséquences économiques et sociales de ses arrêts -, relevait à cet égard que « la possibilité de prononcer et répéter des formules abstraites permet d'esquiver une réelle discussion des problèmes ; elle permet de n'envisager que superficiellement les conséquences qui résulteront de la décision » [43]. Dans le même sens, une étude récente de la mission Droit et Justice semblait également faire ressortir l'idée que la chambre sociale de la Cour de cassation utilisait l'argument conséquentialiste « contrairement à une idée reçue » [44]. Et même si l'article 5 du code civil pourrait prohiber ce type de justification, les observateurs anglo-saxons font semblant de s'étonner du fait que, pour choisir de manière rationnelle entre deux interprétations possibles d'une règle, la Cour de cassation ne se livre pas, à mots couverts, à une prise en considération des effets pratiques apportés par l'un ou l'autre des solutions choisies [45]...
31Concernant le Conseil d'État, le constat semble être similaire [46]. Et la justification par les conséquences pourrait se trouver à deux moments clés de l'élaboration de la décision... mais sans laisser explicitement de traces dans la décision elle-même. Premier moment, si recours à l'argument conséquentialiste il y a, il se manifeste, assez ostensiblement, dans les conclusions des rapporteurs publics. Certes, il ne s'agit pas du dispositif de la décision ; mais on sait aussi que le sens des conclusions du rapporteur est souvent suivi par la formation de jugement. Yann Aguila a remarquablement mis en évidence le fait que le non-dit conséquentialiste de la décision soit révélé dans les conclusions : « Au fond, est-ce qu'on ne trouve pas dans les conclusions l'équivalent de cette argumentation détaillée qui, dans la tradition anglo-américaine, figure dans les jugements ou dans les opinions dissidentes ? (...). En tout cas, on trouve bien dans ces conclusions toutes sortes de considérations, d'équité, d'efficacité économique, de justice sociale, ou encore de politique jurisprudentielle. Il y a même des habitudes de rédaction dans les conclusions, qui consistent à ranger les arguments en deux grandes catégories : d'abord les arguments « en droit » ; puis les arguments « en équité », voire « en opportunité » [47]. Il est clair que ces derniers ne sont pas repris dans les arrêts du Conseil d'État ». Et l'auteur de prendre pour exemple les conclusions de Romieu sur l'arrêt Cames [48]. Second moment, au cours du raisonnement du juge. Yves Gaudemet relevait déjà, dans sa thèse en 1972, que « le Conseil d'État n'a pas l'habitude d'exposer, dans ses arrêts, toutes les déductions juridiques qui motivent ses décisions. Cependant, (...) ces déductions n'en existent pas moins » [49]. Face à de « fausses lacunes » du droit (règles dont l'effet n'apparaît pas opportun, satisfaisant ou juste [50]), et pour rendre la solution acceptable, le Conseil d'État, fort d'un pouvoir prétorien que ne possède pas son homologue judiciaire, utilise un raisonnement de type finaliste qui lui permet de partir des conséquences attendues pour remonter jusqu'à la majeure du syllogisme, porteuse de la lacune à combler [51]. C'est donc bien en fonction de l'effet souhaité (des considérations de justice sociale, d'équité, etc. mais toujours dans le sens de l'intérêt général) que la règle originelle va être interprétée [52] ; « elle sera induite d'un but et non "logiquement" déduite » [53]. Et pour reprendre l'exemple précédent de l'arrêt Cames, c'est bien l'équité en tant que but qui semble avoir implicitement guidé le juge dans son raisonnement ; après que ces mêmes considérations d'équité aient été clairement avancées dans les conclusions.
2 - Le Conseil constitutionnel
32Peut-être plus encore que les juges ordinaires, le Conseil constitutionnel se livre au conséquentialisme. Il est vrai que la matière constitutionnelle s'y prête particulièrement avec l'exigence d'adéquation optimale de la norme fondamentale à la réalité sociale qu'elle est censée traduire et refléter (qu'on repense au premier sens du contrat social ; V. aussi les propos supra sur la théorie du droit vivant ou la thèse américaine du living constitutionalism [54]). Pour autant, et cet écueil est encore plus saillant dans la motivation constitutionnelle, si le juge est amené à prendre en considération les effets d'une décision qui, pour être la plus acceptable possible, implique une réserve d'interprétation voire une censure de la disposition législative en cause, la démarche conséquentialiste ne peut qu'aboutir à substituer à la volonté du législateur celle du juge constitutionnel. Car rien ne garantit que le choix opéré par le juge aurait pu être celui du législateur, le Conseil rappelant régulièrement qu'il ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation identique à celui du Parlement. La critique du gouvernement des juges se fait entendre (surtout dans des États fortement marqués par la culture légicentriste...) et le procès en illégitimité du juge constitutionnel n'est jamais bien loin.
33Néanmoins, risquons une hypothèse peut-être iconoclaste : le Conseil constitutionnel utilise l'argument conséquentialiste sans toutefois l'admettre véritablement. Quelques indices vont dans ce sens.
34Premièrement, le délai dans lequel le Conseil constitutionnel statue. En application de l'article 61, il dispose d'un mois pour statuer en contentieux a priori, voire huit jours en cas d'urgence ; délai d'un mois également pour statuer dans le cadre du contentieux QPC en application de la loi organique relative à la QPC. Statuant « à chaud » pour reprendre l'expression d'Olivier Dutheillet de Lamothe, la motivation adoptée va nécessairement refléter, d'une part, le fait que le contentieux soumis reflète toujours, peu ou prou, un contexte politique conflictuel ; et, d'autre part, le fait que la décision doit s'adresser, c'est-à-dire être compréhensible, non seulement à la classe politique (et c'est également vrai en contentieux a posteriori [V. la QPC sur la garde à vue ; la QPC sur le harcèlement sexuel ; la QPC sur le mariage entre personnes de même sexe...]) mais aussi à l'opinion publique et aux médias. La stratégie de légitimation sociale évoquée précédemment n'est alors jamais très loin...
35Deuxièmement, au stade de la préparation de la décision, donc bien en amont de la délibération et du raisonnement, les juges constitutionnels disposent d'un dossier documentaire. Parmi les documents contenus dans celui-ci figurent, à côté des références doctrinales et des pièces juridiques, des éléments « reflétant l'état du débat public à travers la presse » [55]. Ce qui traduit bien l'idée selon laquelle les conditions d'application de la loi déférée et « la confiance légitime qu'entend inspirer [le Conseil constitutionnel] tant aux citoyens qu'aux pouvoirs publics » [56] influencent sa décision.
36Troisièmement, il conviendrait de réfléchir au constat selon lequel plus une décision du Conseil apparaît « audacieuse », c'est-à-dire éloignée plus que de coutume de la balise des textes à valeur constitutionnelle, moins elle semble se raccrocher aux méthodes d'interprétation utilisées dans la tradition continentale. Le juge constitutionnel s'autoriserait davantage de réalisme dans ce type d'affaires. L'exemple typique serait bien entendu la décision fondatrice du 16 juillet 1971 au sujet de laquelle les professeurs Favoreu et Philip notaient que, « en réalité, ce qui a été censuré, c'est le fait que le gouvernement voulait, par le biais du contrôle préalable de la déclaration, retarder, décourager et annihiler les tentatives de constitution ou de reconstitution d'association » [57].
37Quatrièmement, il serait opportun de s'interroger sur les effets, précisément, du contrôle concret (d'ailleurs est-on réellement face à un contrôle concret dans la mesure où le juge opère dans son raisonnement une confrontation de normes de la même manière qu'il le fait en contrôle abstrait et que la décision d'inconstitutionnalité revêt un effet abrogatif erga omnes (art. 62 al. 2 de la constitution) dont la finalité, est avant tout de purger l'ordre juridique) via la question prioritaire de constitutionnalité sur le type d'arguments utilisés par le juge constitutionnel. En effet, on pourrait attendre du juge constitutionnel saisi à l'occasion d'un litige qu'il adopte une motivation plus pragmatique, davantage articulée sur la prise en compte des faits et des effets de sa décision. Même si, au bout de quatre ans de mise en oeuvre de la procédure, on peut globalement considérer que le style et la structure de la plupart des décisions QPC ressemblent fortement à celui des décisions DC, il n'en reste pas moins que certaines d'entre elles sont argumentées d'une manière qui tend vers l'argumentation de common law. L'exemple le plus patent, qui est presque un cas d'école, est celui de la décision no 2010-14/22 du 30 juillet 2010 sur la garde à vue [58]. On citera ainsi les considérants 16 à 18 qui font longuement état, statistiques à l'appui, du contexte social et politique sécuritaire dans lequel la garde à vue s'inscrit en évoquant notamment le nombre de procédures soumises à instruction préparatoire (considérant 16, « Considérant qu'ainsi la proportion des procédures soumises à l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer et représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l'action publique en matière correctionnelle ; que, postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales a été généralisée »), de l'augmentation des effectifs de police judiciaire (considérant 17, « (...) que ces modifications ont conduit à une réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale ; que, entre 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire est passé de 25 000 à 53 000 ») et de l'accroissement du nombre de gardes à vue (considérant 18, « que plus de 790 000 mesures de garde à vue ont été décidées en 2009 ; que ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées »). En s'appuyant tant sur les principes de liberté individuelle et de respect des droits de la défense que sur ces circonstances de fait qui marquent un détournement de la procédure de garde à vue au regard des textes qui la définissent, le Conseil conclut à l'inconstitutionnalité de l'article du code de procédure. Mais opter pour la déclaration d'inconstitutionnalité nécessitait obligatoirement en amont une réflexion sur les conséquences pratiques de l'abrogation ou non de cet article. Trois possibilités se présentaient au Conseil. Soit la disposition était déclarée conforme mais c'était entériner le dévoiement du sens de la garde à vue ; ce que les circonstances de fait ne faisaient que prouver. Soit la disposition était abrogée avec effet immédiat : mais c'était créer une zone de non droit pour les gardes à vue en cours et celles dans un avenir proche. D'où le choix d'une abrogation avec effet au 1er juillet 2011, pour laisser le temps au gouvernement « de remédier à l'inconstitutionnalité constatée » en adoptant une nouvelle loi. Alors certes, cet effet différé a pour conséquence que les milliers de gardes à vue pratiquées jusqu'à cette date le soient dans un cadre légal définitivement jugé contraire aux libertés fondamentales [59] ; mais il a aussi pour effet de définitivement sécuriser les centaines de milliers de gardes à vue à venir. Ce que le Conseil synthétise parfaitement dans son considérant 30 : « L'abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives »...
38En lisant le raisonnement du juge entre les lignes, n'y a-t-il pas dans cette formule plus bel aveu de conséquentialisme ? De là à penser que la possibilité de l'article 62 al. 2 de fixer l'effet de l'abrogation à une date ultérieure à la décision soit le canal par lequel l'argument conséquentialiste pénètre l'éventail des justifications utilisées par le Conseil constitutionnel, il n'y a qu'un pas que l'on peut franchir sans difficulté. Le Conseil est en effet totalement souverain pour moduler les effets dans le temps et dans l'espace de ses décisions. Pour choisir de prononcer une abrogation différée ou immédiate, assortie au besoin de véritables injonctions à l'endroit des juridictions et/ou du législateur pour préserver l'effet utile de sa décision - quitte même à dicter au Parlement le contenu de la nouvelle loi, ce qui fut par exemple le cas pour la composition des tribunaux maritimes -, le Conseil va notamment prendre en compte des impératifs d'ordre du public ou la nécessité de ne pas créer de vide juridique. C'est aux termes de cette démarche conséquentialiste qu'il prononça, dès les premiers recours QPC, les premières abrogations différées (couvrant aujourd'hui environ un tiers des décisions de non-conformité totale ou partielle) dans la QPC 2010-1 du 28 mai 2010 à propos de la cristallisation des pensions de retraite ; la QPC garde à vue sus mentionnée ; la QPC 2010-45 du 6 octobre 2010 relative aux noms de domaines sur Internet ; la QPC 2010-71 du 26 novembre 2010 portant sur l'hospitalisation sans consentement etc. Mais il est vrai que l'on ne se situe plus ici au stade de la motivation stricto sensu mais plutôt de la justification de la décision... Les deux séquences sont-elles pour autant si différentes concernant le juge constitutionnel ? Cela n'est pas si sûr...
39Cinquièmement, on peut tout aussi bien se demander si l'on ne discernerait pas quelques traces de conséquentialisme dans les délibérés du juge constitutionnel. Comme pour le Conseil d'État, rien n'apparaîtrait officiellement dans la décision ou l'avis rendu mais tout transparaîtrait officieusement dans la délibération. Le travail sur Les Grandes Délibérations du Conseil constitutionnel nous fournit quelques exemples. Ainsi, dans la séance du 23 avril 1961, Avis sur la mise en oeuvre de l'article 16 de la Constitution, les commentateurs relèvent que « de nombreux arguments extra-juridiques sont évidemment mobilisés, ainsi que l'esprit de l'article 16 plutôt que sa lettre » [60]. La délibération fait clairement apparaître que les membres du Conseil pèsent les conséquences tant d'un avis favorable que défavorable à l'utilisation de l'article 16. Ainsi, M. Gilbert-Jules, « tout en admettant que ses scrupules juridiques sont peut-être inopportuns, se demande si le Conseil, dans l'hypothèse où il émettrait un avis défavorable, attendrait que les pouvoirs publics veuillent bien publier cet avis » [61]. De même, dans la rédaction finale, le même Gilbert-Jules est d'avis qu'il ne faut pas « parler de "portion de territoire" de façon à ne pas donner un argument aux partisans de l'Algérie française » [62]. Mais en tout état de cause, selon René Coty, « il conviendrait de faire observer au Président que l'application de ce texte est juridiquement fort contestable et politiquement dangereuse » [63]. Les délibérations de la période 1965-1974, également riche en « grands avis » rendus sous l'ère de Gaulle, notamment sur les questions référendaires, donnent lieu à une utilisation assez décomplexée des arguments conséquentialistes de nature sociale ou politique. Peut-être « parce que le Conseil est moins lié qu'il ne l'est dans le cadre d'une compétence contentieuse » ; et parce qu'« en raison du caractère confidentiel de l'avis (...) [les juges estiment pouvoir s'aventurer sur des terrains extra-juridiques] sans avoir l'obligation de s'en justifier » [64]. Ainsi en va-t-il des arguments échangés lors de la séance du 27 mai 1968, Avis sur le projet de référendum relatif à la rénovation universitaire, sociale et économique ; ou lors de la séance du 2 avril 1969.
40En dehors des avis, la lecture des délibérations a pu laisser apparaître que la prise en compte par les membres de l'impact de leurs décisions dans l'opinion publique « a parfois [eu] une influence soit sur la rédaction de la décision soit sur leur sens même » [65]. Ainsi le 15 janvier 1960, Léon Noël rejette une proposition du président Auriol « en considération de l'effet que produirait alors la décision sur les musulmans » [66] au motif que, si le Conseil émet des réserves de constitutionnalité sur la loi organique, « ses membres seront considérés par les musulmans comme racistes » [67] ! Prise en compte du public lors de la séance du 6 novembre 1962 encore : à propos du contrôle de constitutionnalité de la loi référendaire, le Conseil ne doit pas se déclarer incompétent sinon « les citoyens en tireraient nécessairement la conséquence de l'inutilité du Conseil (...) qui ne peut ou ne veut s'opposer à la mise en vigueur d'une loi déclarée inconstitutionnelle par lui-même » [68]... Autre exemple encore plus frappant d'utilisation d'un test conséquentialiste qui ne dit pas son nom, la séance du 19 juin 1970, Contrôle de constitutionnalité du droit communautaire. Le procès-verbal fait apparaître que, « (...) pour la première fois pour le Conseil, se trouve la nécessité de dire la constitution par rapport à la souveraineté nationale (...). [En conséquence] monsieur le Président demande à chacun des membres, quelle que soit la décision qui sera prise, d'y réfléchir avec toutes ses possibilités constructives de façon que la solution retenue puisse être approuvée par l'ensemble de l'opinion » [69].
41Au final, ce regard croisé, sur l'utilisation de la motivation conséquentialiste par des juges de traditions judiciaires différentes conduit à deux conclusions. La première a trait à la porosité des grands systèmes de droit, le juge étant un canal d'entrée des méthodes de travail de son homologue ; la seconde concerne le juge dont un des versants de l'office, quelle que soit la tradition judiciaire concernée, consiste à rendre une décision acceptable, c'est-à-dire compréhensible et intériorisable par le public. C'est bien sous cet angle que la motivation des décisions de justice est une condition essentielle de la légitimité du juge.
Notes
-
[1]
T. Sauvel, Histoire du jugement motivé, RDP, 1955, p. 36.
-
[2]
Sur le rôle que joue la motivation des décisions dans la construction de la légitimité du juge V. F. Hourquebie,. Sur l'émergence du contre-pouvoir juridictionnel sous la V République, Bruylant, 2004, pp. 485-506.
-
[3]
N. Mac Cormick, The motivation of judgement in the common law, in Ch. Perelman et P. Foriers, La motivation des décisions de justice, Bruylant, 1978, p. 180
-
[4]
N. Mac Cormick, "The motivation of judgement in the common law", art. cit., p. 168.
-
[5]
« There is an obvious and marked reciprocity of style between lawyer's and judge's arguments in our System, and it cannot be fanciful to ascribe that to an underlying reciprocity of expectations", ibid., p. 170.
-
[6]
A. Touffait et A. Tunc, Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment celles de la Cour de cassation, RTD civ. 1974. 489. Dans le même sens, F.-M. Schroeder, Le nouveau style judiciaire, Dalloz, Paris, 1978.
-
[7]
Extrait du texte de la conférence prononcée dans la Grand'Chambre de la Cour de cassation le 31 mars 2005, en ligne sur le site de la Cour de cassation www.courdecassation. fr/colioques_activites_formation_4/2005_2033/yan_a-guila_8092.html
-
[8]
H. L. A. Hart, Le concept de droit, Publications des facultés universitaires de Saint-Louis, Bruxelles, 1976, p. 119
-
[9]
N. Me Cormick, Raisonnement juridique et théorie du droit, PUF, Les voies du droit, 1996, p. 117.
-
[10]
On en retrouve la pratique dans plusieurs décisions. À titre d'exemple, le meilleur exemple de cette stratégie est l'affaire First National Bank of SA Ltd t/a Westbank v./ Commissionner, South African Revenue Service (2002[4] SALR 768 [CC]).
-
[11]
B. Ackerman, The living constitution, in E. Smith (ed.), Constitutional justice under old constitutions, The Hague, Kluwer law international, 1995, p. 315.
-
[12]
L'affaire qui lui était soumise "must be considered on the light of our whole experience, and not merely in that of what was said a hundred ycars ago" (State of Missouri v./ Holland, 252 US 416, 433 (1920) ; dans le même sens V. le dictum du juge Warren l'affaire Trop v./ Duiles : "the court recognized in that case that the words of the amendment are not precise, and that their scope is not static. The amendment must draw its meaning from the evolving standards of decency that mark the progress of a maturing society" (Trop v./ Duiles, 356 US 86 (1958) ; cité in R. Bismuth, L'utilisation de sources de droit étrangères dans la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis, RIDC, 1-2010, pp. 127-128.
-
[13]
G. Zagrebeisky, La doctrine du droit vivant et la question de constitutionnalité, Constitutions 2010. 1
-
[14]
Plus généralement, sur l'argument pragmatique, V. Ch. Perelman, Le champ de l'argumentation, PUB, 1970, p. 100.
-
[15]
V. F. Gea et C. Marraud, Programme analytique de l'argumentation judiciaire en droit du travail. La justification de la prémisse normative, mission Droit et Justice, févr. 2008, p. 6.
-
[16]
M. Hale, Considerations touching the amendment or alteration of laws, Francis Hargrave (ed.) (Coilecteana juridical 1791, pp. 253-289) cité in M. Kriele, Das demokratische Prinzip im Grundgesetz, Veröffentlichungen der Vereinigung der deutschen Staatrechtlehrer, Heft 29, pp. 46-84.
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[17]
Chaim Perelman note à cet égard que « le transfert émotif opéré par l'argument pragmatique s'impose même de façon si évidente que bien souvent l'on croit tenir à quelque chose pour sa valeur propre alors qu'on ne s'intéresse qu'aux conséquences », in Le champ de l'argumentation, op. cit., p. 101.
-
[18]
Ce rôle assigné au conséquentialisme ferait du raisonnement judiciaire en common law un autre modèle type de raisonnement en concurrence avec le modèle d'argumentation strictement déductif, « I shall raise the question wether the importance ascribed by some judjes ans jurists to arguments of principle and yo consequantialist arguments does not suggest the existence within the system of another ideal type which competes with the deductive-subsumptive model of argumentation », in N. Mac Cormick, art. cit., p. 181.
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[19]
E. Jouannet, Remarques conclusses, in H. Ruiz-Fabri et J.-M. Sorel (dir.), La motivation des décisions des juridictions internationales, Collection Contentieux international, Pedone, 2008, p. 268.
-
[20]
Ibid. Et l'auteur de relever que, « pour certains, les juges procèdent essentiellement de cette façon : partent de la solution et remontent régressivement au principe ou à la règle [mais une question se pose] : Comment parvenir à cette solution concrète et envisager les conséquences favorables intuitivement si on n'a pas en arrière-plan mental la connaissance du droit et de la solution approximative par subsomption », ibid., p. 268.
-
[21]
Selon l'expression de J. Wrobleski, Motivation de la décision judiciaire, in Ch. Perelman et P. Foriers, La motivation des décisions de justice, Bruylant, 1978, pp. 111-135.
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[22]
Sur la notion de contrainte V. M. Troper, V. Champeil-Desplats et G. Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, LGDJ, 2005. Et notamment l'essai de typologie des contraintes en fonction du résultat produit, du degré de contraintes ou de son origine (pp. 16-23) et la nature des contraintes juridiques qui s'imposent au juge tant dans sa démarche décisoire que justificatrice (pp. 111-114). Dans le même sens, V. M. Troper, La motivation des décisions constitutionnelles, in Ch. Perelman et P. Foriers, La motivation des décisions de justice, Bruxelles, Bruylant, 1978, pp. 296 et s.
-
[23]
Ch. Perelman, La logique juridique et l'argumentation, in Ch. Perelman, Logiques juridiques : nouvelle rhétorique, Dalloz, 1999.
-
[24]
Th. Roux, Principle and pragmatism on the constitutional court of South Africa, l-CON, Vol. 7, no 1, 2009, p. 112. Dans le même sens, V. L. Epstein a. J. Knight, Toward a strategic revolution in judicial politics : a look back, a look ahead, 53 Pol. Res. Q. 62 (2000). Sur le processus de "dedsion-making" de la Cour suprême des États-Unis, V. plus généralement les approches néo-institutionnelles, et not. C.-W. Clayton a. H. Gil-mann eds., Univ. Chicago Press, 1999 : V. aussi C.-VV. Cornell, Collegial norms and opinion-writing on the US Suprême court, in F. Hourquebie (dir.), Principe de collégialité et cultures judiciaries, Bruylant, 2010, pp. 195-214.
-
[25]
Les policy preferences participent clairement d'une démarche réaliste et pragmatique du juge anglo-saxon. Mais si elles contribuent à prédéterminer le sens d'un jugement, elles n'en corrigent pas forcément la portée au vu des conséquences qu'il aura.
-
[26]
L. Epstein, 0. Shvetsova a. J. Knight, « The role of constitutional courts in establishment of democratic Systems of government », 35 Law a. Soc'y Rev. 117 (2001) : J. Knight a. L. Epstein, « On the struggle for judicial supremacy », 30 Law a. Soc'y Rev. 87(1996).
-
[27]
Th. Roux, art. cit., p. 108.
-
[28]
Dans ce sens V. G. Scoffoni, La légitimité du juge constitutionnel en droit comparé : les enseignements de l'expérience américaine, RIDC no 2, 1999, p. 269 : et du même auteur, Justice constitutionnelle et démocratie aux États-Unis, Crises, no4, 1994, pp. 162-164.
-
[29]
V. not. les décisions Brown v./ Board of education, 347 US 483 (1954) : United States v./ Nixon, 418 US 683 (1955) : Stanford v./ Kentucky, 109 S. Ct. 2969 (1989) : Walton v./ Arizona, 110 S. Ct. 3047 (1990)...
-
[30]
Planned Parenthood v./ Casey, 112 S. Ct. 2791 (1992), at 2814.
-
[31]
G. Scoffoni, Les enseignements d'une vieille démocratie : l'exemple américain, art. cit., p. 198.
-
[32]
Les raisonnements de la Cour suprême sur des sujets politiques sensibles comme le traitement médical maintenant en vie, Cruzan, 497 US 261 (1990), l'avortement (Planned Parenthood v./ Casey, 112 S. Ct. 2791 (1992) ou le suicide médicalement assisté (Washington, v./ Glucksberg, 117 S.Ct. 2258 [1997]) sont caractéristiques du recours au consequatialism.
-
[33]
R.-H. Fallon Jr., Implementing the Constitution, Harvard Law Review, vol. 11, no 1, nov. 1997, p. 148.
-
[34]
G. Scofoni, La légitimité du juge constitutionnel en droit comparé : les enseignements de l'expérience américaine, art. cit., p. 270.
-
[35]
N. Mac Cormick, The motivation of judgements in the common law, art. cit., p. 171.
-
[36]
Ch. Perelman, Logiques juridiques, op. cit., p. 136.
-
[37]
Ibid.
-
[38]
Ibid., p. 137.
-
[39]
E. Jouannet, « Remarques conclusses », art. cit., p. 279.
-
[40]
Ibid.
-
[41]
Ibid., p. 280.
-
[42]
Pour aller plus loin sur cette question V. J.-CI. Guiliermet, La motivation des décisions de justice : la vertu pédagogique de la justice, L'Harmattan, coll. Bibliothèque de droit, 2006, pp. 14 et s.
-
[43]
A. Tunc, La Cour de cassation en crise, Archives de philosophie du droit, 1985, p. 166. Et dans le même sens, V. Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, RTD civ. 1974. 503.
-
[44]
F. Géa et C. Marraud, op. cit., p. 6.
-
[45]
« It is thus to choose between two alternative forms of society, accordingly as one or other of the competing versions, the competing concrete rules, is chosen. Could it be rational to make such a choice without taking serious consideration of the practical effects to be anticipated as foilowing from the choice ? ", in N. Mac Cormick, art, cit., p. 184.
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[46]
M.-Cl. Ponthoreau, La reconnaissance des droits non écrits (...), op. cit., pp. 206-207.
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[47]
T. Aguila, conférence prononcée dans la Grand'Chambre de la Cour de cassation le 31 mars 2005, préc.
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[48]
« On en trouve une illustration dans les fameuses conclusions de Romieu sur l'arrêt Cames de 1895, lequel, trois ans avant la législation sur les accidents du travail, avait créé, d'une manière purement prétorienne, un régime de responsabilité pour risque en matière d'accident de service des fonctionnaires. « La justice, disait Romieu, veut que l'État soit responsable vis-à-vis de l'ouvrier des dangers que lui fait courir sa coopération au service public ». C'est un argument de pure équité, et qui n'est évidemment pas expressément repris par l'arrêt Cames, qui se borne à poser la règle nouvelle sans la justifier », ibid.
-
[49]
T. Gaudemet, Les méthodes du juge administratif, Paris, 1972, p. 51.
-
[50]
P. Foriers, Les lacunes du droit, Études de logique juridique, tome 2, Bruxelles, 1967, p. 57.
-
[51]
Pour une analyse approfondie du raisonnement finaliste V. F. Rouvillois, Le raisonnement finaliste du juge administratif, RDP, 1990, pp. 1820 et 1826.
-
[52]
La théorie du bilan coût/avantage chère au juge administratif plane sur son raisonnement finaliste.
-
[53]
Ibid., p. 1831.
-
[54]
Deux références stimulantes peuvent être particulièrement consultées : W.-H. Rehnquist, The notion of a living constitution, Texas law review, Vol. 54, no 4, 1976, p. 694, et D.-J. Goldford, The american constitution and the debate over originalism, New York, Cambridge University Press, 2005, pp. 67 et s.
-
[55]
O. Dutheillet de Lamothe, Les modes de décision du juge constitutionnel, texte prononcé lors du Séminaire international de justice constitutionnelle organisé par le Centre d'études constitutionnelles et administratives de l'Université catholique de Louvain, Bruxelles, 6-7 décembre 2001, http://www.conseil-constitutionnel, fr
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[56]
ibid.
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[57]
Commentaire in Marie-Claire Ponthoreau, op. cit., p. 207.
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[58]
http://www.conseii-constitutionnei.fr/conseil-constitution-nel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depui 1959/2010/2010-14/22-qpc/decision-n-2010-14-22-qpc-du-30-juiliet-2010.48931.html
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[59]
V. E. Daoud, Garde à vue : faîtes entrer l'avocat, Constitutions 2010. 583 .
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[60]
B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Melin-Soucramanien, D. Rousseau et X. Philippe, tes grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1983, Dalloz, 2009, p. 36 (2e. éd., 2014).
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[61]
Ibid., p. 87.
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[62]
Ibid., p. 88.
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[63]
Ibid., pp.83-84.
-
[64]
Ibid., p. 142.
-
[65]
Ibid, p. 50.
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[66]
Ibid.
-
[67]
Ibid.
-
[68]
Ibid.
-
[69]
Ibid., p. 163.