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Article de revue

Le quotidien des magistrats et le travail émotionnel

Pages 27 à 48

Notes

  • [1]
    La première au département de sociologie et la seconde à l'École de droit (Flinders University, GPO Box 2100, Adelaide SA 5001, Australia : Magistrates.research@flinders.edu.au)
  • [2]
    A. R. Hochschild, The Manager Heart : Commercialization of Human Feeling, 1983, p. 89-136 : R. J. Steinberg et D. M. Figart, "Emotional labor since The Managed Heart", Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1999, 561, p. 8, 9.
  • [3]
    A. R. Hochschild, op. cit.
  • [4]
    Cette étude a été financée en 2001 par une bourse de recherche conjointe université-industrie, avec comme partenaires l'Université de Flinders et l'Association des magistrats australiens (AAM) ; elle a en outre bénéficié d'un soutien financier de l'Institut australien de l'administration judiciaire, Elle est actuellement financée par une bourse Australian Research Council Linkage Project Grant (LP210306) avec l'AAM, tous les présidents de juridiction et leurs tribunaux comme partenaires industriels, et avec le soutien de l'Université de Flinders comme établissement d'accueil. Mes remerciements à Ruth Harris, Julie Henderson, Mary McKenna, Rose Polkinghorne et Wendy Reimens pour leur assistance administrative et lors des études. Des versions antérieures ou des parties de ce document ont été présentées à l'Atelier juridique féministe à Adélaïde en 2003, à la réunion annuelle des magistrats d'Australie méridionale en septembre 2003, à la conférence annuelle de l'Association sociologique australienne à Armidale en 2003 et à la réunion annuelle de l'Association sociologique américaine en août 2004 à San Francisco. Nous avons apprécié les remarques et les suggestions très utiles de Meg Carter, Margaret Davies, Patricia Yancey Martin, ainsi que des lecteurs anonymes. Cette étude a aussi fait l'objet d'une publication dans Journal of Law and Society (vol. 32, no 4, déc. 2005, p. 590-614).
  • [5]
    Certains progrès dans la réglementation juridique, par exemple le mouvement de la justice réparatrice, intègrent explicitement les émotions de honte dans le processus judiciaire (ou quasi-judiciaire). J. Braithwaite, Crime, Shame and Réintégration, 1989 : K. Daly et H. Hayes, "Restorative Justice and Conferencing in Australia", Trends and Issues in Crime and Criminal Justice papers, 2001, no 186 : K. Daly et H. Hayes, "Restorative Justice and Conferencing in Australia", in The Cambridge Handbook of Australian Criminology, eds. A. Gray-car et P. Grabosky, 2003, p. 294-312. Ce document ne s'intéresse pas aux réformes spécifiques du processus judiciaire basées sur l'intégration explicite des émotions, mais à la gestion des émotions par les personnels judiciaires dans la salle d'audience, au quotidien.
  • [6]
    B. Lange, "The Emotional Dimension in Legal Régulation", Journal of Law and Society, 2002, 29, p. 197.
  • [7]
    A. R. Hochschild, "Emotion Work, Feeling Rules and Social Structure", American Journal of Sociology, 1979, 85, p. 551 ; A. R. Hochschild, The Managed Heart : Commercialization of Human Feeling (1983) : S. Karstedt, "Emotions and criminal justice", Theoretical Crim. 2002, 6, p. 299 : A. Konradi, "Preparing to Testify : Rape Survivors Negotiating the Criminal Justice Process", Gender and Society, 1996, 10, p. 404 : A. Konradi, "I Don't Have to be Afraid of You : Rape Survivors' Emotion Management in Court', Society for the Study of Symbolic Interaction, 1999, 22, p. 45 : J. Morison and P. Leith, The Barrister's World and the Nature of Law, 1992, chap. 6.
  • [8]
    A. Abbott, "Status and Status Strain in the Professions", American Journal of Sociology, 1981, 86, p. 819, 823-24.
  • [9]
    P. Bourdieu, "The Force of Law : Toward a Sociology of the Juridical Field", Hastings Law Journal, 1987, 28, p. 814.
  • [10]
    M. Pell, The Lowest Rung : Voices of Australian Poverty, 2003.
  • [11]
    Dans la plupart des juridictions, le tribunal de première instance est appelé Magistrates' Court, excepté en Nouvelle-Galles du Sud où c'est le Local Court. Dans le Territoire de la capitale australienne, le Territoire du Nord et la Tasmanie, il n'existe pas de tribunaux intermédiaires entre les Magistrates' Court et la Cour suprême. L'Australie-Méridionale, le Queensland, la Nouvelle-Galles du Sud et l'Australie-Occidentale ont des District Court et, dans l'État de Victoria, l'équivalent est le County Court.
  • [12]
    Hochschild, op. cit., no 6, p. 156.
  • [13]
    Idem.
  • [14]
    V. par exemple, Were c/ Police [2003] SASC 116 et Shams c/ Clarson [2002] WASCA 121 : D. Eccles et S. Fewster, « Censure for "Abusive" Magistrate » The Advertiser (Adélaïde), 2 mai 2003, 3 ; G. Kelton, "Magistrale Called Accused a Junkie Who Would Die in the Gutter ; It's Not a Hanging Offence But... Please Explain" The Advertiser (Adélaïde), 1 mai 2003, 7 ; G. Kelton, "Magistrate Will Be Asked to Explain Abusive Remarks Made in Court : Junkie Was Told She Would Die in the Gutter" The Advertiser (Adélaïde), 1 mai 2003, 7.
  • [15]
    S. Roach Anleu, K. Mack, Magistrates Survey : Preliminary Findings on Job Satisfaction, Worlkoad and Stress : Magistrates Research Project, 2003.
  • [16]
    A. Strauss, J. Corbin, Basics of Qualitative Research : Techniques and Procedures for Developing Grounded Theory 1997, 2e éd., p. 11 : V. égal. R. G. Burgess, In the Field : An Introduction to Field Research, 1984 : W. L. Neuman, B. Wiegand, Criminal Justice Research Methods : Qualitative and Quantitative Approaches, 2000, chap. 14.
  • [17]
    Strauss, Corbin, op. cit., p.19.
  • [18]
    J. B. Thomas, Judicial Ethics in Australia, 1997, 2° éd., p. 195.
  • [19]
    Puisque les magistrats disposent d'une vaste compétence, ils sont plus susceptibles de traiter certains types de questions que d'autres. Les données du bureau d'Australie-Méridionale de la recherche et des statistiques sur la criminalité montrent que, (excepté de nombreux délits de circulation et de questions relevant du conseil), sur les 29 206 cas criminels conclus en 2003, les infractions pour mauvaise conduite constituaient le principal chef d'accusation avec 24, 4 %, les infractions contre l'ordre public représentaient 19, 6 % des cas : le vol et le recel 13, 0 %, les délits contre la personne 13, 3 % (à l'exception des délits sexuels) : 14, 4 % correspondaient aux délits sexuels : et 5, 1 % ne relevaient pas d'infractions (ordonnances de restriction de plusieurs types). Bureau de recherche et de statistiques sur la criminalité (SA), Crime and Justice in South Australia 2003 : Adult Courts and Corrections, 2004, 15.
  • [20]
    J. Lowndes, "The Australian Magistracy : From Justices of the Peace to Judges and Beyond Part I", Australian Law Journal, 2000, 74, p. 509, 519-24.
  • [21]
    R. Morgan, "Magistrates : The Future According to Auld", Journal of Law and Society, 2002, 29, p. 308 : A. Sanders, "Core Values, the Magistracy, and the Auld Report", Journal of Law and Society, 2002, 29, p. 324 : P. Seago et al., "The Development of the Professional Magistracy in England and Wales", Criminal Law Review, 2000, p. 631.
  • [22]
    S. Vago, Law and Society, 2003 (7e éd.).
  • [23]
    Lowndes, op. cit., no 15.
  • [24]
    Nos données sur l'état de la magistrature australienne ont été obtenues et régulièrement actualisées en utilisant diverses sources publiques et officielles, notamment les sites Internet des tribunaux et leurs rapports annuels.
  • [25]
    Un aspect de l'inamovibilité concerne les dispositions de retraite obligatoire. En Australie, les juges ne sont pas nommés à vie, mais plutôt jusqu'à un âge fixé pour la retraite. L'âge de la retraite obligatoire est de 65 ans pour tous les magistrats, excepté à Victoria, où il est de 70 ans : en Nouvelle-Galles du Sud et en Tasmanie, où il est de 72 ans. Il existe certaines possibilités de retraite anticipée volontaire. Les magistrats, comme d'autres personnels judiciaires, sont sujets à une possibilité de révocation pour certains motifs, mais les processus de révocation sont plutôt lourds.
  • [26]
    Comité directeur pour l'examen de la prestation de services gouvernementaux, Report on Government Services 2005 (2005), tableau 6.4.
  • [27]
    Ibid., tableaux 6.2 et 6.3.
  • [28]
    Comité directeur pour l'examen de la prestation de services gouvernementaux, Report on Government Services 2004 (2004), tableaux 6.9, 6.10, 16.28, 16.30. Il y a des limites à la comparaison de ces chiffres. Nous avons été confrontés à des problèmes significatifs dans l'obtention de données statistiques nationales précises.
  • [29]
    A. Mason, "The Courts as Community Institutions", Public Law Review, 1998, 9 (2), p. 83, 84.
  • [30]
    R. Mohr et al., "Performance Measurement for Australian Courts", Journal of Judicial Administration, 1997, 6 (3), p. 156 : J. Raine et M. J. Willson, "The Court, Consumerism and the Defendant", British Journal of Criminology, 1996, 36, p. 498.
  • [31]
    R. Moorhead et al., "What Clients Know : Client Perspectives and Legal Competence", International Journal of the Legal Profession, 2003, 10, p. 5. Nous sommes reconnaissants à un lecteur d'avoir suggéré ce point.
  • [32]
    Hochschild distingue entre la réalisation du travail émotionnel et le poids des émotions sur le travailleur. Bien que le travailleur social, l'éducateur, le docteur ou l'avocat ont un contact personnel et essaient d'influer sur les états émotionnels des autres, ils ne travaillent pas avec un superviseur des émotions derrière eux. Plutôt, ils supervisent leur propre travail émotionnel en considérant les normes professionnelles instructives et les attentes du client (Ibid., p. 153). Dans cette articulation par Hochschild du travail émotionnel, les règles du comment se sentir ou comment exprimer les sentiments sont fixées par la direction.
  • [33]
    L. Pierce, "Emotional Labor among Paralegals", Annals of the Am. Academy of Political and Social Science, 1999, 561, p. 127-128.
  • [34]
    Ibid., p. 127-136.
  • [35]
    K. J. Lively, "Reciprocal Emotion Management", Work and Occupations, 2000, 27, p. 32, 41, 45.
  • [36]
    Ibid., p. 32, 57.
  • [37]
    Ibid., p. 32, 41, 45.
  • [38]
    A. Rafaeli et R. I. Sutton, "Expression of Emotion as Part of the Work Role", Academy of Management Review 1987, 12, p. 23-24 : A. Rafaeli et R. I. Sutton, "Emotional Contrast Strategies as Means of Social Influence : Lessons from Criminal Interrogators and Bill Collectors", Academy of Management Journal, 1991, 34, p. 749, 758-65.
  • [39]
    Rafaeli et Sutton, op. cit., 1991, no 36, p. 758-61.
  • [40]
    S. E. Martin, "Police Force or Police Service ? Gender and Emotional Labor", Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1999, 561, p. 111, 112.
  • [41]
    Ibid., p. 116.
  • [42]
    A. S. Wharton, "The Affective Consequences of Service Work : Managing Emotions on the Job", Work and Occupations, 1993, 20, p. 205-223.
  • [43]
    A. S. Wharton, "The Psychosocial Consequences of Emotional Labor", Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1999, 561, p. 158-162.
  • [44]
    Ibid., p. 165.
  • [45]
    K. M. Macdonald, The Sociology of the Professions, 1995 : S. Roach Anleu, Law and Social Change, 2000, p. 77-107.
  • [46]
    T. Parsons, Essays in Sociological Theory, 1954, p. 35.
  • [47]
    S. Fineman, "Organizations as Emotional Arenas", in Emotion in Organizations, éd. S. Fineman, 1993, p. 19.
  • [48]
    P. A. Thoits, "The Sociology of Emotions", Annual Review of Sociology 1989, 15, p. 317 : P. A. Thoits, "Emotional Deviance : Research Agendas", in Research Agendas in the Sociology of Emotions, éd. T. D. Kemper, 1990, p. 180-181.
  • [49]
    L. N. Henderson, "Legality and Empathy", Michigan Law Review, 1987, 85, p. 1574-1576 : B. Lange, "The Emotional Dimension in Legal Regulation", Journal of Law and Society, 2002, 29, p. 197-199 : M. Weber, Economy and Society : An Outline of Interpretive Sociology, 1978.
  • [50]
    A. Sarat et W. Felstiner, "Law and Strategy in the Divorce Lawyer's Office", Law and Society Review, 1986, 20, p. 1978.
  • [51]
    W. L. F. Felstiner, "Synthesizing Socio-Legal Research : Lawyer-Client Relations as an Example", International Journal of the Legal Profession, 2001, 8 (3), p. 191, 194.
  • [52]
    Moorhead et al., op. cit., no 26.
  • [53]
    L. C. Harris, "The Emotional Labour of Barristers. An Exploration of Emotional Labour by Status Professionals", Journal of Management Studies, 2002, 39, p. 553, 563, 574.
  • [54]
    Ibid., p. 553 : Morrison et Leith, op. cit., no 1, chap. 3.
  • [55]
    Harris, op. cit., p. 553, 563.
  • [56]
    Ibid., p. 553, 570.
  • [57]
    Konradi, op. cit., 1999, no I, p. 53-54 : A. Konradi, "Pulling Strings Doesn't Work in Court : Moving Beyond Puppetry in the Relationship between Prosecutors and Rape Survivors", Journal of Social Distress and the Homeless, 2001, 10, p. 5, 16-22.
  • [58]
    Hochschild, op. cit., no 6, p. 89.
  • [59]
    Ibid., p. 153.
  • [60]
    Ibid., p. 153, 234-238.
  • [61]
    E. Campbell et H. P. Lee, The Australian Judiciary, 2001, p. 14.
  • [62]
    Bourdieu, op. cit., no 3, p. 818 : Weber, op. cit., no 48, p. 656-657.
  • [63]
    Henderson, op. cit., no 48.
  • [64]
    S. Fuchs et S. Ward, "Deconstruction : Making Facts in Science, Building Cases in Law", American Sociological Review, 1994, 59, p. 481.
  • [65]
    D. Wood, Judicial Ethics : A Discussion Paper, 1996, p. 15.
  • [66]
    Fuchs et Ward, op. cit., no 63, p. 490.
  • [67]
    E. Campbell et H. P. Lee, The Australian Judiciary, 2001, p. 132.
  • [68]
    AIJA, op. cit., no 66, p. 3.
  • [69]
    Ibid., p. 15 : V. aussi Judicial Studies Board (UK), Fairness in Courts and Tribunals : A Summary of the Equal Treatment Bench Book, 2004.
  • [70]
    Australian Institute of Judicial Administration (AIJA), Guide to Judicial Conduct, 2002, p. 15.
  • [71]
    Thomas, op. cit., no 13, p. 26-29.
  • [72]
    Were v. Police [2003] SASC 116 [15]
  • [73]
    Bourdieu, op. cit., no 3.
  • [74]
    Magistrates' Court de l'État de Victoria c/ Robinson (2000) VSCA 198 [24].
  • [75]
    R. N. Douglas, K. Laster, Reforming the People's Court : Victorian Magistrates' Reactions to Change, 1992, p. 20.
  • [76]
    Ibid., p. 21
  • [77]
    Dans le contexte des Magistrates' Courts australiennes, le sexe, l'âge et le nombre d'années d'expérience sont fortement liés. En général, les femmes sont plus jeunes et ont été nommées plus récemment que leurs confrères. La reconnaissance des émotions et la volonté de s'engager dans un travail émotionnel pourraient être davantage liées au nombre d'années d'expérience qu'au sexe - les personnes issues depuis peu des cabinets d'avocats ont peut-être un point de vue divergent de celui des magistrats plus expérimentés. Nous n'avons pu évaluer, à la seule lumière de l'échantillon interrogé, l'effet relatif (seul ou en corrélation avec un autre) de ces variables indépendantes sur le travail émotionnel.
  • [78]
    A. Abbott, "Status and Strain in the Professions", American Journal of Sociology, 1981, 86, p. 819.
  • [79]
    T. R. Tyler, "The role of Perceived Injustice in Defendants' Evaluations of Their Courtroom Experiences", Law and Society Review 1984, 18, p. 51 ; T. R. Tyler, "What is Procedural Justice ? Criteria Used by Citizens to Assess the Fairness of Legal Procedures", Law and Society Review, 1988, 22, p. 103 ; T. R. Tyler, Why People Obey the Law, 1990.
  • [80]
    Tyler, ibid., 1990 p. 7.
  • [81]
    Ibid., p. 163-173.
  • [82]
    A. S. Blumberg, "The Practice of Law as Confidence Game : Organizational Cooptation of a Profession", Law and Society Review, 1967, 1, p. 15 ; M. Galanter, "Why the "Haves" Come out Ahead : Speculations on the Limits of Legal Change", Law and Society Review, 1974, 9, p. 95.
  • [83]
    Magistrates' Court de l'État de Victoria c/ Robinson [2000] VSCA 198 [8] Charles JA.
  • [84]
    C. Clark, "Sympathy Biography and Sympathy Margin", American Journal of Sociology, 1987, 93, p. 290-297.
  • [85]
    C. Maslach et al. "Job Burnout", Annual Review of Psychology, 2001, 52, p. 397-403 : K. Pugliesi, "The Consequences of Emotional Labor : Effects on Work Stress, Job Satisfaction, and Well-Being", Motivation and Emotion, 1999, 23(2), p. 125-130.
  • [86]
    A. S. Wharton, "The Affective Consequences of Service Work : Managing Emotions on the Job", Work and Occupations, 1993, 20(2), p. 205.
  • [87]
    Maslach et al., op. cit., no 87.

1Le concept de travail émotionnel inventé par la sociologue Hochschild souligne l'aspect relationnel que recouvre la gestion des émotions dans le cadre d'une activité professionnelle quotidienne et privilégie, de fait, l'interaction sociale à la tâche accomplie  [2]. Les études empiriques produites jusqu'à maintenant sur le sujet l'ont surtout envisagé dans le champ des emplois de services, où il est demandé aux salariés, en général des femmes, de façonner leurs sentiments et d'adapter leurs attitudes en vue de satisfaire une clientèle. Ces activités qui supposent en effet échanges verbaux et contacts directs, en face à face, avec un « public », requièrent un certain « affichage » émotionnel de la part des protagonistes ; celui des employé(e)s pouvant d'ailleurs faire l'objet d'un contrôle par l'employeur, soit immédiat (au moyen de remontrances ou, à l'inverse, de félicitations), soit différé (par le biais de la formation ou de l'encadrement par exemple)  [3]. Ici, le concept sera envisagé à l'aune des activités des magistrats australiens  [4], amenés eux aussi à réguler leurs émotions et celles des justiciables, qui bien souvent sont dépourvus de représentation, en grande difficulté sociale et animés d'une variété de réactions (colère, désarroi, etc.).

2 L'expérience des magistrats en matière de gestion des émotions a peu focalisé l'attention  [5] alors même que leurs pratiques quotidiennes sont à cet égard porteuses de nombreux enseignements. Les salles d'audience, lieux de rencontre par excellence entre la société et le droit  [6], voient surgir de nombreuses émotions. Dans les affaires pénales, les prévenus peuvent être craintifs ou hostiles, les victimes bouleversées ou en colère. Dans les affaires civiles, les plaignants ou les défendeurs peuvent se sentir frustrés et contrariés d'être obligés de passer devant une juridiction. Dans les dossiers de recouvrement de créances, les accusés peuvent se sentir gênés par leur incapacité à administrer leurs finances. Dans les cas de violences domestiques, les parties peuvent se montrer ouvertement hostiles et l'une d'elles peut être plus particulièrement effrayée. Les justiciables peuvent se sentir intimidés, connaître en même temps la peur et l'incertitude, lesquelles peuvent affecter les formes d'expression de leurs émotions  [7].

3 Devant les tribunaux supérieurs australiens, où la présence de ces justiciables n'est pas de mise, les magistrats agissent en interaction avec les avocats et examinent les points de droit plutôt que les points de fait. Le langage juridique alors utilisé pour évoquer les problèmes de procédure souligne la technicité des débats et permet une mise à distance des émotions liées à l'affaire elle-même  [8] ; en ce sens, le champ constitué par l'argumentaire est relativement indépendant des forces externes (autrement dit des intérêts et demandes formulées par les non-initiés que sont les clients des avocats), ce qui contribue à renforcer l'impartialité et la neutralité de la loi  [9]. En revanche, dans les tribunaux de première instance où les parties ne sont pas souvent représentées par un avocat, les juges ont à examiner les questions de droit autant que la situation des personnes comprises dans les procédures ; ces dernières ayant d'ailleurs le plus fréquemment recours au système judiciaire après avoir essuyé des échecs et connu des déconvenues avec le système de santé, d'éducation, etc.  [10] ; et l'interaction directe qui a lieu ici est d'autant plus importante que cette brève confrontation avec le tribunal sera l'occasion pour ces justiciables de percevoir l'équité du processus juridique, d'appréhender l'impartialité des juges et, au final, la légitimité du système judiciaire lui-même.

4 Dans ces Magistrates' Courts[11], l'activité quotidienne des juges répond très clairement à deux des critères du travail émotionnel défini par Hochschild : il implique, d'une part, un contact direct avec un « public » (prévenus, témoins, requérants, etc.) et, d'autre part, des obligations quant à l'attitude à tenir (notamment pour que les magistrats apparaissent impartiaux, que la procédure soit perçue comme équitable et la décision juste) ; une absence de précaution à cet égard risquant a contrario de provoquer hostilité, défiance voire colère  [12]. Le troisième critère évoqué par le sociologue est en revanche peu applicable aux magistrats australiens, qui ne travaillent pas dans un contexte tel qu'un supérieur hiérarchique encadre leurs activités émotionnelles sur des bases régulières  [13]. Ils ont en effet toute latitude pour réguler leur propre travail émotionnel, même s'ils sont soumis à des règles déontologiques et des normes de comportement professionnel qui en limitent le champ (par exemple, l'appel de leurs décisions ou une couverture médiatique négative de l'affaire qu'ils ont traitée)  [14].

5 La présente étude, qui examine ce phénomène en détail, se fonde, d'une part, sur l'exploitation d'une série d'entretiens réalisés entre décembre 2000 et mars 1001 auprès de 46 juges (29 hommes et 17 femmes), d'âges et d'expériences différents mais ayant tous en commun d'être membres de tribunaux de première instance implantés sur le territoire australien et, d'autre part, sur un sondage d'envergure nationale, effectué au moyen d'un questionnaire distribué aux intéressés par courrier fin 2002 et pour lequel le taux de réponse a été de 48 % ; le questionnaire portant à la fois sur le profil sociologique du personnel judiciaire et sur son activité au quotidien  [15]. L'approche adoptée a été résolument qualitative, c'est-à-dire qu'il s'est agi d'un « processus non mathématique d'interprétation, mené dans le but de découvrir des concepts et des relations à partir de données brutes, puis de les organiser dans un schéma explicatif théorique »  [16] ; l'aboutissement procédant d'un « ordonnancement conceptuel » tendant à « organiser les données en catégories discrètes, [mais pas nécessairement exclusives l'une de l'autre], en fonction de leurs propriétés et dimensions, afin de les expliquer ensuite au moyen de la description »  [17].

Les tribunaux de première instance en Australie

6 Les Magistrates' Courts, juridictions d'ordre général et, le plus souvent, de première instance, constituent l'échelon « de base » du système judiciaire  [18]. Les professionnels qui y siègent, sans l'assistance du jury, sont les juges du droit et des faits. Au pénal, leur juridiction inclut les délits simples (ou mineurs) et ceux passibles de poursuites rapides en vue d'un jugement sommaire, mais elle traite aussi d'infractions assez graves (atteintes à la personne et à la propriété) qui peuvent donner lieu à des peines d'emprisonnement (de deux ans maximum, sauf dans certains territoires). Au civil, la valeur du litige dont ils ont connaissance s'étend de 25 000 à 100 000 $A, mais il existe là aussi une myriade de petits litiges qui entrent dans leur champ de compétences ; ainsi sont-ils amenés à s'occuper des ordonnances restrictives en matière de violences domestiques, des tâches de coroner, des questions d'exploitation minière, de certification professionnelle, de permis d'alcool, d'affaires familiales (garde/protection et adoption d'enfants) et/ou de médiation  [19]. De nombreuses questions traitées autrefois par la Cour supérieure relèvent aujourd'hui de ces tribunaux de première instance  [20].

7 En Australie, le recours à des magistrats bénévoles est moindre qu'en Angleterre ou au Pays de Galles  [21], et ceux qui siègent dans les tribunaux « inférieurs » n'ont pas, contrairement à leurs homologues américains, de mandat limité dans le temps (et fondé sur l'élection)  [22]. Dans toutes les juridictions, la qualification minimale requise pour être nommé est l'admission comme avocat/procureur/juriste (le cas échéant, auprès de plusieurs à la fois) depuis au moins cinq ans (d'une manière générale, car il n'existe parfois aucun minimum requis, comme en Nouvelle-Galles du Sud par exemple). Le corps de la magistrature australien bénéficie d'un statut spécifique et tout à fait indépendant de celui régissant le service public ; depuis 1977 dans le territoire de la capitale et celui du Nord, depuis 1991 dans le Queensland. Certes, des magistrats nommés en vertu des anciennes règles en vigueur dans le service public subsistent dans quelques juridictions, mais les cas se font de plus en plus rares car la transition est largement en marche  [23].

8 D'un point de vue sociologique, 27, 3 % des magistrats qui siègent dans les tribunaux de première instance australiens sont des femmes. Toutefois, il existe des différences notables entre juridictions et selon l'implantation géographique de ces dernières ; ainsi représentent-elles 16, 7 % des effectifs en Tasmanie, 33, 3 % dans le territoire de la capitale et 24, 3 % en Australie du Sud. Alors qu'elles forment une cohorte de 25, 3 % au sein des tribunaux de niveau intermédiaire (District Court et County Court), leur proportion n'est que de 15 % au sein de la Cour suprême  [24]. Ces juges bénéficient de l'inamovibilité (bien que cela ne soit pas sans limite)  [25] et d'un large degré d'autonomie dans leur travail quotidien (bien que les décisions soient révisables en appel par un tribunal supérieur). Il existe des conditions d'admission au sein du corps judiciaire et les magistrats prêtent un serment d'investiture (qui exige de servir la communauté, la société et la justice).

9 La majorité des citoyens qui s'adressent à la justice australienne sont dirigés vers les tribunaux de première instance (et très probablement uniquement vers eux) ; ces derniers traitent d'ailleurs 95, 9 % des dépôts de plaintes en matière pénale et 89, 5 % des dépôts de plaintes de nature civile  [26]. Au pénal, ils ont eu connaissance d'environ 745 300 affaires en 2003-2004 et, en matière civile, 579 900 affaires ont été initiées pendant la même période  [27]. Sur tout le territoire national, dans les six premiers mois de l'année 2002-2003, 91 % des affaires pénales (hors appel) ont trouvé une issue et un peu plus de 80 % (83, 8) des affaires civiles (hors appel)  [28]. Un ancien juge de la Haute Cour d'Australie, Sir Anthony Mason, a même fait remarquer que « la compétence et les performances des tribunaux inférieurs, des tribunaux au niveau local sont, à certains égards, plus importantes que celles des tribunaux supérieurs »  [29].

10 Pour garantir la confiance du public dans ces juridictions, il est nécessaire que les décisions rendues soient perçues comme équitables, impartiales, transparentes, efficaces et justes. Mais il y a aussi de nouvelles attentes qui se sont faites jour de la part des justiciables et les tribunaux de première instance doivent de plus en plus fournir des « services » à ce qui peut s'apparenter désormais à des « consommateurs », ou disons utilisateurs des tribunaux  [30]. Cela impliquera incontestablement une gestion des émotions de ces justiciables pour veiller, précisément, à ce qu'ils se sentent écoutés et traités équitablement. La transformation des litigants et des parties en « consommateurs » des services du tribunal nous rapproche bien davantage des analyses traditionnelles du travail émotionnel. En effet, il se peut que le concept du travail émotionnel dans les tribunaux d'instance soit devenu plus applicable en raison des réformes de gestion et du désir de mesurer la satisfaction du client/ consommateur.  [31]

Le travail émotionnel

11 Le travail émotionnel appelle une gestion des sentiments et passe en général par des affichages corporel et facial observables publiquement. Dans beaucoup d'activités professionnelles, il implique une interaction avec un public (fut-elle assez brève), s'avérant dès lors instrumental  [32] puisqu'il s'opère au bénéfice d'autrui. Si la sociologue Hochschild a pu identifier les effets préjudiciables et aliénants d'un tel travail (qui n'est ni explicitement rémunéré, ni perçu comme indemnisable) ou relever certaines des contraintes qu'il induisait (une coordination de soi par exemple), il n'en demeure pas moins que, sur le long terme, sa réalisation revêt un double objectif tout à fait profitable : d'une part, susciter un sentiment de contentement chez les autres et, d'autre part, veiller à la pérennité et à la légitimité de l'organisation concernée par l'interaction.

12 Parmi les études examinant le travail émotionnel au sein des hiérarchies professionnelles où le bénéficiaire est une personne d'un statut plus élevé et leur relation durable, figure celle de Pierce. Il montre, par exemple, comment les assistants juridiques de sexes masculin et féminin doivent « soutenir et maintenir la stabilité émotionnelle des avocats pour lesquels ils travaillent, par un comportement plein de déférence et un travail d'intendance »  [33]. Ils doivent gérer leur propre colère et celle de leurs avocats, tout en restant agréable et de bonne humeur dans l'exécution de leurs tâches. Il est intéressant de noter que les normes spécifiques de ce travail émotionnel diffèrent selon que les assistants juridiques sont de sexe masculin ou féminin ; les femmes devant avant tout être aimables et faire preuve d'engagement affectif, alors que les hommes doivent surtout être polis et se montrer neutres d'un point de vue affectif  [34].

13 La position de ces assistants juridiques est toutefois quelque peu hybride, dans la mesure où elle associe à la fois des éléments de service et des éléments techniques. Ainsi, les études de Lively montrent-elles que, s'ils ont à subir certaines contraintes (telle la déférence due aux avocats), ils n'en possèdent pas moins une identité professionnelle forte, définie en termes de compétence, de discrétion personnelle et d'habilité à la gestion  [35]. Les manifestations de colère, de frustration, de mécontentement, de peur ou autres sont d'ailleurs perçues, par eux comme par les avocats et le personnel administratif qui oeuvre au sein des cabinets, comme étant peu professionnels  [36]. Pour gérer la tension entre les exigences du travail émotionnel et la conformité aux normes professionnelles, les assistants juridiques doivent s'engager dans une gestion réciproque des émotions réciproques ; ainsi partagent-ils, par exemple, leurs expériences personnelles avec leurs collègues  [37], afin de s'octroyer « une soupape de sécurité » aux surcharges émotionnelles éprouvées (ce qui contraste avec l'absence de réciprocité observée chez les avocats).

14 D'autres activités traditionnellement dominées par le sexe masculin impliquent elles aussi un travail émotionnel ; c'est le cas, notamment, de la police, où les agents sont bien souvent soumis à la colère, la déception et/ou la frustration  [38]. À leur égard, la sociologue Hochschild constate d'ailleurs qu'ils doivent tantôt se présenter sous les traits du « bon flic », tantôt du « mauvais flic » ; le « bon flic » étant celui capable de montrer des sentiments positifs et de soutien, le « mauvais flic » étant plutôt celui qui fait preuve d'indifférence, de froideur, voire de manque de respect et d'hostilité  [39]. En contact avec la population et confrontés à de nombreuses situations tendues, les officiers de police sont, de fait, tenus de réguler leurs émotions propres et celles des citoyens  [40] ; notons toutefois, relativement au travail émotionnel, qu'« il est rare que la peine, la culpabilité ou la peur soient évoquées par ces officiers à leurs collègues (...) car ils pourraient alors être perçus comme faibles ou inadéquats »  [41].

15 Certaines études ont bien montré que les individus réalisant un travail émotionnel dans des conditions de faible autonomie professionnelle ou de forte implication dans leur activité étaient davantage sujets à l'épuisement émotionnel que les autres  [42]. Par ailleurs, ces études ont révélé que le travail émotionnel pouvait avoir des effets négatifs quand la nature de l'« affichage émotionnel » était commandée par l'employeur plutôt que par l'employé  [43]. Pour autant, il a été admis que les emplois impliquant ce travail émotionnel (sans pour autant le requérir) pouvaient procurer du plaisir aux intéressés, en augmentant l'impression qu'ils avaient de bien faire, voire même les contenter bien au-delà de la sphère professionnelle (c'est-à-dire dans leur vie personnelle, familiale ou communautaire)  [44].

Professions et émotions

16 La suppression ou l'effacement des émotions personnelles est un attribut clé des conceptions traditionnelles des professions  [45]. Les normes éthiques exigent en effet du professionnel qu'il maintienne une certaine distance sociale dans sa relation à autrui et qu'il s'interdise l'expression non régulée, ou disons inappropriée, de ses émotions. Le sociologue Parsons, par exemple, a observé que « les professions sont caractérisées par "le désintéressement" »  [46], que leurs membres fournissent des services, aux patients ou clients, et transmettent des valeurs impersonnelles comme le progrès de la science ou la justice. Médecins, travailleurs sociaux, psychothérapeutes, infirmiers et autres sont ainsi rémunérés pour leurs compétences dans la gestion des émotions ; « ils doivent avoir l'air sérieux, être compréhensifs, contrôlés, calmes, empathiques, et ainsi de suite  [47] ». Essentielle à l'instauration d'une relation de confiance, la gestion des émotions permet l'acceptation d'un conseil ou d'un jugement. Elle constitue même un code de conduite qui rend perceptible l'intégrité professionnelle, alors qu'à l'inverse « la déviance émotionnelle fait référence aux expériences ou aux affichages d'affect qui diffèrent en qualité ou en degré de ce qui est attendu dans des situations données »  [48].

17 Hors du champ bureaucratique qui est fortement hiérarchisé et statutairement contraignant, les professionnels bénéficient en général d'un degré d'autonomie assez important. Néanmoins, dans les activités où le niveau d'interaction avec le public est direct (et propice à des bouleversements émotionnels, de colère ou d'anxiété par exemple), le détachement et le désintéressement évoqués précédemment peuvent s'avérer extrêmement difficiles, voire impossibles. C'est le cas notamment pour les avocats qui traitent des problèmes personnels compliqués, relevant ici du droit de la famille, là du droit pénal ; ils ne peuvent négliger les émotions de leurs clients, mais en même temps doivent les tenir à distance de la rationalité juridique  [49] ; l'interaction établie peut en effet conforter ce client dans son choix d'avoir recours à un conseiller juridique, mais également lui inspirer des doutes concernant le fonctionnement de la justice s'il a le sentiment que ce dernier s'éloigne par trop de ses attentes  [50]. Certaines analyses suggèrent même que le refoulement des émotions des clients peut avoir un effet négatif sur la qualité du service juridique rendu ; « les clients dont les sentiments sont ignorés ou négligés [ayant] des difficultés à répondre aux conseils juridiques fournis [et] à l'avocat lui-même »  [51]. Toutefois, la satisfaction du client vis-à-vis de l'empathie exprimée par le conseiller juridique n'équivaut pas à démontrer la qualité technique et la compétence juridique, et encore moins le système judiciaire dans son ensemble  [52].

18 Les émotions peuvent constituer une ressource pour favoriser l'atteinte des objectifs juridiques ; nombre d'études montrent d'ailleurs que les avocats eux-mêmes pensent l'utilisation des émotions comme une composante intégrale de leur activité et mènent un travail émotionnel privé comme public  [53]. Privé, il se produit pendant l'interaction avec les autres membres des professions juridiques, particulièrement parmi les jeunes gens du barreau, à la recherche d'affaires sur un marché de plus en plus concurrentiel  [54]. Public, il se produit pendant l'interaction avec les clients, les témoins, les magistrats et les jurés  [55]. Dans une salle d'audience par exemple, les avocats ont recours à « un affichage émotionnel feint et exhorté pendant les interrogatoires et contre-interrogatoires des témoins »  [56] ; ce qui peut alors conduire chez ces derniers (ou chez les victimes) à un sentiment de frustration et de colère, résultante directe des tentatives de l'avocat de la défense pour (intentionnellement) manipuler leurs émotions afin de les faire apparaître comme non crédibles  [57].

19 Dans l'articulation proposée par la sociologue Hochschild sur le travail émotionnel, les règles relatives aux manières de ressentir et d'exprimer les sentiments sont établies et incarnées, tout au moins au sein d'un système hiérarchisé, par ceux qui détiennent des positions de direction  [58]. En revanche, dans le cas des professions où chaque membre possède une large autonomie (notamment dans la prise de décision et dans l'interaction aux autres), ces derniers « supervisent leur propre travail émotionnel »  [59] ; ils régulent eux-mêmes leur conduite en assimilant les normes spécifiques à la sphère professionnelle dans laquelle ils évoluent et certains principes éthiques plus abstraits, moins immédiats, mais aussi puissants et directifs. Il est d'ailleurs intéressant de noter que Hochschild inclut les avocats et les juges dans la liste d'une quinzaine de professions concernées de manière significative par ce travail émotionnel  [60].

Personnel judiciaire et travail émotionnel

20 Les débats habituels et pour ainsi dire « classiques » autour du personnel judiciaire et de son action tendent à mettre en valeur la centralité de la prise de décision, qui exige conformité à la loi et établissement des faits de manières objective et neutre  [61]. Rationnel, le jugement doit s'appuyer sur une argumentation juridique, être motivé en droit et non pas influencé par des éléments extérieurs, de type politique ou émotionnel  [62] ; ce pourquoi les sentiments des juges et/ou des justiciables, perçus comme particulièrement subjectifs, voire même parfois tendancieux  [63], n'ont guère focalisé l'attention. D'une manière générale, les magistrats doivent se déterminer sur la base de preuves solides et se faire les interprètes de principe des textes juridiques en vigueur ; ce qui implique l'usage d'un langage propre, technique, qui minimise toute implication subjective et renforce l'autorité de loi  [64].

21 De nombreux analystes décrivent la norme de comportement attendue des professionnels du droit en général et la conduite appropriée des magistrats d'un tribunal en particulier ; le personnel judiciaire « doit [ainsi] être poli, courtois et raisonnablement patient envers toutes les personnes (...), y compris (...) les parties et leurs représentants juridiques, les témoins, les spectateurs »  [65]. Tous insistent sur le fait que les juges doivent être - et paraître - impartiaux, dépourvus de préjugés, et que leur implication directe dans les procédures judiciaires doit être limitée ; ce qui signifie, en creux, qu'ils ne doivent pas être influencés par « la force de persuasion des émotions ou des sentiments moraux »  [66]. Les principes déontologiques posés dans les guides éponymes ne disent pas autre chose de la conduite que ces magistrats doivent tenir à la fois au sein de leur communauté professionnelle et en dehors du champ officiel.

22 Le Guide de déontologie judiciaire développé par l'Institut australien de l'administration judiciaire cite ainsi trois principes de base : impartialité, indépendance/intégrité et comportement personnel. L'objectif « des normes de conduite [judiciaire] exigeantes  [67] » est à la fois de maintenir la confiance du public dans l'administration de la justice, de développer le respect de ce même public envers les décisions judiciaires et de protéger la réputation individuelle des magistrats autant que l'image du système judiciaire dans son ensemble  [68]. D'une manière générale, ces directives déontologiques identifient les comportements qui sont appropriés : la courtoisie, la ponctualité, la tolérance, l'équité et l'impartialité  [69] ; au demeurant, il est également souhaitable que les membres des tribunaux « affichent des attributs personnels tels que la patience et la bonne humeur, [car un] juge doit être ferme mais juste dans le maintien de la bienséance »  [70] ; en tout état de cause, la conduite requise impose qu'ils n'utilisent jamais un langage offensant ou expriment un préjugé, racial, religieux ou sexuel  [71].

23 En pratique, le respect de telles directives éthiques implique une connaissance (ou, pour le dire autrement, une appréhension) des émotions appropriées aux situations et contextes rencontrés ; ainsi, par exemple, les magistrats doivent-ils préférentiellement encourager les prévenus à éprouver remords, culpabilité ou honte, plutôt que des sentiments comme la colère, le mépris ou l'indignation. De surcroît, une pratique professionnelle qui s'éloignerait par trop des principes contenus dans ces directives risquerait de les desservir individuellement ou/et collectivement, en provoquant la censure de leurs pairs (réforme ou annulation des jugements en appel), voire des réactions publiques négatives (couverture médiatique disproportionnée) ; qui plus est, accompagnées parfois d'une réprimande. À l'occasion d'une affaire portée en appel, un juge de la Cour suprême d'Australie du Sud a ainsi fait remarquer :

24

« Je dois dire que j'ai rarement été confronté à un prononcé de peine qui soit aussi inapproprié, injurieux et indélicat que celui prêté au magistrat dans cette affaire (...) je ne peux pas croire que le magistrat ne se rende pas compte qu'une diatribe, délivrée par un magistrat qui siège au tribunal, énoncée dans des ternies injurieux sur des questions sociales et autres, sans rapport avec l'affaire portée devant lui, associée à des injures personnelles à l'encontre du prévenu, est totalement inappropriée. Des observations telles que celles prêtées au magistrat dans ce dossier ont un effet corrosif sur la confiance du public dans le fonctionnement des tribunaux et dans l'administration de la justice »  [72].

25 En l'occurrence, les commentaires du magistrat n'étaient donc pas seulement blessants et insultants pour le défendeur ; il s'était également éloigné des questions juridiques qui lui étaient posées, ce qui avait eu pour conséquence d'affecter la « viabilité » du système judiciaire lui-même. C'est là un point de vue tout à fait concordant avec l'argument développé par Pierre Bourdieu, selon lequel appuyer la décision judiciaire sur des arguments techniques et juridiques est indispensable au maintien de l'objectivité et de l'impartialité du droit  [73].

26 La jurisprudence et les principes déontologiques établissent des normes relatives aux émotions et aux sentiments qu'il est permis de montrer. Ils indiquent également que le représentant de la justice doit garder une certaine distance vis-à-vis de la procédure. Ces normes indiquent le comportement et la conduite à tenir dans une salle d'audience et identifient les qualités personnelles et les attitudes attendues (ce qui suppose inévitablement un refoulement des émotions pour permettre aux justiciables d'éprouver des sentiments convenables, entre autres). Un juge de la Cour suprême de l'État de Victoria a ainsi déclaré :

27

« Sur la base de preuves qui n'ont pas été remises en question, le magistrat a eu un comportement dominant, voire agressif tout au long de la procédure, et je doute qu'on puisse dire qu'il ait, à aucun moment, représenté l'« autorité impersonnelle de la loi »  [74].

Le travail émotionnel au sein des Magistrates' Courts

28 Les Magistrates' Courts constituent la porte d'entrée du système judiciaire et les juges qui les composent reconnaissent eux-mêmes qu'ils sont en première ligne, que leur travail est un travail de fond. S'ils n'ignorent pas les règles de comportement qu'il convient d'adopter par respect et dignité de la justice qu'ils représentent, ils s'interrogent cependant sur les expériences vécues par les personnes amenées devant eux et sur les impressions laissées par leur office. Les sociologues Douglas et Laster, qui ont analysé la situation des membres des Magistrates' Courts de l'État de Victoria, ont du reste relevé, d'une part, que ceux ayant à traiter des affaires familiales estimaient leur mission « très compliquée » en raison des émotions en jeu  [75] et, d'autre part, que ceux ayant à traiter les affaires de morts suspectes (qui siègent donc à la Coroner's Court) la considérait comme « un calvaire » en raison de la souffrance de « toutes les personnes présentes (...), qui est déprimante »  [76].

29 Dans le cadre du sondage national que nous avons nous-mêmes conduit pour étoffer notre enquête, l'une des questions posées consistait à leur demander d'évaluer les qualités/compétences requises dans leur travail quotidien et plus de 43 % ont considéré que « la gestion des émotions des justiciables » était « très importante », 23 % qu'elle était « essentielle » ; les femmes surtout, et les magistrats jeunes, entre 37 et 50 ans, avec moins d'une douzaine d'années de carrière au sein de la Magistrates' Court. Dans le cadre du recueil de témoignages auquel nous avons procédé, nombreux ont d'ailleurs été les exemples donnés quant aux sentiments ressentis (à l'audience ou au sein d'un cabinet) et les remarques exprimées à propos du travail que cela impliquait en retour ; hommes et femmes ont parlé d'émotions  [77]. Quatre thèmes s'en dégagent (deux liés à la gestion des émotions d'autrui et deux à celles des professionnels eux-mêmes), qui semblent constituer autant de préoccupations majeures pour les magistrats : la relation directe avec les justiciables, qui implique une gestion directe des émotions ; l'impression ressentie par les justiciables et leur expérience vécue devant la Magistrates' Court ; la gestion des émotions propres au magistrat ; l'effet du travail émotionnel sur ce même magistrat.

La relation directe avec les justiciables implique une gestion immédiate des émotions

30 Plusieurs magistrats ont évoqué des affaires (de garde d'enfants notamment) dans lesquelles ils avaient eu à traiter directement avec les parties plutôt qu'avec les avocats ; s'attardant alors moins sur les problèmes soulevés par les questions de droit que sur la dimension émotionnelle de la situation (en particulier la nécessité d'écouter les parties) :

31

« Dans les affaires de garde d'enfants, la plupart des personnes ont un avocat, donc on a la distance nécessaire de par sa présence. Cependant, en raison de la nature même de la procédure, les parents et les parties concernées sont profondément angoissés lors des audiences qui dévoilent les éléments de preuve qui les concernent, ou, vous voyez, lorsqu'ils entendent les différentes personnes qui les attaquent ».

32 Si les avocats sont des intermédiaires qui agissent comme des « amortisseurs » entre les citoyens ordinaires et les magistrats  [78], ils n'empêchent pas pour autant tout travail émotionnel de la part de ces derniers. Certes, leur présence affecte d'une certaine façon la part et la nature du travail émotionnel des juges mais, lorsque les parties ne sont pas représentées, c'est très directement que ceux-ci doivent faire face aux émotions et problèmes présentés, tant sur le plan juridique que celui factuel. Évoquant de petits litiges sur lesquels il avait été statué en salle d'audience sans qu'aucun avocat n'ait été présent, une magistrate a ainsi décrit sa gestion des émotions (soulignant au passage l'importance de la diplomatie et de l'empathie dont il faut faire preuve à l'égard des justiciables) :

33

« Le civil était pour moi une nouvelle expérience, car je me retrouvais face à des personnes sans avocats et des (...) [petits] litiges. Je devais gérer, je suppose, une interaction personnelle avec des gens, pour laquelle je devais trouver en moi les ressources permettant d'apaiser ces personnes, de gérer leurs problèmes, de les faire se sentir à l'aise, et certains sont meilleurs que d'autres pour ça... Mais ce ne sont pas des choses qu'on faisait en tant qu'avocats ou pour lesquelles on a été formés. On se retrouve face à plein de personnes qui hurlent dans la salle d'audience, que ce soit dans le cadre d'un différend au sein d'un couple ou avec des voisins, et on n'arrive pas à en placer une ».

34 Elle poursuit en évoquant les ressources qui sont nécessaires à la gestion de ces émotions, reconnaissant clairement au passage l'importance de la capacité personnelle :

35

« Je me suis habituée à ce qu'on ressent dans ce genre de travail où on est amenés à gérer des (...) [petits] litiges : la plupart des gens sont généralement mécontents, et, comme il s'agit d'un cadre relativement informel, ils n'hésitent pas à jurer ou à vous crier dessus. On apprend beaucoup à gérer ce genre d'affaires, et je m'y suis habituée, après quelques années. Vous savez, ça ne me gênerait pas d'y retourner (...) Je pense que, dans des situations comme celles-là, où beaucoup d'émotions sont en jeu, je mets le magnétophone en route et j'enregistre tout ce qu'ils disent, pour qu'il y ait au moins une trace de la procédure. Souvent, je faisais appel à mes compétences en médiation, en proposant aux parties d'ajourner l'affaire, le temps qu'ils se calment, et je partais (...) plutôt que d'essayer de représenter « l'autorité » dans ce genre de situations - « ne me parlez pas comme ça dans ma salle d'audience » - car généralement, cela envenimait la situation. Donc je joue plutôt le rôle de médiatrice, de conseillère (...) et j'apaise la situation, ce qui n'est pas une compétence juridique, plutôt une technique de survie ».

36 La stratégie adoptée par cette magistrate pour gérer les fortes émotions exprimées pâlies justiciables est de prendre de la distance (tout en laissant libre cours aux discussions qu'elle a soin d'enregistrer) ou bien d'ajourner (pour permettre aux personnes de se calmer). Selon elle, une position plus « interventionniste » voire plus autoritaire est contreproductive et peut générer davantage de défiance et d'hostilité envers le tribunal.

37 Un autre magistrat parle de l'équilibre à trouver entre trois paramètres : s'impliquer dans les situations des justiciables, maintenir la distance sociale nécessaire et éviter la sur-identification. Pour lui (et probablement de nombreux autres), sa mission consiste :

38

« à 80 % à travailler avec les gens, et à 20 % à faire du droit ; peut-être pas tout à fait dans ces proportions, mais, en général, le droit se fait tout seul : les preuves sont là, la jurisprudence est établie, et ça suffit, nous n'avons plus qu'à mettre ça en oeuvre. L'aspect humain, lui, vient de la prise en compte des individus qui vous font face lorsque vous faites ça, et peu importe qui ils sont, j'aime respecter les gens. En général, on me témoigne du respect en retour, et, normalement, quand on m'insulte, c'est pour une bonne raison ; mais j'apprécie la relation humaine et j'estime être capable de prendre du recul (...) Je pense que, même en faisant cela, il en reste une part en nous, même sans que l'on s'en rende compte, et qu'au final ces choses s'accumulent ».

39 Ce magistrat semble sous-entendre que la gestion des problèmes juridiques est relativement simple au regard de la gestion des émotions d'autrui, qu'il faut traiter dans un esprit de respect mutuel. À l'instar de ce qui a été dit précédemment, il montre que le fait d'adopter une position d'égal à égal avec le citoyen (plutôt qu'une position montrant la nature hiérarchique de leur interaction et l'autorité dont il est revêtu) permet une meilleure gestion de ces émotions. Il indique également qu'un certain nombre d'interactions avec les justiciables peut être source de satisfaction au travail.

Un souci constant : l'expérience vécue par les justiciables devant la Magistrates' Court

40 La satisfaction des justiciables à l'égard du système judiciaire et la mesure dans laquelle ils évaluent l'équité de la procédure (voire par-delà la légitimité des institutions) dépendent davantage de l'expérience vécue que du résultat lui-même  [79]. « Les critères qui leur permettent d'évaluer leur expérience (avec la police et les juges) sont les suivants : objectivité, absence de préjugés, honnêteté, efforts visibles pour parvenir à une solution juste, politesse et respect des droits des justiciables »  [80]. S'ils pensent qu'ils ont été en mesure de présenter leurs arguments, qu'ils ont été écoutés et qu'ils ont pu faire valoir leur point de vue auprès des autorités, ils seront plus enclins à considérer la procédure comme équitable et accepteront plus facilement les décisions prises par des tiers  [81]. Le sentiment d'avoir fait l'objet d'une décision équitable est d'ailleurs d'une importance beaucoup plus grande pour les citoyens « ordinaires », c'est-à-dire ceux qui n'ont aucune connaissance du fonctionnement du système judiciaire lui-même, qui sont probablement de « passage » devant la juridiction et ne vont rencontrer les magistrats que brièvement  [82].

41 Le commentaire suivant montre clairement que les magistrats ont conscience de l'impact de cette interaction avec les justiciables et de l'importance qu'il y a à gérer les émotions qui en résultent :

42

« Les magistrats doivent être conscients du fait que pour beaucoup de ceux qui comparaissent devant eux, ou pour les personnes qui accompagnent un membre de la famille ou un ami qui est défendeur ou témoin, il s'agit de la première fois. Ce que ces personnes voient est souvent leur première expérience des tribunaux, les magistrats doivent donc non seulement garder à l'esprit le tait qu'ils doivent travailler vite, ou en tout cas aussi vite que possible, aussi vite que l'affaire le permet, mais aussi que les personnes présentes les observent et les jugent (...) Les membres du public observent et jugent ce qu'ils font, inspectent tous leurs mouvements ; et ce qu'ils retiennent de ce contact personnel avec le tribunal, c'est une impression qu'ils garderont un bon moment et qui aura bien plus de poids que tout ce qu'ils ont pu lire dans le journal ou voir aux informations. Je pense donc que, comme je l'ai déjà dit, les tribunaux doivent être très, très conscients de cela ».

43 Le magistrat se trouve dans une position hiérarchiquement supérieure aux autres personnes présentes dans la salle d'audience, en ce sens où il a en charge le déroulement de la procédure devant la cour. Au demeurant, sa conduite vis-à-vis de ceux qui comparaissent (ou de leurs proches) et vis-à-vis du public conditionne la perception que ces derniers auront de l'équité de la Magistrates' Court et, à travers elle, du système judiciaire tout entier. Ainsi, une magistrate témoigne-t-elle en insistant sur l'importance de la justice procédurale :

44

« On est toujours en train d'essayer d'apaiser la situation, de laisser parler tout le monde, de travailler dans des délais raisonnables, mais aussi de faire en sorte que les parties sachent qu'elles ont quitté le tribunal en ayant dit ce qu'elles avaient à dire. Vous comprenez, je vais leur retirer leur enfant, ils ont besoin de savoir qu'ils ont dit tout ce qu'ils avaient à dire et ils ne doivent pas penser : « Elle m'a coupé la parole au bout de cinq minutes, je n'ai pas pu dire ça, ça et ça », parce qu'ils ne vont jamais accepter la décision s'ils ont l'impression de ne pas avoir eu leur mot à dire au tribunal. Il y a plein de choses et d'émotions à gérer, en plus de la paperasse, des éléments de preuves et de la décision ».

45 Les émotions exprimées par les parties sont souvent négatives ; frustration, détresse, colère ou tristesse. Leurs histoires personnelles et leurs situations sociales sont souvent pénibles et difficiles. Dans un système judiciaire contradictoire, les parties considèrent la procédure comme juste, mais un jugement va être prononcé et l'une ou l'autre (voire les deux) va succomber ; l'issue du procès (le prononcé d'une peine, l'injonction de paiement de dommages-intérêts, ou simplement l'échec de la demande) va alors les accabler.

46 Le véritable défi pour les magistrats est de s'assurer que, malgré la longueur et la multiplicité des affaires à traiter chaque jour, les justiciables percevront le tribunal comme juste et la décision équitable. Dans une décision en appel fondée sur ce que le président de la Magistrates' Court s'était livré à un abus de pouvoir et avait été brutal et blessant, le juge de la Cour suprême de l'État de Victoria a ainsi observé :

47

« Je ne doute pas une seconde que la Magistrates' Court (...) est surchargée de travail et que les affaires doivent être entendues de manières succincte et rapide. Le magistrat était, sans doute, soucieux de ne pas perdre de temps, [cependant], je doute que le défendeur ait quitté le tribunal (...) en estimant que justice lui avait été rendue »  [83].

48 Comme l'explique aussi un magistrat, c'est parfois le volume de travail à accomplir qui empêche de prêter attention aux sentiments des justiciables ou de leur permettre d'exprimer leurs émotions :

49

« Tous les jours des personnes, représentées ou non, se présentent au tribunal. Elles vont devoir indiquer à la cour si elles sont prêtes à voir l'affaire jugée ou si elles souhaitent obtenir un ajournement (...) Si elles plaident non coupables, l'affaire sera repoussée à plus tard, pour permettre de la préparer pour un jugement, et, si elles plaident coupables, soit le procureur fera une requête pour que l'affaire soit jugée, soit il en repoussera l'issue s'il y a d'autres problèmes qui doivent être gérés avant, comme des questions de santé présentées avant tout le reste (...) Dans une journée moyenne normale, nous sommes censés avoir 70 cas au maximum, et nous avons eu de très longues journées (...) Le jour où nous avons eu 101 affaires à traiter, 34 personnes plaidaient sans avocat, juste pour vous donner une idée de notre travail. Naturellement, ce n'est pas toujours comme ça, mais ce n'est pas rare, et si vous essayez de calculer combien de minutes par personne cela représente, ça n'en fait pas beaucoup. Cela signifie que premièrement, la charge de travail est énorme, et que deuxièmement vous allez devoir vous concentrer sur les choses importantes, et vous ne pourrez pas consacrer plus de temps à d'autres choses qui seraient susceptibles de poser problème ».

50 Cette préoccupation constante de l'expérience vécue par le justiciable devant la Magistrates' Court se traduit, chez les magistrats, par un impératif : être attentif au sentiment d'équité et de justice éprouvé. Pour autant, prendre des décisions signifie nécessairement afficher une certaine réserve permanente et gérer ses propres émotions.

La gestion des émotions propres aux magistrats

51 Dans leur quotidien, les magistrats rencontrent des personnes aux « profils » bien différents (caractère, tenue, style de vie, statut social, etc.) et ont maintes occasions de les « évaluer » moralement ; à cet égard, un magistrat décrit le défilé comme suit :

52

« Tous les jours, tous les mois, tous les ans, on voit passer devant nous une misère absolue ; on voit des mamans avec de jeunes enfants qui doivent aller en prison, des jeunes, (...) vous savez, des hommes d'une vingtaine d'années qui devraient être dans la force de l'âge mais qui sont ravagés par la drogue et l'alcool, et qui comparaissent au tribunal affreusement défigurés par des bagarres, édentés, et des personnes avec des désordres psychiques, des gens rendus schizoïdes ou paranoïaques par les drogues (...) toute cette misère au quotidien. »

53 Les émotions ressenties alors par les magistrats sont de toutes sortes et ils doivent les gérer par respect pour les valeurs professionnelles et éthiques qui sont les leurs : impartialité, objectivité, équité. Le commentaire suivant illustre du reste ce sentiment d'équilibre, qui peut tantôt susciter de la sympathie, tantôt du mépris, et la difficulté qu'il y a parfois à prendre une décision judiciaire :

54

« [P]arce que vous êtes en train de parler à la personne elle-même plutôt qu'à son conseiller, cette compassion que vous ressentez pour elle s'intensifie, mais il ne faut pas que ce sentiment vous empêche de faire votre devoir. Regardez, à l'inverse, si vous ressentez de la répulsion ou une antipathie absolue pour quelqu'un qui a peut-être fait quelque chose de vraiment horrible, vous voyez ce que je veux dire, et que vous pensez : « Je ne vais pas me laisser influencer par cela », vous voyez, parce que ça peut aller dans l'autre sens : « Ce mec est un vrai salaud, j'aimerais le frapper », mais pour une raison ou une autre vous devez prononcer un placement sous haute surveillance. Ça va dans les deux sens je ne dis pas que je suis l'incarnation même de la compassion ; parfois, certaines personnes éveillent en moi des sentiments de répulsion primaire et je ne suis pas le seul à ressentir cela, j'en suis sûr, les autres magistrats disent : « oh, vous savez, j'aurais bien aimé l'envoyer en prison pour dix ans, si j'en avais eu le pouvoir, mais j'ai dû prononcer une peine alternative à la privation de liberté ou quelque chose comme ça contre lui, parce que tous les indicateurs allaient dans cette direction ». Donc ça va dans les deux sens, et c'est tout - c'est pour ça qu'on est payés, j'imagine ».

55 Ce commentaire pointe très directement les règles informelles relatives à l'expression des sentiments qui peuvent s'appliquer pour gérer la compassion ou le mépris ressentis par le magistrat. Celui-ci peut penser que certains justiciables méritent davantage de compassion que d'autres. Les marques de sympathie ne sont pas les mêmes pour tous, mais elles reflètent en quelque sorte le degré d'affect que le magistrat considère comme approprié à la personne qui lui fait face et à sa situation :

56

« En l'espace d'une seconde, une personne pouvant potentiellement compatir à la situation d'une autre prend en considération la valeur morale de cette personne, le degré de compassion mérité, le degré de responsabilité de la personne dans cette situation désastreuse, et sa propre relation à cette personne. Le résultat peut être de la compassion, ou autre chose »  [84].

57 Malgré les émotions en jeu, le magistrat est conscient des évaluations dont peuvent faire l'objet son travail et ses décisions, sous forme de recours en appel ou de compte-rendu dans les médias par exemple. L'anticipation de ces opinions externes et la connaissance des règles déontologiques de conduite lui permettent d'établir les limites utiles à l'expression de ses propres sentiments et la mesure dans laquelle la prise de décision en sera affectée. Ces paramètres sont également éclairés par la nature de la preuve et la loi applicable.

L'effet du travail émotionnel sur les magistrats

58 Beaucoup de recherches ont été menées sur les effets négatifs du travail émotionnel, tant sur la santé physique que sur le bien-être des salariés, et le plus souvent associés au stress, à l'usure professionnelle, à l'épuisement ou à l'atteinte au professionnalisme  [85]. Néanmoins, ce travail émotionnel peut aussi avoir des conséquences positives dès lors que les individus sont en capacité d'exprimer librement leurs émotions  [86]. Dans le cas des magistrats, qui jouissent à la fois d'un statut, d'une autonomie (de décision) et d'une autorité (vis-à-vis des justiciables), la difficulté d'entrevoir ces effets positifs tient au fait que les affaires singulières qu'ils examinent ne peuvent guère être déconnectées d'un contexte plus large où généralement règnent inégalités et exclusions. Un magistrat décrivant les effets possibles de cette gestion des émotions a ainsi pu observer que :

59

« Deux choses peuvent vous arriver : soit vous êtes et demeurez une personne civilisée et vous serez bouleversée par toute cette histoire parce que vos émotions (...) - parce que votre sensibilité est sans cesse éveillée ; soit (...) vous allez vous forger une carapace aussi épaisse que la peau d'un rhinocéros, ce qui, pour moi, fera de vous un représentant de la justice incompétent (...) parce qu'une fois que vous avez perdu le côté humain, le sens d'humanité, vous ne pouvez pas vraiment (...) taire ce travail ».

60 Il y a dans ce passage l'expression du dilemme qui existe entre l'implication affective vis-à-vis des personnes qui comparaissent et la détresse ou l'épuisement émotionnel que cela peut susciter. Une dépersonnalisation peut avoir lieu lorsque certains magistrats ignorent ou prennent de la distance par rapport à ce qui fonde les caractéristiques particulières des justiciables. « Leurs requêtes sont plus facilement gérables lorsque ces personnes sont considérées comme un objet impersonnel de notre travail »  [87]. Cette distance émotionnelle et cette dépersonnalisation peuvent, à leur tour, avoir un effet négatif sur la satisfaction au travail et le sentiment d'accomplissement personnel.

61 Le magistrat poursuit ensuite son témoignage en faisant une distinction entre les affaires portées devant les Magistrates' Courts et celles portées devant les juridictions supérieures ; indiquant que « le sens d'humanité » a un coût sur le plan émotionnel pour les tribunaux d'échelon inférieur :

62

« Je dirais que ce n'est pas aussi vrai pour les juridictions supérieures, parce que, même s'ils ont des compétences pour traiter des affaires plus graves, ils ne voient pas autant de personnes que nous, et quand vous voyez ce défilé de misère, la sottise, la stupidité, la malhonnêteté et la dépravation tous les jours, vous voyez, c'est vraiment usant émotionnellement et psychologiquement ».

63 Le nombre et la répétition des histoires ou des émotions, joints au besoin perçu de s'impliquer auprès des justiciables et d'écouter activement, mettent quelque peu à part le travail des magistrats de la Magistrates' Court dans la sphère juridique :

64

« Je pense que ce qui m'angoisse le plus c'est que, au sein de la Magistrates' Court, que ce soit le tribunal pour enfants ou la Local Court, il y a toujours quelqu'un qui s'adresse à vous. À partir du moment où vous entrez dans la salle d'audience, il y a quelqu'un qui vous regarde, quelqu'un qui vous parle, ils attendent de vous que vous les regardiez aussi et que vous leur parliez, et c'est une pression qu'on n'a pas en tant qu'avocat. Vous savez, quand j'étais avocat, je parlais quand c'était mon tour de mener le contre-interrogatoire, puis je retournais m'asseoir ».

65 Le travail émotionnel peut du reste déborder hors du lieu de son activité professionnelle et affecter les relations personnelles dans d'autres sphères de la vie, notamment familiale. Voilà ainsi ce que décrit un autre magistrat de la Magistrates' Court :

66

« Comme je l'ai dit, je peux le faire, je sais pourquoi je suis là ; je suis capable de prendre des décisions. Je suis, en règle générale, satisfait des décisions que j'ai prises, notamment parce que c'est ce que j'ai conclu des différents éléments de preuve qui m'ont été présentés ; je ne suis pas sûr que c'était vraiment la meilleure chose à faire, dans l'absolu, mais les éléments de preuve m'ont poussé à cette conclusion-là, je n'ai aucun problème avec ça. Mais comme je l'ai dit, j'ai du mal à quitter mon travail et à effacer tout ce que j'ai entendu sur les familles, le stress qu'elles endurent, la manière dont les enfants ont été traités, ce qui va leur arriver pour le reste de leur vie. Je trouve qu'il est difficile de rentrer à la maison et de voir mes propres enfants, de les regarder et de penser « oh mon Dieu », vous voyez ? Je me suis aperçu que j'essayais d'être plus patient avec mes propres enfants lorsque je rentre d'une journée à juger d'affaires de garde d'enfants. Le problème, c'est la tristesse, jamais de bonnes nouvelles ».

67 Si, intérieurement, les magistrats identifient clairement les nombreuses émotions, souvent négatives, qui traversent les salles d'audience, ils parlent aussi aisément de leurs propres expériences de travail émotionnel et de leur gestion des sentiments. Que la présence (ou l'absence) d'avocat affecte cette gestion est incontestable, mais il n'en demeure pas moins que leurs expériences au sein des Magistrates' Courts sont très différentes de celles des juges des juridictions supérieures.

68 Le travail des magistrats correspond à chacun des critères que la sociologue Hochschild a mis en avant concernant le travail émotionnel. En premier lieu, et bien que ces derniers n'entrent pas dans une relation de type professionnel/client, ils sont en relation directe avec un public ; certes, dans les juridictions supérieures où la présence d'un avocat est quasi systématique, la gestion des émotions revient en grande majorité à celui-ci, mais au sein des tribunaux de première instance, comme la Magistrates' Court, ce sont eux qui sont très directement confrontés aux émotions de prétoire. En deuxième lieu, les magistrats doivent gérer leurs propres émotions dans cette interaction avec le public ; une gestion qui est essentielle pour susciter en retour chez les interlocuteurs les émotions appropriées au contexte (sentiments d'équité, de justice ou de mérite, plutôt que d'hostilité, de défiance ou de colère). En troisième lieu, même si les magistrats jouissent d'une grande autonomie, le travail émotionnel joue un rôle important ; les règles relatives aux sentiments ne sont certes pas imposées par la hiérarchie ou personnifiées par un supérieur, mais elles font néanmoins partie intégrante des principes déontologiques et, en quelque sorte, des normes professionnelles. Tout manquement à la manifestation d'émotions « convenables » et au fait de susciter chez autrui les réactions appropriées font du reste l'objet de critiques et de jugements ; non de la part des supérieurs hiérarchiques (qui ne contrôlent en rien le travail émotionnel de chacun) mais du public, bien moins homogène, qui a sa propre grille de lecture de la déontologie professionnelle et évalue autant l'action des juges que celle des journalistes, etc. La reconnaissance de l'importance du travail émotionnel dans la salle d'audience est en contradiction avec la conception traditionnelle de la justice, selon laquelle les émotions entrent en conflit avec la nature rationnelle du raisonnement juridique. Selon nous, au contraire, ce travail émotionnel est indispensable car il engage le respect des principes de déontologie judiciaire que sont l'impartialité, l'objectivité et l'équité. La gestion des émotions est une composante cruciale du travail des juges s'ils veulent permettre aux justiciables de concevoir l'intégrité du processus juridique et de percevoir la légitimité du système qu'ils incarnent.

Notes

  • [1]
    La première au département de sociologie et la seconde à l'École de droit (Flinders University, GPO Box 2100, Adelaide SA 5001, Australia : Magistrates.research@flinders.edu.au)
  • [2]
    A. R. Hochschild, The Manager Heart : Commercialization of Human Feeling, 1983, p. 89-136 : R. J. Steinberg et D. M. Figart, "Emotional labor since The Managed Heart", Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1999, 561, p. 8, 9.
  • [3]
    A. R. Hochschild, op. cit.
  • [4]
    Cette étude a été financée en 2001 par une bourse de recherche conjointe université-industrie, avec comme partenaires l'Université de Flinders et l'Association des magistrats australiens (AAM) ; elle a en outre bénéficié d'un soutien financier de l'Institut australien de l'administration judiciaire, Elle est actuellement financée par une bourse Australian Research Council Linkage Project Grant (LP210306) avec l'AAM, tous les présidents de juridiction et leurs tribunaux comme partenaires industriels, et avec le soutien de l'Université de Flinders comme établissement d'accueil. Mes remerciements à Ruth Harris, Julie Henderson, Mary McKenna, Rose Polkinghorne et Wendy Reimens pour leur assistance administrative et lors des études. Des versions antérieures ou des parties de ce document ont été présentées à l'Atelier juridique féministe à Adélaïde en 2003, à la réunion annuelle des magistrats d'Australie méridionale en septembre 2003, à la conférence annuelle de l'Association sociologique australienne à Armidale en 2003 et à la réunion annuelle de l'Association sociologique américaine en août 2004 à San Francisco. Nous avons apprécié les remarques et les suggestions très utiles de Meg Carter, Margaret Davies, Patricia Yancey Martin, ainsi que des lecteurs anonymes. Cette étude a aussi fait l'objet d'une publication dans Journal of Law and Society (vol. 32, no 4, déc. 2005, p. 590-614).
  • [5]
    Certains progrès dans la réglementation juridique, par exemple le mouvement de la justice réparatrice, intègrent explicitement les émotions de honte dans le processus judiciaire (ou quasi-judiciaire). J. Braithwaite, Crime, Shame and Réintégration, 1989 : K. Daly et H. Hayes, "Restorative Justice and Conferencing in Australia", Trends and Issues in Crime and Criminal Justice papers, 2001, no 186 : K. Daly et H. Hayes, "Restorative Justice and Conferencing in Australia", in The Cambridge Handbook of Australian Criminology, eds. A. Gray-car et P. Grabosky, 2003, p. 294-312. Ce document ne s'intéresse pas aux réformes spécifiques du processus judiciaire basées sur l'intégration explicite des émotions, mais à la gestion des émotions par les personnels judiciaires dans la salle d'audience, au quotidien.
  • [6]
    B. Lange, "The Emotional Dimension in Legal Régulation", Journal of Law and Society, 2002, 29, p. 197.
  • [7]
    A. R. Hochschild, "Emotion Work, Feeling Rules and Social Structure", American Journal of Sociology, 1979, 85, p. 551 ; A. R. Hochschild, The Managed Heart : Commercialization of Human Feeling (1983) : S. Karstedt, "Emotions and criminal justice", Theoretical Crim. 2002, 6, p. 299 : A. Konradi, "Preparing to Testify : Rape Survivors Negotiating the Criminal Justice Process", Gender and Society, 1996, 10, p. 404 : A. Konradi, "I Don't Have to be Afraid of You : Rape Survivors' Emotion Management in Court', Society for the Study of Symbolic Interaction, 1999, 22, p. 45 : J. Morison and P. Leith, The Barrister's World and the Nature of Law, 1992, chap. 6.
  • [8]
    A. Abbott, "Status and Status Strain in the Professions", American Journal of Sociology, 1981, 86, p. 819, 823-24.
  • [9]
    P. Bourdieu, "The Force of Law : Toward a Sociology of the Juridical Field", Hastings Law Journal, 1987, 28, p. 814.
  • [10]
    M. Pell, The Lowest Rung : Voices of Australian Poverty, 2003.
  • [11]
    Dans la plupart des juridictions, le tribunal de première instance est appelé Magistrates' Court, excepté en Nouvelle-Galles du Sud où c'est le Local Court. Dans le Territoire de la capitale australienne, le Territoire du Nord et la Tasmanie, il n'existe pas de tribunaux intermédiaires entre les Magistrates' Court et la Cour suprême. L'Australie-Méridionale, le Queensland, la Nouvelle-Galles du Sud et l'Australie-Occidentale ont des District Court et, dans l'État de Victoria, l'équivalent est le County Court.
  • [12]
    Hochschild, op. cit., no 6, p. 156.
  • [13]
    Idem.
  • [14]
    V. par exemple, Were c/ Police [2003] SASC 116 et Shams c/ Clarson [2002] WASCA 121 : D. Eccles et S. Fewster, « Censure for "Abusive" Magistrate » The Advertiser (Adélaïde), 2 mai 2003, 3 ; G. Kelton, "Magistrale Called Accused a Junkie Who Would Die in the Gutter ; It's Not a Hanging Offence But... Please Explain" The Advertiser (Adélaïde), 1 mai 2003, 7 ; G. Kelton, "Magistrate Will Be Asked to Explain Abusive Remarks Made in Court : Junkie Was Told She Would Die in the Gutter" The Advertiser (Adélaïde), 1 mai 2003, 7.
  • [15]
    S. Roach Anleu, K. Mack, Magistrates Survey : Preliminary Findings on Job Satisfaction, Worlkoad and Stress : Magistrates Research Project, 2003.
  • [16]
    A. Strauss, J. Corbin, Basics of Qualitative Research : Techniques and Procedures for Developing Grounded Theory 1997, 2e éd., p. 11 : V. égal. R. G. Burgess, In the Field : An Introduction to Field Research, 1984 : W. L. Neuman, B. Wiegand, Criminal Justice Research Methods : Qualitative and Quantitative Approaches, 2000, chap. 14.
  • [17]
    Strauss, Corbin, op. cit., p.19.
  • [18]
    J. B. Thomas, Judicial Ethics in Australia, 1997, 2° éd., p. 195.
  • [19]
    Puisque les magistrats disposent d'une vaste compétence, ils sont plus susceptibles de traiter certains types de questions que d'autres. Les données du bureau d'Australie-Méridionale de la recherche et des statistiques sur la criminalité montrent que, (excepté de nombreux délits de circulation et de questions relevant du conseil), sur les 29 206 cas criminels conclus en 2003, les infractions pour mauvaise conduite constituaient le principal chef d'accusation avec 24, 4 %, les infractions contre l'ordre public représentaient 19, 6 % des cas : le vol et le recel 13, 0 %, les délits contre la personne 13, 3 % (à l'exception des délits sexuels) : 14, 4 % correspondaient aux délits sexuels : et 5, 1 % ne relevaient pas d'infractions (ordonnances de restriction de plusieurs types). Bureau de recherche et de statistiques sur la criminalité (SA), Crime and Justice in South Australia 2003 : Adult Courts and Corrections, 2004, 15.
  • [20]
    J. Lowndes, "The Australian Magistracy : From Justices of the Peace to Judges and Beyond Part I", Australian Law Journal, 2000, 74, p. 509, 519-24.
  • [21]
    R. Morgan, "Magistrates : The Future According to Auld", Journal of Law and Society, 2002, 29, p. 308 : A. Sanders, "Core Values, the Magistracy, and the Auld Report", Journal of Law and Society, 2002, 29, p. 324 : P. Seago et al., "The Development of the Professional Magistracy in England and Wales", Criminal Law Review, 2000, p. 631.
  • [22]
    S. Vago, Law and Society, 2003 (7e éd.).
  • [23]
    Lowndes, op. cit., no 15.
  • [24]
    Nos données sur l'état de la magistrature australienne ont été obtenues et régulièrement actualisées en utilisant diverses sources publiques et officielles, notamment les sites Internet des tribunaux et leurs rapports annuels.
  • [25]
    Un aspect de l'inamovibilité concerne les dispositions de retraite obligatoire. En Australie, les juges ne sont pas nommés à vie, mais plutôt jusqu'à un âge fixé pour la retraite. L'âge de la retraite obligatoire est de 65 ans pour tous les magistrats, excepté à Victoria, où il est de 70 ans : en Nouvelle-Galles du Sud et en Tasmanie, où il est de 72 ans. Il existe certaines possibilités de retraite anticipée volontaire. Les magistrats, comme d'autres personnels judiciaires, sont sujets à une possibilité de révocation pour certains motifs, mais les processus de révocation sont plutôt lourds.
  • [26]
    Comité directeur pour l'examen de la prestation de services gouvernementaux, Report on Government Services 2005 (2005), tableau 6.4.
  • [27]
    Ibid., tableaux 6.2 et 6.3.
  • [28]
    Comité directeur pour l'examen de la prestation de services gouvernementaux, Report on Government Services 2004 (2004), tableaux 6.9, 6.10, 16.28, 16.30. Il y a des limites à la comparaison de ces chiffres. Nous avons été confrontés à des problèmes significatifs dans l'obtention de données statistiques nationales précises.
  • [29]
    A. Mason, "The Courts as Community Institutions", Public Law Review, 1998, 9 (2), p. 83, 84.
  • [30]
    R. Mohr et al., "Performance Measurement for Australian Courts", Journal of Judicial Administration, 1997, 6 (3), p. 156 : J. Raine et M. J. Willson, "The Court, Consumerism and the Defendant", British Journal of Criminology, 1996, 36, p. 498.
  • [31]
    R. Moorhead et al., "What Clients Know : Client Perspectives and Legal Competence", International Journal of the Legal Profession, 2003, 10, p. 5. Nous sommes reconnaissants à un lecteur d'avoir suggéré ce point.
  • [32]
    Hochschild distingue entre la réalisation du travail émotionnel et le poids des émotions sur le travailleur. Bien que le travailleur social, l'éducateur, le docteur ou l'avocat ont un contact personnel et essaient d'influer sur les états émotionnels des autres, ils ne travaillent pas avec un superviseur des émotions derrière eux. Plutôt, ils supervisent leur propre travail émotionnel en considérant les normes professionnelles instructives et les attentes du client (Ibid., p. 153). Dans cette articulation par Hochschild du travail émotionnel, les règles du comment se sentir ou comment exprimer les sentiments sont fixées par la direction.
  • [33]
    L. Pierce, "Emotional Labor among Paralegals", Annals of the Am. Academy of Political and Social Science, 1999, 561, p. 127-128.
  • [34]
    Ibid., p. 127-136.
  • [35]
    K. J. Lively, "Reciprocal Emotion Management", Work and Occupations, 2000, 27, p. 32, 41, 45.
  • [36]
    Ibid., p. 32, 57.
  • [37]
    Ibid., p. 32, 41, 45.
  • [38]
    A. Rafaeli et R. I. Sutton, "Expression of Emotion as Part of the Work Role", Academy of Management Review 1987, 12, p. 23-24 : A. Rafaeli et R. I. Sutton, "Emotional Contrast Strategies as Means of Social Influence : Lessons from Criminal Interrogators and Bill Collectors", Academy of Management Journal, 1991, 34, p. 749, 758-65.
  • [39]
    Rafaeli et Sutton, op. cit., 1991, no 36, p. 758-61.
  • [40]
    S. E. Martin, "Police Force or Police Service ? Gender and Emotional Labor", Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1999, 561, p. 111, 112.
  • [41]
    Ibid., p. 116.
  • [42]
    A. S. Wharton, "The Affective Consequences of Service Work : Managing Emotions on the Job", Work and Occupations, 1993, 20, p. 205-223.
  • [43]
    A. S. Wharton, "The Psychosocial Consequences of Emotional Labor", Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1999, 561, p. 158-162.
  • [44]
    Ibid., p. 165.
  • [45]
    K. M. Macdonald, The Sociology of the Professions, 1995 : S. Roach Anleu, Law and Social Change, 2000, p. 77-107.
  • [46]
    T. Parsons, Essays in Sociological Theory, 1954, p. 35.
  • [47]
    S. Fineman, "Organizations as Emotional Arenas", in Emotion in Organizations, éd. S. Fineman, 1993, p. 19.
  • [48]
    P. A. Thoits, "The Sociology of Emotions", Annual Review of Sociology 1989, 15, p. 317 : P. A. Thoits, "Emotional Deviance : Research Agendas", in Research Agendas in the Sociology of Emotions, éd. T. D. Kemper, 1990, p. 180-181.
  • [49]
    L. N. Henderson, "Legality and Empathy", Michigan Law Review, 1987, 85, p. 1574-1576 : B. Lange, "The Emotional Dimension in Legal Regulation", Journal of Law and Society, 2002, 29, p. 197-199 : M. Weber, Economy and Society : An Outline of Interpretive Sociology, 1978.
  • [50]
    A. Sarat et W. Felstiner, "Law and Strategy in the Divorce Lawyer's Office", Law and Society Review, 1986, 20, p. 1978.
  • [51]
    W. L. F. Felstiner, "Synthesizing Socio-Legal Research : Lawyer-Client Relations as an Example", International Journal of the Legal Profession, 2001, 8 (3), p. 191, 194.
  • [52]
    Moorhead et al., op. cit., no 26.
  • [53]
    L. C. Harris, "The Emotional Labour of Barristers. An Exploration of Emotional Labour by Status Professionals", Journal of Management Studies, 2002, 39, p. 553, 563, 574.
  • [54]
    Ibid., p. 553 : Morrison et Leith, op. cit., no 1, chap. 3.
  • [55]
    Harris, op. cit., p. 553, 563.
  • [56]
    Ibid., p. 553, 570.
  • [57]
    Konradi, op. cit., 1999, no I, p. 53-54 : A. Konradi, "Pulling Strings Doesn't Work in Court : Moving Beyond Puppetry in the Relationship between Prosecutors and Rape Survivors", Journal of Social Distress and the Homeless, 2001, 10, p. 5, 16-22.
  • [58]
    Hochschild, op. cit., no 6, p. 89.
  • [59]
    Ibid., p. 153.
  • [60]
    Ibid., p. 153, 234-238.
  • [61]
    E. Campbell et H. P. Lee, The Australian Judiciary, 2001, p. 14.
  • [62]
    Bourdieu, op. cit., no 3, p. 818 : Weber, op. cit., no 48, p. 656-657.
  • [63]
    Henderson, op. cit., no 48.
  • [64]
    S. Fuchs et S. Ward, "Deconstruction : Making Facts in Science, Building Cases in Law", American Sociological Review, 1994, 59, p. 481.
  • [65]
    D. Wood, Judicial Ethics : A Discussion Paper, 1996, p. 15.
  • [66]
    Fuchs et Ward, op. cit., no 63, p. 490.
  • [67]
    E. Campbell et H. P. Lee, The Australian Judiciary, 2001, p. 132.
  • [68]
    AIJA, op. cit., no 66, p. 3.
  • [69]
    Ibid., p. 15 : V. aussi Judicial Studies Board (UK), Fairness in Courts and Tribunals : A Summary of the Equal Treatment Bench Book, 2004.
  • [70]
    Australian Institute of Judicial Administration (AIJA), Guide to Judicial Conduct, 2002, p. 15.
  • [71]
    Thomas, op. cit., no 13, p. 26-29.
  • [72]
    Were v. Police [2003] SASC 116 [15]
  • [73]
    Bourdieu, op. cit., no 3.
  • [74]
    Magistrates' Court de l'État de Victoria c/ Robinson (2000) VSCA 198 [24].
  • [75]
    R. N. Douglas, K. Laster, Reforming the People's Court : Victorian Magistrates' Reactions to Change, 1992, p. 20.
  • [76]
    Ibid., p. 21
  • [77]
    Dans le contexte des Magistrates' Courts australiennes, le sexe, l'âge et le nombre d'années d'expérience sont fortement liés. En général, les femmes sont plus jeunes et ont été nommées plus récemment que leurs confrères. La reconnaissance des émotions et la volonté de s'engager dans un travail émotionnel pourraient être davantage liées au nombre d'années d'expérience qu'au sexe - les personnes issues depuis peu des cabinets d'avocats ont peut-être un point de vue divergent de celui des magistrats plus expérimentés. Nous n'avons pu évaluer, à la seule lumière de l'échantillon interrogé, l'effet relatif (seul ou en corrélation avec un autre) de ces variables indépendantes sur le travail émotionnel.
  • [78]
    A. Abbott, "Status and Strain in the Professions", American Journal of Sociology, 1981, 86, p. 819.
  • [79]
    T. R. Tyler, "The role of Perceived Injustice in Defendants' Evaluations of Their Courtroom Experiences", Law and Society Review 1984, 18, p. 51 ; T. R. Tyler, "What is Procedural Justice ? Criteria Used by Citizens to Assess the Fairness of Legal Procedures", Law and Society Review, 1988, 22, p. 103 ; T. R. Tyler, Why People Obey the Law, 1990.
  • [80]
    Tyler, ibid., 1990 p. 7.
  • [81]
    Ibid., p. 163-173.
  • [82]
    A. S. Blumberg, "The Practice of Law as Confidence Game : Organizational Cooptation of a Profession", Law and Society Review, 1967, 1, p. 15 ; M. Galanter, "Why the "Haves" Come out Ahead : Speculations on the Limits of Legal Change", Law and Society Review, 1974, 9, p. 95.
  • [83]
    Magistrates' Court de l'État de Victoria c/ Robinson [2000] VSCA 198 [8] Charles JA.
  • [84]
    C. Clark, "Sympathy Biography and Sympathy Margin", American Journal of Sociology, 1987, 93, p. 290-297.
  • [85]
    C. Maslach et al. "Job Burnout", Annual Review of Psychology, 2001, 52, p. 397-403 : K. Pugliesi, "The Consequences of Emotional Labor : Effects on Work Stress, Job Satisfaction, and Well-Being", Motivation and Emotion, 1999, 23(2), p. 125-130.
  • [86]
    A. S. Wharton, "The Affective Consequences of Service Work : Managing Emotions on the Job", Work and Occupations, 1993, 20(2), p. 205.
  • [87]
    Maslach et al., op. cit., no 87.
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