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Article de revue

La justice américaine : images de fiction / images de réalité

Pages 195 à 202

Notes

  • [1]
    Le terme « quality télévision » n'est pas un jugement de valeur mais une catégorie de séries télévisuelles comportant douze caractéristiques. Pour une description de ce genre de séries, voir J. Feuer, P. Kerr et T. Vahimagi, dirs, MTM Quaiity TV, Londres, BFI, 1984 ; R.J. Thompson, Television's Second Golden Age, NY, Syracuse University Press, 1997.
  • [2]
    Cela dit, lors d'une enquête pilote menée auprès de téléspectateurs de cinq pays européens et aux États-Unis, les Français se sont montrèsassez au courant des élément de la justice française. Voir « Pratiques télévisuelles et la construction d'une culture juridique dans cinq États-Unis (la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, et les États-Unis) », B. Villez, S. Ball, D. Bifulco, L. Moran, T. Degenhardt, projet JILC et Maison des sciences de l'homme Paris Nord, 2010-2011, rapport de résultat en cours de rédaction
  • [3]
    Dick Wolf, NBC, 1999-présent, titre français : New York unité spéciale.
  • [4]
    Anthony Zuiker and Jerry Bruckheimer, CBS, titre français : Les Experts, Las Vegas - 2000-présent, Miami - 2002-présent, Manhattan - 2004-présent.
  • [5]
    « Scorched Earth », saison 13, épisode 1, première diffusion sur NBC le 21 septembre 2011.
  • [6]
    Cette adresse est également le titre de la série judiciaire de Sidney Lumet, E&A Entertainment Network, 2001-2002.
  • [7]
    CBS, septembre 2009-présent.
  • [8]
    Cette série ainsi que toutes celles qui en sont dérivées (connues en France sous les titres : New York police judiciaire ; New York enquêtes criminelles, etc.) font partie de ce qu'on appelle l'univers Law & Order. Voir B.Villez, Séries télé : visions de la justice, Paris, PUF, 2005.
  • [9]
    CBS, 1957-1966 ; 1973-1974.
  • [10]
    Fox. 2006.
  • [11]
    De nombreux films dont les Pirates des Caraïbes, et des séries telles que le trilogie CSI, Coid Case, Withouta Trace (FBI portés disparus), Chase.
  • [12]
    Voir B. Villez, Télévision and the Légal System, Londres, Routledge, 2009 (Afterward).
  • [13]
    Fox, 2007-présent.

1Les séries judiciaires ont souvent trouvé la source de leurs histoires dans des faits divers. Les noms changent et même les détails du récit, les scénaristes ne gardant que le problème juridique qui se pose à travers les faits, et même là, souvent, ils inventent des rebondissements qui compliquent les histoires au-delà de l'incident initial. Les modifications d'écriture font qu'il est parfois assez difficile de savoir avec sûreté si c'est une histoire qu'on reconnaît ou un récit simplement inventé de toutes pièces. Les changements protègent les gens. Leur nom reste en dehors de la narration, ce qui les laisse plus libres de tourner la page. Leur histoire ne sert que d'un prétexte de réflexion sur la justice, ses professions, l'évolution du droit. Et, aujourd'hui, les scénaristes ne se privent pas de complexifier les questions juridiques car ils savent que le public a acquis une certaine sophistication « télé-spectatorielle ». Toutefois, il arrive que la réalité dépasse la fiction, ou pire lui ressemble à un tel point qu'on ne sache plus où est la source.

2 Le flou entre fiction et réalité - sait-on ce qu'on regarde quand la réalité se reconnaît dans la fiction ou que les traces de fictions surplombent la réalité - est d'autant plus troublant lorsqu'on voit des images aux journaux télévisés qui rappellent celles des séries judiciaires et policières. Cela a été évident dans le traitement télévisuel de l'affaire DSK pendant le printemps - été 2011. Les premières images n'étaient que partielles, mais elles étaient familières grâce aux séries : on a reconnu les lieux, les personnages, même les moments de procédure à partir de nos souvenirs des séries. La récurrence des images - en boucle - a renforcé cette impression de familiarité car elles reproduisaient les images les plus fréquentes des séries policières et judiciaires : arrestation ; arrivée au tribunal ; audiences préliminaires ; conférences de presse commanditées par les avocats des parties.

3La fiction constitue une source majeure d'images et d'impressions permettant la construction d'un imaginaire. Le roman, le cinéma, la télévision dite « de qualité » [1] sont tous des formes de récits fictionnels mettant en place, surtout dans le cas des deux derniers, un discours visuel aussi bien qu'un discours textuel. Le jeu entre image et texte sert de médiatisation des images, les plaçant dans un contexte. La fidélisation de ces formes de récit, par goût du divertissement, mène à une fréquentation de ce type d'images. Lorsque la réalité reprend ces mêmes images, c'est la reconnaissance qui s'opère. On comprend ce qu'on voit de par notre expérience passée des scènes fictionnelles. L'expérience et la familiarité fournissent les outils pour affronter de nouveaux événements. Les séries américaine dont nous sommes nourris quotidiennement - qu'on le veuille ou non, qu'on les recherche ou non - mettent en place des repères. Le public français qui trouve facilement ces images à la télévision reconnaît, se plaignent les magistrats, plus le système américain que les images du sien. [2]

4L'irruption des images dans l'affaire DSK, aux résonnances fictionnelles, ébranlait le public en partie parce qu'il y a eu un sentiment d'être dans une fiction. La raison tient en partie du fait que les lieux étaient les mêmes que dans les séries. Le public a pu mettre à l'épreuve ses repères quant aux acteurs en justice, au déroulement d'une procédure, même si le facteur temps a choqué par le fait qu'il ressemblait trop au temps d'un épisode. Les journaux, dans les gros titres, ont également joué sur cette ressemblance en utilisant les termes « série » ou « saison (1 ou 2) » fréquemment. Sans vouloir revisiter l'affaire, l'objectif ici est de saisir cette occasion pour comprendre comment on est arrivé à ce qu'une scène judiciaire américaine soit entrée dans notre champ visuel et de donner sens à ses représentations. Les séries produisent de véritables effets d'acculturation et une réflexion comparative des images de fiction et de celles de la réalité, en nous appuyant sur quelques aspects de l'incident de l'été 2011, devrait permettre également de mettre, en avant le potentiel pédagogique de ces fictions télévisuelles.

La confirmation des repères

5L'image présente sur les écrans dès le premier jour était celle de DSK escorté par un policier, à chaque côté de lui. Mais qu'a-t-on vu vraiment dans cette image ? Monsieur Strauss-Kahn, le visage sérieux, habillé d'une chemise bleue propre et bien repassée, sans cravate, un imperméable foncé. Il marchait, entouré de ces hommes. Soudain, son manteau s'est ouvert d'un côté sans qu'il le referme, donnant la seule vraie indication que ses mains n'étaient pas libres. On ne voit pas ses bras, mais on les sait derrière son dos. On ne voit pas de menottes, mais on les imagine grâce à notre expérience des séries policières et judiciaires à la télévision américaine importées en France, mettant en place des codes. Ce qu'on a vu a choqué moins que ce qu'on savait. Une scène qui aurait dû nous paraître totalement étrangère était au contraire familière, mais cette fois-ci c'était du réel.

6Une vidéo, insérée dans les reportages télévisés, montre les policiers new-yorkais arrivant au Sofitel, les lettres « NYPD POLICE Crime Scène Unit » sur le dos de leur blouson. Cette image renvoyait les téléspectateurs aux personnages de Law & Order Spécial Victims Unit[3] ou aux CSI [4]. Les blousons des policiers fictifs renvoient donc aux uniformes des agents réels et, dans le contexte de l'affaire réelle de l'été 2011, l'affaire réelle, à son tour, a inspiré un retour à la fiction. Les scénaristes de Law & Order SVU, connus pour leur réactivité et leur rapidité, se sont inspirés de l'affaire DSK pour le premier épisode de la saison actuelle qui a commencé en septembre 2011 [5]. La façon des scénaristes (moins inventifs que d'habitude) de modifier ce récit, déjà si peu ordinaire, était de changer la nationalité et la fonction de l'accusé.

7Une autre image très familière était celle du tribunal pénal de New York. Se trouvant à 100 Centre Street, en bas de l'île de Manhattan, ce tribunal, appelé le suprême court of New York, n'a rien d'une cour suprême. C'est tout simplement le tribunal pénal de la ville. Encore une fois, beaucoup de téléspectateurs ont reconnu le bâtiment car il trône dans de multiples films et séries américaines. [6] Le téléspectateur français s'est retrouvé dans une situation de déjà-vu et de déjà-vu en boucle. De nombreuses scènes des séries montrent tout simplement les personnages monter ou descendre les marches du tribunal. Souvent, c'est le palais de justice de New York, mais l'action de la série The Good Wife[7] a lieu à Chicago et plusieurs séries à Los Angeles. Les séries actuelles se passent presque toutes dans les grandes villes alors que certaines séries des années 80 portaient sur la justice dans les petites villes du Sud ou du centre du pays. Toujours est-il que les images vues dans les journaux télévisés de l'été 2011, du procureur arrivant à 100 Centre Street, de DSK et ses avocats repartant du tribunal, les conférences de presse ou les refus de commentaires ; tout ressemblait encore une fois aux images fictionnelles.

8Dans les séries, comme dans la réalité, le détenu doit comparaître accompagné d'un avocat, parfois c'est un commis d'office qui vient de prendre conscience du dossier. En tout cas, cette audience préliminaire sert à présenter les chefs d'accusation auxquels le détenu doit répondre et à entendre les voeux du bureau du procureur (parfois identifiés dans les séries comme « les voeux du peuple »). Lors de la comparution de DSK, les téléspectateurs ont pu constater quelques policiers au tribunal, mais les images n'ont pas inclus les autres détenus, également assis dans la salle d'audience, en attendant leur tour de passer devant la juge (à la première audience, il y avait une juge). Là encore, on les sait présents pour avoir regardé la série de Lumet ou d'autres comme celles de l'univers de Law & Order[8]. Le public a vu DSK à côté de son avocat, le célèbre Brafman, devant la juge, comme dans toutes les fictions américaines, toujours présenté ainsi au juge. Egalement en face du juge se trouve le substitut du procureur. Perry Mason[9], en 1957, fut une des premières séries à offrir régulièrement de telles images aux téléspectateurs. Les images de fiction ont donc préparé les Français à reconnaître l'obligation de DSK de prononcer le « yes your honour » au lieu de hocher simplement sa tête pour acquiescer aux avertissements du juge (lors de l'audience ultérieure sur la détention). Dans toutes les fictions judiciaires, les avocats ont un rôle fort, car ils l'ont également en réalité. Les avocats des deux parties, le procureur et l'avocat de la défense, ont chacun l'obligation d'enquêter de leur côté, mais également l'obligation de fournir les informations de leur dossier à l'adversaire - après l'audience devant le grand jury.

9Pour prévenir le téléspectateur du moment de la procédure américaine auquel correspond une séquence, les séries identifient souvent les scènes par des lettres blanches sur fond noir ou par des petites fenêtres en bas de l'écran : « premier entretien avec le client », « plaidoirie devant un jury d'essai », « contre-interrogatoire du témoin X, troisième jour », « plaidoiries de clôture », etc. Bien que cela aide les Français à intégrer le déroulement d'un procès américain, c'est très succinct pour des raisons évidentes de scénarii - on ne cherche pas à tout montrer, seulement ce qui sert à l'histoire. Certaines étapes ne sont donc pas souvent incluses dans les narrations, comme la présentation du dossier à un « grand jury » afin que celui-ci décide s'il y a suffisamment de preuves pour justifier un procès devant un « petit jury ». Par conséquent, cette partie du processus, ainsi que les brefs délais pour aller, ou non, devant le grand jury, ont laissé beaucoup de Français perplexes.

10En effet, les délais sont très brefs et, de façon générale, la justice américaine est très rapide en comparaison avec la procédure des pays de tradition romano-germanique. Les séries arrivent à transmettre une impression de rapidité à travers l'écriture des récits. Ce n'est pas uniquement pour tout faire tenir dans un épisode d'une cinquantaine de minutes que les narrations sont construites sur des rebondissements et retournements de situations. Cela oblige également les avocats fictifs à modifier leurs stratégies au quart de tour, de penser aussi rapidement qu'on a l'habitude de les entendre parler.

La violence des images américaines

11L'image qui a choqué le plus était celle du « perp walk », célèbre aussi par l'appellation qu'ont donné les journaux à cette arrestation. Ce qui a choqué, ce qui a été vraiment violent, c'est le lien que l'on fait en voyant ces images à l'imaginaire constitué par les séries. Ici, on n'a vu que très peu de choses, mais l'imagination a compensé les lacunes. Ce qui a choqué également, c'est le fait que la réalité a rattrapé la fiction, que quelqu'un de connu, d'un statut politique important, soit traité comme un simple citoyen américain dans un pays où le droit règle tous les rapports entre les gens et les met à égalité.

12La violence de l'image vient de la ressemblance avec toutes les nombreuses séries policières, les scènes que l'on connaît par coeur. Les policiers viennent sur les lieux, sans attendre que la personne termine son discours, que son mariage soit prononcé, que le concert arrive à la fin. La brutalité de cette interruption, on l'imagine bien pour l'avoir vue tant et tant de fois. Tout le monde connaît par coeur les mots que prononcent les policiers à ce moment-là : « Monsieur XX, on vous arrête pour (l'acte commis). Vous avez le droit de garder le silence. Si vous parlez, tout ce que vous dites pourrait être utilisé contre vous. Vous avez le droit à un avocat, si vous n'avez pas les moyens de vous en procurer un, la cour s'en chargera pour vous. » Ainsi le téléspectateur français pouvait compléter l'arrestation par le contenu de son imaginaire. Le public n'a jamais dû se mettre à la place de celui ou celle qui se fait arrêter ainsi, jusqu'au jour où c'est arrivé à un des siens, une personne de standing. Du coup, les images partielles sont devenues plus violentes que les images fictionnelles complètes.

13Dans la série judiciaire Law & Order, la première partie de chaque épisode se termine par une arrestation. Parfois le procureur considère qu'il n'y a pas assez de preuves pour justifier un procès et il demande à la police de poursuivre l'enquête. Dans certains épisodes, le procureur et son assistant s'impliquent dans l'enquête, surtout pour trouver des témoins contre l'accusé, des preuves pour appuyer la probabilité de sa culpabilité. La série présente la justice du point de vue du procureur ; ainsi l'accusé n'est pas traité avec beaucoup de sympathie. Cette série a été diffusée aux États-Unis pendant vingt ans et se voit sur différentes chaînes françaises plusieurs fois par semaine depuis au moins quinze ans. Il est rare qu'on ne l'ait pas vue au moins une fois. Rien que le générique est entré dans la culture populaire.

14Comme il a été indiqué plus haut, la justice américaine paraît brutale par sa grande rapidité. Une autre série, Justice[10], met l'accent tout particulièrement sur cet aspect. Du générique jusqu'à la fin de chaque épisode l'allure des images, du dialogue et les rebondissements narratifs créèrent un sentiment de frénésie, de pression constante. Tout est question de délais, d'urgences, de mauvaises surprises. Les personnages doivent gérer cette pression, ce qui les maintient constamment sur le qui-vive, et les téléspectateurs aussi. Le public acquiert une expérience quasi somatique de la temporalité de la gestion d'une affaire en justice : le temps de l'enquête, « discovery », la préparation des témoins et les audiences.

L'affaire du déjà-vu

15Justice est une série du producteur Jerry Bruckheimer [11], diffusée aux États-Unis sur Fox du 30 août 2006 au 22 décembre de la même année. Treize épisodes ont été tournés mais le dernier n'a jamais été diffusé aux États-Unis. En revanche, la France a pu découvrir la totalité des épisodes sur TF1 pendant l'été 2011. La chaîne annonçait l'arrivée de cette émission comme « la série qui expliquera la procédure américaine aux Français dans l'affaire DSK ».

16La série met en scène le travail d'un cabinet d'avocats à Los Angeles. Le cabinet TNT&G compte quatre associés et plusieurs subalternes, des personnages sans texte à prononcer qui se croisent dans les couloirs et déplacent les dossiers dans le fond du plateau. Ron Trott (Victor Garber) est le fondateur de la firme. Il est sans scrupules, stratégiste avant tout et se livre souvent à la manipulation des médias. Tom Nicholson (Kerr Smith) est le plus jeune associé. Il est originaire du « middle west » et est resté idéaliste. Il a du mal à ne pas s'investir dans les problèmes de ses clients alors que Trott garde une distance professionnelle et ne se soucie absolument pas de leur éventuelle innocence ou culpabilité. Les discussions entre ces deux associés portent à la connaissance du public les dilemmes impliqués dans les affaires et surtout les conflits éthiques entre eux. L'associée féminine, Alden Tuller (Rebecca Mader), est efficace, mais reste un personnage moins important que les trois autres associés. Luther Graves (Eamonn Walker) joue un ancien procureur devenu avocat de la défense, utile pour élaborer des stratégies au tribunal et utile pour le téléspectateur aussi ; pour qu'il remarque que procurer et avocat font partie du même corps professionnel.

17L'épisode 3 de Justice résonne étonnamment avec les informations que le public découvrit pendant l'été 2011. Dans cet épisode, un jeune homme est accusé d'avoir assassiné une jeune femme qui a refusé ses avances. Il vient voir TNT&G et proclame son innocence. Trott lui explique que la police arrive au cabinet pour l'arrêter et qu'ils vont le menotter avant de le sortir de l'immeuble. Les quatre avocats accompagnent aussi leur client et, lorsqu'ils se trouvent en bas, ils sont accostés par des hordes de journalistes, munis de caméras et de microphones. Ils font une courte déclaration sur l'innocence de leur client. Plus tard dans l'épisode, l'amie du jeune homme se plaint des journalistes qui sont campés devant son immeuble, ce qui agace tous les occupants. On se souvient de la difficulté que le couple DSK a eu pour trouver un appartement à New York pour les mêmes raisons.

18 L'épisode va se poursuivre en insistant sur les stratégies que mettent en place les avocats : faut-il négocier ou attendre pour savoir ce qu'il y a dans le dossier du procureur ? Le procureur a-t-il décidé trop rapidement de poursuivre le jeune homme et était-ce à cause de la pression de la famille de la victime ? Dans d'autres épisodes, les téléspectateurs entendent parler de la crédibilité d'un témoin ou de l'argent d'une partie qui le rend antipathique aux habitants de la communauté. Il est facile d'oublier devant tant de résonances que la série précédait l'affaire DSK par presque cinq ans au lieu d'être inspirée par elle. L'écho entre réalité et fiction ici, dans le discours iconique aussi bien que dans le discours textuel, est particulièrement ironique dans le sens que la série fut écrite et produite avant l'affaire mais vue par les Français après. Le sentiment de déjà-vu est donc très circulaire.

19 Les séries produites aux États-Unis depuis 2006, marquant le début de la quatrième période de la représentation des avocats (davantage l'image d'un technicien qu'un chevalier servant) [12], mettent en scène l'importance pour les avocats de savoir traiter avec les médias. Dans la série Damages [13] comme dans Justice, les avocats donnent des conférences de presse devant le tribunal et se font inviter sur les plateaux de télévision pour parler de leur affaire. Les téléspectateurs découvrent un aspect du travail des avocats qui n'était pas représenté par le passé, mais qui résonne énormément avec les performances de Brafman, l'avocat de DSK, ou de Thomson, celui de Nafissatou Diallo. Ainsi, les rapports avec les médias et, à travers eux, l'effet sur l'opinion publique constituent une tâche essentielle pour les avocats et exigent un talent communicationnel considérable.

20 Les fictions récentes font souvent référence à l'argent : l'argent que procure la profession et l'argent des clients qui peut leur assurer une meilleure défense, suggérant l'existence d'une justice à deux vitesses. Le procès d'O.J. Simpson est évoqué fréquemment pour dire que, dans le système américain, l'argent met le client à un avantage. Ron Trott, dans Justice, dit à la fin du générique, donnant ainsi l'occasion aux téléspectateurs d'entendre à répétition : « comme je dis toujours, si vous avez le bon avocat, nous avons le meilleur système judiciaire au monde. »

21La culture juridique des télé-citoyens leur permet de comprendre les images de justice qu'ils voient. Cependant, d'un autre côté, les fictions influencent leurs attitudes et leurs attentes par rapport à la réalité. Un exemple flagrant de cela se constate au tribunal où, aujourd'hui, il est fréquent que les jurés s'attendent à ce qu'on leur présente des preuves d'ADN. Cette confiance dans l'ADN vient des séries de police scientifique comme les CSI. Le jeu entre fictions judiciaires et réalité judiciaire sont une source de curiosité, encourageant le téléspectateur d'aller plus loin pour comprendre cet autre système. C'est également un tremplin pour comprendre son propre système et qui permettrait, idéalement, de mieux saisir sa propre culture. Les fictions captent l'attention d'un public plus large que beaucoup d'autres émissions sur la justice, ce qui font d'elles, et de la télévision tout particulièrement à cause de sa facilité d'accès, un outil pédagogique énorme. Pour l'instant, il sert d'outil d'acculturation, vers un système étranger, mais son potentiel n'est pas à négliger et il reste aux chaînes françaises de proposer des alternatives traitant de la justice française, de formes plus variées et plus fortes.

Notes

  • [1]
    Le terme « quality télévision » n'est pas un jugement de valeur mais une catégorie de séries télévisuelles comportant douze caractéristiques. Pour une description de ce genre de séries, voir J. Feuer, P. Kerr et T. Vahimagi, dirs, MTM Quaiity TV, Londres, BFI, 1984 ; R.J. Thompson, Television's Second Golden Age, NY, Syracuse University Press, 1997.
  • [2]
    Cela dit, lors d'une enquête pilote menée auprès de téléspectateurs de cinq pays européens et aux États-Unis, les Français se sont montrèsassez au courant des élément de la justice française. Voir « Pratiques télévisuelles et la construction d'une culture juridique dans cinq États-Unis (la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, et les États-Unis) », B. Villez, S. Ball, D. Bifulco, L. Moran, T. Degenhardt, projet JILC et Maison des sciences de l'homme Paris Nord, 2010-2011, rapport de résultat en cours de rédaction
  • [3]
    Dick Wolf, NBC, 1999-présent, titre français : New York unité spéciale.
  • [4]
    Anthony Zuiker and Jerry Bruckheimer, CBS, titre français : Les Experts, Las Vegas - 2000-présent, Miami - 2002-présent, Manhattan - 2004-présent.
  • [5]
    « Scorched Earth », saison 13, épisode 1, première diffusion sur NBC le 21 septembre 2011.
  • [6]
    Cette adresse est également le titre de la série judiciaire de Sidney Lumet, E&A Entertainment Network, 2001-2002.
  • [7]
    CBS, septembre 2009-présent.
  • [8]
    Cette série ainsi que toutes celles qui en sont dérivées (connues en France sous les titres : New York police judiciaire ; New York enquêtes criminelles, etc.) font partie de ce qu'on appelle l'univers Law & Order. Voir B.Villez, Séries télé : visions de la justice, Paris, PUF, 2005.
  • [9]
    CBS, 1957-1966 ; 1973-1974.
  • [10]
    Fox. 2006.
  • [11]
    De nombreux films dont les Pirates des Caraïbes, et des séries telles que le trilogie CSI, Coid Case, Withouta Trace (FBI portés disparus), Chase.
  • [12]
    Voir B. Villez, Télévision and the Légal System, Londres, Routledge, 2009 (Afterward).
  • [13]
    Fox, 2007-présent.
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