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Article de revue

Les enjeux d'une table de référence pour fixer la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant

Pages 141 à 157

Notes

  • [1]
    E. Dekeuwer-Défossez, Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation française, 1999.
  • [2]
    S. Guinchard, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation française, 2008.
  • [3]
    Ce groupe était composé d'une juriste, d'un magistrat et d'une économiste.
  • [4]
    http://www.justice.gouv.fr/art_pix/note_explicative_table_pa201000725.pdf.
  • [5]
    Recherche menée avec le soutien de la mission de recherche Droit et Justice et de la CNAF (Bourreau-Dubois et alii, 2010). http://fac-droit.univ-st-etienne.fr/droit/la-recherche/publications-des-membres-du-cercrid-rapports-de-recherches-216948.kjsp ? RH=0611171516yr
  • [6]
    La méthode suivie n'est pas exposée ici. Signalons simplement qu'elle part de l'analyse de 2 000 décisions représentatives des décisions d'appel de la France entière (année 2009).
  • [7]
    Au-delà d'un certain montant, cette contribution perd son caractère alimentaire. C'est la raison pour laquelle la table proposée s'arrête à la tranche de revenus de 5 000 euros mensuels, même si, au-delà de cette limite, les taux proposés peuvent encore être appliqués.
  • [8]
    En effet, les travaux statistiques sur l'estimation du coût de l'enfant ne convergent pas sur le fait que ce coût serait croissant ou décroissant avec le revenu.
  • [9]
    Le taux d'effort est le ratio de la CEEE sur le revenu du parent débiteur.
  • [10]
    Si on retient un coût relatif de 18 %, alors, pour un débiteur ayant un revenu de 1 000 Euros; le taux d'effort effectif sera de 9,7 % : ([1000-460]*0.18)/1000 = 9,7 % ; et, pour un débiteur ayant un revenu de 2 000 Euros, il sera de 13,8 % : ([2000-460]*0.18)/2000= 13,8 %.
  • [11]
    Cette interprétation est cependant à nuancer car, lorsqu'il y a au moins deux enfants, on constate que le taux d'effort le plus élevé est celui acquitté par les débiteurs ayant des revenus de niveau intermédiaire.
  • [12]
    Voir par ex. Civ. 1 re, 16 avr. 2008 (Bull. civ. 2008, I, no 111) qui annule la décision ayant confirmé l'augmentation d'une pension en écartant l'argument des charges nouvelles contractées par l'appelant au motif qu'il appartenait au débiteur « de ne décider de nouveaux engagements qu'en fonction de sa capacité à les honorer après s'être acquitté de ses obligations envers ses enfants issus de son mariage ».
  • [13]
    Sur l'idée d'une « procédure collective » en matière d'obligations alimentaires concurrentes, voir I. Sayn, spé., 2002, p. 57 s.
  • [14]
    Les juridictions d'appel retiennent très massivement la solution traditionnelle (63,9 % des décisions). 5,1 % fixent une résidence alternée et 11,2 % un droit de visite réduit, voir Bourreau-Dubois et alii (2010), tableau I.A.8.
  • [15]
    Voir Bourreau-Dubois et alii, 2010, tableau II.A.16.
  • [16]
    Civ. 1 re, 25 avr. 2007, no 06-12.614, D. 2007. 1428 ; AJ fam. 2007. 269, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2007. 558, obs. J. Hauser, Bull. civ. 2007, I, no 155.
  • [17]
    Le terme de ménage est utilisé pour désigner l'ensemble des occupants d'un même logement sans que ces personnes soient nécessairement unies par des liens de parenté, en cas de familles recomposées notamment, avec ou sans mariage.
  • [18]
    Ajoutons que les impôts sont réactualisés annuellement afin de s'adapter aux ressources du contribuable, y compris les pensions alimentaires qu'il reçoit ou qu'il verse. Ce sont donc les impôts qui s'adaptent aux pensions alimentaires reçues ou versées et non pas les pensions alimentaires qui s'adaptent aux impôts versés.
  • [19]
    Civ. 1 re, 25 janv. 2005, no 02-13.376, non publié au bulletin.
  • [20]
    Cette configuration reste cependant relativement rare, près de neuf divorces sur dix étant prononcés sans que soit fixée de prestation compensatoire. Sur ces données, voir E. Roumiguière, Des prestations compensatoires sous forme de capital et non plus de rente, Infostat Justice, no 77, 2004.
  • [21]
    Outre la question spécifique de l'articulation entre la CEEE et l'ASF, la mise en place d'une table de référence a relancé une réflexion institutionnelle sur l'opportunité de réformer l'ASF différentielle, cf. infra.
  • [22]
    Civ. 3 déc. 1997, no 94-16.970, D. 1998. 441, note D. Everaert-Dumont ; RDSS 1998. 397, obs. F. Monéger ; RTD civ. 1998. 84, obs. J. Hauser, Bull. civ. 1997, II, no 297.
  • [23]
    Civ. 1 re, 17 nov. 2010, pourvoi no 09-12.621, D. 2010. 2910, et les obs. ; AJ fam. 2010. 534, obs. L. Briand ; RTD civ. 2011. 117, obs. J. Hauser, Bull. civ. 2010, I, no 234.
  • [24]
    Civ. 1 re, 25 janv. 2005, no 02-13.376, non publié au Bull., préc. Voir également Civ. 1 re, 17 déc. 2008, no 08-13.985, inédit. On remarque que la Cour de cassation statue sur le sort des seules allocations familiales alors que les cours d'appel avaient statué sur l'ensemble des prestations familiales.
  • [25]
    Civ. 2 e, 25 nov. 1999, Bull. civ. 1999, II, no 179.
  • [26]
    Poursuivant cette logique, J.-CI. Bardout, magistrat, propose des modèles de requêtes, d'assignations et de motivations faisant expressément référence à la table de référence, in AJ Famille 2010. 477.
  • [27]
    Les juges aux affaires familiales et les magistrats de la chambre de la famille de la cour d'appel de Toulouse ont testé le barème indicatif de CEEE au cours du premier semestre 2009. Une enquête a été réalisée auprès d'eux afin de recueillir leur opinion sur la table ; B. Munoz-Perez, C. Moreau, I. Sayn, Évaluation de l'expérimentation de l'outil d'aide à la décision pour fixer la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants, ministère de la Justice, DACS, Pôle d'évaluation de la justice civile, 2010. Bulletin 2006, I, no 312, p. 270.
  • [28]
    Civ. 1 re, 20 juin 2006, pourvoi no 05-17.475, D. 2006. 1841 ; ibid. 2430, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2006. 324, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2006. 740, obs. J. Hauser, (Bull. civ. I, no 312) : une convention fixant une somme forfaitaire sans référence aux ressources des deux parents et aux besoins de l'enfant devait être écartée.
  • [29]
    Expérimentation de Toulouse : les montants sur lesquels les parents s'accordent sont supérieurs à ceux qui résulteraient du barème pour les revenus inférieurs à 1 800 Euros et inférieurs pour les revenus plus élevés, tout particulièrement pour la tranche de 3 000 à 4 000 Euros (et à l'exception de la tranche de revenus de plus de 4000 Euros).
  • [30]
    Le réaménagement de l'ASF différentielle, préconisé par la Cour des comptes pour mettre un terme au mécanisme qui « incite les parents non gardiens à ne pas s'acquitter de leur obligation, afin que le parent gardien perçoive l'ASF » et « les juges à ne pas fixer de pension alimentaire, afin que les allocataires ne soient pas lésés » (Rapport, sept. 2010), vient d'être réalisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Dorénavant, « Lorsque l'un au moins des parents se soustrait partiellement au versement d'une créance alimentaire pour enfants fixée par décision de justice devenue exécutoire, il est versé à titre d'avance une allocation différentielle. Cette allocation différentielle complète le versement partiel effectué par le débiteur, jusqu'au montant de l'allocation de soutien familial (art. L. 581-2 CSS).
  • [31]
    Dorénavant, lorsque l'un des parents manque à son obligation d'entretien, l'organisme débiteur des prestations familiales doit procéder à un contrôle et le regarder comme hors d'état de faire face à son obligation dès lors qu'il n'est pas solvable ou n'a pas de domicile connu. Il n'est alors plus besoin d'obtenir une décision de justice pour verser l'allocation de soutien familial (art. R 523-3 CSS, rédac. Décret 7 déc. 2011).

Introduction

1La suggestion de mettre en place un barème indicatif en matière de contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant date de 1999  [1]. Le rapport Guinchard a donné une nouvelle impulsion au projet  [2] et un groupe de travail restreint  [3] a été constitué par le ministère de la Justice avec mission de proposer des modalités concrètes d'aide au calcul du montant de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants (CEEE). Le modèle élaboré a servi de base à la circulaire de diffusion d'une table de référence  [4] (Circulaire CIV/06/10 du 12 avril 2010). Dans le même temps, une recherche visant à évaluer cette table de référence a été entreprise : il s'agissait de savoir si les praticiens utilisaient déjà un barème implicite, proche ou éloigné du barème proposé, et si l'adoption de cette table par les praticiens pourrait conduire à modifier les montants de contribution tels qu'ils sont fixés en son absence  [5]

2Cette recherche a permis de déterminer en quoi les choix réalisés à l'occasion de la fabrication de la table étaient conformes aux pratiques antérieures, les contredisaient ou pouvaient permettre de les corriger. En effet, bien que la table de référence ait été conçue à droit constant, ses auteurs ont dû répondre à des questions en suspens, sans solutions univoques dans les textes en vigueur ou dans la jurisprudence. Les réponses retenues s'appuient, dans la mesure du possible, sur le droit positif. Mais elles constituent parfois des choix qui ont été faits par leurs auteurs. Cet article se donne pour objectif d'expliciter ces choix et de les confronter aux résultats de l'analyse des décisions réalisée pour l'évaluation du barème  [6]. On verra ainsi qu'ils ne reflètent pas nécessairement les modes de fonctionnement des juges.

3Certains de ces choix sont intégrés au fonctionnement même du barème et s'imposent dès lors que l'on utilise la table proprement dite. Ils permettent de préciser des critères de décisions. D'autres relèvent du mode d'emploi de la table. Ils précisent alors plus souvent des règles de priorité entre les différents éléments susceptibles d'être pris en considération pour fixer une CEEE. Au caractère facultatif de l'utilisation de la table de référence s'ajoute donc le caractère facultatif du mode d'emploi qui l'accompagne : on peut envisager que des praticiens qui utiliseraient la table ne retiennent pas pour autant le mode d'emploi. Mais, dans l'un et l'autre cas, l'adoption d'une table de référence par les praticiens lui donnerait une autorité incontestable, au-delà de son caractère facultatif.

Présentation résumée de la table de référence

La construction de la table de référence repose sur l'article 371-2 du code civil, sur quelques principes économiques et sur la volonté de proposer un outil facultatif et simple d'utilisation, de manière à ce qu'il soit facilement mobilisable.
Les besoins de l'enfant (frais d'entretien et d'éducation) sont évalués à partir du concept économique de coût de l'enfant, celui-ci correspondant au revenu supplémentaire dont doit disposer une famille avec enfants pour avoir le même niveau de vie qu'une famille sans enfant.
Partant de ce concept, l'Insee mesure statistiquement un coût moyen et l'exprime en pourcentage du revenu du ménage ; ce coût relatif, qui peut être calculé pour tous les membres d'un ménage, permet d'affecter à chaque membre un poids dans le budget global du ménage ; l'ensemble de ces coûts relatifs constitue une échelle d'équivalence.
L'échelle estimée par l'Insee admet un accroissement du coût relatif de l'enfant à partir de 14 ans, mais, pour simplifier la table de référence, ses concepteurs ont lissé cet accroissement sur l'ensemble de la minorité, ce qui permet de disposer d'une seule table quel que soit l'âge de l'enfant.
L'application de cette échelle permet donc de calculer un coût relatif de l'enfant selon la taille de sa fratrie. Par exemple, un enfant unique coûte 18 % des revenus du ménage tandis que deux enfants coûtent 31 %, soit 15,5 % par enfant.
Pour assurer l'égalité entre les enfants, le calcul du coût relatif de l'enfant est effectué selon le nombre total d'enfants du débiteur d'une contribution, y compris ceux issus d'un autre lit et donc non concernés par la procédure en cours.
Ce coût est ensuite partagé entre les deux parents en proportion de leurs revenus respectifs (hors prestations familiales, hors recompositions familiales), étant entendu que l'un contribue en espèces, tandis que l'autre, qui héberge l'enfant, contribue en nature. Sachant que le coût relatif de l'enfant ne varie pas selon le niveau de revenus des parents, il suffit d'appliquer le taux correspondant aux revenus (nets du montant du RSA, pour s'assurer que le débiteur ne soit pas mis dans une situation financière insoutenable) du seul parent débiteur pour calculer sa CEEE. Le montant obtenu est ensuite adapté en fonction du mode d'hébergement (droit de visite classique ou réduit, résidence alternée).
Cette table de référence est d'une grande simplicité d'usage : elle tient en une page et nécessite le recensement de trois informations relativement simples : le revenu du parent débiteur, le nombre total d'enfants et le mode d'hébergement des enfants concernés par la CEEE. Notons que l'estimation du coût relatif de l'enfant intègre les coûts habituels d'entretien et d'éducation ; il n'est donc nullement besoin de faire référence à tel ou tel coût pour calculer la CEEE, sauf si ce dernier est très spécifique et lié explicitement à l'enfant. Dans ce cas, le juge pourra en tenir compte hors barème.

I - Des choix intégrés à la table de référence : préciser des critères de décisions

4Au stade de l'élaboration de la table de calcul, un certain nombre de choix ont été opérés et sont intégrés au fonctionnement même de la table de calcul : les montants qu'elle propose résultent de cette logique. Certains critères considérés comme non pertinents pour apprécier le montant de la CEEE ont été écartés ; d'autres ont été formellement intégrés.

l. Des critères de calcul écartés de l'appréciation du montant de la CEEE

l.l L'inégalité des ressources des parents séparés

5La loi prévoit que « chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins l'enfant » (art. 371-2 c. civ.). Le coût de l'enfant sur lequel est construite la table de référence doit donc être assumé par chacun des parents « à proportion de ses ressources » « de celles de l'autre parent ».

6Le modèle qui a été construit considère que la CEEE a seulement pour objet d'assurer la contribution des parents à l'éducation et à l'entretien des enfants et qu'elle ne doit pas, en cas de disparité de ressources, tendre à compenser les niveaux de vie entre les foyers des deux parents. Cette fonction est - partiellement - dévolue à la prestation compensatoire et concerne donc seulement les ex-époux. Celle-ci a effectivement pour projet de « compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives » (art. 270 c. civ.).

7Aussi, étant admis que le coût absolu de l'enfant est d'autant plus faible que les revenus des parents sont faibles et que chacun ne contribue qu'à concurrence de ses propres facultés, on admet que la participation de chacun est liée à ses propres ressources, sans être dépendante des ressources de l'autre. La table de référence peut alors proposer des pensions hautes pour des débiteurs à hauts revenus  [7] et basses pour des débiteurs à bas revenus, indépendamment de la capacité contributive de l'autre parent. Ce mode de calcul aboutit à objectiver l'impossibilité du ou des parents à participer suffisamment à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, sans imposer à l'un de contribuer plus (en proportion de ses revenus) pour compenser la faiblesse des revenus de l'autre (sur l'objectivation corrélative du nécessaire relais de la protection sociale, cf, infra).

8Ce choix est conforté par les usages des praticiens : l'analyse des décisions de justice montre que les magistrats ne compensent pas la faiblesse des revenus du parent hébergeant en augmentant corrélativement la contribution du parent débiteur. En effet, notre analyse économétrique met en évidence que le montant de la CEEE n'est expliqué ni par les revenus du créancier ni par ses charges.

1.2 La faiblesse des ressources du débiteur de la contribution

9La table repose sur un coût relatif de l'enfant qui est identique quel que soit le niveau de revenus des parents. Ce choix est celui retenu par l'Insee dans ses travaux sur l'estimation des niveaux de vie des ménages  [8]. Ainsi, dans la table de référence, le coût relatif d'un enfant unique équivaut à 18 % du revenu de ses parents, qu'ils soient riches ou modestes, ce qui induit une contribution d'autant plus importante que les revenus sont élevés. Cela étant, la table repose également sur un autre choix : la règle de calcul doit préserver un reste à vivre égal au montant du RSA pour une personne seule, de manière à s'assurer que le débiteur puisse subvenir à ses propres besoins. C'est donc sur le revenu net de RSA que s'applique le pourcentage permettant de calculer le montant de CEEE. Cette règle de calcul conduit alors à ce que le pourcentage s'applique sur une part de plus en plus importante du revenu total du parent débiteur, à mesure que le revenu de celui-ci est élevé. Au total, la table de référence aboutit à un taux d'effort  [9] effectif croissant avec le revenu du parent débiteur  [10].

10L'analyse des décisions de justice montre que ce choix n'est pas forcément celui fait par les magistrats d'appel. Ainsi, dans le cas où il y a un seul enfant, les magistrats fixent un taux d'effort qui est décroissant avec le revenu du parent débiteur. Ce résultat peut s'interpréter comme si les magistrats compensaient la faiblesse des revenus du parent débiteur, et donc la faiblesse de la pension à verser, en imposant aux débiteurs les plus pauvres un taux d'effort plus élevé que celui acquitté par les autres tranches de revenus  [11]. Par conséquent, l'adoption de la table de référence pourrait diminuer les montants de CEEE pour les débiteurs ayant les revenus les plus faibles, dans leur intérêt mais au détriment des créanciers.

2. Intégrer des critères supplémentaires de calcul

11La table de calcul permet d'assurer l'égalité de tous les enfants du débiteur dans l'appréciation de la CEEE et module le montant de la contribution en fonction du temps effectivement passé avec chacun des parents.

2.1 L'égalité entre tous les enfants du débiteur

12L'égalité des enfants, en particulier des enfants nés dans ou hors mariage, est juridiquement acquise. La Cour de cassation a rappelé que la légitimité des enfants issus de la première union ne saurait justifier une priorité sur l'enfant naturel  [12]. Cette égalité doit être assurée quelles que soient les circonstances de la naissance, y compris la chronologie des naissances ou la chronologie des demandes en justice. La table de référence permet d'assurer cette égalité, entre des enfants nés du mariage ou des enfants nés en dehors du mariage comme entre des enfants présents à l'instance et d'autres enfants du débiteur.

13Les résultats de l'analyse économétrique sont inattendus : ils montrent que, toutes choses égales par ailleurs, les contributions sont fixées à un montant plutôt inférieur lorsque les enfants concernés sont nés en dehors du mariage. L'adoption de la table de référence ne pourrait donc qu'améliorer le respect du principe fondamental d'égalité entre tous les enfants.

14Quant à l'égalité entre les enfants présents à l'instance et les autres enfants du débiteur, elle est assurée par le mode de calcul retenu. Sans table de référence, le juge peut ou bien prendre en considération les obligations nées antérieurement et refuser ou réduire la pension demandée, ou bien les ignorer et assurer ainsi une priorité aux obligations les plus récentes, dont la portée ne saurait être limitée par des obligations plus anciennes.

15Le raisonnement introduit nécessairement une priorité chronologique entre les enfants, les juges ne pouvant statuer que sur les situations dont ils sont saisis, sans pouvoir appeler à l'instance l'ensemble des enfants créanciers d'une CEEE  [13].

16La table de référence propose une solution : le nombre d'enfants retenus pour apprécier la capacité contributive du débiteur est le nombre total des enfants auxquels il doit une obligation d'entretien, que celle-ci ait été préalablement fixée ou pas. La contribution ainsi calculée pourrait ensuite justifier une demande de modification des montants préalablement fixés à l'égard d'autres enfants et sera sans conséquence sur des demandes ultérieures.

2.2 La place des contributions en nature

17La table de référence se tonde sur le coût de l'enfant. Celui-ci déterminé, il est réparti entre les deux parents à proportion de leurs facultés respectives. Si l'enfant réside chez ses deux parents, ces deux contributions sont acquittées en nature. S'il réside exclusivement chez l'un cette contribution prend exclusivement la forme d'une pension alimentaire pour l'autre. Il paraissait donc logique que la contribution en nature des parents, variable selon le temps qu'ils passent effectivement avec l'enfant, soit intégrée au calcul.

18La table fixe par conséquent une pension alimentaire d'autant plus importante que le temps de résidence avec l'enfant du parent débiteur est réduit, compensant ainsi une contribution en nature plus faible.

19Trois situations ont été retenues : la solution traditionnelle de la résidence habituelle chez un parent avec un droit de visite classique de l'autre, soit la moitié des vacances scolaires et un week-end sur deux, éventuellement augmentés du mercredi (soit environ 25 % du temps de l'enfant avec le parent non hébergeant) ; la résidence alternée, où l'enfant passe environ 50 % de son temps avec chacun de ses parents ; enfin la résidence habituelle chez un parent avec un droit de visite réduit, où l'enfant passe l'essentiel de son temps avec le parent hébergeant  [14] Le droit de visite réduit conduit à fixer une pension « complète », tandis que le droit de visite classique permet une diminution de 25 % de cette pension « complète ». Quant à la résidence alternée, elle ne donne pas lieu, en principe, à une pension. Cependant, dans certains cas de figure, une pension peut être maintenue : la table de référence prévoit alors une CEEE diminuée de 50 %.

20Les données recueillies confortent le bien-fondé de ce maintien : l'organisation d'une résidence alternée est souvent accompagnée du versement d'une pension par le père (74,7 % des situations)  [15] Cette solution peut compenser l'asymétrie dans la prise en charge des frais d'entretien et d'éducation de l'enfant qui ne sont pas directement liés à l'hébergement (dépenses de vêtements ou de santé, activités scolaires ou extrascolaires) ou encore intervenir lorsque le versement d'une pension permet au parent disposant des revenus les plus modestes d'assumer financièrement la résidence alternée. Ce sont les motifs pour lesquels la table de référence propose une contribution (réduite) en cas de résidence alternée.

21En revanche, nos analyses économétriques montrent que les juges ne prennent pas en considération la contribution en nature du parent débiteur : toutes choses égales par ailleurs, les décisions analysées fixent des montants équivalents pour un temps de résidence réduit ou un temps de résidence classique, seule la résidence alternée aboutissant à une diminution de la contribution.

II - Des choix qui accompagnent la table de référence : fixer des priorités

l. Une participation secondaire des beaux-parents au niveau de vie de l'enfant

22Les beaux-parents ne sont pas tenus d'une obligation alimentaire à l'égard des enfants de leur nouveau conjoint ou concubin. Cette affirmation est confirmée par la Cour de cassation pour laquelle « la dette du débiteur d'aliments est une dette personnelle, dont le montant doit être fixé eu égard à ses ressources »  [16]. Les ressources d'un nouveau conjoint ou concubin n'ont donc pas à être prises en considération dans l'appréciation du montant de la pension versée par le parent débiteur et la table de référence se conforme à la règle. La jurisprudence admet, dans ce même arrêt, que les revenus du nouveau conjoint peuvent être pris en considération « dans la mesure où ils réduis [ai] ent les charges » du débiteur. Cela revient à admettre la légitimité de la prise en considération de la contribution du beau-parent au niveau de vie du foyer, au travers de la réduction des charges qu'il induit.

23Le mode d'emploi de la table proposée revient à considérer que l'absence d'obligation alimentaire du beau-parent justifie de ne pas intégrer sa participation au niveau de vie du foyer, que ce soit au titre de ses ressources ou au titre des économies de charge qu'il induit. Ainsi, seule la relation entre l'enfant et ses parents est prise en considération : ils se partagent le coût de l'enfant tel qu'il est apprécié à partir de leur niveau de vie avant séparation. Le fait que la présence d'un nouveau conjoint ou concubin influence le niveau de vie des ménages  [17] et donc celui de l'enfant n'est pas nié, mais il n'intervient pas dans le calcul de la pension. Cette option ne préjuge pas de la participation effective du beau-parent à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Mais cette participation factuelle ne prend pas la forme, même indirectement, d'une CEEE.

24Indépendamment de la logique propre à la construction de la table, rappelons par ailleurs que son mode d'emploi propose que les charges soient, par principe, toujours secondaires par rapport aux obligations alimentaires et ne viennent donc pas en déduction des ressources sur lesquelles sera calculé le montant de la pension, sous réserve de la déduction systématique d'un revenu personnel minimal équivalent au montant du RSA socle (soit 474,93 Euros; mensuels au 1er janvier 2012).

25L'analyse économétrique des décisions confirme le bien-fondé de ce choix : les magistrats suivent cette logique puisque, statistiquement et toutes choses égales d'ailleurs, la remise en couple du débiteur, comme celle du créancier, est sans incidence sur le montant de la contribution qu'ils fixent. De même, l'analyse montre que les juges ne prennent pas en compte l'existence de charges spécifiques.

2. Une créance d'entretien prioritaire sur les autres dettes, y compris alimentaires

26Dans l'élaboration de la table de référence les charges de la vie courante ne sont pas ignorées mais trouvent leur place en amont. La méthode retenue part du calcul du coût de l'enfant. Cette méthode, qui se fonde sur la notion de niveau de vie, englobe ab inito les dépenses habituelles réalisées pour assurer l'entretien et l'éducation de l'enfant, donc les charges classiques assumées par les parents. Le mode d'emploi qui accompagne la table propose par conséquent que les charges de la vie courante ne soient pas déduites des ressources du débiteur pour le calcul de la CEEE, y compris les charges d'impôt  [18]. Du point de vue de la pratique judiciaire, cette option permet de simplifier et de rationaliser les débats : elle écarte d'emblée les débats sur l'existence ou le montant des charges réelles ou prétendues du débiteur, dès lors qu'il s'agit de charges de la vie courante.

27La question reste cependant posée des autres dettes alimentaires ou de nature alimentaire du parent débiteur, qu'il s'agisse du devoir de secours pendant la procédure de divorce, d'une pension versée à un parent âgé ou d'une prestation compensatoire.

28Il a été retenu que la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants est prioritaire sur les autres dettes simplement alimentaires. Ces sommes ne sont donc pas considérées comme déductibles des ressources retenues pour apprécier le montant de la CEEE - quitte à ce que le montant de CEEE retenu conformément à cette logique puisse conduire à demander une modification corrélative de pensions simplement alimentaires fixées préalablement.

29La solution est simple pour une pension alimentaire. Elle est plus complexe pour le devoir de secours ou la prestation compensatoire dans la mesure où le juge statue en même temps sur la contribution. La question peut être posée en ces termes : le débiteur de la CEEE qui doit parallèlement verser une pension ou une prestation peut-il obtenir une diminution de sa contribution au motif de la charge que constitue pour lui ce versement ou bien peut-il, au contraire, obtenir une diminution de la prestation compensatoire ou de la pension à laquelle il est susceptible d'être condamné en raison de son obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, ces versements pouvant aboutir à minimiser la disparité des niveaux de vie ? Donner une priorité à l'éducation des enfants conduit à trancher pour la seconde solution : il s'agit d'abord de calculer la CEEE, sur une base de ressources plus large, et ensuite seulement d'apprécier le principe et le montant de la pension ou de la prestation.

30S'agissant de la prestation compensatoire, c'est ce qu'affirme la Cour de cassation  [19] lorsqu'elle indique que, si « la prestation compensatoire est fixée en tenant compte des besoins de l'époux à qui elle est versée et des ressources de l'autre », l'appréciation des revenus de la créancière ne saurait intégrer « le montant de la pension alimentaire versé par le père pour l'entretien des enfants », « alors que les sommes versées au titre de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants constituent des charges qui doivent venir en déduction des ressources de l'époux débiteur mais que cette contribution [ne peut être considérée] comme des revenus bénéficiant à l'époux qui les perçoit »  [20]. On peut tenir un raisonnement parallèle s'agissant de la pension alimentaire représentative du devoir de secours et admettre la fixation de la CEEE avant l'appréciation de son montant.

3. Une obligation familiale prioritaire sur la protection sociale

31La question de l'articulation entre versement de la CEEE et versement de prestations sociales familiales  [21] a été posée devant les tribunaux à deux niveaux. Le premier est de savoir si les prestations familiales reçues par le parent hébergeant peuvent être déduites, par le débiteur, du montant de la pension qu'il verse. La Cour de cassation, dès 1997, a considéré que, « à défaut de disposition contraire du jugement, la somme allouée au titre des allocations familiales ne s'impute pas sur le montant de la somme versée pour la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants »  [22]. On remarquera la réserve d'une « disposition contraire du jugement » qui laisse a priori au juge toute liberté. Cette question ne semble pas avoir été à nouveau abordée par la jurisprudence depuis.

32Le second niveau fait l'objet de débats fournis autour d'une jurisprudence récente de la Cour de cassation, très contestée par la doctrine. La Cour a en effet décidé que, « pour la détermination de la contribution de chacun des parents à l'entretien et à l'éducation des enfants, les allocations familiales peuvent être prises en compte au titre des ressources dont chacun d'eux dispose »  [23] Cette solution s'oppose à l'affirmation selon laquelle ces mêmes allocations « ne peuvent être considérées comme des revenus bénéficiant à l'époux qui les perçoit »  [24], dès lors que « l'aide versée à la famille, sous forme d'allocations familiales, est destinée à bénéficier aux enfants et non à procurer des revenus à celui qui la reçoit »  [25]

33Des nombreux arguments critiques de cette décision de 2010 (par ex. : Devers, 2011 ; Briand, 2011) on retiendra ici celui de l'articulation des obligations familiales avec la protection sociale : la décision exonère partiellement le débiteur de son obligation personnelle en faisant prévaloir la dette sociale sur la dette alimentaire, susceptible d'être diminuée en raison du versement des allocations familiales (Devers, 2011). Sans doute cette jurisprudence semble-t-elle favoriser une appréciation individualisée des demandes, mais au prix d'une inversion des logiques : dès lors que les critères de versement des prestations sociales se fondent sur les conditions de vie familiale (nombre d'enfants présents, revenus du foyer), c'est bien la protection sociale qui s'adapte aux situations familiales, pas l'inverse.

34Cette solution, qui revient à faire un choix fondamental, peut s'expliquer par des considérations très pratiques : les motivations des décisions des juridictions du tond reprennent expressément les arguments exposés par les parties et notamment les arguments décrivant l'ensemble de leurs ressources, y compris les diverses prestations sociales. Ainsi l'analyse des décisions montre que les juges d'appel, dans leurs décisions, évoquent un montant de prestations sociales perçues par la mère dans environ 40 % des affaires (10 % pour les pères). Mais ces mêmes décisions ne précisent pas, dans cet ensemble, quelles sont les ressources qui ont effectivement contribué au raisonnement des juges et on ne sait pas si les allocations familiales notamment ont réellement pesé dans la balance. C'est la raison pour laquelle une analyse des décisions cherchant à repérer un barème implicite utilisé par les magistrats a été réalisée : la seule lecture des décisions et de leurs motivations n'y suffit pas.

35En considérant que les allocations familiales peuvent être prises en compte au titre des ressources dont chacun des parents dispose, la Cour de cassation valide l'ensemble des décisions contestées, qu'elles mentionnent ou non cette prestation, qu'elles précisent ou non si cette prestation a été prise en considération dans l'appréciation du montant de la CEEE.

III - L'autorité d'un barème facultatif

36Le caractère facultatif pour les praticiens comme pour les parties de la table de référence est une caractéristique importante de son fonctionnement : elle a été conçue comme un outil d'aide à la décision et en aucun cas comme fournissant une solution adaptée à chaque situation individuelle. Les utilisateurs de la table doivent pouvoir apporter des éléments d'appréciation supplémentaires, propres aux cas d'espèce. Cependant, l'adoption d'une table de référence pâlies praticiens lui donnerait une autorité incontestable, au-delà de ce caractère facultatif : dès lors que la table serait expressément introduite dans le débat judiciaire, on peut envisager qu'elle fonde une motivation et accroisse le contrôle des juges sur l'accord de parties.

1.1 De l'explicitation du raisonnement à la motivation des décisions

37Jusqu'à présent, l'utilisation de barèmes par les magistrats est restée invisible, alors même que nombres de barèmes circulent dans les juridictions et qu'ils peuvent être d'usage courant pour les magistrats. Les magistrats motivent leurs décisions sur l'ensemble des ressources et charges présentées par les parties dans leur argumentation, sans que l'on sache nécessairement à la lecture de ces décisions quelles sont, parmi elles, les sommes qui ont effectivement été prises en considération dans le raisonnement des juges pour fixer le montant de la pension.

38La diffusion de cette table, notamment dans les barreaux mais aussi plus largement via Internet, conduit à ce qu'elle soit dorénavant expressément mentionnée par les parties. Elle est placée dans le débat judiciaire par les parties elles-mêmes et les magistrats doivent répondre aux parties sur ce terrain. À défaut d'une telle initiative des parties, la table de référence peut être introduite dans le débat par le juge, dès lors qu'il s'agit d'éléments d'information largement disponibles et permettant de nourrir la réflexion. Le juge devra alors respecter le contradictoire et permettre aux parties d'argumenter sur ce point, en assurant cette information au plus tard au moment de l'audience, en cas de procédure orale, ou avant la clôture de la mise en état, s'agissant d'une procédure écrite  [26]. On peut également envisager une réouverture des débats, le juge permettant ainsi aux parties de discuter des critères de construction de la table de référence proposée et de contester le montant auquel elle aboutit.

39Placer la table de référence dans le débat judiciaire peut conduire au développement d'une argumentation ad hoc par les parties, dès lors qu'elles connaissent, avec leurs conseils, ses fondements juridiques et économiques. Ce débat peut favoriser un progrès qualitatif des arguments échangés, en conduisant au développement d'une argumentation fondée sur les choix juridiques et économiques de la table et écartant l'inquiétude des avocats de son application mécanique : la logique de la table, ses modalités de construction et les résultats qu'elle propose peuvent faire l'objet d'un débat. En revanche, la prise en considération des charges de la vie courante dans la construction même de la table de référence, pour le calcul du coût de l'enfant, permet de se dispenser des débats sur l'existence et l'importance de ces charges au moment de l'instance. Donner une place explicite à cet outil dans le raisonnement judiciaire devrait donc contribuer à améliorer la motivation des décisions, qui n'auraient plus à intégrer la liste des charges de la vie courante dans les décisions, liste qui masque en partie le raisonnement des juges.

40Au-delà de l'amélioration de la motivation des décisions, l'adoption de cette table pourrait inciter les magistrats à s'y référer expressément dans leurs décisions, qu'il s'agisse d'en retenir les solutions proposées ou de les écarter. Dès lors que le juge n'abandonne pas son pouvoir d'appréciation souverain et appuie sa décision sur la table de référence proposée parce qu'il l'estime adaptée à l'espèce, la solution paraît juridiquement valide. Il n'en reste pas moins que les décisions qui se réfèrent expressément à la table restent rares, malgré un usage qui semble s'être fortement répandu.

1.2 L'accroissement du contrôle des accords

41Dès le rapport Dekeuwer-Défossez (1999), favoriser l'accord des parties était le résultat attendu a priori de l'élaboration d'un barème et il est vraisemblable que la diffusion d'une table de référence va effectivement permettre aux parents de trouver plus souvent un accord, que ce soit dans le cadre d'une procédure gracieuse ou dans le cadre d'une procédure contentieuse, par le moyen de demandes convergentes. Cette affirmation a été confirmée par une enquête d'opinions réalisée auprès des magistrats à l'occasion de l'expérimentation de la table de référence  [27] : l'ensemble des magistrats interrogés a indiqué que, lorsque les avocats ont été informés de l'existence de la table de référence, les montants proposés et offerts se rapprochaient des montants qui en résultaient. Il en est de même lorsque, les parties n'étant pas représentées, les JAF les ont informées à l'audience de l'existence de la table : elles se rangeaient généralement aux montants proposés.

42Parallèlement à l'augmentation de ces accords, on peut envisager un renforcement du contrôle des montants proposés. L'analyse des décisions montre que les magistrats écartent rarement l'accord des parties. Si la table de référence devient un outil d'usage commun, le montant de référence qu'elle fournit facilitera l'exercice du pouvoir de contrôle des magistrats, alors mieux outillés pour apprécier la validité des accords des parties et s'assurer qu'ils préservent suffisamment l'intérêt des enfants.

43Dans le cadre d'une procédure gracieuse, la démarche est acquise : le juge doit s'assurer que l'accord des parties préserve suffisamment les intérêts de l'enfant ou de l'une des parties et à défaut rejeter la demande (art. 2.32 et 373-2-7 du c. civ.)  [28]. La table de référence peut alors devenir un outil pour apprécier l'opportunité de l'accord. On assimilera à cette situation la demande d'homologation des parties faite à l'occasion d'un divorce contentieux et portant sur tout ou partie des conséquences du divorce (art. 268 c. civ.). En dehors de cette dernière hypothèse, l'accord des parties sur le montant de la pension dans le cadre d'une procédure contentieuse peut prendre la forme de deux demandes identiques. La question pour le juge est alors non plus d'accepter ou de refuser un accord mais de trancher dans le cadre de la demande, ni ultra ni infra petita Dans cette perspective, le juge est tenu par les demandes et la table de référence serait donc sans effet.

44Mais cette analyse néglige le caractère indisponible de la créance d'aliments : les conventions portant tant sur les modalités d'exécution des obligations alimentaires que sur leurs montants ne doivent pas porter atteinte au principe d'indisponibilité et un parent ne saurait renoncer à la créance, en tout ou en partie. La convention doit donc respecter les règles légales de fixation de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants et notamment le critère des besoins de l'enfant. L'accord des parents ne suffit donc pas à justifier la décision du juge qui doit, dans tous les cas, s'assurer que le montant retenu ne constitue pas une renondation même partielle à la créance alimentaire et articule justement besoins et ressources : le caractère insuffisant de la pension à la fois offerte par le débiteur et demandée par le créancier rendrait cet accord inopérant.

45Les données recueillies au cours de l'enquête montrent que les juges d'appel peuvent écarter le montant proposé par les parties et fixer différemment la pension alimentaire : lorsque les parents étaient d'accord sur le montant de la CEEE (133 décisions), les juges d'appel ont le plus souvent respecté cet accord (117 décisions), mais ils ont aussi pu fixer une pension d'un montant différent, parfois inférieur (5), plus souvent supérieur aux montants proposés par les deux parents (11 décisions), soit quelque 12 % des décisions concernées par un accord.

46En facilitant l'appréciation de la pertinence de la somme offerte et proposée, la table de référence pourrait donc conduire les magistrats, plus souvent que par le passé, à refuser les accords des parents. Si la perspective de l'accroissement du contrôle du juge sur les accords des parties se confirmait, on peut alors attendre une évolution parallèle des montants de pensions fixées par référence à la table.

47Les parents les plus modestes ont tendance à proposer des taux d'effort (pour le débiteur) plus élevés que ceux indiqués par le barème et, inversement, les parents aux revenus les plus importants proposent des taux d'efforts inférieurs à ceux issus du barème  [29]. La table de référence pourrait donc conduire à diminuer les pensions versées par les débiteurs les plus pauvres et à augmenter les pensions versées par les débiteurs les plus riches. Si l'on part du principe que les membres du couple séparé appartenaient à la même catégorie socio-économique, alors il faut en déduire que la table de référence va, dans le même temps, réduire les pensions reçues par les plus pauvres et augmenter les pensions reçues par les plus riches. La solution n'est tenable, pour les plus pauvres, que si les prestations sociales familiales prennent le relais. La question de l'articulation du barème avec la protection sociale est donc clairement posée  [30].

48L'explicitation des choix associés à la fabrication d'une table de référence et la possibilité qu'elle offre d'évaluer rapidement un montant de CEEE dans les situations moyennes pourraient conduire à son utilisation en dehors de l'enceinte judiciaire. On peut ainsi envisager que des parents la mobilisent pour trouver un accord, en dehors de toute homologation judiciaire. On peut également envisager que la conformité d'un tel accord au montant proposé par la table le rende opposable aux caisses d'allocations familiales, limitant ainsi les recours aux juges fondés sur l'exigence des caisses de fournir une décision de justice fixant la CEEE pour bénéficier de l'allocation de soutien familial, ce qui ne reviendrait pas à confier à ces mêmes caisses le pouvoir de fixer le montant de la CEEE en se fondant sur la table de référence. Cette solution pourrait permettre d'améliorer l'articulation entre la fixation du montant de la CEE et les modalités de versement de l'allocation de soutien  [31]. Elle renforcerait également l'autorité d'un barème pourtant facultatif pour les parties comme pour le juge.

Notes

  • [1]
    E. Dekeuwer-Défossez, Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation française, 1999.
  • [2]
    S. Guinchard, L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, La Documentation française, 2008.
  • [3]
    Ce groupe était composé d'une juriste, d'un magistrat et d'une économiste.
  • [4]
    http://www.justice.gouv.fr/art_pix/note_explicative_table_pa201000725.pdf.
  • [5]
    Recherche menée avec le soutien de la mission de recherche Droit et Justice et de la CNAF (Bourreau-Dubois et alii, 2010). http://fac-droit.univ-st-etienne.fr/droit/la-recherche/publications-des-membres-du-cercrid-rapports-de-recherches-216948.kjsp ? RH=0611171516yr
  • [6]
    La méthode suivie n'est pas exposée ici. Signalons simplement qu'elle part de l'analyse de 2 000 décisions représentatives des décisions d'appel de la France entière (année 2009).
  • [7]
    Au-delà d'un certain montant, cette contribution perd son caractère alimentaire. C'est la raison pour laquelle la table proposée s'arrête à la tranche de revenus de 5 000 euros mensuels, même si, au-delà de cette limite, les taux proposés peuvent encore être appliqués.
  • [8]
    En effet, les travaux statistiques sur l'estimation du coût de l'enfant ne convergent pas sur le fait que ce coût serait croissant ou décroissant avec le revenu.
  • [9]
    Le taux d'effort est le ratio de la CEEE sur le revenu du parent débiteur.
  • [10]
    Si on retient un coût relatif de 18 %, alors, pour un débiteur ayant un revenu de 1 000 Euros; le taux d'effort effectif sera de 9,7 % : ([1000-460]*0.18)/1000 = 9,7 % ; et, pour un débiteur ayant un revenu de 2 000 Euros, il sera de 13,8 % : ([2000-460]*0.18)/2000= 13,8 %.
  • [11]
    Cette interprétation est cependant à nuancer car, lorsqu'il y a au moins deux enfants, on constate que le taux d'effort le plus élevé est celui acquitté par les débiteurs ayant des revenus de niveau intermédiaire.
  • [12]
    Voir par ex. Civ. 1 re, 16 avr. 2008 (Bull. civ. 2008, I, no 111) qui annule la décision ayant confirmé l'augmentation d'une pension en écartant l'argument des charges nouvelles contractées par l'appelant au motif qu'il appartenait au débiteur « de ne décider de nouveaux engagements qu'en fonction de sa capacité à les honorer après s'être acquitté de ses obligations envers ses enfants issus de son mariage ».
  • [13]
    Sur l'idée d'une « procédure collective » en matière d'obligations alimentaires concurrentes, voir I. Sayn, spé., 2002, p. 57 s.
  • [14]
    Les juridictions d'appel retiennent très massivement la solution traditionnelle (63,9 % des décisions). 5,1 % fixent une résidence alternée et 11,2 % un droit de visite réduit, voir Bourreau-Dubois et alii (2010), tableau I.A.8.
  • [15]
    Voir Bourreau-Dubois et alii, 2010, tableau II.A.16.
  • [16]
    Civ. 1 re, 25 avr. 2007, no 06-12.614, D. 2007. 1428 ; AJ fam. 2007. 269, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2007. 558, obs. J. Hauser, Bull. civ. 2007, I, no 155.
  • [17]
    Le terme de ménage est utilisé pour désigner l'ensemble des occupants d'un même logement sans que ces personnes soient nécessairement unies par des liens de parenté, en cas de familles recomposées notamment, avec ou sans mariage.
  • [18]
    Ajoutons que les impôts sont réactualisés annuellement afin de s'adapter aux ressources du contribuable, y compris les pensions alimentaires qu'il reçoit ou qu'il verse. Ce sont donc les impôts qui s'adaptent aux pensions alimentaires reçues ou versées et non pas les pensions alimentaires qui s'adaptent aux impôts versés.
  • [19]
    Civ. 1 re, 25 janv. 2005, no 02-13.376, non publié au bulletin.
  • [20]
    Cette configuration reste cependant relativement rare, près de neuf divorces sur dix étant prononcés sans que soit fixée de prestation compensatoire. Sur ces données, voir E. Roumiguière, Des prestations compensatoires sous forme de capital et non plus de rente, Infostat Justice, no 77, 2004.
  • [21]
    Outre la question spécifique de l'articulation entre la CEEE et l'ASF, la mise en place d'une table de référence a relancé une réflexion institutionnelle sur l'opportunité de réformer l'ASF différentielle, cf. infra.
  • [22]
    Civ. 3 déc. 1997, no 94-16.970, D. 1998. 441, note D. Everaert-Dumont ; RDSS 1998. 397, obs. F. Monéger ; RTD civ. 1998. 84, obs. J. Hauser, Bull. civ. 1997, II, no 297.
  • [23]
    Civ. 1 re, 17 nov. 2010, pourvoi no 09-12.621, D. 2010. 2910, et les obs. ; AJ fam. 2010. 534, obs. L. Briand ; RTD civ. 2011. 117, obs. J. Hauser, Bull. civ. 2010, I, no 234.
  • [24]
    Civ. 1 re, 25 janv. 2005, no 02-13.376, non publié au Bull., préc. Voir également Civ. 1 re, 17 déc. 2008, no 08-13.985, inédit. On remarque que la Cour de cassation statue sur le sort des seules allocations familiales alors que les cours d'appel avaient statué sur l'ensemble des prestations familiales.
  • [25]
    Civ. 2 e, 25 nov. 1999, Bull. civ. 1999, II, no 179.
  • [26]
    Poursuivant cette logique, J.-CI. Bardout, magistrat, propose des modèles de requêtes, d'assignations et de motivations faisant expressément référence à la table de référence, in AJ Famille 2010. 477.
  • [27]
    Les juges aux affaires familiales et les magistrats de la chambre de la famille de la cour d'appel de Toulouse ont testé le barème indicatif de CEEE au cours du premier semestre 2009. Une enquête a été réalisée auprès d'eux afin de recueillir leur opinion sur la table ; B. Munoz-Perez, C. Moreau, I. Sayn, Évaluation de l'expérimentation de l'outil d'aide à la décision pour fixer la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants, ministère de la Justice, DACS, Pôle d'évaluation de la justice civile, 2010. Bulletin 2006, I, no 312, p. 270.
  • [28]
    Civ. 1 re, 20 juin 2006, pourvoi no 05-17.475, D. 2006. 1841 ; ibid. 2430, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2006. 324, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2006. 740, obs. J. Hauser, (Bull. civ. I, no 312) : une convention fixant une somme forfaitaire sans référence aux ressources des deux parents et aux besoins de l'enfant devait être écartée.
  • [29]
    Expérimentation de Toulouse : les montants sur lesquels les parents s'accordent sont supérieurs à ceux qui résulteraient du barème pour les revenus inférieurs à 1 800 Euros et inférieurs pour les revenus plus élevés, tout particulièrement pour la tranche de 3 000 à 4 000 Euros (et à l'exception de la tranche de revenus de plus de 4000 Euros).
  • [30]
    Le réaménagement de l'ASF différentielle, préconisé par la Cour des comptes pour mettre un terme au mécanisme qui « incite les parents non gardiens à ne pas s'acquitter de leur obligation, afin que le parent gardien perçoive l'ASF » et « les juges à ne pas fixer de pension alimentaire, afin que les allocataires ne soient pas lésés » (Rapport, sept. 2010), vient d'être réalisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Dorénavant, « Lorsque l'un au moins des parents se soustrait partiellement au versement d'une créance alimentaire pour enfants fixée par décision de justice devenue exécutoire, il est versé à titre d'avance une allocation différentielle. Cette allocation différentielle complète le versement partiel effectué par le débiteur, jusqu'au montant de l'allocation de soutien familial (art. L. 581-2 CSS).
  • [31]
    Dorénavant, lorsque l'un des parents manque à son obligation d'entretien, l'organisme débiteur des prestations familiales doit procéder à un contrôle et le regarder comme hors d'état de faire face à son obligation dès lors qu'il n'est pas solvable ou n'a pas de domicile connu. Il n'est alors plus besoin d'obtenir une décision de justice pour verser l'allocation de soutien familial (art. R 523-3 CSS, rédac. Décret 7 déc. 2011).
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