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Article de revue

Le rôle accru du Conseil général dans la protection de l'enfance

Pages 51 à 65

Notes

  • [1]
    Dans le même ordre d'idées, la loi du 19 avril 1898 sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté commis contre les enfants prévoit la possibilité pour le juge d'instruction que la garde de l'errant soit provisoirement confiée à un parent, un tiers, une institution charitable...
  • [2]
    Le texte dit : « il est des cas fréquents où l'indignité des parents n'est pas suffisamment établie, ceux-ci ayant manqué surtout d'expérience et de savoir-faire ».
  • [3]
    Auparavant, ces mineurs « vagabonds » étaient considérés comme délinquants. Certains mineurs « délinquants » entrent ainsi dans le champ de la protection.
  • [4]
    Elle prévoit notamment que les mineurs de moins de 13 ans auxquels est imputée une infraction pénale ne peuvent pas être déférés devant la juridiction répressive. Ils pouvaient cependant être soumis à des mesures de tutelle, de surveillance, d'éducation, de réforme et d'assistance (ordonnées par le tribunal civil).
  • [5]
    À lire sur cette évolution de la fin du XIXe siècle et du début du XX° siècle l'article de Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, « Le mouvement international en faveur de la protection de l'enfance (1880-1914) », Revue d'histoire de l'enfance « irrégulière » [en ligne], no 5, 2003, URL : http://rhei.revues.org/ index1010.html.
  • [6]
    À lire sur les rapports de force entre justice et santé l'article de Jacques Bourquin, " Genèse de l'ordonnance du 23 décembre 1958 sur l'enface en danger", Revue d'histoire de l'enfance "irrégulière" [en ligne], Hors-série, 2007, URL : http://rhei.revue.org/index3013.html
  • [7]
    Ces termes étaient employés depuis la loi du 24 juillet 1889
  • [8]
    Il convient de noter que, si l'enfant est en risque de danger, l'intervention judiciaire ne peut pas être sollicitée, y compris si la famille est opposée à l'intervention administrative.
  • [9]
    Voir sur ce point l'étude réalisée par l'ONED à partir de la lecture de 50 protocoles dans le rapport annuel 2009, www.oned.gouv.fr.
  • [10]
    Les juges des enfants connaissent d'ailleurs les difficultés d'articulation du pénal et de l'assistance éducative, de l'attente de l'aboutissement d'une enquête pénale et des répercussions sur la prise en charge éducative lorsque cela tarde trop...
  • [11]
    Ph. Robert, « Une autre assistance éducative », commentaire de la loi 70-459 du 6 juin 1970 et du RAP 70-1276 du 23 déc. 1970, RTDC, 1972, LXXi, 1, 26-67.
  • [12]
    Données extraites de l'avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (p. 77 et 82) dont le rapporteur était Mr Cressard, annexé au rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale no 1032 sur le projet de loi ayant abouti à la loi du 4 juin 1970.
  • [13]
    Annuaire statistique de la justice, p. 49, éd. 2009-2010.
  • [14]
    C-. B. Bastard et Ch. Mouhanna, « L'avenir du juge des enfants », Eres, p. 147 et s. et leur article dans ce dossier.
  • [15]
    La mise en oeuvre des instances tripartites de coordination des acteurs de la justice des mineurs en matière pénale prévue par le plan national de prévention de la délinquance 2010-2012 est d'ailleurs très éclairante de la nécessité pour le juge des errants, lorsqu'il accepte d'y participer, d'adapter sa fonction à de nouvelles configurations ; ces instances réunissent les juges des enfants, le procureur de la République et la PJJ avec, pour objectif, d'établir un suivi des situations de mineurs ayant « besoin d'un suivi judiciaire particulièrement soutenu et adapté » (circulaire du ministère de la Justice du 22 juillet 2010). Les juges des enfants se sont interrogés sur leur participation au trinôme, sur la manière de maintenir le principe du contradictoire dans leur procédure (ce qui signifiait alors que tout élément partagé dans cette instance devait faire l'objet d'un écrit porté à la connaissance des parties) et, de façon plus large, sur le respect des droits de la dépense.
  • [16]
    Voir, sur ce point, le document de travail du Sénat « Les structures de protection de l'enfance », février 2007.

1 Le dispositif actuel de protection de l'enfance est l'aboutissement de l'évolution de plusieurs champs parallèles et notamment de la puissance paternelle, de la prise en charge des enfants abandonnés et de la prise en charge de l'enfance délinquante.

2 Ces évolutions se sont déroulées principalement entre la Révolution française et la Seconde Guerre mondiale et ont amené la création originale d'un juge des enfants intervenant au pénal et en assistance éducative avec le principe - en terme de pratiques professionnelles - d'intervenir sur un même secteur géographique concentrant ainsi son activité sur les mêmes mineurs, qu'ils soient pris en charge au titre de l'assistance éducative, de la délinquance ou des deux.

3 Le juge des enfants, né avec l'ordonnance du 2 février 1945, a été chargé de l'assistance éducative par l'ordonnance du 23 décembre 1958.

4 Préalablement, la justice intervenait déjà dans le champ de la protection de l'enfance. Ainsi, la loi de 1889 avait pris en compte, pour la première fois, la maltraitance des enfants avec comme corolaire la déchéance de la puissance paternelle ; cette loi prévoyait que le tribunal pouvait décider de déléguer, à l'assistance publique, les droits de puissance paternelle et de remettre l'exercice de ces droits à l'établissement ou au particulier gardien de l'enfant. Les enfants confiés étaient alors sous la surveillance de l'État, représenté par le préfet du département  [1].

5 Le 30 octobre 1935, trois décrets sont venus élargir la population d'enfants pouvant faire l'objet d'une mesure d'assistance et d'aide, l'un permettant au président du tribunal de prendre des mesures tendant à l'aider et à faire conseiller les parents dans l'exercice de leur devoir d'éducation de leurs enfants (par opposition à la déchéance)  [2]; le deuxième prévoyant pour les enfants " vagabonds" un régime nouveau comportant un ensemble de mesures d'assistance et d'éducation  [3], le troisième prévoyant que, à la place de la correction paternelle permettant l'emprisonnement de l'enfant, le président du tribunal saisi par le père devait choisir une maison d'éducation publique ou une oeuvre privée à laquelle il confiait l'enfant dans le but d'assurer son relèvement.

6 Émerge ainsi une protection de l'enfance judiciaire, y compris si les parents ne sont pas déchus de leur puissance paternelle.

7 Entretemps, la loi du 27 juin 1904 créait des services départementaux d'aide à l'enfance et la loi du 22 juillet 1912 sur" les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté spécifique pour les mineurs  [4].

8 L'évolution de la protection de l'enfance est déjà en lien étroit avec la question de la délinquance des mineurs et des moyens à mettre en place pour éviter la récidive. On estime alors que la répression a atteint ses limites et se pose la question plus large de l'éducabilité des enfants. Ce mouvement dépasse largement les frontières de la France et est l'objet de nombreux congrès internationaux entre 1880 et 1914 partant de la question pénale pour aller vers la question sociale et celle de l'assistance  [5].

9 On peut voir en conséquence que les limites entre enfance abandonnée et enfance inadaptée ont bougé à plus d'un titre, certains enfants sont passés de la délinquance pour aller vers l'assistance alors que, parallèlement, le traitement de la délinquance juvénile a intégré la nécessité d'une prise en charge éducative. En même temps, le partage de compétence entre le judiciaire et l'administratif évoluait dans les différents projets de textes pour aboutir à l'ordonnance du 23 décembre 1958.

10 Les années 50 ont été marquées par des débats importants entre le ministère de la Santé et le ministère de la Justice sur l'autorité (judiciaire ou administrative) devant assurer la prise en charge des enfants inadaptés ou en danger  [6], Ces débats ont abouti à la complémentarité entre la protection judiciaire et la protection sociale de l'enfance par le biais de l'ordonnance du 23 décembre 1958 et du décret du 7 janvier 1959.

11 L'ordonnance du 23 décembre 1958 disposait de façon générale que le juge des enfants a compétence pour prononcer toute mesure de protection et d'éducation a l'égard des mineurs dont "la santé", la sécurité, la moralité ou l'éducation sont gravement compromises »  [7]. Ce texte dissociait l'enfance en danger de l'enfance inadaptée et sortait des catégories d'enfants définies dans différents textes légaux (vagabonds, prostitués, enfants faisant l'objet d'une correction paternelle ou enfants victimes dont le parent avait fait l'objet d'une déchéance de l'autorité parentale pour approcher l'enfant sous le seul angle du danger. De façon complémentaire, le décret du 7 janvier 1959 créait un dispositif administratif de la protection de l'enfance qui intégrait les mesures de prévention dans le service de l'aide sociale à l'enfance. Le directeur départemental de la population et de l'aide sociale était chargé d'exercer une action sociale préventive auprès des familles dont les conditions d'existence risquaient de mettre en danger la santé, la sécurité ou la moralité de leurs enfants. La ligne de partage entre autorité judiciaire et autorité administrative se tait alors entre Jinger et risque de danger, le directeur départemental devant susciter de la part des parents toutes mesures utiles.

12 La loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance va cependant brouiller les lignes de cette répartition. En effet, elle a promu le principe d'une subsidiarité de l'intervention judiciaire (le président du conseil général avise sans délai le procureur de la République si la situation est impossible à évaluer ou si la famille refuse manifestement d'accepter l'intervention des services de l'aide sociale à l'enfance), En revanche, elle concerne les mineurs victimes de mauvais traitements, ce qui est plus restrictif que la notion de danger qui demeure parallèlement le critère d'intervention du juge des enfants au titre de l'article 375 du code civil.

13 L'articulation d'une protection administrative, qui plus est décentralisée depuis les lois de décentralisation et d'une protection judiciaire de l'enfance, inscrites l'une et l'autre dans des textes différents, a été repensée par la loi du 5 mars 2007 : l'un des trois axes prioritaires présentés dans l'exposé des motifs du projet de loi est en effet de « renforcer le dispositif d'alerte et d'évaluation des risques de danger pour l'enfant et mieux articuler la protection sociale et la protection judiciaire de l'enfance ». Le principe repris par la loi est celui de la subsidiarité de l'intervention judiciaire afin que seules les situations qui le justifient soient judiciairement traitées. Cette articulation a été pensée en termes de circuit de l'information et touche en conséquence principalement l'articulation entre le président du conseil général et le procureur de la République (I). La loi du 5 mars 2007 a globalement préservé le dispositif en place, souhaitant en conforter les fondements. Elle a notamment maintenu le juge des enfants, figure originale du dispositif. Mais sa place n'a-t-elle pas été modifiée au regard de l'économie générale du texte ? (II)

La complémentarité des compétences entre l'administration et la justice

14 Pour qu'il y ait subsidiarité de l'intervention judiciaire, il est nécessaire que le champ d'intervention des institutions soit identique, puis ensuite de définir les critères qui permettent de passer de l'administratif au judiciaire. La loi du 5 mars 2007 a donc homogénéisé le critère d'intervention en protection de l'enfance, la notion « d'enfants victimes de mauvais traitement » de la loi du 10 juillet 1989 étant recouverte par celle « d'enfants en danger ou en risque de l'être ».

Le principe de la subsidiarité de l'intervention judiciaire

15 En réalité, la loi a entendu très largement les missions de la protection de l'enfance puisque celle-ci a pour but « de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs ». La protection de l'enfance inclut donc la prévention, en deçà des missions de l'aide sociale à l'enfance, pour aller jusqu'à l'accueil de l'enfant.

16 La loi du 5 mars 2007 pose le principe de la subsidiarité de l'intervention judiciaire, en traçant le parcours des informations préoccupantes. Il est en effet, prévu que le président du conseil général est "chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation, à tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être ». Dans le prolongement de drames portés médiatiquement, le souhait, du législateur était alors de renforcer le dispositif d'alerte des situations d'enfant en danger en permettant au président du conseil général d'assurer la centralisation des informations concernant un même mineur et d'en assurer le traitement afin qu'aucune de ces information ne se perde. Il était également de permettre aux situations ne justifiant pas une intervention judiciaire de pouvoir être traitée prioritairement par le conseil général, lieu d'entrée dans le dispositif.

17 Toutefois, la logique n'a pas été menée a son terme, les professionnels des établissements et services publics ayant à connaître de situations de mineurs en danger pouvant adresser directement un signalement au procureur de la République, en raison de la gravité de la situation de l'enfant.

18 La subsidiarité s'entend en conséquence a l'entrée dans le dispositif de protection judiciaire. La mise en oeuvre de l'articulation entre le président du conseil général et le procureur de la République interroge plusieurs points les critères légaux de l'article L. 226-4 du code de l'action sociale et de la famille, et plus spécifiquement la définition de la gravité, la question de l'urgence, celle de l'infraction pénale et les relations entre la cellule et le parquet telles qu'elles se sont induites de la manière dont la loi est appliquée.

Les critères de compétence

19 Les cas de saisine du procureur de la République par le président du conseil général sont définis strictement. Il est en effet prévu que l'enfant est en danger au sens de l'article 375 du code civil  [8] et qu'une prestation d'aide sociale à l'enfance mise en place n'a pas permis de remédier à la situation, ou que la famille refuse d'accepter l'intervention du service de l'aide sociale à l'enfance ou se trouve dans l'impossibilité de collaborer avec le service. Enfin, le procureur de la République est également avisé lorsqu'un mineur est présumé être en situation de danger au sens de l'article 375 du code civil mais qu'il est impossible d'évaluer cette situation.

20 Le rôle du procureur de la République est de s'assurer que la situation du mineur entre bien dans le champ de compétence judiciaire Il ne peut le faire qu'à partir des éléments contenus dans le rapport qui lui est adressé et qui déterminent l'inefficacité des mesures administratives, le refus de la famille de l'intervention administrative (ou l'impossibilité de collaborer) ou enfin l'impossibilité d'évaluer la situation.

21 La question du refus par la famille de l'intervention administrative peut paraître claire. En effet, aucune décision sur le principe ou les modalistes de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peur être prise sans l'accord écrit des représentants légaux du mineur (en dehors des décisions judiciaires). Par ailleurs, toute personne qui demande une prestation ou qui en bénéficie est informée par les services chargés de la protection de la famille et de l'enfance des conditions d'attribution et des conséquences de cette prestation sur les droits et obligations de l'enfant et de son représentant légal. C'est donc en toute connaissance de cause que le représentant légal donne son accord écrit. Toutefois, les professionnels de terrain soulignent que, la priorité de l'intervention administrative étant clairement énoncée, l'obtention de l'accord de la famille est devenue un axe fort de leur intervention au détriment, parfois du repérage et de l'évaluation du danger.

22 Par ailleurs, il arrive que l'accord de la famille ne soit, qu'un accord de façade pour lequel il est difficile de démontrer, auprès du procureur, que la famille ne permet pas en réalité l'intervention sociale. La subsidiarité de l'intervention judiciaire vient donc interroger la nature du travail réalisé auprès de la famille qui du coup peut s'inscrire dans une démarche proche de la recherche de l'adhésion auquel le juge des enfants est soumis.

23 La question de la saisine de l'autorité judiciaire est souvent ramenée à la « contractualisation » de l'intervention. Pourtant, le texte de loi vise également " l'impossibilité de collaborer de la famille »qui est une notion plus large mais également plus difficile à expliciter.

Le critère de la « gravité de la situation »

24 Le législateur a maintenu une voie parallèle au circuit des signalements adressés par le président du conseil général. Ainsi, la loi dispose que « toute personne... qui avise directement, du fait de la gravité de la situation, le procureur de la République de la situation d'un enfant en danger adresse une copie de cette transmission au président du conseil général. » Elle fait ainsi entrer un nouveau cas de saisine du procureur de la République, tout en maintenant le rôle de centralisation des informations concernant les enfants en danger ou en risque dévolu au président du conseil général.

25 Notons que la gravité de la situation amène également le président du conseil général à adresser des signalements avant évaluation approfondie de la situation, les cellules de recueil des informations préoccupantes réalisant une analyse de premier niveau de ces dernières.

26 La loi n'a pas défini ce que recouvre la gravité d'une situation. Dans le cadre des protocoles prévus par la loi et signés dans la plupart des départements entre le président du conseil général et le procureur de la République (mais également le plus souvent par les présidents des tribunaux de grande instance, parfois les juges des enfants, le directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse ainsi que les partenaires institutionnels du champ de l'éducation nationale et de la santé)  [9], les partenaires se sont souvent efforcés de définir ce que recouvre la gravité de la situation justifiant, un signalement direct, mais l'absence d'éléments dans le texte de loi sur la qualification de gravité de la situation a entraîné une réelle diversité d'objectivation de ce cas de saisine du procureur de la République.

27 En pratique, il peut s'agir de l'urgence, de la nécessité d'une protection judiciaire immédiate, ou de l'éventualité que les faits constituent une infraction pénale. Les trois niveaux peuvent d'ailleurs être confondus : l'urgence est parfois caractérisée par la nécessité d'une « mise à l'abri » immédiate. Parfois, la gravité résulte du cumul de l'urgence et de la fermeture du niveau opérationnel de la cellule. La nécessité d'une protection judiciaire immédiate est en règle générale définie dans plusieurs protocoles comme étant « la situation de péril portant atteinte à l'intégrité physique ou morale de l'enfant et qui nécessite sa mise à l'abri immédiate ».

Les cas d'urgence et d'infraction pénale

28 Il convient de souligner que la loi du 5 mars 2007 ne vise pas l'urgence comme motif de saisine du parquet. Par ailleurs, elle précise que le président du conseil général recueille les informations préoccupantes « à tout moment » ce qui devrait renforcer l'idée que l'urgence n'est pas un motif de saisine de l'autorité judiciaire. La circulaire du garde des Sceaux du 6 mai 2010 rappelle d'ailleurs que « c'est bien le critère de gravité et non celui d'urgence qui doit présider à l'orientation de ces signalements. Le président du conseil général conserve sa compétence de principe pour gérer les situations pour lesquelles une réponse immédiate s'impose, à charge pour le département de s'organiser en ce sens ».

29 Cependant, la réalité est souvent plus complexe ; ainsi, dans certains protocoles, la saisine directe du procureur de la République en cas d'urgence est justifiée par la nécessité de mettre l'enfant à l'abri de façon immédiate et en conséquence par l'impossibilité d'évaluer le danger ou par le fait que la protection administrative s'avère d'emblée inopérante, ce qui permet, de retourner aux cas de saisine du procureur.

30 Outre l'urgence, l'infraction pénale n'est pas non plus un motif de saisine du procureur de la République prévu par la loi du 5 mars 2007. Toutefois, il résulte de la lecture des protocoles que, dès lors que les faits peuvent être qualifiés pénalement, le procureur de la République est saisi au titre de la protection de l'enfance. Cela pose la question de l'articulation entre l'infraction pénale et la protection de l'enfance.

31 L'infraction pénale peut être assimilée à la gravité, ce qui combine la nécessité d'une protection immédiate et de la qualification pénale des faits rapportés. Ainsi, le risque de pression sur l'enfant peut justifier sa mise à l'abri immédiate. Par ailleurs, la révélation de faits susceptibles de constituer une infraction pénale peut empêcher la poursuite de l'évaluation. Ce n'est donc pas à proprement dit l'existence éventuelle d'une infraction pénale qui justifie la saisine du procureur de la République -dans le cadre de la protection de l'enfance -mais bien les conséquences des révélations sur la situation de l'enfant.

32 La saisine du procureur de la République dans le cadre de la protection de l'enfance du simple fait de l'existence d'une infraction pénale est plus problématique car elle entraîne une confusion des champs d'intervention judiciaire. Or, l'intervention en protection de l'enfance et la poursuite d'une infraction pénale n'obéissent pas aux mêmes logiques : en revanche, ces deux interventions doivent être correctement articulées et le rôle du parquet sur ce point est essentiel  [10].

Les relations entre le conseil général et le parquet

33 La création d'une cellule a permis au parquet, dans la plupart des départements, d'avoir un interlocuteur unique au niveau du conseil général. Cette interface facilite les échanges et une approche plus unifiée de la protection de l'enfance. Toutefois, l'interprétation différentielle de la loi par les acteurs de terrain peut être source de difficultés dont, voici quelques exemples.

34 La loi du 5 mars 2007, dans le cadre des signalements directs, prévoit que le procureur de la République « transmet au président du conseil général les informations qui sont nécessaires à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance confiée à ce dernier ». C'est donc le principe de subsidiarité qui est mis en oeuvre à partir des signalements directs ou des informations reçus par le procureur de la République : lorsque ce dernier estime que les critères légaux de saisine de l'autorité judiciaire ne sont pas remplis, il renvoie « pour compétence » les éléments à sa disposition (en principe, si ces éléments lui paraissent préoccupants), le signalement direct « devenant » en quelque sorte une information préoccupante. Certains conseils généraux soulignent d'ailleurs le nombre très important d'informations préoccupantes émanant du parquet (qui est parfois même le premier pourvoyeur d'informations préoccupantes devant ou au côté de l'éducation nationale). Ce phénomène est logique compte tenu de la loi du 5 mars 2007 qui pose le principe de la subsidiarité de l'intervention judiciaire à l'entrée du dispositif, d'autant que la loi est également, traversée par la volonté qu'aucune situation n'échappe à la vigilance du président du conseil général. Mais sans doute n'avait-il pas été anticipé.

35 Certains parquets ont une interprétation différente de la loi et sollicitent les conseils généraux pour évaluation des situations. Ils envoient les signalements directs aux conseils généraux et en attendent un retour. Cette pratique a coïncidé avec la disparition de l'usage des recueils de renseignements socio-éducatifs au civil réalisés par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (qui n'étaient prévus par aucun texte et correspondaient à une simple pratique). Elle n'est cependant, pas prévue par la loi - même si certains s'appuient sur le principe selon lequel la mission du conseil général est d'évaluer les informations préoccupantes « à tout moment » -et place l'autorité judiciaire dans une position inadéquate dans le fait de donner des instructions au conseil général qui est en principe seul compétent pour apprécier la nécessité de mettre en oeuvre une évaluation face à une information préoccupante.

36 La loi du 5 mars 2007 a renforcé la place du président du conseil général en lui octroyant notamment une mission large de recueil, de traitement et d'évaluation à tout moment des informations préoccupantes qui lui sont adressées sans délai. Cette formulation nécessite la mise en oeuvre d'un dispositif permanent (quelle que soit la taille du département) particulièrement, difficile à mettre en place en raison notamment des modalités de mise en oeuvre complexe et de son coût financier. L'objectif de la loi est de favoriser le passage de l'ensemble des situations par le filtre de la cellule pour permettre de recourir à l'intervention administrative chaque fois que c'est possible, y compris dans des situations d'urgence. Elle permet par ailleurs la mise en place d'un accueil dans le cadre administratif, dans l'urgence et sans demande préalable des titulaires de l'autorité parentale, de 72 heures en cas de danger immédiat concernant un mineur ayant abandonné le domicile familial (il s'agit d'une action de prévention) ou de cinq jours lorsque le représentant légal du mineur est dans l'impossibilité de donner son accord.

37 Mais l'existence d'un dispositif permanent, permettant le recueil de l'information préoccupante, une évaluation minimale de la situation et, si nécessaire, la mise à l'abri d'un enfant dans le cadre administratif, et ce à tout moment, (nuit et week-end compris), existe dans très peu de départements. La question se pose d'ailleurs du nombre de situations que cela pourrait recouvrir, la situation d'urgence recoupant souvent celle de gravité.

38 C'est donc dans le cadre des protocoles que les conseils généraux et les parquets s'accordent ou tentent de s'accorder pour organiser la gestion des situations urgentes. De fait, les positions des parquets restent différentes en fonction des départements, certains parquets acceptant de prendre une ordonnance de placement provisoire au vu de l'urgence, d'autres renvoyant au conseil général la nécessité de recourir à la mise en oeuvre d'un accueil de 72 heures.

39 La loi du 5 mars 2007 a affirmé fortement la place du président du conseil général dans le dispositif de protection de l'enfance et privilégié la place institutionnelle du parquet du fait de son rôle d'interface avec le conseil général et de porte d'entrée dans le dispositif judiciaire. Qu'en est-il du juge des enfants ?

Le rôle et la place du juge des enfants

40 La loi du 5 mars 2007 n'est pas revenue sur le principe d'un juge des enfants pouvant s'auto-saisir de façon exceptionnelle, et intervenant en matière d'assistance éducative dans une logique de suivi des situations et de continuité de la prise en charge. Elle lui a notamment donné des possibilités supplémentaires pour exercer ses missions de protection, notamment en prévoyant officiellement la création de dispositifs de prise en charge entre l'assistance éducative en milieu ouvert et le placement.

Un rôle mieux défini

41 Elle a par ailleurs maintenu le principe de l'intervention du juge des enfants en assistance éducative dans les situations pour lesquelles la question de la délégation d'autorité parentale voire du retrait de l'autorité parentale pourraient légitimement se poser, en lui donnant de nouveaux outils ; ainsi, le juge des enfants peut, autoriser, de façon exceptionnelle et dans l'intérêt de l'enfant, un tiers à exercer un acte relevant de l'autorité parentale en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des détenteurs de l'autorité parentale ; il peut également ordonner que le droit de visite du parent s'exerce en présence d'un tiers là aussi lorsque l'intérêt de l'enfant l'exige ; enfin, la loi du 5 mars 2007 lui permet d'ordonner une mesure d'accueil pour une durée supérieure à deux ans, lorsque « les parents présentent des difficultés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques, affectant durablement leurs compétences dans l'exercice de leur responsabilité parentale ». Cette disposition a pour objectif de permettre à l'enfant de bénéficier d'une continuité relationnelle, affective et géographique dans son lieu d'accueil.

42 Elle maintient ainsi le juge des enfants dans une procédure singulière, initiée par l'ordonnance du 23 décembre 1958. Selon Philippe Robert, cette ordonnance ne mettait l'accent ni sur les relations juridiques parents-enfants, ni sur la puissance paternelle mais uniquement sur la protection des mineurs en danger. Toutefois, précise-t-il, « cette ordonnance était en fait très satisfaisante au niveau de la consolidation de la cellule familiale, offrant une solution judiciaire qui dédramatisait les conflits ».  [11]

43 L'ordonnance du 23 décembre 1958 a d'ailleurs été suivie d'un double mouvement : l'augmentation des procédures d'assistance éducative (concernant 23 729 mineurs en 1960 et 52 693 en 1968) et la baisse des jugements prononçant la déchéance de l'autorité parentale puisque, en 1958, les tribunaux civils jugeaient 3 934 affaires intéressant 10 917 mineurs alors que, en 1967, 648 demandes étaient formulées aboutissant à 421 déchéances prononcées  [12].

44 La loi du 4 juin 1970 a réaffirmé le rôle singulier du juge des enfants, mais sa première caractéristique a été de mettre l'accent sur l'autorité parentale. Dans l'esprit du législateur, l'intervention en assistance éducative était alors conçue principalement dans le cadre du milieu ouvert (70 % des mineurs en assistance éducative en 1968 étaient laissés dans leur milieu naturel dont près de 20 % sans mesure, les enfants remis à l'ASE ou à un établissement représentant 30 %), les placements longs devant logiquement aboutir à la déchéance de l'autorité parentale dont les conditions étaient assouplies. Toutefois, cela n'a pas été le mouvement de l'histoire puisque le nombre de retraits d'autorité parentale reste très marginal (273 demandes en 2008 devant les juridictions civiles  [13]).

45 La loi du 5 mars 2007 a donc maintenu le juge des enfants dans ce travail singulier avec les familles entre mesures administratives d'un côté et délégation ou retrait d'autorité parentale de l'autre. Mais quelle place occuper dans le paysage nouvellement défini par la loi portant, réforme de la protection de l'enfance mais également par les évolutions des politiques publiques sur le plan judiciaire ?

46 Le signalement au procureur de la République s'inscrit dans la volonté d'une centralisation des informations préoccupantes et dans le principe prioritaire d'une protection administrative. Toutefois, la loi n'a pas modifié l'article 375 du code civil qui détermine le champ de compétence du juge des enfants. Ce dernier est saisi lorsque l'enfant est en danger et peut être saisi par le procureur de la République (qui assure un filtre) mais également par les parents ou le mineur lui-même. Il n'est donc pas textuellement soumis aux critères du code de l'action sociale et des familles et si le législateur avait, effectivement voulu l'y soumettre, il n'aurait pu être saisi que par le procureur de la République.

47 Nous sommes donc confrontés à des niveaux logiques d'intervention différents au sein même du processus de protection de l'enfance qui provoquent des confusions chez les professionnels. Ainsi, il est souvent fait référence à « l'adhésion » des familles en protection administrative alors que ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre une prestation de l'aide sociale à l'enfance est l'accord des familles. En effet, il est précisé « qu'aucune décision sur le principe ou les modalités de l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance ne peut être prise sans l'accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ». Le formalisme de l'accord écrit permet de s'assurer que les droits des familles sont bien pris en compte et respectés.

48 À l'inverse, l'adhésion est une notion plus floue (adhésion au principe de l'intervention judiciaire ? adhésion au contenu des mesures mises en oeuvre ?) et s'intègre en réalité dans un processus de travail puisqu'elle doit être « recherchée » par le juge des enfants. C'est d'ailleurs la recherche de l'adhésion qui fait toute l'originalité de ce magistrat qui ne sait que trop qu'une mesure - fut-elle imposée -n'a de chance de protéger l'enfant que si la famille accepte a minima le cadre d'intervention, du moins dans le cadre de l'assistance éducative.

49 Les distinctions sont a priori claires. Toutefois, la recherche de l'accord des familles en protection administrative constitue également un processus dès lors que, dans le cadre de l'évaluation de la situation, les parents sont effectivement associés à l'élaboration des questions fondamentales que sont les difficultés de leur enfant, son intérêt et les solutions possibles de résolution de ces difficultés. Là aussi, c'est le processus qui est en réalité opérationnel. Enfin, le juge des enfants, dans un certain nombre de situations, obtient avec le temps l'accord de la famille sur les mesures mises en oeuvre dans l'intérêt de l'enfant ; doit-il alors fermer son dossier en proposant à la famille de solliciter une prestation auprès de l'aide sociale à l'enfance ? La cohérence de l'intervention est souvent alors mise à mal et c'est oublier que l'accord sur une intervention, qu'elle soit administrative ou judiciaire, s'inscrit aussi dans une relation interpersonnelle ou à tout le moins dans un contexte particulier. Le changement de cadre de référence voire de service n'est donc pas anodin et n'est pas toujours souhaitable.

La continuité de la prise en charge

50 Depuis la décentralisation, la mission de l'aide sociale à l'enfance est confiée au président du conseil général, le département étant responsable du service de l'aide sociale à l'enfance et en assurant le financement. La loi du 5 mars 2007 place le président du conseil général dans un rôle stratégique de pilote de la politique départementale de protection de l'enfance. Ainsi, la prévention entrant dans le champ de la protection de l'enfance, la protection maternelle et infantile est non seulement, sous l'autorité mais également sous « la responsabilité »du président, du conseil général. Dans le champ de l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil général s'ancre dans son rôle de « chef de file » du fait, comme nous l'avons vu précédemment, de sa mission de recueil, traitement et évaluation de toutes les informations préoccupantes, mais également dans une mission plus large lui demandant d'assurer le suivi et la continuité des interventions mises en oeuvre pour un enfant et sa famille.

51 Pour ce faire, lorsqu'une mesure judiciaire est mise en oeuvre directement par un service habilité, ce dernier adresse au président du conseil général un rapport circonstancié, qui permet à ce dernier d'avoir une connaissance de l'évolution de la situation du mineur pour lequel il n'est pas chargé d'une mesure.

52 Par ailleurs, les services départementaux et les titulaires de l'autorité parentale établissent un document intitulé « projet pour l'enfant » qui précise les actions menées auprès de l'enfant, de ses parents et de son environnement, que l'enfant soit pris en charge au titre d'une prestation d'aide sociale à l'enfance ou d'une mesure judiciaire. Il est prévu que ce projet est adressé au juge des enfants lorsqu'il comporte les conditions d'exercice du droit de visite et d'hébergement des parents.

53 La lecture de cet article renvoie à la question de la place du juge des enfants qui assure également le suivi et la cohérence des prises en charge ; qu'en est-il en effet de l'articulation entre la mesure judiciaire et le contenu du projet pour l'enfant ? Comment sont intégrés les motifs de la décision et les objectifs posés par le juge des enfants ?

54 La place du juge des enfants au regard d'une mission large du président du conseil général avait déjà été interrogée par la loi du 13 août. 2004 qui prévoyait une expérimentation de l'extension des compétences des départements en matière de mise en oeuvre des mesures ordonnées par l'autorité judiciaire en application des articles 375 à 375-8 du code civil. Cette expérimentation donnait au président du conseil général un mandat global de mise en oeuvre des décisions du juge des enfants, placement et milieu ouvert. La crainte de certains magistrats était alors qu'ils soient privés des informations nécessaires à la conduite de l'audience et à la recherche de l'adhésion et de n'avoir plus comme seule mission que de trancher les différends entre le conseil général et la famille  [14]. L'expérimentation n'a pas été poursuivie du fait, notamment du vote de la loi du 5 mars 2007, mais c'est effectivement la figure classique du juge des enfants qui est nécessairement, interrogée lorsque la mission du président du conseil général est d'assurer la cohérence des parcours des enfants pris en charge dans le cadre de la protection de l'enfance, y compris dans le cadre judiciaire.

Quelle place pour le juge des enfants dans le nouveau dispositif de la protection de l'enfance ?

55 Au-delà des effets de la loi sur la place du procureur de la République et du président du conseil général au sein du dispositif de protection de l'enfance, le juge des enfants est également, confronté aux changements de positionnement des institutions concernées par le champ de la protection de l'enfance.

56 Il en est ainsi de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse qui, au terme du décret du 9 juillet 2008 relatif à l'organisation du ministère de la Justice, est chargée de la concertation des institutions intervenant au titre de la protection de l'enfance. Les missions qui en découlent sont notamment de garantir une aide aux décisions de l'autorité judiciaire et de lui garantir par le contrôle, l'audit et l'évaluation, la qualité de la prise en charge de l'enfant. Ces missions positionnent la protection judiciaire de la jeunesse dans un travail resserré avec les conseils généraux dans la sphère civile de la protection de l'enfance tout en n'étant plus opérateur des mesures d'assistance éducative (à l'exception des mesures d'investigation) mais également, dans une volonté d'harmonisation des pratiques judiciaires.

57 Les relations entre les conseils généraux et les services habilités qui interviennent en protection de l'enfance évoluent ; outre que les services doivent, dorénavant adresser un rapport circonstancié au président du conseil général lorsqu'ils sont mandatés directement par le juge des enfants (principal interlocuteur jusqu'alors), les nouvelles modalités d'appel à projet prévues par la loi du 21 juillet 2009 les amènent à répondre à un besoin défini par le département dans le cadre du schéma départemental et à inscrire leur force de proposition et leur créativité au sein d'un cadre prédéfini, ce qui modifie les équilibres relationnels entre les différents partenaires, y compris avec le juge des enfants.

58 Globalement, le positionnement de l'ensemble des acteurs institutionnels dans le champ de la protection de l'enfance, autour du juge des enfants, a donc évolué et la place de ce dernier dans le dispositif n'est pas toujours clairement affirmée  [15]. Il est ainsi significatif de voir apparaître, dans les textes normatifs -et notamment la loi du 5 mars 2007 -, la notion fonctionnelle « d'autorité judiciaire » qui correspond à la fois au parquet et au juge des enfants sans qu'il ne soit pris en compte leur distinction pourtant fondamentale.

Vers un nouveau juge des enfants ?

59 La saisine du juge des enfants en raison de on seul pouvoir de contrainte pour des familles qui ont bénéficié préalablement de la recherche d'un travail participatif auquel elles se sont soustrait, le rôle dévolu au président, du conseil général d'assurer la continuité des parcours, la place redéfinie des acteurs associatifs mènent à penser que le juge des enfants pourrait n'intervenir qu'en tant que « juge-arbitre » abandonnant toute recherche d'adhésion de la famille à la mise en oeuvre de la mesure de protection et imposant sa décision à la famille, ou au service gardien sans que pour autant l'articulation de la décision judiciaire à la prise en charge éducative ne puisse être pensée et accompagnée par le magistrat. Ce modèle correspond d'ailleurs peu ou prou aux systèmes judiciaires européens  [16]. Mais force est de constater que la figure plus traditionnelle du juge des enfants demeure : il reste le seul porteur opérationnel de l'articulation entre le pénal et le civil assurant ainsi la cohérence de prise en charge des enfants ; il dispose d'une réelle capacité d'intervention dans l'urgence peu habituelle dans la sphère judiciaire ; il fixe un cadre de travail qui s'impose à la fois à la famille et aux professionnels et qui instaure des modalités de travail claires pour les uns et pour les autres. Il reste donc un acteur essentiel dans la prise en charge individuelle des enfants.

60 Le magistrat du siège a toujours une entrée dans son champ de compétence par le dossier individuel. Toutefois, la complexité organisationnelle de la protection de l'enfance faisant du partenariat un axe fort des pratiques professionnelles a depuis longtemps amené le juge des enfants à participer à l'élaboration partenariale de politiques locales. C'est d'ailleurs pour cette raison que le décret du 4 février 2008 prévoit la désignation d'un juge des enfants coordonnateur chargé, sous l'autorité du président du tribunal de grande instance, non seulement d'organiser le service de la juridiction des mineurs mais aussi de coordonner les relations de cette juridiction avec les services chargés de la mise en oeuvre des mesures prises par celle-ci. La redéfinition des places du parquet et de la protection judiciaire de la jeunesse vient sans doute réinterroger cette place si particulière pour un magistrat du siège qui participe peut-être à la figure originale du juge des enfants français. La loi du 5 mars 2007 est une loi ambitieuse sur la place du partenariat dans la mise en oeuvre de la politique départementale ; elle permet au juge des enfants, ainsi qu'à tous les acteurs du champ de la protection de l'enfance, de participer à la politique de protection de l'enfance du département par le biais de son inscription au sein de l'observatoire départemental de l'enfance en danger. C'est, en effet dans cette instance que doivent être débattus et formulés, sous l'autorité du président du conseil général, les propositions et les avis sur la mise en oeuvre de la politique de protection de l'enfance et qu'est assuré le suivi du schéma départemental. L'investissement de ce lieu par les juges des enfants permet en conséquence pour ces derniers d'affirmer leur spécificité et de faire valoir leurs attentes.


Date de mise en ligne : 01/04/2019.

https://doi.org/10.3917/cdlj.1103.0051

Notes

  • [1]
    Dans le même ordre d'idées, la loi du 19 avril 1898 sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté commis contre les enfants prévoit la possibilité pour le juge d'instruction que la garde de l'errant soit provisoirement confiée à un parent, un tiers, une institution charitable...
  • [2]
    Le texte dit : « il est des cas fréquents où l'indignité des parents n'est pas suffisamment établie, ceux-ci ayant manqué surtout d'expérience et de savoir-faire ».
  • [3]
    Auparavant, ces mineurs « vagabonds » étaient considérés comme délinquants. Certains mineurs « délinquants » entrent ainsi dans le champ de la protection.
  • [4]
    Elle prévoit notamment que les mineurs de moins de 13 ans auxquels est imputée une infraction pénale ne peuvent pas être déférés devant la juridiction répressive. Ils pouvaient cependant être soumis à des mesures de tutelle, de surveillance, d'éducation, de réforme et d'assistance (ordonnées par le tribunal civil).
  • [5]
    À lire sur cette évolution de la fin du XIXe siècle et du début du XX° siècle l'article de Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, « Le mouvement international en faveur de la protection de l'enfance (1880-1914) », Revue d'histoire de l'enfance « irrégulière » [en ligne], no 5, 2003, URL : http://rhei.revues.org/ index1010.html.
  • [6]
    À lire sur les rapports de force entre justice et santé l'article de Jacques Bourquin, " Genèse de l'ordonnance du 23 décembre 1958 sur l'enface en danger", Revue d'histoire de l'enfance "irrégulière" [en ligne], Hors-série, 2007, URL : http://rhei.revue.org/index3013.html
  • [7]
    Ces termes étaient employés depuis la loi du 24 juillet 1889
  • [8]
    Il convient de noter que, si l'enfant est en risque de danger, l'intervention judiciaire ne peut pas être sollicitée, y compris si la famille est opposée à l'intervention administrative.
  • [9]
    Voir sur ce point l'étude réalisée par l'ONED à partir de la lecture de 50 protocoles dans le rapport annuel 2009, www.oned.gouv.fr.
  • [10]
    Les juges des enfants connaissent d'ailleurs les difficultés d'articulation du pénal et de l'assistance éducative, de l'attente de l'aboutissement d'une enquête pénale et des répercussions sur la prise en charge éducative lorsque cela tarde trop...
  • [11]
    Ph. Robert, « Une autre assistance éducative », commentaire de la loi 70-459 du 6 juin 1970 et du RAP 70-1276 du 23 déc. 1970, RTDC, 1972, LXXi, 1, 26-67.
  • [12]
    Données extraites de l'avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (p. 77 et 82) dont le rapporteur était Mr Cressard, annexé au rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale no 1032 sur le projet de loi ayant abouti à la loi du 4 juin 1970.
  • [13]
    Annuaire statistique de la justice, p. 49, éd. 2009-2010.
  • [14]
    C-. B. Bastard et Ch. Mouhanna, « L'avenir du juge des enfants », Eres, p. 147 et s. et leur article dans ce dossier.
  • [15]
    La mise en oeuvre des instances tripartites de coordination des acteurs de la justice des mineurs en matière pénale prévue par le plan national de prévention de la délinquance 2010-2012 est d'ailleurs très éclairante de la nécessité pour le juge des errants, lorsqu'il accepte d'y participer, d'adapter sa fonction à de nouvelles configurations ; ces instances réunissent les juges des enfants, le procureur de la République et la PJJ avec, pour objectif, d'établir un suivi des situations de mineurs ayant « besoin d'un suivi judiciaire particulièrement soutenu et adapté » (circulaire du ministère de la Justice du 22 juillet 2010). Les juges des enfants se sont interrogés sur leur participation au trinôme, sur la manière de maintenir le principe du contradictoire dans leur procédure (ce qui signifiait alors que tout élément partagé dans cette instance devait faire l'objet d'un écrit porté à la connaissance des parties) et, de façon plus large, sur le respect des droits de la dépense.
  • [16]
    Voir, sur ce point, le document de travail du Sénat « Les structures de protection de l'enfance », février 2007.
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