Notes
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[1]
. Émile-Henri Riard (resp. scientifique), Christine Berzin, Line Numa-Bocage, Jean-William Wallet, Dominique Devismes, Jean-François Moulin (2009). Situations difficiles à la période de latence. Eléments de compréhension de leur émergence et de leur développement : une étude en Picardie. Équipe H-PIPS (université de Picardie Jules-Verne) et GRIPS-Sco. (IUFM de l’académie d’Amiens), recherche soutenue par le conseil régional de Picardie.
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[2]
. Il s’agit des niveaux de classe : GS, Grande Section de maternelle, enfant de 5 à 6 ans ; CP, Cours préparatoire, 6-7ans ; CE, Cours élémentaire, 7-8 ou 9ans ; CM, Cours moyens, 9 -10 ou 11 ans ; 6e, Première année de collège, 11-12 ans
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[3]
. Rappelons : GS, Grande Section de maternelle, enfant de 5 à 6 ans ; CP, Cours préparatoire, 6-7ans ; CE, Cours élémentaire, 7-8 ou 9ans ; CM, Cours moyens, 9 -10 ou 11 ans ; 6e, Première année de collège, 11-12 ans
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[4]
. Entretien tiré du café pédagogique (octobre 2009) : Violence scolaire : « Je suis pessimiste » nous dit Eric Debarbieux. [http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/2006/ analyses_71_ViolencescolaireJesuispessimistenousditEricDebarbieux.aspx]
1 Les établissements d’enseignement primaire semblent de plus en plus concernés par les difficultés et les violences des élèves qui touchaient avant collèges et lycées. Les écoles primaires et maternelles, comme l’ont montré les études nord-américaines ou celles effectuées sur certaines académies (Fotinos, 2000), constituent un échelon d’étude des difficultés, liées à l’école, incontournable. À partir d’une recherche [1] portant sur le sentiment de difficulté, menée en Picardie, nous étudions ses liens avec le jugement moral. Les conceptions de Wallon (1941-1968) placent le développement de l’enfant dans une perspective globale, dans laquelle l’affectivité et l’intelligence sont associées à la composante sociale. Outre l’importance de l’acquisition de statuts et rôles, du degré d’acceptation des autres et par les autres, le développement social est marqué par l’émergence de la morale, variable selon les cultures.
2 C’est avec Piaget (1948-1979) puis Kohlberg (1981) que la construction intrapsychologique du jugement moral est énoncée. L’accent est mis aussi sur sa dimension développementale. Dans une perspective historico-culturelle, Bruner (1997) souligne l’influence de l’environnement (les pairs, la famille, l’école) dans ce processus de construction et de développement.
3 À la période de la latence (entre 6 et 11 ans environ), la vie psychique de l’enfant est installée sur deux dimensions majeures : la dimension cognitive, fortement dominante, de nature intellectuelle et sociale ; la dimension affective, qui bien que mise en sommeil, n’en demeure pas moins présente et agissante (réaction aux situations d’apprentissage scolaire, redéploiement des liens en direction des parents et des pairs).
4 Pour étudier ce sujet, nous présentons d’abord, de manière analytique, des situations de dilemme, leur utilisation en situation de test, avec des jeunes scolarisés en primaire de la région Picardie, les interprétations que nous en tirons quant aux critères de développement moral qui peuvent être envisagés. Puis nous croisons ces résultats avec les réponses de ces mêmes élèves à un questionnaire relatif au sentiment de difficulté perçu dans les différents espaces concernés par l’école.
Question de violence ou sentiment de difficulté à l’école
5 Les environnements scolaire et extrascolaire (famille, école, quartier) constituent le contexte de vie, cadre de construction des relations du jeune à son entourage. Ce contexte est générateur de tensions, de conflits auxquels l’enfant doit faire face. Les manifestations de violence observées dans le cadre scolaire sont considérées comme des dérives de situations ordinaires. Le sens attribué à la situation par l’élève, souvent erroné, est issu – à côté des composantes de personnalité – de la qualité de ses relations avec son entourage (enseignant, parents, pairs) et de ses représentations du monde et des adultes. Le degré d’élaboration cognitive de ce sens dépend de l’âge du sujet, du moment de son développement, de ses compétences sociocognitives, variables, tout comme le degré d’avancement dans le jugement moral. La perspective développementale constitue donc un des axes principaux pris en compte conjointement à la dimension contextuelle des situations scolaires.
6 De plus, le déroulement de la vie scolaire confronte l’enfant à la question des transitions interinstitutionnelles et à de nouvelles adaptations (de la famille, à l’école maternelle, de cette dernière à l’école primaire, du CM2 à la classe de sixième…). D’après Debarbieux (1999, p. 46), « la violence est dépendante des valeurs, des codes sociaux et des fragilités personnelles des victimes », donc insérée dans un rapport social et liée aux valeurs de la société et de ses acteurs. En milieu scolaire, ce sont les incivilités pour les enseignants ou les sentiments de non-respect et d’incompréhension, pour ce qui concerne les élèves, qui sont perçus comme une violence. Cette différenciation reflète un clivage entre les attentes des enseignants et celles des élèves, sources de tension affectant le climat scolaire et entraînant le développement d’un sentiment d’exaspération et d’insécurité.
7 L’accent mis sur cet aspect relationnel nous conduit à envisager la violence scolaire du point de vue du sentiment de difficulté perçu par les élèves à l’école, face aux règles et normes.
Sentiment de difficulté et développement moral
De Durkheim à Kohlberg : de l’imposition des règles à la construction morale
8 Pour Durkheim (1925) il faut considérer trois composants essentiels de la moralité : l’esprit de discipline ; l’attachement aux groupes sociaux ; l’autonomie de la volonté morale (intériorisation des normes sociales). L’éducation morale consiste alors à « faire comprendre à l’enfant non seulement quels sont ses devoirs, mais quelles sont les raisons de ses devoirs » (1925 ; p. 138). Pour lui, la discipline est la forme proprement scolaire de la moralité, à travers les punitions et le respect total des règles de l’institution.
Position de Piaget : de l’hétéronomie à l’autonomie
9 Piaget (1932) s’oppose résolument à cette façon de concevoir la volonté morale. Dans sa perspective, le jugement moral est un processus de connaissance qui se réalise par étapes évolutives à partir des expériences, par prise de conscience. Il explique (1948-1979, p. 103) que : « Le problème de l’éducation morale est exactement parallèle à ceux que nous venons de discuter à propos de logique ou d’enseignement mathématique […]. Il est, en effet, essentiel de comprendre que si l’enfant porte en lui tous les éléments nécessaires à l’élaboration d’une conscience morale ou « raison pratique » ; comme d’une conscience intellectuelle ou raison tout court, ni l’une ni l’autre ne sont données toutes faites au point de départ de l’évolution mentale et l’une et l’autre s’élaborent en étroite connexion avec le milieu social : les relations de l’enfant avec les individus dont il dépend seront donc à proprement parler formatrices. »
10 Ainsi, pour développer la moralité des enfants, il convient de susciter en eux la réflexion sur leurs propres actions, l’évolution de leurs motifs et leur légitimité. Piaget conclut sur l’opposition fondamentale au cours du développement entre deux sortes de morale : l’une de la contrainte, dite de l’hétéronomie, et l’autre de la coopération ou de l’autonomie.
Position de Kohlberg : universalité et étapes du développement moral
11 Kohlberg (1981) s’est attaché à prolonger et à affiner les idées de Piaget. Il nous propose, en effet, une approche cognitive de la psychologie morale en différents stades s’appuyant totalement sur la conception développementale de l’intelligence de Piaget, considérant un parallèle entre les stades du développement moral et les stades du développement cognitif et présentant les mêmes caractéristiques qu’eux. Ils sont universels, c’est-à-dire potentiellement accessibles par tous les individus.
12 Trois niveaux de développement sont définis par Kohlberg : « pré-conventionnel, conventionnel, post-conventionnel ». Le critère d’évolution des stades est la structure rationnelle d’un jugement moral. Plus un jugement moral est rationnel, plus l’enfant est autonome. Pour les jeunes enfants, un grand saut de décentration dans le développement est nécessaire à huit-neuf ans, c’est le passage d’un jugement égocentrique, basé sur les intérêts propres de l’individu (niveau pré-conventionnel) à un jugement conventionnel basé sur la prise en compte des intérêts de l’entourage proche et leur différenciation par rapport aux siens.
13 Il propose ainsi six stades de développement : la peur du gendarme, à la petite enfance ; l’utilitarisme naïf, puis la moralité conventionnelle, à la période de latence ; la moralité légaliste à l’adolescence ; la morale « contractualiste » avec le début de l’âge adulte ; la morale universelle atteinte par quelques individus (Martin Luther King).
14 À ses yeux, l’éducation morale doit être une éducation en situation. Pour Kohlberg, comme pour Piaget, il importe de ne pas confondre les usages conventionnels (où l’arbitraire est la règle) avec la réflexion morale qui vise un lien universel (selon une nécessité intrinsèque l’individu approfondit sa réflexion sur les rapports humains en élaborant des principes).
Développement du jugement moral et scolarité primaire
15 Afin de situer les différentes étapes du jugement moral dans le développement général de l’enfant à l’école, nous nous appuyons sur la revue de questions réalisée par Panier-Bagat (1995).
16 À la période préscolaire, l’enfant est capable de procéder à des symbolisations. Cette capacité lui permet de commencer à manifester des comportements de coopération, neutralisant les charges agressives. L’irréversibilité de sa pensée le conduit à considérer sacrées et inviolables les normes morales dictées par l’adulte dont il attend l’approbation. C’est le stade de l’hétéronomie morale (Piaget), ou pré-conventionnel (Kohlberg).
17 Le développement social et moral de l’enfant de l’école primaire dépend profondément de la manière dont ses parents, ses enseignants, son groupe de camarades, entrent en rapport avec lui alors qu’il débute la confrontation avec ses propres capacités intellectuelles. Le passage de l’hétéronomie à l’autonomie de jugement nécessite un accompagnement éducatif par les parents, l’enseignant et les adultes entourant l’enfant, c’est la période conventionnelle.
18 À la préadolescence et à l’adolescence, la maturité sexuelle, avec les changements somatiques et psychologiques qui l’accompagnent, implique de donner un nouveau sens aux relations avec son milieu social. Il semble que l’absence d’engagement moral est ce qui, très souvent, caractérise les jugements des jeunes qui ne reçoivent pas le soutien d’un entourage structurant. C’est la période conventionnelle puis post-conventionnelle.
Au-delà de Kohlberg et Piaget une approche socioconstructiviste du développement
19 Des critiques concernant la théorie de Kohlberg soulignent le fait qu’il s’éloigne de l’expérience des sujets, en utilisant des critères essentiellement formels et normatifs pour évaluer le développement moral, le processus de construction des concepts ne se réfère pas suffisamment à l’expérience du sujet en fonction des situations qu’il vit. Nous considérons la morale, à l’instar de Pagoni-Andréani (1999), comme un système de concepts, produit de constructions cognitives individuelles portant les traces de l’expérience propre du sujet dans ses dimensions cognitives, affectives et sociales.
20 De cette synthèse, nous retenons la dimension développementale de la conscience morale et sa participation dans le développement du sentiment de difficulté ressenti par les élèves à l’école. Ainsi, Debarbieux (2008), rappelle les facteurs qui participent au développement de la violence en milieu scolaire : facteurs personnels comme le sexe, la faible intelligence, l’échec scolaire ; facteurs familiaux (la violence familiale) ; facteurs socio-environnementaux.
21 Sur quels repères la communauté éducative peut-elle alors s’appuyer pour éviter le développement de la violence ?
Problématique
22 À l’école primaire, les questions de violence sont souvent envisagées en fonction d’un processus de socialisation dont l’école, dès la maternelle, aurait la charge. Cette socialisation scolaire est considérée comme le respect et l’intégration de règles. La transgression de ces règles crée souvent des situations de tension ou de violence entre les individus.
23 La socialisation est définie comme un processus d’adaptation d’un enfant au milieu socioculturel dans lequel il est élevé ; ou comme un processus par lequel les personnes acquièrent, en relation avec d’autres personnes, les connaissances, les compétences, les normes et les valeurs avec lesquelles elles agiront comme membres d’une société donnée. Le jeune enfant n’a pas encore conscience des règles et des normes sociales. Une revue de questions autour des « violences à l’école »? commentée par Gasparini (2006) souligne les différents aspects rentrant en compte dans cette conscientisation (respect des règles, processus psychologiques en jeu, rôle des adultes).
24 Quelques pistes de solution sont proposées, invitant à recréer le lien social à travers une centration sur l’enseignement et la nécessité d’une réponse institutionnelle adéquate. Cependant, la conclusion de Gasparini manifeste l’urgence qu’il y a à se pencher sur la situation de l’école primaire pour laquelle il n’y a pas suffisamment de résultat d’enquête.
25 Les données de ce présent article sont tirées d’une recherche de psychologie sociale portant sur l’étude des difficultés liées à l’école et à la scolarité des jeunes Picards, suivant une analyse factorielle des correspondances multiples incluant des facteurs individuels ou collectifs dans leur émergence. Elle a été organisée en situant les difficultés sur les relations que les jeunes entretiennent avec la scolarité dans ses différents espaces (classe, cour de récréation, trajet école/ domicile, devoirs à la maison). Nous avons retenu cinq groupes d’enfants de la grande section de maternelle à la classe de sixième (GS ; CP ; CE2 ; CM2 ; 6e) [2]. Cette recherche a été réalisée entre 2005 et 2007, avec un recueil des données d’enquête en 2006-2007.
26 À partir des travaux portant sur le développement de l’enfant favorisant la compréhension de comportements spécifiques, lors de situations difficiles et violentes en milieu scolaire, nous avons travaillé, entre autres, autour des hypothèses suivantes :
- Le sentiment de difficulté perçue est fonction de l’âge, du sexe et de l’espace scolaire concerné par la situation.
- Indépendamment de l’âge et du sexe, un faible niveau de développement moral est lié à un fort sentiment de difficulté perçue dans les situations liées à l’école.
- Les liens entre sentiment de difficulté et développement du jugement moral donnent des pistes pour l’intervention éducative.
Méthodologie
28 Nous présentons et discutons les résultats à une épreuve spécifique de la recherche. Cette épreuve dite « du jugement moral », inspirée de l’approche méthodologique des dilemmes de Kohlberg (1981) cherche à évaluer le niveau de développement du jugement moral des élèves, leur degré de socialisation et leur autonomie. Elle permet également d’affiner les caractéristiques de situation intervenant dans ce développement.
29 L’une des hypothèses de recherche est que les données de situation et de contexte participent également de ce développement. Il s’agit de rechercher les liens existant entre différentes dimensions rentrant en jeu dans le sentiment de difficulté ressenti par les élèves. C’est ainsi que nous proposons trois situations relatives à la vie quotidienne des jeunes enfants qui demandent dans un premier temps une évaluation ou un jugement, puis dans un second temps une proposition d’action personnelle et une justification de cette action. Les réponses sont notées suivant une échelle de 1 à 4, du jugement (ou action) le plus hétéronome vers le plus autonome. Le total donne un score par individu pour chacune des trois situations, reprenant les champs étudiés. Les moyennes de l’ensemble des résultats permettent de situer les sujets par rapport à leur groupe d’âge.
30 Ces réponses sont croisées dans un second temps avec celles tirées d’un questionnaire qui reprend les quatre champs scolaires ou périscolaires identifiés comme significatifs, concernant la classe (14 questions), la cour de récréation (14), le trajet maison/école (10), la maison (10), plus une question « autres difficultés ». Pour chacun des items l’enfant devait se prononcer sur le niveau de difficulté rencontrée : facilement supportable (1 point), pas facilement supportable (2 pts), difficilement supportable (3 pts), très difficilement supportable (4 pts). Les points sont ensuite totalisés pour les items d’un même secteur. Ce total donne lieu à une note globale de difficulté pour chaque domaine concerné. Les différents scores sont ensuite sommés pour déterminer une note générale de difficulté.
31 L’échantillon retenu couvre l’ensemble de la Région Picardie. Dans chaque établissement il a été procédé au tirage aléatoire d’une classe, puis d’élèves dans chaque classe. Soit huit établissements par département et 24 établissements sur l’ensemble de la région. Les résultats aux différentes épreuves ont été quantifiés par transformation des données qualitatives en données quantitatives. Le nombre de sujets a été déterminé par la technique du « double échantillonnage », en retenant un nombre suffisant de sujets par variable et modalité afin de dégager des représentations de l’ensemble de la population et des représentations partielles. L’échantillon de travail, après « nettoyage des fichiers » est de 625 élèves. Les scores obtenus donnent lieu à une analyse de variance classique permettant d’évaluer les effets des différentes variables sur les scores relevés. Le nombre d’items n’étant pas le même dans chacune des trois dimensions concernées, la comparaison par secteur a nécessité de pondérer les notes (multiplié par trois pour la dimension à deux items et multiplié par deux pour la dimension à trois items). Outre cette analyse, il s’est également agi de repérer dans quelle mesure le niveau de difficulté perçue était lié aux résultats obtenus dans les autres épreuves par le biais d’une analyse factorielle en répartissant les notes en trois catégories (en dessous, dans et au-dessus de la moyenne) en fonction de leur position par rapport à la moyenne.
Grille d’analyse
32 L’épreuve de jugement moral vise à établir des catégories d’indicateurs du niveau de ce développement. Ces catégories sont réalisées selon deux critères :
33 La décentration du jugement, de l’intérêt pour soi à l’intérêt pour autrui, avec une tendance vers des catégories de justice (respect, égalité, justice, droit…) et une tendance vers des valeurs relationnelles (amour, amitié, solidarité…).
34 Une conceptualisation de ces valeurs, c’est-à-dire, le degré de généralisation des jugements exprimés (plus ou moins rationnels) : intérêt pour la formalisation sous forme d’exemple personnel ; sous forme de règle ; sous forme de principes…
35 La codification vise à passer de données qualitatives à des données numériques en vue du traitement statistique. Ainsi, la variable situation, comporte trois caractéristiques exclusives les unes des autres (voir annexe) : la distribution de la parole (1) ; le carreau cassé (2) ; le chien du voisin maltraité (3).
36 Compte tenu des dimensions que nous avons retenues pour éprouver le niveau d’élaboration de la conscience morale des enfants (ou développement du jugement moral), chacune de ces modalités implique des réponses qualitatives de trois types : le jugement ; les propositions d’action ; les justifications apportées.
37 Selon la théorie de Kohlberg, l’autonomie se développe progressivement avec l’âge. Les valeurs des modalités ont donc été hiérarchisées et regroupées de la plus hétéronome à la plus autonome en leur attribuant à chacune une valeur numérique (de 1 à 4). Soit donc la répartition suivante (Tableau 1 p. 161) avec la description qualitative des valeurs de modalité correspondant à la valeur numérique.
Résultats
38 Nous présentons dans une première partie les résultats globaux des deux épreuves « Jugement moral », questionnaire. Dans une seconde partie, nous croisons les résultats à ces deux épreuves.
Résultats globaux
39 Le développement du jugement moral débute à cet âge. Les domaines d’activité concernés traduisent le niveau de développement du jugement moral, le degré d’élaboration cognitive et la prise en compte autonome des dimensions sociale, affective et institutionnelle (législative) par le sujet, dans les trois domaines d’activité que sont le jugement, l’action et la justification.
40 Trois situations de dilemmes sont proposées, les réponses sont classées (Tableau 2 p. 162). La note obtenue par le sujet permet d’envisager son niveau d’autonomie par rapport au jugement d’autrui (adultes ou pairs).
41 Il apparaît à la lecture du tableau 2 que pour la population (n = 625) de notre échantillon, un quart présente un score global de développement du jugement moral supérieur à la moyenne du groupe, les réponses en termes d’action constituant la part la plus importante, l’expression du jugement porté sur la situation étant la part la moins importante. Les notes moyennes relatives à la dimension proposition d’action ou à la justification sont proches ou en dessous de la moyenne possible (6,840 ou 5,957). Elles traduisent un niveau de conceptualisation moyen et un degré de développement du jugement moral encore hétéronome, correspondant au stade pré-conventionnel. Un quart à un tiers des élèves (21 % pour le jugement, 31 % pour l’action, et 25 % pour les justifications) donne des réponses permettant de les placer au stade conventionnel avec quelques réponses présentant une certaine élaboration. Alors que 33 % des justifications sont d’un niveau très fruste, correspondant à un stade pré-conventionnel. Comment se répartissent les sujets si l’on tient compte du sexe ou de l’âge ?
Niveau de développement du jugement moral ; description des valeurs numériques attribuées aux modalités des variables.Niveau de développement du jugement moral ; description des valeurs numériques attribuées aux modalités des variables.
Modalité | Valeur | Illustration |
Le jugement | 1 : Jugement imprécis (qui fait appel à une norme non définie) | « c’est bien », « pas bien », « c’est mal » |
2 : Jugement affectif | « c’est gentil », « méchant » | |
3 : Jugement faisant appel à une valeur | « juste », « honnête », « responsable », « courageux » | |
Les propositions d’action | 1 : Action avec recours à l’autorité | « je vais le dire au maître », « pas le droit. » |
2 : Action avec centration sur soi ; intérêt affectif | « je ne vais rien faire, ça ne m’intéresse pas », « j’achète pour » | |
3 : Action avec recherche d’un compromis | « je vais lui parler », « je vais les séparer » | |
4 : Action avec recours à démarche institutionnelle ou démocratique, respect de la loi | « je vais en parler avec les autres enfants pour trouver une solution » | |
Les justifications apportées |
1 : Justification tautologique (qui fait appel à une
norme apprise par cœur mais pas forcément analysée et consciente) Justification faisant appel à l’autorité de l’adulte Justification instrumentale (profit personnel) |
« il ne faut pas faire ceci parce que c’est pas bien » « parce qu’il va prendre une punition », « le maître va lui crier dessus », « n’a pas le droit » « parce que si jamais lui aussi a besoin de leur aide, ils vont rien lui apporter » « parce que c’est pas ses affaires » « parce que s’il va les séparer il va prendre un coup » |
2 : Justification faisant appel à l’autorité du groupe de pairs | « parce que ses camarades vont lui crier dessus » | |
3 : Justification faisant appel à l’affectif, aux raisons profondes, à l’altruisme | « parce que ses camarades seront tristes », « parce qu’il faut penser aussi aux autres » ; « parce qu’il ne l’a pas fait exprès » | |
4 : Justification faisant appel aux notions de justice, respect ou égalité ou Justification faisant appel à une loi généralisée |
« parce que ce n’est pas juste », « parce que tout le groupe est responsable », « fidèle à ses copines » « parce qu’une action juste c’est » « parce que tous les enfants ont droit à la parole » « parce que tout le monde est égal » « parce qu’on doit respecter les autres » |
Niveau de développement du jugement moral ; description des valeurs numériques attribuées aux modalités des variables.Niveau de développement du jugement moral ; description des valeurs numériques attribuées aux modalités des variables.
Effet de l’âge
42 À l’exception de la dimension justification, les scores relevés dans chacune des dimensions diffèrent significativement selon les âges concernés (p < 10). On observe des écarts significativement plus importants essentiellement pour la dimension proposition d’action entre la GS [3] et le CE2 (0,00005 à p < .01) et entre CP et CE2 (0,00003 à p < .01). Puis on relève des écarts significatifs entre le CE2 et la 6e (0,016 p < .01). Dans les deux cas, les scores les plus élevés sont en faveur des plus âgés. Dans le détail, l’écart entre les moyennes globales concernant le CP et le CE est significatif et encore plus entre CP et CM. L’écart est également significatif pour l’action entre la GS et les autres classes. L’écart entre les moyennes concernant la dimension jugement est significatif entre le CP et les classes de CM et 6e.
Répartition des sujets et scores par rapport à la moyenne. Les 3 situations de dilemmeRépartition des sujets et scores par rapport à la moyenne. Les 3 situations de dilemme
Jugement 2 items * | Action 3 items | Justification 3 items | Global 8 items | |
Note maxi | 6 | 12 | 12 | 30 |
Moyenne | 4,058 | 6,840 | 5,957 | 16,859 |
Écart type | 0.855 | 1,767 | 2,491 | 3,314 |
Scores < à la moyenne | 100 | 140 | 207 | 245 |
Scores dans la moyenne | 424 | 324 | 293 | 231 |
Scores > à la moyenne | 135 | 196 | 160 | 183 |
Répartition des sujets et scores par rapport à la moyenne. Les 3 situations de dilemmeRépartition des sujets et scores par rapport à la moyenne. Les 3 situations de dilemme
(*) : Il n’est pas demandé de jugement à la situation 3.
43 En conclusion de cette analyse globale des scores du développement moral, nous retiendrons l’augmentation avec l’âge du niveau de l’élaboration du jugement moral, dans toutes les dimensions (Jugement, Action et Justification). Nous notons trois paliers constitués pour le premier de la GS (touchant principalement l’action), pour le second, du CP concernant le jugement et l’action et enfin le dernier palier concerne les classes du CE2 à la 6e et touche le jugement et l’action.
44 Ces résultats tendent à confirmer les conceptions théoriques de Piaget et Kohlberg relativement aux âges de notre population : pour le jugement la majorité est autour de la moyenne et tendrait à donner une réponse conformiste par rapport aux positions des adultes ; pour l’action et la justification les scores autour de la moyenne sont également les plus nombreux, mais avec des scores inférieurs à la moyenne pour les justifications, traduisant une réflexion morale pauvre et hétéronome.
Le vécu des difficultés
45 L’analyse globale du questionnaire montre différents effets. Celui du sexe se traduit principalement en terme de niveau de difficultés ressenties plus élevé chez les garçons que chez les filles quel que soit le type d’espace concerné (classe, cour, chemin de l’école, maison).
46 L’âge exerce un effet dans toutes les composantes de la perception des difficultés. Une opposition existe entre la maternelle et les autres niveaux. Dans tous les types d’espace, le niveau de difficultés ressenties devient moins important avec l’âge.
Résultats en fonction de variables de situation (annexe).
47 Les résultats globaux nous invitent à étudier l’effet des variables sexe et âge sur le développement du jugement moral et le sentiment de difficulté relatif à certaines situations faisant intervenir des facteurs de contexte scolaire. La situation 1 (S1) de l’épreuve de jugement moral met en jeu des amies et d’autres camarades dans la salle de classe, les caractéristiques attachées à cette situation sont : la relation avec le groupe de pairs, la capacité à traiter les situations avec justice et impartialité, l’amitié et sa place dans la prise de décision, la modalité école de la variable espace. La situation 2 (S2) présente les caractéristiques suivantes : l’influence du groupe de pairs, l’amitié, la responsabilité (de ses actes), la modalité chemin de l’école pour la variable espace. La situation 3 (S3) présente les caractéristiques de justice, le rapport à la loi, la connaissance des institutions, et la modalité à la maison de la variable espace.
48 Compte tenu des résultats généraux, nous étudions pour chaque situation les réponses des élèves sur les dimensions « proposition d’action » et « justification ».
Situation 1 : « la distribution de la parole » (S1)
49 Pour la dimension action, nous notons un effet significatif de la variable classe et donc de l’âge (histogramme 1 p. 164), et aucun effet de la variable sexe (p = 0,00011). La valeur amitié (influence des amies) détermine les décisions, c’est une position hétéronome.
50 La moyenne pour les enfants de la maternelle au CE2 (autour de M = 2) réfère à la valeur : « avec centration sur soi ; intérêt affectif ». Ce résultat n’est pas surprenant à cet âge. Pour les enfants de CM, la moyenne autour de 1,8 et pour les 6e à 1,7, a tendance à se rapprocher de la valeur 1 « Action avec recours à l’autorité de l’adulte ». Cette valeur est beaucoup plus surprenante à cet âge et traduit un retour vers plus d’hétéronomie. La S1 met en jeu les pairs dans une tâche scolaire, à l’intérieur de la salle de classe. La situation scolaire induirait-elle un comportement de dépendance vis-à-vis de l’adulte ? La position de garant des règles au sein de l’institution scolaire qui est conférée aux enseignants par leur statut renforce probablement cette attitude chez les élèves plus âgés de notre échantillon.
S1, Effet de la variable classe sur la dimension action.
S1, Effet de la variable classe sur la dimension action.
« 14 » ; Moy. Moindres carrésEffet courant : F(4, 649) = 5,93358, p =, 00011
Décomposition efficace de l’hypothèse
Les barres verticales représentent les intervalles de confiance à 0,95
Légende : (GS est représenté par 1 ; CP-2 ; CE-3 ; CM-4 ; 6e-5)
51 L’analyse de l’interaction entre les variables classe et sexe, montre que l’écart entre les réponses des filles et des garçons est plus important chez les jeunes enfants (entre 5 et 7 ans), la période de latence n’est qu’à ses débuts ; alors que pour les plus grands, elle est plus installée, ce sont d’autres facteurs qui interviennent, telle la situation scolaire, le rôle des adultes et la valeur amitié.
52 Pour ce qui est des justifications, nous relevons un effet significatif de la classe et de l’interaction entre le sexe et la classe (histogramme 2 p. 165). L’affectivité, les raisons personnelles et profondes sont les caractéristiques des justifications apportées le plus souvent par les élèves de maternelle. L’importance du groupe des pairs va grandissante entre le CE2 et la 6e. On relève un pic vers l’affectif au CM du fait des réponses des filles. L’importance du groupe de pairs pour les garçons se détermine dès le CP, et aurait tendance à se conserver jusqu’en 6e.
53 Ainsi, pour l’item1 de l’épreuve dite de jugement moral, la modalité école de la variable espace semble avoir une influence sur le type de proposition d’action et les justifications présentées par les élèves. Ces réponses, renvoient à la valeur affective ou centration sur soi et à l’influence de facteurs extérieurs (groupe de pairs ou adulte) sur les décisions d’action. Cette influence est constante chez les garçons à partir du CP, alors qu’elle est plus variable chez les filles.
Situation 2 : « le carreau cassé » (S2)
54 Un effet significatif de la classe est relevé pour la dimension action.
55 Que ce soit pour les filles ou pour les garçons (histogramme3 p. 166), les courbes suivent le même tracé, qui souligne la particularité du CE2 par rapport aux autres classes. Au CE2, les enfants atteignent un niveau de développement plus autonome qu’au CP, niveau qui baisse en CM2 et 6e.
56 Les valeurs intervenant dans les réponses sont la centration sur soi, l’intérêt affectif et l’action avec la recherche d’un compromis ; ceci correspond à une autonomie plus grande dans les décisions. Le CE2 semble traduire un équilibre entre une position autonome et une position toujours un peu hétéronome. Ainsi, les possibilités d’action perçues par les élèves suivent une forme parabolique avec un sommet en CE2, correspondant au niveau d’élaboration des justifications le plus élevé pour ce groupe. Dans la partie ascendante de cette courbe, ce sentiment est légèrement plus fort chez les filles que chez les garçons, jusqu’au pic constitué par le CE2. Alors que dans la deuxième partie de la courbe, après un sentiment équivalent en CM, les garçons semblent percevoir plus de possibilité d’action en 6e que les filles. L’effet de la classe est ainsi modifié par les modalités de la variable sexe. Tout se passe comme si filles et garçons développent des possibilités d’action face aux situations difficiles de plus en plus autonomes jusqu’à 9 ans environ, avec une légère supériorité en faveur des filles. Puis ensemble, jusqu’au CM, cette autonomie diminue avec l’entrée en 6e, notons une perte d’autonomie plus importante chez les filles que chez les garçons.
S2 ; Effet de la classe et du sexe sur la dimension action
S2 ; Effet de la classe et du sexe sur la dimension action
“I2”* “I4” ; Moy. Moindres carrésEffet courant : F(4, 649) = , 70550, p =, 58835
Décomposition efficace de l’hypothèse
Les barres verticales représentent les intervalles de confiance à 0,95
57 Un effet significatif d’interaction entre les variables sexe et classe existe pour les justifications apportées aux actions proposées. Les justifications à cet âge ne traduisent pas beaucoup d’autonomie, elles renvoient essentiellement à l’autorité du groupe de pairs. Nous notons donc une baisse surprenante vers moins d’autonomie même dans une situation extrascolaire (sauf en CE2).
Situation 3 : « le chien du voisin maltraité » (S3)
58 Un effet significatif de la classe est relevé, l’effet de la variable sexe est non significatif, pour la dimension action.
59 Le niveau d’action fait essentiellement appel à l’affectif. Un écart important entre les jeunes enfants (GS et CP) et les autres est relevé. Les CE2, CM2 et 6e présentent des possibilités d’action plus orientées vers une prise en compte des différentes parties, la recherche d’un compromis plus important que pour les plus jeunes, même si l’intérêt affectif constitue la part essentielle des actions. Pour ce qui est du croisement entre le sexe et la classe, on note une inversion du développement vers l’autonomie en fonction du sexe, les filles ayant tendance à redevenir plus conventionnelles. En revanche, la progression vers l’autonomie des garçons, après une baisse en CP, ne cesse pas.
60 Aucun effet significatif de la variable sexe ou classe n’est relevé dans les justifications. Le niveau des réponses est généralement bas, renvoyant à une réponse tautologique ou à l’autorité de l’adulte, avec une très légère différence en faveur des garçons.
Discussion
61 Comme nous le postulions, nous assistons bien à un effet de l’âge sur la manière dont les élèves appréhendent les situations avec globalement une perception d’un niveau de difficulté d’autant plus élevé qu’ils sont jeunes et intellectuellement moins armés. À la suite de cette analyse, nous retenons que les critères de développement du jugement moral qui caractérisent notre population sont de nature affective, relationnelle et cognitive. Pour tous, l’affectif occupe une grande place et la relation aux camarades une grande importance. Tout se passe comme si dans le groupe de pairs on se sentait plus rassuré, ceci entraînant une diminution du sentiment de difficulté. La conception développementale et cognitive du jugement moral de Kohlberg est présente, mais l’influence du contexte sur ce développement est plus importante que ne le laisse supposer sa théorie. Cependant, de manière générale nous avons également observé un niveau très bas de conscience morale (au sens où l’entend Piaget), même si celle-ci augmente avec l’âge, parallèlement à la baisse du sentiment de difficulté. Ces observations sont à nuancer en fonction de la classe et du sexe, le sentiment de difficulté est très variable chez les filles. Il paraît nécessaire d’approfondir ces résultats et de les compléter pour mieux saisir les caractéristiques de cette complexité ; le groupe des filles constituant un ensemble particulier. La classe de CE2 et l’espace école sont des moments et lieux où se jouent de manière complexe tout à la fois l’élaboration d’une conscience morale la plus importante dans notre échantillon et dans le même temps de cette prise en compte de l’autre, la conscience du cadre institutionnel. Ceci entraîne une attitude plus conventionnelle dans les choix d’action. Les trois dimensions retenues (jugement, action, justification) paraissent tout à fait pertinentes pour rendre compte de cette complexité, de même que les différents espaces.
62 Ainsi, notre première hypothèse est partiellement vérifiée, le sentiment de difficulté se développe différemment en fonction de l’âge et du sexe. L’espace scolaire concerné (surtout l’école) a une influence sur l’attitude conventionnelle chez les plus âgés. Du fait de cette complexité notre seconde hypothèse est vérifiée de manière globale, mais avec la nécessité de distinguer l’attitude à travers les propositions d’action et le degré de conscience morale à travers la structuration rationnelle des justifications.
63 L’influence du groupe de pairs est à rapprocher des remarques de Debarbieux (2006). Il invite à ne pas négliger les prémices de la violence, sous le masque d’une bonne conscience. Ceci interroge la formation des enseignants et la stabilité de l’équipe éducative, le climat scolaire (à travers le sentiment d’appartenance collective et de justice), la qualité des relations entre adultes et élèves et entre adultes, leur capacité à avoir un dialogue et non un affrontement.
64 Dans une perspective d’aide à l’élaboration de la conscience morale, les enseignants gagneraient à travailler avec les élèves ces différents aspects. Ceci rejoint et complète les propositions faites par les auteurs précédemment cités et les préconisations didactiques faites par ailleurs (Numa-Bocage, 2009). Les enfants et les adolescents ont besoin de modèles et de points de référence pour développer des valeurs de respect mutuel. Le rôle des parents et des éducateurs est aussi fondamental, il nécessite une adéquation à chaque âge et le dialogue entre les générations. Il paraît possible de s’appuyer sur ces résultats d’analyse psychologique pour apporter aux enseignants des indicateurs fiables de l’adaptation des élèves de la région Picardie à leur environnement scolaire, en vue de les aider dans leurs missions d’enseignement et d’éducation.
65 Il s’agit pour les adultes de la communauté éducative d’étayer le sentiment d’appartenance collective en prenant en compte les remarques précédentes, en favorisant la coopération entre enfants et les prises de conscience des actes réflexes, des déclencheurs, par des techniques (autocontrôle, restructuration cognitive, résolution de problème, gestion de la colère). « Pour cela, il est nécessaire de former le personnel avec des connaissances théoriques et une formation pédagogique axée sur la réflexion sur les valeurs incarnées de l’éducation (telles que la démocratie et la coopération, l’empathie et l’estime de soi) [4]. » Une telle attitude contribuerait à développer le comportement proactif faisant avancer de concert intelligence et comportement social.
Conclusion
66 Cette étude montre que les élèves de Picardie, à la période de la latence, même s’ils n’ont pas un comportement violent, éprouvent un sentiment de difficulté et d’insécurité dans certaines situations relatives à l’école. Ce sentiment de difficulté perçu est lié entre autres au degré de développement du jugement moral. L’orientation de ce lien n’est pas établie, mais des facteurs qui y concourent ont été identifiés : l’âge, le sexe, les espaces relatifs à l’école, le niveau de conscience morale, l’influence des autres (pairs ou adulte). Ces caractéristiques n’ont pas toujours le même effet et rendent compte de la complexité des conditions d’émergence du sentiment de difficulté à l’école. Malgré cette complexité, nos résultats invitent à prendre en compte le sentiment de difficulté que l’élève peut éprouver (en tant que personne, au sens de Wallon) et à le faire de manière différenciée en fonction de l’âge et du sexe des élèves ; en cherchant à développer chez eux une attitude réflexive sur leurs actions, aidant en cela à l’élaboration cognitive à partir de situations les impliquant et ayant pour objet de réflexion une valeur morale.
67 Une telle option pédagogique conduit également la communauté éducative à s’interroger sur ses pratiques et à en changer dans certains cas. La formation des enseignants, mais aussi celle des personnels d’éducation et de direction, est probablement à compléter en prenant en compte ces résultats.
ANNEXE
Situation 1
68 Cette semaine, Sylvie est responsable de la distribution de la parole dans la classe. Or, ses camarades remarquent qu’elle a tendance à donner la parole à ses meilleures copines et à ne pas faire attention aux autres élèves qui lèvent la main.
69 Qu’est-ce que tu penses de l’action de Sylvie ? Dis pourquoi.
70 Qu’est-ce que tu penses que ses camarades doivent faire pour résoudre ce problème ? Dis aussi pourquoi.
Situation 2
71 C’est l’hiver. Quatre copains du quartier jouent dans la rue en lançant des boules de neige. L’un des enfants casse le carreau d’une voiture sans faire exprès. Le propriétaire de la voiture arrive et veut obtenir réparation. Un des quatre enfants, Mathieu, dénonce l’enfant qui a cassé le carreau. Qu’est-ce que tu penses de l’action de Mathieu ? Dis pourquoi.
72 Qu’est-ce que tu proposerais au propriétaire de la voiture si tu faisais partie de ce groupe d’enfants ?
73 Dis aussi pourquoi.
Situation 3
74 Denise aime beaucoup les animaux. Mais il y a quelques mois qu’elle s’est aperçue que le chien du voisin était attaché toute la journée en plus d’être malpropre et mal nourri. Il arrive même que ce chien soit battu par son propriétaire lorsque celui-ci est de mauvaise humeur. À chaque fois qu’elle regarde à travers la clôture elle voit que le chien a l’air encore plus misérable. Denise s’inquiète que le chien souffre et puisse mourir de si mauvais traitements.
75 Qu’est-ce que Denise doit faire à ton avis ? Dis pourquoi.
76 Qu’est-ce que Denise a le droit de faire pour sauver le chien ? Dis aussi pourquoi.
BIBLIOGRAPHIE
- Bruner Jerome S.… Car la culture donne forme à l’esprit. De la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Chêne-Bourg : Georg Eshel, 1997.
- Debarbieux Eric. Les 10 commandements contre la violence à l’école. Paris : Odile Jacob, 2008.
- Debarbieux Eric. Violence à l’école : un défi mondial ? Paris : Armand Colin, 2006.
- Debarbieux Eric. La violence en milieu scolaire. 1, États des lieux. Paris : ESF, 1999.
- Durkeim Émile. L’éducation morale. Paris : PUF, 1925.
- Fotinos Georges. « Prévention et lutte contre la violence en milieu scolaire ». Séminaire inter-académique, Lille, Strasbourg, Amiens/Fortier J-C/déc. 2000.
- Gasparini Rachel. Ordres et désordres scolaires. La discipline à l’école primaire. Paris : Grasset, 2006.
- Kohlberg Lawrence. The philosophy of Developmental stages and the idea of justice. San Francisco : Hayer and Row, 1981.
- Numa-Bocage Line. Le débat outil didactique pour le développement du jugement moral et la didactique professionnelle. Carrefours de l’éducation, n° 28, 2009, p. 37-51.
- Pagoni-Andreani Maria. Le développement socio-moral : des théories à l’éducation civique. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 1999.
- Panier-Bagat Mathilde. Le développement social et moral de l’enfant, in D. Gaonac’h et C. Golder (dir). Manuel de psychologie pour l’enseignant. Paris : Hachette éducation, 1995, p. 222-249.
- Piaget Jean. Le jugement moral chez l’enfant. Paris : PUF, 1932.
- Piaget Jean. Où va l’éducation ? Saint-Amand : Denoël Gonthier, 1979 [1948] (Bibliothèque Médiation).
- Riard Émile-Henri, Berzin Christine, Numa-Bocage Line, Moulin Jean-François et Cazenave Catherine. Situations difficiles à l’école à la période de latence. Éléments de compréhension de leur émergence et de leur développement : une étude en Picardie. Rapport pour le conseil régional de Picardie. Amiens, 2009, 141 p.
- Wallon Henri. L’évolution psychologique de l’enfant. Paris : Armand Colin, 1968, [1941].
Mots-clés éditeurs : difficulté d'apprentissage, formation des enseignants, développement cognitif, éducation morale
Date de mise en ligne : 01/08/2011
https://doi.org/10.3917/cdle.hs01.0153Notes
-
[1]
. Émile-Henri Riard (resp. scientifique), Christine Berzin, Line Numa-Bocage, Jean-William Wallet, Dominique Devismes, Jean-François Moulin (2009). Situations difficiles à la période de latence. Eléments de compréhension de leur émergence et de leur développement : une étude en Picardie. Équipe H-PIPS (université de Picardie Jules-Verne) et GRIPS-Sco. (IUFM de l’académie d’Amiens), recherche soutenue par le conseil régional de Picardie.
-
[2]
. Il s’agit des niveaux de classe : GS, Grande Section de maternelle, enfant de 5 à 6 ans ; CP, Cours préparatoire, 6-7ans ; CE, Cours élémentaire, 7-8 ou 9ans ; CM, Cours moyens, 9 -10 ou 11 ans ; 6e, Première année de collège, 11-12 ans
-
[3]
. Rappelons : GS, Grande Section de maternelle, enfant de 5 à 6 ans ; CP, Cours préparatoire, 6-7ans ; CE, Cours élémentaire, 7-8 ou 9ans ; CM, Cours moyens, 9 -10 ou 11 ans ; 6e, Première année de collège, 11-12 ans
-
[4]
. Entretien tiré du café pédagogique (octobre 2009) : Violence scolaire : « Je suis pessimiste » nous dit Eric Debarbieux. [http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/2006/ analyses_71_ViolencescolaireJesuispessimistenousditEricDebarbieux.aspx]