1 La complexité des situations d’aide, de guidance et d’accompagnement requiert, souvent pour un même élève à besoins éducatifs particuliers (EBEP), les compétences de professionnels issus de domaines divers : enseignement, travail social, médico-social, santé… L’idée d’un possible et nécessaire travail « ensemble et commun » (Dhume, 2010), dans le cadre d’interventions hétérogènes, fait alors son chemin, chez de nombreux professionnels. Sans partenariat l’inclusion scolaire serait impossible. Les institutions elles aussi ont perçu l’enjeu. La coopération et le partenariat sont évoqués à plusieurs reprises dans les prescriptions (MEN, 2005, 2013b). Comment alors rendre une inclusion scolaire plus efficace grâce au partenariat ?
2 Cet article étudie le travail partagé d’un enseignant et d’un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) conçu comme un agent de compensation. La coopération y est définie en référence à Ventoso-y-Font et Dubois-Bégué, (2014) comme l’action de participer, avec une ou plusieurs personnes, à une action commune mais pas forcément sur les mêmes objets de savoirs ni avec des objectifs communs. En appui à cette définition, nous avancerons une caractérisation du partenariat.
3 La mise en œuvre de différentes lois (2005, 2013a) sur la scolarisation a provoqué l’augmentation dans les écoles du nombre d’élèves en situation de handicap (ESH) et donc de celui des AESH. En 2014, sur les 258710 ESH scolarisés, 109100 d’entre eux étaient soutenus par un AESH (MEN, 2015).
4 Notre étude présente ici le cas de trois AESH soutenant la scolarisation de quatre élèves en situation de handicap, dans le cadre de l’enseignement scientifique fondé sur la démarche d’investigation (ESDI). Elle a pour but, d’une part de repérer les actes de soutien des AESH, en situation effective et, d’autre part de caractériser les soutiens exercés de façon concomitante par l’enseignant et l’AESH, afin de comprendre les modes de coordination de ces soutiens. Comment s’opère, en situation effective d’ESDI, le partenariat enseignant-AESH ?
5 L’étude de ces situations a impliqué l’élaboration d’une approche du partenariat sensible, non seulement à la discipline enseignée, mais aussi au type d’élèves concernés (ici des ESH). Ainsi, pour analyser la nature du soutien exercé dans le cadre de l’ESDI, notre cadre théorique est double : il articule la didactique des Sciences et les sciences cognitives. Dans un premier temps, l’architecture théorique sera présentée après un bref rappel du cadre institutionnel. Dans un second temps, les méthodes de recueil et de traitement de données seront exposées, pour procéder à l’analyse qualitative et quantitative des données recueillies et nous interroger sur le type de partenariat effectif.
Ancrage institutionnel de la dimension partenariale de l’école inclusive
6 En France, depuis la loi de 2005, l’accueil de la différence s’appuie sur le partenariat enseignant-AESH. Cette dimension est prescrite dans les textes des missions des accompagnants (Circulaire 2017), à partir de divers types d’activités, comme « la contribution à la mise en œuvre du projet personnalisé de scolarisation (PPS) », « la participation aux réunions des équipes de suivi de la scolarisation », « sous le contrôle des enseignants, ils ont vocation à favoriser l’autonomie de l’élève, sans se substituer à lui, sauf lorsque c’est nécessaire. » Ces missions sont unanimement mises en avant et considérées comme conditionnant la réussite du processus inclusif des élèves (Belmont, Vérillon, 2004 ; Benoit, 2012 ; Toullec-Théry, Brissiaud, 2012 ; Chauvot, 2012).
Ancrage théorique
L’approche du partenariat : quelques principes
7 Le partenariat est une « organisation du « travailler ensemble » (Dhume, 2010) qui « suppose des conditions de possibilité » lesquelles doivent être chaque fois recréées par discussion et par négociation. Il n’existe donc pas d’algorithme universel, mais plutôt une méthode. Nous nous sommes référées à Rabardel et Samurçay (2004, p. 179) et à leur définition de la méthode, à savoir un ensemble de conditions de possibilité, de principes qui « à la différence des règles et des procédures, […] ne garantissent pas nécessairement l’atteinte de la solution mais une fois intériorisés guident efficacement sa recherche en organisant l’activité d’une façon systématique ». Le partenariat se spécifie également comme le « minimum d’action commune négociée » (Mérini, 2004a et b) entre deux personnes au moins (ou deux organisations) pour mener un projet commun, en vue d’objectifs distincts et avec des points de vue divers (Dhume, 2004). Ainsi approché, le « travail ensemble » enseignant-AESH correspond à une situation de partenariat. À partir des travaux de Mérini (Ibid.) et de Dhume (Ibid.), nous avons décliné six principes que nous rapportons à la situation enseignant-AESH afin d’en comprendre les dimensions coopératives. Nous avons aussi listé les actions précises que pouvait recouvrer chacun des principes.
Principe 1 : faire connaître au partenaire son référentiel.
8 Il peut alors s’agir pour l’enseignant :
- d’expliciter à l’intention de l’AESH, les compétences qu’il a choisies de développer, les programmes, les objectifs et le déroulement de la séquence ainsi que les modalités d’évaluation prévues pour la classe entière,
- de rendre lisibles pour l’AESH, les objectifs de la séquence, les potentialités et difficultés de ou des ESH, consignés dans le PPS ou dans le projet aide individualisée (PAI),
- de définir ce qu’il attend de l’AESH dans une séquence précise et lors des diverses réunions de concertation.
10 Il peut aussi fournir une fiche de préparation de la séquence augmentée d’une fiche communément élaborée décrivant le travail incombant à l’AESH.
Principe 2 : prendre connaissance du référentiel des autres partenaires.
11 L’AESH peut alors expliciter, ses compétences, ses connaissances, la spécificité de son intervention et de ses objectifs.
Principe 3 : reconnaître la qualité et la complémentarité de l’autre.
12 L’AESH et l’enseignant peuvent à cet effet entretenir des liens d’interdépendance et se reconnaître comme ayant autant de valeur et de capacité à soutenir le même élève.
Principe 4 : construire par négociation un projet commun dans lequel l’atteinte des objectifs des uns permet l’atteinte des objectifs des autres.
13 Les objectifs de l’enseignant ciblent les apprentissages de tous les élèves de la classe, alors que ceux de l’AESH ciblent les apprentissages du seul ESH au sein de cette même classe. L’atteinte des objectifs de l’AESH permettrait donc l’atteinte de ceux de l’enseignant et inversement.
Principe 5 : prévoir un garant du partenariat.
14 C’est l’enseignant qui est responsable de l’apprentissage de l’ESH et qui garantit l’efficience de cette relation en s’adjoignant la coopération de l’AESH pour soutenir le même élève.
Principe 6 : rendre les relations symétriques.
15 Dans les moments de partenariat, il n’y a pas d’asymétrie dans les relations enseignant-AESH en ce sens que la professionnalité de l’un et de l’autre s’exprime en situation, chacun avec ses missions « sans prédominance du statut professionnel [de l’un sur l’autre] » (Belmont, Vérillon, 1997).
16 Ce répertoire de six principes pour le partenariat constitue le cadre d’analyse des interactions AESH-enseignant. Il permet d’identifier si le partenariat est mis en œuvre et comment.
L’approche développementale et cognitive
17 Nous avons pris appui sur des concepts issus de la psychologie cognitive (Bruner, 1983 ; Vygotski, 1997). Ainsi, il s’est agi de mieux identifier les particularités du soutien d’un élève présentant des troubles des fonctions cognitives dans ce cadre de l’enseignement des Sciences. D’une part, nous avons tenté de comprendre quelle était la prise en compte simultanée, dans les situations d’apprentissages, du contexte relationnel, interactionnel, des processus d’étayage et des processus mentaux. D’autre part, la neuropsychologie permet d’appréhender les troubles du fonctionnement cognitif et ses répercussions possibles sur les apprentissages dans un contexte d’enseignement scientifique à l’école, (Degiorgio et al., 2012 ; Mazeau, 2006 ; Plumet et al., 1998).
18 À partir de ces cadres, nous avons catégorisé les dimensions cognitives mobilisées dans une tâche, comme l’attention et la mémoire de travail, la planification de l’action, le raisonnement, l’expression langagière – orale et écrite –, les possibilités d’abstraction, la gestion de la consigne, le rythme d’apprentissage, l’autonomie ainsi que des aspects plus conatifs comme l’état émotionnel et le lien avec autrui.
L’étayage conceptuel relatif à la didactique des Sciences
19 Des recherches en didactique des Sciences (Astolfi et al., 2011 ; Boilevin et al., 2012 ; Giordan, De Vecchi, 1994 ; Martinand, 1986 ; Malkoun, 2007) identifient des nécessités d’ordre didactique pour que les élèves puissent agir en situation. Nous y puisons des indicateurs qui permettraient de penser les particularités du soutien pour un élève aux fonctions cognitives troublées lors d’apprentissages scientifiques. L’éducation scientifique fondée sur une démarche d’investigation (DI) permet en effet d’appréhender la manière dont les élèves peuvent développer une aptitude à se questionner sur des phénomènes naturels. La démarche proche de celle d’un scientifique, les amène à observer, manipuler, formuler des hypothèses, les valider ou les invalider, en se confrontant aux idées d’un collectif de pairs.
20 Cette dimension didactique a été mobilisée au cours d’une séquence d’enseignement scientifique où une attention particulière a été portée aux conceptions initiales des élèves ; aux obstacles et difficultés qu’ils rencontrent ; à l’avancée du temps didactique ; aux étapes d’une DI ainsi qu’à l’orientation de l’attention de l’ESH sur des objets de savoirs précis.
Méthodologie retenue
Le mode de recueil des données
21 Nous nous sommes intéressées à quatre élèves présentant des troubles des fonctions exécutives. Ils ont besoin d’être soutenus aux plans de l’anticipation, de la planification et de la mémoire de travail. Ces élèves développent une forte motivation pour les séances de Sciences. Ils sont chacun accompagnés en classe par un AESH (entre sept mois et deux ans d’ancienneté). Nous sommes dans des classes de cycle 3, des CM1/CM2. Les concepts complexes en sciences commencent donc à y être abordés. Le corpus recueilli concerne trois écoles primaires. Il est constitué de classes de quatre enseignants exerçant depuis une vingtaine d’années. Une particularité tient au fait qu’un AESH est présent dans la même école pour deux élèves de deux classes distinctes. Les AESH accompagnent les mêmes élèves depuis la rentrée de septembre (l’étude a lieu en mai).
22 L’éducation scientifique nécessite l’expression d’un raisonnement sur un environnement quotidien, qui met en œuvre de nombreux paramètres (le but, la consigne, les concepts abordés, le matériel à disposition, les interactions – entre pairs, avec le(s) adulte(s)…), qui exigent d’anticiper et de mettre en œuvre des manipulations concrètes et des observations, à partir desquelles sont dégagées des hypothèses, des confrontations, des vérifications et des réfutations argumentées de celles-ci. Dans cette perspective, une séquence en Sciences physiques a été élaborée par les chercheurs. L’objectif d’apprentissage est d’identifier, par l’expérimentation, des propriétés qui confèrent à l’air un caractère matériel. Cette séquence est composée de deux séances sur les différentes propriétés de l’air comme la compressibilité, les interactions entre les matières et la dilatation. La première séance s’appuie sur des manipulations de la part des élèves, il leur est donc demandé d’agir. Dans la seconde, ils observent l’enseignant en monstration et il n’y a pas de manipulation de la part des apprenants. Nous avons communiqué ce protocole aux enseignants de l’étude, deux semaines avant la mise en œuvre dans leur classe. Puis nous nous sommes entretenues avec eux une fois qu’ils ont pris connaissance du protocole, afin de répondre à leurs questions.
23 Pendant ce laps de temps, les AESH ont été informés, pendant une heure environ, des enjeux de savoirs et de connaissances relatifs à cette séquence. En prenant appui sur leurs conceptions initiales, ils ont été initiés aux notions scientifiques des propriétés de l’air puis ils ont été sensibilisés aux contenus des différentes étapes constituant une DI. La visée était d’enrichir le pouvoir d’agir des AESH concernant leur accompagnement. Ainsi, notre hypothèse était qu’une fois ces connaissances appropriées, les AESH seraient davantage en mesure d’anticiper in situ des gestes de soutien. Dans cette perspective, les connaissances ainsi acquises sont constitutives du pouvoir d’agir. Ce dernier est compris comme un ensemble d’actions possibles à visée transformative (Clot, 2017).
24 Pour étudier le caractère partenarial des interactions entre les enseignants et les AESH, nous avons construit une méthodologie de recherche composite inscrite dans une approche clinique. Elle s’intéresse donc à ce qui s’entend et s’interprète en étant au plus près des protagonistes afin de saisir leurs savoirs à peine conscientisés. Composite, car elle emprunte des outils de recueil de données pluriels que sont l’observation filmée et l’entretien semi-directif. Notre recueil de données s’établit en trois étapes distinctes :
- Enregistrement audio du temps d’initiation de chacun des trois AESH
- Enregistrement vidéo des séquences d’enseignement
- Entretien post vidéo avec chaque professionnel : enseignants, AESH
26 Le but de cette étude est de repérer et de caractériser – pour mieux les comprendre – les modes de coordination des soutiens exercés de façon concomitante par des enseignants et par des AESH.
La transcription des données au prisme d’un outil construit : le matériau de l’étude
27 Dans l’ensemble des films, des extraits sélectionnés et analysés par le chercheur, ont fait l’objet d’un entretien compréhensif (Kaufmann, 2011) avec chaque professionnel. La sélection s’est opérée à partir de deux critères : les régulations de l’AESH avec l’ESH ainsi que celles de l’enseignant avec le même ESH ; les interactions verbales et non verbales entre l’enseignant et l’AESH. Il s’est agi, de comptabiliser le nombre et le type d’actes de soutien des enseignants et des AESH selon qu’ils étaient sur les versants cognitifs ou didactiques. Les entretiens post ont permis de faire expliciter aux AESH et aux enseignants leurs choix et les buts de leurs interactions.
28 Nous avons donc combiné des techniques qualitatives et quantitatives. Le tableau suivant explicite la synthèse des marqueurs des différentes catégories retenues pour l’analyse.
Référentiel d’analyse des soutiens exercés en co-intervention
Catégories des objets d’étude | Marqueurs | |
Dimension du « travailler ensemble » |
Principe 1 : faire connaître au partenaire son référentiel. Principe 2 : prendre connaissance du référentiel des autres partenaires. Principe 3 : reconnaître la qualité et la complémentarité de l’autre. Principe 4 : construire par négociation un projet commun dans lequel l’atteinte des objectifs des uns permet l’atteinte des objectifs des autres. Principe 5 : prévoir un garant du partenariat. Principe 6 : symétriser les relations. | |
Aspects cognitifs | – l’attention – la mémoire de travail – la planification de l’action – le raisonnement – l’expression langagière – orale et écrite- | – les possibilités d’abstraction – la gestion de la consigne – le rythme d’apprentissage – l’autonomie l’état émotionnel – le lien avec autrui |
Aspects didactiques | – les conceptions initiales des élèves – les obstacles et les difficultés rencontrés par les élèves dans les situations d’enseignement-apprentissage – l’avancée du temps didactique de la séance – les étapes d’une démarche d’investigation – l’orientation, par les énoncés et l’action de l’AESH, de l’ESH sur des objets de savoirs |
Référentiel d’analyse des soutiens exercés en co-intervention
29 L’ensemble de ces constituants représente les différentes modalités du soutien des deux catégories de professionnels augmenté de la dimension partenariale. Ils sont réunis dans le tableau suivant formant ainsi le cadre d’analyse de notre étude qui représente la norme de référence auquel le matériau sera soumis.
Grille d’analyse de transcriptions selon un cadre multidisciplinaire
Matériau à analyser | Cadre d’analyse | ||||||
Contexte situationnel | Interaction | Transcription de l’extrait de séquence : ce qui est dit et ce qui est fait | Transcription entretien-post enseignant | Transcription entretien-post AESH | Dimension du « travailler ensemble » | Aspects cognitifs | Aspects didactiques |
Grille d’analyse de transcriptions selon un cadre multidisciplinaire
Résultats
30 La figure 1 présente les modalités des soutiens spécifiquement exercées au cours de la séquence d’apprentissage scientifique. Puis, il s’agit ensuite d’identifier parmi les résultats, les conditions de l’efficience d’un partenariat entre l’enseignant et l’AESH sous-tendant l’exercice de ce soutien.
Les modalités de soutien pour l’ensemble des séquences
Les modalités de soutien pour l’ensemble des séquences
31 Les grandes tendances de l’aide apportée par ces professionnels nous éclairent sur la manière dont s’agence l’ensemble des actes de soutien autant sur le plan cognitif que didactique.
32 En partie gauche du graphique, figurent les onze marqueurs du soutien cognitif. Les cinq marqueurs liés au soutien didactique sont en partie droite. D’une manière générale (pour quatorze marqueurs sur seize) les scores des différents marqueurs du soutien cognitif ou didactique générés par les AESH sont supérieurs à ceux des enseignants. Le soutien des AESH entrerait donc en résonance avec celui de l’enseignant et l’amplifierait. Ce tableau montre aussi que le nombre d’actes de soutien cognitif est supérieur au nombre d’actes de soutien didactique.
33 Les deux extraits ci-dessous exemplifient cela.
34 Extrait 1 : Dans son soutien, l’action de l’AESH porte ici sur les aspects liés au raisonnement.
35 AESH : « Et ça t’a surpris ou pas ? »
36 ESH : « Oui »
37 AESH : « Pourquoi ? »
38 ESH : « Parce que j’ai cru qu’il allait bouger dans l’aquarium quand j’ai enfoncé la bouteille ».
39 AESH : « Il bougeait pas et toi tu croyais qu’il allait faire quoi ? »
40 ESH : « Bouger, avancer ».
41 AESH : « Qu’est-ce que ça veut dire avancer ? Montre-moi le mouvement ».
42 Extrait 2 : Dans cet extrait, l’action porte sur les aspects de l’expression langagière et de l’état émotionnel.
43 AESH : « Alors j’essaye de l’encourager et lui dis « faut dire juste ce que tu penses et il faut continuer à travailler comme ça et moi je vais t’aider ».
44 Pour les enseignants étudiés, le soutien vise en priorité les aspects de l’expression langagière de l’élève, le raisonnement, l’état émotionnel et le lien avec autrui. Sur ces quatre marqueurs prédominants, les trois premiers sont communs aux AESH et aux enseignants. Les aspects les moins pris en compte, le rythme et l’autonomie sont les mêmes pour les AESH que pour les enseignants. Le nombre d’actes de soutien des enseignants, l’autonomie, l’attention et l’abstraction sont les mêmes de part et d’autre.
45 Pour le soutien didactique, part moins développée que celle du soutien cognitif, les AESH interviennent prioritairement sur l’orientation de l’attention et la prise en compte des obstacles, puis vers la planification des étapes d’une DI et la progression du temps didactique. C’est ce qu’explicite l’extrait d’une synthèse d’un entretien avec un AESH :
« Lorsque l’enseignant demande l’attention de tous pour évoquer des points à observer ou pour des mises en commun, l’AESH continue d’interagir en relation duelle avec l’ESH. Selon l’AESH, l’ESH a besoin de plus de temps pour conceptualiser, il a besoin de refaire plusieurs fois l’expérience. Et cela se fait pendant que les autres élèves continuent de dérouler le temps du savoir. Le binôme [Élève-AESH] est très souvent décalé avec un temps de retard. »
47 La priorité des formes de soutiens mises en place par les enseignants s’oriente d’abord vers la prise en compte des obstacles, puis vers les étapes d’une DI et l’orientation de l’attention de l’élève, enfin vers les conceptions initiales des élèves. Pour les marqueurs prédominants, la prise en compte des obstacles auxquels sont confrontés l’élève accompagné d’un AESH est commune aux deux catégories de personnel. Les deux marqueurs, les conceptions initiales des élèves et le temps didactique, sont les marqueurs les moins pris en compte par les enseignants et par les AESH.
48 Il est à noter que seuls, les enseignants considèrent les conceptions initiales de l’élève. Comme les AESH ne sont pas formés à la didactique, ils ignorent, par voie de conséquence, le rôle de la mobilisation des connaissances antérieures et l’intérêt de les déstabiliser, pour faire évoluer l’élève vers d’autres connaissances. De plus, ils méconnaissent comment évaluer la manière dont ces conceptions se sont transformées ou ont perduré chez les élèves.
49 L’ensemble de ces résultats laisse entrevoir que la priorité des soutiens, qu’il soit cognitif ou didactique s’accorde sur certains aspects mais leur agencement est hiérarchisé différemment selon le type de professionnels.
50 Un autre résultat est à signaler. Bien que les enseignants déclarent avant la séquence ne pas avoir prévu d’adaptation pédagogique pour les ESH, la plupart soulignent lors des entretiens post, avoir prévu pour eux une sollicitation plus fréquente à l’oral : « Je vais plus l’interroger car l’écrit c’est difficile ». Le quatrième enseignant déclare, en revanche, n’anticiper aucune adaptation : « Anna [l’AESH] est là pour le faire ».
51 En ce qui concerne la dimension partenariale, les six principes de conduite du partenariat sont éprouvés à l’aune de la relation de coopération entre les enseignants et les AESH.
52 Les principes 1 et 2 demandent à chaque professionnel de faire entendre son propre référentiel de métier et de comprendre celui de l’autre. Dans le cas de cette étude, ce point n’est pas visible. De plus, il n’est pas énoncé lors des entretiens.
53 Le principe 3 discerne l’existence de leviers pour construire une relation partenariale de valeur. Une des enseignantes interrogée reconnaît des qualités professionnelles et humaines à l’AESH qu’elle valorise in situ, c’est-à-dire qu’elle s’adresse à lui à voix haute, devant tous les élèves de la classe et pas seulement en dehors du temps dédié aux séquences d’enseignement en classe, comme le montre cet extrait : « Elle [l’enseignante] le [l’ESH] regarde dessiner et dit : "le drapeau, vas-y… et tu places la bouteille, regarde bien"… Elle repart, et en regardant l’AESH dit : "c’est bien" »
54 Lors d’entretiens post, les autres enseignants reconnaissent des qualités aux AESH mais ils leur en font peu part de manière directe.
55 Le principe 4 : une séance dans la classe de CE2 met au jour ce principe. Les deux professionnels interagissent à propos des apprentissages de l’ESH. L’AESH représente une force de propositions. Il aménage ainsi la situation in situ : en évaluant le degré de compréhension de l’ESH, il propose des adaptations de l’exercice en cours, en traçant des repères afin de compenser des besoins sur le plan de la mémoire de travail. Ce que montre ci-dessous une enseignante, lors d’une séance en Maths : « Elle [l’AESH] m’a dit "La monnaie, il [l’ESH] a beaucoup de mal, notamment le rendu de monnaie", et d’elle-même elle a dit "J’ai supprimé les centimes", je [l’enseignante] lui ai dit "Parfait, c’est ce qu’il fallait faire". »
56 Certaines de ses propositions sont reprises par l’enseignant qui les diffuse à d’autres élèves de la classe. Nous pouvons avancer que, parfois, les difficultés rencontrées par l’élève accompagné d’un AESH servent de repères à l’enseignant. Dans un effet loupe, il peut alors décider de stopper l’activité de la classe afin de reprendre et de clarifier pour tous ce qui n’a pas été compris par cet élève.
57 Le principe 5 : aucune pratique relevant de ce registre n’est détectée dans notre recueil de données. En revanche, l’enseignant, au travers de la coopération mise en œuvre avec l’AESH, endosse systématiquement la responsabilité de la garantie de l’efficience de la relation AESH-ESH. Ainsi, deux des trois AESH concernés mettent en avant qu’un travail en coopération provient uniquement de la volonté de sa mise en œuvre par l’enseignant. Lorsque ces AESH proposent à l’enseignant des temps d’échange, et que celui-ci argue de sa non nécessité et/ou du manque de temps, alors il n’y a pas de coopération possible. Une AESH le souligne : « La maîtresse a beaucoup à faire, elle n’a pas le temps de beaucoup de me parler… »
58 Le principe 6 : nous faisons ici à nouveau référence à la séquence mentionnée pour le principe 4. Celle-ci apparaît revêtir les atours d’une relation assez symétrique entre les deux adultes. Ces deux professionnels communiquent en effet entre eux de manière assurée et égale. Ils échangent des informations fines et précieuses sur la manière d’apprendre de l’élève. Chacun prend soin de tenir compte de ce que l’autre a à signifier à propos de l’élève, comme le montre cet extrait :
59 Ens : elle circule dans les rangs et passe près de la table du binôme. Elle s’adresse à l’AESH : « il a bien compris la question Daniel ? »
60 AESH : « Oui, je pense, maintenant il respecte l’ordre des actions. »
61 Ens : « Ah c’est bien, donc maintenant Daniel tu vas pouvoir dire comment on va faire. »
62 Dans les entretiens post, les AESH ont souligné que le temps d’initiation aux savoirs scientifiques leur a permis d’anticiper et de déployer davantage d’actions pour soutenir les ESH dans l’expression de leurs pensées au cours de ces différentes phases de l’activité. De même, ils indiquent que la réflexion de ces élèves a été encouragée, suscitant un développement du raisonnement en construction. Exemple : « Il [un formateur sollicité par les chercheurs pour ce temps d’information] m’a donné des informations pour que j’essaie d’expliquer un peu plus à A. et anticiper l’explication et comment le diriger pour bien comprendre l’expérience, voir l’observation et avoir un résultat… »
Discussion-conclusion
63 Le travail en partenariat n’est pas spontanément à l’œuvre dans les quatre situations étudiées : il ne va pas donc pas de soi. Dans cette étude, un seul binôme met en œuvre des potentialités propres à une démarche partenariale enseignant-AESH visant le développement de l’autonomie d’un ESH. Cette démarche est donc possible en éducation scientifique mais ne peut être laissée au bon vouloir ou au « bon pouvoir » des professionnels car elle en serait aussitôt fragilisée. Elle nécessite une socialisation de son apprentissage par le biais d’actions spécifiques, intégrant des formations, au partenariat, aux processus cognitifs et didactiques dont quelques pistes sont proposées ci-dessous.
Piste 1 – Les buts de la formation à destination d’AESH
- Accentuer la sensibilisation aux situations d’enseignement scientifique. Quelles que soient les répercussions de son trouble sur les apprentissages, l’ESH doit bénéficier d’une éducation scientifique. Et le rôle de l’AESH est de participer à la mise en œuvre d’adaptations répondant aux besoins identifiés. Des moments de formation pourraient être dédiés à une approche didactique centrée sur les enjeux d’apprentissage visés pour l’ESH et sur l’explicitation des démarches pédagogiques adaptées.
- Se préoccuper communément de la gestion du temps didactique. En effet, les AESH en tant que non professionnels de l’enseignement, exercent un soutien qui tend à « empêcher l’élève de s’insérer dans le temps didactique de la classe » (Toullec-Théry, Brissiaud, 2012, p. 150).
- Apprendre à questionner les élèves et à s’appuyer sur les réponses fournies pour réajuster les formes d’adaptation (Mencacci, 2014).
Piste 2 – La formation au partenariat
65 L’objectif est de conduire à une coopération au service de la réussite scolaire. Des sessions réunissant enseignants et AESH s’organiseraient afin que chacun perçoive que « le besoin éducatif [soit considéré] non comme intrinsèque à l’élève en difficulté mais comme mis en partage par chaque acteur – parents, professionnels divers, élèves – » (Ebersold, Detraux, 2013, p. 102). Il serait alors possible :
- de visionner et d’analyser conjointement des données vidéoscopées de pratiques ;
- de faire repérer des indicateurs de soutien efficients lors de temps d’analyse ;
- de montrer ensuite que ces gestes d’ajustements et ces interactions régulatrices qui sont des gestes de métier sont indispensables pour organiser un accompagnement de ce public spécifique ;
- ces analyses de pratiques, permettraient à partir des questions posées, de formaliser et d’interpréter les actions coopératives des professionnels en situation (Mencacci, 2014, 2016). De même des réflexions pourraient émerger afin de construire et de créer une relation de partenariat permettant à chaque élève « autrement capables » (Plaisance, 2009) un parcours de réussite individualisée.
67 Placer les AESH et les enseignants dans une perspective partenariale au service des ESH qui reconnait la qualité et la complémentarité de chacun, la différence de leurs missions et de leurs objectifs, la richesse de la négociation, est une voie prometteuse pour l’école de la différence au sein de laquelle l’école de tous doit tendre vers l’école pour tous.
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Mots-clés éditeurs : accompagnant d’élèves en situation de handicap, éducation scientifique, dispositif de formation, scolarisation des élèves en situation de handicap, partenariat
Date de mise en ligne : 21/06/2019
https://doi.org/10.3917/cdle.047.0127