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Article de revue

Pour une philosophie normative de la vie scolaire

Pages 90 à 106

Notes

  • [1]
    Certains chercheurs considèrent d’ailleurs que sont désormais entrés en tension deux types de « sociabilité » : la sociabilité adulte et la sociabilité adolescente (Barrère et Martuccelli, 2000). Nous le verrons dans la suite du propos, mais il y a beaucoup de problématiques en jeu actuellement.
  • [2]
    Le Surgé était déjà au cœur des relations : « [au sujet du Surgé] Ce qui rend son métier délicat, c’est qu’il se trouve au carrefour : élèves, familles, surveillants, professeurs, médecins, intendant, censeur, proviseur » (Dumont et Lagarrigue, 1962, p. 59).
  • [3]
    « Faire tourner le lycée, en dépit de tout ce qu’un sort malin jette dans l’engrenage : difficultés de locaux, pénurie de maîtres, maladies de professeurs, etc. » (Dumont et Lagarrigue, 1962, p. 59).
  • [4]
    Cf. loi du 8 juillet 2013.
  • [5]
    La circulaire n° 2015-139 du 10 août 2015 relative aux missions du CPE rappelle, d’une part, la mission première de l’École (« qui est d’instruire et d’éduquer afin de conduire l’ensemble des élèves à la réussite scolaire et à l’insertion professionnelle et sociale et de leur faire partager les valeurs de la République ») et, d’autre part, la responsabilité générale des CPE dans la cadre général de la vie scolaire (« placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelles et collectives, de réussite scolaire et d’épanouissement personnel »).
  • [6]
    Il ressort par exemple d’une étude co-signée par Gentil et Alluin (1996) portant sur la fonction du CPE et du CE, que 17 tâches différentes sont réalisées par les CPE en une même journée, ce qui renvoie à 77 items différents (cité par Condette, 2013, p. 121-122).
  • [7]
    Le processus de professionnalisation plurielle des CPE fut engagé avec la création des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres en 1991. La formation qui comprenait une préparation au concours, se composait de quatre domaines disciplinaires (histoire, sociologie, psychologie et philosophie de l’éducation), ainsi que des contenus au sujet de la connaissance du fonctionnement des établissements scolaires (en France et à l’étranger) et sur l’approche pratique des situations éducatives à partir d’analyse de cas et des stages effectués (Condette, 2013, p. 123).
  • [8]
    Dans son texte, Moreau évoque les enseignants débutants, nous élargissons les remarques évoquées aux différents professionnels de l’éducation scolaire.
  • [9]
    Nous évoquons ici le désir de s’autogouverner des différentes professions en jeu mais également la manière dont la démocratie comme valeur a pénétré l’espace scolaire à tous les niveaux.
  • [10]
    Selon nous, la vie scolaire n’est pas une chose en soi et ne constitue pas un invariant dans l’histoire de l’espace scolaire. Nous estimons au contraire qu’il y a plusieurs expériences historiques de vie dans l’école, et dont une des formes récentes est la vie scolaire.
  • [11]
    Les attentes sociales d’après-guerre, le développement de l’enseignement technique et des théories de l’éducation populaire « vont offrir une place particulière à l’animation socioculturelle et donner vie au concept de vie scolaire » (Tschirhart, 2013, p. 96).
  • [12]
    En 1966-1967, le pourcentage d’internes est de 28 % dans les CET (cité par Tschirhart, 2013, p. 97).
  • [13]
    Si la prise en charge des loisirs de la jeunesse a bien commencé à la fin du XIXe siècle, ce moment des années 1950-1960 montre l’influence d’un contexte marquée par les activités postscolaires, les centres de vacances et les congés payés dans lequel on peut saisir la sensibilité des Surveillants généraux envers ce mouvement hétérogène de l’éducation populaire allant de pair avec le désir d’une évolution de la fonction.
  • [14]
    Il nous semble important de saisir à la fois ces deux tensions (histoire de l’encadrement et histoire des revendications des élèves) et la conjoncture à partir de laquelle un nouvel équilibre a pu se maintenir dans l’acceptation par tous de l’idée de vie scolaire à la fin du XXe siècle.
  • [15]
    On peut également évoquer des manifestations de contestation et de refus particulièrement problématiques.
  • [16]
    Nous faisons référence à la nouvelle convention des droits de l’enfant (reconnaissant dorénavant des droits-libertés à l’enfant) et la loi d’orientation de 1989 instaurant les élèves et leurs parents comme usagers au centre du système éducatif.
  • [17]
    Notamment les relations entre enseignants et élèves et la culture scolaire.
  • [18]
    Nous faisons référence à la manière dont la fonction de délégué peut être vécue par les élèves ou encore à la manière dont les lycéens perçoivent la question de la liberté d’expression.
  • [19]
    Au sujet des associations socio-culturelles, Soussan parlait en 1988 de « cheval de Troie à la vie extra-scolaire pour entrer dans l’école » (1988, p. 41).
  • [20]
    Lorsque les enfants viennent au monde, ils prennent place dans un monde qui leur préexiste, dans lequel s’inscrivent les adultes et dont ces derniers sont responsables.
  • [21]
    « Dans la stricte mesure où l’éduqué apprend par son éducation à prendre soin de lui-même – et par la même occasion des autres – en prenant soin du monde, cette politique du soin des objets de savoirs qui lui sont transmis, savoirs par lesquels il peut et doit prendre soin du monde, cette politique du soin qu’est l’éducation nationale, apportée à l’esprit de la population par l’État devenu laïc, à travers une instruction publique, gratuite et obligatoire par là où la population forme un peuple, et non seulement une population, cette politique du soin par l’instruction qui deviendra au XXe siècle, comme éducation nationale, enseignement supérieur et politique de recherche, le pilier de la société moderne démocratique et industrielle, constitue un méta-soin qui, si l’on peut dire, conditionne dans la société moderne le soin au sens fort – comme passage à l’acte noétique politiquement et économiquement organisé » (Stiegler, 2008b, p. 318-319).
  • [22]
    Pour Stiegler, ces phénomènes résulteraient des noces entre politique culturelle et développement des entreprises audio-visuelles.
  • [23]
    « Un logiciel éducatif peut comporter les arborescences les plus sophistiquées, et répondre de manière pertinente à toutes sortes d’initiatives de l’« apprenant ». Pourtant, il n’existe pas et il n’existera jamais de professeur virtuel – pas plus, serait-on tenté de dire, que de parent virtuel » (Kambouchner, 2013, p. 18).
  • [24]
    « Cette destruction de l’attention est une désindividuation, et c’est à la lettre une dé-formation : c’est une destruction de cette formation de l’individu en quoi consiste l’éducation. Le travail de formation de l’attention assuré par la famille, l’école, et par l’ensemble des établissements d’enseignement, des institutions culturelles et tous les appareils de la “valeur esprit”, à commencer par l’appareil académique, y est systématiquement défait en vue de produire un consommateur dénué de capacité d’autonomie aussi bien morale que cognitive qu’est la conscience comme libre arbitre – sans laquelle il n’y a pas de science autre que ruineuse » (Stiegler, 2008b, p. 327).
  • [25]
    Comme l’explique régulièrement Stiegler, le pharmakon est à la fois le poison et le remède.
  • [26]
    « Être cultivé […], c’est faire des liens, construire des relations, ménager des passages entre les différents registres », « être cultivé c’est pouvoir naviguer d’un registre à l’autre, d’un genre à l’autre, d’une œuvre aux autres en tissant des correspondances » (Fabre, 2010, p. 175-176).
  • [27]
    « Nous tous, lorsque nous consultons une notice de médicament, trouvons normal de lire que telle molécule qui soigne un adulte peut être nocive pour un enfant de trois ans, et nous tous nous respectons une telle prescription. Nous savons qu’un pharmakon suppose des prescriptions, qui supposent elles-mêmes un système de soin, c’est-à-dire une thérapeutique » (Stiegler, 2008b, p. 167).
  • [28]
    « Bien sûr, l’école est un lieu de vie, si l’on n’entend pas là un lieu où les jeunes passent en moyenne un quart de leur temps ; mais elle est avant tout un lieu très spécifique où l’on est réuni pour apprendre. L’insistance sur cette malheureuse expression conduit à masquer la grande spécificité de ce “lieu de vie” qu’est l’école » (Blais, Gauchet, et al., 2002, p. 279).
  • [29]
    Pour le doyen de l’inspection générale de la Vie scolaire en 1985, la vie scolaire, « c’est tout ce qui se passe dans l’établissement, sauf ce qui se passe dans la classe dans l’établissement quand il y a transmission des connaissances » (Soussan, 1988, p. 41).
  • [30]
    En l’occurrence : le domaine d’actions des conseillers d’éducation inspectés par des personnes spécifiques (à savoir : l’inspection générale de la Vie scolaire).
  • [31]
    Nous ne parlons pas ici de développement durable ou de comportements écologiques mais de rapport au milieu et d’écologie corporelle (Andrieu et Sirost, 2014).
  • [32]
    Le devoir d’hospitalité, « premier devoir au plan chronologique et au plan ontologique » (Prairat, 2013b, p. 131), sous-entend dans une optique arendtienne que tout éducateur accueille les nouveaux-venus en rendant possible la continuité du monde au fur et à mesure des différentes vagues de nouveaux-venus. Le devoir de sollicitude signifie que le nouveau-venu nécessite, de la part de l’éducateur, une protection sociale provisoire du fait de sa vulnérabilité. Enfin, le devoir de confiance implique, dans le cadre du processus éducatif, que l’éducateur soit digne de confiance et fasse confiance.
  • [33]
    Rappelons-nous la célèbre formulation de Decroly (1871-1932) : l’école et l’éducation par la vie et pour la vie.
  • [34]
    Idée 1 : une vie dans l’école épanouissante, créatrice ; Idée 2 : la vie scolaire comme conditions de possibilité de la transmission et de l’apprentissage. Rien n’empêche d’ailleurs que l’Idée 2 ne s’appuie sur certaines propositions de l’Idée 1 que les pédagogues historiques ou certaines personnes ordinaires auraient déjà commencées à baliser et à expérimenter.
  • [35]
    La circulaire n° 2015-139 précédemment évoquée rappelle que le CPE organise « l’espace scolaire et la gestion du temps au sein de l’externat, de la demi-pension et de l’internat », mais qu’il peut également exercer « un rôle de conseil auprès de l’adjoint gestionnaire de l’établissement sur l’organisation des lieux de restauration, d’hébergement pour les internats, de travail et de détente qui contribue au bien-être et à la qualité de vie des élèves ». Ce rôle de conseil, voire de ressources, est-il réellement possible à partir de leur formation ? Quelles connaissances permettraient au CPE d’exercer un rôle de conseil sur ces questions et thématiques ?

1 Les études menées sur la vie scolaire ne sont pas récentes (Soussan, 1988) mais la conjoncture actuelle rend nécessaire de poser certaines questions dans un contexte délimité. Les établissements du second degré enregistrent fortement les secousses affectant la société actuelle, ce qui pose la question des conditions de l’exercice éducatif [1]. La vie scolaire est devenue une question de tout premier ordre dans les débats éducatifs actuels. Nous souhaitons réfléchir à l’action de celui qui, dans les collèges et lycées, se trouve au cœur de la vie scolaire : le Conseiller principal d’éducation (CPE) [2]. Les Surveillants Généraux, s’ils avaient une fonction éducative, étaient surtout chargés d’assurer la discipline et de “faire tourner” la machine scolaire [3]. C’est de la longue histoire d’un métier d’encadrement aux qualités professionnelles spécifiques mais complexes que les missions et la fonction de CPE n’ont eu de cesse de se démarquer depuis une quarantaine d’années (Vitali, 1997). À l’heure de la refondation de l’école [4], nous interrogerons cette question de la vie scolaire avec le souci de comprendre les enjeux actuels pour un néo-CPE [5].

CARTOGRAPHIE DU QUOTIDIEN DU CPE

2 Un texte statutaire datant du 17 novembre 1965 reconnaissait au Surveillant Général une fonction d’organisateur et d’animateur chargé de favoriser la communication et les relations (Tschirhart, 2013, p. 99), et c’est en 1970 que le statut de Conseiller d’Éducation se substitua au statut de Surveillant Général (Verneuil, Savoie, 2013, p. 9). Dorénavant, le CPE est associé à la question de la vie scolaire. Mais, forcé d’occuper le terrain et d’apparaître partout, en étant condamné à travailler dans l’urgence, le CPE ne prend-il pas le risque de n’être nulle part ?

Premier constat : les CPE et l’urgence perpétuelle

3 Le CPE évolue dans une « tyrannie de l’urgence » (Condette, 2013, p. 121). Il doit prendre en charge un élève qui vient d’être exclu d’un cours, gérer les desiderata des surveillants et d’éventuels désaccords entre eux, s’occuper des relations avec les familles, répondre aux différentes sollicitations. Tout cela place le CPE en situation de devoir prendre des décisions et agir sans avoir le temps de la prise de distance et du recul. Mais aussi, cela lui demande d’être sans cesse en mouvement dans l’enceinte scolaire. Le métier apparaît alors nécessairement complexe [6].

4 Par ailleurs, le CPE se confronte aux grandes questions actuelles dans le champ éducatif (violences à l’école, problèmes de santé, accueil d’une hétérogénéité des publics scolaires récemment redéfinie par la question de l’inclusion scolaire, ouverture au numérique, etc.). Chacune de ces questions peut interpeller le CPE et exiger de lui une réflexion ou une décision. Condette en vient à poser une question très importante : dans l’établissement scolaire, le CPE occupe-t-il une « position marginale ou centrale » ? (ibid., p. 121). Si le CPE est au centre de tous les enjeux de l’établissement scolaire et occupe un rôle « pivotal », on pourrait aussi bien considérer que la position du CPE est « marginale » au sens où il s’occupe des marges de l’institution, ne participant pas directement à l’enjeu le plus noble : la transmission des savoirs, qui relève de la responsabilité exclusive des enseignants. Dès lors la notion floue de vie scolaire ne forme pas une unité où seraient reliés tous les aspects de ce que font et vivent les élèves au collège et au lycée.

Deuxième constat : les obstacles du travail partenarial et coopératif

5 Agnès van Zanten a produit récemment un travail complet sur L’école de la périphérie (2012/2001). À plusieurs reprises, c’est une coopération biaisée qui apparaît entre CPE et enseignants. Un point est notamment significatif de ce hiatus : demander de l’aide au CPE lorsque surgissent des problèmes dits de discipline est parfois vécu comme un aveu d’incompétence de la part de certains enseignants (van Zanten, 2012, p. 177).

6 Lorsque les enseignants reconnaissent avoir coopéré avec le CPE, c’est seulement dans des cas très spécifiques liés aux problèmes rencontrés en classe. Si on peut alors s’interroger sur la véritable dimension coopérative d’une telle collaboration, cela fait également émerger d’une part la question de la division du travail (où apparaît une séparation entre discipline et éducation), mais d’autre part le fait que la place occupée par le CPE aux côtés de la direction de l’établissement est parfois mal perçue par certains enseignants. Nous sommes en présence de l’enjeu problématique de la construction progressive d’une nouvelle professionnalité pour le CPE [7], dans laquelle la fonction éducative reste pour le moment incertaine.

Enjeu immédiat : une formation à l’éthique appliquée ?

7 Dans ce contexte, il est évident que l’exercice de l’autorité éducative du CPE est instable et problématique. Ainsi, le débutant

8

« ne peut en aucun cas anticiper l’extrême diversité des questions éthiques que sa fonction d’acteur professionnel lui fera rencontrer, avec les élèves, les parents, les collègues, et tout partenaire qu’il sera amené à rencontrer. Il réalise alors que cette dimension humaine de sa profession revendique une éthique qui dépasse toute déontologie formelle possible »
Moreau, 2009, p. 368 [8]

9 Partant du principe que, de facto, le CPE néophyte prend place dans un jeu perturbé, nous estimons qu’il doit être préparé à gérer ces tensions en attendant qu’un autre jeu soit mis en place.

10 Du coup, nous suivons Moreau lorsqu’il suggère de privilégier, dans la réflexion sur les questions éducatives, la notion de position d’agent moral, en la distinguant des approches relatives à ce que l’on appelle les représentations et postures professionnelles. Que signifie cette idée d’agent moral ? Elle consiste pour Moreau en un devenir, au cours duquel l’agent apprend à prendre position relativement à ce que Dewey appellerait ses fins-en-vues dans un contexte précis, c’est-à-dire quant à la fin éthique poursuivie en situation : « face aux problèmes, l’éthique appliquée propose une démarche cohérente dont la mise en œuvre commence par une analyse explicative des dilemmes, conflits et collisions de principes et qui, posant l’hypothèse d’une décision concevable, évalue le prix à payer qui en résultera » (ibid., p. 368). Le gain principal d’une telle formation à l’éthique appliquée serait de pouvoir rapporter chaque situation problématique à une catégorie de problèmes, et ce faisant d’être en mesure d’aborder de façon pertinente ladite situation. La formation viserait à faire adopter, par le CPE, une perspective critique acquise dans le cadre d’une « alternance entre la formation universitaire et l’action pédagogique concrète » (ibid., p. 372).

11 Le pari d’une telle formation serait d’offrir aux CPE une autonomie professionnelle plus importante dans leurs décisions d’action. Il faut certes reconnaître que les contenus de formation ont évolué depuis 2009 et que la dimension éthique elle-même a été (ré) affirmée. Cependant, la compétence « agir en fonctionnaire de l’État de façon éthique et responsable » reste pour beaucoup obscure et à clarifier. La valeur de cette autonomie est proportionnelle à l’attente toujours plus forte de démocratie dans l’institution éducative [9]. Une telle autonomie ne peut être acquise par la simple application d’un catalogue de “bonnes pratiques” établies par des “experts” : cela serait au contraire une stagnation dans les approches prescriptives du métier. Si cette proposition jouit d’un intérêt pragmatique, elle manque d’ambition car elle n’envisagerait pas les différentes tensions en jeu (entre discipline et éducation, entre éducation et enseignement) et surtout les problèmes de fond.

LECTURES PHILOSOPHIQUES DES PROBLÈMES POLITIQUES DE LA VIE SCOLAIRE

12 L’École n’est pas ni sans Dehors, ni sans utopie, et, en son sein, la vie scolaire n’est que peu questionnée. Comme le rappelle Kambouchner : « certains des problèmes cruciaux de l’institution scolaire d’aujourd’hui sont pour une part irréductible des problèmes philosophiques » (2013, p. 9). En marge des difficultés du quotidien, un regard historico-philosophique peut contribuer à rendre compte des problèmes de fond en jeu, et en particulier dans le passage de la surveillance disciplinaire à la vie scolaire. Nous estimons que cette évolution a induit des changements quant à la conception des normes et ces changements n’ont pas été questionnés. Nous inscrivons notre réflexion dans cet écart entre pratiques idéales et pratiques effectives. À la question de la vie scolaire envisagée de manière idéaliste, nous préférons substituer celle des problèmes de la vie scolaire effective de manière à ne pas rejeter l’idée mais à pointer les problèmes en jeu dans sa forme actuelle. Tout en affirmant paradoxalement qu’ « il y a toujours eu une vie scolaire, une vie dans l’école » (Vitali, 1997, p. 5), Vitali voit dans l’émergence de la vie scolaire « le désir d’introduire de la vie à l’école » (ibid., p. 68). Outre le fait que cette formulation est évasive [10], il ne faut pas sous-estimer le fait que la vie scolaire a permis un développement accru de certaines activités périscolaires, comme le sport et l’informatique (ibid., p. 44), dont l’omniprésence dans l’espace scolaire n’est pas sans poser quelques questions. La vie scolaire représenterait-elle alors « une des entraves les plus redoutables à l’apprentissage » (Blais, Gauchet et Ottavi, 2008, p. 251) ?

De l’encadrement à la vie scolaire

13 Récemment, un dossier de la revue Carrefours de l’éducation a envisagé d’aborder l’histoire de la vie scolaire à partir de la surveillance et de l’encadrement éducatif dans l’École (sous-maîtres, préfets de chambre, répétiteurs, surveillants, surveillant général, CPE). Il nous paraît utile de souligner que Tschirhart a magistralement rendu compte d’une histoire de la surveillance générale de 1847 à 1970, qui d’après son travail tient davantage d’« une lente évolution accompagnée de nombreuses tribulations que d’une métamorphose » (2013, p. 101). Mais, c’est bien une configuration et un contexte qui ont permis de parler de vie scolaire à divers endroits du territoire [11].

14 Dans le cadre du Collège d’enseignement technique (CET) faisant suite à la Réforme Berthoin de 1959 prolongeant la scolarité jusque 16 ans, et de la forte proportion d’internes qui le caractérise [12], le surveillant général s’occupe du temps libre de ces élèves au moyen de l’animation socio-culturelle : « les activités sont récréatives, sportives, manuelles, scientifiques, artistiques et sociales » (ibid., p. 97) [13]. Cependant, qu’il s’agisse de la circulaire de mission du 31 mai 1972 (dans laquelle l’animation est reconnue comme « mission permanente, diffuse et constante »), de la circulaire du 28 octobre 1982 (qui relie la vie scolaire aux logiques de l’établissement) ou d’autres textes législatifs (la loi d’orientation de 1989, la loi de 2005 ou encore des injonctions plus récentes du Conseil de l’Europe), c’est bien le mouvement de l’ouverture de l’espace scolaire vers son dehors et de nouveaux rapports École-Société qui ont progressivement rendu possible l’émergence d’un objet, la vie scolaire. Or, comment interpréter philosophiquement ces différents mouvements complexes à l’œuvre depuis une quarantaine d’années ?

15 On peut lire dans ce passage de la surveillance disciplinaire à la vie scolaire l’émergence de l’idée de vie dans l’école hors l’enseignement scolaire. Ce processus, à l’œuvre dans l’évolution des internats après 1945 et au sujet du temps libre dans l’école, est à rattacher à d’autres questions : la prolifération de l’égalitarisme et l’introduction du hors scolaire dans la culture scolaire. La prise de parole des lycéens dans les années 1960 a pu être interprétée dans cette double revendication : une exigence d’égalité dans les rapports humains et le souhait de voir la culture scolaire s’ouvrir à diverses activités et pratiques culturelles émergentes (Riondet, 2011). En parallèle à l’histoire de l’encadrement éducatif (les gouvernants), réside bien une histoire de la parole et des revendications des élèves (les gouvernés) [14]. Ainsi, l’espace scolaire a dû faire face aux revendications des élèves [15] (Riondet, 2011) et avec le nouveau statut accordé à l’enfant, puis à l’élève, à partir de 1989 [16]. Si l’impératif « prendre en compte la parole et les droits de l’élève » a progressivement fait évoluer l’espace scolaire [17], il a également exercé une tension dans le déploiement de l’idée de la vie scolaire.

La question du régime des normes dans le développement de la vie scolaire

16 Nombreux sont les chercheurs à avoir travaillé sur les phénomènes de violences et d’indiscipline à l’école depuis plusieurs décennies (Debarbieux, 1996 ; Prairat, 2002/2010). C’est dans ce contexte que l’éducation à la citoyenneté, dans sa version contemporaine, est apparue en de nombreuses circonstances comme un moyen de réguler le fonctionnement des établissements et de réduire par la même occasion les phénomènes de violences et d’indiscipline à l’école. Cependant, l’adéquation de la scolarité à l’impératif d’insertion socioprofessionnelle a constitué un autre élément majeur de l’évolution du système éducatif depuis quarante ans en même temps qu’une seconde tension en jeu dans l’émergence de la vie scolaire. À partir d’une approche historico-philosophique des normes inspirées par Foucault (2004), on pourrait estimer que l’un des grands changements à l’œuvre entre 1960 et 1970 a consisté à considérer que ce qui était utile était ce qui était déjà utilisé (en l’occurrence, ce qui était utilisé par les adolescents), ce qui représentait une rupture nette avec l’idée selon laquelle l’École, dans sa forme disciplinaire sanctuarisée, devait concevoir sa mission à partir de ce qui était utile pour la société, à savoir la docilité et la conformité (Riondet, 2012). Pour le dire de manière foucaldienne, l’espace scolaire évoluait au prisme grandissant de la gouvernementalité ; laquelle reposait dorénavant sur un équilibre entre intérêt individuel et intérêt collectif, entre utilité sociale et essor économique.

17 Dans l’école républicaine classique, la discipline était une dimension tellement centrale que certains praticiens l’avaient surnommée école disciplinaire ou école-caserne (Riondet, 2011). D’une certaine manière, la question des normes se donnait ici à voir dans les institutions disciplinaires comme un processus de normation. Pour l’adulte, il fallait imprimer et inscrire la norme dans le corps et dans l’âme de l’autre. Dans les analyses foucaldiennes de la gouvernementalité comme moment historique (2002), la question des normes est travaillée dans un processus de normalisation : le normal est premier et la norme s’en déduit. En conséquence, c’est à partir de l’examen des normalités que la norme se fixe et joue son rôle opératoire. Illustration possible dans notre actualité : puisque de facto de nombreux jeunes ont accès aux ordinateurs et à internet (et manipulent déjà du numérique), l’espace scolaire va s’adapter à cette nouvelle réalité déjà-là et incorporer ces nouveaux dispositifs (ordinateur, numérique, tablettes, etc.) de manière à pouvoir continuer à gouverner les enfants dans un contexte économique où les compétences numériques permettent davantage d’employabilité.

18 Il n’est donc pas inintéressant de considérer dans la mutation du Surgé en CPE un renversement de la question de la norme (de la normation à la normalisation) et qui caractériserait le champ de la vie scolaire. Alors que la surveillance disciplinaire se préoccupait des corps et des âmes en vue de préparer (avec de moins en moins de succès) l’enfant à l’entrée dans le monde des adultes, la vie scolaire, en s’adaptant à la culture juvénile, permettait d’avoir un point d’accroche pour rattacher la jeunesse à l’école tout en essayant de contribuer à la pacification et la régulation de l’établissement afin que le système éducatif s’inscrive pleinement dans des logiques assignées par ailleurs : permettre l’insertion socioprofessionnelle dans un monde néolibéral. Ainsi, il ne faudrait pas considérer que le versant socialisant à l’œuvre est indépendant du réajustement de l’école sur la question de l’emploi et de la professionnalisation et que du Surgé au CPE se joue seulement la transition de la répression à l’éducation.

CONSÉQUENCES EFFECTIVES ET PROPOSITIONS

19 La question de la vie scolaire effective nous apparaît largement surdéterminée juridiquement, sociologiquement, historiquement et économiquement, et peu investie en termes de principes philosophiques, puisqu’il en ressort deux fonctions effectives (socialiser la jeunesse et réguler les établissements), des problèmes non-objectivées, et au final peu d’étayage en lien avec une philosophie de l’éducation ambitieuse. La question de la vie scolaire se retrouve ici à la croisée d’un problème philosophique du sens de l’éducation scolaire, du problème politique de la libéralisation généralisée, et d’un problème anthropologique de mutation vers une culture de masse qui devient une culture consumériste. L’enjeu de cette partie est de saisir les conséquences concrètes du problème en jeu (négation de la singularité de l’espace scolaire) dans un contexte donné (effervescence autour du numérique et psycho-pouvoirs du marketing) et d’entr’apercevoir d’autres lignes possibles.

Conséquences sur les professionnalités

20 Cela pose en premier lieu la question des professionnalités à l’œuvre dans l’École. Les premières victimes de cette négation accélérée de l’École sont les professionnels de l’éducation scolaire eux-mêmes. L’évolution du système éducatif pose des problèmes très complexes à l’activité d’enseignement. Lieu de la présentation du monde et de ses œuvres humaines (Go, 2012), l’espace scolaire est de plus en plus connecté à une forme de néolibéralisme et assujetti à l’impératif d’insertion professionnelle. « Là où il n’a plus d’élèves mais des apprenants, il ne peut pas y avoir de professeurs » écrivait à juste titre Ottavi (2002, p. 221, in Blais et al.., p. 221). Effectivement, l’autorité des professionnels de l’institution scolaire est devenue de facto impossible. C’est devenue chose évidente de dire que les enseignants sont touchés par les différentes manières d’envisager l’érosion de l’autorité : la perte de confiance en l’institution, l’égalitarisme et la question temporelle (Prairat, 2008). Mais, le CPE est tout aussi concerné par ces problématiques. Le CPE est d’entrée de jeu en difficulté car il est l’agent d’une institution qui n’inspire plus confiance. Il est en charge de la question de la citoyenneté dont certains élèves ont intériorisé qu’elle était problématique et paradoxale [18] (Becquet, 2008). Enfin, il est, comme tout éducateur scolaire, responsable d’un monde culturel et de ses œuvres de plus en plus contestées et concurrencées par une culture juvénile aux mains du marché.

21 Néanmoins, si le CPE est dans la même impossibilité que ses collègues de l’institution, son objet principal, la vie scolaire, peut représenter de manière un peu inattendue le point de crise de cette même institution. La vie scolaire effective peut en effet apparaître comme un cheval de Troie [19] quand elle repose presque uniquement sur une conception continuiste de la norme éducative, c’est-à-dire comme le prolongement de régularités déjà-là dans le monde social (Prairat, 2013a, p. 41). Mais, concernant les normes dites scolaires, doivent-elles être pensées dans une perspective entièrement continuistes ? Par exemple (et de manière caricaturale), sous-prétexte que dans le monde social l’on tolère les fumeurs dans des endroits spécifiques, doit-on déduire que l’on devrait faire de même dans les enceintes scolaires ? Ou, au contraire, considère-t-on que l’espace scolaire est spécifique et que la question se pose différemment ? Le problème est ainsi le suivant : la vie scolaire, dans sa pratique de gouvernementalité la plus élémentaire, ne contribue-t-elle pas, sans réflexions particulières quant à ses finalités éducatives, à nier la spécificité de l’espace scolaire et empêcher, par la même occasion les conditions de possibilité de la transmission du savoir par l’enseignement ? Face à cette crainte, concevoir une philosophie normative de la vie scolaire peut permettre de réfléchir aux fins que l’on peut (et veut) assigner à la vie scolaire de manière à ce qu’elle n’annule pas la spécificité de ce que Prairat appelle « le lieu où l’on enseigne » (2013c).

Crise culturelle

22 La vie scolaire effective aggraverait les problèmes des professionnels en les dépossédant de leur capacité d’agir. Prenons garde de bien considérer cette vie scolaire dans un contexte plus large. Dans la crise culturelle actuelle, c’est la question philosophique du soin qui est sans doute la plus malmenée. En effet, les conséquences de l’idée de natalité propre à Arendt [20] impliquaient deux formes de soin : protéger l’enfant du monde extérieur et réciproquement, protéger le monde extérieur de l’enfant. C’est effectivement un certain souci du soin qui structura l’École républicaine [21]. Aujourd’hui, jusqu’à quel point l’espace scolaire est-il encore affecté par un tel projet éducatif ? Certains travaux récents (Stiegler 2008a, 2008b, 2014) nous fournissent de précieux éléments pour densifier la problématisation de ces questions.

23 Pour Stiegler (2008b, p. 12), l’évolution de la loi en direction des délinquants mineurs qui ne seront plus jugés en vertu de leur minorité, ce qui, de fait, induit qu’il n’y a plus d’« âge nettement affirmé de la responsabilité » est une irrémédiable dilution de la responsabilité. On pourrait retrouver en partie une idée d’Arendt selon laquelle une ligne claire doit exister entre les enfants et les adultes. Chez Arendt, c’est parce que les adultes sont issus du monde qu’ils le représentent, en sont les garants et le présentent au nouveau venu. Cependant, Stiegler complexifie cette idée en s’appuyant sur la finalité de l’autonomie au sens kantien, à savoir, user de son propre entendement (et exercer une activité critique), et ainsi sortir de la minorité (état dans lequel l’être humain est empêché, et en particulier par lui-même) pour accéder à la majorité. Mais, ici, tout adulte n’est pas de facto majeur. Tout éducateur, d’une certaine manière, doit avoir à l’esprit que l’horizon de l’entreprise éducative n’est pas seulement l’adultité mais la majorité. En vertu de cet impératif (que l’autre devienne majeur), tout ne se vaut pas, « refuser d’influencer, c’est refuser d’éduquer » (Prairat, 2008, p. 33), ce qui implique bien de faire des choix et de refuser tout relativisme.

24 L’affirmation de cette question de responsabilité impliquant le refus du relativisme, ouvre sur un second problème concernant l’état du monde contemporain. Ce monde s’oriente vers une captation de l’attention par les technologies audiovisuelles entraînant la destruction de cette attention qui s’ensuit d’une politique dite de démocratisation de la culture. C’est ce que nous disent, d’une autre manière, certains sociologues de l’éducation. Pasquier (2008, p. 96) fait correspondre l’émergence récente de la culture dite juvénile à un double phénomène symétrique : « l’affaiblissement des transmissions verticales et la montée en puissance des références culturelles communes au sein des groupes de pairs ». L’autonomisation de la culture juvénile constitue un fait sans précédent. Le développement de l’industrie audio-visuelle et informatique, en individualisant, miniaturisant et en démocratisant les objets, a contribué à densifier la culture juvénile en instaurant presque mécaniquement un phénomène de « cohabitation culturelle au sein même du foyer de plusieurs univers de goûts qui peuvent s’exprimer dans un climat de tolérance mutuelle » (id.). Dans cette situation, « le livre, fondement de la culture scolaire, est le grand absent de cet univers » (id.), alors que les objets en jeu dans la culture juvénile répondent à un impératif de « rentabilité sociale », c’est-à-dire que ces objets sont toujours d’une certaine manière des « produits communs consommés par tous au même moment », et renvoient à des émissions de radios, de télévision, jeux vidéo en ligne (ibid., p. 97) [22].

25 Ces pratiques étant déjà-là, l’École doit certes le prendre en compte mais cependant, il y a fort à parier que ceux qui tirent profit d’internet dans leur performances scolaires soient toujours les mêmes si l’on considère que le net peut être un outil pertinent à condition d’avoir une formation de base pour distinguer les informations et les hiérarchiser (Blais, Gauchet et Ottavi, 2014). Mais il ne faudrait pas oublier que, de toute façon, apprendre à l’école ne se résume pas à une simple confrontation avec des données ou des informations [23] : « à l’école, les enfants viennent apprendre certaines choses déterminées, de certaines manières déterminées » (Kambouchner, 2013, p. 10). Si l’école est une institution, en charge d’une culture, il y a au préalable une intention de transmission qui induit une dimension anthropologique et corporelle qui donne à l’expérience scolaire son irréductible singularité. Pour Stiegler (2014, p. 70-71), « la capacité à acquérir un savoir véritable suppose d’intérioriser les étapes successives de l’histoire mnémotechniques de ce savoir », et c’est la raison pour laquelle il estime que la liberté d’esprit et la capacité de penser n’est pas sans liens avec « l’intériorisation de ses techniques intellectuelles ». De ce point de vue, il est inquiétant de constater la distance de plus en plus grande entre les objets et gestes culturels classiques de l’école (le livre, l’écriture) et les objets et gestes de la culture juvénile (internet, culture des écrans) alors même que ces pratiques émergentes masquent les différences entre circulation des savoirs et prolifération des données.

26 Or, cet affaiblissement de l’influence de l’École n’est pas sans conséquences. Pour Stiegler (2008b, p. 313), c’est après la Seconde guerre mondiale que s’est instauré un psychopouvoir des médias au service du marketing et détruisant progressivement la formation de l’attention et de la conscience. Le psychopouvoir des industries de programme se déploie à partir de psychotechnologies qui ébranlent un système éducatif représentant le « principal appareil social de formation du système de soin comme partage des responsabilité et constitution d’une majorité » (ibid., p. 119). Elles court-circuitent les mécanismes (spirituels) que Stiegler appelle de transindividuation. Or, ces psychotechnologies sont connectées à des socio-techno-pouvoirs, à savoir des technologies de la relation (réseaux sociaux, réseaux numériques) et c’est bien cet enchevêtrement qui empêche la transindividuation et la création d’un nous [24].

Vie scolaire et pharmakon [25]

27 La vie scolaire effective, par les normes éducatives continuistes qu’elle porte, et par sa logique de gouvernementalité, fragilise l’intérieur de l’École et ne permet pas aux nouveaux venus de devenir des « êtres cultivés » [26] puisqu’elle s’adapte sans cesse à une culture juvénile assujettie par le marché et dont la prégnance parasite la possibilité d’éducation scolaire, elle-même trop formaliste. La vie scolaire pourrait néanmoins se réarticuler à la question du soin [27] pour faire en sorte que l’école, en tant que « loisir d’apprendre », puisse être envisagée comme une « forme supérieure de vie » (Fabre, 2003, p. 13).

28 Après avoir mis en exergue l’aporie en jeu dans la vie scolaire effective, considérons maintenant comme préalable le fait que l’École est un « lieu très spécifique » [28] et pensons la spécificité de la vie scolaire d’un point de vue déductif en prenant en compte la complexité des contextes dans lesquels s’inscrit l’École. Comme l’énonce Stiegler, la situation requiert une régulation des psychotechnologies et de manière générale une psychopolitique, ayant en vue la « transformation du poison en remède » (Stiegler, 2008b, p. 170). Nous estimons que la question conjointe des normes et des valeurs en jeu dans l’éducation ne disqualifie pas nécessairement le processus de normation que la vie scolaire a cru ensevelir en pensant privilégier l’éducation et la vie relationnelle (Vitali, 1997, p. 68) et qu’il y a bien quelques directions à suivre pour que la vie scolaire (réfléchie par les majeurs responsables du soin en direction des mineurs) soit à la fois filtre raisonné du dehors et conditions de possibilité du dedans.

29 Bien des voix philosophiques ont constaté que les « principes censés régir l’école en tant qu’institution » sont actuellement « confus ou introuvables » (Kambouchner, 2013, p. 9). La dimension normative spécifique de l’École est certes relative au fait qu’il s’agisse d’un lieu spécifique articulée à des enjeux de savoir et de transmission anthropologique, mais des questions liées au corps, la santé, l’écologie, l’architecture, se posent également. La vie scolaire ne peut être réduite à une définition par la négative (tout ce qui n’est pas de l’ordre de l’enseignement [29]) ou à un territoire administratif professionnel restreint [30]. À ce titre, un premier programme de réflexions pourrait penser positivement la vie scolaire à partir de l’idée de milieu et des pratiques en fonction des questions de corps, de santé et d’écologie au sens large [31]. Le milieu, qu’il s’agisse de l’architecture générale ou d’une somme de lieux particuliers, doit être propice à un ensemble de pratiques : sociales (coopération, expression individuelle ou collective, mais également ménageant des moments d’intimité), corporelles (santé physique, santé mentale, etc.), alimentaires (équilibre, adaptation), culturelles (compatibles avec l’école, ce qui n’exclut pas nécessairement le net et les écrans mais les circonscrit à une place particulière et non centrale) qui renvoient en première instance à des valeurs propres à l’école (l’effort, l’attention, la profondeur, la création, la vitalité, etc.). Il est évident que cette vie scolaire devra également recouvrir une dimension normalisatrice avec une relative proximité avec le dehors. L’École n’est pas un îlot en dehors du monde, suspendu dans un vide immatériel. Aller à l’école, la fréquenter un temps long quotidiennement, induit logiquement qu’elle représente une « expérience sociale centrale pour les jeunes » (Pasquier, 2005, p. 7) et les récents travaux sur la culture juvénile montrent que : i) hors conditions particulières, la transmission culturelle verticale peut être neutralisée par la transmission culturelle horizontale, y compris dans les milieux favorisés ; et que, ii) du fait de l’affaiblissement de son rôle d’instance de légitimation culturelle, l’École est en difficulté pour « définir un horizon normatif qui soit accepté par les élèves » (Pasquier, 2005, p. 161). Ces remarques montrent, selon nous, combien il est primordial que ces réflexions sur le milieu et les pratiques doivent être envisagées avec fermeté dès les premiers moments de l’accueil de l’enfance.

30 Mais cette normativité éducative de la vie scolaire engendre une réflexion sur les normes professionnelles. Rappelons que c’est en vertu de la spécificité de l’École que des recherches récentes ont envisagé de délimiter un cadre déontologique pour assumer une responsabilité en acte (Prairat, 2013c) ; mais nous pourrions ajouter en contexte. En effet, enseignants et CPE renvoient évidemment à deux professions différentes, et donc à des normes spécifiques différentes qu’il convient de continuer à étudier et distinguer. Mais, en s’appuyant sur le travail de Prairat (2013c), on peut estimer que ces deux professions renvoient à une même « communauté virtuelle » se souciant du bien de l’enfant. Ces deux professions seraient traversées par les mêmes devoirs moraux, et pour Prairat (2013c), tout éducateur a trois devoirs moraux à l’égard des élèves : devoir d’hospitalité, devoir de sollicitude et devoir de confiance [32]. Il nous semble qu’un quatrième devoir moral, le devoir d’intelligence, pourrait émerger de la mise en perspective des enjeux de la vie scolaire par rapport à la crise que traverse le système éducatif. Nous proposons de penser avec Stiegler que l’espace scolaire doit s’engager aujourd’hui dans une véritable bataille de l’intelligence pour la majorité (Stiegler, 2008b) menée par des majeurs à destination et pour le bien des mineurs. Il faudrait prolonger ces premières pistes et envisager ce qu’elle sous-entendrait dans la formation universitaire et professionnelle des CPE.

CONCLUSION

31 Pour Vandevoorde (2005, p. 1035), nous sommes en présence d’une « difficulté identitaire », qui conduit à voir en la « vie scolaire » un champ d’action plutôt qu’un concept, ce qui n’est pas anodin aux yeux du philosophe. Il s’agit d’une formulation ambigüe se situant entre deux idées : l’introduction de la vie dans l’École [33] (ce qui sous-entendrait qu’elle n’existait pas au préalable dans ce contexte) chère aux pédagogues historiques et la conception d’une certaine vie qui serait propre à l’espace scolaire. Pourtant, rien ne permet de dire que la vie scolaire effective puisse se revendiquer de l’une ou de l’autre de ces idées [34]. Réfléchir à la fois à ce qu’on entend par vie scolaire et au fait qu’elle soit de la responsabilité d’un professionnel spécifique est philosophiquement complexe. Mais, une fois de plus, répondre à cette interrogation n’est possible que si la conceptualisation philosophique de ce que devrait être la vie scolaire a été au préalable envisagée.

32 Nous avons choisi d’envisager les prémisses d’une philosophie normative de la vie scolaire. Ce travail théorique, dont l’enjeu à terme est de contribuer aux réflexions sur l’agir professionnel des CPE et leur formation professionnelle, n’en est qu’à ses débuts. Nous avons fourni quelques éléments. Par vie scolaire, nous avons constaté que c’est surtout la question complexe de la vie dans l’école hors l’enseignement qui était envisagée, mais pas nécessairement l’idée d’une vie spécifiquement scolaire qu’il reste à conceptualiser. L’amorce que nous proposons vise à introduire le problème de l’attention comme étant au cœur des flottements de la conception de cette vie scolaire si familière mais si évasive. Notons qu’une telle réflexion implique inévitablement de se questionner sur les apprentissages en classe et sur l’évolution des situations d’enseignement.

33 Être à l’école n’est pas une simple donnée de localisation, mais au contraire un énoncé performatif. Cette réflexion sur la normativité de la vie scolaire doit nécessairement s’accompagner d’une réflexion sur les normes professionnelles. Si pour Meirieu la question de l’attention des élèves en situation scolaire représente « un des problèmes majeurs des acteurs de l’école », d’autant qu’elle n’est guère abordée par les chercheurs et qu’elle est peu évoquée dans la formation initiale et continue des enseignants (2014, p. 20), nous estimons qu’elle doit être une préoccupation centrale dans la professionnalisation du CPE, et non simplement des enseignants [35].

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Mots-clés éditeurs : attention, philosophy, normes, professionnalisation, philosophie, secondary school, vie scolaire, norms, enseignement secondaire, school discipline, professionalisation, Conseiller Principal d’Éducation

Date de mise en ligne : 18/07/2017.

https://doi.org/10.3917/cdle.043.0090

Notes

  • [1]
    Certains chercheurs considèrent d’ailleurs que sont désormais entrés en tension deux types de « sociabilité » : la sociabilité adulte et la sociabilité adolescente (Barrère et Martuccelli, 2000). Nous le verrons dans la suite du propos, mais il y a beaucoup de problématiques en jeu actuellement.
  • [2]
    Le Surgé était déjà au cœur des relations : « [au sujet du Surgé] Ce qui rend son métier délicat, c’est qu’il se trouve au carrefour : élèves, familles, surveillants, professeurs, médecins, intendant, censeur, proviseur » (Dumont et Lagarrigue, 1962, p. 59).
  • [3]
    « Faire tourner le lycée, en dépit de tout ce qu’un sort malin jette dans l’engrenage : difficultés de locaux, pénurie de maîtres, maladies de professeurs, etc. » (Dumont et Lagarrigue, 1962, p. 59).
  • [4]
    Cf. loi du 8 juillet 2013.
  • [5]
    La circulaire n° 2015-139 du 10 août 2015 relative aux missions du CPE rappelle, d’une part, la mission première de l’École (« qui est d’instruire et d’éduquer afin de conduire l’ensemble des élèves à la réussite scolaire et à l’insertion professionnelle et sociale et de leur faire partager les valeurs de la République ») et, d’autre part, la responsabilité générale des CPE dans la cadre général de la vie scolaire (« placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelles et collectives, de réussite scolaire et d’épanouissement personnel »).
  • [6]
    Il ressort par exemple d’une étude co-signée par Gentil et Alluin (1996) portant sur la fonction du CPE et du CE, que 17 tâches différentes sont réalisées par les CPE en une même journée, ce qui renvoie à 77 items différents (cité par Condette, 2013, p. 121-122).
  • [7]
    Le processus de professionnalisation plurielle des CPE fut engagé avec la création des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres en 1991. La formation qui comprenait une préparation au concours, se composait de quatre domaines disciplinaires (histoire, sociologie, psychologie et philosophie de l’éducation), ainsi que des contenus au sujet de la connaissance du fonctionnement des établissements scolaires (en France et à l’étranger) et sur l’approche pratique des situations éducatives à partir d’analyse de cas et des stages effectués (Condette, 2013, p. 123).
  • [8]
    Dans son texte, Moreau évoque les enseignants débutants, nous élargissons les remarques évoquées aux différents professionnels de l’éducation scolaire.
  • [9]
    Nous évoquons ici le désir de s’autogouverner des différentes professions en jeu mais également la manière dont la démocratie comme valeur a pénétré l’espace scolaire à tous les niveaux.
  • [10]
    Selon nous, la vie scolaire n’est pas une chose en soi et ne constitue pas un invariant dans l’histoire de l’espace scolaire. Nous estimons au contraire qu’il y a plusieurs expériences historiques de vie dans l’école, et dont une des formes récentes est la vie scolaire.
  • [11]
    Les attentes sociales d’après-guerre, le développement de l’enseignement technique et des théories de l’éducation populaire « vont offrir une place particulière à l’animation socioculturelle et donner vie au concept de vie scolaire » (Tschirhart, 2013, p. 96).
  • [12]
    En 1966-1967, le pourcentage d’internes est de 28 % dans les CET (cité par Tschirhart, 2013, p. 97).
  • [13]
    Si la prise en charge des loisirs de la jeunesse a bien commencé à la fin du XIXe siècle, ce moment des années 1950-1960 montre l’influence d’un contexte marquée par les activités postscolaires, les centres de vacances et les congés payés dans lequel on peut saisir la sensibilité des Surveillants généraux envers ce mouvement hétérogène de l’éducation populaire allant de pair avec le désir d’une évolution de la fonction.
  • [14]
    Il nous semble important de saisir à la fois ces deux tensions (histoire de l’encadrement et histoire des revendications des élèves) et la conjoncture à partir de laquelle un nouvel équilibre a pu se maintenir dans l’acceptation par tous de l’idée de vie scolaire à la fin du XXe siècle.
  • [15]
    On peut également évoquer des manifestations de contestation et de refus particulièrement problématiques.
  • [16]
    Nous faisons référence à la nouvelle convention des droits de l’enfant (reconnaissant dorénavant des droits-libertés à l’enfant) et la loi d’orientation de 1989 instaurant les élèves et leurs parents comme usagers au centre du système éducatif.
  • [17]
    Notamment les relations entre enseignants et élèves et la culture scolaire.
  • [18]
    Nous faisons référence à la manière dont la fonction de délégué peut être vécue par les élèves ou encore à la manière dont les lycéens perçoivent la question de la liberté d’expression.
  • [19]
    Au sujet des associations socio-culturelles, Soussan parlait en 1988 de « cheval de Troie à la vie extra-scolaire pour entrer dans l’école » (1988, p. 41).
  • [20]
    Lorsque les enfants viennent au monde, ils prennent place dans un monde qui leur préexiste, dans lequel s’inscrivent les adultes et dont ces derniers sont responsables.
  • [21]
    « Dans la stricte mesure où l’éduqué apprend par son éducation à prendre soin de lui-même – et par la même occasion des autres – en prenant soin du monde, cette politique du soin des objets de savoirs qui lui sont transmis, savoirs par lesquels il peut et doit prendre soin du monde, cette politique du soin qu’est l’éducation nationale, apportée à l’esprit de la population par l’État devenu laïc, à travers une instruction publique, gratuite et obligatoire par là où la population forme un peuple, et non seulement une population, cette politique du soin par l’instruction qui deviendra au XXe siècle, comme éducation nationale, enseignement supérieur et politique de recherche, le pilier de la société moderne démocratique et industrielle, constitue un méta-soin qui, si l’on peut dire, conditionne dans la société moderne le soin au sens fort – comme passage à l’acte noétique politiquement et économiquement organisé » (Stiegler, 2008b, p. 318-319).
  • [22]
    Pour Stiegler, ces phénomènes résulteraient des noces entre politique culturelle et développement des entreprises audio-visuelles.
  • [23]
    « Un logiciel éducatif peut comporter les arborescences les plus sophistiquées, et répondre de manière pertinente à toutes sortes d’initiatives de l’« apprenant ». Pourtant, il n’existe pas et il n’existera jamais de professeur virtuel – pas plus, serait-on tenté de dire, que de parent virtuel » (Kambouchner, 2013, p. 18).
  • [24]
    « Cette destruction de l’attention est une désindividuation, et c’est à la lettre une dé-formation : c’est une destruction de cette formation de l’individu en quoi consiste l’éducation. Le travail de formation de l’attention assuré par la famille, l’école, et par l’ensemble des établissements d’enseignement, des institutions culturelles et tous les appareils de la “valeur esprit”, à commencer par l’appareil académique, y est systématiquement défait en vue de produire un consommateur dénué de capacité d’autonomie aussi bien morale que cognitive qu’est la conscience comme libre arbitre – sans laquelle il n’y a pas de science autre que ruineuse » (Stiegler, 2008b, p. 327).
  • [25]
    Comme l’explique régulièrement Stiegler, le pharmakon est à la fois le poison et le remède.
  • [26]
    « Être cultivé […], c’est faire des liens, construire des relations, ménager des passages entre les différents registres », « être cultivé c’est pouvoir naviguer d’un registre à l’autre, d’un genre à l’autre, d’une œuvre aux autres en tissant des correspondances » (Fabre, 2010, p. 175-176).
  • [27]
    « Nous tous, lorsque nous consultons une notice de médicament, trouvons normal de lire que telle molécule qui soigne un adulte peut être nocive pour un enfant de trois ans, et nous tous nous respectons une telle prescription. Nous savons qu’un pharmakon suppose des prescriptions, qui supposent elles-mêmes un système de soin, c’est-à-dire une thérapeutique » (Stiegler, 2008b, p. 167).
  • [28]
    « Bien sûr, l’école est un lieu de vie, si l’on n’entend pas là un lieu où les jeunes passent en moyenne un quart de leur temps ; mais elle est avant tout un lieu très spécifique où l’on est réuni pour apprendre. L’insistance sur cette malheureuse expression conduit à masquer la grande spécificité de ce “lieu de vie” qu’est l’école » (Blais, Gauchet, et al., 2002, p. 279).
  • [29]
    Pour le doyen de l’inspection générale de la Vie scolaire en 1985, la vie scolaire, « c’est tout ce qui se passe dans l’établissement, sauf ce qui se passe dans la classe dans l’établissement quand il y a transmission des connaissances » (Soussan, 1988, p. 41).
  • [30]
    En l’occurrence : le domaine d’actions des conseillers d’éducation inspectés par des personnes spécifiques (à savoir : l’inspection générale de la Vie scolaire).
  • [31]
    Nous ne parlons pas ici de développement durable ou de comportements écologiques mais de rapport au milieu et d’écologie corporelle (Andrieu et Sirost, 2014).
  • [32]
    Le devoir d’hospitalité, « premier devoir au plan chronologique et au plan ontologique » (Prairat, 2013b, p. 131), sous-entend dans une optique arendtienne que tout éducateur accueille les nouveaux-venus en rendant possible la continuité du monde au fur et à mesure des différentes vagues de nouveaux-venus. Le devoir de sollicitude signifie que le nouveau-venu nécessite, de la part de l’éducateur, une protection sociale provisoire du fait de sa vulnérabilité. Enfin, le devoir de confiance implique, dans le cadre du processus éducatif, que l’éducateur soit digne de confiance et fasse confiance.
  • [33]
    Rappelons-nous la célèbre formulation de Decroly (1871-1932) : l’école et l’éducation par la vie et pour la vie.
  • [34]
    Idée 1 : une vie dans l’école épanouissante, créatrice ; Idée 2 : la vie scolaire comme conditions de possibilité de la transmission et de l’apprentissage. Rien n’empêche d’ailleurs que l’Idée 2 ne s’appuie sur certaines propositions de l’Idée 1 que les pédagogues historiques ou certaines personnes ordinaires auraient déjà commencées à baliser et à expérimenter.
  • [35]
    La circulaire n° 2015-139 précédemment évoquée rappelle que le CPE organise « l’espace scolaire et la gestion du temps au sein de l’externat, de la demi-pension et de l’internat », mais qu’il peut également exercer « un rôle de conseil auprès de l’adjoint gestionnaire de l’établissement sur l’organisation des lieux de restauration, d’hébergement pour les internats, de travail et de détente qui contribue au bien-être et à la qualité de vie des élèves ». Ce rôle de conseil, voire de ressources, est-il réellement possible à partir de leur formation ? Quelles connaissances permettraient au CPE d’exercer un rôle de conseil sur ces questions et thématiques ?
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