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Article de revue

L'impact social et culturel de la construction éducative européenne

Pages 103 à 125

Notes

  • [1]
    Pour la définition de ce terme, voir note 15.
  • [2]
    On a souvent objecté à Gellner que l’industrialisation n’a pas concerné de la même façon les différents états de l’Europe et du monde, ni suivant le même rythme. La France ne connaît pas au XIXe siècle les mêmes périodes d’industrialisation que l’Angleterre et l’Allemagne, la Grèce est touchée beaucoup plus tard. On a reproché aussi son ethnocentrisme à cette théorie. Gellner répond qu’à partir de la fin du XVIIIe un certain modèle de société se répand, où l’éducation, la mobilité sociale, la langue et la technique s’articulent d’une façon nouvelle par rapport aux sociétés antérieures, et qu’il aspire à « à trouver des modèles généraux » pour décrire cette articulation (Gellner, 1996). L’expansion de ces sociétés est loin de se faire d’un seul coup, et simultanément partout, mais elle touche aujourd’hui la terre entière. La diversité culturelle ne disparait pas pour autant (chaque société a son chemin propre à travers cette modernité). Soulignons qu’une partie de son œuvre est consacrée au chemin du Maghreb vers la société industrielle et la nation (Gellner, 1981).
  • [3]
    Nous n’ignorons pas l’existence de sociétés plurilingues comme la Suisse, mais dans ces sociétés aussi les codes standards ont émergé sur le fond du continuum des formes dialectales (ex. patois romands pour le français).
  • [4]
    Une langue de haute culture est à l’origine une forme de langue ayant émergé du continuum dialectal qui va servir de base à l’élaboration d’une langue nationale, le toscan par exemple pour l’italien. Elle acquiert d’abord son statut privilégié dans la communication des élites, puis sert de langue d’imprimerie et de langue officielle d’État, se standardise à travers ce processus et devient langue d’éducation.
  • [5]
    Curriculum ou programme d’études, c’est à dire l’interaction entre les élèves et le contenu pédagogique telle qu’elle est définie par l’État, afin d’atteindre les objectifs éducatifs.
  • [6]
    Par exemple : la conquête des pays émergents par Renault à travers Dacia, l’adaptation des productions du Cognac au marché chinois, la diversification de MacDonald en fonction des pays, la stratégie de Danone en Bulgarie, ou le centre linguistique de Microsoft en Irlande pour la « localisation » de ses produits Européens ; gamme de stratégies allant de la conception de produits adaptés, en passant par le marketing culturel, jusqu’à la standardisation linguistiquement diversifiée.
  • [7]
    Voir l’article du Volkskrant du 28/8/06 qui se félicite de l’inversion de cette tendance dénoncée depuis quinze ans par la presse.
  • [8]
    Cf. les « Programmes communs pour favoriser l’échange de jeunes travailleurs au sein de la Communauté » : 1964 (64/307/CEE), 1979 (79/C81/16) et 1984 (84/C153/07).
  • [9]
    14 millions d’écus pour 1980-1984 (1er programme). En 1986 la Communauté alloue 0,1 % du budget communautaire à ce domaine (Pépin, 2006, p. 69).
  • [10]
    CEDEFOP : Centre européen pour le développement de la formation professionnelle, EURYDICE : Réseau d’information sur les systèmes éducatifs européens.
  • [11]
    Le cosmopolitisme et la mobilité ont connu plusieurs formes historiques. Le discours Européen s’appuie sur les pratiques des universités du Moyen Âge et de la Renaissance. Il y aurait continuité entre les pratiques de l’aristocratie et la bourgeoisie à ce niveau (Pinçon, Pinçon-Charlot, 2000). Il y a pourtant des différences à souligner. Celles de l’université médiévale avec ses groupements par nations (collège danois, écossais, etc.) et son monolinguisme latin savant, sont liées au fait de la chrétienté. Les pratiques aristocratiques reposent sur les alliances matrimoniales d’une classe plus proche de ses semblables d’autres pays que des locaux d’autres milieux, alors que pour la bourgeoisie, l’exosocialisation est liée au désir d’éliminer les cloisonnements sociaux et économiques de l’ancien régime. L’aristocratie a une vision pérenne et dynastique des élites qui ignore les différences entre peuples pour mieux affirmer une communauté de classe soulignée par l’usage d’une langue de distinction, le français. Les élites bourgeoises sont « un hôtel ou un autobus toujours rempli, mais rempli toujours par des gens différents » (Schumpeter, 1972). Leur cosmopolitisme « a d’abord comme principe celui des affaires », car « la croissance du chiffre d’affaires s’accompagne très vite d’un débordement hors des frontières » (Pinçon, Pinçon-Charlot, p. 71). L’aristocratie n’est pas nationale, alors que c’est avec la bourgeoisie que la nation émerge au XVIIIe siècle. Mais selon les contextes historiques elle est nationale aussi bien que cosmopolite. Ce qui l’intéresse c’est le décloisonnement, celui du marché national intérieur (voir le soutien apporté par les bourgeoisies de la mosaïque de petits États allemands à l’unionisme de Bismarck), comme celui du capitalisme globalisé moderne. Par ce souci, comme par sa conception ouverte de la langue (de l’imprimerie, de la technique et de la circulation des idées) l’idée nationale contient au départ quelque chose d’universel qui entraine son expansion mondiale. Aussi elle ne doit pas être confondue avec le nationalisme.
  • [12]
    Voir par exemple : (Deshays, 1990) ; (Lietti, 1994) ; (Porcher, Groux, 2003) ; (Hagège, 2005).
  • [13]
    Voir les documents du Språkförsvaret sur la politique de langue dans l’éducation tertiaire : http:// www.sprakradet.se/
  • [14]
    Source : Amb. de France en Bulgarie.
  • [15]
    La diglossie est la situation linguistique où les mêmes locuteurs d’un pays (ou parfois d’une région) sont amenés à employer plusieurs langues nationales ou officielles, à les superposer dans l’usage, ou à changer d’emploi selon les contextes ou les domaines (c’est le fameux « code switching »). On parle de plurilinguisme, en revanche, quand plusieurs aires linguistiques coexistent à l’intérieur d’un même pays sans superposition d’usage. Le Luxembourg et Malte sont diglossiques (lëtzebuerg, français et allemand dans le premier cas, anglais et maltais dans le second), l’Irlande aussi, même si l’irlandais n’est parlé que dans certaines régions du pays, ainsi que la Grèce (katharevousa et demotiki) jusqu’à une période récente. La Suisse est plurilingue, mais connait des situations de diglossie, par exemple dans ses cantons alémaniques (schwizer dütch et allemand). La diglossie est courante dans les situations post-coloniales, de même que pour les aristocraties d’ancien régime (la noblesse russe avec le français). En situation de diglossie il est fréquent que l’une des langues soit représentée comme supérieure et l’autre inférieure. Les deux variétés peuvent être relatives à une même langue ou appartenir à deux langues différentes (Ferguson, 1959), (Fishman, 1971). Dans les pays au statut linguistique monolingue, comme la France ou l’Allemagne, la langue nationale s’est construite à partir d’un fond initial polyglossique et parfois plurilingue dont il peut y avoir des restes ou des renaissances, diversement reconnues (Frison aux Pays-Bas, Sorabe en Allemagne, Alsacien en France, Gallois au Royaume-Uni). Cette diglossie régionale, aussi vivante soit-elle, ne saurait être comparée avec la diglossie dont nous parlons où des langues nationales sont amenées à se superposer avec l’anglais, comme en Suède ou au Danemark.
  • [16]
    Source : DG Éducation, formation, culture et jeunesse, Bruxelles.

1 Les études françaises qui analysent le processus de construction éducative européen et ses effets ont eu surtout tendance à privilégier l’impact de cette construction sur les systèmes d’enseignement, et la question de la stratégie des acteurs, de leur autonomie ou de leur capacité d’intervention par rapport aux cadres fixés de manière transnationale, qu’il s’agisse de celui de Bologne ou de celui de Lisbonne (Charlier, 2009). Elles se sont intéressées également aux effets des mutations de politiques néolibérales, (Montlibert, 2004 ; Agulhon, Convert 2013), ou à l’impact de l’organisation scolaire sur la formation des élites (Mons, 2008), mais elles n’ont guère analysé les nouvelles modalités culturelles de la reproduction, notamment en termes de capital culturel et de langues, et à leur impact sur la stratification sociale, les mentalités qui l’accompagnent et même les identités (dont l’école est l’un des creusets). Le phénomène est un peu étonnant car l’éducation est un volet central de la politique de cohésion sociale de l’Union (Delors, 1993). C’est ce qui fait son originalité dans le concert de la mondialisation dont la construction Européenne est l’une des variantes (Dale, Robertson 2002). De plus, l’Union a toujours marqué un attachement formel très net aux valeurs liées au multilinguisme ou au multiculturalisme.

2 Certains travaux attirent cependant sur ces terrains. Ainsi Reich souligne l’accroissement des disparités sociales liées à la mondialisation et l’apparition d’une classe en pleine croissance qu’il appelle « les analystes symboliques », travaillant dans la finance, la technologie, l’éducation ou la décision publique, issus de l’explosion de l’enseignement supérieur, communiquant au-delà des frontières en utilisant une langue de diffusion mondiale, et l’accroissement de la coupure de cette classe sur le plan social et culturel, avec celle des travailleurs industriels qui rétrécit et se marginalise (Reich, 1993).

3 La construction éducative européenne ne peut pas être extérieure à cette évolution. Mais de quelle manière cela se noue-t-il ? Des changements culturels (notamment le cosmopolitisme et l’usage d’une langue mondiale) accompagnent la reproduction des élites. Mais cela se fait-il de manière homogène à tous les niveaux de l’éducation ? On remarque que l’identité éducative européenne ne se marque pas de la même façon que l’identité nationale. L’Europe se revendique souvent comme une qualité ou un label : classes Européennes, lycées Europe, Masters Européens, Doctorats Européens, laboratoires européens d’excellence, etc. Dans ce cadre, tout n’est pas Européen, on trouvera difficilement une école maternelle ou un lycée professionnel Européens par exemple (même si leurs qualifications s’intègrent au cadre européen de certification), et qu’il n’existe pas de sections techniques dans les Écoles Européennes. L’identité « Européenne » apparaît donc comme une identité supplémentaire, revendiquée dans certains cas et pas dans d’autres (il est intéressant de voir lesquels), et qu’on n’est pas toujours habilité à revendiquer. L’Europe est-elle à la carte ? Concerne-t-elle bien tout le monde ?

4 On essaiera de montrer qu’à la différence des constructions nationales, l’impact de la construction européenne ne consiste pas dans une homogénéisation culturelle par l’éducation et la langue, c’est un impact beaucoup plus différencié qui ne touche pas les différents niveaux de l’éducation de la même façon, et affecte de manière distincte sur le plan culturel les différentes classes sociales. Avec l’internationalisation des élites on peut parler de l’apparition d’un nouvel habitus social. Cela ne se fait pas contre les États-nations, mais avec leur complicité. Ils subsistent mais adoptent progressivement un double standard, avec une tendance à la diglossie [1]. On s’appuiera sur l’analyse de travaux portant sur cette construction éducative, de textes législatifs ou de rapports institutionnels, et on utilisera des instruments théoriques issus tant de l’anthropologie sociale (Gellner, 1983), de la sociologie (Bourdieu, 2000) et de la sociolinguistique (Bernstein, 1978) que de l’analyse proprement historique (Pépin, 2006), et on tentera de proposer un cadre d’analyse permettant de rendre compte des activités de l’union européenne (UE) dans le domaine de l’éducation et de la formation professionnelle, de leur impact et de leur histoire, en ne se limitant pas à un niveau seulement descriptif.

CAPITAL CULTUREL ET TERRITOIRES

5 Quel impact un changement d’échelle territoriale lié à l’expansion économique du marché comme le passage de l’État-nation à l’union européenne (UE), peut-il avoir sur le type de compétences intellectuelles et culturelles que les sociétés peuvent attendre des individus, et qu’ils pourront monnayer ensuite sous forme de qualifications (certifications, diplômes, etc.) sur le marché du travail ou sur le marché des productions de biens culturels ? Comparons d’abord les liens qui existent entre l’éducation et la langue dans le cadre des constructions nationales avec ceux qu’ils entretiennent dans la construction Européenne. Pour l’anthropologie et l’histoire, dans les deux constructions elles accompagnent l’extension du marché, et donc la mobilité, mais pas de la même façon.

6 Dans le modèle anthropologique général qu’a tenté d’élaborer Gellner en effet, les constructions nationales sont étroitement liées au développement de la société industrielle reposant sur la croissance (Gellner, 1983) qui est à la base de l’expansion territoriale à partir des sociétés rurales vers les États-nations. La croissance elle-même repose sur l’éducation, qui prépare l’intégration des hommes à la société au sens le plus large, sur un territoire en plein dynamisme économique, et à leur reproduction en dehors des limites de l’unité locale initiale. L’éducation construit un « homme modulaire » (Gellner, 1996, p. 97) adaptable aux situations multiples que réserve le marché. La société industrielle repose ainsi sur la mobilité professionnelle, géographique et sociale. L’éducation est « exosocialisante », son but est de ne pas refermer la personne éduquée de manière endogène sur la communauté au sens étroit, mais de la tourner vers l’extérieur en la confiant à des institutions externes, c’est-à-dire à des « administrations éducatives et de formation distinctes de la communauté locale » et qui se substituent à elle « dans la préparation des jeunes individus concernés » et finalement, « les rendent à la plus large société pour y accomplir leurs rôles quand le processus de formation est achevé » (Gellner, 1983, p. 49).

7 De telles sociétés ne peuvent pas s’accorder avec les cloisonnements : l’interchangeabilité des individus devient nécessaire, et un égalitarisme en est la conséquence. La communication y devient une question centrale à la fois parce que tout individu doit être capable de s’adresser à un nombre toujours plus grand de personnes, dans les lieux souvent éloignés, et parce que communiquer du savoir et des savoir-faire est gage de progrès. Elle doit être précise. La langue devient un outil large, universalisant, et non pas local, lié au contexte et interne à une communauté. La mobilité suppose donc la maîtrise d’un code linguistique élaboré, et une éducation générique qui rende possible l’adaptation à un large éventail de rôles sociaux. Dans les constructions nationales, c’est l’État qui assure le cadre de cette éducation et garantit l’interchangeabilité des individus. L’enseignement y devient un enjeu essentiel, assurant l’unité culturelle de la société, qui repose ici sur la communication via un code standard commun [2].

8 La manière dont ce code se construit est l’une des grandes affaires des constructions nationales, qui affecte les rapports entre les différentes formes dialectales d’une même langue et la langue nationale dominante. Son émergence efface en effet ces différences, couvre parfois de son hégémonie des langues minoritaires. L’universalisation du code le détache des contextes (langue du droit, véhicule des savoirs techniques et scientifiques), en fait la langue de l’imprimerie et de l’instruction, et contribue à la construction et à la diffusion de la culture commune (Anderson, 1996). La plus ou moins grande maîtrise du code élaboré, par opposition aux codes restreints (dont la référence est plus contextuelle) joue un rôle déterminant dans la reproduction sociale et devient un élément clé du capital culturel des individus (Bernstein, 1978) [3].

9 Si l’on compare avec la construction de l’Union que constate-t-on ? Ici aussi l’éducation accompagne l’extension territoriale du marché (vers le marché européen et mondial maintenant), et sa place est liée à la mobilité. C’est à partir de la fin des années 1980, juste avant l’ouverture des frontières, quand le marché unique de 1992 va devenir une réalité, que la question éducative fait son apparition. Elle a été délibérément exclue des compétences communautaires pendant les trente-cinq premières années de la construction (de 1957 à 1992), et c’est une compétence de formation professionnelle et non éducative qu’avait prévue le Traité de Rome (Pépin, 2006 ; Esmein, 1999). Mais pourtant c’est de la compétence de formation professionnelle qu’est née à la fin des années 1980 la compétence éducative communautaire, inscrite ensuite dans le Traité de Maastricht. Et cette origine indique que la question éducative ne s’est véritablement posée dans l’histoire de l’UE qu’avec celle de la préparation des populations à leur employabilité sur le territoire du marché unique. Mais la différence avec les constructions nationales, c’est que, lors de celles-ci, les deux fonctions – homogénéisation culturelle et linguistique d’une part, et préparation des populations sur un territoire en pleine expansion – étaient liées, alors que l’ouverture du marché unique ne s’accompagne pas de cet outil fondamental d’homogénéisation qu’est la langue de haute culture unique commune [4] et du curriculum [5], outils centraux du système éducatif, dont le marché national avait besoin. La communication et l’unité culturelle sont un problème car si le marché est unique, il n’est pas pour autant homogène culturellement notamment à cause des langues.

10 Mais dans sa diversité il connaît la mobilité, car il est le marché. Or c’est bien la mobilité qui amène l’éducation dans l’escarcelle communautaire à partir de la fin des années 1970, à travers la libre circulation, et la formation professionnelle dans le cadre de la politique sociale de la Communauté. Les tout premiers actes communautaires éducatifs sont la Résolution du Conseil du 16 juin 1974 concernant la reconnaissance mutuelle des diplômes et la Directive du 25 juillet 1977, visant à la scolarisation des enfants des travailleurs migrants des autres États membres, tous deux liés à la libre circulation. En apparence cela ne correspond pas à une politique éducative au sens traditionnel où langue et curriculum sont les outils de la formation de la citoyenneté. Mais à travers la mobilité cela concerne directement le lien de l’éducation à la reproduction sociale, qui est une question centrale pour tout système éducatif.

11 Le changement d’échelle territoriale est donc commun aux constructions nationales et européennes et il existe une forme de continuité entre les deux. L’éducation accompagne le processus dans les deux cas, mais si au niveau « national », elle ouvre les populations sur un cadre plus large, en les sortant du cadre local par une exosocialisation par la langue de haute culture, dans un deuxième temps avec l’Europe, c’est du cadre national qu’elle les sort, les ouvrant sur l’Europe et le monde par une exosocialisation cosmopolite. Les deux formes d’exosocialisation ont ceci de commun que leur but est de permettre à l’homme modulaire de sortir d’un cadre plus local et de s’adapter à des contextes différents et plus larges. Mais l’impact culturel n’est pas le même, parce que la langue et la communication ne sont pas envisagées de la même manière dans les deux cas.

12 Dans le premier, lié à la langue nationale, deux forces distinctes sont en action :

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  • L’une qui à travers la société industrielle, le développement de l’imprimerie et de la science, construit la langue comme universel singulier - univers du discours permettant de parler de toute chose et de sortir du local et du contextuel (Bernstein, 1978). L’État-nation éducatif se répand ainsi sur la planète en construisant la langue de chaque nation comme un instrument d’accès à la culture universelle.
  • L’autre force pousse à la cohésion sociale et à la réunion : les nations se sont en effet construites à la fois autour et par les langues, celles-ci jouant un rôle à la fois de réunion, d’homogénéisation, et une fonction intime dans la reconnaissance mutuelle. « La nation, a été conçue dans le langage » avant d’être célébrée dans le sang (Anderson, 1996, p. 149). C’est cette seconde force culturelle qui se met au service du nationalisme.

14 Dans le deuxième cas, lié au cosmopolitisme et aux langues, le paradoxe est que le marché est à la fois unique et multiculturel, il implique à la fois le global et le national (ou le régional), l’uniformité comme la diversité comme le dit M.Kaldor (Kaldor, 2004, p. 166). Ainsi le cosmopolitisme peut se voir attribuer deux sens distincts.

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  • À l’unité et la globalité du marché correspond une force qui pousse à la dominance d’une langue véhiculaire unique : certains secteurs comme la banque ou la finance sont très fortement globalisés, et les marchés interconnectés entre eux (UE, ALENA - Accord de libre-échange nord-américain, APEC - Asia pacific economic cooperation, etc.).
  • Mais à la diversité culturelle du marché unique correspond une autre force qui pousse à l’interculturel, à l’ouverture sur d’autres cultures et à l’apprentissage de langues multiples. C’est une image en partie erronée que celle d’une globalisation où la disparition des frontières économiques impliquerait la convergence généralisée des modes de vie et l’uniformisation de la planète. Le local a aussi sa puissance, et les firmes transnationales suivent souvent une stratégie de maîtrise, et non de suppression de la diversité des territoires (Veltz, 2005, p.124). Leurs profits sont générés par leur capacité à s’adresser à des marchés différenciés [6] (Kaldor, 2004). Schnapper rappelle combien il est significatif que le colloque d’où était issu Six manières d’être européen ait vu le jour sur la demande de l’agence de publicité Young and Rubicam, sur le thème : Convergences et divergences de l’Europe (Schnapper, Mendras, 1993).
  • Les deux forces peuvent entrer en contradiction. Aux Pays-Bas où le Plan d’Action National pour les Langues Vivantes Étrangères en 1992 a placé en tête le développement de l’anglais, la presse se désole régulièrement que l’on ne maîtrise plus l’allemand, et s’amuse à chiffrer en centaines de millions d’euros les pertes de marché que cela représente pour un pays dont la tradition est commerciale, et a 400 km de frontières avec son grand voisin [7].

16 « Dans les sciences sociales, dit Mendras, on trouve deux tendances, l’une qui cherche à établir qu’il y a convergence et estime que « l’Europe est en voie d’homogénéisation rapide », et l’autre qui pense que « la diversité est irréductible, et que nous sommes dupes de l’illusion Européenne » (Ibid, p. 10). On peut admettre les deux simultanément, car si l’accélération des échanges pousse les sociétés à la convergence culturelle et à l’universalité, celle-ci n’est nullement contradictoire avec la diversité. « Plus les peuples se ressemblent, plus ils tiennent à affirmer leurs différences. Plus les différences réelles sont petites, plus elles sont perçues comme importantes » (Assayag, 2002, p. 185-6). Les contradictions inhérentes à l’européanisation et à la globalisation accroissent donc les différences nationales à proportion d’une convergence et d’une homogénéisation dont le processus est en cours et n’est pas près de s’achever.

17 Aussi l’on peut douter avec Abélès du déclin de l’État-nation. Il survit bien, mais se transforme :

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  • N’étant plus l’unique centre de toute régulation, il « s’inscrit dans un processus plus large de la régulation complexe et stratifiée » (Abélès, 2008, p. 121). Ainsi les politiques éducatives nationales doivent-elles composer avec les politiques de libre circulation, de formation professionnelle et de cohésion régionale qui relèvent de l’Union.
  • Le passage d’une forme d’État à l’autre ne se fait pas sans résistances, notamment sur le plan culturel, les États cherchent à composer avec la nouvelle situation.

19 Mais progressivement une césure s’opère entre deux fonctions jointes jusqu’ici : l’éducation liée à la langue et au curriculum d’un côté, celle qui prépare au marché et à la mobilité de l’autre. La première est du ressort des États, la seconde du niveau européen ou multilatéral (Organisation de coopération et de développement économiques, OCDE) ; d’une part l’identité, de l’autre l’ouverture. Aussi l’UE hérite de quatre questions qui vont rythmer son histoire.

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  • La première concerne les formes institutionnalisées du capital culturel, c’est la fonction de garantie et de validité des qualifications obtenues dans un marché élargi. Jusqu’ici l’État l’assurait. La mobilité élargie européanise la fonction, avec la reconnaissance des diplômes qui se met en place dès le milieu des années 1970.
  • Viennent ensuite l’harmonisation et la garantie de la qualité éducative dans toutes les sphères du marché qui entraîne les problèmes de comparaison des systèmes.
  • La communication dans le cadre du marché unique : jusqu’ici la langue de haute culture était concernée, maintenant c’est l’apprentissage des langues étrangères.
  • Enfin la question de la cohésion sociale et de l’adaptation des populations au marché, qui a un volet communautaire, un volet national et même un volet régional.

DE LA RÉSISTANCE AU DÉBLOCAGE DES COMPÉTENCES ÉDUCATIVES

21 La mise en place des politiques éducatives, et plus largement de préparation et d’adaptation des ressources humaines au marché élargi ne s’est pas faite sans résistance. Il fallut 17 ans par exemple pour mettre sur pied l’Institut universitaire européen de Florence, ce qui atteste « de l’extrême sensibilité qui existait alors quant à l’inscription de ce domaine dans une démarche communautaire » (Pépin, 2006, p. 22). Le Traité de Rome prévoyait certes la possibilité d’une action de manière floue avec l’article 128 sur la formation professionnelle, mais le cadre juridique était inadapté par rapport à l’ampleur de la tâche, et les programmes communautaires dans ce domaine, consistant par exemple dans des actions d’échanges de jeunes travailleurs [8], étaient aussi bien modestes. Mais la Communauté disposait d’autres bases juridiques, notamment la libre circulation. À la fin des années 1970 se met en place timidement le premier « Programme d’action en matière d’éducation » doté d’un budget très modeste [9], qui s’appuie sur une « résolution » juridiquement non-contraignante (Conseil, 1976). Il comprend l’éducation des travailleurs migrants et de leurs enfants, l’enseignement supérieur (via la reconnaissance des diplômes), et les méthodes d’enseignement des langues étrangères. S’y rajoute un arsenal de mesures destinées à développer la connaissance mutuelle à travers des projets pilotes, des visites d’études, des échanges d’informations et d’expériences et le rassemblement de documentation et des statistiques. On ne touche pas aux compétences nationales, on rapproche et cherche à mieux faire connaître les différences. Le CEDEFOP et EURYDICE [10] voient le jour dans ce contexte en 1975 et 1980 (Pépin, 2006, p. 68 et suiv.).

22 Mais en approchant du marché unique, à partir de 1985, les choses s’accélèrent avec la mise en place des premiers programmes Européens, dont la masse critique devient vite suffisamment importante pour que Delors créée en 1989 une Task Force Ressources Humaines, Éducation, Formation et Jeunesse. Le budget reflète ce saut qualitatif et passe à 1 milliard d’écus pour 90-94. Mais des déblocages juridiques sont nécessaires, car plusieurs pays restent très réticents, notamment le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni (Ibid, p. 72). Et ce n’est pas un hasard si ce sont des affaires portées en Cour de Luxembourg qui font basculer les choses, notamment l’Affaire Gravier, qu’on peut considérer comme emblématique des transformations que connaît cette époque. Modifiant la façon dont il faut entendre la formation professionnelle, elles éclaircissent ses liens avec l’éducation (enseignement supérieur notamment), et rendent possible une action élargie de l’Union dans le domaine éducatif.

23 Rappelons les faits : en 1982, F. Gravier s’inscrit à l’Université de Liège, et en tant que ressortissante d’un autre État membre, doit s’acquitter d’un minerval nettement plus élevé que les étudiants belges. Estimant qu’il s’agit là d’une discrimination au sens du Traité de Rome, et que les études qu’elle vient faire en Belgique contribuent à sa formation professionnelle alors que la Communauté s’est engagée à « promouvoir une collaboration étroite entre les États membres » sur ce terrain, elle porte l’affaire en justice, cela se termine à Luxembourg. La Cour lui donne raison sur la discrimination comme sur la formation. Elle stipule que peut être appelée « formation professionnelle » toute forme d’éducation qui prépare à une profession, commerce ou emploi particulier, quels que soient l’âge et le niveau des participants, et même si l’enseignement donné inclut des éléments d’éducation générale (Cour de Justice, février 1985). Les conséquences de cette définition, appelée depuis « définition Gravier », sont nombreuses. Elle facilite l’entrée de l’enseignement supérieur et de la formation initiale dans l’escarcelle communautaire, et elle articule d’une manière nouvelle ce qu’il faut entendre par éducation. L’idée d’éducation est remplacée par celle de d’EFTLV - éducation et formation tout au long de la vie (elle-même inspirée par l’OCDE). Mais c’est le programme Erasmus surtout que la définition Gravier va rendre possible (qui sera lancé un an à peine après l’arrêt Gravier au début 1986).

24 Cet Arrêt définit la formation professionnelle comme une forme d’éducation qui prépare à une profession, donc à l’employabilité. Mais comme elle inclut l’éducation générique en tant qu’elle mène à l’emploi, tout l’enseignement supérieur devient de la formation professionnelle car il prépare le plus activement à la vie active. Mais son originalité est d’inclure simultanément la mobilité européenne dans le tableau à travers la question de la discrimination. Elle entraîne donc le droit à échapper au cadre national pour viser une formation optimale, et donc une meilleure employabilité. Aussi l’une de ses conséquences implicites est que l’enseignement supérieur en situation de mobilité a une valeur ajoutée, et que l’éducation générique reçue à l’étranger est l’une des meilleures façons de viser l’employabilité. Cet arrêt touche donc à l’exosocialisation, et à idée que la formation, y compris par l’éducation générique, prépare à l’intégration et à la reproduction en dehors du cadre local. Il va donc inclure l’enseignement supérieur, mais il ne permet pas d’inclure l’enseignement scolaire, trop générique et qui ne prépare pas à une profession (si ce n’est à la façon d’un socle, comme dans le Socle Commun).

25 Se trouvent donc dessinées les grandes lignes d’une nouvelle forme d’exosocialisation qui n’est plus liée à la culture nationale. Dans l’ancienne forme d’exoscialisation décrite par Gellner, c’est la maîtrise du code élaboré qui apporte la preuve que son éducation ne se limite pas au cadre local, employabilité et culture personnelle se lient de façon intime. Avec Erasmus, les frontières de l’exosocialisation sont repoussées au-delà du cadre national. Cette ouverture est possible à cause d’un changement dans « le théâtre de l’employabilité » comme dit Haug, lequel se mesure davantage désormais « à l’aune de l’international » (Haug 2002). Le cadre du capital culturel se modifie : n’étant plus attaché à une langue ou à un cadre national précis, la mobilité éducative entraîne la reconnaissance et l’équivalence d’acquisitions faites dans des contextes très différents. Il faut donc revoir les formes d’institutionnalisation du capital culturel afin de valider les compétences acquises ailleurs. L’innovation la plus frappante est ainsi la transformation de toute forme de qualification et de composante du capital culturel, en crédit transférable et reconnaissable ailleurs. Cela revient à définir les éléments du capital culturel indépendamment du contexte culturel où il a été acquis pour le faire reconnaitre, valider et valoriser dans d’autres contextes. ECTS (European credit transfer system), Compétences-clés du Socle commun, ECVET (European credit system for vocational education and training), Cadre Commun de Référence pour les Langues Étrangères, le travail de l’Union et du Conseil de l’Europe dans ce domaine est absolument considérable pour définir ces compétences comme des unités, permettre leur transfert et leur validation.

26 L’autre aspect de ce basculement est la valorisation de l’acquisition en tant qu’elle est affectée par la mobilité étrangère, ce qui est un changement dans les règles du jeu de la reproduction sociale, relativement aux territoires. De ce point de vue, il est analogue aux missions d’étudiants déclenchées par décret impérial à l’ère Meiji au Japon, qui devaient « chercher la science partout où elle se trouvait », et « rapportèrent à pleins cahiers ce qu’ils avaient appris des langues, des lois, des techniques et des cultures des pays visités »- principalement l’Europe et les États-Unis - afin d’aider leur nation à se construire à égalité avec les autres nations modernes (Cholley, 1978). On peut le comparer aussi avec la transition des pays ex-communistes, mouvement historique entraînant une nouvelle circulation et reproduction des élites qui amène à envisager leur formation d’une nouvelle manière (Coenen-Huther, 2009). L’UE s’y associe d’ailleurs avec le programme Tempus [11].

27 Deux forces sont donc ici en jeu : l’une qui pousse à la transparence des compétences acquises, l’autre à leur valorisation lorsqu’elles sont acquises ailleurs. Les mécanismes de la valorisation sont complexes car ils jouent de manière interne aux sociétés, comme de manière externe et globale. De façon « verticale » ils concernent la façon dont des compétences transnationales vont être valorisées relativement à des compétences qui ne sont acquises que de manière locale et nationale. De façon horizontale ils concernent la façon dont les compétences acquises transnationalement vont être comparées entre elles, c’est la question de la qualité de la formation cosmopolite. Le déblocage politique et culturel est donc considérable dans ses effets, qu’on mesure dans la décennie suivante. Il va avoir trois grandes conséquences :

28

  • Les systèmes éducatifs ne vont pas être affectés de manière homogène. La nouvelle forme d’exosocialisation désirable, plus ouverte encore sur le monde, concerne peu le primaire, un peu plus le secondaire. Elle est le domaine par excellence du supérieur.
  • Ensuite, de plus en plus les systèmes éducatifs vont être appréciés selon des critères exogènes dépassant le cadre de l’histoire des sociétés elles-mêmes. C’est le développement de la comparaison des systèmes, et de l’économie de l’éducation.
  • Enfin une séparation s’effectue dans le vocabulaire Européen entre ce qui touche à l’éducation, domaine lié à l’ouverture et à l’exosocialisation, et ce qui touche à la culture, lié de façon plus défensive à la diversité et aux héritages à partir de Maastricht.

29 On étudiera surtout la première conséquence. La deuxième a fait l’objet de nombreuses études (Normand, 2003, 2010 ; Cusso, 2010). La troisième sera étudiée dans un travail ultérieur.

L’IMPACT DIFFÉRENCIÉ DE L’EXOSOCIALISATION SUR L’ÉDUCATION

30 Cet impact différencié est lié à la question de l’homogénéité, donc à la valorisation verticale. Suite aux arrêts de Luxembourg, dans les années qui vont jusqu’au Traité de 1992, l’UE met en place plusieurs programmes. Respectant la logique de la définition Gravier, ils touchent surtout trois domaines :

31

  • le supérieur avec Erasmus et Comett (plus tard intégrés dans Socrates) ;
  • la formation professionnelle avec Petra, Force, Eurotechnet et également Comett (plus tard intégrés dans Leonardo) ;
  • et le programme transversal Lingua sur l’apprentissage des langues vivantes (réparti plus tard entre les deux super-programmes).

32 Le grand absent est l’école, primaire comme secondaire, que la définition Gravier, dans quelque sens qu’on la tire, ne permet pas d’atteindre. Il faut la réécriture des compétences en 1992 avec le nouveau Traité pour que cette situation évolue. Une compétence éducative voit le jour mais qui concerne surtout la dimension Européenne de l’éducation, non les curricula (article 127 du nouveau Traité). Comenius, l’une des actions de Socrates, permet désormais de toucher l’école, mais, ne disposant que de 10 % de l’enveloppe du programme d’éducation (85 m € pour 56 millions d’élèves et 320 000 écoles), reste très timide (Esmein, 1999). L’école reste donc le parent pauvre de l’UE même après 1992. Envisageons de manière globale ce nouveau paysage, en nous plaçant simultanément au niveau des États et au niveau commun.

33 Les États veillent jalousement à ce que le système scolaire reste de leur prérogative, en raison du lien fort qui existe entre l’école et le « nation-building ». Comme le souligne Reed-Danahay, c’est particulièrement vrai pour le primaire : « la plupart des pays Européens (…) veulent conserver l’autonomie dans ce domaine. Chaque nation voit sa propre éducation primaire comme reflétant uniquement ses valeurs nationales » (Reed-Danahay, 2003, p. 204). Une exosocialisation européenne anticipée a de chauds partisans, comme le montre le débat sur l’apprentissage précoce des langues étrangères et l’enseignement bilingue. Mais ce modèle ne connaît pas le développement que certains souhaiteraient [12]. Dans le secondaire la question est plus complexe. Certes l’européanisation des programmes d’histoire se fait lentement et d’une manière non-homogène d’un pays à l’autre, mais le fait est là toutefois : les classes Européennes se développent, parfois même l’apprentissage de deux langues simultanément dès la 6e ; faire un séjour à l’étranger au cours de sa scolarité devient un atout avec les programmes de mobilité du secondaire (Pour la France et l’Allemagne « Brigitte Sauzay » et « Voltaire », en Suède « Une année en Allemagne, France et Espagne »). Mais c’est le supérieur qui est le domaine par excellence de l’exosocialisation où la réticence des États existe le moins : programmes d’échanges, ECTS, universités binationales, développement de cursus anglophones, etc.

34 Tout se passe comme si les États souhaitaient protéger l’école, creuset de l’identité par la langue. Mais l’éducation qui se développe propose de plus en plus un modèle cosmopolite par ses valeurs et par les langues, qui ne touche pas tous les pays européens de la même façon, mais il devient normal de s’ouvrir à l’étranger quand on avance dans ses études. Certains appellent ce modèle en expansion « internationalisation de l’éducation ». Cela focalise sur le marché que représente l’enseignement supérieur depuis les accords du GATT, et ne souligne pas assez la façon dont les systèmes éducatifs sont affectés, sur l’ensemble du cursus éducatif mais de façon non homogène.

35 Sur ce plan sont très significatives les mesures que certains pays Européens ont pris par rapport aux langues. Aux Pays-Bas, le Ministère de l’éducation a rendu obligatoire depuis vingt ans l’enseignement en néerlandais et interdit l’usage de tout autre langue comme langue d’enseignement dans le primaire et le secondaire, afin de rendre impossible le développement d’écoles de langue anglaise vers lesquelles de plus en plus de parents étaient tentés d’envoyer leurs enfants, alors que l’enseignement supérieur en anglais devient la règle. On peut interpréter dans le même sens les débats sur la nouvelle loi de langue nationale, le « Språklag », en Suède, pays qui n’avait pas de loi linguistique jusque-là et a éprouvé le besoin d’instituer le suédois comme langue nationale en 2009. Le développement de l’anglais dans l’enseignement supérieur est l’un des soucis principaux à la base de cette loi [13]. Au Danemark une polémique a suivi les propos d’un Ministre de l’éducation qui s’est vanté dans un congrès de professeurs de langues que l’anglais soit passé du statut de première langue étrangère enseignée, à celui de deuxième langue maternelle. Cela ne touche pas seulement le Nord de l’Europe : en Grèce suivre le supérieur à l’étranger est très courant ; parmi les nouveaux adhérents, en Bulgarie sur 400 000 étudiants, près de 40 000 étudient à l’étranger et les lycées bilingues sont très développés [14]. Certains pays sont touchés plus que d’autres. En sociolinguistique on sait que l’apprentissage des langues est étroitement lié à la taille de l’aire de la langue maternelle. Ainsi grecs, scandinaves, luxembourgeois, bulgares, néerlandais apprennent-ils beaucoup les langues. Les pays les moins marqués sont ceux dont la langue de haute culture est assise sur des bases larges depuis longtemps, mais ils ne sont pourtant pas à l’abri de polémiques comme le montre, en France, le débat sur la loi sur l’enseignement supérieur qui étend la possibilité de cours dispensés en anglais. Mais tout le monde est affecté, aussi il est possible qu’avec la globalisation l’enseignement des langues étrangères soit appelé à devenir une partie de l’aménagement linguistique national (Esmein, 2003). Le Conseil des Ministres du Conseil Nordique reçoit en 2002 dix rapports sur ce sujet. Le phénomène le plus inquiétant est ce que l’un d’entre eux nomme la perte de domaine d’expression (un domaine étant un ensemble de situations linguistiques qui partagent certaines caractéristiques essentielles : lieu, sujet et but de l’échange linguistique, relation entre les locuteurs). Des domaines typiques sont l’enseignement, la justice, la science, le sport, etc. Cela présuppose qu’un domaine détermine le choix de la langue. Or, dit Höglin, si aucun pays scandinave n’est encore en situation de diglossie [15], pourtant on constate déjà que « plusieurs domaines sont en voie d’être fauchés par la langue anglaise, c’est le cas du monde académique, de la recherche et des entreprises internationales » (Höglin, 2003, p. 105). Dans ces domaines, dit-elle « il n’est pas rare que les experts soient incapables d’expliquer ce qu’ils font dans la langue de leur pays, et il y a également un risque qu’une stratification sociale se forme opposant l’élite experte au grand public » (Ibid).

36 Or c’est la langue en tant que langue de haute culture, visant l’universel et permettant de parler de tout par ses développements terminologiques, qui régresse ici. Chaque nation avait développé son univers du discours propre et il y a régression : des codes élaborés perdent des pans entiers d’expression dans des domaines centraux pour l’éducation et l’État. Il devient naturel qu’un seul code suffise pour l’universel, beaucoup de codes élaborés tombent dans le registre du singulier.

37 Mais la diffusion de l’anglais repose-t-elle seulement sur un besoin ? Quelles sont ses bases sociales ? Est-il nécessaire que l’éducation soit en anglais à l’Université d’Umeå en Suède, ou de Trondheim en Norvège, toutes deux au niveau du cercle polaire ? Ou bien la maîtrise des langues étrangères ne tend-elle pas à devenir une composante du capital culturel des élites ? L’économie moderne crée un besoin interculturel de communication, mais quelles en sont les limites ? On a vu par exemple que coexistent une tendance globale vers l’anglais, comme un besoin d’apprentissage des autres langues pour accéder au marché unique dans toute sa diversité. Or des deux, c’est la première qui surnage. On peut donc penser que c’est d’abord une forme qui est définie.

38 À l’époque nationale, le contenu de l’éducation générique qui semble nécessaire à la mobilité sociale est non seulement variable selon les périodes, mais également vague, comme le dit Gellner : « il se réfère à cet ensemble de compétences qui, dans la société moderne font qu’un homme est apte à occuper la plupart des emplois courants. Il peut pour ainsi dire, nager dans cette espèce de bain culturel. Il s’agit d’un syndrome plus que d’une liste stricte. Il n’y a peut-être aucun élément qui soit absolument indispensable » (Gellner, 1983, p. 131). On peut penser qu’a fortiori, il en est de même pour l’Europe et le grand marché, il ne s’agit pas d’un curriculum mais d’une conception éducative de la reproduction sociale, d’un nouvel habitus (Bourdieu, 2000, p. 282), d’une disposition et d’un style de vie prenant sens sur fond d’inégalités sociales, où la maîtrise des langues étrangères, et notamment de l’anglais est décisive. Ces différences ne sont pas nouvelles : l’opposition code restreint – code élaboré a des implications au niveau scolaire (Bernstein, 1978). Ce qui est nouveau c’est la dimension cosmopolite du phénomène. Comme le souligne Höglin (2003), il n’y a pas encore diglossie, mais on est sur la pente qui y mène.

39 Mais à la différence du XIXe siècle, le processus ne construit pas de nouvelle identité, car il n’accompagne plus le développement d’une langue maternelle commune et de l’État. Les programmes éducatifs Européens apportent certes un supplément d’âme à l’Union, mais cela ne concerne pas tout le monde. On est loin de l’harmonisation culturelle par la langue. Ce phénomène n’est pas propre à l’Europe et fait partie de stratégies sociales très nettes. Waters montre la manière dont les familles aisées de Hong Kong « emploient des stratégies spatiales pour contourner la concurrence universitaire locale, et la reproduction sociale qui lui est liée, en accumulant du capital culturel au Canada » (Waters, 2006, p. 1048). Cela révèle qu’un savoir-faire se développe mondialement à ce sujet. Dans de nombreux pays, cela sape « la valeur de l’éducation pourvue localement » (Robertson, Dale, 2010, p. 188). Ainsi au niveau Européen, les efforts des pays de l’Est pour rénover leur enseignement supérieur sont-ils fréquemment déstabilisés par l’exode d’une partie des étudiants issus de familles aisées vers les universités étrangères, ou vers celles pourvoyant localement un enseignement en anglais (ex : American University of Bulgaria). La question de la mesure horizontale de la qualité se lie donc étroitement au développement de la mobilité des élites.

40 En droit, ce processus devrait mener aussi au niveau Européen au cosmopolitisme plus diversifié et à l’apprentissage d’autres langues étrangères. Pourtant, par un engrenage singulier, c’est à la promotion de l’anglais qu’il conduit. Aux débuts d’Erasmus, une concurrence s’établit entre pays aux grandes langues véhiculaires, mais le problème viendra surtout des petites langues. Les étudiants ne les choisissant guère, ces pays développent des cursus anglophones. Ils deviennent ainsi attractifs et la mobilité entre certains pays s’inverse : si au départ le nombre d’étudiants français choisissant les Pays-Bas est inférieur à celui des étudiants hollandais choisissant la France, vingt ans plus tard les cursus anglophones ont retourné la situation [16].

LA NOUVELLE PLACE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

41 Quelle est la place de la formation professionnelle proprement dite dans ce nouveau panorama ? Comment le développement de ces nouvelles compétences transnationales et cosmopolites l’affectent-elles ? La question est complexe car la définition même de la formation professionnelle a changé et inclut en partie maintenant l’ensemble du supérieur. La politique de la Commission avec l’EFTLV vise la mise en correspondance des systèmes entre eux, pour créer des passages de l’un à l’autre : d’un pays à un autre, mais aussi de l’école à la formation, et de la formation à l’université (ou inversement). Ainsi s’installe progressivement un énorme système de validation des compétences et des acquis de l’éducation, de la formation et de l’expérience, et de transfert de ces acquis dans d’autres cadres. Cela mènera aussi en 2007 à l’unification des programmes (Socrates, Leonardo, enseignement à distance, etc.) en un programme unique renforçant les synergies entre les sous programmes (enseignement supérieur, formation, école, etc.).

42 Mais une compétence de formation professionnelle distincte de la compétence éducative existe depuis 1992 au niveau juridique, qui inclut formation initiale et continue. Quelle est sa place dans ce tableau, quelles incidences l’internationalisation a-t-elle sur elle ? Comme pour l’éducation, l’impact a lieu en fonction des langues.

43 Le secteur de la formation linguistique sous toutes ses formes connaît une explosion qui révèle que l’absence de compétence linguistique dans un capital culturel devient une lacune. Tous les moyens sont bons pour compenser le handicap à ce niveau. Au niveau Européen cette explosion donne un rôle éducatif pilote aux langues, avec la mise en place du premier instrument de transparence des qualifications, le Cadre Commun de Référence pour les Langues Étrangères créé en 2001.

44 Mais qu’en est-il de la formation non-linguistique, liée au seul contenu de l’activité professionnelle ? Avec l’union économique elle devrait être à la pointe du mouvement, or si l’on examine les choses en termes d’impact, on voit qu’il ne prend pas les mêmes formes que pour le supérieur. Certes l’impact est réel, mais il ne touche pas de la même façon en termes de capital culturel et d’habitus.

45 Tout d’abord, par le biais des Fonds structurels, grand pourvoyeur de financements pour la formation professionnelle, ce sont les régions qui sont visées dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union, d’une reconversion et d’une mobilité plus locales que transnationales. Les investissements de l’Union sont considérables (le fonds social européen (FSE) représente à lui seul 10 % du budget de l’UE, et 80 % de ses fonds sont consacrés à l’EFTLV), mais les priorités sont fixées par les États sur la base des stratégies décidées par les régions, et surtout la formation n’embraye guère, comme le supérieur, sur l’exosocialisation (l’impact en termes de capital culturel est donc différent).

46 Certes la Stratégie de Lisbonne crée un Espace européen de la formation professionnelle, développe la transparence des qualifications et facilite la mobilité avec Europass, ECVET, European quality assurance framework. Son rôle central à ce niveau illustre la volonté de la Communauté d’inscrire son action sous la bannière de l’égalité des chances. L’influence britannique dans l’approche par compétences dans la construction des diplômes est notable, et amène une offre plus abondante de certifications professionnelles, ainsi que le découpage des diplômes en modules, certificats, etc. Enfin, l’accent porté aux acquis d’apprentissage modifie la formation professionnelle et les diplômes professionnels.

47 Mais comme le montre West (2012), le monde de la formation n’est pas bouleversé sur le plan socioculturel par ces instruments comme l’université l’a été par Bologne. Si l’impact sur la construction des qualifications est clair, par contre on peut douter que la mobilité et la valorisation internationale se trouvent au rendez-vous, et donc l’impact symbolique n’est pas le même. Ce type de formation est en effet moins affecté par la mobilité internationale que le supérieur. Si en milieu Bruxellois on rêve de Tours d’Europe professionnels (comme on faisait des Tours de France à l’époque des compagnons, ce qui est une belle idée), dans la réalité 5 200 bourses seulement sont accordées par Leonardo par an entre 2007 et 2009, quand 232 000 le sont par Erasmus. West estime qu’une politique de formation professionnelle au niveau Européen n’est pas portée par des intérêts économiques forts (Ibid). S’ils soutiennent sans ambiguïté le supérieur, ils ne voient pas toujours la valeur ajoutée européenne dans le domaine de la formation. Sans doute parce que la mobilité géographique, comme se lamente la Commission, est moins développée qu’on ne croit : 2 % des Européens vivent et travaillent dans un autre pays de l’UE (Eurobaromètre, 2010). 1 % d’entre eux font des migrations pendulaires quotidiennes entre domicile et travail. Aux USA le taux annuel moyen de mobilité entre États est de 3 %, alors qu’il est de 1 % seulement entre pays de l’UE (Commission, 2008). La question linguistique y est évidemment pour quelque chose : 47 % des Européens disent ne connaître aucune autre langue que leur langue maternelle et l’utiliser principalement en vacances, non dans le cadre professionnel (Eurobaromètre, 2001).

48 La formation professionnelle reste plus marquée par le national et le régional, que par la mobilité Européenne et le global. On le voit en comparant les taux de participation à l’EFTLV entre pays Européens. L’objectif visé par la Commission pour 2010 était que le taux moyen atteigne au moins 12,5 % de la population adulte en âge de travailler (sur les classes d’âge de 25 à 64 ans). Le tableau suivant montre que les différences entre pays restent considérables, certains ont la culture de la formation, d’autres pas. À l’Est, la formation est une pratique si récente que l’Union a créé en 1993 la Fondation Européenne pour la Formation à Turin, focalisée sur cette partie de l’Europe en pleine mutation.

Année 2007 [17]
Pays Taux de participation à l’EFTLV (1)
Danemark 29,2
Pays-Bas 16,6
Suède 32,4
Royaume-Uni 20
Finlande 23,4
Allemagne 7,8
Espagne 10,4
France 7,4
Italie 6,2
Grèce 2,1
Bulgarie 1,3
Roumanie 1,3
figure im1
[17] Pourcentage de la population de 25 à 64 ans ayant participé à l’éducation ou à la formation pendant les quatre semaines précédant l’enquête du CEDEFOP en 2007. Source (CEDEFOP / 2009).

49 Enfin, on est frappé de constater que dans le Traité de 1992, les compétences de l’UE dans ce domaine soient paradoxalement moins larges que dans celui de Rome dont l’article 128 disait que la Communauté « établit les principes généraux pour la mise en œuvre d’une politique commune de formation professionnelle », alors que désormais avec l’article 127, elle « met en œuvre une politique de formation professionnelle, qui appuie et complète les actions des États membres, tout en respectant pleinement leur responsabilité pour le contenu et l’organisation de la formation professionnelle ». Le rôle des États est renforcé et la possibilité d’une politique commune diminuée. Diverses raisons semblent expliquer ce phénomène. La principale est la subsidiarité : la formation relève plus d’un échelon national et régional que communautaire. Mais on peut souligner aussi que comme la formation était à cheval sur différents niveaux de mise en œuvre (la formation initiale étant en partie sur le secondaire), intégrer ce secteur à une politique commune aurait ouvert la voie à plus d’intervention de l’UE au niveau du lycée, mais cet argument renforce encore l’idée que ces secteurs, même s’ils subissent fortement les contrecoups du marché unique au niveau économique, sont cependant nettement moins touchés par l’exosocialisation et la transnationalité.

50 L’Europe s’est donc appuyée sur la compétence de formation pour faire entrer l’éducation dans l’escarcelle communautaire, sa politique de formation professionnelle a eu un impact certain dans la construction des diplômes, mais la formation n’y est cosmopolite que dans le secteur des langues. Il en est de même pour l’école : Comenius concerne en France à peine 1 500 projets par an sur 65 000 écoles, collèges et lycées. La mobilité n’y touche qu’une centaine d’élèves par an. Ceux qui quittent l’école le plus tôt ne reçoivent donc pas le même bain identitaire que ceux qui la quittent tard. L’Europe de l’éducation est avant tout universitaire.

CONCLUSION

51 On trouve donc un jeu d’équilibre entre des forces d’ouverture et des résistances : les États freinent au niveau scolaire, mais ouvrent sur l’internationalisation dans le supérieur. Mais tout le monde n’est pas touché de la même façon. « Les processus de globalisation ne favorisent pas seulement l’interconnexion culturelle, ils favorisent aussi la déconnexion. La globalisation brise l’homogénéité de l’État-nation, elle implique la diversité autant que l’uniformité » (Kaldor, 2004, p. 166). Si l’Europe de l’éducation a un impact, ce n’est pas dans l’émergence d’une conscience et d’une identité Européenne. On constate plutôt l’impact différencié de l’exosocialisation sur les différents niveaux de la scolarité et de l’éducation, et au-delà sur les différentes couches des sociétés en Europe. Cette fonction exosocialisante qui existait déjà antérieurement, prend une forme plus internationale, et tous ne reçoivent pas le même bain éducatif relativement à cette ouverture cosmopolite. Le processus ressemble à celui qui a accompagné la naissance des États-nations en ce qu’il est lié à l’extension des marchés. Mais il ne construit pas de nouvelle identité et n’accompagne plus le développement homogène d’une langue de haute culture sur son périmètre maximal de diffusion en tant que langue maternelle. L’État ne disparaît nullement, il subsiste mais semble adopter progressivement un double standard. On n’est pas encore en situation de diglossie, mais on en est sur la pente. L’un des phénomènes le plus inquiétant reste néanmoins la tendance nette à ne plus privilégier qu’une langue de haute culture unique pour la science et l’économie. Trois questions restent ouvertes qu’il faudrait aborder dans un travail ultérieur :

52

  • Il faudrait mieux qualifier ce que nous avons appelé la valorisation horizontale (et la mesure de la qualité) et les liens qu’elle entretient avec la valorisation verticale.
  • Quels sont les liens entre ce que nous avons décrit et le développement de la scolarisation ? Cela se produit alors que dans nos pays le niveau final moyen de scolarisation ne cesse de s’élever. Les élites n’y trouvent-elles pas un moyen nouveau d’asseoir leur légitimité par l’instruction cosmopolite plus que dans l’instruction nationale désormais largement diffusée, la première restant socialement plus difficile d’accès ?
  • Le fossé culturel entre classes supérieures et inférieures de la société ne se renforce-t-il pas ? Friedman souligne que la globalisation amène une opposition entre l’adhésion des élites adeptes du double standard à des valeurs cosmopolites, entraînant ensuite au niveau professionnel leur appartenance à des réseaux, des organisations ou des firmes habituées à l’exosocialisation, et les classes travailleuses au standard unique lésées par la mondialisation plus sujettes à exalter leurs racines (Friedman, 2003), et enfin des populations issues de l’immigration, dont la diglossie, elle, est stigmatisée pour cause de non-légitimité.

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Mots-clés éditeurs : construction européenne, homogénéité culturelle

Mise en ligne 16/02/2015

https://doi.org/10.3917/cdle.038.0103

Notes

  • [1]
    Pour la définition de ce terme, voir note 15.
  • [2]
    On a souvent objecté à Gellner que l’industrialisation n’a pas concerné de la même façon les différents états de l’Europe et du monde, ni suivant le même rythme. La France ne connaît pas au XIXe siècle les mêmes périodes d’industrialisation que l’Angleterre et l’Allemagne, la Grèce est touchée beaucoup plus tard. On a reproché aussi son ethnocentrisme à cette théorie. Gellner répond qu’à partir de la fin du XVIIIe un certain modèle de société se répand, où l’éducation, la mobilité sociale, la langue et la technique s’articulent d’une façon nouvelle par rapport aux sociétés antérieures, et qu’il aspire à « à trouver des modèles généraux » pour décrire cette articulation (Gellner, 1996). L’expansion de ces sociétés est loin de se faire d’un seul coup, et simultanément partout, mais elle touche aujourd’hui la terre entière. La diversité culturelle ne disparait pas pour autant (chaque société a son chemin propre à travers cette modernité). Soulignons qu’une partie de son œuvre est consacrée au chemin du Maghreb vers la société industrielle et la nation (Gellner, 1981).
  • [3]
    Nous n’ignorons pas l’existence de sociétés plurilingues comme la Suisse, mais dans ces sociétés aussi les codes standards ont émergé sur le fond du continuum des formes dialectales (ex. patois romands pour le français).
  • [4]
    Une langue de haute culture est à l’origine une forme de langue ayant émergé du continuum dialectal qui va servir de base à l’élaboration d’une langue nationale, le toscan par exemple pour l’italien. Elle acquiert d’abord son statut privilégié dans la communication des élites, puis sert de langue d’imprimerie et de langue officielle d’État, se standardise à travers ce processus et devient langue d’éducation.
  • [5]
    Curriculum ou programme d’études, c’est à dire l’interaction entre les élèves et le contenu pédagogique telle qu’elle est définie par l’État, afin d’atteindre les objectifs éducatifs.
  • [6]
    Par exemple : la conquête des pays émergents par Renault à travers Dacia, l’adaptation des productions du Cognac au marché chinois, la diversification de MacDonald en fonction des pays, la stratégie de Danone en Bulgarie, ou le centre linguistique de Microsoft en Irlande pour la « localisation » de ses produits Européens ; gamme de stratégies allant de la conception de produits adaptés, en passant par le marketing culturel, jusqu’à la standardisation linguistiquement diversifiée.
  • [7]
    Voir l’article du Volkskrant du 28/8/06 qui se félicite de l’inversion de cette tendance dénoncée depuis quinze ans par la presse.
  • [8]
    Cf. les « Programmes communs pour favoriser l’échange de jeunes travailleurs au sein de la Communauté » : 1964 (64/307/CEE), 1979 (79/C81/16) et 1984 (84/C153/07).
  • [9]
    14 millions d’écus pour 1980-1984 (1er programme). En 1986 la Communauté alloue 0,1 % du budget communautaire à ce domaine (Pépin, 2006, p. 69).
  • [10]
    CEDEFOP : Centre européen pour le développement de la formation professionnelle, EURYDICE : Réseau d’information sur les systèmes éducatifs européens.
  • [11]
    Le cosmopolitisme et la mobilité ont connu plusieurs formes historiques. Le discours Européen s’appuie sur les pratiques des universités du Moyen Âge et de la Renaissance. Il y aurait continuité entre les pratiques de l’aristocratie et la bourgeoisie à ce niveau (Pinçon, Pinçon-Charlot, 2000). Il y a pourtant des différences à souligner. Celles de l’université médiévale avec ses groupements par nations (collège danois, écossais, etc.) et son monolinguisme latin savant, sont liées au fait de la chrétienté. Les pratiques aristocratiques reposent sur les alliances matrimoniales d’une classe plus proche de ses semblables d’autres pays que des locaux d’autres milieux, alors que pour la bourgeoisie, l’exosocialisation est liée au désir d’éliminer les cloisonnements sociaux et économiques de l’ancien régime. L’aristocratie a une vision pérenne et dynastique des élites qui ignore les différences entre peuples pour mieux affirmer une communauté de classe soulignée par l’usage d’une langue de distinction, le français. Les élites bourgeoises sont « un hôtel ou un autobus toujours rempli, mais rempli toujours par des gens différents » (Schumpeter, 1972). Leur cosmopolitisme « a d’abord comme principe celui des affaires », car « la croissance du chiffre d’affaires s’accompagne très vite d’un débordement hors des frontières » (Pinçon, Pinçon-Charlot, p. 71). L’aristocratie n’est pas nationale, alors que c’est avec la bourgeoisie que la nation émerge au XVIIIe siècle. Mais selon les contextes historiques elle est nationale aussi bien que cosmopolite. Ce qui l’intéresse c’est le décloisonnement, celui du marché national intérieur (voir le soutien apporté par les bourgeoisies de la mosaïque de petits États allemands à l’unionisme de Bismarck), comme celui du capitalisme globalisé moderne. Par ce souci, comme par sa conception ouverte de la langue (de l’imprimerie, de la technique et de la circulation des idées) l’idée nationale contient au départ quelque chose d’universel qui entraine son expansion mondiale. Aussi elle ne doit pas être confondue avec le nationalisme.
  • [12]
    Voir par exemple : (Deshays, 1990) ; (Lietti, 1994) ; (Porcher, Groux, 2003) ; (Hagège, 2005).
  • [13]
    Voir les documents du Språkförsvaret sur la politique de langue dans l’éducation tertiaire : http:// www.sprakradet.se/
  • [14]
    Source : Amb. de France en Bulgarie.
  • [15]
    La diglossie est la situation linguistique où les mêmes locuteurs d’un pays (ou parfois d’une région) sont amenés à employer plusieurs langues nationales ou officielles, à les superposer dans l’usage, ou à changer d’emploi selon les contextes ou les domaines (c’est le fameux « code switching »). On parle de plurilinguisme, en revanche, quand plusieurs aires linguistiques coexistent à l’intérieur d’un même pays sans superposition d’usage. Le Luxembourg et Malte sont diglossiques (lëtzebuerg, français et allemand dans le premier cas, anglais et maltais dans le second), l’Irlande aussi, même si l’irlandais n’est parlé que dans certaines régions du pays, ainsi que la Grèce (katharevousa et demotiki) jusqu’à une période récente. La Suisse est plurilingue, mais connait des situations de diglossie, par exemple dans ses cantons alémaniques (schwizer dütch et allemand). La diglossie est courante dans les situations post-coloniales, de même que pour les aristocraties d’ancien régime (la noblesse russe avec le français). En situation de diglossie il est fréquent que l’une des langues soit représentée comme supérieure et l’autre inférieure. Les deux variétés peuvent être relatives à une même langue ou appartenir à deux langues différentes (Ferguson, 1959), (Fishman, 1971). Dans les pays au statut linguistique monolingue, comme la France ou l’Allemagne, la langue nationale s’est construite à partir d’un fond initial polyglossique et parfois plurilingue dont il peut y avoir des restes ou des renaissances, diversement reconnues (Frison aux Pays-Bas, Sorabe en Allemagne, Alsacien en France, Gallois au Royaume-Uni). Cette diglossie régionale, aussi vivante soit-elle, ne saurait être comparée avec la diglossie dont nous parlons où des langues nationales sont amenées à se superposer avec l’anglais, comme en Suède ou au Danemark.
  • [16]
    Source : DG Éducation, formation, culture et jeunesse, Bruxelles.
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