Couverture de CDLE_030

Article de revue

Lucile Barberis présidente de l'AGEEM

Pages 123 à 131

Notes

  • [1]
    . Certificat d’aptitude à l’enseignement dans les écoles annexes et les classes d’application
  • [2]
    . Dominique Wolton. Penser la communication. Flammarion, 1997.
  • [3]
    . Carnet AGEEM (mai 2009), « A l’école maternelle, évaluer, pourquoi ? Quoi, quand, comment ? », Éditions de l’AGEEM.
  • [4]
    . Inspecteur de l’Éducation nationale.
  • [5]
    . Guide AGEEM (2008). Votre enfant à l’école maternelle. Guide à l’usage des parents. Il est disponible et consultable sur le site : www.ageem. fr
  • [6]
    . Bulletin officiel de l’Éducation nationale n° 32 du 3 septembre 2009 « Instructions pédagogiques. Enseignants du premier degré exerçant en classes et écoles maternelles ». Circulaire n°2009-098 du 17-8-2009, MEN-DGESCO A1-1.
  • [7]
    . Direction générale de l’enseignement scolaire.
  • [8]
    . Inspection générale de l’Éducation nationale.

1 Lucile Barberis est militante de l’AGEEM (Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques) depuis sa sortie de l’école normale en 1970 et présidente nationale depuis septembre 2001. Elle a été maître formateur pendant cinq ans puis conseillère pédagogique pendant vingt et un ans dans le département du Var.

2 1. Lucile Barberis, pouvez-vous nous expliquer quel a été votre cheminement et comment pourriez-vous caractériser les huit années qui viennent de se passer ?

3 Je milite au sein de l’AGEEM depuis ma sortie de l’école normale en 1970 et je suis arrivée à l’AGEEM par hasard puisqu’en 1971, on fêtait le 50e anniversaire de l’association, à Cusset, lieu fondateur de cette association. On avait fait appel aux personnes pour montrer le folklore de leur région. Donc je suis arrivée à l’AGEEM pour apprendre la mazurka et la farandole à des collègues donc en quelque sorte pour une activité qui n’avait rien de directement pédagogique. Je suis allée à Vichy pour danser et cela a été une découverte éblouissante ; il y avait une exposition extraordinaire sur l’école maternelle et j’ai été happée, éblouie, embarquée dans une affaire très personnelle et très longue puisque je peux dire aujourd’hui que j’ai fait tous les congrès AGEEM depuis 1971. J’ai acquis une culture ; je sortais de l’école normale dans laquelle l’école maternelle n’avait pas été plus valorisée que cela. On en parlait plus que maintenant mais pas encore comme on aurait pu le souhaiter. Pour revenir à mon parcours, j’ai été institutrice à Sainte-Maxime ; à l’époque on avait une formation pour accéder au CAEEA [1] et puis, je suis devenue maître formateur avec une dispense d’âge, avant 25 ans. Et j’ai intégré une école à Draguignan qui est devenue école d’application par le poste que j’ai apporté puisqu’ils avaient trois postes, et c’était une école Freinet. J’ai donc exercé de 1975 à 1980 et en 1980 je suis devenue conseillère pédagogique. J’ai navigué entre des postes EPS et généralistes, dans des circonscriptions école maternelle jusqu’en 1987 et au-delà, les circonscriptions sont devenues mixtes. J’ai toujours travaillé sur le Centre-Var et le Haut-Var, c’est-à-dire la ruralité, les écoles multicours, les petites écoles maternelles. Si je résume mon cheminement pour en arriver là, c’est mon engagement professionnel : j’ai travaillé avec beaucoup de professeurs IUFM, j’ai fait de nombreuses activités et je suis rentrée à l’AGEEM et au conseil d’administration national en 1990. J’ai suivi son fonctionnement, et c’est le conseil d’administration qui m’a sollicitée pour devenir présidente ; c’est une perspective que je n’avais pas dans mon projet de vie. Et je dis bien projet de vie parce que c’est un revirement absolu. C’est un engagement vraiment total où il est difficile de distinguer vie professionnelle et vie personnelle. Huit années de combat, avec le sentiment qu’il n’était pas tout à fait tangible dans un premier temps et qu’il s’est accentué, qu’il est devenu un affrontement réel. Je caractériserais donc ces huit années comme huit années de démocratisation de l’association, de valorisation du travail au sein de l’association, du partage, de la mutualisation, et de prise de position. Prendre des positions claires, c’est de plus en plus important pour que les collègues puissent nous suivre.

4 2. Quelles ont été les rencontres marquantes au cours des premières années de votre vie professionnelle puis au cours des « années AGEEM » ?

5 Je ne peux manquer d’évoquer le souvenir de ma mère puisqu’elle a été maître formateur très tôt. Elle a fini sa carrière directrice à l’école annexe, alliant école maternelle et élémentaire. La continuité pédagogique a toujours été le maître mot, une piste. Sinon, j’ai eu dans ma carrière professionnelle des rencontres multiples, mais ce ne sont pas des noms connus. J’ai eu des rencontres de professionnels de terrain attachés au développement de l’enfant, à l’école, à la qualité relationnelle et à la culture. La prise en compte de l’individu dans cette dimension de recherche culturelle et de fondement culturel qui oriente la vie sont des choses extrêmement présentes dans ma carrière. Dans ma vie AGEEM, depuis que je suis présidente, j’ai fait aussi de belles rencontres. J’ai découvert, au sein de l’institution, qu’il y avait des personnes qui avaient de grandes responsabilités et qui étaient des êtres humains très riches. Je cataloguais peut-être un peu vite les gens dans des postures professionnelles exclusives et je me suis rendue compte que ce n’était pas cela et que vraiment, quand on était à un certain niveau de l’institution, on pouvait aussi avoir de la connivence intellectuelle. Je ne vais pas vous donner des noms, ce sont des gens qui sont à des hauts niveaux de responsabilité dans la pyramide et avec lesquels j’ai une vraie complicité intellectuelle, une confiance. Plus on monte un peu dans la pyramide, moins on est attaché par cette espèce de pouvoir fictif qui fait que cela occulte beaucoup de choses. On est plus détaché de ces questions de pouvoir et on est beaucoup plus vrai.

6 3. Quel rôle estimez-vous avoir eu et continuez-vous d’avoir au sein de cette association ?

7 Un rôle de transparence, de communication même si ce terme est vraiment galvaudé. J’ai lu le livre de Wolton [2] sur la communication. Mise en commun, partage, mutualisation, je crois que j’ai fait cela, et puis prendre des positions et les défendre. Ce sont des choses qui sont de plus en plus demandées et de plus en plus claires. Il faut dater ces positions, il faut dire à quelle époque on les a prises parce que cela aide le collègue à se positionner dans cette espèce de nébuleuse qui s’appelle l’école. Parce que c’est de plus en plus difficile. Les collègues peinent à exercer. C’est un constat quotidien. À quelque niveau que l’on se situe, on est toujours dans un bouillonnement, dans une effervescence dans une attente qui est pour avant-hier ; le facteur temps est un facteur qui n’est absolument plus pris en compte pour les apprentissages. Il suffit que l’on ait fait une fois les choses avec les enfants pour que l’on considère que c’est acquis. Revenir sur les notions, répéter, recommencer avec d’autres bases, avec d’autres matières, avec d’autres points de départ, je crois que les collègues n’ont plus le temps de faire cela. J’ai l’impression que l’on est dans des « fausses » acquisitions, dans une espèce de fiction. Il faut passer toutes les fiches de la série, alors on a bonne conscience par rapport aux familles. Transparence et prises de position sont donc fondamentales. Là on a quatre petits dossiers qui s’appellent « les carnets de l’AGEEM », une nouvelle série pour donner nos prises de position. Les collègues ont besoin de savoir ce que l’association pense de l’évaluation. Alors on a fait un premier carnet [3] qui est intitulé : « évaluer, pourquoi ? » et on en a trois autres en chantier ; le second va être « lire, écrire jusqu’où ? », autant de sujets chauds qui nous posent problème et qui sont sources de dérives majeures. « Devenir élève, comment ? » parce que là, aussi, le ministère veut nous faire aller vers des positions que l’on n’adopte pas forcément. Et le dernier carnet est intitulé « scolariser de deux à trois ans, pourquoi ? » ; ce ne sont pas des sujets faciles mais c’est sur ces questions-là que les collègues nous attendent. Je ne veux pas que l’association reste à la marge de ce qui est le cœur des questions des écoles. L’année dernière on a renversé la vapeur et l’on a réaugmenté nos adhésions de 2 %, il n’y a pas beaucoup d’associations dans le contexte d’aujourd’hui qui peuvent en dire autant et je l’affecte à ces positions courageuses.

8 4. L’AGEEM a été fondée en 1921, pourriez-vous nous rappeler dans quel contexte elle a vu le jour ?

9 C’est Madame Le Saint, institutrice à Cusset à côté de Vichy qui a créé cette association le 5 novembre 1921. J’étais dans l’école de Madame Le Saint la semaine dernière. Une vraie émotion. L’école est restée comme elle était. Il y a les frises avec les fables de La Fontaine. Une âme dans cette école. J’y étais à l’initiative des collègues de l’association de l’Allier puisque nous avons voté notre 84e colloque national à Vichy en juillet 2011.

10 Je suis allée dans le secteur pour différentes rencontres et nous avons profité de cette opportunité pour faire le lancement de notre projet dans l’école de Cusset avec les parents, les élus… Madame Le Saint à l’époque a créé cette association, l’association générale des institutrices des écoles maternelles et des classes enfantines publiques de France et des colonies, en 1921. Deux buts à l’époque : améliorer la qualité de vie des enfants et obtenir l’égalité des institutrices d’école maternelle avec leurs collègues de l’école élémentaire. L’école maternelle c’est la loi organique de 1886. Cette école maternelle issue de la salle d’asile était dans une situation d’injustice. Car à compétences égales, les institutrices n’avaient ni les mêmes horaires, ni les mêmes congés, ni les mêmes salaires que les instituteurs d’école élémentaire. C’est avant l’existence des syndicats que cette association est née. Et au départ, il y avait des objectifs de revendication catégorielle. Très vite, les syndicats ont pris la relève. C’était la période bénie, de 1923 à 1977 où il n’y a pas eu de texte sur l’école maternelle. Après, il y a eu 77 puis 86. C’était d’abord des orientations, puis des programmes. Je dis l’époque bénie car on a fait confiance à l’observation des enseignants, à leur intérêt pour l’enfant et on les a laissés inventer, imaginer leur pédagogie. Ils ont fait des tentatives, des essais, des erreurs, et Madame Le Saint a travaillé à l’époque avec Monsieur Fernand Nathan, fondateur des éditions Nathan, qui l’a aidée. Il y a des archives très importantes à Caen qui relatent cela. Mais je crois que ce n’est pas valorisé. Cette association est née dans un contexte où l’école maternelle existait mais il fallait faire valoir les droits des enseignants, et il fallait bien mettre l’accent sur la qualité de vie des enfants car à l’époque, les questions d’hygiène étaient prédominantes.

11 5. Depuis sa naissance, quel combat mené par l’AGEEM vous semble le plus important ?

12 C’est de bien faire comprendre qu’on était une école. Les trois vecteurs : l’accueil, la garde et la propédeutique ont toujours coexisté. Mais avec des éclairages plus ou moins importants et pendant très longtemps, l’accueil et la garde ont été dominants par rapport aux apprentissages. Il était très important pendant toute une période de faire reconnaître que l’école maternelle était une école. Je dirais maintenant que ce combat est gagné mais que nous en avons les retombées perverses. Et encore aujourd’hui, quand on dit « la maternelle », je reprends et je dis « l’école maternelle ». Je crois que les mots sont porteurs d’une certaine réalité. C’est tout à fait symbolique. Le corollaire c’est que, si c’est une école, il faut évaluer ; si c’est une école, il y a des contraintes. C’est un peu cela, actuellement qui est source d’ambiguïté.

13 6. Aujourd’hui, quelles sont les propositions fondamentales défendues par l’AGEEM ?

14 La première c’est que c’est une école pour tous, c’est tout simple à dire mais ce n’est pas du tout facile. Elle est sur tout le territoire. Et puis, cette notion d’ascenseur social. Si on la positionne comme une compensation sociale, on ne sera jamais gagnant, on n’arrivera jamais à ce qu’elle compense tous les handicaps sociaux. Par contre, que l’école maternelle apporte à chaque enfant tout ce qu’on peut lui apporter, tout ce qui correspond à son développement, ça, c’est un beau challenge. Actuellement, ce n’est pas du tout ce qui se passe. J’ai une vision très négative. Les combats, ce sont donc une école pour tous les enfants, une école sur tout le territoire, la garantie du service public et une formation de qualité.

15 7. Quelles sont, selon vous, les aptitudes les plus importantes à développer chez un élève de 2 ans, de 3 ans, de 4 ans, de 5 ans, de 6 ans ?

16 Je fais un peu tranché ; deux ans, c’est se mouvoir, se faire comprendre par son corps et par la parole, et commencer à entrer dans la relation à l’autre parce que cela va se faire sur toute la scolarité. La relation à l’autre, l’écoute de l’autre, le travail avec un pair, partager… cet aspect socialisant. Je ne veux pas qu’on assimile l’école maternelle à la socialisation mais, puisqu’on est une école aujourd’hui, il y a la garde, il y a l’accueil et comment devient-on élève. Il y a donc l’aspect social, mais aussi il y a l’aspect apprenant. Trois ans, c’est le langage, le langage, le langage… Quatre ans, c’est le langage, le langage, le langage. Cinq ans, six ans c’est entrer dans l’écrit puisqu’on a assis un certain nombre de choses sur le langage. Tout au long de ces années, il est très important de développer d’autres aptitudes que langagières et relationnelles dans tous les moyens d’expression : la danse, la peinture, le collage, le découpage… tous les arts plastiques, les arts visuels comme on les appelle aujourd’hui. Construire une personne, ce n’est pas seulement lire-écrire. Ce n’est pas seulement construire un individu apprenant. Il s’agit de concourir à l’émergence de la personnalité, il faut vraiment que tous les moyens d’expression soient utilisés pour que chacun y trouve sa place, sa part, son intérêt, une résonance personnelle. Oui, le langage est le fil rouge de l’école maternelle, le langage oral, le langage écrit, l’accession à ces moyens… c’est fondamental mais il ne faut pas que ça occulte d’autres facettes de sa personne.

17 8. Beaucoup de questions se posent aujourd’hui concernant l’école maternelle française, que pensez-vous des orientations actuelles ?

18 Il faudrait regarder un peu d’où l’on vient pour le mettre en écho. Un des axes forts de l’association, c’est de se battre pour que cela devienne une vraie école. Maintenant nous y sommes et je dirais même que nous sommes en surenchère d’école. On est dans le développement exagéré des aspects de cette école. Une école, ça signifie quoi ? Apprendre, apprendre avec d’autres, apprendre pour se construire, apprendre pour devenir autonome, libre, pour développer sa conscience personnelle, l’esprit critique. Donc, c’est ça devenir écolier. Mais, je disais la semaine dernière à Vichy d’une manière provocante : est-ce que devenir écolier, c’est rester quatre heures assis sur une chaise ? Est-ce que devenir écolier, c’est n’utiliser que du format 21x29,7 avec des photocopies magnifiques et des cases à remplir ? Pour nous, sûrement pas. Dire que l’école maternelle doit être source de développement de chacun, cela veut dire, c’était écrit dans les programmes de 2002, faire en sorte que l’école maternelle permettre la réussite de chacun. Cela a disparu dans les programmes de 2008. C’était la finalité, c’était la philosophie de la situation ; maintenant on n’en est plus là. On s’est exprimé de manière forte l’année dernière sur les programmes. De façon assez violente ; on disait qu’on ne s’y retrouvait pas. Il y avait tout un pan qui avait disparu ; on n’était absolument plus du tout dans le développement de la personne, on n’était que dans un compte rendu opérationnel, technique presque techniciste. Aujourd’hui le combat de l’école maternelle pour nous, c’est qu’on n’aille pas dans des dérives « primarisées » mais qu’on reste bien dans les pratiques de l’école maternelle, en suivant le développement de l’enfant. Est-ce respectueux de son développement, je répète, de l’inonder de photocopies dès la petite section ? Respecter le développement de l’enfant, c’est lui permettre de rentrer dans une situation de différentes manières. C’est ça la diversification pédagogique. La différenciation est-ce lui fournir par le même outil ou est-ce lui permettre d’y entrer par la manipulation, par le jeu, par la recherche autonome ? Tout ce qui était inscrit dans les programmes de 2002 et qui semble complètement effacé de ceux de 2008. Actuellement notre bagarre, c’est d’essayer de bien redire que les pratiques de l’école maternelle doivent prendre appui sur les développements de l’enfant, d’après les recherches les plus récentes et non pas sur des modèles dépassés. On a l’impression qu’on fait un apprentissage mais on n’en fait pas. On a fait la fiche 42 donc c’est super mais qu’est-ce qu’ils ont vraiment appris ? Comme conseillère pédagogique, je posais toujours la question redoutable à la fin d’une séquence : « aujourd’hui qu’est-ce qu’ils ont appris ? Qu’est-ce qu’ils savent de plus ? ». Actuellement, j’ai l’impression qu’on ne regarde plus du tout les choses comme cela. On ne regarde pas ce que chacun a acquis. Est-ce qu’on propose bien à chaque enfant ce qui va lui permettre de grandir, de se développer ? J’ai le sentiment qu’actuellement, l’école fabrique des difficultés. C’est l’école par ses pratiques, par le regard qu’elle pose sur l’enfant, qui créé des difficultés. Et cela, c’est redoutable. L’école maternelle est espace de prévention tout le monde le dit. Mais il faudrait peut-être aller voir ce que cela signifie. Pour que prévention ne soit pas anticipation ; parce que l’on veut faire plus vite et plus fort pour permettre aux enfants, paraît-il, de ne pas échouer. J’ai le sentiment que, pour que l’école maternelle joue son rôle de prévention, il faut qu’elle diversifie les entrées et qu’elle différencie ses pratiques. Et que si on ne fait pas ça, on n’est pas dans un espace de prévention. Il y a des enfants qui sont plus visuels, auditifs, il y a des enfants qui ont besoin de manipuler, la conceptualisation cela ne se passe pas forcément avec du papier crayon… Il y a différentes entrées qui ne sont pas valorisées. J’ai demandé au pédopsychiatre de la MGEN avec qui on travaille de me faire un texte qui est sur notre blog : « prévention et non prédiction » ; ça aussi, c’est une piste qui me semble intéressante. Je voudrais également que l’on regarde d’un peu plus près le mot de remédiation car je ne sais pas si l’école maternelle est concernée par la remédiation. Si l’on considère que l’école maternelle est en permanence dans la construction des savoirs, on est dans quelque chose de mobile, qui n’est pas figé. Ce n’est pas à l’école maternelle qu’on va apprendre à tirer des traits. Le développement, la confiance dans l’autre, le regard qu’on pose sur l’enfant sont déterminants pour son avenir alors si on le met tout de suite dans des catégories, je pense que l’on se trompe.

19 9. À votre avis, quel est l’avenir de l’école maternelle dans notre pays ? Et comment l’envisagez-vous dans vingt ans ?

20 Je pense que l’on est dans une posture où il n’y a rien d’autre que l’école maternelle. Qu’est-ce qu’il y a comme structure qui pourrait concurrencer l’école maternelle ? Les jardins d’éveil qui sont apparus font de l’accueil, de la garde, mais pas de la scolarisation. Si l’école maternelle disparaissait du champ, je pense que les parents seraient les premiers à monter au créneau. J’ai confiance sur cette question-là. Je ne vois pas comment cette école maternelle pourrait disparaître. Ce qui me fait beaucoup plus peur, c’est qu’on la transforme, qu’elle change de nature, qu’elle change de fonction, qu’elle change d’orientation. Si on la rend obligatoire, quelles seront les contraintes qui pèseront sur elle. Actuellement, elle n’est pas obligatoire et on a 40000 contraintes. Il faudrait regarder cette question aussi en termes d’investissement public. Les questions quantitatives, le nombre de postes, on les a atteints dans les années quatre-vingt-quatre-vingt-di x. Maintenant, on se pose des questions qualitatives. L’État se tourne et dit : « est ce que cette école répond aux besoins de la Nation ? » Mais quels sont les besoins de la Nation ? Ce n’est pas un débat de structure mais c’est un débat sur les fonctions de l’école, l’image de l’école, l’investissement de l’État. C’est normal qu’il demande des comptes à l’école mais encore faudrait-il que nous soyons bien d’accord sur ce que l’on peut demander à cette école-là. Comment j’envisage l’école maternelle dans vingt ans ? Je me dis qu’une structure sera toujours nécessaire pour accueillir, garder de jeunes enfants. Mais est-ce qu’on valorisera les apprentissages, la scolarisation, les acquisitions avec de jeunes enfants ? Quand je lis la méthodologie des jardins d’éveil, je pense que c’est pour multiplier les modes de garde, et satisfaire les familles. Est-ce que notre ambition c’est ça, mettre ensemble des enfants dans des endroits où ils sont gardés ? Deux évolutions : soit, vers une garde exclusive et on s’en contente, soit une accélération pour en faire des petits génies mais on en laisse sur le chemin.

21 10. Quel est votre regard sur la scolarisation des enfants de deux ans ? Et sur la diminution de son taux en France depuis vingt ans ?

22 Notre association n’a jamais été pour la scolarisation de tous les enfants de deux ans. D’abord parce que tous les enfants ne sont pas prêts à être scolarisés, toutes les familles ne sont pas prêtes et tous les enseignants ne sont pas prêts. Il y a des enseignants qui n’en veulent pas. La deuxième chose c’est que nous avons demandé une conférence de consensus sur cette question. Et nous ne l’avons jamais obtenue. Quand on parle de la scolarisation des enfants de deux ans, on est toujours dans une posture passionnelle. Ou pour le contre ou pour le pour. Il faudrait arriver à mettre sur la table des choses. Nous ne sommes pas pour la scolarisation de tous les enfants de deux ans. Mais on est pour un service public d’éducation donc pour la scolarisation des enfants de deux ans car c’est une exception française mise en place par l’histoire et les choix que la France a faits dans la Quatrième République. Nous sommes attachés à ce que ce choix reste possible sur tout le territoire et si les parents font une vraie demande d’école. Venir à l’école, cela veut dire respecter des horaires, cela veut dire fréquenter l’école. Ce n’est pas à la carte. Il peut y avoir des passages, des périodes de souplesse où l’école s’ajuste aux besoins des enfants fatigués, en début d’année… dans des périodes transitoires. C’est le seul mode de garde qui peut exister sur tout le territoire français de façon gratuite. Alors le taux de diminution ? À partir du moment, où les enfants de deux ans ne sont pas pris en compte dans les cartes scolaires… Tant que les enfants de deux ans sont considérés comme des variables d’ajustement par beaucoup d’inspecteurs d’académie… je crois que l’on ne joue pas le jeu. On supprime des postes alors forcément on a moins d’enfants, on peut moins en scolariser. C’est un peu « le chien qui se mord la queue ». Moins d’enfants, moins de postes ; moins de postes, moins d’enfants. Qui en est la cause ? Qui en est à l’origine ? Nous avons publié un texte sur cette question l’année dernière quand nous avons été auditionnés par le Sénat par le groupe Tabarot-Papon.

23 11. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

24 Oui, j’aimerais aborder avec vous la question de la mise en place de ces IEN [4] à mission maternelle. J’ai été consultée au mois de novembre 2008 par le cabinet [de Xavier Darcos, alors ministre de l’Éducation nationale] pour savoir ce que nous pensions de la « re-création » des IEN maternelle, c’est-à-dire un retour en arrière de vingt ans. J’ai répondu que c’était une très mauvaise idée parce que cela allait ghettoïser l’école maternelle et que cela serait donc beaucoup plus facile ensuite de la faire disparaître. J’ai répondu aussi que ce n’est pas en revenant vingt ans en arrière dans un contexte complètement différent qu’on allait donner un nouvel élan à cette école. Par ailleurs, quand on avait créé les circonscriptions mixtes il y a vingt ans, on l’avait fait au nom de la continuité pédagogique entre l’école maternelle et l’école élémentaire. À mon humble avis, cette continuité n’a pas beaucoup progressé puisqu’elle dépend plus de la volonté de personnes que de l’institution. Les gens du ministère ont ensuite pris l’option de créer des postes, pas des circonscriptions, des postes d’IEN à mission maternelle. Mais ils l’ont fait parce qu’ils en avaient besoin au niveau de l’attribution des postes. J’ai fait une démarche de communication importante, je les ai tous invités au colloque à Hyères en 2008. Ils sont venus, ils étaient trente-deux. Et le doyen de l’Inspection générale est venu leur parler. Et nous avons eu des échanges ; j’ai positionné tout ceci comme une volonté de poser un premier maillage, l’institution en constituera d’autres. Enfin en tant qu’association, nous avons pris à l’époque l’option forte de ne pas répondre à la provocation de Xavier Darcos par une provocation. Tout le monde est « monté au créneau », nous avons pris la posture inverse et cela a été très fructueux. On a réalisé le Guide des parents[5] et puis la journée de l’école maternelle… Nous avons fait des actions pour montrer la pédagogie de l’école maternelle. Et à la suite de cela, nous avons été associés à la rédaction du référentiel qui est paru au BOEN du 3 septembre sur la formation à l’école maternelle [6]. Pour nous c’est très important puisque l’on a construit ce référentiel avec la DGESCO [7] et l’IGEN [8] et nous étions partenaires sur toute la longueur. L’association a choisi de coopérer pour que l’école maternelle ne crée pas davantage de handicaps.

25 Nous nous permettons ici de remercier chaleureusement Lucile Barberis pour le temps qu’elle nous a consacré lors de cet échange.

26 Propos recueillis par Christine Brisset

27 le lundi 16 novembre 2009.

Notes

  • [1]
    . Certificat d’aptitude à l’enseignement dans les écoles annexes et les classes d’application
  • [2]
    . Dominique Wolton. Penser la communication. Flammarion, 1997.
  • [3]
    . Carnet AGEEM (mai 2009), « A l’école maternelle, évaluer, pourquoi ? Quoi, quand, comment ? », Éditions de l’AGEEM.
  • [4]
    . Inspecteur de l’Éducation nationale.
  • [5]
    . Guide AGEEM (2008). Votre enfant à l’école maternelle. Guide à l’usage des parents. Il est disponible et consultable sur le site : www.ageem. fr
  • [6]
    . Bulletin officiel de l’Éducation nationale n° 32 du 3 septembre 2009 « Instructions pédagogiques. Enseignants du premier degré exerçant en classes et écoles maternelles ». Circulaire n°2009-098 du 17-8-2009, MEN-DGESCO A1-1.
  • [7]
    . Direction générale de l’enseignement scolaire.
  • [8]
    . Inspection générale de l’Éducation nationale.
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