Notes
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[1]
L’examen des modalités d’exposition institutionnelle d’un champ scientifique est tout à fait précieux pour en éclairer le développement historique et les tensions. Cela constituerait en soi l’enjeu d’une autre étude. Par exemple, il est intéressant de prendre la mesure du type de contributions qu’accueillent les revues consacrées à l’éducation comparée, ce qui permet d’en dessiner plus précisément les contours. P. Broadfoot propose utilement cet inventaire dans un récent ouvrage, Learning from Comparing (Alexander, Broadfoot & Philipps, 1999), dans lequel elle fournit une typologie des « études comparatives » publiées depuis 1993 dans la revue britannique Comparative Education. Il ressort de son recensement que la majorité des articles publiés se révèlent être des études menées dans un seul pays (one country studies) (Broadfoot, 1999 : 23-24). En 1999, V. Rust, et. al., observaient à leur tour, à partir d’une consultation extensive des articles parus depuis 1975 dans trois revues angloaméricaines importantes du genre (Comparative Education Review, Comparative Education, International Journal of Education Development) la rareté de la recherche authentiquement comparative : moins d’un tiers des études consultées développent effectivement une démarche comparative (Rust, et. al., 1999). On a donc le plus souvent affaire à des études intranationales. On trouve les mêmes modalités d’exposition dans la plupart des ouvrages collectifs d’éducation comparée, configuration dans laquelle, paradoxalement, est laissé au lecteur le soin de comparer. De ce point de vue, une part importante de ces travaux et revues relèvent moins de la comparaison stricto sensu que de la confrontation internationale. En sorte que le terme que proposait G. Bereday (1964) pour désigner ce genre de travaux – foreign education – conviendrait aisément à l’ensemble du domaine, si nombre faisait loi. Dans la même perspective d’éclairage de l’exposition institutionnelle de la recherche comparative, un examen de la façon dont s’organisent collectivement ceux qui en font profession – rassemblés dans des associations nationales ou internationales – est tout à fait utile, de même que l’influence des éditeurs dans la diffusion de l’éducation comparée (Altbach, 1987; Sutherland, 1985). Le poids des traditions académiques et des ancrages disciplinaires, que ne saurait effacer par le seul caractère international du champ, le contexte institutionnel, social et politique, le poids des organismes nationaux dans le statut accordé à l’éducation comparée, la place du domaine d’étude à l’Université (Groux & Paul, 1996; Groux & Tutiaux-Guillon, 2000; Leclercq, 1999), l’existence d’instituts de recherche spécialisés, la légitimité du champ dans la communauté scientifique, tous ces facteurs environnementaux pèsent sur le développement quantitatif et qualitatif de la recherche comparative dans chaque contexte national, et en conséquence sur la cohérence internationale du domaine. Par exemple, l’hégémonie du monde anglo-saxon dans le champ de l’éducation comparé – qui conduit certains à évoquer « l’anglocentrisme » du champ (Grüber, 2001) – mériterait un examen – de sa réalité institutionnelle autant que de ses conséquences scientifiques. Une analyse historico-herméneutique des imaginaires scientifiques et des traditions intellectuelles anglo-américains, à l’instar du travail accompli par J. Schriewer et E. Keiner pour l’Allemagne et la France par exemple (Schriewer & Keiner, 1992), serait tout à fait utile. À défaut, on pourra sans grand mal, à la lecture de cette note, avoir l’intuition de cette hégémonie au regard des intérêts de connaissance qui ont guidé le champ comparatif au cours de son développement; l’indice le plus accessible au lecteur de cette hégémonie est la bibliographie de la présente étude.
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[2]
Les citations issues de ressources documentaires de langue anglaise sont traduites par l’auteur.
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[3]
Comme le rappelle H. Schulze (1996), l’idée de « nation » est beaucoup plus ancienne que celle d’« État ». Héritée de l’Antiquité romaine, la natio, comme son étymologie le suggère, désignait une communauté humaine construite sur des critères communs d’origine, de naissance ou de race, sans que pour autant elle désigne un espace politique. La natio s’opposait à la civitas, qui désignait les populations et les hordes ne connaissant pas d’institution communautaire stable. À l’époque médiéval, elle désigne les grands peuples d’Europe, évolution qui dénote l’origine européenne de l’usage moderne de nation comme de celle d’État, qui ne prennent forme qu’au tournant du XIXe siècle, au lendemain de la Révolution Française, lorsque le tiers-Etat (le peuple) devient le « tout »: l’Etat-nation. Voir également sur cette question, D. Schnapper, 1994.
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[4]
Voir sur cette question Schulze, 1996 : 115-134.
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[5]
« Depuis le début, la défiance envers les voisins, l’hostilité et le combat furent, pour les nations européennes, un moyen de se trouver » (Ibid. : 133).
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[6]
C’est d’ailleurs dans cet esprit que fut créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1948), le World Yearbook of Education. Sur cette question, voir Holmes, 1990 : 104.
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[7]
Sur cette question, voir Kallen, 1996 et Weiler, 1982.
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[8]
J. Schriewer considère par exemple que les controverses qui jalonnent l’histoire de l’éducation comparée « résultent de visions fondamentalement différentes de l’Autre, et qui constituent l’objet de la connaissance, de l’opposition entre la minimisation de différences socioculturelles en vue de faciliter la compréhension pratique, et leur exploitation en vue de l’analyse scientifique (Schriewer, 1997 : 113)
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[9]
Pour une critique de ce courant, voir notamment Novoa, 2001 et Schriewer, 1999.
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[10]
En France par exemple, l’Association francophone d’éducation comparée (AFEC), fondée en 1973 par M. Debeauvais, présente la spécificité, par rapport aux associations anglo-saxonnes, de rassembler aussi bien des universitaires, des chercheurs, que des experts issus des administrations et des organismes nationaux et internationaux.
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[11]
Sur cette question, voir Bedin, 1994.
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[12]
De façon délibérément explicite, nous suivons ici A. Giddens, qui estime que ce qu’il est convenu d’appeler la « postmodernité » est moins l’expression d’une rupture d’avec le programme de la modernité qu’elle n’en est la conséquence, et que ce n’est qu’au prix d’un examen des formes d’organisation sociétale promue par la modernité que peuvent être éclairées les configurations culturelles contemporaines. Si rupture il y a, c’est dans le déplacement des unités traditionnelles d’intelligibilité de l’activité sociale, conséquence de l’intensification de la diffusion culturelle et de l’interdépendance croissante des « théâtres sociaux » (Giddens, 1994). En conséquence, le champ de l’éducation comparée se trouve dès lors confronté à ce que nous reconnaissons comme une rupture épistémique, à laquelle il répond par une refondation épistémologique et un affranchissement progressif de ses postulats et de ses cadres d’analyse traditionnels.
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[13]
La définition de principes fondant l’éducation comparée fut même bien souvent dans le passé un argument de légitimation idéologique; témoin la façon dont, dans les pays communistes – ici la République Démocratique Allemande – définissaient leur domaine d’étude, en référence directe au matérialisme historique et dialectique : « l’approche des problèmes de l’éducation comparée en tant que science est certainement différente, sous certains aspects importants, des diverses conceptions qui ont cours, parmi les comparatistes, dans les pays capitalistes […] Les différences entre les comparatistes marxistes et les comparatistes bourgeois sont plus marquées encore s’agissant de leurs vues sur la nature de la société… » W. Kienitz, 1971, cité par R. Cowen, op. cit.: 337.
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[14]
La dévaluation des frontières étatiques, à la faveur de l’affermissement d’autres espaces d’identification supra – ou infranationaux, est une évolution qui s’origine dans le programme de la modernité, et dans le triomphe de l’idéologie libérale. En sorte que c’est moins l’affaiblissement de l’Etat-nation qui caractérise l’époque que le triomphe de l’Etat de type libéral. Si l’Etat-Nation ne semble ne plus être à la mesure des phénomènes sociaux, culturels et économiques convergents que connaissent nos sociétés, il demeure cependant le seul rempart pour des institutions libres et démocratiques, et n’a pas trouvé en la matière de substitut.
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[15]
Un approfondissement des implications de ces références récurrentes sur l’histoire culturelle contemporaine est proposé par A. Novoa, 2001. L’ensemble des contributions réunies dans l’ouvrage dans lequel apparaît cet article mérite l’attention (Popkewitz, et. al., 2001).
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[16]
Le concept de contemporanéité a été théorisé notamment par J. Fabian (1983), réinvesti par M. Augé (1994) dans leur critique respective du discours anthropologique.
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[17]
Cette recomposition des relations spatio-temporelles est d’abord l’ouvrage de la modernité : A. Giddens rappelle que « dans le contexte moderne, le lieu est de plus en plus fantasmagorique : les différents « théâtres » sociaux sont complètement pénétrés et façonnés par des influences sociales très lointaines » (Giddens, 1994 : 27). Cependant, cette dissociation du temps et de l’espace qui avait pour fin la synchronisation de l’activité sociale à l’intérieur d’une organisation sociétale bien délimitée s’est progressivement étendue à la faveur de l’intensification de la diffusion de la culture et de la circulation des personnes, aboutissant à une contemporanéité élargie qui densifie les réseaux d’interdépendance et d’influence réciproques entre des contextes socioculturels éloignés. Ce processus dialectique intensifextensif trouve donc ses origines dans le projet moderne de domestication de l’espace et du temps, de subordination d’espaces sociaux éloignés à un temps unitaire, standardisé, ce que Giddens identifie comme « la délocalisation inhérente au développement des institutions sociales modernes » (Giddens, 1994 : 30).
1La situation présente d’un champ scientifique n’a de sens qu’en référence à son développement historique. En conséquence, il apparaît utile, pour mesurer les enjeux qui s’offrent dans la période contemporaine à l’éducation comparée, d’en entreprendre une archéologie, ne serait-ce que pour réintroduire, sinon de la cohésion, tout au moins de la cohérence et de la lisibilité dans un champ qu’on appréhende parfois comme épistémologiquement peu fondé.
2Méthodologiquement et théoriquement fragmentée certes, la comparaison en éducation a considérablement évolué depuis les premières études pré occupées de fonder une science de l’éducation comparée (Julien, 1817) ou de caractériser les grands principes organisateurs des systèmes éducatifs nationaux (Sadler, 1900) jusqu’aux perspectives globalisatrices (Ginsburg, 1991) et historicoherméneutiques les plus récentes (Novoa & Lawn, 2002).
Vers une généalogie des comparatismes en éducation
3La recherche comparative fut au cours de son évolution tiraillée par plusieurs types de préoccupations, déterminantes dans les principes et les formes d’intervention et d’intelligibilité des phénomènes éducatifs des approches qui s’en réclamaient. Comme tout champ de recherche, elle est traversée par des tensions, des ruptures, des formes d’exposition institutionnelles contrastées [1]. Chaque période de cette évolution a son épistémè, sa grille d’analyse, et chaque période voit l’imposition plus ou moins consentie de « rationalités scientifiques ». Autant de cultures comparatistes passées ou contemporaines qu’il serait cependant abusif de considérer comme des traditions clairement circonscrites et linéaires, mais plutôt comme des composantes successives du discours comparatiste, travaillées par des modèles sous-jacents, des imaginaires scientifiques (avec des rhétoriques associées) et des intérêts de connaissance spécifiques, repérables à des moments-clés du développement historique aussi bien de la spécialité, des sciences sociales dans leur ensemble, que des aires culturelles qui en constituent le cadre d’expression.
4Certaines approches, bien que se distinguant dans leur projet scientifique ou leur méthode, partagent néanmoins un fond commun et des solidarités scientifiques et/ou idéologiques. Les deux premières composantes du discours comparatiste repérées – le déterminisme et le pragmatisme – recouvrent ainsi quatre types d’approches, respectivement positiviste et natiocentriste d’une part, évolutionniste et interventionniste d’autre part. Toutes, à des titres divers que nous allons explorer, constituent des expressions singulières et autonomes du programme – tant scientifique que sociétal – de la modernité. La troisième composante – critique – constitue un désaveu des perspectives précédentes, contre lesquelles il s’élève en raison de leur consensualisme et du sort qu’elles réservent à l’autre, réifié plus que compris par les approches traditionnelles. Les composantes les plus récentes du discours comparatiste, la globalisation et l’herméneutique, qui ne prennent sens qu’à la lumière de celles qui les précèdent, et qui caractérisent ce qu’il est convenu d’appeler, en conséquence et faute de mieux, la postmodernité, affrontent un certain nombre des bouleversements socioculturels et politiques qui travaillent la période contemporaine. À partir de cette mise en perspective historique des imaginaires scientifiques et des rhétoriques successives de l’éducation comparée, nous dégagerons enfin les enjeux que pose à la recherche comparative ce que nous identifierons comme une extension de la contemporanéité.
5Cette tentative de typologisation à grande échelle du champ comparatif est inspirée par la prudence; à cet égard, nous faisons nôtres les précautions d’usage réaffirmées par A. Novoa, R.G. Paulston et K. Watson dans les essais de « cartographie » (mapping) de l’éducation comparée qu’ils ont respectivement proposés. Celle-ci, basée sur une analyse secondaire de recherches théoriques, méthodologiques et empiriques, et parmi bien d’autres (Altbach & Kelly, 1986; Halls, 1990; Cowen, 1996; Crossley & Broadfoot, 1992; Maurice, 1989; Novoa, 1995; Paulston, 1993; Watson, 1998), est instruite de son « impureté », car à la fois marquée par les perspectives contemporaines dans le domaine et par le caractère nécessairement fragmentaire des ressources documentaires exploitées. Par sa vocation englobante enfin, elle est susceptible de ne pas rendre justice aux orientations et apports spécifiques de tel ou tel auteur, et, pour les mêmes raisons, de ne pas épuiser le champ investi. Conscient des limites de l’exercice, on peut donc le concevoir modestement comme une heuristique possible pour la lisibilité du champ d’étude et l’intelligibilité des enjeux contemporains auxquels il est confronté.
6Une formalisation graphique des propositions de sens rassemblées dans cette note est proposée à l’issue de leur exposition (Figure 1 : Imaginaires scientifiques et intérêts de connaissance en éducation comparée).
7Les notions assorties d’une astérisque apparaissent dans le schéma proposé. Celui-ci décrit sur un plan chronologique vertical-ascendant les différentes périodes de développement du champ, selon trois axes :
- L’axe des unités d’analyse du comparatiste, dans leur évolution et leur complexification (de l’Etat-Nation à l’espace-monde)
- L’axe des conceptions de l’histoire à l’œuvre selon les périodes (continuismediscontinuisme)
- L’axe d’intensité du conflictualisme (du consensualisme des origines aux mouvances critique et herméneutique).
8Cette codification a vocation à faciliter le repérage des solidarités et des tensions entre les différentes formes qu’a pris le comparatisme en éducation au cours de son développement.
Les composantes modernes du projet comparatiste
Le déterminisme
9Cette composante exprime deux grands récits de la modernité*: la foi dans le progrès scientifique, et la foi dans le système politique de l’Etat-nation*. Dans les deux cas, c’est l’idée d’un système fini qui prévaut, et qui, d’un point de vue scientifique, s’exprime avec le positivisme, et d’un point de vue politique avec l’édification et l’épanouissement des États-nations. Cet idéal de clôture s’est développé dans le domaine naissant de l’éducation comparée sur deux plans : celui de la science (positivisme) et celui de l’histoire (natiocentrisme).
Le déterminisme scientifique : le positivisme
10Le projet de fondation d’une science comparée de l’éducation, dès les origines du domaine d’études, ne peut être compris qu’au prix d’une mise en perspective avec le programme philosophique et politique de la modernité, en même temps qu’avec le développement et la structuration des disciplines scientifiques et de leur ancrage universitaire à l’aube du XIXe siècle. Le projet comparatiste s’inscrit à plein dans ce calendrier, par son ambition de transposer dans les sciences humaines et sociales en plein essor les méthodes propres aux sciences de la nature; comme il en avait été pour l’anatomie (de Cuvier, 1805), le droit (Feuerbach, 1810) et l’anthropologie (Humboldt, 1795), l’ambition, dans l’esprit des fondateurs du comparatisme en éducation, est alors de construire une conception et des méthodes positives dans le domaine de l’éducation. Cette conception positiviste de l’éducation comparée a pour ambition la définition de lois* universelles concernant les doctrines pédagogiques et le fonctionnement des systèmes éducatifs nationaux, projet scientifique qui sera réaffirmé dans le champ sociologique à la fin du XIXe siècle par E. Durkheim (1895), la comparaison étant alors érigée en principe méthodologique de production de connaissances en sciences sociales (Schriewer, 1997a). Cette approche naturaliste des faits et des systèmes éducatifs nationaux envisage ses objets privilégiés d’étude comme des unités d’analyse stable, des entités indépendantes.
11L’ancrage philosophique et historique de l’éducation comparée est manifeste dans cette conception scientiste, qui exprime un des mythes fondateurs de la modernité : la foi en une corrélation entre progrès scientifique et progrès social (le savoir scientifique tenant sa valeur de son utilité sociale) et l’idée que les Étatsnations en voie d’édification poursuivent des ambitions communes et universelles (Glenn, 1988). Cette tendance alliant consensualisme et scientisme habite déjà le texte pionnier de M.-A. Jullien, qui évoque « le projet d’une grande entreprise […] cette tendance universelle vers un même but, la régénération et le perfectionnement de l’éducation publique […] il paraît donc nécessaire de former, pour cette science, comme on l’a fait pour les autres branches de nos connaissances, des collections de faits et d’observations […] pour en déduire des principes certains, des règles déterminées, afin que l’éducation devienne une science à peu près positive » (Jullien, 1817 : 8 & 13).
12Inscrite dans la modernité, cette tendance positiviste se caractérise par une conception descriptive* et statique* de la connaissance. Ces ambitions demeurent cependant à l’état programmatique pendant plus d’un siècle, durant lequel ce seront principalement des approches historicistes qui se développeront. Au cours des années soixante, sous l’influence du structuralisme dominant, on assiste à une résurgence de cette composante positiviste. Dans cette période d’effervescence du domaine, c’est de nouveau l’édification d’une « méthode comparative » qui est au cœur du projet comparatiste, à la faveur du développement et de la sophistication des outils de recherche quantitative, pour actualiser l’ambition plus que centenaire de constituer une science comparative autorisant l’élaboration de prédictions et de théories générales des faits éducatifs. A. Przeworski observe à cet égard que le comparatisme de l’époque est marquée par un paradoxe, qui prend la forme d’« un consensus, autour de l’idée que l’éducation comparée ne consiste pas à comparer, mais à expliquer [2] » (Przeworski, 1987 : 35).
13Harold Noah et Max Eckstein furent parmi les principaux promoteurs de cette conception néopositiviste du comparatisme (Noah & Eckstein, 1969). Dans un contexte d’affermissement de méthodes objectivantes, les approches qui ont cours durant cette période, méthodologiquement armées, assument l’héritage durkheimien, et réaffirment fortement le principe fondateur de l’éducation comparée, qui est son caractère avant tout explicatif et exogène. W.D. Halls déduit du rayonnement à cette époque de ces approches légiférantes que « la génération précédente de comparatistes ne percevait que d’une manière diffuse que la méthode comparatiste, parce qu’elle est analogique, est un substitut à la méthode expérimentale des sciences exactes » (Hall, 1990 : 33). Fasciné par l’idéal positiviste de généralisation et de clôture, le déterminisme scientifique sera néanmoins bientôt concurrencé par des approches qui dépasseront la perspective positiviste, en alliant pragmatisme et évolutionnisme social.
Le déterminisme historique : le natiocentrisme
14Héritière des grands récits de la modernité sur lesquels le projet comparatiste a posé ses bases, cette conception de l’éducation comparée prend pour unité d’analyse les systèmes éducatifs nationaux et se propose d’en dévoiler les grands principes d’organisation. Participant d’une conception substantialiste du « caractère national » (Sadler, 1900) des différents systèmes d’enseignement, cette tendance est toutefois moins préoccupée de pourvoir le champ comparatif d’une méthode, que de décrire et surtout de caractériser les systèmes éducatifs étrangers, espérant dévoiler les causes historiques de leur développement et de leur organisation. Il existe, malgré le relativisme de ces approches, un fond commun aux courants positiviste et natiocentriste, qui réside dans une conception close de la connaissance. L’explication* et l’encyclopédisme sont les formes qu’a longtemps privilégiées le champ comparatif pour tendre vers cet idéal moderne de clôture.
15Cette seconde composante exprime avec force un autre mythe fondateur de la modernité, qui est le pouvoir d’intégration et de clôture de la nation [3], forme d’organisation politique d’une « communauté solidaire » (Renan, 1993 : 45) dont le XIXe siècle a accouché de la forme moderne, l’État-nation. Cette foi s’appuie sur un principe fort, énoncé par le sociologue W. G. Sumner (1840-1910), qui est que toute communauté humaine se définit en tant que groupe intérieur (in-group) se distinguant des groupes extérieurs (out-groups) [4]. Le « groupe-nous » se définit aussi bien par ce qui le rassemble que – négativement – par les « autres », dont il se distingue [5]. La modernité, en posant l’identification communautaire et le sentiment collectif d’appartenance nationale comme les socles d’un espace politique s’appuyant sur « le principe primordial de l’humanité éternelle » (Schutze, 1996 : 21), institue dans le même temps la figure de l’Autre. C’est cette fondation moderne de l’altérité qui constituera l’horizon de référence commun pour des générations de comparatistes.
16Cette composante natiocentriste, récurrente dans le champ de l’éducation comparée depuis ses origines, fut à l’origine de développement du domaine d’étude au XIXe siècle, au cours duquel, à l’heure de la « systématisation de l’éducation » (Müller, Ringer & Simon, 1987), administrateurs, politiques et philosophes ont perçu dans la connaissance d’autres contextes nationaux le moyen d’organiser et d’améliorer leur propre système éducatif, lui-même en phase d’édification. Des pionniers de l’éducation moderne, Victor Cousin en France, Horace Mann ou encore Henry Barnard aux États-Unis, Friedrich Thiersch en Allemagne, entreprennent de longues explorations des systèmes éducatifs étrangers, dans l’espoir d’importer des innovations dans leur propre pays. De ce point de vue, la composante natiocentriste du comparatisme est intimement liée au programme de la modernité en ce qu’elle accompagne, sur le plan de l’éducation, « l’expansion systémique » que commande le mouvement d’édification d’un ordre sociétal inclusif* fondé sur l’État-nation (Luhman, 1995; Schriewer, Orivel & Swing, 2000).
17Marquées comme la tendance scientiste par l’idéologie progressiste, les approches natiocentristes voient matière, par l’accumulation de connaissances concernant les systèmes nationaux d’éducation, à assurer la prospérité de leur propre système d’enseignement (Arnold, 1861; Sandiford, 1918).
18Dès le début du XXe siècle, le comparatiste anglais Michael Sadler, dont Isaak Kandel (1930), Robert Ulich (1961) et Nicholas Hans (1949) furent les héritiers, mettait toutefois en garde contre les tentations de certains d’importer sans précaution des expériences en matière éducative observées dans d’autres contextes culturels : « on ne saurait flâner à loisir dans les systèmes éducatifs du monde entier, écrit Sadler, comme un enfant musardant dans un jardin, cueillant ça et là une fleur d’un buisson, des feuilles d’un autre, et s’attendre à ce qu’en plantant dans notre propre jardin le fruit de cette cueillette, il en germe une plante nouvelle » (Sadler, 1900 : 49).
19Comme dans la perspective positiviste, c’est le consensualisme – c’est-à-dire la foi positiviste dans les vertus pacificatrices de la connaissance – qui constitue le fondement de cette conception du comparatisme. L’idéal de clôture que le natiocentrisme partage avec l’approche scientiste lui fait par ailleurs privilégier une perspective non continuiste, plus juxtapositive que proprement comparative, des phénomènes éducatifs (Cramer & Browne, 1956; Mallinson, 1957).
Le pragmatisme
20Si les origines de l’éducation comparée sont marquées par des préoccupations progressistes et modernisatrices, c’est néanmoins dans la période de reconstruction et de réforme de l’éducation qu’ont connue la plupart des pays occidentaux après-guerre que la composante pragmatique de l’éducation comparée s’est épanouie. Marquées par la seconde guerre mondiale, les nations qui y ont participé ont investi l’éducation comparée dans un idéal d’intercompréhension mutuelle et de pacification des relations internationales, qui a favorisé la création des principaux organismes internationaux. C’est le sentiment de la solidarité des nations qui constitue dès lors le principe régulateur du comparatisme (World Yearbooks of Education, 1948-1951). Ces préoccupations situent cette composante pragmatique dans le prolongement du projet moderne et de la lente entreprise d’unification nationale, entreprise marquée entre-temps par deux guerres mondiales qui ont révélé les effets de l’exaltation de « l’esprit national » et les failles des institutions démocratiques lorsqu’elles sont mises au service du repli identitaire [6].
L’évolutionnisme social
21C’est tout autant un espoir de coexistence pacifiée qu’un souci d’aide à la décision politique qui travaillent la composante pragmatique dans son versant évolutionniste, associés à des préoccupations scientifiques qui se dégagent progressivement des approches néopositivistes pour s’inspirer tout à la fois du pragmatisme de J. Dewey et du rationalisme critique de K. Popper.
22Si l’arrière-plan civilisationnel est commun aux deux tendances – néo-positi-viste et évolutionniste – les postulats épistémologiques sont clairement distincts. L’éducation comparée est considérée dans la perspective de l’évolutionnisme social comme un outil privilégié d’aide à la décision et, à l’occasion, comme un instrument de légitimation de l’action réformatrice. À la différence des perspectives précédentes, essentialistes (natiocentrisme) ou positivistes, elle investit les problèmes éducatifs rencontrés dans différents contextes socioculturels comme autant de « théories incarnées » (K. Popper), formulant sur elles des hypothèses* et des propositions de sens mises au service du politique. De ce point de vue, cette approche du comparatisme est la fois l’accomplissement en même temps que le dépassement des conceptions positivistes qui travaillaient le champ depuis ses origines. Elles conservent de ce projet originaire son ambition de scientificité et son consensualisme, mais renonce à ses velléités de généralisabilité et donc de clôture de la connaissance. Non inductive, la perspective de l’évolutionnisme social affirme par ailleurs fortement le caractère opérationnel des connaissances produites et sa foi en le progrès social. En ce sens embrasse-t-elle, sur le plan politico-philosophique, la forme du libéralisme réformiste, projet qui s’épanouira au cours de la seconde moitié du XXe siècle.
23L’approche dite de « résolution de problèmes*» (problem-appoach) développée par Brian Holmes (Holmes, 1958) est une étape importante dans l’affermissement de cette perspective pragmatico-évolutionniste. Ne prenant plus pour cadre de comparaison des macro-contextes éducatifs, mais recentrant l’analyse sur des phénomènes contextuels circonscrits, l’approche de Holmes est à la fois caractérisée par son ambition scientifique et des préoccupations pragmatiques et opérationnelles aiguës. Il ne s’agit plus de définir des caractères nationaux, pas plus que des principes universels, mais d’élaborer des hypothèses à partir de l’examen de contextes et de fournir ce faisant des idéaux-types susceptibles d’aider le politique dans la mise en œuvre de solutions politiques dans un contexte précis (Holmes, 1965; King, 1968).
L’interventionnisme
24De la même façon que la période immédiate d’après-guerre avait été marquée par des préoccupations de pacification des relations internationales pour des démocraties occidentales traumatisées et soucieuses de parer aux risques de nationalismes, la fin des années cinquante signale la montée d’un intérêt pour l’assistance technologique et l’investissement économique en éducation dans les pays en développement, principalement sous l’impulsion des économistes (World Yearbook of Education, 1954 & 1956) [7].
25Ces perspectives ont bénéficié du soutien des infrastructures internationales, telles la Banque mondiale ou l’Unesco pour les pays en voie de développement, plus tard l’OCDE pour les pays européens, qui ont utilisé dès les années soixante les enquêtes quantitatives systématiques comme instruments de pilotage des politiques et des réformes éducatives. Si, avec le développement des organismes internationaux et les outils de la planification* de l’éducation, le comparatisme a progressivement élargi son champ d’études et d’intervention, notamment en direction des pays moins avancés, c’est parfois au prix de conflits concernant les portées idéologiques de ces approches. Les défenseurs de cette conception de l’éducation comparée considèrent que la comparaison a pour mission principale d’accompagner les processus de modernisation* sociale et de guider les réformes éducatives nécessaires dans le domaine de l’éducation (Psacharopoulos & Woodhall, 1985; Psacharopoulos, 1990).
26Moins étayée méthodologiquement que la perspective de l’évolutionnisme social, cette tendance est d’une certaine manière moins pragmatique, car plus descriptive. Elle a cependant évolué depuis les années soixante-dix, ne s’en tenant plus à l’édification de tableaux statistiques, mais s’est depuis préoccupée d’évaluer l’adaptabilité des systèmes, de procéder à un suivi des programmes de réformes, d’améliorer les systèmes d’information, et non plus seulement de produire une évaluation exogène et standardisée des systèmes éducatifs.
27L’expertise* du comparatiste consiste, dans cette perspective de « recherche appliquée » (Debeauvais, 1997 : 99), à évaluer l’efficacité de l’investissement en éducation, son rendement et ses implications sociales, économiques et politiques. En ce qu’elle favorise, par la diffusion de modèles culturels*, éducationnels et sociaux, une interaction forte entre les pays industrialisés et des pays moins avancés mis en situation de dépendance, cette tendance interventionniste du comparatisme en éducation prépare l’imposition progressive d’un espace élargi – global ou mondial – d’intelligibilité des phénomènes éducatifs (Meyer, et. al., 1977). La simplification et la négligence des spécificités nationales – malgré une évolution vers des indicateurs de développement* plus qualitatifs et des espaces d’étude plus restreints, associées à une forme de paternalisme économique et politique, sont parmi les principaux griefs adressés à cette conception du comparatisme en éducation (Carnoy, 1974), qui ouvriront la voie à une conception critique du comparatisme (infra).
28À ces tensions idéologiques s’ajoute une discordance épistémologique dans les approches relevant d’une conception pragmatique du comparatisme en éducation : le registre et le temps de l’action du politique et du scientifique sont par nature discordants. L’évaluation des systèmes d’éducation ou de formation ne signifie pas pour autant une compréhension des phénomènes culturels qu’ils abritent [8]. Le discours de recherche et le discours d’expertise, que H. Zander identifie comme un « discours à statut gestionnaire » (1996 : 284), relèvent de registres discursifs et d’intérêts de connaissance différents, le premier étant travaillé par un souci épistémologique d’interrogation et de problématisation des phénomènes éducatifs, le second par des préoccupations pragmatiques d’évaluation et de pilotage des systèmes éducatifs [9].
29Difficilement conciliables, ces pratiques discursives éclatées constitueraient un facteur de fragilisation pour le domaine, malgré son apparente vitalité. J.J. Noah consentait déjà voici près de vingt ans que « l’éducation comparée constitu [ait] un domaine d’étude appliquée qui trouv [ait] d’abord sa justification dans sa contribution à l’évaluation, le management éducatif, l’administration et dans l’aide à la décision politique. Cependant, [ajoutait-il], comme tout domaine, il est potentiellement soumis à un usage abusif de ses résultats pour légitimer telle ou telle action réformatrice » (Noah, 1984 : 161). Cette mise en garde devant la montée d’une dérive utilitariste d’un champ confronté à la multiplication de « nouveaux consommateurs d’éducation comparée […] planificateurs, experts, agences de financement, organisations non gouvernementales… » (Novoa, 2000 : 203), autant d’acteurs qui jouissent d’une grande influence dans l’espace international de l’éducation, est une des préoccupations comtemporaines de comparatistes soucieux de construire et de préserver la légitimité scientifique du domaine d’études, que tend à menacer l’hétérogénéité des instances du discours comparatiste.
30Hésitant entre hermétisme et externalisme, les comparatistes en éducation sont sujets à des incertitudes identitaires récurrentes. L’équilibre est pour le moins difficile à trouver entre d’une part un isolationnisme scientifique soucieux de préserver le champ de l’impureté académique du discours expert, qu’on rangera alors commodément dans la rubrique « éducation internationale », en opposition à « éducation comparée » (à l’instar de ce qui se passe dans le monde anglo-saxon), et d’autre part une ouverture et une confrontation saines [10], mais susceptibles de mettre en danger l’assise théorique et la légitimité académique de la spécialité. Le domaine de l’éducation comparée, par la multiplicité de ses ancrages institutionnels, de ses objets et de ses usages, rend plus sensible encore cette tension entre internalisme et externalisme scientifiques qui travaille de façon récurrente la recherche éducative [11].
Le comparatisme critique : une rupture idéologique
31La composante critique du discours comparatiste s’est développée dans le champ de la recherche comparative en éducation en réaction contre :
- les conceptions objectivistes et closes des phénomènes éducatifs et culturels que le fonctionnalisme tend à promouvoir;
- les perspectives de l’évolutionnisme social qui, aveuglées par une conception continuiste* de l’histoire et une approche pragmatique des faits éducatifs, tend à négliger les processus de changement social*;
- le consensualisme, qui prémunit l’entreprise scientifique de poser la question de ses fins, meilleur moyen de les éluder, surtout lorsque les espaces d’intervention sont déplacés au-delà de ses frontières nationales.
32Examinons ces différents points de rupture des approches critiques d’avec une « tradition » comparatiste en éducation, qui, sur le plan politique, prend la forme du libéralisme réformiste.
33Cette perspective s’élève donc contre des formes de comparaison consensualistes qui incarnent, par leur ethnocentrisme, une forme de colonialisme moderne – les pays développés (le plus souvent les anciennes puissances coloniales) exerçant ou pérennisant par leur expertise un pouvoir de contrôle sur le développement de pays moins avancés (Carnoy, 1974; Noah, 1984). L’éducation comparée, dans son programme pragmatique, s’est épanouie dans une période postcoloniale, au cours de laquelle l’éducation et l’aide au développement ont représenté pour l’Occident les instruments de son expansionnisme culturel* et idéologique, et ce faisant le moyen d’asseoir pour lui-même sa propre identité, bâtie sur ces fondements universalistes (Horowitz, 1972; Spivak, 1999).
34Alors que les perspectives « classiques » – tant déterministes que pragmatiques – étaient marquées à la fois par le consensualisme et l’universalisme, la perspective critique, conformément à ce qui constitue pour une bonne part de ses représentants la théorie de référence – le marxisme – développe une lecture discontinuiste de l’histoire. Battant en brèche la volonté d’hégémonie idéologique à l’œuvre, sous couvert de scientificité (Welch, 1985), dans les courants traditionnels de l’éducation comparée, cette composante critique, mue par les théories du conflit, conçoit la société comme un espace de contestation sociale, et pose par conséquent comme « objets » privilégiés de l’éducation comparée les processus de changement social* (Altbach & Kelly, 1978 & 1992, Bowers, 1993; Carnoy & Samoff, 1990; Welch, 1993).
35Cette approche s’inscrit dans un tournant critique qui dépasse le champ de l’éducation comparée et a aussi touché l’anthropologie et la sociologie. Au cœur de ces approches critiques et au-delà de la stigmatisation idéologique, on trouve la question du traitement de l’Autre et de la culture par les comparatistes depuis les origines du champ. Ce sont donc tout autant des préoccupations scientifiques qu’éthiques qui travaillent l’ensemble de ce courant. D.H. Hoffman souligne ce qui constitue selon elle le paradoxe récurrent de l’éducation comparée, qui est de « placer l’observateur extérieur (outsider) dans une curieuse position, celle d’évaluer ce qu’il ne se donne pas même les moyens de comprendre » (1999 : 471).
36Les préoccupations idéologiques de cette composante critique du comparatisme ont été progressivement déplacées sur un plan méthodologique. Ces approches suppléent à la conception exogène de la comparaison qui caractérisaient les traditions « naturalistes » dominantes depuis les origines de l’éducation comparée, une perspective émancipatrice* que la tradition anglo-saxonne désigne sous le terme d’empowerment*, et qui se distingue des approches traditionnelles en ce qu’au lieu de mettre en œuvre une expertise externe chargée de traiter des problèmes éducatifs, elles déploient, plus localement, des méthodologies préoccupées, par la conscientisation*, d’éclairer des processus d’appropriation des phénomènes éducatifs par les acteurs eux-mêmes (Altbach & Kelly, 1986). Le déploiement de méthodes d’inspiration phénoménologique (Hunter, 1994) manifestent le déplacement progressif de l’intérêt de connaissance du comparatisme des faits aux processus éducatifs, et une attention plus forte au sens des phénomènes éducatifs (Crossley & Vulyami, 1984; Heyman, 1979; Masemann, 1982).
Les conséquences de la modernité : une rupture épistémique [12]
37Les défis de la mondialisation – et de son pendant intranational, la fragmentation – semblent s’imposer aujourd’hui à tous les esprits. Quelles réalités culturelles, politiques, civilisationnelles cette rhétorique du consensus – qui en chasse une autre – recouvre-t-elle, et quels enjeux ces tendances augurent-elles pour le domaine de l’éducation comparée ? Examinons de quelle façon la recherche comparative prend en charge ces évolutions civilisationnelles.
La globalisation
38Si l’Etat-nation a traditionnellement constitué – et constitue encore – l’unité la plus commune d’analyse, l’étalon mètre du comparatiste, les aires d’influence idéologique ont longtemps composé une autre forme, moins lisible, mais tout aussi prégnante d’organisation spatiale du champ d’études [13]. D’une façon qui n’est probablement pas étrangère à l’affaiblissement des idéologies, d’autres espaces et dimensions de comparaison émergent, tendus entre le niveau global et le niveau local, entre d’une part l’exigence de prendre en compte l’intensification de la circulation de la culture et des personnes et l’influence réciproque entre des contextes socioculturels éloignés, aboutissant moins à une improbable uniformisation transnationale des modèles sociaux qu’à des formes singulières d’appropriation* par des « communautés interprétatives » de phénomènes convergents (Featherstone, 1990; Novoa, 2000), et d’autre part le besoin corollaire de voir reconnus et pris en considération des espaces identitaires plus restreints que l’espace national (Arnove & Torres, 1999; Smith, 1992).
39« Si les autres sont moins autres, le même n’est plus le même, il se complexifie, se divise, se différencie » (Augé, 1994 : 83). La globalisation et la fragmentation, c’est-à-dire la montée de revendications particularistes de reconnaissance et d’identité de « communautés imaginaires » (Anderson, 1991), participent en réalité d’un même processus d’étirement des cadres spatio-temporels construits par la modernité, devenus « trop petits pour les grands problèmes de la vie, et trop grands pour les petits problèmes de la vie » (Bell, 1987, cité par Giddens, 1994), et dont l’Etat-nation, seule organisation politique que la modernité ait produite selon Max Weber, constitue un des piliers (Kastoryano, 1998) [14].
40Cette tension entre le global et le local, que certains traduisent par le concept de glocalisation (Robertson, 1995), signale, particulièrement dans le contexte européen, combien l’intégration supranationale participe dans le même temps d’une fragmentation intranationale, par la dynamisation des régions (Scardili, 1993). Ces évolutions génèrent des tensions internes parmi les comparatistes, entre les tenants d’un comparatisme qui se déploie au-delà même des cadres nationaux et ceux qui souhaitent que la comparaison s’enracine dans les réalités culturelles et économiques régionales. Nulle contradiction en réalité, car « la transformation locale fait autant partie de la mondialisation que l’extension latérale des relations sociales à travers le temps et l’espace » (Giddens, 1994 : 70).
41Appuyés notamment sur la théorie des systèmes développée par Niklas Luhman (1984), les promoteurs de la perspective globalisatrice en éducation comparée estiment que les mutations civilisationnelles que connaissent nos sociétés depuis le dernier quart du XXe siècle équivalent à celles qu’elles ont connu au cours du XIXe siècle (Schriewer, 1997b). L’Etat-nation a constitué alors le principe organisateur des systèmes éducation nationaux (Wallerstein, 1974 & 1991). La période contemporaine, marquée par l’expansionnisme culturel de l’après-guerre, serait marquée par l’affaiblissement de la vocation inclusive de l’Etat-Nation. Cette intensification de la diffusion culturelle et le développement de réseaux d’interdépendances transnationaux rendraient caduque la compréhension des phénomènes éducatifs à la seule lumière des formes sociétales et politiques construites par la modernité (Schriewer, 1997a & 2000). Il convient dès lors pour le comparatiste de repenser les cadres spatiaux de l’éducation comparée, à la mesure de nouvelles formes de régulation politique et de diffusion culturelle et éducationnelle (Rose, 1999).
42C’est ce qu’entreprennent des recherches qui enregistrent une expansion mondiale des modèles éducatifs hérités des systèmes modernes d’éducation tels qu’ils ont été édifiés en Europe (Ramirez & Boli, 1987). L’expansionnisme culturel de la période d’après-guerre, soutenu par des infrastructures de diffusion et d’information de poids (Unesco, Banque mondiale, IIPE), a favorisé une interdépendance croissante des systèmes éducatifs nationaux qui contraint à ne plus penser leur évolution en seule référence à des processus intranationaux.
43Ce n’est cependant pas l’inertie des systèmes éducatifs nationaux qu’enregistrent les approches de la globalisation, mais au contraire les transformations que ne manque pas de générer localement la transposition dans des contextes sociaux riches d’une culture et de traditions propres, des modèles éducatifs élaborés dans et pour d’autres espaces culturels (Badie, 1992; McGrew, 1992). Dans cette perspective systémique, le projet de ces approches est en somme de proposer une analyse systématique des conditions d’homéostasie de systèmes éducatifs soumis à une intensification des relations d’interdépendance.
L’herméneutique
44L’émergence de nouveaux espaces identitaires, telle l’Europe, et de problématiques éducatives transnationales contraint donc le comparatiste à un recadrage de ses unités d’analyse traditionnelle. L’approche de la globalisation est une des conséquences de ces évolutions dans le domaine comparatif. Cette nécessité de repenser les cadres spatiaux de la recherche comparative s’accompagne pour certains comparatistes du souci d’intégrer le social-historique dans l’intelligibilité des processus éducatifs. La tendance herméneutique la plus récente est attentive à la rationalité des acteurs éducatifs et aux modalités de construction des imaginaires sociaux (Novoa, 1995 et 1998). À partir de cette conception constructiviste de la comparaison en éducation, l’enjeu est moins de rendre compte de faits éducatifs que de rendre historiquement intelligibles des processus qui se déploient dans des communautés humaines qui construisent discursivement du sens et des identités (Schriewer, 1998). Cette tendance historico-herméneutique promeut une conception de la culture comme texte, une culture « fabriquée comme une fiction » (Popkewitz, et. al., 2001 : IX).
45Dans cette perspective qui rompt avec la « narration évolutionniste » (Giddens, 1994) de la modernité, « l’analyse ne prend plus comme référence des contextes définis selon la visibilité de leurs contours géographiques, politiques ou sociaux, mais des contextes définis selon l’invisibilité des pratiques discursives qui leur donne sens » (Novoa, 1995 : 40). Se défiant des idéologies progressistes et exogènes qui ont longtemps travaillé le champ, cette mouvance contemporaine supplée progressivement à un modèle contextuel et pragmatique un modèle textuel, qui traduit la centralité du discours* dans la construction des phénomènes éducatifs. Appuyé sur les acquis de la philosophie continentale, notamment la phénoménologie herméneutique de P. Ricœur, l’épistémologie historique de M. Foucault et l’éthique argumentative de J. Habermas [15], les tenants de cette approche historico-herméneutique des phénomènes éducatifs et culturels postulent que la tâche de l’historien passe par une reconstruction narrative du passé, « une dimension constructive qui relie l’histoire à la tradition littéraire plutôt qu’au récit de la science » (Novoa, 2001 : 46, en écho à Ricœur, 1994).
46À ce titre, la perspective herméneutique est probablement celle qui rompt le plus radicalement avec les origines du domaine comparatif, à la fois dans son dessein scientifique et sociétal (le comparatiste s’affranchit de préoccupations scientistes, pragmatiques ou réformatrices) dans ses unités d’analyse (qui ne s’imposent plus a priori selon des frontières politiques mais selon les formes de composition de communautés imaginaires – Anderson, 1991) – et dans ses postulats épistémologiques (l’archéologie historique cesse d’être le Récit du progrès, l’Histoire majuscule, mais le dévoilement de la diversité historique et culturelle de l’humanité, la valorisation des mises en intrigue successives et ancrées dans le présent d’une culture, des discours que celle-ci tient sur elle-même). Les travaux de T.S. Popkewitz sur les curricula* scolaires, dans lesquels l’auteur œuvre à instruire une « épistémologie sociale de l’école », participent par exemple d’une approche herméneutique des métarécits des cultures éducatives (Popkewitz, 1987 & 2001).
47Ce projet herméneutique et historiographique* présente à cet égard dans son projet un trait commun avec la composante critique évoquée plus haut, même si les cadres de références théoriques et les postulats épistémologiques en sont tout à fait distincts. Se confrontant aussi bien aux métatextes de la culture qu’à l’action et aux pratiques « autochtones », cette tendance adopte elle aussi une posture critique et manifeste des préoccupations émancipatrices (Grosvenor, Lawn & Rousmaniere, 1999; Hunter, 1994; Rose, 1999). Il y a dans ce projet d’une herméneutique généralisée des phénomènes éducatifs et culturels le même souci de réhabilitation de la parole incarnée, en bref du Sujet.
Extension de la contemporanéité et transformations de l’altérité : de nouveaux enjeux de connaissance pour l’éducation comparée
48La fin des idéologies et des « Grands Récits » de la modernité – le positivisme, le progressisme, l’évolutionnisme, le marxisme – a inauguré, selon Lyotard (1979), une ère d’incertitude qui laisse le monde en déficit de repères et de croyances. Ce constat, bien connu et abondamment discuté, est propice à alimenter le syncrétisme et un relativisme généralisé. L’enjeu n’est pas ici d’en discuter la pertinence. Cependant, en cette période d’indécision, où les notions de globalisation et de mondialisation résonnent parfois comme des invocations – au risque d’agacer (Slama, 1993) – et alimentent à l’occasion des conceptions fatalistes du développement culturel de nos sociétés (Bennett, 2001), assujetties à des phénomènes qui les dépassent et les soumettent à leur logique implacable, menaçant d’étouffer au passage les différences – et ce faisant la figure de l’Autre qui donne sons sens au comparatisme – l’enjeu pour l’éducation comparée est de taille.
Imaginaires scientifiques et intérêts de connaissance
Imaginaires scientifiques et intérêts de connaissance
49Le déficit de pouvoir mobilisateur de la rhétorique de la mondialisation, ou même plus « localement » de l’européisation, est en effet susceptible de générer des phénomènes régressifs de repliement identitaire, et ne manque d’ailleurs pas à l’occasion de le faire.
50Les idéologies ont ceci de particulier qu’en tant qu’elle sont des croyances, qui prétendent à la vérité, à l’exclusion de toutes les autres donc, elles ont longtemps rempli dans nos sociétés modernes le rôle jadis assigné aux religions et aux mythes, en fournissant comme elles une lecture de la société et de ses finalités propres : « le récit mythique apporte le réseau de significations par lequel s’exprime et se pense l’ordre du monde dans sa totalité » (Ansart, 1977 : 23). Or, là où la société constituait l’espace de référence dans le modèle marxiste, elle cesse de l’être dans le modèle libéral, et devient une composante parmi d’autres d’un système global de régulation du capital, financier, intellectuel, culturel, éducationnel (Castells, 1996). Il y a probablement dans ce vide laissé par la défaite des idéologies et la montée d’une rhétorique plus « réaliste », la marque de ce désenchantement du monde annoncé par Max Weber, c’est-à-dire le triomphe d’une seule rationalité instrumentale, au prix d’une forme d’irrationnalisme axiologique.
51Les idéologies n’ont cependant pas entraîné dans leur chute les imaginaires sociaux, substrats de toute communauté culturelle. La composante herméneutique du discours comparatiste, envisageant la culture comme texte, promeut une perspective anthropologique et sociohistorique de l’éducation, qui permet de réintroduire du sens, du lien, celui des solidarités symboliques qui rassemblent des communautés culturelles. Les « conséquences de la modernité » pour l’éducation comparée, ce sont donc des approches qui sont singulièrement à la fois globalisantes et subjectivantes.
52Ces composantes contemporaines du comparatisme, si elles se démarquent des conceptions exogènes qui ont marqué le domaine de l’éducation comparée, et œuvrent à une refondation épistémologique du champ qui passe par un nécessaire réexamen de ses objets épistémiques traditionnels, entretiennent une solidarité scientifique qui trouve ses limites dans les outils qu’elles privilégient pour analyser les objets qu’elles se donnent. L’approche systémique de Luhmann qui inspire les approches de la globalisation en éducation est peu compatible avec la perspective herméneutique d’un Ricœur ou l’éthique reconstructive d’un Habermas, dont s’inspirent des comparatistes comme Novoa. S’il est bien question dans tous les cas du « tenir ensemble » de communautés humaines engagées dans des espaces sociaux aux contours spatio-temporels moins déterminés, les solidarités symboliques, proprement humaines, que prend pour objet l’approche historicoherméneutique, ne peuvent se confondre avec les cohésions systémiques qu’analysent les approches de la globalisation.
53À l’issue de ce tour d’horizon du champ comparatif en éducation, il apparaît qu’une composante fondatrice du projet et du discours comparatistes est en voie d’être (re) pensée à la faveur des mutations civilisationnelles contemporaines, justifiant que la tâche de l’éducation comparée ne se limite plus désormais au seul constat de ressemblances ou de dissemblances observables dans différents contextes éducatifs nationaux devenus étriqués : cette composante, dont l’éducation comparée ne saurait se passer, est la figure de l’autre. Par voie de conséquence, les courants comparatistes qui enregistrent ces transformations, quelle qu’en soit la manière, convergent vers la nécessaire prise en compte de deux phénomènes culturels majeurs : l’extension de la contemporanéité [16] et sa conséquence, à savoir la transformation de l’altérité.
54D’une part, cette sorte de synchronisation à distance entre sujets qui, bien que ne partageant pas physiquement un espace de coexistence, sont néanmoins engagés dans et approchant les mêmes configurations culturelles et sociétales [17]; d’autre part, l’affaiblissement de l’Etat-Nation dans sa vocation moderne d’inclusion, qui favorise le développement d’espaces de reconnaissance identitaires infra – ou transnationaux, constituent deux enjeux de connaissance importants pour le devenir de l’éducation comparée, parce qu’ils tendent à renouveler la figure de l’étranger, construit par l’idée de nation, et ce faisant celle de l’Autre. S’en suit en effet dans cette perspective un déficit d’exotisme, mais néanmoins une persistance de l’altérité. Le rapport à l’Autre reste le point nodal, la référence dont ne saurait se passer le comparatisme, même déplacé sur ces espaces élargis, étirés, de contemporanéité.
55Probablement cette contemporanéité élargie altère-t-elle d’ailleurs moins l’altérité qu’elle ne la restaure. « L’absence de l’Autre de notre Temps a été son mode de présence dans notre discours – comme objet et comme victime » Ce que déplore ici Johannes Fabian (1983 : 154) pour le champ anthropologique ne vaut-il pas pour l’éducation comparée eu égard aux projets et aux intérêts de connaissance qu’elle s’est longtemps donnés ? Le discours comparatiste, au même titre que le discours anthropologique, a en effet plus souvent ignoré l’Autre, en en faisant un objet, qu’elle n’a tenté de le comprendre. La connaissance ne saurait plus être à présent simple accumulation d’informations sur un « étranger bizarre » (Valadier, 1997 : 177), mais « participation à l’élaboration de la connaissance commune » (Augé, 1994 : 78), commandée par cette contemporanéité de l’observateur et de l’observé.
56Affranchie par les transitions civilisationnelles contemporaines de ses tentations de « naturalisation » de l’Autre, l’éducation comparée est aujourd’hui engagée dans une entreprise salutaire de réévaluation de son projet scientifique, de redéfinition de ses unités et de ses outils d’analyse. Cette tâche de refondation conceptuelle, épistémologique et méthodologique est fort stimulante pour qui s’intéresse à un domaine de recherche qui, en plus de donner à le découvrir, donne aussi à penser l’Autre, et ce faisant soi-même.
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Notes
-
[1]
L’examen des modalités d’exposition institutionnelle d’un champ scientifique est tout à fait précieux pour en éclairer le développement historique et les tensions. Cela constituerait en soi l’enjeu d’une autre étude. Par exemple, il est intéressant de prendre la mesure du type de contributions qu’accueillent les revues consacrées à l’éducation comparée, ce qui permet d’en dessiner plus précisément les contours. P. Broadfoot propose utilement cet inventaire dans un récent ouvrage, Learning from Comparing (Alexander, Broadfoot & Philipps, 1999), dans lequel elle fournit une typologie des « études comparatives » publiées depuis 1993 dans la revue britannique Comparative Education. Il ressort de son recensement que la majorité des articles publiés se révèlent être des études menées dans un seul pays (one country studies) (Broadfoot, 1999 : 23-24). En 1999, V. Rust, et. al., observaient à leur tour, à partir d’une consultation extensive des articles parus depuis 1975 dans trois revues angloaméricaines importantes du genre (Comparative Education Review, Comparative Education, International Journal of Education Development) la rareté de la recherche authentiquement comparative : moins d’un tiers des études consultées développent effectivement une démarche comparative (Rust, et. al., 1999). On a donc le plus souvent affaire à des études intranationales. On trouve les mêmes modalités d’exposition dans la plupart des ouvrages collectifs d’éducation comparée, configuration dans laquelle, paradoxalement, est laissé au lecteur le soin de comparer. De ce point de vue, une part importante de ces travaux et revues relèvent moins de la comparaison stricto sensu que de la confrontation internationale. En sorte que le terme que proposait G. Bereday (1964) pour désigner ce genre de travaux – foreign education – conviendrait aisément à l’ensemble du domaine, si nombre faisait loi. Dans la même perspective d’éclairage de l’exposition institutionnelle de la recherche comparative, un examen de la façon dont s’organisent collectivement ceux qui en font profession – rassemblés dans des associations nationales ou internationales – est tout à fait utile, de même que l’influence des éditeurs dans la diffusion de l’éducation comparée (Altbach, 1987; Sutherland, 1985). Le poids des traditions académiques et des ancrages disciplinaires, que ne saurait effacer par le seul caractère international du champ, le contexte institutionnel, social et politique, le poids des organismes nationaux dans le statut accordé à l’éducation comparée, la place du domaine d’étude à l’Université (Groux & Paul, 1996; Groux & Tutiaux-Guillon, 2000; Leclercq, 1999), l’existence d’instituts de recherche spécialisés, la légitimité du champ dans la communauté scientifique, tous ces facteurs environnementaux pèsent sur le développement quantitatif et qualitatif de la recherche comparative dans chaque contexte national, et en conséquence sur la cohérence internationale du domaine. Par exemple, l’hégémonie du monde anglo-saxon dans le champ de l’éducation comparé – qui conduit certains à évoquer « l’anglocentrisme » du champ (Grüber, 2001) – mériterait un examen – de sa réalité institutionnelle autant que de ses conséquences scientifiques. Une analyse historico-herméneutique des imaginaires scientifiques et des traditions intellectuelles anglo-américains, à l’instar du travail accompli par J. Schriewer et E. Keiner pour l’Allemagne et la France par exemple (Schriewer & Keiner, 1992), serait tout à fait utile. À défaut, on pourra sans grand mal, à la lecture de cette note, avoir l’intuition de cette hégémonie au regard des intérêts de connaissance qui ont guidé le champ comparatif au cours de son développement; l’indice le plus accessible au lecteur de cette hégémonie est la bibliographie de la présente étude.
-
[2]
Les citations issues de ressources documentaires de langue anglaise sont traduites par l’auteur.
-
[3]
Comme le rappelle H. Schulze (1996), l’idée de « nation » est beaucoup plus ancienne que celle d’« État ». Héritée de l’Antiquité romaine, la natio, comme son étymologie le suggère, désignait une communauté humaine construite sur des critères communs d’origine, de naissance ou de race, sans que pour autant elle désigne un espace politique. La natio s’opposait à la civitas, qui désignait les populations et les hordes ne connaissant pas d’institution communautaire stable. À l’époque médiéval, elle désigne les grands peuples d’Europe, évolution qui dénote l’origine européenne de l’usage moderne de nation comme de celle d’État, qui ne prennent forme qu’au tournant du XIXe siècle, au lendemain de la Révolution Française, lorsque le tiers-Etat (le peuple) devient le « tout »: l’Etat-nation. Voir également sur cette question, D. Schnapper, 1994.
-
[4]
Voir sur cette question Schulze, 1996 : 115-134.
-
[5]
« Depuis le début, la défiance envers les voisins, l’hostilité et le combat furent, pour les nations européennes, un moyen de se trouver » (Ibid. : 133).
-
[6]
C’est d’ailleurs dans cet esprit que fut créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1948), le World Yearbook of Education. Sur cette question, voir Holmes, 1990 : 104.
-
[7]
Sur cette question, voir Kallen, 1996 et Weiler, 1982.
-
[8]
J. Schriewer considère par exemple que les controverses qui jalonnent l’histoire de l’éducation comparée « résultent de visions fondamentalement différentes de l’Autre, et qui constituent l’objet de la connaissance, de l’opposition entre la minimisation de différences socioculturelles en vue de faciliter la compréhension pratique, et leur exploitation en vue de l’analyse scientifique (Schriewer, 1997 : 113)
-
[9]
Pour une critique de ce courant, voir notamment Novoa, 2001 et Schriewer, 1999.
-
[10]
En France par exemple, l’Association francophone d’éducation comparée (AFEC), fondée en 1973 par M. Debeauvais, présente la spécificité, par rapport aux associations anglo-saxonnes, de rassembler aussi bien des universitaires, des chercheurs, que des experts issus des administrations et des organismes nationaux et internationaux.
-
[11]
Sur cette question, voir Bedin, 1994.
-
[12]
De façon délibérément explicite, nous suivons ici A. Giddens, qui estime que ce qu’il est convenu d’appeler la « postmodernité » est moins l’expression d’une rupture d’avec le programme de la modernité qu’elle n’en est la conséquence, et que ce n’est qu’au prix d’un examen des formes d’organisation sociétale promue par la modernité que peuvent être éclairées les configurations culturelles contemporaines. Si rupture il y a, c’est dans le déplacement des unités traditionnelles d’intelligibilité de l’activité sociale, conséquence de l’intensification de la diffusion culturelle et de l’interdépendance croissante des « théâtres sociaux » (Giddens, 1994). En conséquence, le champ de l’éducation comparée se trouve dès lors confronté à ce que nous reconnaissons comme une rupture épistémique, à laquelle il répond par une refondation épistémologique et un affranchissement progressif de ses postulats et de ses cadres d’analyse traditionnels.
-
[13]
La définition de principes fondant l’éducation comparée fut même bien souvent dans le passé un argument de légitimation idéologique; témoin la façon dont, dans les pays communistes – ici la République Démocratique Allemande – définissaient leur domaine d’étude, en référence directe au matérialisme historique et dialectique : « l’approche des problèmes de l’éducation comparée en tant que science est certainement différente, sous certains aspects importants, des diverses conceptions qui ont cours, parmi les comparatistes, dans les pays capitalistes […] Les différences entre les comparatistes marxistes et les comparatistes bourgeois sont plus marquées encore s’agissant de leurs vues sur la nature de la société… » W. Kienitz, 1971, cité par R. Cowen, op. cit.: 337.
-
[14]
La dévaluation des frontières étatiques, à la faveur de l’affermissement d’autres espaces d’identification supra – ou infranationaux, est une évolution qui s’origine dans le programme de la modernité, et dans le triomphe de l’idéologie libérale. En sorte que c’est moins l’affaiblissement de l’Etat-nation qui caractérise l’époque que le triomphe de l’Etat de type libéral. Si l’Etat-Nation ne semble ne plus être à la mesure des phénomènes sociaux, culturels et économiques convergents que connaissent nos sociétés, il demeure cependant le seul rempart pour des institutions libres et démocratiques, et n’a pas trouvé en la matière de substitut.
-
[15]
Un approfondissement des implications de ces références récurrentes sur l’histoire culturelle contemporaine est proposé par A. Novoa, 2001. L’ensemble des contributions réunies dans l’ouvrage dans lequel apparaît cet article mérite l’attention (Popkewitz, et. al., 2001).
-
[16]
Le concept de contemporanéité a été théorisé notamment par J. Fabian (1983), réinvesti par M. Augé (1994) dans leur critique respective du discours anthropologique.
-
[17]
Cette recomposition des relations spatio-temporelles est d’abord l’ouvrage de la modernité : A. Giddens rappelle que « dans le contexte moderne, le lieu est de plus en plus fantasmagorique : les différents « théâtres » sociaux sont complètement pénétrés et façonnés par des influences sociales très lointaines » (Giddens, 1994 : 27). Cependant, cette dissociation du temps et de l’espace qui avait pour fin la synchronisation de l’activité sociale à l’intérieur d’une organisation sociétale bien délimitée s’est progressivement étendue à la faveur de l’intensification de la diffusion de la culture et de la circulation des personnes, aboutissant à une contemporanéité élargie qui densifie les réseaux d’interdépendance et d’influence réciproques entre des contextes socioculturels éloignés. Ce processus dialectique intensifextensif trouve donc ses origines dans le projet moderne de domestication de l’espace et du temps, de subordination d’espaces sociaux éloignés à un temps unitaire, standardisé, ce que Giddens identifie comme « la délocalisation inhérente au développement des institutions sociales modernes » (Giddens, 1994 : 30).