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Article de revue

Lectures

Pages 222 à 244

? Daniel Denis et Pierre Kahn (dir.). L’école républicaine et la question des savoirs. Enquête au cœur du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson. Paris : CNRS éditions, 2003, 298 p.

1Le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson a déjà fait l’objet de travaux remarquables, comme ceux de Patrick Dubois. L’objectif de l’équipe réunie sous la direction de Daniel Denis et de Pierre Kahn, maîtres de conférences à l’IUFM de Versailles, est d’orienter la recherche dans un sens didactique : il s’agit d’examiner comment les disciplines scolaires (les « matières ») fondent leur légitimité à l’école primaire. Pour chaque discipline inscrite dans les programmes du 28 mars 1882 est donc établi un réseau d’articles parus dans la première partie (DP1) et la seconde partie (DP2) du Dictionnaire. L’intérêt de cette « cartographie » réside aussi dans la comparaison entre les deux éditions. Les auteurs montrent qu’entre la première édition, qui s’échelonne entre 1878 et 1887, et le Nouveau Dictionnaire pédagogique (NDP), qui paraît en 1911, une fermeture pédagogique s’est opérée : d’une part, les hésitations qui apparaissaient dans la première édition sont moins marquées; d’autre part, le sens de l’innovation pédagogique qui, selon la belle formule d’Élie Pécaut, « ne tuerait pas l’enfant dans l’écolier », tend à disparaître. Ainsi des échanges épistolaires entre classes, dont on attribue souvent l’idée à Célestin Freinet.

2Du moins le lecteur se souviendra-t-il ainsi que Jules Ferry ne fut pas seulement l’homme de la laïcité : il fut aussi un réformateur en matière de pédagogie. L’école ferryste n’était pas figée, et les débats qui l’ont parcourue ont souvent rejailli par la suite, par-delà les choix opérés.

3Chacun des auteurs insiste sur ces débats, hésitations et contradictions. Au sujet de l’instruction civique et de l’éducation morale, première matière inscrite au programme de 1882, Laurence Loeffel (université de Picardie) montre ainsi la difficulté d’établir un véritable enseignement. L’instruction civique, qui fait partie des disciplines intellectuelles, devrait trouver facilement son champ disciplinaire propre; mais elle se distingue mal de la morale et de l’histoire (on pourrait dire l’inverse : l’histoire se distingue mal de l’« instruction civique »). Quant à la morale, faute de bases philosophiques bien établies, elle court le risque de disparaître à l’état de simple éducation de la volonté. Pour lutter contre la propagande socialiste, le NDP insiste cependant sur la nécessité d’un enseignement de la morale laïque.

4Pour le français, Pierre Boutan (IUFM de Montpellier) montre la difficulté de concilier la méthode intuitive chère à Ferdinand Buisson, qui pourrait, selon Michel Bréal, aller jusqu’à partir de l’analyse des patois, et la nécessité d’apprendre le bon français. Par ailleurs, produire spontanément des écrits et imiter les grands auteurs relève de deux démarches différentes, qu’on ne saurait concilier par la fameuse méthode de « l’imprégnation lente » propre au secondaire, puisque toute subtilité rhétorique est exclue. Du moins cherche-t-on à éviter l’apprentissage mécanique de la grammaire, supposé rappeler les méthodes autoritaires de l’enseignement catholique. La dictée cependant ne reste-t-elle pas l’exercice scolaire par excellence ? Pierre Boutan pourrait ici rappeler les impératifs du certificat d’études primaires.

5L’exigence du bon français explique l’importance inattendue que tient la littérature dans le Dictionnaire: les maîtres doivent recevoir la formation littéraire qui les rendra aptes à discerner le bon du mauvais goût. Mais quelle incidence cela a-t-il sur l’enseignement élémentaire, s’interroge Martine Jey (IUFM de Paris), puisqu’on en exclut la recherche du style ? Au passage, on découvrira un Ferdinand Buisson très classique, puisqu’il est persuadé des vertus du latin pour fonder le bon goût (p.93). Le NDP résout au moins le problème de l’usage de la littérature dans les écoles primaires supérieures, en préconisant l’explication de texte, ce qui rapproche le primaire supérieur du secondaire.

6Au sujet de la géographie, Jean-Pierre Chevalier (université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines) montre la difficulté de sortir d’un enseignement livresque fondé sur la mémoire. Dans le contexte de la Revanche, il rappelle aussi que la géographie, « ça sert à faire la guerre », pour reprendre la célèbre formule d’Yves Lacoste : l’écolier doit savoir lire une carte d’état-major.

7L’enseignement de l’histoire (Danielle Tucat, IUFM de Créteil) hésite pour sa part entre formation de l’esprit critique et conditionnement civique, entre recherche de la vérité et histoire poétique d’un Lavisse qui n’exclut pas un passé environné de légendes. Mais peut-on faire d’un esprit docile un citoyen réfléchi ?

8Comme le souligne Pierre Kahn, l’enseignement obligatoire des sciences physiques et naturelles dans le primaire élémentaire est une nouveauté de la loi de 1882, et l’on est tenté d’y voir la marque du rationalisme scientiste qui inspire certains hérauts de l’école républicaine, comme Paul Bert. En réalité, la finalité de cet enseignement n’est pas si assurée. Félix Pécaut estime ainsi que l’éducation libérale serait bien mieux transmise par la poésie que par les sciences.

9Dans ces conditions, celles-ci doivent-elles avoir une vertu éducative (forger l’esprit critique, le sens de l’observation, etc.) ou bien se cantonner dans une stricte finalité utilitaire ? L’hésitation révèle une tension générale à l’école primaire, « qui ne veut pas renoncer à la spécificité de son enseignement utilitaire, mais veut en même temps, beaucoup plus que par le passé, afficher une ambition éducatrice qui est loin de se réduire à l’éducation morale » (p. 162).

10Dans le second cas, on se conforme mieux aux instructions officielles, qui évoquent les notions usuelles des sciences. Et pourtant la majorité des articles répudient le pur utilitarisme, tendance encore accentuée dans le NDP.

11La même tendance est décelée par Teresa Assude (IUFM d’Aix-Marseille) et Hélène Gispert (université Paris-Sud Orsay) pour l’enseignement des mathématiques. La première édition du Dictionnaire insiste sur l’utilité pratique de l’arithmétique (calculs d’intérêts, etc.) et les applications pratiques de la géométrie (mesurer des aires, etc.), en soulignant tout au plus les vertus éducatives du développement du sens de l’épargne. Il s’agit non pas de « forcer l’enfant à réfléchir », mais de lui apprendre à « calculer sûrement et rapidement ». La seconde édition introduit une entrée « mathématique », terminologie qui relève habituellement de l’enseignement secondaire, et, sans abandonner les finalités pratiques de cet enseignement, incite au développement des facultés de raisonnement.

12Avec le travail manuel, nouvelle matière obligatoire, cherche-t-on à « former l’homme ou le travailleur »? La question n’est pas sans rapport avec celle de savoir quelle autorité doit servir de tutelle aux EPS : ministère de l’Instruction publique ou ministère du Commerce et de l’Industrie ? A priori, les instructions officielles veulent prédisposer l’enfant aux travaux de l’ouvrier et du soldat. Mais en pratique, les valeurs éducatives l’emportent, et pas seulement à cause du manque d’ateliers, insiste Renaud d’Enfert (INRP), qui, se référant aux travaux d’André Chervel, préfère évoquer un processus de « disciplinarisation »: le travail manuel tend à devenir une discipline servant de support aux autres disciplines (dessin, sciences). Une autre ambiguïté existe sur la valorisation du travail manuel : après la Commune, s’agit-il d’éviter la multiplication des déclassés ou bien d’ennoblir le travail pour mieux intégrer la classe ouvrière ? Pour les filles, le travail manuel se réduit aux traditionnels travaux à l’aiguille, qui doivent consister en des travaux de raccommodage et non de broderie : on veut croire que le rôle des filles se cantonnera au foyer, tolérant tout juste le travail textile à domicile — comme s’il était moins exploiteur que le travail à l’usine.

13L’enseignement du dessin oppose Félix Ravaisson, tenant de l’imitation des artistes, et Eugène Guillaume, favorable au dessin géométrique (Jocelyne Berguery, IUFM de Versailles). Le débat ne se réduit pas à l’opposition entre enseignement pratique et enseignement libéral : si Ravaisson évoque la possibilité d’améliorer l’homme à travers le culte du beau, Guillaume insiste sur les vertus scientifiques de son modèle. L’un comme l’autre font donc référence à l’universel. Mais l’enseignement primaire peut-il s’engager sur la voie de l’art, alors qu’il est destiné au peuple, à la différence de l’enseignement secondaire ? La victoire temporaire de Guillaume est due au sentiment qu’il était difficile de guider tous les élèves vers l’art. C’est seulement avec le développement de la méthode intuitive, qui, profitant des progrès de la didactique, fait davantage confiance à l’enfant, tout en le corrigeant, que la discipline peut se détacher de la géométrie, sans renoncer totalement aux aspects utilitaires du dessin.

14Enfin, la comparaison entre le DP1 et le DP2 conduit Daniel Denis à se demander si les maîtres d’œuvre de l’ouvrage n’ont pas quelques réserves sur la « prédestination militaire des exercices gymniques ».

15Cet exemple nous rappelle que le Dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson n’est pas un texte réglementaire.

16À bien des égards, ses auteurs s’éloignent des prescriptions de la loi de 1882. Est-ce parce que ses auteurs sont majoritairement issus des enseignements secondaire et supérieur ? On pressent en tout cas des forces qui poussent l’enseignement primaire à refuser de se cantonner dans des limites trop étroites. Il est curieux, au demeurant, de voir Ferdinand Buisson ne pas être toujours en phase avec les règlements qu’il a lui-même signés.

17Les tensions qui parcourent le Dictionnaire s’expliquent en partie par le caractère double de l’enseignement primaire, à la fois élémentaire et supérieur. Pierre Kahn montre d’ailleurs que les forces qui poussent le primaire à dépasser ses étroits horizons trouvent leur expression dans le NDP, qui témoigne d’un désir de rapprocher primaire et secondaire, sous le signe de la réforme de 1902. On peut se demander s’il ne s’agit pas aussi de l’aboutissement de la logique de la « disciplinarisation ». Celle-ci peut à la fois pousser à une plus grande parenté avec le vénérable enseignement secondaire et à la réduction de la part des méthodes pédagogiques nouvelles. Dans cette évolution, quelle est au demeurant la part d’un « réalisme tactique prenant la mesure de l’état d’esprit dominant chez les instituteurs ?», s’interroge Daniel Denis (p. 272).

18Au-delà d’un anachronisme sur le terme d’« universitaire » (p. 150), cet ouvrage a le mérite de sortir de l’opposition entre nostalgiques et hypercritiques de l’école républicaine. Il nous livre les interrogations pédagogiques des fondateurs de cette école, tout en rappelant la conviction de Jules Ferry que le maître doit être savant pour bien enseigner. Pierre Nora, qui avait naguère érigé le Dictionnaire pédagogique en « lieu de mémoire », y insiste dans sa préface : ce livre dépasse heureusement la querelle des « pédagogues » et des tenants du « savoir ». On peut très bien vouloir des maîtres savants et se livrer à des questionnements pédagogiques et didactiques. Et inversement.

19Yves Verneuil, Cursep, lycée de Neuilly

? Claude Lelièvre. L’école obligatoire : pour quoi faire ? Une question trop souvent éludée. Paris : Retz, coll. « Défis d’éducation », 2004,142 p.

20Claude Lelièvre est professeur d’histoire de l’éducation à l’université de Paris V, mais il a été aussi professeur de philosophie, par le passé. C’est avec cette double approche qu’il faut comprendre ce dernier livre, d’une oeuvre déjà abondante.

Un petit livre et ses enjeux

21Mais il faut aussi, en creux, comprendre son livre autrement : il s’agit d’une prise de position dans le grand débat actuellement en cours sur le devenir de l’école en France. Car, le professeur d’histoire de l’éducation est également membre de la commission présidée par Claude Thélot. Et ce petit livre, particulièrement clair et limpide, est donc plus lourd d’enjeux qu’il n’y paraît à première vue. Essayons d’en dessiner les contours.

Une histoire politique

22Il s’agit ici d’abord d’une histoire, d’une histoire politique de l’école, de l’école obligatoire. On pèsera bien tout le poids des mots. Cette histoire commence en 1848. Commencement inhabituel — l’auteur prend soin de saluer au passage la Grande Révolution, mais ne s’y attarde pas, faute de place mais aussi et surtout parce que 1848 est le commencement de l’école… obligatoire.

23De fait, c’est le cas, dans le projet Carnot d’école primaire : l’école est obligatoire parce que pour exercer pleinement sa souveraineté, il faut être éclairé. Éclaire par une culture suffisante : l’obligation est donc liée à la définition de l’instruction nécessaire à tous et pour tous.

24Or, c’est justement parce que définir le contenu de l’enseignement obligatoire lui paraît impossible que le Comte de Falloux, successeur d’Hippolyte Carnot, renonce : l’école ne sera pas obligatoire avant les lois scolaires de Jules Ferry. Et l’école de la Seconde République, puis celle de l’Empire devront se contenter du « lire, écrire, compter », avec le catéchisme comme point de mire.

25Et Jules Ferry vint. Le 28 mars 1882, l’obligation d’instruction est instituée.

26Il n’est donc pas obligatoire d’être scolarisé, en revanche, il est bien obligatoire d’être instruit, par l’école (publique ou privée) ou par tout autre moyen, contrôlable par l’Etat. L’obligation s’étend de six à treize ans, mais peut-être réduite à onze ans, si l’on obtient le certificat d’études : position logique puisqu’il s’agit de sanctionner un niveau d’instruction. Quel est le contenu de cette instruction ? C’est tout simplement non pas tout savoir mais apprendre « ce qu’il n’est pas permis d’ignorer ». Or, il s’agit d’abord ici d’apprendre ce qui est utile, pratique pour la vie qu’aura à mener le citoyen républicain issu de l’école primaire. Préparation donc à la vie courante, mais pas à une profession.

27Car l’école éduque en instruisant : c’est la raison pour laquelle ce qui est important ce n’est pas d’abord lire, écrire et compter, mais la morale et l’instruction civique, les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel, le chant, la musique.

28Et pour l’enseignement traditionnel, il s’agira d’apprendre à bien lire, à bien écrire, à bien compter, c’est-à-dire à comprendre. L’instituteur qui enseigne la morale commune, celle reçue des pères, est aussi un éducateur puisqu’il enseigne l’instruction civique dont le rôle est éminemment politique : il s’agit de faire aimer la République. Bref, d’empêcher à tout jamais le retour de la monarchie. On le sait : si la neutralité existe en matière religieuse dans l’école de la République, elle est absente en matière politique.

29Révolution, on le voit, sans que cela se traduise par une pédagogie particulière : ce sera une reprise de celle des Frères des écoles chrétiennes, la pédagogie simultanée (on fait le même cours, avec les mêmes livres et les mêmes exercices en obéissant à un seul maître, à la différence du mode mutuel où les enfants disposent d’une réelle responsabilité dans l’acte éducatif): il s’agit en effet d’apprendre l’essentiel, on l’a vu. Le plus rapidement possible.

Mise en cause de la division de l’école républicaine

30L’école de la IIIe République est une école de la division : les primaires d’un côté, les secondaires de l’autre, payant avec leurs classes élémentaires qui se distinguent des classes primaires. Deux ordres d’enseignement, séparés, qui vont se conforter et entrer progressivement en concurrence, en organisant chacun un système de diplôme, le baccalauréat d’un côté, le certificat d’études, le brevet élémentaire et supérieur de l’autre. D’un côté la « haute culture », de l’autre la « culture populaire ». Et cette division recouvre une division de classe.

31Cette division sera progressivement mise en cause : d’abord dans l’entre-deux-guerres où se développera l’idée de « l’élitisme républicain »: l’accès à la « haute culture » ne doit plus être réservé aux « bien nés » mais ouvert à tous ceux et à toutes celles qui le méritent. C’est le projet d’une école unique. C’est cette conception de la culture scolaire qui donnera lieu à la création en 1963 des CES. Il s’agit de bien orienter les bons élèves. Démocratisation partielle, on le comprend, qui sera mise en cause pendant et après la Libération : le plan Langevin-Wallon de 1947 proposera en effet de faire école obligatoire pour tous, jusque dix-huit ans, indépendamment même des débouchés professionnels.

32Chacun doit pouvoir accéder à la culture la plus élevée. On est bien loin de la conception de la IIIe République et de la conception gaullienne. Autour de ces deux modèles, les divisions des enseignants s’accuseront et s’organiseront en syndicats.

33En 1975, nouveau projet : l’égalité des chances. Le collège unique, sans filières.

34Et la condition pour que ce collège existe, c’est la définition d’une même culture pour tous ceux qui fréquentent le collège. Or, cette culture ne sera jamais réellement définie : ici se situe l’échec du collège, ou plutôt comme le pense Claude Lelièvre, l’affirmation que le collège unique est encore à naître. Car les tentatives de définir cette culture commune ont été à maintes reprises enterrées dans les deux dernières décennies. Notre siècle sera-t-il celui de sa définition et de sa mise en œuvre ?

Une philosophie

35 On l’aura compris, l’auteur ordonne l’histoire de l’école autour de l’idée de culture commune. C’est le cœur même de l’affaire. Il s’agit de fonder l’unité nationale autour de valeurs communes, partagées par tous. C’est donc l’aboutissement du cheminement commencé avec la IIIe République, mais élargie à tous et refusant la séparation des cultures. Cette culture c’est celle de l’école obligatoire : de l’école primaire au collège, voire même au lycée si l’obligation scolaire était prolongée jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Or, et c’est là qu’apparaît la position philosophique de l’auteur, il faut relire Condorcet. La culture commune c’est celle qui donne les éléments : pas des abrégés, mais les bases mêmes du savoir, ceux à partir de quoi tout s’organise. La culture élémentaire est donc propédeutique, préparatoire à une plus vaste découverte, elle n’est pas le « kit de survie » dont parlait le rapport Fauroux.

Quelle culture de base ?

36Celle-ci est nécessairement un mélange de la culture primaire et de la culture secondaire, une synthèse des deux, le dépassement d’une opposition séculaire en une nouvelle structure culturelle. Claude Lelièvre propose de retenir quatre blocs : le bloc des humanités classiques, le bloc des humanités modernes, le bloc technologique et le bloc des sciences sociales auxquels s’ajouteraient des disciplines pratiques (éducation physique et sportive, dessin, musique, arts plastiques) et éventuellement l’éducation à la santé.

37Reste à préciser ce que seront les contenus minimaux de connaissance exigibles de tous. Pas de réponse de l’auteur. S’agit-il de botter en touche ? Non mais de ne pas obérer le débat et d’éviter une trop grande technicité et des discussions sans fin qu’il faudra malgré tout bien avoir. Pour autant, certains repères peuvent être donnés : la culture minimale n’est pas la culture « allégée », il s’agit de passer d’une logique de la « restitution » à une logique de « la compréhension »: il ne s’agit plus simplement de reproduire un exercice, mais d’en comprendre le sens. De repérer ce qui est effectivement élémentaire.

38Et si l’auteur conclut par une citation de l’ancien président Giscard d’Estaing, fondateur du collège unique, c’est pour inviter à la réflexion. On comprend ainsi que ce petit livre offre amples matière à méditation : sa lecture est donc un bon viatique pour le débat politique à venir sur l’école.

39Bruno Poucet, Cursep, IUFM

? Responsabilités, vers une thématique, vers une problématique. Coordination : Alain Picquenot. « Documents, actes et rapports pour l’éducation ». Dijon : CRDP de Bourgogne, 2004.223 p.

40L’ouvrage est introduit par Alain Picquenot qui note d’emblée que « le thème de la responsabilité est de plus en plus présent dans notre quotidien et de plus en plus amplifié par les médias». Si l’opinion publique cherche des responsables c’est, semble-t-il, autant par souci de justice que par esprit de vengeance… Faudrait-il voir là les conséquences d’un affaiblissement des interventions socio-judiciaires, face à une justice qui apparaîtrait trop lente, trop complexe et en fin de compte trop laxiste, voire parfois démissionnaire ?

41En tout cas, les ressorts du processus de prise de décision intéressent désormais le citoyen.

42Cet ouvrage est composé d’une introduction et de quatre parties, regroupant treize articles, les uns s’axant autour d’une réflexion sur la notion même de responsabilité et son évolution à travers l’Histoire, les autres présentant des témoignages sur l’exercice de la responsabilité, dans le cadre de fonctions spécifiques. Mais c’est la responsabilité dans le milieu de l’enseignement, toutes fonctions confondues, qui sera essentiellement traitée.

43Qu’est-ce qu’être responsable ? C’est répondre de… La langue anglaise, précise, nous éclaire sur les différents niveaux du mot responsable : liable a un sens juridique et définit celui qui répond des dettes de quelqu’un, answerable désigne celui qui est garant, qui répond de ses actes envers quelqu’un et sur lequel on peut compter, enfin accountable qualifie celui qui doit des comptes et répond de quelque chose devant quelqu’un.

44À partir de là, comment la responsabilité peut-elle se comprendre tant par rapport à la question de la liberté (Sartre, Levinas) que par rapport à la question de la culpabilité… Et à l’intérieur de quels cadres peut-elle fonctionner ? Était-il plus facile à un enseignant d’exercer sa responsabilité lorsque sa mission était d’instruire alors que son autorité, sa respectabilité et son sens du devoir n’étaient pas remis en cause mais au contraire soutenus par l’institution et la société tout entière ? Or, cet « univers stable s’effrite et s’effondre » depuis une vingtaine d’années et de nouvelles valeurs s’imposent, liées à une représentation différente de l’individu, de l’enfant et de l’élève. Ce qui peut expliquer la « pénétration ou l’intrusion du droit dans l’école » c’est-à-dire la « juridicisation de l’école » (Picquenot, p. 13).

45Il ne s’agit pas d’une exception française, remarque Bernard Toulemonde, « tous les États organisés connaissent une croissance du fait juridique » (p.53); cependant elle prend une tonalité particulière en milieu scolaire dans la mesure où « pendant longtemps l’école a été une zone placée en dehors du droit commun, soumise à ses propres règles ». Aujourd’hui en butte aux mêmes problèmes et aux mêmes revendications que la société globale, l’école est confrontée à ce désir bien compréhensible de voir le moindre risque éradiqué alors même qu’elle est invitée de plus en plus à faire sortir de son enceinte et de son cercle protecteur les élèves et donc à prendre de plus en plus de risques…

46L’article de Gérard Mamou exemplifie les charges de plus en plus lourdes qui incombent aux chefs d’établissement pendant que leurs responsabilités se diversifient et s’accroissent (responsabilité juridique : administrative, civile, pénale) tandis qu’au bout du compte c’est toujours en termes de responsabilité morale que se pose le problème avec ce que cela implique de vécu personnel et d’expérience subjective (p. 77).

47Jean-Michel Zakhartchouk, dans son article-témoignage « Un professeur en ZEP » apparaît comme un enseignant satisfait et fait l’éloge de la fameuse vocation… Pédagogie différenciée, mobilisation de tous les élèves, aide à la motivation, à travers une représentation du métier tout à fait conforme à ce que réclame la nouvelle éducation nationale : « oui, je suis bien un acteur social, je me préoccupe des conditions dans lesquelles les savoirs peuvent être diffusés et surtout travaillés et je ne puis être indifférent aux aspects éducatifs du travail ». La conviction qu’a cet enseignant d’être en tant que tel, aimé, considéré et respecté tandis qu’il s’étonne de ce que ses collègues, en majorité, éprouvent le contraire pourrait être rassurante si elle ne s’assortissait pas d’un regard peu amène à leur encontre. Son exaltation à être « à la hauteur » l’entraîne ainsi à juger des écrits d’autres enseignants au titre qu’ils ne sont pas « scientifiques » alors même qu’il utilise l’exhortation plus que l’administration de la preuve (p. 96). Mais on est comblé devant tant d’empressement à être en quelque sorte le nouvel « hussard » de l’école publique.

48Aussi subjectif l’article suivant, « Le cauchemar de la responsabilité dans un lycée professionnel de banlieue ». Marthe Mullet y rapporte la difficulté à faire œuvre de discipline. Les enseignants n’en sortent pas grandis, les élèves non plus, d’ailleurs, même si l’objectif de cette enseignante dont on apprend qu’elle est psychologue, est de trouver un sens profond, psychologique où les ressorts de l’Inconscient le disputent à la tragédie de l’Histoire, à un fait banal et profondément puéril : un adolescent jette un œuf sur la tête d’un enseignant en train d’écrire au tableau. M. Mullet ne parvient pas à nous convaincre. Elle écrit « De la confusion des places à la confusion des mots », ajoutons aussi la confusion des rôles, des faits et des interprétations… Pour exercer l’autorité il faut être convaincu de son rôle d’adulte référent et partant, savoir aussi responsabiliser l’auteur des actes répréhensibles…

49Et nous en venons à la responsabilité de l’élève.

50Cette question est abordée à travers celle posée par Jacky Desquesnes : « L’éducation civique : une éducation à la responsabilité ?». L’auteur de cet article fait remarquer que selon le livret de présentation du Nouveau Contrat pour l’école, édité en 1994, « l’éducation civique vise l’acquisition d’une morale de la responsabilité » (p. 111), objectif qui doit solliciter toutes les disciplines. Apprendre les responsabilités du citoyen dans la démocratie française et dans le monde… Pour ce faire, il importera de suivre les évolutions des élèves, palier après palier, tout au long du cursus. À l’école élémentaire on mettra l’accent sur l’apprentissage du « vivre ensemble » tandis qu’au collège il s’agira de favoriser l’initiative et l’engagement, dans le respect mutuel. Le passage de l’individuel au collectif se fera à travers une responsabilisation citoyenne à l’égard du patrimoine, de l’environnement, du monde… C’est peu à peu au consommateur, actuel et futur, qu’il convient alors de s’adresser, l’auteur sautant le pas et semblant réclamer une formation à la responsabilité politique au lycée. Pour construire et transmettre une « culture démocratique » il faudra recourir à des expériences pédagogiques innovantes comme la mise en place de jeux pédagogiques.

51Le travail de Damien Durand « Responsabilité et responsabilisation des jeunes scolarisés » insiste sur l’utilité de bien cerner les différents domaines où peut s’exercer la responsabilité et surtout ce à quoi elle renvoie.

52Ainsi est-il nécessaire de la relier à la notion de majorité laquelle se décline en majorité civile 18 ans), pénale (18 ans), sexuelle (15 ans). Là encore le lien est fait entre la responsabilisation des jeunes envers soi et autrui et la lutte contre les incivilités. Les moyens dont dispose l’institution scolaire sont certes assez limités; cependant l’instauration d’un système de représentation, de délégation et de participation à l’élaboration du règlement intérieur, tout comme d’ailleurs le droit d’association au sein des établissements, devraient favoriser la responsabilisation des élèves, les sortant peu à peu de la position passive où ils sont restés longtemps cantonnés.

53Notons enfin le cas particulier de l’enseignement privé sous contrat, décrit par Bruno Poucet, qui nous en livre toute la complexité; dans ce cadre-là, droit civil, droit pénal, droit administratif doivent être pris en compte auquel s’ajoute le droit ecclésiastique.

54L’ouvrage se termine sur un dialogue autour du « déni de responsabilité ».

55Reprenons la phrase de Pascal, citée : « Les hommes n’ayant pu venir à bout de la misère, de la mort et de l’ignorance, ont préféré n’y plus penser. »

56Cet ouvrage nous invite donc à réfléchir sur la notion fondamentale de responsabilité. Gardons-nous cependant de chercher systématiquement des coupables, veillons seulement à ne pas être injustes.

57Jacqueline Finkelstein-Rossi, Cursep, UPJV

? Linda Chisholm ed. Changing Class : Education and Social Change in Post-Apartheid South Africa. Cape Town : HSRC Press, 2004; 447 pages

58Dix ans après les premières élections législatives de 1994, l’heure des premiers bilans a sonné en Afrique du Sud. Le domaine de l’éducation n’est pas en reste. L’ouvrage coordonné par Linda Chisholm paraît en 2004 et peut être considéré comme une analyse des principaux développements du système éducatif sud-africain depuis la fin de l’apartheid et l’entrée du pays dans une ère nouvelle. On ne saurait procéder à la revue des questions soulevées par le livre sans présenter rapidement Linda Chisholm dont la carrière débute en 1981 à l’université de Witwatersrand à Johannesburg. Elle devient directrice de Education Policy Unit de cette université en 1991 et le reste jusqu’à sa nomination en qualité de professeur en éducation à l’université de Duban en 1999. En 2000, elle est investie de la tâche délicate de coordonner le pilotage de la mise en place d’une révision de la réforme du curriculum, alors en grande difficulté. Elle a rejoint depuis le HSRC (Human Sciences Research Council) où elle participe au programme de recherche Education Policy.

59Changing Class : Education and Social Change in Post-Apartheid South Africa fait suite à d’autres ouvrages essentiels pour la compréhension des réformes survenues dans le domaine de l’éducation depuis le changement politique : Education in Retrospect (2000, Pretoria : HSRC) par Andre Kraak et Michael Young; Implementing Education Policies (2001, University of Cape Town Press) coordonné par Yusuf Sayed et Jonathan Jansen; Education and Equity (2001 Heinemann), coordonné par Enver Motala et John Pampallis. L’ouvrage coordonné par Linda Chisholm s’inscrit donc dans la perspective des études consacrées à l’analyse des politiques éducatives, études qui s’interrogent sur la portée des changements survenus en matière de réduction des inégalités dans un contexte mondial dominé par les politiques néolibérales.

60Le livre comporte seize chapitres répartis en trois sections : «Changing Contours »; « Changing Landscapes »; « Changing Margins ».

61Les cinq premiers chapitres qui constituent « Changing Contours » abordent la question du changement de contours du système éducatif dans le cadre des transformations sociales au sens large du terme.

62Dans le premier chapitre, Haroon Bhorat met en évidence le fait que la transition, en Afrique du Sud, a principalement été d’ordre politique alors que les séquelles économiques de l’apartheid sont encore bien présentes. L’examen des tendances du marché du travail dans les dix dernières années fait apparaître que l’accroissement de la force de travail a dépassé les capacités d’emploi, demeurées relativement limitées. Ce défi lancé au marché du travail ne peut trouver d’issue exclusivement dans un processus de croissance. Le chômage se rencontre chez ceux ayant reçu une éducation comme chez ceux où elle reste insuffisante. Parmi les chômeurs, il est une frange d’« inemployables » qui devraient plutôt faire l’objet de stratégies de lutte contre la pauvreté que d’interventions sur le marché du travail en raison de la probabilité élevée, compte tenu de la situation qui est la leur de ne jamais pouvoir trouver d’emploi. La difficulté essentielle est donc bien celle de la conjonction entre le manque de travail qualifié et l’excédent de travail non qualifié. Certains peuvent espérer, grâce à leur niveau de formation, pouvoir bénéficier, en matière d’emploi, d’un changement d’orientation politique alors que les autres sont voués, par leur manque de formation, à être les éternels perdants.

63L’une des controverses les plus vives des dernières années porte sur les frais de scolarité payés par les familles. Fiske et Ladd abordent cette question dans le second chapitre en examinant les conséquences d’une politique justifiée par un engagement financier limité de la part du secteur public, par des pressions en faveur du contrôle local et par l’argument selon lequel cette mesure permettrait de maintenir au sein de l’enseignement public les couches sociales favorisées. Le montant des frais de scolarité étant lié aux revenus des familles, on assiste à un renforcement des inégalités entre écoles fréquentées par une clientèle aisée en mesure de financer davantage et celles qui accueillent un public pauvre et par là plus démunies.

64Le surplus de ressources permet, par exemple, d’assurer le salaire d’enseignants supplémentaires. Cette situation fait que les anciennes écoles défavorisées continuent à l’être.

65Dans le chapitre 3, Crain Soudien aborde le problème de la déracialisation des établissements scolaires. Il met en évidence un mouvement à sens unique des noirs en direction des anciennes écoles de langue anglaise pour Blancs, Indiens et métis. Ce mouvement affecte la classe moyenne noire qui peut ainsi déserter les anciennes écoles noires dans lesquelles elle se trouvait confinée en vertu de la législation ségrégative en vigueur naguère. On assiste ainsi à un élargissement de la classe moyenne et à son emprise sur les conseils d’administration alors que les écoles pauvres restent sous le contrôle des principaux et des enseignants.

66Grant Lewis et Motala s’attaquent dans le chapitre suivant à la question de savoir si, conformément aux objectifs visés, la décentralisation mise en œuvre par la SASA (loi sur l’enseignement de 1996) et la mise en place des conseils d’administration qui l’accompagnent ont amélioré l’équité, la démocratie et la qualité de l’enseignement. À l’exception des situations correspondant à des contextes sociaux riches, la réponse des auteurs, qui ne voient aucune réelle possibilité de faire machine arrière, est négative.

67Hofmeyr et Lee abordent dans le cinquième chapitre la question de la progression, elle-même probablement irréversible, de l’enseignement privé dans les quartiers noirs pauvres. Bien que fort limité, ce secteur a triplé entre 1990 et2004. Les auteurs avancent l’idée que les couches sociales favorisées ont choisi de se maintenir dans le public. Il convient, dès lors de dépasser la dichotomie raciale public-privé au profit d’une distinction plus fine distinguant entre, d’une part, les écoles favorisées, publiques ou privées, et d’autre part les écoles défavorisées, également publiques ou privées.

68Globalement, les chapitres de la première section mettent en évidence le rôle de la classe moyenne dans le contrôle du système public d’enseignement de plus en plus différencié en termes d’appartenance de classe sociale que de race.

69La seconde section, « Changing Landscapes », a pour objet les questions ayant trait à la politique d’enseignement des langues, au curriculum, au processus d’évaluation, à la formation des enseignants et à leur syndicalisation ainsi qu’à l’enseignement supérieur. Dans ces différents domaines, la nature et le sens du changement survenu depuis 1994 apparaissent ambigus et contradictoires.

70À propos de la politique en matière de multilinguisme, Mba montre à quel point l’anglais, pourtant langue minoritaire comme langue domestique, structure les représentations quant à ce qui semble souhaitable. La politique linguistique est en effet confrontée à une alternative : sacrifier pour des raisons économiques évidentes les langues africaines sans avenir dans les phases ultérieures de l’enseignement, ce qui reviendrait à entériner les héritages de l’apartheid, ou considérer que le multilinguisme, notamment dans les zones rurales, est essentiel pour soutenir en Afrique du Sud une politique de redressement, d’équité et inspirée par des principes démocratiques.

71Harley et Wedekind mettent en évidence, à propos du Curriculum 2005, la contradiction entre sa mise en place dans les écoles riches où il est effectivement en application, et les écoles pauvres où il n’est qu’un instrument pour l’action sociale et politique. Il s’agirait donc davantage d’un programme politique que pédagogique. Les auteurs soulignent par ailleurs une continuité historique évidente entre le Curriculum et les pratiques des anciennes écoles blanches, fréquentées par une classe moyenne acquise aux idées de l’autonomie de l’élève dans le cadre d’une pédagogie centrée sur lui, alors que la rupture est non moins évidente avec la réalité des anciennes écoles noires.

72Dans le huitième chapitre, Muller propose une périodisation en trois phases pour retracer l’histoire et les tensions propres au système d’évaluation et de qualification légué par l’apartheid et transformé en NQF (National Qualification Framework). La période 1980-1994 est marquée par une relative stabilité politique; elle est suivie par un temps de réformes et de tensions croissantes (1994-2000). La troisième phase commence en 2002 avec l’avènement d’une tendance systématique à la réforme et à « l’assurance qualité ». En toile de fond à la discussion, on trouve l’effort pour intégrer l’éducation et la formation dans le NQF. Muller décrit les conflits entre les progressistes réformateurs des ministères du travail et de l’éducation sur la question d’une évaluation centralisée ou décentralisée. Ce débat a pour horizon les performances particulièrement faibles des élèves sudafricains comparativement à ceux des autres pays africains dans les disciplines fondamentales.

73Govender (chapitre 10) analyse les changements survenus dans le domaine de la syndicalisation des enseignants, tant dans sa configuration que dans ses rapports avec le gouvernement. Parmi les trois principales organisations syndicales, le SADTU est la seule à avoir été liée à l’ANC et à avoir développé une perspective syndicaliste (unionism) en contraste avec l’ancrage historique des deux autres dans une perspective plus professionnelle. En dépit des différences qui subsistent, le changement politique a contribué à rapprocher ces deux orientations.

74Dans le chapitre 9, Sayed soutient que l’un des changements les plus importants survenus depuis 1994 concerne la formation des enseignants, intégrée désormais aux universités et revue quant à ses contenus; ce changement étant à prendre en considération en dépit des critiques relatives au constat d’un décalage entre intentions et réalisation. Un autre changement important est constitué par le nouveau mode de contrôle de la formation sur la base d’une décentralisation déclarée qui ne remet pourtant nullement en question le pouvoir de contrôle de l’État assuré indirectement par le biais de l’évaluation.

75La contribution de Jansen (chapitre 11) met en évidence, à propos de l’enseignement supérieur, une constante dégradation des relations sociales dans les universités, des rapports politiques entre gouvernement et universités et de la relation économique entre l’université et ses concurrents, relation fondée sur la domination et les rapports de force dans un monde dominé par le marché. Par ailleurs, la continuité avec le passé se manifeste à travers le fait que l’encadrement reste globalement le même (pour l’essentiel blanc et masculin).

76Dans un ouvrage de ce genre, il est difficile de saisir les changements silencieux. C’est pourtant ce qui est tenté dans la troisième section, « Changing Margins ». Qui ne se souvient de la puissance du mouvement des organisations de la société civile avant 1990 et de la mobilisation de générations entières sur la question de l’école ? Elles jouent aujourd’hui un rôle différent. Aux marges du système, elles ont trait aux ONG, au développement de la petite enfance (ECD), de la jeunesse et de l’enseignement pour adultes. Chacun des chapitres de cette troisième section aborde à sa manière les rapports entre l’État et la société civile et concerne ceux pour lesquels le changement n’a pas été aussi positif que pour la classe moyenne.

77Les acteurs sociaux évoqués ici ont répondu au changement par leur capacité de résilience et d’adaptation.

78Comme le montre Morrow dans le chapitre consacré aux ONG (chapitre 12), il y a celles qui ont tiré bénéfice de la situation et les autres. Anciens espaces de résistance et incubateurs du changement et d’alternatives face aux modèles en place, les ONG ont été contraintes, pour survivre, à des compromis avec les nouveaux partenaires économiques. Ont disparu celles qui ont vu leurs bienfaiteurs accéder au pouvoir. D’autres ont survécu en s’adaptant tant bien que mal à un environnement marchand nouveau qui leur était inconnu. À certains égards plus dépendantes et complaisantes que sous l’apartheid, leur rôle en Afrique du Sud ne peut pas être comparé à celui qu’elles jouent dans d’autres pays africains. Bien que les « sponsors » étrangers occupent une place importante en Afrique du Sud, la contribution autochtone, reposant sur les communautés, reste dynamique; ce qui les fait reposer sur un socle économique plus sain, bien que marqué par l’inégalité. Toutefois, leur faiblesse est patente dans le domaine de l’éducation car elles ont dû se plier aux exigences de la logique du marché. Sur la défensive, les ONG sont, en quelque sorte, devenues l’ombre d’elles-mêmes alors que les forces qui leur étaient organiquement liées dans le passé sont loin d’avoir intégré les rangs de la nouvelle classe moyenne.

79Dans le chapitre 13, Porteus se penche sur la place prise par l’éducation de la prime enfance (ECD) dans la première décennie de l’après-apartheid. L’auteur met en évidence le contraste entre deux approches du problème. La première correspond à un modèle institutionnel, préféré par le ministère des Finances mais soutenu ni par un projet de recherche ni par un projet pilote. La seconde repose sur un modèle d’action communautaire dans lequel les femmes s’occupent des enfants par la mise en place de dispositifs informels.

80L’orientation qui se dessine à la fin du millenium est celle d’une politique privilégiant l’année d’accueil (Reception Year qui précède l’entrée à l’école) sur laquelle plane pourtant l’ombre d’un financement insuffisant. Ce chapitre examine les raisons d’un tel choix.

81Au chapitre suivant, Perrow observe la jeunesse à travers l’histoire du JEP (Joint Enrichment Project to the Language Plan Task Group), ONG sud-africaine qui a pris en charge les problèmes de la jeunesse dans la période clé de la transition. Elle établit que la situation matérielle de la plupart des jeunes, spécialement pauvres et noirs, n’a pas significativement changé depuis 1992 et que les organisations représentant leurs intérêts au niveau national ont subi des transformations radicales liées aux autres transformations intervenues sur une plus large échelle. L’un des changements majeurs, durant la décennie, a été que les problèmes de la jeunesse ont été placés sous la responsabilité de l’État en 1995. L’auteur constate que les orientations du discours sur la question épousent les contours du discours idéologique. D’abord centré sur la collectivité et la résistance, l’analyse se déplace vers le développement des capacités individuelles et de la formation des capacités avant de s’orienter vers une prise en compte de la productivité, de l’efficience, de l’individuation dans un marché libre et compétitif.

82Baatjes et Mathe (chapitre 15) abordent les changements relatifs à l’enseignement pour adultes (ABE) qui peut être un agent de la transformation sociale. On peut distinguer à ce propos deux types d’approches, l’une émancipatrice, l’autre instrumentaliste. Créées à l’origine à partir d’un élan émancipateur trouvant sa source dans la société civile, les ONG du secteur de l’éducation pour adultes ont été par la suite dominées par la logique instrumentaliste. Aujourd’hui, l’État et le monde des affaires jouent un rôle dominant dans l’offre d’ABE conçue comme un grand projet économique et social. Toutefois, en dépit d’une rhétorique de circonstance concernant l’alphabétisation, l’éducation et l’enseignement pour adultes ayant pour objet une participation démocratique, au même titre que les autres formes d’éducation non formelle, continuent à rester assez éloignés des préoccupations de l’État et des « sponsors ». Le secteur des ONG qui voit dans l’ABE un projet politique a décliné pour des raisons financières mais fait preuve de résistance pour préserver son rôle protecteur envers la société civile agressée par l’environnement économique.

83La lutte autour de l’enseignement pour adultes fait donc apparaître le jeu des intérêts contradictoires et des affrontements idéologiques. Mais, dans cette lutte, les forces néolibérales, appuyées par l’État, sont en position de force pour imposer une conception inspirée du culte de l’efficience mettant l’accent sur la productivité économique et non sur le changement social et le redressement des inégalités.

84Le dernier chapitre donne à Pampallis l’occasion de mettre l’accent sur le grave problème de l’intrusion dans l’appareil d’Etat, dans le domaine de l’éducation, du secteur privé par le biais d’ONG professionnelles. Le gouvernement doit-il chercher à encourager les ONG qui ne sont pas tournées vers la recherche du profit en leur attribuant des appels d’offre ou en les subventionnant d’une manière ou d’une autre ? L’analyse développée par l’auteur concerne toutes les ONG locales contraintes de se réorienter vers une forme de mise au service du gouvernement en mettant les programmes de ce dernier en application.

85Les autorités doivent se pencher sur l’avenir de cette industrie encore limitée mais en pleine expansion. Toute une catégorie de cadres (consultants, formateurs, managers, analystes, chercheurs, évaluateurs…) s’est constituée à l’extérieur du système éducatif et reçoit son financement de l’étranger pour l’essentiel. Ce qui est évidemment pernicieux.

86Incontestablement, le livre coordonné par Linda Chisholm est un ouvrage majeur pour qui veut comprendre la complexité de la situation de l’enseignement et de la formation en Afrique du Sud dix ans après le changement politique. Mais, au-delà de la situation spécifique de ce pays, il pose de façon paradigmatique la question du changement politique et de son articulation avec le champ social et économique.

87L’apport essentiel de cette publication est à la fois simple et préoccupant. Le système mis en place après 1994 a favorisé l’émergence d’une classe moyenne et supérieure multiraciale dans un environnement mondial dominé par le néo-libéralisme. Les contradictions de la société sud-africaine sont désormais posées principalement sur le socle de la division sociale de classes et non plus simplement sur celui de la division raciale. À la question de savoir s’il y a eu changement depuis dix ans, la réponse est incontestablement positive si on l’envisage sous cet angle. Toutefois, la déception est grande pour tous ceux qui attendaient bien plus en matière de redressement des inégalités, conformément aux promesses faites lors du changement politique. Dès lors, une question lancinante, d’ordre théorique, parcourt plus ou moins implicitement le livre. À quoi imputer les décalages observés ? Favoriser certaines couches sociales relève-t-il d’une intention délibérée ? Doit-on poser comme modèle explicatif le décalage entre la théorie et la mise en œuvre, comme le font d’autres auteurs (Morrow and King, 1998) et incriminer les politiques mises en place, perverties par la bureaucratie, ou le poids de la réalité sur les utopies ?

88Sayed analyse les contradictions inhérentes aux divers discours qui sous-ten-dent la politique, Jansen avance l’expression « politique comme symbolisme » pour désigner la théâtralisation consistant, pour l’Etat, à mettre en scène des luttes politiques bien plus qu’à transformer la réalité. On pourrait encore se référer à la théorie des effets pervers pour comprendre comment de si belles intentions peuvent aboutir à des effets non désirés, voire contraires à ceux attendus. À moins que l’on en vienne plus simplement à s’interroger sur les nouvelles formes de lutte des classes qui font l’objet d’une véritable dénégation de la part des idéologues du néolibéralisme. L’emprise du marché n’est peut-être pas un élément extérieur qui viendrait d’ailleurs mettre en péril et corrompre l’entreprise de transformation de la société sud-africaine, il est peut-être tout simplement un élément constitutif du mouvement social lui-même qui permet de rendre compte de ses contradictions et des difficultés à aller de l’avant.

89Claude Carpentier, Cursep-UPJV

? Eric Dubreucq. Une éducation républicaine. Marion, Buisson, Durkheim. Paris :Vrin, coll. « Philosophie de l’éducation », 2004,236 p.

90Cet ouvrage figure parmi les tout premiers d’une nouvelle collection lancée par les éditions Vrin et qu’il convient de saluer. Il est heureux en effet que ce prestigieux éditeur d’ouvrages philosophiques ait fait le choix de concourir à une meilleure visibilité de la philosophie de l’éducation en France.

91L’ouvrage d’Eric Dubreucq, après des travaux de plus en plus nombreux, se propose d’apporter sa contribution aux recherches sur les fondations de l’école républicaine. L’hypothèse de l’auteur est que l’originalité de la pensée éducative républicaine tient dans sa dimension critique : « elle n’est pas seulement réflexive, au sens où la plupart des éducateurs affirmeraient la valeur de l’esprit d’examen et feraient du sujet réfléchissant un principe ; elle se caractérise par […] la capacité à […] problématiser le modèle de pensée dont il se réclame (sic) sans pourtant l’abandonner. » (p.12). Trois figures majeures de « l’éducation républicaine » sont ici étudiées :
Henri Marion, Ferdinand Buisson, Émile Durkheim, l’idée étant de montrer que les « éducateurs républicains » entre 1871 et 1914 « se définissent par leur appartenance à une sphère commune de discours autant que par les tensions et divergences qui les opposent » (p.14).

92L’ouvrage a donc aussi l’ambition d’étudier ce que l’auteur appelle les « régimes de discours ».

93Le projet pose déjà par lui-même une série de difficultés : peut-on parler d’une « éducation républicaine » et en quel sens ? Peut-on parler d’« éducateurs républicains » ? Est-il légitime de comparer les conceptions éducatives de Marion, Buisson et Durkheim ? Quel est le sens d’une telle comparaison ? Le choix de ces trois figures pose d’autres questions : il suggère que ces trois figures de la rénovation de l’école primaire républicaine ont élaboré trois « modèles » de l’éducation républicaine ce qui est douteux, notamment s’agissant de Henri Marion ; d’autre part, le statut des écrits de Marion et Buisson n’est pas comparable à celui des travaux de Durkheim. Marion et surtout Buisson ont été impliqués dans la mise en œuvre effective des nouveaux programmes et des nouvelles normes de l’école primaire, ce qui n’est pas le cas de Durkheim. Avec Buisson et Marion, on a affaire à des discours relatifs à des pratiques inscrites dans les institutions, avec Durkheim, on entre dans le débat savant; son intérêt est immense, certes, mais il n’est pas un élément actif de l’histoire. D’où la difficulté à suivre Eric Dubreucq lorsqu’il se propose d’étudier et, mieux encore, de comparer les « régimes de discours ». Aucune précision méthodologique n’est apportée concernant cette ambition qui semble inspirée de Michel Foucault, mais dans quelle mesure ?

94À partir de ces incertitudes initiales, il est fort difficile de suivre Eric Dubreucq dans sa démonstration. D’autant que celle-ci, selon nous, fonctionne à partir d’un contresens incompréhensible sur la notion de « science » : d’après l’auteur, Henri Marion et même Gabriel Compayré seraient héritiers du positivisme par leur volonté de confier à la science et à elle seule le soin de prescrire à l’action éducative ses principes.

95S’agissant de Marion, il s’appuie en particulier sur l’article « Pédagogie » du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire où Marion définit la pédagogie comme la science de l’éducation dont la psychologie détient les principes. Eric Dubreucq voit dans cette affirmation la preuve que la psychologie dans sa forme « expérimentale et scientifique que lui donnent Claparède et Binet paraît bien la science espérée par les éducateurs républicains dès les années 1880 ».

96Espérée ou redoutée ? Les précisions de Patrick Dubois sur la posture de Marion et Compayré dans les débuts de la IIIe République ont apporté une réponse décisive à cette question. Tout en reconnaissant que le passage à la psychologie expérimentale constitue une « évolution majeure », tout en s’appuyant sur les travaux de Dominique Ottavi, Eric Dubreucq considère que « le cadre général dans lequel s’inscrit le discours demeure identique : celui d’une connaissance générale des lois de la nature humaine ».

97Ainsi, la notion de science permet-elle d’affirmer une filiation, une communauté de discours et même une cohérence théorique entre des postures ou des assises scientifiques qui n’ont rien de commun. Buisson lui-même est compris en fonction de ce « modèle » : « Buisson qui se proposait d’ancrer l’enseignement de la morale sur les certitudes de la science, paraît y renoncer dans l’édition de 1911 de son Dictionnaire de pédagogie », affirme Eric Dubreucq p. 108. Après toutes les études mettant en évidence la singularité de la posture religieuse laïque de Buisson, sa ferveur à défendre l’idéal spirituel le plus élevé pour l’enfant du peuple, une telle affirmation est incompréhensible.

98C’est là une grave difficulté que pose l’ouvrage d’Eric Dubreucq : tout en ayant connaissance de l’ensemble des travaux portant sur la période, l’auteur ne semble pas en tirer parti pour soutenir l’originalité de son hypothèse. On a ainsi le sentiment soit que l’auteur ne sait pas de quoi il parle, soit qu’il n’a pas compris les enjeux, soit qu’il cherche à toute force à prouver le bien-fondé de son hypothèse quitte à tenir des positions absurdes. Mais l’ensemble ne convainc pas d’autant que le propos se déploie dans un langage inutilement abscons. Alors que la marque de ces « philosophes de la République » est la limpidité, la simplicité et la clarté des idées et du langage, il est dommage de penser que l’on va enrichir la compréhension de leurs idées et de leur époque en surdéterminant leur propos d’une langue abstraite à l’excès. Ce qui revient à traduire leur pensée, comme on le ferait dans une autre langue, ce que l’on n’appelle pas comprendre.

99Laurence Loeffel, Cursep, UPJV Instruments de travail

? Boncourt, Martine. Moi, maîtresse. Petits arrangements avec la pédagogie. Matrice, 2004. (250 p).

100Peu habitués à s’exprimer devant un public d’adultes, les enseignants d’école élémentaire ont rarement l’occasion, de défendre leur position et de rendre compte du «travail d’orfèvre» qu’ils réalisent en classe, nous dit Martine Broncourt, elle-même professeur des écoles et maître-formateur. C’est chose faite avec la succession de billets à laquelle l’auteur convie le lecteur en lui donnant à voir les « petites choses » qui constituent la matière vivante de la pédagogie, conduite dans le cadre d’une classe Freinet emprunte de pédagogie institutionnelle.

101Christine Berzin, Cursep, UPJV

? Gerardo R.Lopez & Laurence Parker (eds). Interrogating racism in qualitative research methodology. New York : Peter Lang, 2003, 225 p.

102En un temps où le regard d’un monde angoissé par la violence apocalyptique se tourne vers les États-Unis pour chercher à y trouver des éléments de compréhension, voici un ouvrage publié dans la collection « Contrepoints » sous-titrée « Studies in the Postmodern Theory of Education » qui sent la poudre et ne recule pas devant la critique radicale (Critical Race Therory) en proposant que la « race » n’est pas une variable qui viendrait s’ajouter aux autres, comme de l’extérieur. Cette théorie repose sur quatre principes : en premier lieu, elle pose que la « race » est très largement une expérience sociale, que les différents groupes « raciaux » en font l’expérience et entendent cette réalité (de la « race ») de différentes manières. Le second principe théorique avance que l’expérience raciale des minorités raciales est subordonnée à l’expérience raciale blanche. En troisième lieu, il s’agit de mettre en lumière comment la « race » fonctionne pour critiquer des lois, des normes et des affirmations qui apparaissent comme neutres mais qui en réalité pénalisent et subordonnent ces minorités. Enfin, Critical Race Theory décrit et théorise les causes qui maintiennent cette subordination dans une culture américaine « post droits civils ». La thèse centrale de cette théorie critique consiste à dire que le racisme est beaucoup plus une réalité endémique de la société américaine qu’un phénomène isolé et circonstancié. Le racisme serait profondément ancré dans les institutions américaines ainsi que dans la culture et les concepts d’identité pour soi et d’identité de groupe de ce pays. Il s’agirait d’un phénomène profondément inconscient insinué dans les pratiques de désignation et d’étiquetage à l’oeuvre dans les stéréotypes.

103Le mouvement Critical Race Theory In Education s’articule sur la seconde génération de Critical Race Theory. L’ouvrage met l’accent sur les procédures discrètes et contextualisées par lesquelles la « race » affecte le processus éducatif.

104C’est ainsi que le chapitre de Wanda Pillow contribue à clarifier la compréhension proposée par le livre d’un nouveau paradigme à la fois méthodologique et épistémologique. Il ne s’agit pas, en effet, de se contenter de procéder à une simple collecte de données mais de « produire » une nouvelle sorte de savoir, un savoir centré sur l’étranger (outsider) susceptible de rendre compte de l’éducation d’un point de vue centré sur le concept de race.

105Les auteurs de cet ouvrage sont, pour la plupart, universitaires ou jeunes chercheurs dans les universités d’Atlanta ou des États d’Ohio, de l’Utah, de l’Illinois.

106Le livre nous ouvre une perspective qui, bien que centrée sur un autre continent marqué par un multiculturalisme étroitement lié à son passé, est du plus grand intérêt pour elle-même. Elle nous propose en outre un regard réflexif sur nous-mêmes à la condition de replacer le concept de « race » dans son contexte épistémologique nord-américain.

107Claude Carpentier, Cursep, UPJV

? Regards sur l’actualité, n° 301, mai 2004 : Université, recherche, La Documentation française, 90 p.

108L’année 2003-2004 a connu une forte mobilisation d’étudiants, d’enseignants du Supérieur et de chercheurs contre divers projets gouverne- mentaux : désir d’accroître l’autonomie des universités, mise en place du « LMD », transformation des postes de chercheurs fonctionnaires en contrats à durée déterminée. En avant-goût des états généraux et de la loi d’orientation et de programmation promise par le gouvernement, la revue Regards sur l’actualité propose un numéro consacré aux problèmes de l’université et de la recherche. Cette publication de La Documentation française, qui dépend du Secrétariat général du gouvernement, livre une vision équilibrée des enjeux des réformes, en proposant quatre articles aux points de vue différents, même si tous les auteurs soulignent cette particularité française qu’est la coupure entre d’une part les universités et les grands organismes de recherche et d’autre part entre les universités et les Grandes Écoles.

109Alain Chatriot (Collège de France) présente d’abord un rappel historique de la politique en matière de recherche depuis les années 1930, avant d’engager le gouvernement à reprendre une politique volontariste. Il n’écarte pas l’idée de réformer le CNRS et sait bien qu’il faut désormais penser la recherche dans un cadre européen, mais il souligne la nécessité de conserver des statuts clairs et solides pour les chercheurs, si l‘on ne veut pas sacrifier la recherche fondamentale. Il insiste par ailleurs sur la nécessité d’offrir des perspectives d’avenir pour les jeunes chercheurs. Le volontarisme recèle donc une base financière. La recherche doit être préservée des aléas budgétaires.

110L’historien Christophe Charle (ParisI), le physicien Luigi del Buono (CNRS) ainsi que les sociologues Christophe Gaubert (université de Limoges) et Charles Soulié (Paris VIII) proposent ensuite un texte critique qui s’inspire des travaux de l’ARESER (Association de réflexion sur les enseignements supérieurs et la recherche). Ils soulignent que la massification de l’enseignement supérieur n’a pas rimé avec la démocratisation et doutent que les réformes en cours soient de nature à rendre à l’enseignement supérieur sa fonction d’ascenseur social. Il est bon de promouvoir la mobilité des étudiants au sein de l’Union européenne, mais, pour eux, cela ne va concerner que les étudiants aisés. Dans les projets gouvernementaux, ils voient l’œuvre du néolibéralisme, qui risque de transformer l’enseignement supérieur en une marchandise, pour le plus grand bénéfice des étudiants solvables, mais aux dépens de ceux des pays pauvres. Selon eux, la conception utilitaire de la connaissance présente le risque de développer la professionnalisation des enseignements aux dépens des filières générales et liées à la recherche. Ils veulent donc dissiper les illusions, afin de préserver la liberté intellectuelle de la recherche et des universités et faire de celles-ci le lieu d’un véritable partage des savoirs.

111Jean-Hervé Lorenzi, professeur d’économie à Paris-Dauphine et Jean-Jacques Payan, ancien directeur général des enseignements supérieurs et de la recherche au ministère de l’Éducation nationale, s’accordent avec les précédents pour penser que le LMD va mettre en concurrence les universités, mais, loin d’y dénoncer un renforcement des inégalités sociales, ils y voient une quasi-panacée. Tandis que le groupe de l’ARESER déplorait que les classes préparatoires et les Grandes Écoles, où dominent les enfants de cadres supérieurs et des professions libérales, absorbent en proportion plus de crédits que les universités, Jean-Hervé Lorenzi et Jean-Jacques Payan se disent persuadés que le LMD constituera pour les universités un remède, en faisant émerger des pôles d’excellence. De façon générale, le LMD est appelé à redynamiser l’ensemble du système universitaire. Et de louer Claude Allègre d’avoir pris l’initiative de ce processus.

112Philippe Aghion (Harvard) et Élie Cohen (CNRS) vont dans le même sens, en soulignant que désormais l’accroissement de productivité dans l’économie d’un pays est dû au développement de la R-D (recherche et développement expérimental). Ils paraissent regretter que la France consacre plus d’argent à l’enseignement secondaire qu’à l’enseignement supérieur, alors que la situation de « seuil technologique » où elle se trouve devrait la conduire à accorder plus de moyens à la recherche et à l’enseignement supérieur. Ils déplorent aussi les rigidités du système français, mais ne proposent pas de « grand soir » et se bornent à préconiser l’émergence d’équipes performantes à travers une politique contractuelle permettant, sous condition d’évaluations transparentes et régulières, de donner plus de moyens à ceux qui font preuve de plus de dynamisme.

113Au total, un parcours des positions qui se révèle d’autant plus utile pour comprendre les enjeux contemporains qu’il est parsemé d’encadrés donnant de précieuses indications sur les projets gouvernementaux, les chiffres de l’enseignement supérieur, les institutions de recherche et le rôle de l’Europe.

114En dehors de ce dossier, à noter aussi, dans ce numéro, une intéressante mise au point sur l’idée de « discrimination positive », dont Gwènaële Calvès (professeure de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise) nous rappelle qu’elle concerne non seulement l’enseignement (débat sur les « conventions ZEP » à Sciences-Po), mais aussi le système de protection sociale (avec des prestations ciblées), l’avenir des quartiers défavorisés (avec les zones franches), la masculinité du pouvoir (querelle de la parité), le modèle français d’intégration et les valeurs de la République (affaire du « préfet musulman ») et la citoyenneté en général.

115Yves Verneuil, Cursep, lycée de Neuilly

? Lev Sémionovitch Vygotski. Pensée et langage. Paris : La Dispute, 1997 (3e édition, traduction revue).

116Après la traduction de 1985 chez Messidor-Éditions sociales et celle de 1992 dans la même maison d’édition, nous voici face à la dernière édition de ce « monument psychologique » que constitue le dernier livre du grand psychologue soviétique. Quand on est lecteur d’un tel ouvrage réédité, la principale question qui se pose est l’existence ou non de changements et dans l’affirmative, la nature de ceux-ci.

117Au sein de l’avant-propos, Yves Clot mentionne justement la première publication de Pensée et langage, « traduction de référence encore revue et corrigée dans la présente édition » (p.7). La première édition était effectivement déjà réputée comme intégrale et fidèle à l’original. La deuxième apporta peu de changements, si ce n’est « la correction de quelques coquilles […]». Quant aux modifications, les plus importantes, elles concernent uniquement deux pages (une citation de Bleuler et un commentaire de figure). En revanche, dans cette troisième édition, Françoise Sève a procédé à « une relecture complète de la traduction en même temps que du texte russe […]» (p. 39) et de ce fait, d’autres choix de traduction sont opérés. Elle cite l’exemple des mots proches : « intelligence », « intellect », « intelligent », « intellectuel » ainsi que des termes « mot » et « parole ». La correction la plus notable reste cependant pour la traductrice le changement d’option qu’elle a opéré pour le terme couramment connu aujourd’hui par ses trois initiales : ZPD. En 1985, elle avait plutôt utilisé la notion de « zone de proche développement ». Françoise Sève opte cette fois pour « zone prochaine de développement » qui, ajoute-t-elle, forme couple avec « niveau présent de développement ». C’est par respect de la pensée de l’auteur, qu’une fidélité au plus près des termes avait été recherchée dans la première version française; c’est donc pour cette même raison que des modifications sont apparues au fur et à mesure que s’est affinée la connaissance des textes de Vygotski.

118Il est rappelé que ce dernier livre paru après la mort de l’auteur a été écrit et dicté dans des conditions rendues difficiles par la maladie; cela aurait favorisé des réécritures lorsque ce même travail de traduction était opéré dans d’autres langues, ce à quoi s’est toujours refusée la maison d’édition de langue française.

119C’est donc une version qui, plutôt que de choisir la fluidité de lecture, revendique une justesse d’écriture. De plus dans les deux premières éditions, l’avant-propos était de Lucien Sève; il existe toujours mais sous forme de « présentation » (version complétée de l’ancien avant-propos) et est précédé par l’avant-propos d’Yves Clot qui donne un panorama très complet de l’œuvre de Vygotski. Il permet également de réactualiser les travaux du psychologue et de faire le point sur leur portée, et ce dans différents domaines. Il rappelle l’importance d’un événement : le colloque international « Piaget-Vygotski » à Genève en 1997, dont l’allocution d’ouverture avait été prononcée par la propre fille de Vygotski. Et c’est ce qui rend intéressante cette publication.

120Outre la traduction nourrie au fil des années, ce livre offre aux lecteurs une ouverture nourrie par des références et des réflexions actuelles. Ainsi par exemple, est rappelée la parution en 1985 de « Vygotski aujourd’hui » coordonné par Bronckart et Schneuwly.

121D’autres références majeures d’auteurs (Deleau, Rivière, Vergnaud, François…) ou de colloques viennent compléter ce tour d’horizon et enrichissent donc la lecture de « Pensée et langage », d’autant que la réflexion sur les relations entre pensée et langage « reste une question brûlante en psychologie » (p. 18).

122Mais, de plus, des passerelles multiples sont opérées avec des auteurs comme par exemple Wallon, des prolongements sont également effectués sur des sujets aussi divers que les activités professionnelles ou ses fameux travaux sur le langage. Pour Yves Clot : « on le voit, depuis 1985, le public français dispose donc, malgré un retard qui sera difficile à combler, de possibilités nouvelles pour se familiariser avec une œuvre dont l’influence n’a cessé de grandir dans la recherche en psychologie comme dans les activités des praticiens, en particulier, du champ de l’éducation » (p. 9).

123Et effectivement, nous pensons que cette récente édition constitue de ce fait une riche source de réflexion et de bibliographie lorsque l’on s’intéresse à l’œuvre du célèbre psychologue soviétique mais également quand on est amené à traiter un de ses thèmes de réflexion pour la gestion d’une classe, un cours ou des travaux de recherche.

124Christine Brisset, IUFM, Cursep

? Le Trésor de la langue française informatisé (CNRS éditions, 2004)

125Voici sous forme de cédérom, accompagné d’un livret retraçant cette aventure, la parution sous forme électronique des seize volumes du Trésor de la langue française. IL s’agit de ce dictionnaire commencé dans les années 1960 et dont les volumes papier ont paru de 1971 à 1994. Il offre une analyse détaillée des mots du XIXe et du XXe siècle, chacun d’entre eux étant illustré de nombreux exemples empruntés à langue littérature ou à la presse d’information nationale ou régionale.

126L’œuvre était déjà d’une grande utilité, son usage est désormais démultiplié avec la version informatique. On peut ainsi visualiser simplement un article, mais on peut surtout circuler transversalement dans le dictionnaire et chercher toutes les occurrences du mot laïcité, par exemple, mettre ce dernier terme en relation avec tous les termes en relation avec l’État, chercher les citations étrangères, les auteurs, etc. On peut pour de plus amples informations se reporter au site wwww. tlfi. fr B. Poucet, Cursep, IUFM

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