Couverture de CDGE_HS04

Article de revue

Pour une société du care

Pages 199 à 224

Notes

  • [1]
    Texte original : Glenn Evelyn Nakano (2000). “Creating a Caring Society”. Contemporary Sociology, vol. 29, n° 1, Jan., p. 84-94.
  • [2]
    Eva Feder Kittay (1995) est allée encore plus loin dans la critique de ce modèle en affirmant que la dépendance et les rapports de dépendance ne sont tout simplement pas pris en compte dans les théories libérales de la justice sociale, ces dernières n’étant pensées que pour une seule catégorie : celle des personnes autonomes qui agissent et font leurs choix dans leur propre intérêt.
  • [3]
    NDLT : Aux États-Unis, les réglementations publiques [government regulations] peuvent être promulguées soit par les autorités fédérales (l’État), soit par les administrations locales (les gouverneurs). À l’échelle nationale, ces réglementations peuvent donc varier d’un état à l’autre.
  • [4]
    Dans le cadre de cet article, je limite volontairement la notion de care au fait de prendre soin des personnes, même si, dans d’autres circonstances, il peut être utile de l’élargir au fait de prendre soin d’objets ou d’animaux, voire de l’environnement. Ainsi, la théoricienne du politique Joan Tronto (1993, p. 103) définit le care comme « une activité typique de notre espèce, qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre ‘monde’ de manière que nous vivions dans les meilleures conditions possibles. Ce monde inclut nos corps, nous-mêmes, et notre environnement — autant d’éléments qu’il nous faut tisser en une toile complexe, susceptible d’assurer notre survie ». En même temps, j’adopte ici une définition du care qui s’étend, en quelque sorte, au-delà de la simple prise en charge des besoins des personnes qui ne peuvent prendre soin d’elles-mêmes, à l’instar de la définition que donne Diemut Bubeck (1995, p. 129) du care, entendu comme « le fait, pour quelqu’un, de répondre aux besoins d’une personne qui se trouve dans l’incapacité de le faire elle-même, et surtout d’assurer ces soins en contact direct avec elle, cette interaction en face à face étant un élément central du travail du care ».
  • [5]
    Un mouvement a été lancé, depuis peu, en faveur du droit de vote des personnes souffrant de maladies mentales.

1 Pourquoi est-ce fondamental, pour une société, d’apprécier le care à sa juste valeur et de reconnaître l’importance des relations sociales qui organisent sa distribution ?  [1] La réponse à cette question peut sembler évidente : une bonne société, par définition, c’est une société qui prend soin de ceux qui ne peuvent prendre soin d’eux-mêmes ; c’est une société où les personnes autonomes peuvent être assurées que, si elles devenaient dépendantes, elles seraient prises en charge par la collectivité ; c’est une société qui soutient financièrement les personnes qui prennent soin des autres. Mais pour nous, aujourd’hui, de fait, les enjeux sont encore plus importants que cela. Car nous sommes pris dans un cercle vicieux : le travail du care est dévalorisé, invisible, sous-payé, rejeté dans l’illégalité et systématiquement assigné à celles qui ont le moins de ressources économiques, politiques et sociales. Les personnes qui assurent le travail du care sont effectivement issues, en proportion anormalement élevée, des groupes les plus défavorisés (les femmes, les personnes de couleur et les migrantes). Et si cette distribution peut expliquer en partie la dévalorisation du care, cette dernière contribue, en retour, à produire la marginalisation, l’exploitation et la dépendance de celles qui le prennent en charge. À l’inverse, reconnaître la valeur de ces activités permettrait à celles qui les accomplissent d’obtenir un véritable statut et davantage de gratifications, tout en incitant les autres groupes sociaux à prendre également leur part de ce travail. Ainsi une société qui apprécierait le care à sa juste valeur et qui accorderait de l’importance aux relations sociales qu’il suscite, serait non seulement plus généreuse et plus agréable à vivre, mais elle serait aussi plus égalitaire et plus juste.

2 Mais comment faire en sorte qu’une société accorde de la valeur au travail du care ? Je vais tenter de répondre à cette question ici, en revenant d’abord sur la ‘crise’ contemporaine du care qui est directement liée à son association au secteur privé et au féminin ; de là provient, en effet, la dévalorisation de ces activités. Dans la deuxième partie de ce texte, je propose de rendre compte des tentatives féministes récentes pour repenser le concept de care en le soumettant à l’analyse critique. Je définis ensuite quelques objectifs à atteindre pour que notre société reconnaisse la valeur au care. Enfin, dans la dernière partie, je propose quatre grandes directions vers lesquelles s’orienter pour changer les choses en matière de droits civiques, de répartition des responsabilités dans la famille, d’organisation du travail dans les activités rémunérées relevant du care, ainsi qu’en matière de politiques et de pratiques de l’emploi.

Le care : un problème contemporain

3 Une série de livres et d’articles célèbres, publiés ces dix dernières années, ont montré que nous étions, depuis peu, confrontés à une alarmante ‘crise du care’, provoquée par l’engagement massif des femmes sur le marché du travail. Les besoins en termes de garde d’enfants, de soins aux personnes âgées et de prise en charge des personnes dépendantes ou chroniquement malades n’ont pas diminué, et ont même probablement crû en raison de l’allongement de la durée de vie et des avancées médicales qui permettent de maintenir en vie des personnes souffrant de blessures ou de maladies graves. Or celles qui étaient traditionnellement chargées de s’occuper de cette population — les femmes et les mères au foyer — sont moins disponibles, désormais, pour assurer ce travail du care à plein temps.

4 Dans les foyers où les deux parents ont un emploi, il semblerait que les femmes ont de plus en plus de mal à faire face à l’accumulation des tâches et à gagner leur vie tout en assumant la responsabilité du care. En même temps, rares sont les familles qui ont les moyens de payer quelqu’un pour assurer ce travail étant donné que les services publics, dans ce domaine, sont clairement insuffisants. Aux États-Unis, la dépendance et sa prise en charge ne sont perçues qu’à travers la grille de lecture du libéralisme le plus classique — celui-là même qui a conduit à réduire au minimum l’État-providence. Ainsi, le congé parental financé par l’État n’existe pas, de même qu’il n’y a ni allocations familiales, ni aides au logement, ni service public de garderie pour les enfants, ni assurance maladie universelle. Les allocations pour les mères célibataires sont octroyées sous conditions de ressources, elles sont temporaires et limitées en nombre au cours de l’existence. En outre, pour pouvoir les toucher, les mères célibataires sont contraintes de prendre un emploi ou de s’inscrire à des formations professionnelles. Les crèches sont rares, l’école maternelle pour les enfants âgés de moins de cinq ans est très peu développée, et les garderies après la classe restent inégalement réparties sur le territoire. Le système d’assurance santé destiné aux personnes âgées, en revanche, est plutôt bien doté grâce aux programmes Medicare et Medicaid qui sont financés par l’État fédéral et administrés état par état. Comme l’écrit Mona Harrington dans un texte important (1999, p. 17) :

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Nous disposons d’une mosaïque de dispositifs, et pourtant le travail du care, tel qu’il est assuré aujourd’hui, est loin d’égaler — tant en termes d’amplitude horaire que de qualité — celui qui était prodigué au bénéfice de la collectivité par les femmes au foyer des générations précédentes.

6 Dès lors, peut-on se demander, s’il n’est plus assumé par une foule de femmes sans emploi, comment faire en sorte que le travail du care soit accompli ? Cette question est au cœur de bien des recherches et de bien des propositions de loi.

7 Il y a longtemps déjà que les théoriciennes et les chercheuses féministes étudient le care dans une perspective de genre. Leurs travaux ont montré que la crise contemporaine est le produit d’un régime du care privatisé et marqué par des logiques sexuées, dans lequel ce sont désormais les familles, et non plus la société dans son ensemble, qui se retrouvent responsables de la prise en charge des besoins des personnes vulnérables. Ces travaux montrent aussi qu’au sein des familles, c’est d’abord aux femmes (et aux autres groupes subalternes) qu’incombe ce travail de care.

8 La relégation du care au secteur privé et son assignation aux femmes sont allées de pair avec deux phénomènes : d’une part, une perte de valeur du travail du care et des relations sociales qu’il présuppose ; d’autre part, leur exclusion du domaine de l’égalité et des droits. Comme l’ont expliqué les féministes hostiles à la philosophie politique libérale, le concept même de citoyenneté (entendu comme une appartenance pleine et entière à la communauté, impliquant des droits et des devoirs) est traditionnellement fondé sur deux notions dichotomiques. La première est la distinction établie entre sphère privée et sphère publique : dans cette logique, l’univers privé des relations concrètes inscrites dans le care n’est pas seulement différent de l’univers de la citoyenneté, il en est son négatif. La sphère privée est celle des émotions, du particulier, de la subjectivité et de la nécessité de satisfaire les besoins physiologiques, tandis que la sphère de la citoyenneté est régie par la pensée, l’universel, l’objectivité et la capacité d’agir en fonction de principes abstraits. Ainsi, toutes les personnes assignées à la sphère privée et qui se trouvent, par conséquent, associées à ses valeurs — les femmes, les domestiques, les enfants — ont été exclues d’une citoyenneté pleine et entière. La seconde dichotomie renvoie à l’opposition qui a été faite entre autonomie et dépendance. En effet, le citoyen idéal est défini comme un individu autonome dont les choix, dans les domaines économique et politique, sont libres. Dans l’idéologie libérale, la citoyenneté est au fondement d’un espace égalitaire dans lequel les individus autonomes sont caractérisés par des droits et des devoirs identiques, quel que soit leur statut social ou leur situation économique. Ainsi, les personnes dont on a considéré qu’elles étaient dépendantes — que ce soit en raison de leur catégorie d’appartenance (comme dans le cas des femmes, des esclaves ou des enfants) ou de leur état de santé (comme dans le cas de handicapés mentaux ou physiques) — ont été dépourvues de statut et placées hors de l’espace citoyen (Okin 1979 ; Pateman 1988)  [2]. En outre, cette fiction entretenue par la philosophie libérale, selon laquelle il existerait des personnes absolument indépendantes et autonomes, occulte l’interdépendance qui nous relie les un∙e∙s aux autres, dans la mesure où les besoins en care concernent tout autant les personnes qui ne sont pas dépendantes.

9 Historiquement, par conséquent, le travail du care au sein de la famille n’a jamais été reconnu, aux États-Unis, comme une contribution sociale publique comparable au travail salarié. Ainsi que Judith Shklar (1991) l’a montré, le fait de gagner sa vie a toujours été perçu comme un devoir citoyen, dans la mesure où il s’agit là du fondement de l’indépendance. Ceux qui gagnent leur vie accomplissent donc ce devoir et, dans cette perspective, méritent certains droits comme la retraite, l’assurance chômage, la protection sociale et l’assurance maladie. À l’inverse, les pourvoyeuses bénévoles du care au sein de la famille prennent en charge des responsabilités qui sont d’ordre strictement privé : en cela, elles n’accomplissent aucun devoir fondamental qui pourrait être associé à la citoyenneté. On ne leur accorde, par conséquent, aucun droit comparable à ceux dont bénéficient les travailleurs salariés.

10 En outre, dans le modèle familial dominant, le soutien aux personnes dépendantes et aux pourvoyeuses du care est censément assuré par le chef de famille. Historiquement, les États-Unis n’allouent quasiment aucune subvention aux pourvoyeuses du care, en comparaison d’autres pays occidentaux où les congés parentaux rémunérés, les allocations familiales, les crèches, les allocations logement ou l’assurance maladie ne sont pas rares (Fraser, Gordon 1993). Toujours aux États-Unis, ce fut au moment du New Deal dans les années 1930 que l’État-providence institutionnalisa le système d’allocation de ressources à deux vitesses, fondé sur le modèle de l’homme pourvoyeur et de la femme au foyer. Les hommes qui étaient chefs de famille avaient ainsi accès à une protection sociale relativement généreuse et sans condition de ressources : assurance chômage, pension de retraite et assurance invalidité. Les personnes dépendant du chef de famille, à l’instar des femmes chargées du travail du care au sein du foyer, étaient considérées comme des bénéficiaires indirectes de ces aides, dans la mesure où, grâce à leur relation avec un travailleur salarié, elles pouvaient disposer d’une sécurité sociale ou de pensions de réversion. À l’inverse, pour les femmes les plus démunies qui n’étaient liées à aucun travailleur salarié, les aides fournies étaient bien moins généreuses. Elles avaient droit à une allocation sous condition de ressources, qui était versée aux mères célibataires et qui fut bientôt remplacée par l’Aide aux familles avec enfants dépendants [Aid to Families with Dependent Children – AFDC]. On voyait, en effet, dans cette allocation, une manière de résoudre le problème des enfants dans le besoin, et non une forme de dédommagement pour les mères célibataires en échange du care qu’elles fournissaient (Nelson 1990 ; Gordon 1994 ; Abramovitz 1996). Ces programmes d’aides n’étaient pas seulement indexés sur le sexe, ils l’étaient aussi sur la race. Il était extrêmement fréquent que les mères célibataires noires dans le Sud des États-Unis et les mères célibataires mexicaines dans les états du Sud-Ouest, se voient refuser l’octroi de ces aides au nom du fait qu’elles pouvaient très bien travailler. Ces femmes n’étaient donc pas considérées comme des pourvoyeuses du care ‘dépendantes’ comme pouvaient alors l’être les femmes blanches (Mink 1994).

11 En dépit de l’idéologie dominante de la famille comme espace du care par excellence, les besoins croissants dans ce domaine ont fini par générer une demande en care rémunéré comme alternative ou comme complément au travail du care effectué bénévolement dans le cadre familial. Une bonne partie des activités du care a alors été transférée vers des organismes gérés soit par l’État, soit par des entités à but non lucratif, soit par des entreprises capitalistes.

12 Dans ces organismes, le travail du care proprement dit est assuré par des ‘étrangères’ — des travailleuses rémunérées, parfois assistées par des travailleuses bénévoles volontaires. Or, quand les activités du care sont assurées dans le cadre d’un emploi rémunéré, non seulement elles restent l’affaire d’un seul sexe, mais elles deviennent aussi visiblement une affaire de race. Dans les établissements sanitaires et médicosociaux, tels que les hôpitaux, les maisons de retraite et les maisons-foyers pour personnes handicapées, les aides-soignantes et les autres employées qui dispensent les soins au quotidien sont très majoritairement des femmes de couleur ; beaucoup d’entre elles sont, en outre, issues d’une immigration récente. Les auxiliaires de vie à domicile sont également, en grand nombre, des femmes de couleur (Glenn 1992).

13 Ainsi, lorsque le travail du care est fourni par des personnes qui ne sont ni reconnues comme des membres de la communauté citoyenne à part entière, ni réellement respectées par cette dernière en raison de leur race, de leur classe sociale ou de leur statut de migrantes, l’idée que tout ce qui relève du care est un ‘sale boulot’ peu qualifié se trouve renforcée. Et cette double dévalorisation — tant du travail que des travailleuses du care — justifie les bas salaires et l’absence de droits qui sont aujourd’hui caractéristiques de ces emplois (England 1992).

14 De fait, le travail du care en établissements sanitaires et médicosociaux est compromis par une combinaison de contraintes liées à la réduction des coûts, aux réglementations publiques  [3], ainsi qu’à une tendance croissante à la médicalisation et à la bureaucratisation (Foner 1994). D’après Deborah Stone (1999), les pressions liées à la baisse des dépenses affectent autant le care fourni par les entreprises privées que celui fourni par les instances publiques à but non lucratif et financées par les contribuables. Les efforts pour réduire ou maîtriser les coûts ont conduit à réduire la qualité de la formation des employées qui sont chroniquement en sous-effectifs. Les réglementations publiques et procédures administratives impliquent, en outre, que les travailleuses du care passent beaucoup de temps à remplir des papiers. Comme elles sont de moins en moins nombreuses, elles subissent stress et frustration, ce qui provoque des phénomènes de burn-out et un taux élevé de renouvellement des effectifs. Toutes ces pressions affectent directement la relation de care. Les employées se plaignent du manque de temps et d’autonomie dont elles disposent pour répondre aux besoins individuels, tandis que les patient∙e∙s se trouvent parfois soumis∙e∙s à des procédures de contrôle (par exemple l’utilisation de sédatifs ou d’entraves physiques) censées maintenir ‘l’ordre’ dans un contexte de manque de personnel. De ce fait, il arrive que les patient∙e∙s ne bénéficient pas des soins individualisés susceptibles de préserver leur dignité et leur autonomie.

Repenser le care

15 Pour développer des alternatives à la situation actuelle, il nous faut repenser le concept de care. C’est après avoir lu des théoriciennes du care comme Joan Tronto (1993), Diemut Bubeck (1995), Emily Abel et Margaret Nelson (1990), et Sara Ruddick (1998), que j’ai compris la nécessité de définir le care comme une pratique qui est à la fois une éthique (se soucier de / caring about) et une activité (prendre soin de / caring for). ‘Se soucier de’ mobilise aussi bien la pensée que le domaine des affects : cela implique de prêter attention aux besoins des autres, d’y être sensible, de se sentir concerné∙e par la nécessité d’y répondre et d’en prendre la responsabilité. ‘Prendre soin de’ se réfère aux diverses activités nécessaires pour assurer le bien-être d’une autre personne et prodiguer les soins dont elle a besoin  [4]. Ces activités comprennent les soins physiques (par exemple : faire la toilette, donner le repas…), les soins émotionnels (par exemple : le fait de rassurer quelqu’un, l’écoute empathique…) et des services directs (par exemple : conduire une personne chez le médecin, lui faire ses courses…). Cette définition n’est pas dénuée d’ambiguïtés, mais elle a le mérite de poser quelques frontières. Par exemple, considérer le travail du care comme le fait de répondre directement aux besoins d’autrui différencie cette activité d’autres tâches permettant la survie comme pourvoir aux besoins d’autrui en tant que soutien de famille.

16 Dans cette définition du care comme pratique, trois éléments sont importants. D’abord, cette définition sous-entend que, loin de ne concerner que les personnes jugées incapables de prendre soin d’elles-mêmes, le care concerne en fait tout le monde. On considère souvent, en effet, que seuls les enfants, les personnes âgées, handicapées et les malades chroniques ont besoin de care ; les adultes soi-disant autonomes en ont pourtant tout autant besoin. Mais le fait que ces derniers en bénéficient également est occulté et nié : ainsi que le note Sara Ruddick (1998, p. 11) :

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La plupart des destinataires du travail du care ne sont que partiellement ‘dépendants’ et le sont souvent de moins en moins ; la plupart de leurs ‘besoins’, y compris ceux qui sont clairement physiques, ne peuvent être distingués de leurs attentes émotionnelles plus abstraites, de leur besoin de respect, d’affection et de réconfort.

18 Or, même des personnes considérées comme parfaitement autonomes — c’est-à-dire capables de prendre soin d’elles-mêmes dans toutes les activités de la vie quotidienne — peuvent, pour des raisons de manque de temps, d’énergie ou de maladie temporaire, avoir besoin de care pour préserver leur bien-être physique, psychologique et émotionnel.

19 Le deuxième élément de la définition du care comme pratique, est sa dimension relationnelle ; comme l’explique Ruddick (1998, p. 14) :

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Le travail du care est constitué de et dans la relation qui se noue entre la personne qui le fournit et celle qui le reçoit.

21 Il s’agit d’une relation d’interdépendance, dans laquelle la pourvoyeuse du care est généralement vue comme dominante. Or, la personne qui bénéficie du care, même si elle est subordonnée ou dépendante, dispose elle aussi d’une capacité d’agir dans cette relation. Selon Tronto (1993), dans le domaine du care, une tâche est considérée comme réussie si son bénéficiaire a une réaction conforme aux attentes — dans cette logique, un enfant qui pleure représente un échec. Dans certaines situations, lorsque le ou la bénéficiaire des soins est l’employeur de la pourvoyeuse du care, ou lorsqu’il ou elle a une autorité sociale sur elle (par exemple selon la norme du respect dû aux personnes âgées), la relation entre bénéficiaire et pourvoyeuse du care peut être nettement dominée par le ou la première.

22 Troisièmement, définir le care comme une pratique permet de reconnaître qu’il peut être accompli d’une infinité de manières. La relation de care paradigmatique est constituée par le binôme mère-enfant — c’est d’ailleurs l’exemple qui est le plus souvent mobilisé pour expliquer en quoi consiste le care. Dans ce modèle, le care (les soins maternels) est perçu comme naturel et instinctif : il s’agit de la vocation naturelle des femmes. Cependant, ce modèle idéalisé est fallacieux en ce qu’il empêche de voir qu’il existe, en réalité, bien des manières différentes de prendre soin d’autrui. Et en effet, le travail du care peut être dispensé au sein du foyer ou dans des organisations publiques institutionnalisées, il peut être accompli individuellement ou collectivement, il peut faire l’objet d’une rémunération ou non. Le care est la plupart du temps prodigué dans le contexte familial sous la forme d’un travail fourni gratuitement par les femmes, mais il peut aussi y être rémunéré (babysitters, auxiliaires de vie, aides-soignantes, etc.) Il est aussi accompli au sein de la communauté sous forme de travail bénévole, comme dans le cas des organisations caritatives, religieuses ou non, qui gèrent des gardes d’enfants ou des centres d’activité pour les seniors. Il est également assuré par des institutions publiques, des sociétés privées ou des travailleuses indépendantes, et prend la forme, dans ce cas, de services fournis par des pourvoyeuses du care salariées.

23 Le care peut aussi être ‘fragmenté’, divisé entre plusieurs pourvoyeuses de care et entre des établissements ‘privés’ et ‘publics’. Par exemple, si un parent est toujours responsable en dernier ressort de la garde de son enfant après l’école, il peut néanmoins déléguer le travail réel du care à une babysitter, un membre de la famille, une assistante maternelle ou une garderie extra-scolaire.

Quels doivent être nos objectifs ?

24 Pour parvenir à une société dans laquelle on aurait redonné au care toute sa valeur dans chacune des sphères de la vie sociale, il nous faut tenir compte et reconnaître la valeur du travail du care lui-même, d’une part, et des personnes impliquées dans cette relation de travail, d’autre part (qu’elles en soient pourvoyeuses ou bénéficiaires). Ainsi, concrètement, dans une société qui accorde de la valeur au travail du care :

25 – le care est reconnu comme du ‘vrai travail’ et comme une contribution au bien commun au même titre que d’autres activités valorisées (emploi salarié, service militaire, travaux d’intérêt général…) et ce, quel que soit le contexte dans lequel il se déroule, que ce soit dans la famille ou ailleurs, et qu’il fasse l’objet d’une rémunération ou non.

26 – les personnes qui sont en demande de care (enfants, personnes âgées, handicapées ou chroniquement en mauvaise santé) sont reconnues comme des membres à part entière de la société ; c’est-à-dire qu’elles jouissent des droits civiques, d’un véritable statut social et de la possibilité d’être des citoyennes et citoyens actifs. En d’autres termes, cela signifie que les bénéficiaires du care soient en capacité d’avoir un droit de regard sur le type de soins qui leur est fourni, sur l’établissement où les soins sont dispensés et sur l’identité des personnes qui les leur prodiguent; cela signifie également qu’ils et elles puissent disposer de ressources matérielles suffisantes pour obtenir les soins adéquats.

27 – les personnes qui prennent en charge le travail du care bénéficient de la reconnaissance de la collectivité et leurs efforts leur procurent des droits similaires à ceux dont bénéficient les personnes contribuant au bien commun par un travail salarié et par le service militaire. Cela inclut des conditions de travail et une rémunération — que ce soit sous la forme de salaires ou de droits sociaux — qui leur permettent de faire correctement leur métier et de vivre convenablement.

28 Pour que chacun de ces objectifs puisse être atteint, il faudrait que soient respectées d’autres conditions particulières, nécessaires pour assurer l’équité et la justice sociale.

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  • Le travail du care doit être légitimé et considéré comme une responsabilité collective (publique), plutôt que comme une responsabilité familiale ou privée uniquement.
  • L’accès au care doit être à peu près équitablement distribué et ne dépend pas du statut social ou économique. En fin de compte, l’idéal serait une société dans laquelle les besoins de tou∙te∙s pourraient être pris en charge dans le cadre d’un service public du care qui serait à la fois de qualité et disponible en quantité suffisante ; c’est-à-dire que le care dispensé dans ce cadre serait individualisé, adapté aux cultures de chacun∙e et assez souple pour pouvoir tenir compte des préférences de celles et ceux qui y ont recours.
  • La responsabilité et la réalité du travail de care doivent être partagées équitablement de manière à ce que sa charge n’incombe pas de façon disproportionnée, comme c’est le cas aujourd’hui, aux groupes désavantagés — femmes, minorités raciales et migrantes.

Quelques pistes à suivre pour amorcer le changement

Repenser la citoyenneté sociale

30 Une étape importante consiste à redéfinir la citoyenneté sociale et à mettre le care au cœur des droits et des acquis sociaux. Ce serait une inversion radicale par rapport à la situation actuelle, dans laquelle le care est défini comme relevant de la responsabilité privée, donc hors de la sphère de la citoyenneté. Placer le care au centre de la citoyenneté aurait trois conséquences : la création d’un droit au care qui serait un droit fondamental des citoyen∙ne∙s ; la reconnaissance du care comme responsabilité publique et collective ; et la gratitude de la collectivité envers les pourvoyeuses du care qui prendraient en charge cette responsabilité au nom de la société. En réalité, ces trois conséquences sont reliées les unes aux autres. Si les citoyen∙ne∙s bénéficient d’un droit au care, ce dernier relève d’une responsabilité collective, la communauté devant s’assurer que ceux et celles qui en ont besoin puissent y accéder. Surtout, si le travail du care relève de la responsabilité publique, les personnes qui s’en chargent accomplissent un devoir citoyen qui leur donne droit aux avantages sociaux : sécurité sociale, promotions à l’ancienneté et versement d’une retraite.

31 Il faut bien constater que globalement, aux États-Unis, dans la mesure où le fait d’être mère/parent n’est même pas reconnu comme une contribution au bien collectif, on est encore loin de considérer le soutien aux pourvoyeuses du care comme relevant de la responsabilité de la société. L’histoire a montré qu’une lutte concertée est le seul moyen d’obtenir des changements qui impliquent de revoir les contours et la définition même de la notion de citoyenneté. Par exemple, la citoyenneté politique — en l’occurrence, le droit de vote — fut progressivement étendue à des groupes qui en avaient initialement été exclus : au début du XIXe siècle, ce fut le tour des hommes blancs qui n’appartenaient pas à l’élite économique ; après la Guerre de Sécession, ce fut celui des hommes noirs ; puis, en 1920, enfin, ce fut le tour des femmes. Cette extension progressive du droit de vote n’a été obtenue qu’après des luttes collectives menées par chacun de ces groupes pendant plus de cent ans. Les droits sociaux et l’État-providence, de même — c’est-à-dire la sécurité sociale, l’allocation chômage, le salaire minimum ou le soutien de l’État à la création d’emplois — ne furent mis en œuvre qu’à la suite de la mobilisation politique de millions d’Américain∙e∙s que la Grande Dépression avait jeté∙e∙s à la rue. Dans la seconde moitié du XXe siècle, le mouvement pour les droits civiques et la deuxième vague du mouvement féministe ont suscité des changements juridiques, politiques et sociaux qui ont radicalement étendu le domaine de l’emploi, de l’éducation et des droits reconnus par la loi en faveur des minorités raciales et des femmes.

32 Parmi les récents exemples importants d’extension du domaine de la citoyenneté, il y a le succès du mouvement pour les droits des personnes handicapées, qui a obtenu l’établissement de lois et de politiques au niveau fédéral obligeant les écoles et les universités, les employeurs et les programmes publics à fournir des infrastructures et des activités susceptibles de permettre aux citoyen∙ne∙s ‘moins valides’, de travailler, d’étudier, de voyager et plus généralement de participer à la vie sociale et culturelle de la société. De tous, ce mouvement est justement celui qui s’est le plus rapproché d’une redéfinition de la citoyenneté sociale par une prise en compte des questions relatives au care. Mené par des citoyen∙ne∙s ayant des incapacités physiques ou mentales susceptibles de limiter leur indépendance sur le plan physique et économique, ce mouvement lutte pour la création de services et d’infrastructures qui puissent leur permettre d’accéder à une véritable autonomie sociale et politique  [5]. Désormais, il y a donc un précédent pour faire du droit au care, le fondement d’une citoyenneté pleine et entière.

Repenser la famille comme premier espace du care

33 Nous l’avons vu, la plus grande partie du travail du care est dispensée gratuitement par des membres de la famille. Toutefois, si l’on prend au sérieux l’idée que le care relève de la responsabilité de la société, il nous faut examiner de manière critique cette idée que l’institution de la famille soit l’espace par défaut de la prise en charge des besoins des personnes vulnérables. En effet, on peut se dire que maintenir la famille comme espace ‘naturel’ des soins à autrui et des relations de care, ne peut que consolider une division sexuelle du travail du care. Voir le care comme ‘naturellement’ dévolu au cadre familial et, en son sein, aux femmes, dissimule en réalité les rapports de dépendance matérielle qui sous-tendent et renforcent cette configuration relationnelle. C’est que, comme toutes celles qui s’occupent des autres le savent : l’amour ne fait pas tout. Pour prendre soin de quelqu’un, on a besoin de ressources matérielles. Par conséquent, il nous faut avant tout ‘défamilialiser’ le care dans le double but de soulager les femmes de la part disproportionnée des responsabilités qu’elles prennent dans ce domaine, et de libérer aussi bien les bénéficiaires que les pourvoyeuses des soins de leur dépendance économique à l’égard des hommes chargés d’entretenir la famille.

34 Depuis les diverses communautés autogérées jusqu’au mouvement des Kibboutzim, bien des sociétés utopistes ont entrepris, dans le passé, de faire du travail du care — en particulier le soin des nourrissons et l’éducation des enfants — une activité relevant de la responsabilité de l’État ou de la communauté, par exemple en élevant les enfants collectivement. En théorie, grâce à ces dispositifs communautaires où le soin aux enfants est conçu comme une forme de travail ‘public’ semblable aux autres formes de travail, les pourvoyeuses du care se trouvent libérées de leur dépendance à l’égard des hommes qui les entretiennent, tout comme les enfants qui sont, eux, libérés de leur dépendance (et aussi, par conséquent, de leur subordination) à l’égard de leurs parents biologiques. En pratique, néanmoins, le care collectivisé n’élimine pas la division sexuelle du travail du care, puisque ce sont toujours des femmes qui s’occupent des enfants, y compris lorsque ces derniers sont élevés dans un cadre communautaire. Surtout, le care collectivisé n’est généralement apparu que dans des petites communautés homogènes religieuses ou socialistes, dont les membres partageaient des valeurs culturelles et politiques fondamentales. En d’autres termes, un care totalement collectivisé à grande échelle serait fort peu probable, et peut-être même indésirable, dans des sociétés multiculturelles dont les membres se revendiquent de valeurs culturelles et politiques différentes. L’institution de la famille reste, dès lors, l’espace principal où se structurent les différentes identités culturelles et sociales.

35 Pour des raisons à la fois pratiques et idéologiques, il est vraisemblable que la famille (comprise dans son acception la plus large) restera un espace où la valeur du travail du care est susceptible d’être reconnue: ainsi, au sein d’une même famille, on se sentira toujours responsables du bien-être des enfants et, dans une moindre mesure, de celui des parents âgés et dépendants, et l’on fera donc le choix de s’en occuper. Cela ne signifie pas pour autant que la famille doive se limiter à sa configuration traditionnelle de foyer conjugal hétérosexuel, ni qu’elle doive être l’espace par défaut de tous les types de care. Tel qu’il est mis en œuvre dans les programmes d’aide au niveau des états ou des entreprises, le care est conforme à des schémas plutôt traditionnels : les seules configurations familiales admises pour une relation de care, c’est-à-dire les seuls liens dans le cadre desquels il est acceptable de prendre en charge la dépendance d’autrui, sont les liens parents-enfants (que la filiation soit biologique ou adoptive) ou conjugaux (sachant que seule l’union par mariage est reconnue ici). Il y a pourtant beaucoup d’autres types de liens familiaux susceptibles de générer des relations de care : par exemple, les couples — hétérosexuels ou homosexuels — vivant en concubinage, les parentèles étendues incluant les grands-parents ou les frères et sœurs, ou même, parfois, les ‘parentés électives’ qui sont génératrices d’entraide au sein d’un groupe de personnes. En outre, comme Carol Stack et Linda Burton (1994) le signalent dans le cadre de leur étude auprès des familles africaines-américaines (African-American families), des personnes — hommes, femmes ou enfants — peuvent se retrouver assignées, au nom de leur lien de parenté, au soin de leurs neveux ou nièces, de leurs grands-parents, de leurs petits-enfants, de leurs tantes ou de leurs oncles, quand il n’y a personne d’autre pour les prendre en charge. Tant qu’on continuera à ne valoriser le travail du care que dans le cadre de ‘la famille’, il faudra entendre ‘la famille’ dans son acception la plus large, pour qu’on puisse y inclure toutes les relations possibles, y compris les parentés ‘électives’ ou fictives.

36 Des enquêtes menées en Angleterre par Janet Finch (1996) et Jenny Morris (citée dans Cancian et Oliker 2000, p. 99) confirment l’idée que la communauté, telle qu’incarnée par l’État, a une responsabilité prééminente dans l’organisation du care parce que tout citoyen ou citoyenne a droit à un care qui ne soit pas familial. Les politiques publiques devraient donc permettre à tous soit d’avoir accès à un care public, soit d’obtenir des allocations ou des aides pour pouvoir payer les soins reçus, sans qu’il faille se demander au préalable si l’un ou l’autre des membres de sa famille pourrait s’en occuper.

Repenser le care rémunéré

37 Comme je l’ai précisé dans l’introduction, le travail du care est désormais de plus en plus dispensé par des personnes qui sont payées pour cela ; il y a plusieurs raisons à cette évolution majeure : l’augmentation de la demande elle-même en matière de care, l’incapacité des familles à assurer tous les besoins dans ce domaine et les incitations économiques à se tourner vers le secteur marchand. Ce phénomène concerne en particulier la prise en charge des personnes dont il faut s’occuper en continu ou qui ont besoin de soins parfois exigeants physiquement, telles que les enfants, les adultes handicapés mentaux et physiques, ainsi que les personnes âgées souffrant de sénilité ou de la maladie d’Alzheimer. Ces dernières sont généralement prises en charge dans des établissements spécialisés, des maisons de retraite, des hôpitaux ou des résidences aménagées : là, un travail du care intensif est assuré, directement auprès des personnes âgées, par des aides-soignantes et d’autres employées ne relevant pas des professions de la santé mais placées sous la supervision et l’autorité d’une administration et d’un ensemble de médecins et d’infirmières.

38 Dès lors, pour construire une société où l’on accorderait partout une réelle valeur au care, il faudrait tenir compte du fait que la prise en charge des besoins des personnes vulnérables, aujourd’hui, s’est déplacée hors de la sphère familiale et fait de plus en plus souvent l’objet de transactions marchandes. Il nous faut donc réfléchir aux changements induits par cette évolution qui fait du care un ensemble d’activités non plus gratuites et dispensées dans un contexte privé, mais payantes, effectuées dans un cadre public et surtout soumises, désormais, à des règlements, des contrôles et des hiérarchies bureaucratiques.

39 En effet, le transfert du care des foyers privés vers des établissements spécialisés, privés ou publics, fait entrer une ‘tierce partie’ dans la relation de care. Pourvoyeuses et bénéficiaires du travail du care sont dorénavant pris dans un réseau de lois et de réglementations concernant le temps destiné à chaque activité ou les types de soins qui sont couverts (par exemple, le fait de faire les courses). Nancy Foner (1994) et d’autres ont montré comment la ‘cage de fer’ du système bureaucratique suscite de considérables dilemmes chez les individus contraints par les structures collectives : c’est le cas des travailleuses du care, par exemple, qui se retrouvent soumises à un certain nombre d’injonctions contradictoires. Si le système bureaucratique prône des valeurs de standardisation, d’efficacité et d’obéissance à un ensemble de règles objectives, le care repose sur des principes tels que l’individualisation des soins, la personnalisation des liens et l’incitation à la patience.

40 Les réglementations et le contrôle bureaucratiques ont été mis en place après la révélation de l’existence fréquente de maltraitances et de négligence envers les personnes âgées. À la suite de l’enquête ethnographique qu’elle a menée dans une maison de retraite de New York, Foner (1994) admet la nécessité des règles bureaucratiques et de la mise en place de procédures de surveillance pour protéger les personnes âgées dépendantes, tout en reconnaissant l’importance, pour les aides-soignantes — qui assurent le lourd travail que représentent les soins physiques, mais aussi les repas, la toilette, le bain, etc. — de pouvoir agir de manière autonome. Or les règles telles qu’elles sont mises en œuvre par l’administration mettent d’abord l’accent sur ‘l’efficacité’ dans l’accomplissement des soins physiques, et sur la nécessité de respecter un planning et de tenir un registre précis des tâches accomplies. Pourtant, ainsi que Timothy Diamond (1988, p. 48) l’a montré dans son ethnographie d’une maison de retraite, le care émotionnel est un aspect fondamental du travail des aides-soignantes, comme le fait de « tenir dans ses bras quelqu’un qui a du mal à respirer » ou de parler aux résidents et résidentes pour « les aider à se souvenir de leur passé ». Diamond a observé que, comme ce type de soutien émotionnel ne figure pas dans la fiche de poste des aides-soignantes, elles ne reçoivent aucune gratification pour ces activités quand elles les accomplissent. Dans la maison de retraite qu’elle a étudiée, Foner raconte comment Ana, une aide-soignante qui prenait régulièrement le temps de parler aux patient∙e∙s, de les réconforter ou de les rassurer pendant qu’elle leur faisait prendre leur bain ou qu’elle les changeait, était constamment réprimandée pour son inefficacité ; à l’inverse, Ms. James — une aide-soignante qui non seulement ne s’adressait jamais directement aux patient∙e∙s, mais les manipulait en outre assez brutalement au cours des différents soins de routine — était appréciée de ses supérieurs au point d’être vue comme une aide-soignante exemplaire.

41 Les différentes enquêtes ethnographiques mentionnées ici révèlent que bien des travailleuses fournissent un care émotionnel de qualité, mais qu’elles le font ‘dans les marges’, si bien que, d’une part, leurs compétences et leurs efforts ne sont jamais reconnus, et que, d’autre part, elles se voient contraintes de prendre sciemment le contre-pied du règlement. Ces enquêtes mettent ainsi au jour l’existence de ‘cultures oppositionnelles’ dans lesquelles les travailleuses coopèrent afin de fournir le type de care que les structures bureaucratiques ne reconnaissent pas ou désavouent. Une enquête portant sur un hôpital psychiatrique (Lundgren, Bowner 1990) où la qualité des soins était excellente, a démontré que cette situation était liée au fait que les personnels spécialisés assurant les soins de jour s’étaient ménagé des espaces d’autonomie qui leur permettaient d’agir en accord avec leur propre ethos du care. Parce que ces personnels avaient la possibilité d’interagir librement, ils avaient développé une vraie camaraderie, se soutenant l’un l’autre pour désobéir aux consignes qu’ils jugeaient déraisonnables ou contraires aux intérêts des résidents et résidentes. Ils avaient ainsi développé des pratiques, telles que le time out, qui leur permettaient de quitter l’unité lorsqu’ils se sentaient sur le point de craquer. Ces habitudes, spontanément développées par les personnels salariés, pourraient être intégrées avec profit dans les pratiques organisationnelles. Encourager la solidarité au sein d’une équipe où l’on règle son comportement sur celui des autres, et où l’on se soutient pour pouvoir mener un travail sensible du care — voilà un usage qui gagnerait à être cultivé. On pourrait, de même, réformer les procédures pour donner davantage de marges de manœuvre et accorder plus de reconnaissance aux aides-soignantes qui feraient preuve de gentillesse envers les patient∙e∙s, quitte à sortir de la routine pour cela. Les instances spécialisées pourraient enfin proposer régulièrement aux aides-soignantes des formations autour des aspects les plus émotionnels du care et de la sensibilité particulière que ces soins impliquent ; on pourrait ainsi intégrer ce travail émotionnel du care dans leurs fiches de poste et leurs formulaires d’évaluation, et imaginer un système de gratification spécifique pour les travailleuses du care qui iraient spontanément au-delà de ce qui relève de leur devoir dans l’aide aux personnes malades.

42 Les différents comptes rendus et les impératifs bureaucratiques exigés par les institutions chargées d’administrer le travail du care pourraient fonctionner comme des éléments garantissant que chacune des professions impliquées s’engage à assurer le bien-être social et émotionnel des bénéficiaires du care. Foner (1994) signale par exemple que de nombreuses institutions ont adopté une approche psycho-sociale du care, qui tient compte des aspects émotionnels, sociaux et physiques du travail du care. Selon ce type d’approche, les dossiers de chaque bénéficiaire du care sont gérés de manière à ce que leurs besoins, aussi bien en matière de santé que de services sociaux, soient considérés ensemble. De leur côté, Cancian et Oliker (2000) décrivent un modèle de pratique clinique conçu par Bonnie Wesorick dans le domaine des soins infirmiers. Ce modèle, qu’elle a introduit dans plusieurs hôpitaux, s’appuie sur une approche ‘holistique’ du care, qui se différencie d’une approche strictement médicale et repose notamment sur la tenue scrupuleuse d’un dossier pour chaque personne, dans lequel sont indiqués son histoire individuelle, son orientation religieuse, sa situation familiale et ses soucis personnels. Surtout, figure dans ce dossier un projet de soins qui détaille ses besoins, ses inquiétudes et ses problèmes, ainsi qu’un traitement individualisé pour atteindre les objectifs envisagés.

43 Encourager les travailleuses du care à concentrer leurs efforts sur les aspects sociaux et émotionnels du care peut être salutaire à différents niveaux. En étendant leur domaine de responsabilité, cependant, on risque d’exacerber l’inégalité qui caractérise déjà la relation entre pourvoyeuses et bénéficiaires des soins. Ainsi, les premières peuvent avoir l’impression de comprendre les besoins des second∙e∙s et d’agir dans leur intérêt, alors qu’il est possible que leurs valeurs et leurs priorités soient différentes. Dans la mesure où les bénéficiaires du travail du care dépendent émotionnellement et physiquement des personnes qui s’occupent d’eux et d’elles, ils et elles peuvent avoir l’impression de ne pas avoir le choix et de devoir s’en remettre à l’opinion de ces dernières.

44 Il conviendrait donc également de s’assurer que les bénéficiaires du care puissent être entendus et qu’ils et elles puissent avoir leur mot à dire sur les soins reçus. Par exemple, des personnes adultes en pleine possession de leurs moyens intellectuels qui ont besoin d’une auxiliaire de vie, préfèreraient sûrement recevoir des aides ou des coupons prépayés pour pouvoir recruter elles-mêmes leur auxiliaire de vie, plutôt que de se retrouver avec quelqu’un qui leur serait envoyé d’office par les services sociaux. Sur les cinquante femmes handicapées avec lesquelles Jenny Morris s’est entretenue en Angleterre, plusieurs d’entre elles ont expliqué que, plutôt que les auxiliaires de vie qui leur étaient envoyées par les services sociaux, elles appréciaient bien plus celles qu’elles embauchaient et payaient elles-mêmes, parce que, de cette manière, elles se sentaient davantage en situation de contrôle. L’une de ces enquêtées racontait ainsi que ce ne fut qu’après avoir choisi d’embaucher elle-même son auxiliaire de vie qu’elle s’est enfin sentie autorisée à prendre soin de son apparence, et à lui demander de l’aider à s’habiller et à se maquiller — une demande qu’elle estimait désormais légitime :

45

Elles sont censées être patientes, parce que je les paie pour cela, donc je me dis qu’il est normal d’attendre cela d’elles. (Citée dans Cancian et Oliker 2000, p. 99).

46 Il existe déjà une catégorie qui bénéficie directement de subventions de l’État pour rémunérer le travail du care. Le Department of Veterans’ Affairs [le service chargé des anciens combattants] dispose en effet d’un programme d’aide accordant des subventions, sans restriction et sans intermédiaire, aux 220 000 vétérans qui doivent payer des auxiliaires de vie ou des aides-soignantes à domicile (Cancian, Oliker 2000, p. 155). Si les vétérans ont droit à un care rémunéré par une aide de l’État, c’est parce qu’ils ont ‘servi leur pays’. Ce qu’il faut, en suivant cette logique, c’est une approche plus universelle des droits qui permettrait d’étendre à tout le monde cet accès à un care extra-familial rémunéré.

47 Pour résumer, ce sont à la fois les bénéficiaires et les pourvoyeuses du care rémunéré qui doivent être investis de nouvelles responsabilités [empowered]. Or, lorsque les circonstances font converger les intérêts de ces deux catégories, c’est en toute logique qu’elles s’organisent et agissent ensemble. Ainsi, quand les budgets des services sociaux baissent et que les services d’aide à domicile se trouvent réduits, les pourvoyeuses du care peuvent être forcées de travailler auprès de davantage de gens, en prenant par conséquent moins de temps avec chaque personne : le résultat est que les bénéficiaires du care ne reçoivent plus tous les soins dont ils ou elles ont besoin. Pendant les années 1980 et 1990, des collectifs regroupant des aides-soignantes, des auxiliaires de vie, des bénéficiaires du care et des dirigeants locaux se sont organisés pour revendiquer une amélioration des revenus et des droits des travailleuses du care. En effet, tant que les services à la personne seront financés par Medicaid ou d’autres fonds publics, les bénéficiaires du care continueront à soutenir l’idée d’une augmentation des salaires de ces travailleuses — en particulier si cela contribue à maintenir auprès d’eux et d’elles leurs auxiliaires de vie qui risqueraient, sinon, de partir vers des emplois mieux rémunérés dans d’autres domaines (Cobble 1996 ; SEIU 1999).

Repenser les pratiques en matière d’emploi

48 Des changements dans les pratiques en matière d’emploi seraient aussi souhaitables pour que chacun∙e puisse concilier travail et care, et faire en sorte que le second ne soit plus pénalisé. Aujourd’hui, seule une petite proportion d’entreprises du secteur privé reconnaissent les responsabilités de leurs salariés, les femmes en particulier, en matière de care, et agissent dans ce sens en proposant des services de garde d’enfants dans leurs locaux ou à proximité, ou en rendant possibles les congés sans solde pour prendre soin d’enfants ou de parents âgés (Cancian, Oliker 2000, p. 75, 155).

49 Mais les employeurs ne doivent pas se contenter d’accorder ce type de congés ou de mettre en place des services de garde d’enfants : il leur faut aussi prendre en compte le nombre réel d’heures consacrées au care par leurs salariées. Une enquête menée sur un échantillon représentatif de 1 509 foyers anglophones aux États-Unis a montré que c’est en moyenne 17,9 heures par semaine que l’on consacre, dans chaque foyer, à des activités relevant du care. Parallèlement, aux États-Unis, le nombre d’heures passées par les salariés, hommes et femmes confondus, sur leur lieu de travail s’avère le plus élevé de toutes les autres nations industrialisées, si l’on en croit une enquête menée par les Nations unies en 1997. Dans cette étude, on constate que les salariés aux États-Unis travaillent en moyenne 40 % de plus que les Norvégiens et 25 % de plus que les Français (le calcul a été fait à partir des chiffres parus dans le San Francisco Chronicle le 6 septembre 1999).

50 Dès lors, si l’on ajoute à ces longues heures de travail, l’absence d’aide matérielle de la part de l’État aux pourvoyeuses bénévoles du care, on comprend mieux la nature de la pression subie par les salariées ayant la responsabilité de leurs enfants ou de leurs parents. D’ailleurs, lorsqu’on étudie les chiffres de la productivité dans le monde, on s’aperçoit que l’augmentation du nombre global d’heures de travail n’a pas été accompagnée d’un gain de productivité aux États-Unis, contrairement à ce qui s’est passé dans les autres pays. Une réduction du temps de travail se justifierait donc aussi bien sur le plan économique que sur celui de la santé publique. Il est maintenant temps de reconnaître la réalité et la multiplicité des responsabilités de celles qui doivent gagner leur vie tout en prenant soin de leurs proches : pour cela, il faut réduire le temps de travail pour un emploi à temps plein, mais aussi accroître le nombre de jours de repos et les possibilités de prendre des congés.

Pour conclure

51 Si nous voulons parvenir aux changements proposés dans cet article pour construire une société qui accorderait toute sa valeur au travail du care, il nous faut à la fois transformer les manières dont nous voyons nos vies et nos relations aux autres, et repenser ce que nous entendons par famille, société civile, État et politique économique. Enfin, transformer le travail du care implique de mener en parallèle d’autres évolutions majeures dans le domaine des structures politico-économiques et des rapports sociaux. Plus fondamentalement, il nous faudra sans doute rejeter l’idée de ‘société’ telle que nous l’entendons dans son acception la plus libérale — c’est-à-dire comme un ensemble d’individus distincts, indépendants et libres de faire des choix — et la percevoir plutôt comme un ensemble d’individus interdépendants qui ne seraient, en réalité, que partiellement autonomes.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Division raciale du travail, États-Unis, Travail du care, Citoyenneté sociale, Famille

Date de mise en ligne : 05/10/2016.

https://doi.org/10.3917/cdge.hs04.0199

Notes

  • [1]
    Texte original : Glenn Evelyn Nakano (2000). “Creating a Caring Society”. Contemporary Sociology, vol. 29, n° 1, Jan., p. 84-94.
  • [2]
    Eva Feder Kittay (1995) est allée encore plus loin dans la critique de ce modèle en affirmant que la dépendance et les rapports de dépendance ne sont tout simplement pas pris en compte dans les théories libérales de la justice sociale, ces dernières n’étant pensées que pour une seule catégorie : celle des personnes autonomes qui agissent et font leurs choix dans leur propre intérêt.
  • [3]
    NDLT : Aux États-Unis, les réglementations publiques [government regulations] peuvent être promulguées soit par les autorités fédérales (l’État), soit par les administrations locales (les gouverneurs). À l’échelle nationale, ces réglementations peuvent donc varier d’un état à l’autre.
  • [4]
    Dans le cadre de cet article, je limite volontairement la notion de care au fait de prendre soin des personnes, même si, dans d’autres circonstances, il peut être utile de l’élargir au fait de prendre soin d’objets ou d’animaux, voire de l’environnement. Ainsi, la théoricienne du politique Joan Tronto (1993, p. 103) définit le care comme « une activité typique de notre espèce, qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre ‘monde’ de manière que nous vivions dans les meilleures conditions possibles. Ce monde inclut nos corps, nous-mêmes, et notre environnement — autant d’éléments qu’il nous faut tisser en une toile complexe, susceptible d’assurer notre survie ». En même temps, j’adopte ici une définition du care qui s’étend, en quelque sorte, au-delà de la simple prise en charge des besoins des personnes qui ne peuvent prendre soin d’elles-mêmes, à l’instar de la définition que donne Diemut Bubeck (1995, p. 129) du care, entendu comme « le fait, pour quelqu’un, de répondre aux besoins d’une personne qui se trouve dans l’incapacité de le faire elle-même, et surtout d’assurer ces soins en contact direct avec elle, cette interaction en face à face étant un élément central du travail du care ».
  • [5]
    Un mouvement a été lancé, depuis peu, en faveur du droit de vote des personnes souffrant de maladies mentales.
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