Notes
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[*]
Voir la note 2 de l’article.
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[1]
« L’écriture inclusive, un débat déjà vieux de 40 ans au Québec », Courrier international, 23 novembre 2017.
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[2]
L’astérisque signale la première utilisation d’un mot accordé suivant le genre commun proposé dans Alpheratz 2018.
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[3]
Pour une comparaison des usages, voir Arbour, de Nayves et Royer 2014 et pour celle des normes édictées par des actaires non étatiques voir notre étude à paraître aux Presses de la Sorbonne Nouvelle, dans les actes du colloque « Entre masculin et féminin. Approches contrastives dans les langues romanes ».
- [4]
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[5]
Cf. Alpheratz 2018 ; pour une approche différente cf. Ashley 2019.
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[6]
Le terme sera également utilisé ci-après pour désigner l’Office québécois de la langue française, nom ensuite donné à l’ancien Office de la langue française.
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[7]
Ainsi, alors qu’en 1979 l’Office se contentait de donner des règles pour la féminisation du lexique, en 1981 il entend régir aussi la féminisation du « texte » en promouvant notamment le recours à des formes impersonnelles et à des termes épicènes mis au pluriel.
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[8]
L’examen des travaux préparatoires des lois du 19 novembre 1982 sur les élections municipales ou du 13 juillet 1983 sur l’égalité salariale montrent que l’on parle à l’époque plus de « quota de sexe » que de parité. Ce dernier terme est néanmoins utilisé une fois pour désigner une liste composée à égalité de femmes et d’hommes (JOAN débats, 3e séance du 27 juillet 1982, p. 4914).
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[9]
La révision constitutionnelle permettant de favoriser l’égale visibilité des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives interviendra en effet le 8 juillet 1999, quelques semaines après la publication du guide de l’INLF paru, quant à lui, au mois de juin.
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[10]
Au niveau fédéral, sous l’influence anglo-saxonne, ce deuxième motif apparaît cependant avant 1999 avec la publication par l’éditeur fédéral d’un Guide du traducteur, recommandant notamment de « rendre les femmes plus visibles dans la communication » (Bureau de la traduction 1996 : § 9.1).
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[11]
Les innovations grammaticales ne sont pas évoquées, mais il est vrai que leur systématisation en grammaire est bien plus récente (Alpheratz 2018).
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[12]
Il est courant de distinguer la féminisation lexicale (ou orthographique) de la féminisation du texte (ou grammaticale). La première se concentre sur la féminisation de nom de métiers, dont on va modifier l’orthographe pour les formes féminines ; la seconde cherche à féminiser l’ensemble du texte, en particulier via une féminisation des règles de grammaire.
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[13]
Cette pratique a été majoritairement suivie par les entreprises qui ont pu ainsi à moindre frais prétendre avoir féminisé leurs textes. D’où l’abandon de cette note explicative lorsque l’Office va produire des normes motivées par le souci d’égale visibilité (OQLF 2015).
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[14]
OQLF, « Madame la mairesse », Dans les coulisses de la langue, 2018 http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=5360.
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[15]
Pour cette étude on s’est limité aux normes produites par les autorités publiques québécoises. Pour une étude plus large intégrant également les normes fédérales applicables au Québec, voir notre contribution citée supra dans la note 3.
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[16]
Ainsi l’on pourrait discuter du caractère réellement technique de l’Académie compte tenu de sa composition évoquée infra. Il n’en demeure pas moins qu’elle est perçue comme telle par la majorité des Françaiz.
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[17]
Conseil du statut de la femme, Pour les Québécoises : égalité et indépendance, éditeur officiel du Québec, 1978, p. xxi de l’avant-propos où les autaires du rapport soulignent que « [l]a langue française et son vocabulaire peu ‟féministe” nous ont causé certains problèmes » et que « [p]arallèlement à la francisation des entreprises, la ‟désexisation” de la langue française s’impose et devrait être un objectif de l’Office de la langue française ».
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[18]
Premier ministre du Québec de 1976 à 1985.
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[19]
Académie Française 2019 et, pour le décryptage de ce rapport, Viennot 2019.
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[20]
Ainsi, en 1976, sont créés dans les gouvernements canadiens et français des organes gouvernementaux de coordination des politiques d’égalité : Condition féminine Canada (décret 1976-779) d’un côté et lu déléguæ* à la condition féminine en France (décret 76-878 du 21 septembre 1976). Quant au Québec proprement dit, c’est en 1979 qu’est créé le poste de ministre déléguæ à la Condition féminine, luquel* est secondæ* par un secrétariat à la Condition féminine.
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[21]
Cf. l’entretien donné à Antenne 2 par Benoîte Groult (Groult 1984 : 1’20), à l’occasion de sa nomination à la présidence de la commission de terminologie évoquée ci-après, et où elle souligne l’anormalité des pratiques françaises de féminisation au regard de celles en usage au Québec.
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[22]
Art. 20 et 21 de la Constitution.
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[23]
Nous n’avons trouvé aucune trace de la composition de la commission ni de son rapport ; la présence d’Anne-Marie Houdebine est cependant mentionnée en introduction d’un débat retranscrit autour d’un de ses livres : Marlaine Cacouault et al., « Autour du livre de Anne-Marie Houdebine La féminisation des noms de métiers », Travail, Genre et Société, 2000/1, 3.
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[24]
Premier ministre, Décret n° 96-602 du 3 juillet 1996 relatif à l'enrichissement de la langue française.
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[25]
Voir le décret, n° 96-602 du 3 juillet 1996 précité, spé. art. 2 lui conférant une place prééminente dans sa composition et art. 9 permettant à l’Académie de s’opposer à tout enrichissement qu’elle désapprouverait. Sur la mainmise de l’Académie sur cette commission voir Khaznadar 2016.
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[26]
Tout en rappelant la position de la cogeter selon laquelle « lorsque les textes visent une fonction, et non la personne qui remplit cette fonction, l’emploi du masculin est conforme à la règle », Lionel Jospin fait la promotion d’un ouvrage qui « montre que, contrairement à certaines idées reçues, il n’y a pas de difficulté à féminiser la plupart des […] fonctions » ; et d’ajouter que « le français l’a fait couramment jusqu’au siècle passé ». D’où sa conviction « que ce guide sera utile à tous ceux qui souhaitent faire avancer la cause de la féminisation ».
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[27]
Même si la position du Conseil d’État a évolué sur la valeur des circulaires (CE, Ass., 29 janv. 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker, n° 07134 ; puis CE, Section, 18 déc. 2002, Duvignères, n° 233618), les circulaires sur la langue évoquées plus haut auraient bien été considérées comme posant des normes obligatoires. Telle fut d’ailleurs la position de cette juridiction à propos de la circulaire de 2017 précitée (CE, 28 février 2019, Association GISS et Mme Fourtic, n° 417128).
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[28]
C’est en effet initialement pour garantir le droit aux femmes ministres de son gouvernement d’être appelées « Madame la ministre » que Lionel Jospin, avec l’aval du Président Jacques Chirac, reprit le chantier de l’inclusivité du langage (Rivais 1997).
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[29]
La réelle féminisation des textes, dite aussi féminisation grammaticale, est en revanche particulièrement rare car elle implique des modifications plus visibles et complexes (Elchacar 2019).
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[30]
Parlement français, Loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, n° 2017-86, 27 janvier 2017, art. 181, posant l’indépendance du Haut Conseil par rapport au Premier ministre auquel il demeure encore formellement rattaché.
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[31]
Décret n° 2013-8 du 3 janvier 2013 portant création du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
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[32]
Ainsi, en application du contrat conclu le 8 mars 2013 entre la ministre de la Réforme de l’État et les différentes organisations professionnelles de la fonction publique (Protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique) où il était recommandé d’avoir une communication non stéréotypée, ladite ministre a pris une circulaire soulignant que l’affichage des postes devait viser « indifféremment les femmes et les hommes » (Circulaire du 8 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du protocole d’accord du 8 mars 2013 relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique).
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[33]
Une étude quantitative mériterait d’être faite sur ce point. On peut d’ores et déjà consulter la liste grandissante des signataires de cette convention (http://bit.ly/2n9upQ7) ou relever le nombre croissant de publicités commerciales en faisant l’usage.
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[34]
Le Premier ministre indique ainsi que les fonctions doivent être féminisées et qu’il convient pour les appels de postes d’user de doublets (« candidates et candidats »), ce que l’Académie au contraire refusait (Académie 1984, 2002 et 2014), estimant que les fonctions ne devaient pas être incarnées dans un genre particulier et qu’il fallait donc se contenter pour celles-ci, comme pour la désignation des groupes de personnes indéterminées en genre, du masculin générique.
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[35]
Réunion du Conseil des ministres, La condition féminine, décision no 77-168, 18 mai 1977, cité dans CSF 1978, p. xvii.
1Alors que la controverse sur « l’écriture inclusive » battait son plein en France à l’automne 2017, Courrier international reproduisait dans ses colonnes un article paru dans le journal québécois Le Devoir [1] suggérant que le Québec aurait été dès les années 1980 à l’« avant-garde » de ce débat, en refusant in fine ces formes d’écritures « tronquées » ou « hachurées ». S’il est vrai que le Québec a commencé dès la fin des années 1970 à travailler sur la féminisation (Bouchard, Guilloton et Vachon-L’Heureux 1999 ; Arbour, de Nayves et Royer 2014), est-il bien certain qu’il ait fallu quarante ans en France pour que le débat surgisse ? Les premiers textes officiels sur la féminisation n’y datent-t-ils pas aussi des années 1980, que l’on songe aux efforts d’Yvette Roudy en ce sens ? Par ailleurs, entre les textes québécois d’il y a quarante ans et les textes français à l’origine de la controverse de 2017, sont-ce bien toujours les mêmes problèmes qui sont posés ?
2Pour en savoir plus et étayer notre intuition que les différences entre la France et le Québec n’étaient pas aussi importantes que pouvaient le laisser penser certains passages de cet article, nous avons voulu, à la suite d’autres travaux (Fracchiolla 2008 ; Elchacar 2019) mener une étude comparative des normes françaises et québécoises relatives à l’inclusivité du langage au regard du genre, en nous concentrant avant tout sur les normes édictées par des actaires* [2] étatiques [3].
3Pour réaliser cette étude comparative, a été constituée une base de données ouverte [4], rassemblant des normes relatives au langage inclusif. Précisons que par « norme », nous désignons tout modèle destiné à diriger l’action d’individus, qu’il soit obligatoire ou non, qu’il émane d’autorités publiques ou non, qu’il soit suivi d’effets ou non. Quant à l’expression « langage inclusif » (à l’égard du genre), elle désigne ici toutes les pratiques langagières tendant à assurer dans la langue une représentation égalitaire des êtres humains [5], ces pratiques n’étant pas réductibles à ce que l’on peut appeler communément en France « l’écriture inclusive », c’est-à-dire les formes abrégées, telles « étudiant·es ». Les données in fine rassemblées émanent notamment d’instances officielles nationales, fédérales, provinciales ou locales, mais aussi de la société civile. Par ailleurs, pour chacune des normes identifiées, on s’est efforcæ* de consigner le caractère obligatoire ou non des normes examinées, leur contenu, les causes de leur émergence, le but poursuivi, le public visé ainsi que leur éventuel impact.
4Cet examen comparatif des normes d’inclusivité du langage permet, comme nous allons le voir, de relativiser la prétendue avance du Québec sur la France en matière d’innovation inclusive et de comprendre que les normes officielles édictées dans les deux pays présentent nombre de points communs. Si de réelles différences existent, elles résident moins dans le contenu même de ces normes, que dans les stratégies et positionnement des actaires réæls ou potentiæls de ces normes. Après avoir relativisé les différences quant au contenu des normes dans une première partie, nous exposerons donc celles quant aux autaires* des normes dans une seconde.
Relativiser les différences quant au contenu des normes
5Affirmer, comme le fait dans son titre l’article précité de Courrier international, que la controverse sur « l’écriture inclusive » serait au Québec, contrairement à la France, « un débat déjà vieux de 40 ans » est trompeur. En effet, les premières normes étatiques d’inclusivité du langage produites dans les années 1980 au Québec n’ont rien à voir avec celles produites aujourd’hui en France, les problèmes n’étant tout simplement pas les mêmes. Or, l’examen des évolutions ayant affecté ces normes, loin de révéler une différence entre la France et le Québec et une avance de ce dernier, révèle au contraire une profonde unité. Par ailleurs, avancer, comme le fait une des linguistes québécoises dont les propos sont rapportés par Le Devoir, que les normes québécoises comme françaises rejetteraient aujourd’hui « l’écriture inclusive » est aussi trompeur. Certes, la France et le Québec ont encore des positions plutôt réservées, mais elles ne sauraient être résumées par l’idée d’un rejet de ces formes.
Des évolutions similaires
6De la fin des années 1960 à aujourd’hui, les autorités officielles compétentes au Québec ou en France pour agir sur la langue ont régulièrement produit des normes d’inclusivité dont le contenu a varié. Surtout, ces variations se sont produites selon le même schéma et de manière concomitante, remettant ainsi en cause l’idée d’une avance du Québec sur la France. Trois motifs successifs ont présidé à l’édiction de ces normes.
7Le premier motif a été l’adaptation de la langue aux évolutions sociales découlant de la mixité croissante des activités professionnelles. C’est dans ce cadre qu’ont été produites les normes dites de « féminisation des noms de métiers, titres et fonctions ». Ces normes, produites plus de 20 ans après que les femmes ont massivement investi le marché du travail et que leurs droits ont été reconnus, sont édictées après qu’apparaissent au grand jour les problèmes terminologiques liés à l’exercice par des femmes de professions jusqu’alors réservées en droit, ou en fait à des hommes. Il faut attendre la consolidation d’un féminisme d’État, avec la nomination au Québec de Louise Payette comme ministre de la Condition féminine (1979) et en France d’Yvette Roudy comme ministre des Droits de la femme (1981) pour que soient réunies les conditions sociales et politiques permettant d’apporter une réponse au problème lexical.
8Les premières normes de féminisation sont produites au Québec par l’Office de la langue française (ci-après l’« Office » [6]) qui publie différents « avis de recommandation » (OLF 1979, 1981 et 1984) ou guide (OLF 1991). Ces normes sont motivées par la volonté de répondre aux difficultés rencontrées par les administrations québécoises dans la féminisation des professions. L’avis de recommandation publié en 1981 par l’Office évoque par exemple « les difficultés rencontrées par l’Administration lors de l’affichage des postes » (OLF 1981). En France, ce premier motif d’inclusivité transparaît dans la circulaire signée en 1986 par Laurent Fabius (Premier ministre 1986) où l’on peut lire que « [l]’accession des femmes […] à des fonctions de plus en plus diverses, est une réalité qui doit trouver sa traduction dans le vocabulaire ». La motivation est la même lorsque cette féminisation est réaffirmée en 1998 par Lionel Jospin, afin de permettre à ses ministres de n’être pas mégenrées (Premier ministre 1998).
9Compte tenu du fait que la transformation de la langue n’est pas le premier objectif poursuivi, les changements terminologiques opérés le sont souvent a minima : la forme féminine retenue est peu coûteuse (ajout d’un « e », comme pour « professeure » ou « auteure »). En outre, cette féminisation n’affecte dans un premier temps que le lexique, même si au Québec elle commence à atteindre la grammaire [7]. L’apparition d’un deuxième objectif, lutter contre la place inégale du genre féminin dans la langue en général, marque l’émergence d’une politique d’inclusivité du langage plus ambitieuse.
10Avec ce deuxième motif, il s’agit de réclamer pour les femmes la même visibilité que les hommes dans le langage, dans un souci de parité, d’égalité, de non-discrimination ou de lutte contre les stéréotypes sexistes – pour reprendre des mots présents dans les textes de cette époque. Comme pour l’évolution précédente, cette évolution de la langue est à relier au contexte politique et social. Elle fait écho au développement dans les années 1980 d’une politique que l’on qualifiera dix ans plus tard de paritaire (Hennette-Vauchez, Pichard et Roman 2014, p. 502) [8]. Parti de la représentation politique, ce souci de donner aux femmes davantage de visibilité gagne ensuite le champ des représentations langagières.
11Cette fois, c’est en France que l’évolution survient d’abord. Ainsi paraît en 1999, dans la maison d’édition de l’État français (la Documentation française) un guide de féminisation produit par un laboratoire du cnrs (inlf 1999), sur une commande du Premier ministre (Premier ministre 1998). Dans la préface de ce guide, le Premier ministre – qui est alors sur le point de remporter au Parlement la bataille de la parité [9] (Lochak 1983 ; Hennette-Vauchez et al. 2014) – écrit que « la parité a sa place dans la langue ». Au Québec proprement dit [10], ce motif paritaire transparaît pour la première fois dans les normes officielles au travers d’un autre guide, le Guide de rédaction épicène, publié en 2006 par l’Office québécois de la langue française et deux chercheuses (OQLF, Guénette et Vachon-L’Heureux 2006). Celui-ci indique vouloir « assurer une visibilité aux femmes », afin de répondre à un « besoin de parité linguistique ». D’autres normes suivront, en particulier en 2015 avec l’édiction concomitante par l’Office et le Haut Conseil (français) à l’égalité entre les femmes et les hommes (ci-après le « Haut Conseil ») de documents édictant des normes pour éviter que « la langue ne [reste] un domaine où serait encore admise et revendiquée l’expression de la prétendue supériorité d’un sexe sur un autre » (HCE 2015), et formulant des recommandations « par souci d’égalité » (OQLF 2015).
12Ce motif d’égale visibilité entraîne des changements dans les normes langagières proposées. Il ne s’agit plus désormais d’adapter le lexique par la « féminisation des noms de métiers, titres et fonctions », mais de démasculiniser le reste de la langue (Larivière 2001, 2004), en remettant plus ou moins en cause l’aptitude du masculin à englober tous les genres. D’où par exemple la promotion de doublets longs, de formes épicènes ou de l’accord de proximité. Cette lutte contre le sexisme lexical amène également certains guides à réexaminer les choix de féminisation discrète en promouvant plutôt des formes permettant de différencier à l’oral les formes féminines des formes masculines (Viennot 2018). Ainsi du mot auteur, pour lequel le Haut Conseil, après avoir recommandé en 2015 la forme « auteure », adopte un an plus tard celle « d’autrice », grâce à sa découverte de travaux scientifiques (Evain 2008 ; Viennot 2008). De même, sont combattues les réticences à féminiser certains mots (« professeur » ou « sénateur » par exemple) au motif qu’ils renverraient à des fonctions devant être désignées au moyen d’un genre masculin générique. C’est l’objet d’une circulaire française de 2017 (Premier ministre 2017), combattant la position naguère défendue par l’Académie (Académie française 1984, 2002, 2014) et ayant finalement conduit cette dernière à évoluer (Académie Française 2019) pour intégrer ce deuxième objectif d’égale visibilité à l’égard des femmes.
13Survient enfin la dernière évolution qui, conservant l’objectif d’égalité, s’efforce d’en faire bénéficier d’autres groupes que les femmes, à savoir les minorités de genre ne se reconnaissant pas dans les deux genres dominants du masculin et du féminin. Cette nouvelle revendication s’inscrit elle aussi dans un contexte social particulier, à savoir l’émergence à partir de la fin des années 1990 de minorités de genre ébranlant la binarité des sexes et des genres. Avec ces normes d’un troisième type il s’agit, grâce au pouvoir performatif de la langue (Gérardin-Laverge 2017), à la fois de pouvoir nommer les personnes demandant à sortir d’un système de genre binaire, et d’aider à contribuer à la visibilité de ces personnes. Ce motif combine donc en quelque sorte les deux motifs précédents tout en les dépassant.
14Comme pour les précédents motifs, l’évolution survient de manière relativement concomitante en France et au Québec. Cette évolution est nettement perceptible au Québec, où l’Office et la Ville de Montréal édictent en 2018 des normes répondant à ce troisième motif en promouvant pour ces personnes l’usage d’une rédaction épicène (OQLF 2018b ; Ville de Montréal 2018). En France, des formes lexicales innovantes [11] – tel le pronom personnel « iel » utilisée par certaines minorités de genre – sont également mentionnées dans la deuxième édition du guide du Haut Conseil (HCE 2016).
15L’examen des évolutions qu’ont connues depuis 1979 les normes officielles sur le langage inclusif révèle bien une grande proximité du Québec et de la France. Rien ne permet de soutenir l’idée d’une avance de 40 ans du Québec sur la France. Mettre en rapport – comme le fait l’une des linguistes interrogées par Le Devoir – les normes québécoises d’il y a 40 ans avec la circulaire du Premier ministre de 2017 procède d’un anachronisme. Certes, des similitudes peuvent exister. Ainsi, entre l’avis de recommandation édicté en 1981 par l’Office et la circulaire française de 2017, on peut remarquer que ces deux sources concernent tant le lexique que le texte [12] ou que toutes deux réaffirment le caractère « neutre » (Premier ministre 2017), « indifférencié » ou « non marqué » (OLF 1981) du masculin. Les apparences sont cependant trompeuses. Ces normes surviennent dans des contextes distincts et poursuivent des objectifs différents. L’une (OLF 1981) vise avant tout à faire face à l’arrivée des femmes dans des secteurs d’activité et à résoudre les problèmes langagiers que cela génère dans l’affichage des postes, tant au niveau des titres que du syntagme nominal où figure désormais un doublet (Arbour, de Nayves et Royer 2014) ; l’autre (Premier ministre 2017) vise à lutter contre « les stéréotypes qui freinent le progrès vers une égalité plus réelle ». Certes, « l’avis de recommandation » de 1981 recommande de féminiser le texte, ce qui pourrait laisser penser qu’un objectif d’égale visibilité est également poursuivi. Ce serait cependant oublier la note explicative qui accompagne cet avis et qui autorise, comme procédé de féminisation du texte, l’ajout d’une note liminaire indiquant que le masculin englobe tous les genres, soit l’inverse même d’une démarche de visibilité [13] ! À l’inverse, la circulaire française de 2017, tout en affirmant le caractère « neutre » du masculin, défend en réalité une position opposée en condamnant l’usage du masculin générique dans les appels de poste (par principe ouverts à tous les genres). Ainsi malgré les apparences, on ne saurait rapprocher ces deux normes de 1981 et 2017. Si rapprochement il doit y avoir, il doit être réalisé à partir de l’observation de normes actuelles répondant à de mêmes motifs. Or, une telle comparaison permet là encore de révéler la proximité des deux pays.
Des solutions similaires
16Afin de comparer aux mieux les normes d’inclusivité du langage françaises et québécoises actuellement en vigueur, on reprendra la catégorisation précédente reposant sur le motif poursuivi.
17Si l’on s’en tient au premier motif, à savoir féminiser le lexique (et éventuellement le texte), on constate aujourd’hui une identité entre la France et le Québec. En effet, la solution de principe est désormais la même : les appellations de personne doivent être féminisées. Cette position est exprimée le plus officiellement possible dans le dernier « avis de recommandation » de l’Office publié au journal officiel québécois. Il y est ainsi recommandé d’utiliser un nom féminin ou éventuellement un nom épicène (OQLF 2018a). Quant à la France, cette position se trouve exprimée à la fois par des circulaires du Premier ministre en vigueur (Premier ministre 1986, 1998, 2017), mais aussi depuis 2019 par l’Académie française qui s’y était encore formellement opposée en 2014 (Académie française 2014, 2019). Cet accord entre les deux pays existe également lorsque l’on examine les aménagements à ce principe, à savoir la possibilité de ne pas féminiser certains mots au motif, discutable, qu’ils seraient épicènes. Dans les deux pays, ces arguments sont à l’œuvre bien qu’ils ne portent pas toujours sur les mêmes mots. Si l’Office et le Haut Conseil semblent d’accord pour juger le terme « médecin » épicène, en l’absence d’usage actuel de la forme « médecine » ou « médecineuse » qui existait naguère (OQLF 2018a et HCE 2015), ces institutions sont en revanche en désaccord pour « chef » et « maire », compte tenu des usages de locutaires québécoiz* et françaiz*. L’Office juge épicène « chef » (OQLF 2018a), mais pas « maire » devant être féminisé en « mairesse » [14], là où le Haut Conseil promeut « cheffe », mais considère que « maire » est épicène (HCE 2015). Ces différences ne nous semblent pas significatives. Elles révèlent tout au contraire une semblable attitude de ces institutions qui, tout en cherchant à promouvoir un principe général de féminisation heurtant parfois les usages majoritaires, ne vont pas jusqu’à promouvoir des formes féminines qui ne seraient pas du tout employées.
18S’agissant du second motif – œuvrer pour la visibilité des femmes et lutter contre les stéréotypes –, on constate les mêmes difficultés en France et au Québec, même si elles se manifestent différemment. En effet, pour atteindre réellement cet objectif, il faut abandonner l’emploi du masculin générique dont l’existence entretient ou entretiendrait l’idée d’une supériorité des hommes sur les femmes. Cela suppose néanmoins de remettre en cause les usages d’une grande majorité de locutaires, d’où les hésitations des institutions normant la langue. Ainsi au Québec l’Office, tout en promouvant une rédaction épicène et en se gardant d’affirmer que le masculin serait une forme neutre, reconnaît toujours une fonction générique au masculin sans étendre cette habilité au féminin (OQLF 2018a). Quant à la France, l’on ressent ces hésitations lorsque l’on cherche à faire la synthèse des positions inconciliables exprimées par les différentes institutions normant la langue. D’un côté le Premier ministre, considérant que le « masculin est une forme neutre » et demandant dès lors à l’administration placée sous son autorité d’en user par principe « pour les termes susceptibles de s’appliquer aussi bien aux femmes qu'aux hommes » (Premier ministre 2017). De l’autre le Haut Conseil, pour qui « le neutre n’existe pas : un mot est soit masculin, soit féminin ». Ces hésitations franco-québécoises sont à rapprocher de celles sur les formes de doublets abrégés au moyen d’une parenthèse, trait d’union, point médian, point final, etc. Ces formes, qui peuvent apparaître comme un instrument indispensable pour lutter contre l’emploi du masculin générique compte tenu des carences des autres techniques d’inclusivité, heurtent néanmoins nombre de locutaires. Au Québec, l’Office avait en 2015 officiellement déconseillé ces formes abrégées par une note adjointe à l’avis de recommandation (OQLF 2015). Cependant, cette note a disparu de l’avis suivant qui ne prend donc plus position (OQLF 2018). Quant à la France, ces formes sont promues par le Haut Conseil (HCE 2015), tandis que le Premier ministre demande à son administration de ne pas en faire usage (Premier ministre 2017) et que l’Académie les rejette en parlant à leur propos de « péril mortel » pour la langue (Académie française 2017).
19Quant au dernier motif d’inclusion, la même frilosité se retrouve de part et d’autre de l’Atlantique. En effet l’Office, pas plus que le Haut Conseil, ne recommande l’usage de formes lexicales ou grammaticales dépassant explicitement la binarité, telles les formes utilisées dans le présent texte. Ainsi, dans son dernier « avis de recommandation » l’Office déconseille « le recours à ces pratiques rédactionnelles » nouvelles car la langue française « est riche et elle permet déjà l’emploi de formulations inclusives dans une approche personnalisée ». Quant au Haut Conseil, sans prendre position sur ces pratiques qui sont ignorées des autres sources contemporaines (Premier ministre 2017 ou Académie française 2019), il indique qu’elles ont été retenues dans d’autres pays comme la Suède, afin « de permettre à tou·te·s, et notamment aux enfants, de se projeter dans des termes non sexués ». On le voit, dans les deux pays les réactions restent mesurées, même si la prudence ne s’exprime pas de la même façon : l’Office s’intéresse expressément à ces minorités de genre, mais condamne toute pratique langagière nouvelle pour les désigner ; le Haut Conseil ne mentionne pas expressément ces minorités mais évoque ces pratiques sans prendre position.
20Au final, la comparaison des normes édictées par les actaires étatiques françaiz et québécoiz révèle des solutions similaires aux problématiques de l’inclusivité du langage. Si des différences existent, elles sont marginales (comme pour les termes épicènes) ou concernent moins le contenu des normes in fine promues que la manière dont ces normes sont promues. Alors qu’au Québec, l’Office est la seule autorité normative (québécoise [15]) à intervenir, en France agissent plusieurs autorités, aux positions souvent antagonistes. C’est cette différence quant aux autaires qu’il nous faut à présent développer.
Exposer les différences quant aux autaires des normes
21La comparaison des normes d’inclusivité du langage au prisme de leurs autaires, et non plus de leur contenu, laisse apparaître de nettes différences entre la France et le Québec. Alors qu’au Québec, une seule autorité produit des normes relatives à l’inclusivité du langage, avec l’accord tacite des autres actaires publiques susceptibles d’intervenir, existe en France une multitude d’actaires en conflit plus ou moins ouvert. Initialement, ces conflits opposaient le Premier ministre à l’Académie française ; à partir de 2013, le jeu d’actaires se complique avec l’arrivée du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. L’arrivée de cet acteur a une forte incidence sur les normes produites et modifie donc les termes de la comparaison. Pour bien mesurer les différences entre les deux pays, on étudiera d’abord la période antérieure à 2013, où l’on verra que les autorités produisant des normes d’inclusivité innovantes sont de nature opposée au Québec et en France, puis la période postérieure à cette date, au cours de laquelle l’opposition s’atténue.
1979-2014 : l’opposition franche des types d’autorité promouvant l’inclusivité
22Initialement, alors qu’au Québec les normes en faveur de l’inclusivité du langage sont édictées par un actaire étatique de nature technique (ou perçu comme tel [16]), en France elles sont le fait d’an* actaire étatique de nature politique, intervenant suite aux résistances de l’organe technique.
23Ainsi au Québec, à partir 1979, dans le prolongement des travaux du Conseil du statut de la femme [17] créé en 1973 et dans le contexte de la nomination de Lise Payette à la tête du ministère délégué à la Condition féminine nouvellement créé, l’Office de la langue française est le fer de lance de l’évolution de la langue française vers plus d’inclusivité des femmes (OLF 1979). Sollicité par des administrations plus sensibles à la condition féminine depuis la victoire de René Lévesque [18] aux élections générales de 1976, l’Office procède au moyen « d’avis de recommandations », préparés après 1981 en association avec « toutes les forces innovatrices de la société, autant du milieu universitaire, syndical que gouvernemental » (Vachon-L’Heureux 1992). Toute autre est la situation en France où l’évolution n’est pas impulsée par un organe étatique doté de compétences linguistiques particulières. En effet, l’Académie française, chargée par Richelieu de « travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences » (Premier ministre 1635), refuse de féminiser la langue et n’a de cesse, jusqu’à sa reddition partielle le 28 février 2019 [19], de freiner toute évolution en ce sens par diverses « déclarations », « discours », ou « mises au point » (Académie française 1984, 2002 et 2014 ; Druon 1999). Pour l’Académie, toute intervention en ce domaine serait perçue comme une atteinte à la pureté d’une langue française qu’il faudrait préserver (Baider, Khaznadar et Moreau 2007 et Viennot et al. 2016).
24Pour expliquer cette différence entre l’Office et l’Académie, on pourrait s’en tenir à des causes endogènes, tel le plus grand conservatisme de l’Académie, le poids de son histoire, ou encore ses critères de recrutement peu paritaire et avantageant davantage les écrivains en vue, que les spécialistes de la langue (Viennot et al. 2016). Il nous semble cependant qu’il faut aussi et peut-être avant tout tenir compte d’une cause exogène. Lorsque l’on examine les actaires étatiques susceptibles d’intervenir pour l’inclusivité du langage, il apparaît que le Québec présente un organe supplémentaire à la France. En effet, entre l’organe politique de premier plan qu’est le ministère délégué à la Condition féminine et l’organe d’expertise linguistique qu’est l’Office de la langue française, prend place un organe intermédiaire, mêlant expertise technique et projet politique de transformation de la société : le Conseil du statut de la femme (CSF). Or, nous l’avons vu, dès 1976 le CSF presse l’Office d’intervenir. À l’inverse, en France, un tel organe intermédiaire permanent n’existe pas, ce qui permet à l’Académie de défendre aisément le statu quo.
25Cela étant, même si cela va prendre quelques années et peut encore aujourd’hui donner l’impression d’un retard de la France sur le Québec (alors que les deux pays étaient en phase lors de l’avènement du féminisme d’État [20]), l’Académie finit par être contournée. En effet, à la suite de la victoire de la gauche à la présidentielle puis aux législatives, le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy, prenant conscience de l’inertie de l’Académie et constatant semble-t-il les progrès réalisés outre-Atlantique sur cette question [21], décide d’agir via le droit, en vertu du pouvoir réglementaire général dont dispose lu Premiær ministre [22]. Soucieux de légitimer les normes juridiques qu’il s’apprête à édicter, Pierre Mauroy va se procurer une expertise technique en dehors de l’Académie, en créant une « Commission de terminologie chargée de la féminisation des noms de métier et de fonction » (Premier ministre 1984). Il veille à la composition de cette commission en confiant réglementairement à Yvette Roudy le pouvoir de nommer la présidente – ce sera Benoîte Groult – et les personnalités qualifiées, parmi lesquelles figurera la linguiste Anne-Marie Houdebine [23]. Fort de cette expertise, le Premier ministre édicte ensuite la circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre. L’efficacité des normes juridiques ainsi créées est très limitée. La commission de 1984 qui en est à l’origine étant provisoire et ayant des compétences très restreintes – à la différence du Conseil (québécois) du statut de la femme –, elle ne peut pas veiller elle-même à leur exécution, ou à tout le moins les promouvoir auprès d’actaires de la société civile.
26Une deuxième tentative de contournement est tentée lorsque, avec le retour des socialistes au pouvoir, apparaît le deuxième objectif d’inclusivité du langage. Il n’est toutefois toujours pas recouru à la création d’un organe équivalent au Conseil du statut de la femme. À nouveau on use du procédé de 1986, à savoir commander un rapport à une commission de terminologie (Premier ministre 1998), à la différence que cette fois, la commande est adressée à une commission déjà existante, que l’on ne prend pas le temps de réformer : la Commission générale de terminologie et de néologie (COGETER). Or, créé en 1996 par un Premier ministre cette fois de droite [24], cet organe est, par sa composition et ses pouvoirs, placé sous la coupe de l’Académie française [25]. C’est donc sans surprise que le rapport rendu par la commission permanente (cogeter 1998) refuse toute nouvelle évolution. Non seulement ce rapport refuse toute féminisation des fonctions – moins pour des raisons linguistiques que politiques (Khaznadar 2016) –, mais en outre, il désavoue le rapport de la précédente commission que présidait Benoîte Groult. La tentative de contournement par le droit s’arrête là, Lionel Jospin n’ayant plus les moyens institutionnels de s’opposer à l’Académie. En guise de baroud d’honneur [26], il signe néanmoins la préface d’un guide de féminisation, commandé à un laboratoire du CNRS par la circulaire précitée de 1998 et formulant des recommandations (non juridiques cette fois) allant au-delà de celles de la cogeter (INLF 1999).
27On le voit, existe bien à cette époque une nette opposition entre la France et le Québec quant à la nature des organes étatiques produisant les normes d’inclusivité du langage – organe technique au Québec, organe politique en France. Ces différences rejaillissent sur la nature des normes produites. Alors que l’Office de la langue française édicte des normes étatiques non obligatoires – ce sont de simples avis –, les normes produites par les Premiers ministres français (de droite comme de gauche) sont quant à elles obligatoires [27]. En apparence, les secondes devraient donc être plus efficaces que les premières. La réalité est cependant plus complexe, voire inversée, une norme même obligatoire pouvant en effet être moins respectée qu’une norme qui ne l’est pas (Carbonnier 2001 : p. 136). Or, justement, l’édiction de la circulaire française de 1998 est justifiée par le constat que la circulaire de 1986 « n’a guère été appliquée jusqu’à ce que les femmes appartenant à l’actuel Gouvernement décident de revendiquer pour leur compte la féminisation du titre de ministre » [28] (Premier ministre 1986), constat partagé par la cogeter (cogeter 1998 : p. 2) ou des universitaires (Eskénasi 1998). À l’inverse, au Québec, la féminisation des titres (féminisation lexicale) a été bien accueillie et s’est ensuite bien implantée car elle n’a pas été perçue comme très contraignante pour les usagærs : on leur demandait des ajustements souvent mineurs, tel le féminin en -eure, et surtout on ne les y obligeait pas juridiquement (Arbour, de Nayves et Royer 2014). D’où l’impression que les normes québécoises d’inclusivité, bien que non obligatoires, ont été plus efficaces – du moins pour la féminisation du lexique [29] – que les normes françaises quant à elles obligatoires. La situation évolue cependant après 2013.
Après 2013 : l’opposition atténuée des types d’autorité promouvant l’inclusivité
28Progressivement, à partir de 2013, un rapprochement va s’opérer en France suite à l’apparition d’un nouvel acteur, dont l’indépendance par rapport aux actaires antérieurz sera plus tard reconnue [30] : le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), créé en 2013 sous l’impulsion du président de la République d’alors, le socialiste François Hollande, et de sa ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem [31]. En effet, prenant appui sur le travail déjà réalisé au sein de la fonction publique [32], ainsi que sur la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes qui, retenant une « approche intégrée » de l’égalité, enjoint à l’État et aux personnes publiques de lutter contre les « stéréotypes sexistes » (art. 1er, 3°), le Haut Conseil décide de produire un guide de communication non sexiste, avec l’appui de la ministre Vallaud-Belkacem. Après consultation de linguistes et d’actaires de terrain, le Haut Conseil publie en 2015 une première édition de ce guide, laquelle comprend notamment plusieurs normes non contraignantes d’inclusivité du langage. Le Haut Conseil s’attèle ensuite à la diffusion de ces normes, ce que n’avait pas pu faire la commission de 1984, faute de moyens propres. Le Haut Conseil met ainsi en place des conventions d’engagement proposées à la signature des autorités publiques désireuses d’appliquer à la lettre l’approche intégrée de l’égalité issue de la loi du 4 août 2014 précitée. Ce faisant, le Haut Conseil obtient un certain succès, puisque les pratiques qu’il recommande gagnent en légitimité et se développent considérablement dans l’espace public [33]. Ainsi, s’opère un net rapprochement entre la France et le Québec, puisque l’organe désormais à la pointe des normes d’inclusivité du langage n’est plus un organe gouvernemental agissant sur le terrain du droit, mais un organe moins politique produisant des normes non juridiques. Cela étant, deux différences importantes demeurent.
29Premièrement, la mission et la composition du Haut Conseil en font une institution d’une nature différente de l’Office. Sa mission première est en effet de veiller à l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans la langue, alors que la compétence de l’Office concerne seulement la langue. D’où des compositions différentes : des spécialistes de la langue à l’Office et de l’égalité hommes/femmes au Haut Conseil. L’institution française comparable à l’Office n’est pas le Haut Conseil, mais plutôt l’Académie, tandis que le Haut Conseil se rapproche davantage du Conseil pour le statut de la femme. Cette différence de nature entre l’Office et le Haut Conseil a par ailleurs (elle aussi) des incidences sur les normes édictées. En effet, par sa composition, l’Office est plus soucieux de respecter la structure traditionnelle du français et les usages (Arbour, de Nayves et Royer 2014), sans réelle cohérence du point de vue d’une politique égalitaire. Au contraire, le Haut Conseil accorde moins d’attention aux usages qu’à l’impératif d’égalité au cœur de sa mission. Pour schématiser, les critères de jugement de l’Office sont avant tout tournés vers le passé, ceux du Haut Conseil vers un lendemain désiré. D’où, souvent, des choix de normes plus inclusives pour le second que pour le premier. Tel est par exemple le cas, nous l’avons vu, des formes abrégées, promues par le Haut Conseil mais sur lesquelles l’Office, après les avoir un temps déconseillées, ne se prononce plus. Tel est aussi le cas des formes féminines en -eure que l’Office n’hésite guère à promouvoir dès lors que leur emploi est très répandu, alors que le Haut Conseil privilégie plus souvent des formes en -euse ou -trice, plus audibles, quand bien même leur usage serait minoritaire, soucieux qu’il est de contribuer à la visibilité des femmes. Dès lors, même si la capacité de l’Office à orienter l’usage vers une plus grande inclusivité est réelle, ses méthodes de travail le conduisent nécessairement à des solutions moins innovantes que celles auxquelles peut parvenir le Haut Conseil.
30La seconde différence tient au fait que l’arrivée en France de ce troisième acteur ne va pas mettre un terme à la concurrence entre les normes issues d’actaires différenz, aucane* des actaires du jeu normatif ne renonçant à exercer sa compétence. Ainsi, en 2014, alors qu’avec le renforcement du féminisme d’État par François Hollande et Najat Vallaud-Belkacem, de plus en plus de femmes politiques exigent au Parlement de voir leur fonction genrée au féminin, suscitant l’opposition de nombre d’élus de l’opposition, l’Académie française décide d’intervenir dans le débat en apportant son soutien à l’opposition (Académie française 2014). De même, lorsqu’éclate à la rentrée scolaire 2017 la controverse précitée sur « l’écriture inclusive », l’Académie intervient de nouveau pour refuser les pratiques d’inclusivité promues quant à elles par le Haut Conseil (Académie française 2017). S’installe alors une cacophonie gouvernementale, des membres du gouvernement se prévalant des normes non contraignantes de l’Académie, là où d’autres invoquent celles, également non contraignantes, du Haut Conseil. Le Premier ministre (de droite) décide alors d’intervenir, mais au moyen de normes cette fois juridiques (Premier ministre 2017). Dans la circulaire de 2017 précitée, il fait le choix d’une position médiane, donnant tort à l’Académie s’agissant de la féminisation des fonctions et de l’usage des doublets complets [34], mais se ralliant à elle pour ce qui concerne l’emploi du masculin générique et le rejet des formes abrégées. On le voit, de ce côté-ci de l’Atlantique la concurrence entre les actaires domine, en lien avec l’affrontement des majorités politiques droite/gauche, alors qu’outre-Atlantique l’Office est le seul acteur étatique à intervenir sur ce champ normatif et assez largement en dehors des clivages politiques. Cela s’explique par l’entente entre le gouvernement québécois et les institutions équivalentes à l’Académie française et au Haut Conseil. En effet, à la suite des élections générales de 1976 et de l’avènement d’un féminisme d’État incarné, le gouvernement québécois décide l’année suivante de confier au Conseil du statut de la femme, créé quatre ans plus tôt, une « étude en profondeur sur une politique d’ensemble de la condition féminine » [35]. Le Conseil, conscient que la question linguistique doit être traitée, décide néanmoins dans son rapport rendu en 1978 de laisser l’Office de la langue française s’en charger. Il incite ainsi dans ce rapport l’Office à agir pour « désexiser » la langue. Dès 1979, l’Office s’engage sur cette voie et profite de questions que lui adressent alors des administrations sur la féminisation de l’affichage des postes pour intervenir, en promouvant des évolutions de la langue (Bouchard 1999).
31Si ces évolutions ne sont pas révolutionnaires, elles satisfont manifestement le Conseil et la ministre Payette, qui ne jugent pas opportun d’intervenir. Par la suite, l’Office a eu l’intelligence de diversifier les types de normes édictées, lui offrant par-là même plus de liberté dans ses recommandations. Ainsi, s’il défend généralement une position relativement consensuelle (et conservatrice) dans ses « avis de recom-mandation » publiés à la Gazette officielle du Québec, il sait en revanche se montrer plus ouvert et innovant sur son site internet, grâce à une rubrique de la Banque de dépannage linguistique : « Dans les coulisses de la langue ». Cette rubrique rassemble en effet, selon les mots même de l’Office, « des articles rédigés avec une plus grande liberté éditoriale que les autres articles de la BDL » (OQLF 2018b). Cette diversité des normes produites fait que l’Office occupe pratiquement tout le terrain idéologique, limitant les velléités que pourraient avoir d’autres actaires étatiques d’intervenir sur ce champ normatif. Ainsi, aujourd’hui encore, si le Conseil du statut de la femme a bien sa propre Politique linguistique, avec un volet sur l’inclusivité, ce volet demeure très imprécis. Le Conseil y recommande seulement l’usage d’une « écriture épicène et inclusive » (CSF 2018 : §3.1.1.), invitant implicitement son auditoire à se tourner vers l’Office pour plus de détails. Cet arrangement institutionnel est par ailleurs explicité à un autre endroit du document lorsqu’il est indiqué que toute révision de cette politique linguistique est soumise à l’Office.
32⸫
33On le voit, le jeu d’actaires entre la France et le Québec est fort différent et tout semble indiquer, au regard du caractère très polarisé des questions d’inclusivité du langage en France, qu’il le restera encore longtemps. Cela étant, ces différences dans les jeux d’actaires ne devraient guère, demain pas plus qu’hier, se traduire par des normes d’inclusivité du langage au contenu différent. L’on peut imaginer ainsi que l’Office continuera à soutenir des positions audacieuses sur son site internet et plus mesurées pour celles publiées à la Gazette du Québec, tandis qu’en France le Haut Conseil – qui travaille actuellement sur une troisième édition de son guide – devrait continuer à être à l’avant-garde de l’inclusivité, l’Académie à l’arrière-garde et le Premier ministre au milieu, plus ou moins proche de la tête ou de l’arrière selon sa couleur politique. Dans les deux pays, les locutaires devraient donc conserver pour encore longtemps quelques libertés dans les normes d’inclusivité à appliquer.
Références
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Mots-clés éditeurs : minorités de genre, rédaction épicène, langage inclusif, féminisation, droit comparé
Date de mise en ligne : 25/01/2021
https://doi.org/10.3917/cdge.069.0151Notes
-
[*]
Voir la note 2 de l’article.
-
[1]
« L’écriture inclusive, un débat déjà vieux de 40 ans au Québec », Courrier international, 23 novembre 2017.
-
[2]
L’astérisque signale la première utilisation d’un mot accordé suivant le genre commun proposé dans Alpheratz 2018.
-
[3]
Pour une comparaison des usages, voir Arbour, de Nayves et Royer 2014 et pour celle des normes édictées par des actaires non étatiques voir notre étude à paraître aux Presses de la Sorbonne Nouvelle, dans les actes du colloque « Entre masculin et féminin. Approches contrastives dans les langues romanes ».
- [4]
-
[5]
Cf. Alpheratz 2018 ; pour une approche différente cf. Ashley 2019.
-
[6]
Le terme sera également utilisé ci-après pour désigner l’Office québécois de la langue française, nom ensuite donné à l’ancien Office de la langue française.
-
[7]
Ainsi, alors qu’en 1979 l’Office se contentait de donner des règles pour la féminisation du lexique, en 1981 il entend régir aussi la féminisation du « texte » en promouvant notamment le recours à des formes impersonnelles et à des termes épicènes mis au pluriel.
-
[8]
L’examen des travaux préparatoires des lois du 19 novembre 1982 sur les élections municipales ou du 13 juillet 1983 sur l’égalité salariale montrent que l’on parle à l’époque plus de « quota de sexe » que de parité. Ce dernier terme est néanmoins utilisé une fois pour désigner une liste composée à égalité de femmes et d’hommes (JOAN débats, 3e séance du 27 juillet 1982, p. 4914).
-
[9]
La révision constitutionnelle permettant de favoriser l’égale visibilité des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives interviendra en effet le 8 juillet 1999, quelques semaines après la publication du guide de l’INLF paru, quant à lui, au mois de juin.
-
[10]
Au niveau fédéral, sous l’influence anglo-saxonne, ce deuxième motif apparaît cependant avant 1999 avec la publication par l’éditeur fédéral d’un Guide du traducteur, recommandant notamment de « rendre les femmes plus visibles dans la communication » (Bureau de la traduction 1996 : § 9.1).
-
[11]
Les innovations grammaticales ne sont pas évoquées, mais il est vrai que leur systématisation en grammaire est bien plus récente (Alpheratz 2018).
-
[12]
Il est courant de distinguer la féminisation lexicale (ou orthographique) de la féminisation du texte (ou grammaticale). La première se concentre sur la féminisation de nom de métiers, dont on va modifier l’orthographe pour les formes féminines ; la seconde cherche à féminiser l’ensemble du texte, en particulier via une féminisation des règles de grammaire.
-
[13]
Cette pratique a été majoritairement suivie par les entreprises qui ont pu ainsi à moindre frais prétendre avoir féminisé leurs textes. D’où l’abandon de cette note explicative lorsque l’Office va produire des normes motivées par le souci d’égale visibilité (OQLF 2015).
-
[14]
OQLF, « Madame la mairesse », Dans les coulisses de la langue, 2018 http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=5360.
-
[15]
Pour cette étude on s’est limité aux normes produites par les autorités publiques québécoises. Pour une étude plus large intégrant également les normes fédérales applicables au Québec, voir notre contribution citée supra dans la note 3.
-
[16]
Ainsi l’on pourrait discuter du caractère réellement technique de l’Académie compte tenu de sa composition évoquée infra. Il n’en demeure pas moins qu’elle est perçue comme telle par la majorité des Françaiz.
-
[17]
Conseil du statut de la femme, Pour les Québécoises : égalité et indépendance, éditeur officiel du Québec, 1978, p. xxi de l’avant-propos où les autaires du rapport soulignent que « [l]a langue française et son vocabulaire peu ‟féministe” nous ont causé certains problèmes » et que « [p]arallèlement à la francisation des entreprises, la ‟désexisation” de la langue française s’impose et devrait être un objectif de l’Office de la langue française ».
-
[18]
Premier ministre du Québec de 1976 à 1985.
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[19]
Académie Française 2019 et, pour le décryptage de ce rapport, Viennot 2019.
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[20]
Ainsi, en 1976, sont créés dans les gouvernements canadiens et français des organes gouvernementaux de coordination des politiques d’égalité : Condition féminine Canada (décret 1976-779) d’un côté et lu déléguæ* à la condition féminine en France (décret 76-878 du 21 septembre 1976). Quant au Québec proprement dit, c’est en 1979 qu’est créé le poste de ministre déléguæ à la Condition féminine, luquel* est secondæ* par un secrétariat à la Condition féminine.
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[21]
Cf. l’entretien donné à Antenne 2 par Benoîte Groult (Groult 1984 : 1’20), à l’occasion de sa nomination à la présidence de la commission de terminologie évoquée ci-après, et où elle souligne l’anormalité des pratiques françaises de féminisation au regard de celles en usage au Québec.
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[22]
Art. 20 et 21 de la Constitution.
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[23]
Nous n’avons trouvé aucune trace de la composition de la commission ni de son rapport ; la présence d’Anne-Marie Houdebine est cependant mentionnée en introduction d’un débat retranscrit autour d’un de ses livres : Marlaine Cacouault et al., « Autour du livre de Anne-Marie Houdebine La féminisation des noms de métiers », Travail, Genre et Société, 2000/1, 3.
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[24]
Premier ministre, Décret n° 96-602 du 3 juillet 1996 relatif à l'enrichissement de la langue française.
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[25]
Voir le décret, n° 96-602 du 3 juillet 1996 précité, spé. art. 2 lui conférant une place prééminente dans sa composition et art. 9 permettant à l’Académie de s’opposer à tout enrichissement qu’elle désapprouverait. Sur la mainmise de l’Académie sur cette commission voir Khaznadar 2016.
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[26]
Tout en rappelant la position de la cogeter selon laquelle « lorsque les textes visent une fonction, et non la personne qui remplit cette fonction, l’emploi du masculin est conforme à la règle », Lionel Jospin fait la promotion d’un ouvrage qui « montre que, contrairement à certaines idées reçues, il n’y a pas de difficulté à féminiser la plupart des […] fonctions » ; et d’ajouter que « le français l’a fait couramment jusqu’au siècle passé ». D’où sa conviction « que ce guide sera utile à tous ceux qui souhaitent faire avancer la cause de la féminisation ».
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[27]
Même si la position du Conseil d’État a évolué sur la valeur des circulaires (CE, Ass., 29 janv. 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker, n° 07134 ; puis CE, Section, 18 déc. 2002, Duvignères, n° 233618), les circulaires sur la langue évoquées plus haut auraient bien été considérées comme posant des normes obligatoires. Telle fut d’ailleurs la position de cette juridiction à propos de la circulaire de 2017 précitée (CE, 28 février 2019, Association GISS et Mme Fourtic, n° 417128).
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[28]
C’est en effet initialement pour garantir le droit aux femmes ministres de son gouvernement d’être appelées « Madame la ministre » que Lionel Jospin, avec l’aval du Président Jacques Chirac, reprit le chantier de l’inclusivité du langage (Rivais 1997).
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[29]
La réelle féminisation des textes, dite aussi féminisation grammaticale, est en revanche particulièrement rare car elle implique des modifications plus visibles et complexes (Elchacar 2019).
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[30]
Parlement français, Loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, n° 2017-86, 27 janvier 2017, art. 181, posant l’indépendance du Haut Conseil par rapport au Premier ministre auquel il demeure encore formellement rattaché.
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[31]
Décret n° 2013-8 du 3 janvier 2013 portant création du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
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[32]
Ainsi, en application du contrat conclu le 8 mars 2013 entre la ministre de la Réforme de l’État et les différentes organisations professionnelles de la fonction publique (Protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique) où il était recommandé d’avoir une communication non stéréotypée, ladite ministre a pris une circulaire soulignant que l’affichage des postes devait viser « indifféremment les femmes et les hommes » (Circulaire du 8 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du protocole d’accord du 8 mars 2013 relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique).
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[33]
Une étude quantitative mériterait d’être faite sur ce point. On peut d’ores et déjà consulter la liste grandissante des signataires de cette convention (http://bit.ly/2n9upQ7) ou relever le nombre croissant de publicités commerciales en faisant l’usage.
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[34]
Le Premier ministre indique ainsi que les fonctions doivent être féminisées et qu’il convient pour les appels de postes d’user de doublets (« candidates et candidats »), ce que l’Académie au contraire refusait (Académie 1984, 2002 et 2014), estimant que les fonctions ne devaient pas être incarnées dans un genre particulier et qu’il fallait donc se contenter pour celles-ci, comme pour la désignation des groupes de personnes indéterminées en genre, du masculin générique.
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[35]
Réunion du Conseil des ministres, La condition féminine, décision no 77-168, 18 mai 1977, cité dans CSF 1978, p. xvii.