Notes
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Les Cahiers du Genre envisagent de republier, dans un prochain numéro, des articles issus de cet atelier : Bruno Lautier, « Forme de production capitaliste et ‘procès de travail domestique’ ». Critiques de l’économie politique, nouvelle série, n° 1, octobre-décembre 1977, p. 61-90 ; Françoise Bourgeois et al., « Travail domestique et famille du capitalisme ». Critiques de l’économie politique, nouvelle série, n° 3, avril-juin 1978, p. 3-23.
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Cahiers du gedisst « Stratégies familiales et emploi. Perspective franco-brésilienne », n° 4, 1992.
1C’est avec stupéfaction d’abord, puis avec une infinie tristesse, que le Comité de lecture des Cahiers du Genre a appris le décès brutal, à 64 ans, d’un de ses membres, Bruno Lautier. Il était pour nous un collègue très apprécié sur le plan intellectuel, mais aussi un ami, quelqu’un à qui on pouvait faire appel en toute confiance pour participer à la coordination d’un numéro de la revue, d’un colloque, à un jury de thèse, pour évaluer un article ou tout autre ‘service’ entre chercheur·e·s. Difficile de réaliser que nous avons perdu un ami si généreux, si disponible, si ouvert.
2Bruno était très proche de nous, qui travaillons dans le domaine des rapports sociaux de sexe, par ses intérêts de recherche : l’économie du travail domestique, d’abord, avec sa thèse d’État soutenue à 26 ans, l’informalité dans le travail et l’économie, la domesticité, le développement, son histoire et son ‘genre’, ou encore la dialectique entre mondialisation, travail et genre. Sur toutes ces questions majeures de recherche pour nous, féministes, Bruno a dirigé un grand nombre de thèses de chercheuses aujourd’hui pleinement reconnues dans le domaine du travail, du genre et du développement.
3Il s’impliquait dans le travail invisible, avec générosité, modestie et la simplicité de l’évidence. Rien ne lui faisait peur, rien ne le rebutait, malgré les innombrables responsabilités qu’il assumait à l’iedes, à la Revue Tiers Monde et dans une longue liste de comités, de jurys et de commissions. Pour celles et ceux qui ont eu l’occasion de travailler avec lui sur d’autres projets, comme c’est le cas de beaucoup d’entre nous, une chose est sûre : Bruno perdait rarement son flegme et sa bonhomie un peu distante. Tout était toujours possible : raccourcir le texte pour après-demain, signer le pv de jury pour avant-hier, présider une table ronde au pied levé ou écrire une synthèse intelligente sur trois textes d’économie féministe.
4Oui : sur l’économie féministe. Car Bruno avait un intérêt sincère et informé pour ce que certain·e·s appellent les minoritaires : les peuples du Tiers Monde bien sûr, mais aussi les femmes et parmi elles, les travailleuses domestiques — à propos desquelles il avait, avec Blandine Destremeau, coordonné un passionnant numéro spécial de la Revue Tiers Monde. Il a en particulier émis l’hypothèse audacieuse d’une cécité voulue des chercheuses féministes latino-américaines à la problématique du service et de la servitude des travailleuses domestiques. Bruno s’intéressait intellectuellement à la situation des femmes et aux problématiques liées aux rapports sociaux de sexe, non par effet de ‘mode’ ni pour récupérer quelques miettes du gâteau sans se soucier un seul instant d’enlever le pain de la bouche des femmes — comme bien d’autres qui n’y connaissent goutte mais sont prompts à se déclarer spécialistes de ce champ — mais pour faire avancer la discussion. Il ne prétendait pas accaparer le domaine. Mais depuis des années, il lisait, écoutait, travaillait autour des questions qui lui tenaient à cœur à l’intérieur de ce champ, notamment l’économie, le travail domestique et les questions de mondialisation. Il a coopéré activement au travail de discussion et de rédaction autour du colloque au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en 2007, intitulé « Genre et mondialisation ». Il était, en France, le seul homme ayant réellement les connaissances pour intervenir sur ce thème et fut donc le seul auteur parmi vingt-deux femmes dans l’ouvrage issu de ce colloque. Bruno reconduisait ainsi des aventures intellectuelles antérieures, comme la participation à l’atelier « Travail domestique » du colloque de l’acses « Travail » en 1977, colloque pionnier en France sur le travail domestique et la division du travail entre les femmes et les hommes [1] ; comme la participation aux échanges entre le gedisst et l’Université fédérale de Rio de Janeiro – Brésil – (accord cnrs-cofecub 1990-1993) [2].
5Aujourd’hui, si nous regardons en arrière, répétons-le : nous avons toujours pu compter sur Bruno, sur son appui intellectuel et moral, mais aussi pratique. Sur son soutien actif, même lorsqu’il ne partageait pas nécessairement — ou ne connaissait pas encore — les orientations théoriques développées. C’était un homme curieux, ouvert et serein. Un homme qui n’avait pas peur des femmes, qui pouvait les traiter comme des égales et qui voyait toute l’importance intellectuelle et politique des études féministes. Son départ laisse un grand vide. Nous espérons que dix autres se lèveront pour poursuivre son travail et faire vivre ce à quoi il croyait. En voyant toutes les étudiantes et les étudiants qu’il a formé·e·s dans différentes universités et sur trois continents, nous avons bon espoir. La relève est assurée. Alors même si nous avons le cœur serré, nous pouvons te dire : bon voyage, Bruno, dans les régions mystérieuses que tu as rejointes, bon voyage et merci pour ton travail, ta générosité et ton exemple.
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[1]
Les Cahiers du Genre envisagent de republier, dans un prochain numéro, des articles issus de cet atelier : Bruno Lautier, « Forme de production capitaliste et ‘procès de travail domestique’ ». Critiques de l’économie politique, nouvelle série, n° 1, octobre-décembre 1977, p. 61-90 ; Françoise Bourgeois et al., « Travail domestique et famille du capitalisme ». Critiques de l’économie politique, nouvelle série, n° 3, avril-juin 1978, p. 3-23.
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[2]
Cahiers du gedisst « Stratégies familiales et emploi. Perspective franco-brésilienne », n° 4, 1992.