Notes
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[1]
Les sigles utilisés dans cet article afin de préciser l’origine des argumentaires de vente cités seront les suivants : car (Carrefour), lgr (La Grande Récré), tru (Toys’R’Us) et jc (Joué Club). Les deux chiffres accolés au sigle préciseront l’année de publication. Exemple : car09 correspond au catalogue Carrefour de Noël 2009.
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[2]
Vrai* c’est-à-dire : vrai, vraie, vrais, vraies, vraiment.
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[3]
Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’activité de caissière est très représentée avec tous les accessoires appropriés à la tâche : caisse, tapis, micro, scanner pour les codes-barres, balance, appareil à carte bleue, panier. « Tout pour jouer à la marchande » sans pourtant que le terme de « caissière » (ni d’ « hôtesse de caisse ») n’apparaisse une seule fois. Le terme, et l’imaginaire industriel et d’exécution auquel il renvoie, serait-il dépréciatif par rapport à l’activité traditionnelle de la marchande ?
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[4]
Notons qu’il s’agit plus souvent pour les garçons de jouer avec une figurine évoluant dans un univers lui-même miniaturisé et pour les filles de devenir leur propre personnage en jouant avec des objets grandeur nature (poupon, cuisine, tête à coiffer).
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[5]
L’apparition de garçons dans les pages « filles » et plus spécifiquement dans la cuisine ne signifie pas toujours mixité des tâches domestiques, car comme on peut le voir sur l’une des images du catalogue Toys’R’Us 2009, le petit garçon attend son repas, couverts dans les mains, en observant son assiette vide qui se trouve devant lui, pendant que la petite fille est en train de cuisiner.
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[6]
47,5 % selon l’insee, Enquête Emploi.
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[7]
Les poupons peuvent ‘officiellement’ (c’est-à-dire selon la prescription du catalogue sous la forme du type « Dès … mois / ans ») être « câlinés » dès 18 mois, voire plus tôt.
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[8]
Le mot « sécurité » apparaît d’ailleurs 11 fois dans le corpus féminin contre 0 fois dans le masculin.
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[9]
Ils pleurent (45) néanmoins, mais cela n’est pas présenté comme une situation problématique : à aucun moment n’est évoqué le fait que la mère doive en déterminer la cause puis trouver une solution, contrairement aux jouets de garçons qui présentent ce genre de situations comme des défis à relever.
« Dormir » : plus exactement, ils s’endorment (11) et ont des « yeux dormeurs » (6). -
[10]
Ou parfois ils amènent la petite fille à parler, comme dans : « Louna mon bébé interactif : frappe dans tes mains pour la réveiller et Louna chante avec toi et te répond quand tu lui parles. »
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[11]
La finition des voitures pour garçons est plus travaillée puisque, comme nous l’avons mentionné, c’est la qualité technique qui est essentielle dans les jouets masculins qui doivent reproduire le plus fidèlement possible la réalité technique des objets miniaturisés.
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[12]
« Le tuning, ou la préparation automobile, est la modification d’un véhicule de série : automobile, moto, vélo, scooter, etc. Dans certains cas, le but est d’améliorer les performances d’un véhicule ou son confort (parfois les deux), dans d’autres il s’agit simplement de le personnaliser. » Aujourd’hui, le tuning mise beaucoup sur la « recherche sur l’apparence du véhicule et l’ajout d’équipements » (Wikipedia, 01/2010).
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[13]
La « Fête des fous » au Moyen Âge, par exemple.
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[14]
Bourdieu définit l’hexis corporelle comme une « mythologie politique réalisée, incorporée devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher, et par là, de sentir et de penser » (1980).
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[15]
Pour plus d’informations : http://www.image-zafar.com/index_alceste.htm.
Ces objets qui ont toujours, en principe, une fonction, une utilité, un usage, nous croyons les vivre comme des instruments purs, alors qu’en réalité ils véhiculent d’autres choses, ils sont aussi autre chose : ils véhiculent du sens [...]. Il y a toujours un sens qui déborde l’usage de l’objet.
1L’existence d’un clivage entre les jouets adressés aux garçons et ceux adressés aux filles apparaît rapidement au promeneur amené à déambuler dans les rayons des magasins de même qu’au lecteur feuilletant des catalogues : la plupart des distributeurs propose en effet des espaces catégoriels dans lesquels la différence, peu équivoque, se matérialise par des jouets attribués spécifiquement à chaque sexe par le biais notamment d’un étiquetage des rayons et rubriques en « garçons » et « filles » et une surreprésentation des couleurs bleu et rose. Si ces objets de l’enfance permettent de rendre lisibles les catégories de genre en mettant au jour une partie de leur contenu, ils participent dans le même temps à leur construction, leur cohérence interne et leur maintien dans le temps en diffusant des représentations sexuées de l’ordre social. Nous nous attacherons donc à mettre en évidence ce que les jouets nous apprennent de la construction du genre tout en analysant leur contribution propre à l’existence et à la pérennité des catégories ‘garçons’ et ‘filles’. Pour ce faire, l’entrée par le discours linguistique et iconique sera privilégiée, l’enquête s’appuyant sur un corpus constitué de catalogues de jouets édités à Noël par des enseignes de grande distribution (Auchan, Carrefour, Leclerc) et spécialisées dans le jouet (Fnac Éveil & Jeux, Joué Club, La Grande Récré, Toys’R’Us) [1]. Nous utiliserons notamment des techniques d’analyse statistique de données textuelles afin de faire apparaître les récurrences et oppositions lexicales entre les argumentaires de vente présentant les jouets adressés aux garçons et aux filles (voir encadré méthodologique). Nous mettrons tout d’abord en évidence ce qui oppose les mondes ludiques des premiers et des secondes avant de les comparer au monde réel afin de déterminer si les inégalités inscrites dans les jouets sont le reflet des inégalités sociales. Puis nous examinerons plusieurs dichotomies qui apparaissent comme étant au fondement des catégories de genre telles qu’extérieur/intérieur, danger/sécurité et compétition/coopération. Enfin, nous porterons notre regard sur les spécificités sexuées de deux catégories de jouets : les voitures et les déguisements.
L’objet et ses mises en discours : des mondes qui s’opposent
2L’inscription de la différence sexuée dans les jouets a été mise en évidence par plusieurs chercheurs (Belotti 1973 ; Tap 1985 ; Vincent 2001 ; Brougère 2003 ; Chaumier 2003 ; Baerlocher 2004). Celle-ci se matérialise parfaitement dans l’opposition statistiquement significative entre le lexique contenu dans les argumentaires de vente de jouets adressés aux garçons et celui associé aux jouets destinés aux filles, le clivage entre les signifiants étant révélateur de celui qui sépare les signifiés. La mise en discours des jouets apparaît ainsi fortement ségréguée : la grande majorité des termes contenus dans les pages « garçons » des catalogues de jouets n’apparaît que dans les pages « garçons », et réciproquement pour les pages « filles ». Les mondes lexicaux masculins gravitent autour des véhicules (voiture, avion, hélicoptère) et de leur description technique (turbo, vitesse, infrarouge). Ils sont également constitués de figurines articulées qui représentent fréquemment des super-héros, sont armées et prêtes au combat dans des décors qui sont couramment des châteaux. De nombreux univers de combat sont reproduits en miniature et peuplés de chevaliers, dragons ou dinosaures. Les mondes lexicaux féminins concernent, quant à eux, majoritairement les poupons et de nombreux accessoires permettant aux petites mamans de s’occuper de leur bébé (poussette, biberon), du ménage et de la cuisine. Les poupées, le plus souvent des poupées mannequins, sont également fortement représentées et liées au rêve (magie, fée) ainsi qu’à l’apparence physique et à la mode (coiffure, maquillage). Cette distinction entre jouets de garçon et jouets de fille mise au jour par le discours linguistique est amplifiée par un discours iconique spécialisé omniprésent dans les espaces de commercialisation de ces objets de l’enfance. Si les argumentaires de vente ne sont pas toujours lus, les nombreux codes visuels transmettent quant à eux un message immédiatement lisible sur l’ordre sexué dont la multiplicité des médias (couleurs et teintes des jouets, boîtes de jouets, allées des magasins et pages des catalogues) renforcent le poids. Les espaces majoritairement bleus possèdent des formes anguleuses (qui représentent des flammes par exemple) et sont peuplés de petits garçons, tandis que les espaces roses possèdent des formes arrondies (cœurs, nuages) et sont investis de petites filles.
Le message linguistique sert de fonction d’ancrage au message iconique en ce sens qu’il permet bien souvent de lever toute ambiguïté quant au sexe des enfants à qui s’adresse chaque jouet. S’il nous renseigne sur le contenu des catégories de genre, il nous permet également de remarquer qu’il existe au sein de ces espaces des interstices qui semblent au premier abord se caractériser par une indifférenciation sexuée. Le terme ‘eau’ apparaît ainsi globalement dans les mêmes proportions chez les garçons et chez les filles, qui sont tout autant amenés à en utiliser dans leurs jeux. Ils ne mobilisent toutefois pas cet élément de la même manière, puisque l’eau permet l’aventure et le combat chez les premiers (elle est une arme ou un milieu à maîtriser : un « lance-eau », un véhicule qui « roule sur terre, sur l’eau et sous l’eau », un « crabe qui s’attaque à tous les milieux » dont l’eau – tru05) lorsqu’elle est essentiellement utilisée pour gérer le quotidien chez les secondes (elle est un élément utilitaire ou magique, qui permet aux mamans de baigner leur bébé et d’utiliser leur lave-linge et aux apprenties cavalières de changer la couleur de la crinière de leur cheval). De la même manière, les roues et poignées ‘masculines’ sont des pièces de véhicules techniques miniaturisés tels que des voitures, des avions et leurs joysticks, alors que chez les filles elles appartiennent à des ‘véhicules’ domestiques de taille réelle tels des poussettes et landaus. En outre, certains mots généralement associés à un sexe dans les catalogues de jouets peuvent parfois apparaître dans les pages dédiées à l’autre sexe ; mais une lecture plus fine laisse apparaître que ce phénomène engage davantage la polysémie des mots qu’une éventuelle absence de marquage sexué. Les ‘ordinateur’ et ‘console’ des pages adressées aux filles correspondent ainsi à une « caisse enregistreuse avec un véritable ordinateur » (lgr06) et à une « console électronique pour scanner les codes-barres » (lgr07). De plus, le mot ‘batterie’ est très présent dans les pages adressées aux garçons pour indiquer la présence dans la boîte de jouet de cet élément essentiel au fonctionnement d’un matériel technique qui demande beaucoup de puissance ; pour leurs jouets électriques peu puissants, les filles se contenteront de piles et la seule batterie qu’elles seront amenées à utiliser correspond à leur « batterie de cuisine en métal » (tru05, tru06, car06).
L’exacerbation des inégalités de sexe et l’injonction à leur reproduction
3On peut dès lors se demander si les jouets, qui misent beaucoup sur la différence de sexe, sont un reflet du monde réel ou s’ils exacerbent la division des sexes. Les discours mettent plutôt l’accent sur la fidélité de la reproduction ; « vrai* [2] » apparaît ainsi très fréquemment dans le corpus et ce, cinq fois plus chez les filles (76 fois contre 16 fois). Le poupon « pleure de vraies larmes », l’aspirateur « aspire vraiment », on peut « faire ses courses comme dans un vrai supermarché » et même utiliser « une pelleteuse plus vraie que nature ». Les jouets forment un microcosme dans lequel les protagonistes exercent des activités professionnelles et de loisirs empruntées au monde adulte. Les métiers exercés par les personnages représentés dans les espaces dédiés aux garçons sont souvent très physiques, nécessitent un véhicule, parfois une arme et très souvent du courage pour faire face aux dangers : soldats, ouvriers de chantier, pompiers, garagistes, policiers, chauffeurs routiers, fermiers ou encore pilotes de ligne et de rallye. De leur côté, les filles sont marchandes de quatre saisons et caissières [3], mais exercent surtout de nombreuses activités traditionnellement féminines qui peuvent se décliner sous la forme de métiers : s’occuper d’enfants (puéricultrices, baby-sitters, institutrices), effectuer le travail domestique (cuisinières, femmes de ménage, aides à domicile), (se) faire belles (mannequins, coiffeuses, esthéticiennes) [4]. Si la frontière entre travail productif et travail reproductif est incertaine chez les filles, les activités sont toutefois présentées comme relevant du domaine domestique plus que du domaine économique ; les petites filles sont avant tout présentées comme des petites mères : le poupon « reconnaît sa maman » et « t’appelle maman » (tru05). Le message sur l’ordre sexué est ainsi le même que dans les albums illustrés proposés aux enfants ; ici aussi, « la fonction maternelle [...] apparaît comme le modèle dominant de l’adulte féminin » (Brugeilles et al. 2002).
4Si les jouets semblent représenter la réalité avec son lot d’inégalités, ils n’en représentent en fait qu’une partie, la plus sexuellement différenciée, celle qui correspond aux représentations stéréotypées des adultes (Vincent 2001). Tout d’abord, ce ne sont que les métiers ultra-masculinisés ou ultra-féminisés qui sont proposés comme modèles aux enfants ; entre ces deux extrêmes, la réalité est totalement ignorée. Par ailleurs, la part, aussi réduite soit-elle, du travail domestique et du soin aux enfants effectuée par les hommes est quasiment niée. Les hommes ne s’occupent jamais des enfants, et les seules tâches qui leur sont autorisées dans le cadre du foyer sont le bricolage, qui apparaît dans les espaces dits ‘masculins’ des catalogues, et plus ponctuellement les courses et la cuisine [5], qui font partie des espaces dits ‘féminins’. De la même manière, alors même que les femmes représentent près d’un actif sur deux en France en 2008 [6], leur participation à la vie économique est mise de côté dans les jouets, puisque les activités féminines renvoient presque exclusivement à la sphère domestique. Le fait que les seuls métiers que les femmes soient susceptibles d’exercer dans le monde des jouets se situent dans le prolongement de leurs activités esthétiques et domestiques semble les déposséder de la possibilité d’avoir des qualifications professionnelles distinctes des ‘qualités féminines’, souvent considérées comme ‘naturelles’, et utilisées gratuitement dans la sphère privée (Kergoat 1978). Dans cette perspective, les jouets contribuent à leur niveau à l’idée selon laquelle « les femmes ont un emploi alors que les hommes ont un métier » (Maruani, Nicole 1989) ainsi qu’aux discriminations qui peuvent en résulter, notamment en termes de dévalorisation du travail et de différences salariales.
5Mais les jouets ne font pas qu’exacerber les rôles traditionnels de genre, ils encouragent activement leur reproduction. La petite fille est ainsi exhortée à reproduire une situation inégalitaire en prenant comme modèle la situation inégalitaire qu’elle est censée pouvoir observer dans sa famille. Pour ce faire, elle possède une « poussette 3 roues ‘Maxi-Cosi’, la même que maman ! » (tru07), un « chariot de supermarché garni pour faire ses courses comme maman » (car06) ainsi qu’un chariot de ménage :
Ce procédé peut avoir de multiples effets. Tout d’abord, comme il prend place dans un univers ludique dans lequel les apprentissages se font en douceur, les activités domestiques apparaissent comme un jeu et sont par conséquent investies de sentiments positifs : s’occuper des enfants et faire le ménage est amusant et attractif et peut ainsi devenir désirable. En outre, le monde des jouets est présenté comme reproduction miniaturisée fidèle au monde des adultes et fortement connectée à celui-ci : la petite fille peut faire « comme maman » grâce à tous les accessoires du monde réel mis à sa disposition, et même mieux, « avec maman », puisque cette dernière est censée effectuer régulièrement le même type d’activités que celles présentées dans les jouets. Ces jouets d’imitation peuvent ainsi alimenter une certaine ‘complicité féminine’ s’articulant autour d’objets communs (aspirateur par exemple), tâches (ménage), lieux (cuisine) et personnes (bébés). De cette manière, les enfants intègrent des informations sur la division sexuée des pratiques sociales dans le monde réel, développent des goûts et des aspirations qu’ils pourront bientôt mettre en pratique dans le monde ludique et dans le monde réel. Par un effet de prophétie auto-réalisatrice, les parents, observant que leurs enfants manifestent dès le plus jeune âge [7] des intérêts divergents en fonction de leur sexe, pourront avoir tendance à naturaliser ces différences du fait de leur apparition précoce, « [oubliant] que ce comportement n’est que le résultat de leurs instructions, [ils crieront] au ‘miracle biologique’ : si petite, elle a déjà l’instinct maternel » (Belotti 1973).Aide maman à chasser la poussière avec ce chariot de ménage et son aspirateur à effets sonores et fonctions réalistes.
Investir l’espace et le temps : immédiateté du foyer et conquête dynamique de l’espace public
6Les jouets adressés aux garçons misent sur l’activité et l’extérieur alors que ceux pour filles sont axés sur la passivité et l’intérieur (Belotti 1973 ; Brougère 2003 ; Baerlocher 2004). Cette dichotomie se matérialise notamment dans les catalogues par des arrière-plans représentant d’un côté une ouverture sur le monde (l’espace, des villes vues du ciel, cartes du monde, forêts, déserts, etc.) et de l’autre l’univers domestique (un intérieur de chambre de bébé, papier peint et lit). Elle se retrouve également dans la représentation des bâtiments : les châteaux et fermes des garçons sont représentés par leur façade extérieure alors que l’absence de façade rend visibles les pièces intérieures des châteaux et maisons des filles. La frontière symbolique qui sépare la sphère privée de la sphère publique est franchie pour des occasions assez rares par les personnages féminins, exceptionnelles par les personnages masculins. Ainsi, certains personnages féminins sortent parfois de l’espace confiné du domicile, mais ces sorties sont assez peu vécues comme des ‘transgressions’ de l’ordre sexué puisqu’elles sont souvent liées à la tenue du foyer : promener son bébé en poussette et aller faire les courses au supermarché. Un certain nombre de jouets sont cependant liés aux loisirs et permettent de sortir du domicile : Barbie, notamment, promène ses chiens en rollers, elle possède parfois un cheval, une vespa, voire une petite voiture de ville ou un camping-car. À l’inverse, le monde domestique est quasiment absent des jouets de garçons, en dehors de l’activité très cadrée du bricolage. Finalement, tout se passe comme si l’univers des enfants était séparé d’un mur invisible presque infranchissable : investir le foyer est proscrit pour les garçons comme investir le monde extérieur l’est pour les filles. D’ailleurs, la petite voiture de ville rose deux places et sans porte de Barbie connote plus la balade que le grand voyage, de même que le camping-car permet surtout de recréer un univers domestique partout où se déplacera le personnage, puisque celui-ci est composé d’« un côté tente » (qui est en fait un lit à baldaquin) et d’« un côté cuisine équipée » et toilettes (tru09). Si les pages « garçons » du même catalogue comprennent également un camping-car, celui-ci est représenté de l’extérieur : on peut voir la façade du véhicule, et devant lui une moto, deux vélos, une table et deux chaises.
Les jouets pour les garçons invitent ceux-ci à investir l’espace public sous toutes ses formes, la multitude de véhicules mis à leur disposition permettant à leurs déplacements de n’avoir aucune limite (sauf celle de la sphère domestique). Les voitures de course, berlines, motos, quads, camping-cars, camions, trains, bateaux, sous-marins, avions et autres hélicoptères permettent de se déplacer sur et sous terre, dans les airs, la jungle, le désert, sur et sous l’eau. Ces véhicules permettent non seulement de maîtriser l’espace mais aussi le temps. L’évocation de la vitesse est omniprésente, d’abord pour donner des précisions quant à la vitesse « optimale » des véhicules, la présence d’un régulateur de vitesse ou la possibilité de changer les vitesses, mais aussi pour en faire l’éloge et vanter la puissance des voitures : « Propulse ta voiture à toute vitesse grâce à un super lanceur. » (tru06) L’objectif est d’atteindre une « vive allure » avec son « bolide », de le « propulser » à une « grande vitesse », et même à une « vitesse extrême ». Finalement, « [l’] ‘euphorie dynamique’ [de la vitesse] joue comme antithèse aux satisfactions statiques et immobilières de la famille » (Baudrillard 1968). La majorité des jouets pour les filles sont en effet circonscrits à une infime partie du monde correspondant à l’immédiateté du foyer domestique caractérisé par la quotidienneté des tâches. Rien de spectaculaire ici : il s’agit pour elles de pouponner et de (se) pomponner tout en effectuant le travail domestique. Les bébés expriment leurs émotions immédiates au présent (rit, pleure, babille, gazouille, boit son biberon, fait pipi, dit ‘maman’) et la maman doit gérer les événements lorsqu’ils se présentent. Si les frontières symboliques enferment les petites filles à l’intérieur, elles imposent aux petits garçons de rester à l’extérieur pour se dépasser en permanence. La maîtrise de la sphère qui incombe à son sexe semble être la priorité, et le challenge ne se situe que du côté masculin, compte tenu de l’infinitude du territoire à conquérir et des possibilités de maîtrise du temps toujours plus grandes. De l’extensivité naît le danger, car les nouveaux territoires à investir nécessitent de progresser dans des environnements hostiles et de combattre des monstres, de même que le temps ne peut se maîtriser qu’à condition de jouer sur la vitesse.
Jouer avec et jouer contre : coopération féminine et compétition masculine
7Les personnages des jouets adressés aux garçons, qui ne sont quasiment que des hommes (guerriers, aventuriers, héros et super-héros), évoluent ainsi dans des univers où est fortement valorisée la compétition : les héros sont prêts à braver tous les dangers pour combattre des monstres ou des animaux dangereux empêtrés dans un circuit sans fin ou dans une tempête de sable. Ils doivent être capables de maîtriser et de dominer à la fois leurs ennemis et les éléments qui se déchaînent. Le déroulement et l’aboutissement des aventures semblent ainsi très incertains, et la mise en scène du danger est perçue comme une opportunité — sinon une obligation — de se dépasser tout en élaborant des stratégies, de se tester et de (se) prouver son courage et sa puissance. Relever le défi et en accepter les risques apparaît comme une nécessité : « Sauras-tu dompter le terrible dragon cracheur de feu ? » (lgr06), « Résisteras-tu à l’attaque surprise de ce dinosaure sauvage ? » (lgr07) L’identité du garçon est alors remise en cause au travers du questionnement de ses capacités et doit être démontrée, ce qui peut être interprété comme le « revers d’une valorisation » (Brougère 2003). À l’inverse, les personnages des jouets pour filles, qui ne sont presque que des femmes (bébés, mannequins, princesses et fées), évoluent dans des univers coopératifs où les relations interpersonnelles se matérialisent surtout par la relation d’amour qui unit une mère et son enfant, une femme et son mari, et d’amitié entre une femme et ses amies (ou plus rarement, amis). Les jeunes mamans doivent prendre soin des autres et les jeunes femmes d’elles-mêmes, les princesses rejoignent leur prince charmant au bal, les jeunes filles se promènent avec leur amie ou un animal (cheval ou chien). L’univers clos du foyer dans lequel évoluent les personnages est présenté comme un monde exempt de tout danger. Les intrigues laissent peu de place à l’imprévu et s’articulent souvent autour d’une relation de type stimulus/réponse. C’est notamment le cas des jouets dits « imitatifs » : le poupon « s’endort quand tu le poses sur ton épaule et rigole quand tu lui fais des chatouilles » (tru06), il « ne fait pas pipi tout de suite, c’est toi qui décides en appuyant sur son ventre » (tru05). Les petites mamans ne sont confrontées à aucune difficulté et n’ont pas à (se) prouver qu’elles peuvent être (de bonnes) mères. Elles doivent, certes, se familiariser avec le monde sensible et ses objets (la poussette, le couffin), mais leur identité n’est jamais remise en question, comme si elle relevait d’une essence se concentrant en une sorte d’ ‘instinct maternel’.
8Plus précisément, le danger n’est pas totalement absent du monde des filles, mais il est très hypothétique et la marche à suivre pour le surmonter rapidement et facilement est souvent précisée : « Chouchou prends soin de moi. Ses joues rougissent lorsqu’elle ne se sent pas bien, soigne-la pour qu’elle rigole » (lgr07 et tru07), ou encore : « Nenuco bain. Ton bébé adore jouer dans l’eau : il rit, s’amuse… mais quand l’eau refroidit ou que tu le sors du bain, il tremble, éternue et il faut vite le couvrir avec son peignoir. » (lgr06) En réalité, c’est le plus souvent la sécurité [8] et la prévention qui sont mises en avant dans l’univers des filles. Les objets domestiques sont conçus de manière à garantir la sécurité des bébés (et pour être pratiques pour la maman) : les poussettes sont ainsi équipées de « capote et sangles » et « d’une ceinture de sécurité et d’un filet pour les courses » (tru05) ; le couffin possède « un oreiller et un système de fermeture : ton poupon sera bien au chaud pour partir en promenade ! » (tru05) Les poupées ne sont pas en reste : avec le « siège auto Maxi-Cosi, ta poupée pourra voyager en toute sécurité » (lgr07). Les filles sont incitées à posséder le matériel adéquat (siège-auto) et à avoir des gestes permettant de ne jamais se retrouver en face d’un danger, en vérifiant régulièrement la température de l’eau du bain, en attachant bien bébé dans sa poussette, ou encore en le nourrissant correctement. D’ailleurs, alors même que les bébés passent leur temps à téter (15 occurrences) leur biberon (60), manger (17) et même faire leur rot (11) puis dormir (17), ils n’ont jamais faim (1), ni soif (0), ni ne sont fatigués (1), ce qui induirait un manque et potentiellement un risque [9].
Ces dichotomies danger/sécurité, compétition/coopération, adversaires/partenaires se matérialisent également dans la communication entre les personnages et avec les enfants. L’oralité est incontestablement du côté féminin : alors que les robots des garçons ne parlent que de manière très ponctuelle (6 occurrences du verbe « parler » conjugué) dans tout le corpus, les poupées et surtout les poupons des filles parlent [10] (51), disent (16), appellent (9), bavardent (6), demandent (4), voire crient (1), s’exprimant ainsi oralement 14,5 fois plus que les personnages des garçons. Mais ces personnages ont d’autres manières de s’exprimer et d’interagir avec l’enfant ou avec les autres personnages du jeu, et là encore les jouets des filles essaient beaucoup plus de communiquer (17,5 fois plus), et pas de la même manière. Ainsi, quand les personnages des garçons se contentent de grogner (4) et hurler (3) quelquefois, ceux des filles pleurent (45), rient (43), babillent (20) et gazouillent (14) très fréquemment. Les modes de communication différenciés tiennent à des activités et personnages eux-mêmes différenciés : les personnages des garçons sont imposants (dinosaures, « Roboreptile ») et dangereux : « Grâce à l’ascenseur manuel tu lances ta voiture qui passera à travers la gueule du requin affamé qui grogne. » (tru05) Ceux des filles sont mignons (bébés) et gentils (amies) ; d’ailleurs, l’unique cri du corpus ne connote que du positif : « Charlotte aux Fraises crie de joie quand elle avance et fait marche-arrière sur sa trottinette télécommandée. » (lgr07) Alors que l’activité ludique des filles consiste essentiellement en un apprentissage des différents registres de la communication grâce à la multitude de jouets interactifs qui leur sont destinés (poupons, poupées), les jouets pour garçons nécessitent le plus souvent une compréhension technique des objets matériels.
La mécanique comme principe d’opposition des sexes
9Si les sièges auto pour poupons font partie des jouets proposés aux filles, les véhicules en sont quasiment absents. Les quelques voitures des espaces consacrés aux filles sont des prototypes bien différents de ceux des espaces masculins, comme cette voiture qui possède une « alarme de sécurité », élément impensable chez les garçons qui sont du côté du risque. Ce sont soit des voitures de luxe (Limousine, Cabriolet) soit des voitures quelconques dont le type n’est pas précisé. Elles permettent aux poupons d’être promenés et aux poupées mannequins de partir en vacances ou de faire la course, la ligne d’arrivée étant très spécifique aux filles : « Circuit shopping : Place Polly et Lila sur la ligne de départ, appuie sur la clé de contact et les 2 micros voitures font la course pour arriver au centre commercial ! » (lgr07) Les voitures ont parfois un aspect magique qui renvoie le personnage au foyer : « Bébé mouilleur de 35 cm, avec sa voiture transformable en baignoire ou en chaise haute » (car06), ou à la mode : « Mets Polly dans la voiture et Polly est instantanément habillée comme par magie ! » (tru06) Les voitures n’ont ainsi pas toujours comme finalité de rouler et les caractéristiques mises en avant sont des éléments de surface très profanes : « bruit de démarrage », « alarme de sécurité », « klaxon », « lumière des phares avant », « poste de radio ».
10Ces éléments sont aux antipodes de ce qui est mis en avant chez les garçons. Les textes de ces derniers s’adressent à des spécialistes ayant des compétences dans le domaine de la mécanique et du modèle réduit. L’objet fait désormais des « bruits de moteur », possède souvent un « système digital proportionnel », une « vitesse digitale proportionnelle », un « régulateur de vitesse », « 4 roues motrices », une « suspension avant et arrière », un « différentiel », etc. D’ailleurs, pour mettre en route le véhicule, le garçon doit « tourner la clef » alors que la petite fille doit « appuyer sur la clef [11] ». Les modèles réduits sont nommés et extrêmement variés : Subaru Impreza, Citroën Xsara, Clio 16 S Évolution ii, Ferrari Enzo, Peugeot 907 Évolution gt, etc. Leur échelle est systématiquement indiquée, comme si les voitures s’adressaient à des spécialistes de la question, des collectionneurs. Des précisions liées aux aspects visuels et sonores apparaissent parfois, mais contrairement aux pages des filles, cela renvoie encore une fois le plus souvent à une pratique d’initiés, le tuning [12] : « Team tuning monster interactive : Transforme ta voiture radiocommandée en monstre du tuning. Avec un kit d’accessoires pour changer le style et doubler les performances de vitesse, de freinage et d’accélération ! » (lgr06) D’une manière générale, si la voiture était parfois un prétexte, chez les filles, pour changer de vêtements par exemple, ses fonctionnalités et son potentiel sont, au contraire, mobilisés chez les garçons puisqu’elle peut, selon les argumentaires de vente, à la fois rouler en avant et en arrière, tourner à droite et à gauche, doubler et changer de voie. L’objectif est ici de faire des courses et de vivre de nombreuses aventures : « Lance ta voiture Spiderman sur cette piste avec looping croisé. Échappera-t-elle à l’araignée qui la guette dans l’ombre ? » (lgr07)
Les voitures font ainsi très peu partie du paysage des filles alors qu’elles sont constitutives de l’identité des garçons, puisqu’elles condensent en un petit objet les principales caractéristiques de la masculinité : vitesse, puissance, technique, danger et dépassement de soi. Cela aboutit à des usages différenciés du véhicule. Les filles en ont un usage utilitaire : domestique (promener bébé), commercial (cela leur permet d’aller faire du shopping) et de loisirs (partir en vacances). Chez les garçons, la voiture est bien plus proche : elle est une alliée contre les ennemis (car elle permet de leur échapper), un outil permettant de tester ses limites et de les dépasser et, comme nous l’avons mentionné, de maîtriser l’espace et le temps. Elle procure du plaisir : plaisir de la vitesse, des dérapages, des loopings. Si la finalité se trouve ici dans la voiture, chez les filles, l’intérêt n’était qu’à l’arrivée (faire son shopping dans le centre commercial, promener son enfant au parc), et ce, même dans le cas des poupées mannequins qui font la course, car ce qui motive les protagonistes est d’arriver le plus vite possible dans les magasins. Les enfants intériorisent ainsi les représentations associées aux objets du monde réel qui leur sont soumises à l’observation et à la manipulation dans le monde ludique. Mais ils développent également des compétences, langagières en particulier ; les garçons sont ainsi amenés à utiliser des concepts de la sphère mécanicienne tels que « moteur », « roues motrices », « différentiel », « régime de vitesses », etc., en manipulant les objets miniaturisés. Ils apprennent les rouages de la conduite : « Passe les vitesses au bon régime pour ton bolide à rétrofriction » (car06) et les passe-temps qui peuvent lui être associés (comme la Formule 1). Les véhicules radiocommandés en particulier leur enseignent comment diriger une voiture dans une sorte de succédané de la conduite. Ce détour par le jeu leur permet de développer des goûts et des aspirations dans lesquels ils pourront potentiellement s’investir en grandissant, que ce soit dans le cadre des loisirs (tuning) ou du travail (mécanicien). À l’inverse, les filles évoluent dans un monde où le vocabulaire de la mécanique et de la technique est absent et tellement lointain de leurs préoccupations que la voiture en devient un élément magique (ce qui est très bien représenté par la voiture qui permet aux filles de changer de tenue).
Les déguisements : dissimuler les garçons et mettre en valeur les filles. L’apprentissage de techniques du corps
11Comme les voitures, les déguisements permettent aux enfants de développer des habitus différenciés en fonction de leur sexe. Ils tirent néanmoins leur particularité du fait qu’il s’agit d’appliquer l’objet à soi-même, de travestir son apparence pour apparaître autre, d’entrer ‘physiquement’ dans les histoires que suggèrent les œuvres de fiction ; l’enfant ne manipule plus un personnage de ses mains, il entre dans la peau du personnage. Malgré le fait que, historiquement, le déguisement soit un travestissement de soi qui permette des transgressions de frontières habituellement relativement imperméables [13], celui-ci s’effectue chez les enfants dans le cadre normatif des différences de sexe, le clivage s’inscrivant à la fois dans les types de déguisements proposés et dans la manière dont ceux-ci sont présentés dans les espaces de commercialisation. Les déguisements des garçons représentent la plupart du temps des héros et super-héros connus, au visage presque systématiquement masqué, partiellement (Batman) ou intégralement (Spiderman), alors que ceux des filles représentent des anonymes (des princesses, des fées) au visage découvert. Les premiers sont parfois méchants (Dark Vador), laids (Hulk) et leur principal accessoire est une arme, alors que les secondes sont toujours gentilles (anges), belles et dotées de baguettes magiques, diadèmes et d’une multitude d’accessoires de beauté : maquillage, chaussures, sacs, bijoux (colliers, bracelets, boucles d’oreilles), serre-tête, jupons, justaucorps, chaussons, chapeaux, perruques. Les déguisements des filles étant essentiellement liés à la beauté et à l’esthétisme, la frontière avec la parure apparaît assez fine, et cela d’autant plus qu’une partie de leurs accessoires pourrait tout à fait se porter dans la vie de tous les jours. Ainsi, si les déguisements des garçons dissimulent le corps, ceux des filles le mettent en valeur.
12Les postures des enfants mis en scène dans les catalogues et sur les boîtes de jouets sont également un moyen d’orienter le rapport au corps des enfants en fonction de leur sexe. Ce sont des techniques du corps (Mauss 1936) représentant les valeurs sexuées d’une société de manière stéréotypée qui sont diffusées. Les garçons sont ainsi représentés dans des poses qui connotent la virilité : ils sont très souvent debout, de face, jambes écartées, poings posés sur les hanches, prêts à dégainer leur arme pour combattre ou ayant déjà quelqu’un en joue, prenant un air dur, voire méchant (lorsqu’on voit leur visage). Les filles, également représentées debout et de face, prennent de leur côté des poses d’une grâce et d’une distinction très appuyées en jouant sur la légèreté et la douceur des mouvements des bras, des mains (une main délicatement posée sur la hanche) et des jambes (le talon légèrement surélevé) ; elles font parfois la révérence et esquissent systématiquement un sourire. Ces postures, qui mettent en scène une faible variété de gestes fortement stéréotypés, constituent ce que Goffman appelle une hyper-ritualisation (1977) de la masculinité et de la féminité :
La standardisation, l’exagération et la simplification qui caractérisent les rites en général se retrouvent dans les poses publicitaires, mais portées à un degré supérieur.
14Ces postures ont un aspect coercitif puisque leur exhibition donne à voir des manières de tenir le corps paraissant « représenter des expressions ‘naturelles’ de la féminité » (Détrez 2002) et de la masculinité. Elles peuvent d’autant plus servir de modèles aux enfants que ces derniers sont invités à investir par leur corps ces déguisements et les manières de les porter, développant ainsi une hexis corporelle [14] (Bourdieu 1980) débordant le champ des jouets.
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Les jouets sont un objet privilégié pour l’étude des catégories de genre. En eux se cristallisent une multitude de représentations sociales liées aux rôles et identités traditionnellement associés à chaque sexe et beaucoup plus marqués que dans la réalité. Les mondes ludiques masculins et féminins divergent ainsi sur bien des points : type de jeux, lexique, formes et images spécifiques, rapport aux autres, à son propre corps, à l’espace et au temps, au travail productif et reproductif, etc. Reproduisant un microcosme avec ses personnages, ses objets et ses activités, le jouet fonctionne comme première initiation des filles et des garçons à de nombreux domaines de la vie sociale, dans l’objectif d’informer les enfants sur leur champ des possibles respectif et, ainsi, de filtrer les expériences ultérieures. Le jouet fait, par ailleurs, partie d’un ensemble plus vaste d’objets par lesquels sont diffusées des représentations sociales sexuées : dessins animés, films, albums illustrés, publicités, encyclopédies (Détrez 2005), etc. Sa particularité réside dans le fait de permettre aux enfants un apprentissage actif des catégories de genre par la manipulation quotidienne et dès le plus jeune âge de ces représentations matérialisées dans des objets qui leur sont destinés. Les enfants ne jouent pas avec des jouets mais avec des idéologies incarnées dont la puissance d’appropriation est d’autant plus importante que les enfants sont acteurs de leur propre socialisation. L’expérience ludique apparaît ainsi sous la forme d’une véritable pédagogie active de la différence entre les sexes.
Méthodologie
Bibliographie
Références
- Baerlocher Elodie (2004). « Barbie® contre Action Man® ! Le jouet comme objet de socialisation dans la transmission des rôles stéréotypiques de genre ». In Dafflon Novelle Anne (ed). Filles-garçons : socialisation différenciée ? Grenoble, pug « Vies sociales ».
- Barthes Roland (1991). L’aventure sémiologique. Paris, Seuil.
- Baudrillard Jean (1968). Le système des objets. Paris, Gallimard.
- Belotti Elena Gianini (1973). Du côté des petites filles. Paris, Des femmes.
- Bourdieu Pierre (1980). Le sens pratique. Paris, Minuit.
- Brougère Gilles (2003). Jouets et compagnie. Paris, Stock.
- Brugeilles Carole, Cromer Isabelle, Cromer Sylvie (2002). « Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés, ou comment la littérature enfantine contribue à élaborer le genre ». Population, vol. 57, n° 2.
- Chaumier Serge (2003). « La production du petit homme ». Alliage, n° 52.
- Détrez Christine (2002). La construction sociale du corps. Paris, Seuil « Points. Essais. Sciences humaines ».
- — (2005). « Il était une fois le corps… La construction biologique du corps dans les encyclopédies pour enfants ». Sociétés contemporaines, n° 59-60.
- Goffman Erving (1977). « La ritualisation de la féminité ». Actes de la recherche en sciences sociales, n° 14.
- Kergoat Danièle (1978). « Ouvriers = ouvrières ? Propositions pour une articulation théorique de deux variables : sexe et classe sociale. Critiques de l’économie politique, nouvelle série, n° 5.
- Maruani Margaret, Nicole Chantal (1989). Au labeur des dames : métiers masculins, emplois féminins. Paris, Syros-Alternatives.
- Mauss Marcel (1936). « Les techniques du corps ». Journal de Psychologie, vol. 32, n° 3-4.
- Tap Pierre (1985). Masculin et féminin chez l’enfant. Toulouse, Privat « Éducation et culture ».
- Vincent Sandrine (2001). Le jouet et ses usages sociaux. Paris, La Dispute.
Mots-clés éditeurs : jouets, socialisation de genre, corps, rôles sexués, enfance, inégalités de sexe, masculinité, féminité
Mise en ligne 01/11/2011
https://doi.org/10.3917/cdge.049.0035Notes
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[1]
Les sigles utilisés dans cet article afin de préciser l’origine des argumentaires de vente cités seront les suivants : car (Carrefour), lgr (La Grande Récré), tru (Toys’R’Us) et jc (Joué Club). Les deux chiffres accolés au sigle préciseront l’année de publication. Exemple : car09 correspond au catalogue Carrefour de Noël 2009.
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[2]
Vrai* c’est-à-dire : vrai, vraie, vrais, vraies, vraiment.
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[3]
Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’activité de caissière est très représentée avec tous les accessoires appropriés à la tâche : caisse, tapis, micro, scanner pour les codes-barres, balance, appareil à carte bleue, panier. « Tout pour jouer à la marchande » sans pourtant que le terme de « caissière » (ni d’ « hôtesse de caisse ») n’apparaisse une seule fois. Le terme, et l’imaginaire industriel et d’exécution auquel il renvoie, serait-il dépréciatif par rapport à l’activité traditionnelle de la marchande ?
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[4]
Notons qu’il s’agit plus souvent pour les garçons de jouer avec une figurine évoluant dans un univers lui-même miniaturisé et pour les filles de devenir leur propre personnage en jouant avec des objets grandeur nature (poupon, cuisine, tête à coiffer).
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[5]
L’apparition de garçons dans les pages « filles » et plus spécifiquement dans la cuisine ne signifie pas toujours mixité des tâches domestiques, car comme on peut le voir sur l’une des images du catalogue Toys’R’Us 2009, le petit garçon attend son repas, couverts dans les mains, en observant son assiette vide qui se trouve devant lui, pendant que la petite fille est en train de cuisiner.
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[6]
47,5 % selon l’insee, Enquête Emploi.
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[7]
Les poupons peuvent ‘officiellement’ (c’est-à-dire selon la prescription du catalogue sous la forme du type « Dès … mois / ans ») être « câlinés » dès 18 mois, voire plus tôt.
-
[8]
Le mot « sécurité » apparaît d’ailleurs 11 fois dans le corpus féminin contre 0 fois dans le masculin.
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[9]
Ils pleurent (45) néanmoins, mais cela n’est pas présenté comme une situation problématique : à aucun moment n’est évoqué le fait que la mère doive en déterminer la cause puis trouver une solution, contrairement aux jouets de garçons qui présentent ce genre de situations comme des défis à relever.
« Dormir » : plus exactement, ils s’endorment (11) et ont des « yeux dormeurs » (6). -
[10]
Ou parfois ils amènent la petite fille à parler, comme dans : « Louna mon bébé interactif : frappe dans tes mains pour la réveiller et Louna chante avec toi et te répond quand tu lui parles. »
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[11]
La finition des voitures pour garçons est plus travaillée puisque, comme nous l’avons mentionné, c’est la qualité technique qui est essentielle dans les jouets masculins qui doivent reproduire le plus fidèlement possible la réalité technique des objets miniaturisés.
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[12]
« Le tuning, ou la préparation automobile, est la modification d’un véhicule de série : automobile, moto, vélo, scooter, etc. Dans certains cas, le but est d’améliorer les performances d’un véhicule ou son confort (parfois les deux), dans d’autres il s’agit simplement de le personnaliser. » Aujourd’hui, le tuning mise beaucoup sur la « recherche sur l’apparence du véhicule et l’ajout d’équipements » (Wikipedia, 01/2010).
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[13]
La « Fête des fous » au Moyen Âge, par exemple.
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[14]
Bourdieu définit l’hexis corporelle comme une « mythologie politique réalisée, incorporée devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher, et par là, de sentir et de penser » (1980).
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[15]
Pour plus d’informations : http://www.image-zafar.com/index_alceste.htm.