Notes
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[1]
Élue en 1971 à l’Académie des sciences morales et politiques.
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[2]
Élue en 1975 à l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
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[3]
Élue en 1979 à l’Académie des sciences.
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[4]
Les cinq sections sont : l’Académie française, l’Académie des sciences, l’Académie des sciences morales et politiques, l’Académie des inscriptions et belles-lettres et l’Académie des beaux-arts.
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[5]
Procès-verbal, 1er décembre 1910, 2B17. Il n’est pourtant pas fait mention de la présence de femmes à l’Académie des beaux-arts sous l’Ancien Régime.
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[6]
Rapport Esmein, « L’inéligibilité des femmes », janvier 1911, fonds, Académie française.
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[7]
L’Écho de Paris, 15 novembre 1910.
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[8]
L’Excelsior, 30 novembre 1910.
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[9]
Bien que cela ne soit pas l’objet de l’article, il est nécessaire d’évoquer la trajectoire sociale et littéraire de Marguerite Yourcenar par un bref rappel des grandes lignes de son parcours personnel. Certaines données biographiques et jugements portés sur l’auteure vont en effet être mobilisés ou au contraire occultés au moment de sa candidature à l’Académie française par les Immortels.
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[10]
En effet, parmi les trente-huit académiciens vivants au moment de l’élection de Marguerite Yourcenar, quinze sont élus en qualité d’écrivain (romancier, dramaturge, poète). Parmi eux, sept ont reçu un prix de l’Académie française et six le Grand prix Prince de Monaco (fondé en 1950), deux auteurs ont reçu les deux. Et trois n’en ont reçu aucun.
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[11]
Bien que décerné par la Principauté de Monaco, le jury de ce prix est composé de membres de l’Académie française et Goncourt. Il couronne des auteurs de langue française.
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[12]
Bulletin du livre de Paris, 15 janvier 1975. Ce jury est composé de Michel Guy, secrétaire d’État aux Affaires culturelles, Guy Prajot et Yves Cazaux, qui appartiennent à ce secrétariat d’État, Marcel Arland, Hervé Bazin, Marcel Brion, Jean Cassou, Jean Delay, Pierre Emmanuel, Max-Pol Fouchet, Yves Gandon, Jean Guéhenno, Robert Kanters, Saint-John Perse et Henry Troyat. Ce jury comprend six Immortels.
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[13]
Simone Veil est la seconde femme ministre en France depuis Germaine Poinso-Chapuis vingt-cinq ans plus tôt.
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[14]
À l’Académie française, le numerus clausus est fixé à quarante membres. Chacun d’entre eux est élu à un fauteuil numéroté de un à quarante. Lors du décès d’un académicien, ses collègues sont chargés de pourvoir à sa succession au fauteuil occupé. Si bien qu’un savant peut succéder à un ecclésiastique lui-même successeur d’un écrivain ou d’un duc…
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[15]
Lettre de Roger Caillois à Jacques Kayaloff, 9 mars 1971, archives Anya Kayaloff.
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[16]
Le Quotidien de Paris, 10 octobre 1977. Marguerite Yourcenar a reçu le Grand prix de l’Académie française le 15 juin 1977.
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[17]
Jean Chalon, « Marguerite Yourcenar à l’Académie française », Le Figaro, 26 novembre 1977.
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[18]
Entretien accordé en septembre 2003.
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[19]
Le Figaro Magazine, 8-14 mars 1980.
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[20]
Agence France Presse, 8 novembre 1979.
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[21]
Dès 1979, la journaliste écrit un article intitulé : « Une femme bientôt à l’Académie », Le Figaro, 9 novembre 1979.
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[22]
Jean Chalon, op. cit., 26 novembre 1977.
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[23]
Elle, « Marguerite Yourcenar, déjà immortelle… », 10 décembre 1979.
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[24]
Cité par Jacques Cordy, Le Soir, « La non-élection de Marguerite Yourcenar à l’Académie française : partie remise ? », 6 décembre 1979.
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[25]
En 1975 Louise Weiss et Janine Chappat se sont présentées.
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[26]
Entretien accordé en août 2003.
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[27]
Marcel Jullian, « Une femme sous la Coupole », Le Figaro, 7 mars 1980. Ces propos du secrétaire perpétuel de l’Académie française datent de 1974.
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[28]
15 décembre 1979.
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[29]
L’Express, 8 décembre 1979.
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[30]
Le Soir, 7 mars 1980. Entretien avec Jacques Cordy.
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[31]
Jacqueline Piatier, « Marguerite Yourcenar candidate au fauteuil de Roger Caillois », Le Monde, 10 novembre 1979.
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[32]
Parmi les autres intervieweurs figurent Jean-Claude Lamy, Françoise Xénakis, Bertrand Poirot-Delpech, Jean-François Josselin, Angelo Rinaldi, Matthieu Galey, qui ont tous des tribunes prisées dans la presse et l’audiovisuel.
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[33]
Concernant l’émission télévisée, on notera qu’elle avait été avancée du 28 décembre au 7 décembre 1979. La première date prévue était fixée au lendemain présumé de son élection qui semblait acquise à l’Académie française.
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[34]
L’Express, 8 décembre 1979.
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[35]
Code de la nationalité modifié par la loi du 9 janvier 1973. Article 97-4.
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[36]
Jean-Christian Harvet, « Scandale à l’Académie française : Marguerite Yourcenar troquée contre Michel Droit. Le mur de la médiocrité est franchi », Les Nouvelles littéraires, n° 2728, 13 mars 1980.
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[37]
Michel Droit obtient dix-neuf voix pour et treize contre.
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[38]
Les votes sont secrets, les données dont nous disposons sont issues des suffrages rapportés dans la presse. Parmi ces jeunes élus, figurent deux personnes dont nous ne connaissons pas le choix et une qui était absente le jour du scrutin.
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[39]
Depuis 1970, sur cent un scrutins, seulement dix-huit comptent des candidatures féminines et les femmes représentent 7 % des effectifs des candidats et 6 % des élus. Le nombre de femmes n’excède jamais deux pour chacun des scrutins. En une trentaine d’années, soixante-trois hommes ont été élus pour quatre femmes et seize femmes ont été candidates pour deux cent vingt hommes. Un quart des femmes qui se sont présentées ont été élues, pour un tiers des hommes, ce qui signifie que le taux de réussite d’entrée à l’Académie est favorable aux hommes malgré un bien plus grand nombre de concurrents dans leur catégorie de sexe. Le droit d’entrée à l’Académie est donc bien marqué du sceau du masculin à l’instar d’autres institutions comme le cnrs (Devreux, Hurtig 2001) ou l’ehess (Naudier 2003). On constate que les femmes étaient plus nombreuses à se présenter sous la Coupole entre 1970 et 1989 (elles figurent dans quinze scrutins sur soixante et un), tandis qu’elles ne se sont présentées qu’à trois élections depuis 1990 sur un total de quarante. En outre le nombre de candidates est passé de sept au cours des années soixante-dix à trois depuis 1990. Si les candidatures des années soixante-dix avaient, pour certaines femmes comme Louise Weiss ou Françoise Parturier, une portée symbolique, il semble que, depuis une dizaine d’années, les femmes ne jouent plus cette carte militante. L’élection de Marguerite Yourcenar n’a pas provoqué une hausse massive des candidatures féminines, et la présence de femmes n’a pas contribué à moderniser l’image de l’Assemblée ni à les attirer.
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[40]
Le Figaro, « La première Immortelle », 7 mars 1980.
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[41]
Françoise Xénakis, « Marguerite Yourcenar a été largement élue », Le Matin, 7 mars 1980.
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[42]
Depuis 1981, quarante-trois personnes ont été élues à l’Académie parmi lesquelles trois femmes, dont deux, comme Marguerite Yourcenar, appartiennent à la noblesse et la dernière élue est la fille d’un académicien décédé.
1Marguerite Yourcenar a été reçue à l’Académie française le 22 janvier 1981. Son élection a provoqué une véritable tempête sous la Coupole. C’est, en effet, la première femme à être élue à l’Académie française. Et pourtant, l’écrivaine n’est pas la première femme à être admise à l’Institut. Trois savantes l’y ont précédée : Suzanne Bastid [1], Jacqueline de Romilly [2] et Yvonne Choquet-Bruhat [3]. Mais l’Académie française a toujours été particulièrement réticente à toute présence féminine. C’est en 1910 que la candidature de Marie Curie, dont les compétences scientifiques sont jugées incontestables par l’Académie des sciences, va révéler l’hostilité des membres de l’Académie française où les critères d’éligibilité n’exigent aucune spécialisation scientifique, artistique ou littéraire. Y siègent, en effet, aussi bien des cardinaux que des écrivains, des savants et des diplomates qui « appartiennent le plus souvent, par leurs origines et par leurs positions sociales, aux fractions dominantes de la classe dominante et au service de l’État » (Sapiro 1999, p. 264). Ainsi, la candidature de Marie Curie à l’Académie des sciences ouvre le débat sur « la question de l’éligibilité des femmes à l’Institutx », leur exclusion n’étant pas spécifiée par le règlement. Cette question est traitée le 4 janvier 1911 au cours de l’assemblée trimestrielle qui rassemble les cinq académies [4]. À l’issue du débat, chacune des sections se voit reconnaître sa totale autonomie en matière de recrutement. Mais demeure le risque, en élisant une femme sous la Coupole, de créer un précédent. Ce qu’exprime clairement la position de l’Académie française :
L’admission des femmes dans l’une de ces Académies rendrait plus difficile le maintien de leur exclusion dans les autres et cet inconvénient se ferait sentir pour les Académies où les candidatures féminines ont plus de chances de se produire, comme l’Académie française et l’Académie des Beaux-Arts [5].
3En la circonstance, un mémoire a été commandé au juriste Esmein, mémoire intitulé « L’inéligibilité des femmes à l’Institut » [6]. Si le doyen de l’Académie des sciences argue que « les savants n’ont pas de sexe [7] », la séance se clôt dans le fracas et se solde par une position remarquablement ambiguë : il n’est pas interdit par le règlement d’élire une femme, mais il s’agit de veiller à ce que « rien ne soit changé aux usages ». La force de l’habitude de pratiques non écrites est ainsi privilégiée à l’application stricte des possibilités offertes par le règlement. Chaque section conserve une indépendance dans ses applications des usages. Le 9 janvier, la candidature de Marie Curie est examinée et retenue par l’Académie des sciences mais elle n’est pas élue le 23 janvier. Elle échoue à deux voix au second tour. Le primat donné au respect de la tradition prend le pas sur la reconnaissance des qualités scientifiques de la savante en raison de son appartenance de sexe, comme le notait L’Excelsior :
Ses travaux ne lui ont créé que des admirateurs ; mais son sexe lui crée des adversaires [8].
5Mais cet argument, encore recevable au début du siècle, ne tient plus quand les transformations de la société ne font plus du sexe une raison d’exception. Le respect de la tradition, utilisé comme un argument définitif, apparaît dépassé dans une situation où la reconnaissance de l’égalité entre les sexes devient la norme sociale et politique, soutenue par l’essor prodigieux des scolarités féminines et l’entrée des femmes sur le marché du travail. Leur exclusion, trop longtemps considérée comme légitime, de certains domaines réservés aux hommes, devient inadmissible. Aux discours et pratiques qui interdisent ou ne pensent pas les droits d’accès des femmes à ces espaces s’opposent ceux qui mettent en lumière les résistances masculines à leurs revendications. Ainsi, les luttes contre les inégalités entre les sexes s’expriment publiquement dès les années cinquante et sont à leur paroxysme au cours des années soixante-dix.
6En cela, l’élection de Marguerite Yourcenar à l’Académie française est l’expression paradigmatique de ces transformations. Si son élection fait scandale au sein de l’Académie, le choix porté sur la candidature de l’écrivaine révèle que l’on ne peut plus faire l’histoire sans les femmes. La reconnaissance de la place des femmes dans la société devient un enjeu symbolique et politique qui dépasse les limites de la légitimité dont certaines bénéficient à titre individuel. Si dans le cadre de cette institution où existe un numerus clausus, l’admission de nouveaux entrants fait l’objet de luttes « entre hommes » qui font partie des règles du jeu de pouvoir de l’entre-soi masculin, lorsque le candidat est une candidate reconnue, le dévoilement des pratiques et les prises de position font apparaître le renforcement de certains clivages traditionnels mais aussi modifient les alliances habituelles.
7L’objet du débat — en l’occurrence la possibilité d’une candidature féminine — renvoie de nouveau au respect de l’usage qui veut qu’on reste entre hommes. Cet appel oppose les tenants du respect de la tradition et ceux qui défendent une ouverture marquée du sceau de la modernité. C’est donc à une mise à l’épreuve des usages mais aussi du règlement que l’on assiste. Comme nous le verrons, les académiciens mobilisent chacun des deux registres pour évincer la candidature sans toujours viser explicitement son appartenance sexuée. Les conquêtes du féminisme neutralisent, mais en partie seulement, les discours et les pratiques hostiles aux femmes, car les inégalités entre les sexes demeurent. C’est pourquoi la candidature de Marguerite Yourcenar pose un problème majeur aux académiciens. Sa notoriété et sa reconnaissance littéraire sont établies internationalement, y compris par l’Académie française pendant les années soixante-dix. Les résistances à cette candidature sont fondées sur sa seule appartenance de sexe, principale entrave à son élection. Car son entrée a ouvert la porte à d’autres femmes. Elle a initié une féminisation du recrutement, quoique modeste : trois femmes ont été élues depuis Marguerite Yourcenar sous la Coupole, mais leurs élections se sont opérées sans heurt.
8C’est parce que cette élection cristallise plusieurs enjeux portés par divers intérêts particuliers, dont la collusion a pu prendre sens dans ce contexte historique, que sa réussite a été possible. Au-delà de la valeur reconnue à la candidate, le coup de force symbolique de cette élection manifeste la concurrence entre les différentes fractions d’académiciens. La résistance opposée à l’élection de la candidate traduit ainsi une recomposition des rapports de pouvoir au sein de l’Assemblée. Cette candidature est notamment un enjeu de lutte entre jeunes et anciens académiciens.
Marguerite Yourcenar : un écrivain d’exception
9Marguerite de Crayencour [9] est née en 1903 à Bruxelles d’une mère belge — qui meurt quatre mois après sa naissance — et d’un père français. Elle n’a jamais été scolarisée et a ponctuellement reçu l’enseignement de professeurs particuliers, notamment lorsqu’elle et son père s’installent à Paris en 1912. C’est avec lui qu’elle apprend à lire et en visitant des musées, en assistant à des représentations théâtrales, en voyageant qu’elle se forge une culture classique. Si Marguerite Yourcenar passe la première partie de son baccalauréat latin-grec en candidate libre à Nice en juillet 1919 — elle obtient la mention passable — elle n’a jamais indiqué s’être présentée à la seconde partie de l’examen. On ne trouve aucune trace de son diplôme (Savigneau 1990, p. 61-62). Cette absence de cursus scolaire classique, alors même que les femmes accèdent aux études supérieures en nombre (Prost 1968 ; Mayeur 1977 ; Christen-Lécuyer 2000), la distingue des femmes de son milieu qui optent pour cette voie. Lorsqu’elle a 18 ans, son père publie son premier recueil de poèmes à compte d’auteur. C’est à cette époque qu’elle prend pour pseudonyme Marg Yourcenar. En 1929, après un refus de Gallimard, Alexis ou le traité du vain combat est publié par René Hilsum, éditeur de la maison le Sans Pareil, qu’elle admirait pour avoir publié les surréalistes. Lors de la réception du manuscrit, le sexe de l’auteur demeure un mystère :
Un pseudonyme à coup sûr. Mais qui se cachait derrière ? Un homme ou une femme ? Nous penchions pour un homme car on n’échappe pas au stéréotype des « romans de femme » ou de « l’écriture féminine » et Alexis ne relevait ni de l’un ni de l’autre, dit Hilsum.
11Le décalage entre son appartenance au sexe féminin et le classement de son manuscrit dans une littérature conjuguée au masculin situe l’auteure en exception de son sexe. La reconnaissance littéraire qu’elle acquiert repose donc en partie sur le hiatus entre la littérature féminine telle qu’elle est préconçue par les hommes de l’institution littéraire et sa production effective. Cette étape, qui marque l’évaluation du scripteur à la recherche d’une reconnaissance de qualification littéraire légitime pour être édité à compte d’éditeur, révèle qu’il y a bien un droit d’entrée pour les femmes. Droit d’entrée dont le coût se traduit par la neutralisation de l’identité sexuée, en tout cas de son imperceptibilité par les catégories d’appréciation des spécialistes de la littérature (Naudier 2000).
12Cette première impression de lecture d’un professionnel ne sera pas démentie au cours de sa carrière. L’érudition classique de Marguerite Yourcenar, dont l’œuvre est caractérisée par l’intérêt historique et métaphysique, donne une portée universelle à ses écrits. Elle n’est ainsi jamais assimilée à la littérature écrite par des femmes. Elle débute sa carrière en obtenant d’emblée la reconnaissance de critiques tels que Edmond Jaloux et Paul Morand. Sa fortune familiale, bien qu’entamée en raison de mauvais placements financiers, lui permet de vivre, selon son estimation, pendant une douzaine d’années. Elle consacre ce temps à faire des voyages et à étudier. Son indépendance financière et la cellule familiale atypique dans laquelle elle a grandi, sa relation privilégiée avec son père ne la conduisent à aucun moment à opter pour le mariage. Reconnue à 26 ans pour son talent littéraire, elle se lance dans la carrière qu’elle avait décidée depuis l’enfance avec l’aval de son père. Pour subvenir à ses besoins, elle traduit notamment des auteurs grecs. En 1937, elle rencontre à Paris Grace Frick qui deviendra sa traductrice et compagne. En 1939, pour échapper à la guerre, elle s’installe aux États-Unis et commence à enseigner, en 1941, au Hartford Junior College où Grace Frick est directrice des études. Enfin, elle obtient un poste à Sarah Laurence, une université très progressiste où elle enseignera jusqu’en 1953. Installée aux États-Unis, Marguerite Yourcenar adopte la nationalité américaine en 1947. Elle poursuit néanmoins sa carrière dans le champ littéraire français. En 1951, Les Mémoires d’Hadrien est publié chez Plon. Son éditeur envisage le prix Femina en novembre. Mais des problèmes liés à la clause de préférence avec Gallimard retarde sa sortie et c’est en juin 1952 qu’elle est lauréate du Prix Femina Vacaresco. Sa reconnaissance littéraire est confirmée par le prix Femina en 1968. Il lui est décerné, à l’unanimité, pour L’œuvre au noir grâce à la persuasion de Madame Simone. En 1970, elle est élue à l’Académie royale de Belgique.
La consécration institutionnelle : l’élue des hommes
13Sa notoriété va être redoublée au cours des années soixante-dix, au moment même où les mouvements féministes prennent une grande visibilité médiatique. Elle ne s’en réclame aucunement et n’y est pas vraiment reconnue. Il semble néanmoins que la communauté masculine des Lettres se saisisse d’elle pour incarner le modèle féminin littéraire parfait parce que justement son œuvre n’est pas perçue comme « féminine ». Ses livres mettent en scène des personnages masculins aux prises avec l’Histoire, Hadrien, empereur romain ou Zénon, médecin, alchimiste et philosophe de la Renaissance. L’un des académiciens avec lesquels nous avons pu nous entretenir a fait référence au fait qu’elle parlait certes de l’homosexualité mais qu’il s’agissait de celle d’hommes. Il a en outre ajouté qu’elle n’avait jamais fait état de la sienne. Qu’il s’agisse d’appartenance sexuée ou de préférence sexuelle féminine, les femmes ont ainsi toujours intérêt à rendre invisible tout marquage d’autant plus stigmatisant qu’il échappe aux assignations sexuées.
14L’œuvre de l’écrivaine et sa réputation littéraire ne sont pas discréditées par les choix sexuels de Marguerite Yourcenar et Grace Frick est, par euphémisme, dénommée « l’amie avec qui elle vit ». L’éloignement de Paris et la discrétion de la vie de l’auteure, son investissement dans le travail littéraire seront au contraire toujours mis en relief. Ses romans reconnus pour leur dimension érudite et métaphysique en font un « grand écrivain ». L’écrivaine échappe ainsi aux stéréotypes qui prévalent à propos des femmes auteures. Elle est volontiers assimilée à la littérature universelle, asexuée. Le décalage entre son sexe social, en « correspondance analogique » (Mathieu 1991, p. 231) avec les êtres que l’état civil a enregistrés comme appartenant au sexe féminin ou au sexe masculin et le genre qu’on lui attribue font que « ces identités se disjoignent » (Pruvost 2002, p. 132). La négociation de l’insertion de Yourcenar sous la Coupole s’articule autour de la question de son sexe social et de celle de son genre neutralisé en terrain littéraire. Et l’accumulation des récompenses qu’elle obtient par l’Académie pendant cette décennie tend à accentuer le démarcage par rapport aux autres femmes. Elle obtient les lauriers que recueillent nombre des prétendants académiciens, écrivains, pour être élus sous la Coupole [10].
15Les prix qui lui sont décernés au cours des années soixante-dix posent les jalons de sa candidature à l’Académie française. La reconnaissance littéraire obtenue l’installe dans la littérature académique, au sens propre du terme. En 1972, le prix Prince Pierre de Monaco lui est attribué [11]. En décembre 1974, elle reçoit le Grand prix national des Lettres, doté de 10 000 francs, dont le jury est le seul qui soit fixé par décret gouvernemental [12], et qui soit décerné par le secrétaire d’État à la Culture. Et trois ans plus tard, en juin 1977, l’Académie lui décerne à l’unanimité le Grand prix de littérature, doté d’une valeur de 50 000 francs. Ces trois prix qui saluent l’œuvre en son entier sont des indicateurs d’une forte reconnaissance institutionnelle, si ce n’est étatique. Ils s’inscrivent dans le cadre du septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
Les enjeux symboliques de la promotion d’une femme
16Depuis 1974, date de l’élection présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing, qui se considère comme un « libéral, modernisateur à l’écoute de la société », promouvoir les femmes est un gage de modernité. Le nouveau Président de la République nomme six femmes dans son gouvernement parmi lesquelles Françoise Giroud qui occupe la fonction, inédite, de secrétaire d’État à la Condition féminine, dont la mission est de « promouvoir toutes mesures destinées à améliorer la condition féminine, à favoriser l’accès des femmes aux différents niveaux de responsabilité dans la société française et à éliminer les discriminations dont elles peuvent faire l’objet » et Simone Veil, ministre de la Santé [13] (Bard 2001, p. 173). Le Chef de l’État fait d’une meilleure reconnaissance des femmes dans la sphère publique l’emblème de son progressisme : première sous-préfète, premières commissaires de police, premières académiciennes… La volonté du prince lève les interdits qui pesaient en matière d’accès à certaines carrières de la haute fonction publique, au cœur du pouvoir institutionnel. Ces formes de reconnaissance des femmes sont donc un enjeu politique qui assure, malgré les résistances au féminisme, un fort bénéfice symbolique à ceux qui les mettent en place.
17Dans ce contexte historique, certains indices permettent de voir se dessiner la trame d’une stratégie pour imposer la candidature de l’écrivaine sous la Coupole. Roger Caillois, élu en 1970 au troisième fauteuil [14], évoque dans sa correspondance privée, peu après sa propre élection, certaines candidatures féminines :
L’innovation consistera cette fois à introduire des étrangers […] et des femmes. J’ai pensé à deux d’entre elles, Victoria Ocampo et notre amie Marguerite Yourcenar, que j’ai désignées dans les journaux et à la radio comme une proie toute désignée pour l’Académie [15].
19De plus, en 1977, Jean d’Ormesson, élu au douzième fauteuil en 1973, lui-même proche de Roger Caillois, évoque publiquement cette intention :
Je souhaite très vivement que Marguerite Yourcenar entre à l’Académie française. […] Je le souhaite [dit-il], parce qu’à mon avis, Marguerite Yourcenar est l’un des plus grands écrivains français vivants. Certes, quelques obstacles semblent actuellement s’opposer à son élection. D’abord, elle ne vit pas en France, mais aux États-Unis. Ensuite, c’est une femme et les quarante n’ont jamais élu que des hommes. Cependant ces obstacles ne me semblent pas insurmontables [16].
21La presse de l’époque s’empare de la question et le journaliste Jean Chalon rédige une lettre ouverte au secrétaire perpétuel de l’Académie, Jean Mistler :
Depuis que Marguerite Yourcenar a reçu en juin dernier votre grand prix de la littérature, un bruit est né Quai Conti […], puisqu’il faut bien vous annoncer la chose la plus naturelle du monde, l’entrée de Marguerite Yourcenar à l’Académie française [17].
23Les déclarations d’intention sont soutenues par des initiatives médiatiques qui dépassent le cadre de l’institution. Comme nous le signale Michel Déon :
Il y a eu un moment. Vous savez dans la vie des écrivains, il y a des moments de grâce. Tout le monde lui trouvait un immense talent. […] Tout d’un coup, mais oui, mais ça c’est des engouements médiatiques et autres, c’est des vagues qui passent, et là il y a eu une vague Yourcenar, tout le monde trouvait ça absolument merveilleux [18].
25Marguerite Yourcenar bénéficie en effet, à cette époque, d’une forte médiatisation et son élection paraît acquise. La dénonciation, si ce n’est le redressement des inégalités vécues par les femmes, sonne comme une garantie d’innovation sociale. L’évidence de plus en plus grande de la légitimité des revendications des femmes piège les plus réticents qui sont aux prises avec la production de nouvelles normes qui rendent éculées celles du maintien des femmes en dehors des espaces de pouvoir.
Les enjeux de l’entrée d’une femme sous la Coupole
26Parce que les institutions classent, norment, produisent des valeurs et des identités (Douglas 2000) en exerçant une domination légitime sur une société fondée sur la prétention universelle de tels lieux et que l’Académie française fait partie de ces institutions où s’exerce ce type de domination symbolique, il s’agit d’analyser le moment historique de la candidature et de l’élection de Marguerite Yourcenar pour appréhender comment, à travers la construction sociale et symbolique de cette élection, se négocient les rapports sociaux de sexe.
27L’Académie française est une institution en tant qu’elle est soumise à une formalisation juridique ; il lui incombe de tenir des registres, d’établir des procès-verbaux des séances qui s’y tiennent. Elle a aussi une régularisation politique qui atteste de l’utilité publique de l’Académie qui légifère sur la langue en rédigeant le Dictionnaire de l’Académie. Elle produit de la valeur littéraire en consacrant des œuvres par ses prix. Enfin, ses pratiques sont fixées par le règlement, elle bénéficie d’un lieu, le Quai Conti, où sont rassemblées les cinq sections de l’Institut, et les académiciens ont un calendrier à suivre le jeudi pour les séances du dictionnaire, ainsi que la tenue régulière d’assemblées réunissant les cinq classes.
28Le prestige de l’Académie française est fondé sur celui de ses membres. Pour accéder au statut d’académicien, deux modes de dépôt des candidatures sont prévus. Le candidat adresse une déclaration d’intention au secrétaire perpétuel, ou, procédure exceptionnelle, il est représenté par un ou plusieurs académiciens. De plus, le règlement stipule que les candidats doivent avoir la nationalité française, résider en France et ne doivent pas faire de visite aux membres de l’Académie. Néanmoins, l’usage veut que les visites soient admises. Les élus sont tenus de participer aux séances et de tenir secrets leurs votes ainsi que tout ce qui se passe au cours des séances. L’esprit de corps règne et l’institution se doit d’afficher une ligne officielle garante de l’apparent consensus censé régner dans ce corps et de la portée universelle et légitime de son discours. On peut cependant ajouter une spécificité supplémentaire à la garantie de l’efficience de cet esprit de corps : celui de ne recruter que des hommes et de tenir pour principe le primat donné à cet entre-soi masculin. Comme l’écrit Jean d’Ormesson :
On peut dire que Pascal et Molière et Balzac et Stendhal et Baudelaire et Marcel Proust ne furent pas non plus — officiellement du moins — parmi ceux que Jules Renard appelait assez joliment le commun des immortels. Mais c’étaient des erreurs. Les femmes c’était un principe [19].
30Et c’est au nom de la contestation de ce principe que va se dresser ce jeune élu de l’Académie.
31La stratégie mise en œuvre pour faire élire Marguerite Yourcenar est bâtie de toutes pièces par Jean d’Ormesson, ce qu’il revendique au cours de nos entretiens. À la mort de Roger Caillois dont il est proche, en décembre 1978, il pense à l’écrivaine, installée sur l’île de Mont-Désert aux États-Unis, pour succéder au défunt. Après en avoir alerté certains de ses confrères, et surtout avoir obtenu l’accord de sa candidate, il fait campagne pour elle. Cependant, l’institution exige en préalable, pour ne pas se voir désavouée, d’être assurée que la candidate soutenue ne récusera pas son élection. Marguerite Yourcenar donne son accord écrit à Jean Mistler. Elle confirme son consentement conditionnel par voie de presse et déclare le 8 novembre 1979 :
N’allez surtout pas donner l’impression que je suis saisie de la fièvre verte. J’ai indiqué que je ne ferais pas acte de candidature, que je ne ferais pas de visites, que je ne m’engagerais pas à passer un temps déterminé en France. Si dans ces conditions, ces messieurs sont prêts à accepter pour la première fois une femme parmi eux, je ne ferai pas à la France l’impolitesse de refuser cet honneur [20].
33Cette attitude complique la tâche de ses partisans (Galey 1989, p. 123).
34L’élection va se jouer, en partie, en dehors de la Coupole, pendant la période de campagne électorale pour les présidentielles de 1981. La campagne médiatique sur cette candidature exceptionnelle lancée dès 1977 bat son plein en 1979, soutenue par Jean d’Ormesson qui dispose d’un solide réseau dans la presse, surtout au Figaro qu’il a dirigé, avec Jean Chalon et Hélène de Turckeim [21] notamment. Chacun des intervenants tire un bénéfice personnel en raison de la valeur de l’auteure et comme défenseur de l’idée de l’entrée dans l’Histoire de la première Immortelle. Et en même temps, c’est aussi sa spécificité par rapport aux autres femmes qui est avancée :
S’il fallait recevoir sous la Coupole quelque duchesse obstinée à confondre mondanités et littérature, quelque scandaleuse avide de publicité personnelle, ou pire encore, quelque échappée du Front de libération féminine, je serais monsieur le Secrétaire perpétuel, à vous aider à froncer le sourcil et à vous draper dans votre tour d’ivoire (pardon pour l’audace de cette dernière image). Mais Yourcenar, gloire et lumière de nos lettres [22].
36Les partisans de l’écrivaine minimisent ainsi l’importance de son appartenance de sexe au nom de ses qualités d’écrivain, ainsi Jean d’Ormesson déclare :
Le premier mérite de Marguerite Yourcenar est d’avoir détruit le mythe de la littérature féminine… Après Marguerite Yourcenar, il ne viendra plus à l’idée de personne de distinguer une écriture féminine d’une « écriture masculine » [23].
38Alors que son appartenance sexuée est le principal motif de refus de ses adversaires, ses défenseurs jouent de façon très ambiguë sur deux registres apparemment contradictoires pour élaborer leur stratégie.
39Élire une femme s’affiche comme un acte subversif car cela rompt avec la tradition académique : « En faisant élire une femme, j’ai brisé une tradition » aime à répéter Jean d’Ormesson dont l’un des ancêtres a été assassiné pour avoir voté la mort de Louis xvi. De plus, la candidate est précisément défendue parce qu’elle n’est identifiée ni à la lutte des femmes ni à la littérature féminine. Ainsi Jean Guéhenno avait-il dit d’elle : « Mais messieurs c’est une femme mâle » [24]. Outre cet avantage de ne pas être assimilée à la littérature féminine, c’est aussi en raison de son absence de lien avec le mouvement féministe que Marguerite Yourcenar peut constituer une candidate légitime. Comme nous le précise Félicien Marceau :
Ce qui était différent avec Marguerite Yourcenar, c’est qu’elle avait une œuvre. Si bien que l’on ne pouvait pas traiter sa candidature par dessus la jambe comme pour les autres femmes, notamment Louise Weiss et la danseuse [25]. Si Yourcenar a eu ses chances, c’est parce qu’elle avait une œuvre, que sa candidature, contrairement à celle de Louise Weiss, n’était pas une tentative symbolique pour le féminisme. Marguerite est une femme qui a une œuvre et toutes deux méritaient considération. Le féminisme était aboli par l’œuvre [26].
41C’est parce qu’elle tire son prestige de l’univers des Lettres qu’elle est présentable. Mais c’est aussi précisément parce qu’elle est comparable aux hommes, identifiée comme leur égale que l’on peut faire l’économie de son appartenance de sexe. Marcel Jullian cite ainsi les propos de Jean Mistler :
Je ne vois pas qui pourrait rivaliser avec Marguerite Yourcenar pour le titre de plus grand écrivain de son sexe : en effet un roman comme L’œuvre au noir ou un essai comme celui qu’elle a consacré à Piranèse figureraient avec honneur dans la bibliographie des plus grands écrivains masculins [27].
43La crainte de la confusion des genres amplifie les tensions entre les tenants de la tradition et ceux de la modernité. La campagne s’organise en médiatisant l’écrivaine mais aussi en dénonçant les motifs de refus des plus hostiles : « Son élection serait la grande et belle occasion pour l’Académie d’en finir avec une injustifiable tradition d’antiféminisme » souligne un entrefilet du Figaro Magazine [28]. « Comment peut-on, à la veille de 1980, être contre l’entrée des femmes dans une institution ? » demande à André Chamson Roger X. Lanteri [29]. La presse, en majorité favorable à l’élection de Marguerite Yourcenar, accentue les traits conservateurs de l’institution qui s’en trouve momentanément ébranlée.
44Cette élection modifie les clivages traditionnels entre la gauche et la droite académique. Si bien que deux adversaires historiques de l’assemblée, Pierre Gaxotte, qui incarne la droite très conservatrice et André Chamson, écrivain engagé à gauche depuis le Front populaire, adoptent la même ligne de conduite en refusant cette candidate. De même, Jean Guitton, le plus ouvertement réfractaire, regrette qu’elle choisisse « la lyre plutôt que la couronne » et estime qu’elle « est femme et qu’en tant que femme elle a autre chose à faire que de siéger parmi quarante hommes » [30]. L’engouement que fait naître l’écrivaine à la fin des années soixante-dix rend difficile une contestation de son talent d’écrivain. On assiste à la rémanence du discours sur la différence des sexes dont le redoutable raisonnement par prétérition omet, à force de croire à la bipartition naturelle des territoires entre les sexes, d’historiciser la construction sociale de l’exclusion des femmes des espaces circonscrits pour et par les hommes. Le refus d’intégrer l’écrivaine en appelle aux traités de bonne conduite entre les sexes. Une raison d’ordre protocolaire est alors avancée : la courtoisie veut que les hommes cèdent le passage aux femmes, or à l’Académie l’ordre d’entrée sous la Coupole se fait en fonction de l’ancienneté dans l’institution. Si bien que la crainte des académiciens est de perdre leur rang dans la file des élus ! Ce sont deux logiques sociales de régulation des conduites et d’établissement des hiérarchies qui s’affrontent ici. L’entrée d’une femme met en relief la confrontation d’un rapport social de sexe et d’un rapport social de domination symbolique fondé sur l’ancienneté dans l’institution. Leur confrontation brouille les codes et les usages hérités de la tradition académique. Finalement, cette question sera résolue en maintenant la prévalence de l’ancienneté sur la courtoisie entre les sexes. Indice qui signifie la neutralisation de l’appartenance sexuée sous La Coupole, après avoir été « écrivain », les femmes élues deviennent « académicien ». Comme le note Jacqueline Piatier :
Il leur fallait un grand nom, un talent reconnu et indiscutable, pour tout dire un talent mâle [31].
46Être Immortel s’accorde au masculin.
Yourcenar : un candidat incontournable
47Alors que Marguerite Yourcenar déroge aux usages en refusant de jouer le jeu des visites aux académiciens, elle se prête volontiers au jeu médiatique. Elle accueille plusieurs équipes de journalistes venues sur son île pour y enregistrer des émissions scrupuleusement choisies. France Culture consacre dès 1977 plusieurs émissions telles que Les après-midi de France Culture animée par Jean Montalbetti en novembre, l’émission Les Nuits magnétiques met l’auteure à l’honneur le 20 février 1978. La diffusion de la perspective de son élection se répand dans la presse et dans les milieux culturels et politiques. Les dîners en ville se passionnent pour la question de son éligibilité. La formation de l’opinion favorable à la présence de cette candidate sous la Coupole, au vu de sa reconnaissance littéraire, se construit progressivement. Au-delà du cadre confidentiel de France Culture, la télévision publique s’emploie à médiatiser Marguerite Yourcenar tout au long de l’année 1979. fr3 programme une émission intitulée Un comédien lit un auteur en juin. Les grandes figures médiatiques entrent dans le jeu des rituels de consécration cette année-là.
48Ainsi, avant d’être la première femme élue à l’Académie française, elle est la première personne invitée de l’émission de Jacques Chancel, Radioscopie, du 11 au 15 juin 1979, qui inaugure une nouvelle formule à laquelle la presse écrite donne un très large écho. Jacques Chancel invite plusieurs personnalités [32] faisant autorité, qui viennent poser des questions à l’auteure, parmi lesquelles Jean d’Ormesson et Jean Mistler, secrétaire perpétuel de l’Académie. Bernard Pivot, ancien du Figaro, lui réserve, par l’entremise de son collègue Chancel, l’une de ses émissions spéciales consacrées à un seul invité. Elle est ainsi la première femme reçue seule par le journaliste [33]. La presse audiovisuelle relaie ces émissions manifestant clairement une volonté de populariser l’écrivaine. La campagne se fait ainsi tout autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Académie. À cette femme exceptionnelle sont réservées des émissions exceptionnelles.
49Cependant, si la stratégie de médiatisation s’accorde au climat social et politique qui tente de remédier aux inégalités vécues par les femmes, l’Académie fait de la résistance pour conserver le bénéfice d’un mode de reproduction d’une société masculine. L’opposition des tenants de la tradition et des « modernes » éclate sur la question de cette candidature féminine. Parmi les trente-huit Immortels vivants au moment de la candidature de Marguerite Yourcenar, vingt ont été élus depuis 1970. La candidature de Marguerite Yourcenar devait être examinée le 15 novembre 1979, mais face à l’hostilité des plus traditionalistes, entraînés par André Chamson, plusieurs jeunes élus tels que Jean d’Ormesson, Félicien Marceau, Maurice Rheims et Jean-Jacques Gautier quittent la séance sous les semonces de leurs adversaires. Jean d’Ormesson est traité de « gauchiste », il est soupçonné de « vouloir se faire de la publicité ». En touchant à l’usage, c’est l’équilibre des forces qui est attaqué. Comme en témoignent ces propos d’André Chamson :
Je ne suis pas contre l’entrée des femmes. Ce que je n’aime pas, c’est que des gens qui sont parmi nous depuis moins de quatre ans veuillent imposer leur choix par caprice ou par décision unilatérale. Ce sont des enfants gâtés de la république mondaine dans laquelle nous vivons. Ils veulent nous faire passer pour de vieux schnocks ! [34]
51En se retranchant derrière ce clivage jeunes-vieux, la question de l’inéligibilité des femmes est éludée et la question de l’entrée de Marguerite Yourcenar est reportée au 6 décembre 1979. Une autre technique d’évitement sera utilisée, « L’affaire Yourcenar », selon les termes de Jean Mistler, va alors être examinée à travers le problème de sa nationalité. En effet, en optant pour la nationalité américaine en 1947, l’écrivaine a renoncé à la nationalité française. Le règlement impose le refus. Mais les défenseurs de Marguerite Yourcenar obtiennent, par dix-huit voix contre deux, un nouveau report de son élection en profitant d’une seconde vacance de fauteuil à pourvoir.
52Si l’on avait opposé l’usage au règlement pour justifier le refus de l’élire, cette fois-ci la contestation se fonde sur un texte écrit. En mobilisant les uns après les autres tous les registres qui jouent en faveur de l’exclusion, c’est bien la préservation de l’entre-soi masculin qui est visé. Néanmoins, les académiciens les plus rétifs sont confrontés à la volonté du Président de la République qui, Protecteur de l’Académie selon les statuts de l’institution, soutient fermement cette candidature et le fait savoir de manière informelle. L’autonomie du corps des académiciens achoppe sur un enjeu politique qui la dépasse. La porosité des frontières de l’institution est accentuée et le rapport de forces tourne à l’avantage des plus jeunes entrés.
53En effet, Alain Peyrefitte, Garde des Sceaux et académicien, élu en 1977, va résoudre cette difficulté en suggérant à Marguerite Yourcenar de faire une déclaration de demande de réintégration de la nationalité française. Elle accepte. Le Garde des Sceaux justifie sa requête en se fondant sur ce texte du code de la nationalité :
Les personnes qui, alors qu’elles étaient françaises d’origine, ont perdu leur nationalité en raison du mariage avec un étranger ou de l’acquisition par mesure individuelle d’une nationalité étrangère peuvent, sous réserve des dispositions des articles 58 et 79, être réintégrées par déclaration souscrite, en France ou à l’étranger, conformément aux articles 101 et suivants. Elles doivent avoir conservé ou acquis avec la France des liens manifestes, notamment d’ordre culturel, professionnel ou familial [35].
55Le 20 décembre 1979, le Garde des Sceaux adresse au secrétaire perpétuel un pli comprenant la déclaration de Marguerite Yourcenar demandant sa réintégration dans la nationalité française, une lettre par laquelle le ministre du Travail et de la Participation informe le ministère de la Justice qu’il a enregistré cette réintégration ainsi qu’un certificat établi par le juge d’instance du premier arrondissement de Paris. Les documents prennent acte de sa réintégration dans la nationalité à compter du 6 décembre 1979, jour où la déclaration est souscrite devant le consul de France à Boston.
56Cette documentation officielle fait s’effondrer l’argument du refus fondé sur le règlement et la lettre de Marguerite Yourcenar est perçue comme une déclaration de candidature, ce qu’elle avait toujours refusé. Les académiciens les plus réfractaires voient leur argumentation s’effondrer. Un autre élément va jouer en sa faveur : la mort de Joseph Kessel en juillet 1979 laisse son fauteuil vacant. Son successeur annoncé, Michel Droit, qui ne fait pas l’unanimité, va modifier la donne. En couplant les deux élections, les adversaires peuvent trouver un terrain d’entente en élisant chacun le candidat de l’autre camp. Maurice Rheims relate ce double scrutin :
Pour le premier, un candidat se détachait, excellent romancier, esprit libre et original. Seulement voilà, ce n’était pas tant l’individu qui était ici en cause que l’idée même de faire de lui un académicien. […] Élire ce personnage semblait poser à certains un véritable cas de conscience : il s’agissait… d’une femme ! […] À l’Académie on était divisés. Pour certains, il fallait tenir compte de l’évolution des esprits et des mœurs ; pour d’autres, nous devions rester un vieux club, où nous avions nos habitudes. […] Le même jour on allait voter pour les deux fauteuils à pourvoir, ce qui permettait tous les marchandages… À peine la première élection serait-elle faite — et réussie — on passerait à la seconde. […] Pourtant, dans la quinzaine qui avait précédé la double élection, un de nos confrères avait œuvré silencieusement, vantant les qualités du « deuxième homme », son protégé. […] Ce confrère, qui connaissait la maison comme le chat son grenier, était allé de l’un à l’autre, mais à l’insu de chacun. « D’accord, je voterai pour le premier candidat, il l’emportera. Mais ne soyez pas ingrat, votre petite voix, s’il vous plaît, au premier tour, pour le second candidat. » Il s’efforça ainsi de nous convaincre séparément que son protégé ne devait pas essuyer un échec trop cuisant et nous étions persuadés de n’être que quelques-uns dans la confidence.
58Ce « troc » [36] a permis d’élire les deux candidats au premier tour [37]. Concernant Marguerite Yourcenar, sur les vingt voix obtenues figurent quatorze académiciens [38] élus au cours des années soixante-dix, leur moyenne d’âge est de 62 ans tandis que la moyenne d’âge de l’ensemble de la compagnie est de 74 ans. Le lien entre l’élection d’une femme (elle a alors 77 ans !), symbole de modernité, et le rajeunissement de ses membres est établi.
59* * *
60L’élection de Marguerite Yourcenar n’a pu être possible qu’en raison de la convergence d’un faisceau d’intérêts qui dépassaient la simple légitimation de son œuvre. La cérémonie de réception de Marguerite Yourcenar qui s’est déroulée le 22 janvier 1981 a été un événement médiatique et mondain retentissant. Valéry Giscard d’Estaing y a assisté entouré de nombreux ministres et ambassadeurs. Ce rite d’institution a, pour la première fois, été télévisé, ce qui révèle l’importance accordée à cette intronisation, symbole de la rupture d’une tradition de cooptation masculine à quelques mois des élections présidentielles. Si le Président de la République s’affiche à l’Académie, l’écrivaine n’en est pas moins sollicitée par ailleurs par le Parti socialiste. Cette élection revêt donc bien un intérêt majeur pour les hommes de pouvoir et atteste de son intérêt symbolique qui voile à peine l’enjeu politique aussi bien extérieur — celui de la conquête d’un électorat féminin — qu’intérieur à l’Académie, celui des jeunes contre les anciens académiciens. Néanmoins, la campagne menée pour défendre sa candidature et les commentaires qui ont suivi son élection révèlent que le fait d’être de sexe féminin demeure l’élément sur lequel achoppe l’évolution de cette institution. Entre dénégation de l’appartenance sexuée et édification du symbole subversif de cette élection, porteuse d’innovation, soutenue par les plus jeunes de l’Académie, c’est bien le contrôle de la reproduction sociale du pouvoir masculin qu’il s’agit de préserver [39]. En effet, malgré le coup de force symbolique de cette intronisation, renforcé par l’absence de concessions déclarées par la romancière, il s’agit de toujours minimiser son appartenance de sexe : « C’est un écrivain plus qu’une femme qui entre sous la Coupole » écrit Jean d’Ormesson [40]. Ainsi, cette brèche ouverte ne doit pas pour autant en faire un lieu aisément accessible aux femmes. Il s’agit de maintenir un mode de reproduction à dominante masculine, comme l’attestent ces propos d’Alain Peyrefitte le jour du scrutin :
Mesdames, ne croyez pas que les portes vous soient grandes ouvertes. Le groom s’est refermé et la prochaine qui se présentera risque de payer cette élection cher, très cher [41].
62Et c’est effectivement avec parcimonie qu’y pénètrent les femmes. Bien que trois d’entre elles y aient été élues sans tollé depuis l’élection de Marguerite Yourcenar, elles représentent 7 % des élus depuis 1981 [42].
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : hommes, institutions, champ litteraire, segregation
Date de mise en ligne : 01/02/2012.
https://doi.org/10.3917/cdge.036.0045Notes
-
[1]
Élue en 1971 à l’Académie des sciences morales et politiques.
-
[2]
Élue en 1975 à l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
-
[3]
Élue en 1979 à l’Académie des sciences.
-
[4]
Les cinq sections sont : l’Académie française, l’Académie des sciences, l’Académie des sciences morales et politiques, l’Académie des inscriptions et belles-lettres et l’Académie des beaux-arts.
-
[5]
Procès-verbal, 1er décembre 1910, 2B17. Il n’est pourtant pas fait mention de la présence de femmes à l’Académie des beaux-arts sous l’Ancien Régime.
-
[6]
Rapport Esmein, « L’inéligibilité des femmes », janvier 1911, fonds, Académie française.
-
[7]
L’Écho de Paris, 15 novembre 1910.
-
[8]
L’Excelsior, 30 novembre 1910.
-
[9]
Bien que cela ne soit pas l’objet de l’article, il est nécessaire d’évoquer la trajectoire sociale et littéraire de Marguerite Yourcenar par un bref rappel des grandes lignes de son parcours personnel. Certaines données biographiques et jugements portés sur l’auteure vont en effet être mobilisés ou au contraire occultés au moment de sa candidature à l’Académie française par les Immortels.
-
[10]
En effet, parmi les trente-huit académiciens vivants au moment de l’élection de Marguerite Yourcenar, quinze sont élus en qualité d’écrivain (romancier, dramaturge, poète). Parmi eux, sept ont reçu un prix de l’Académie française et six le Grand prix Prince de Monaco (fondé en 1950), deux auteurs ont reçu les deux. Et trois n’en ont reçu aucun.
-
[11]
Bien que décerné par la Principauté de Monaco, le jury de ce prix est composé de membres de l’Académie française et Goncourt. Il couronne des auteurs de langue française.
-
[12]
Bulletin du livre de Paris, 15 janvier 1975. Ce jury est composé de Michel Guy, secrétaire d’État aux Affaires culturelles, Guy Prajot et Yves Cazaux, qui appartiennent à ce secrétariat d’État, Marcel Arland, Hervé Bazin, Marcel Brion, Jean Cassou, Jean Delay, Pierre Emmanuel, Max-Pol Fouchet, Yves Gandon, Jean Guéhenno, Robert Kanters, Saint-John Perse et Henry Troyat. Ce jury comprend six Immortels.
-
[13]
Simone Veil est la seconde femme ministre en France depuis Germaine Poinso-Chapuis vingt-cinq ans plus tôt.
-
[14]
À l’Académie française, le numerus clausus est fixé à quarante membres. Chacun d’entre eux est élu à un fauteuil numéroté de un à quarante. Lors du décès d’un académicien, ses collègues sont chargés de pourvoir à sa succession au fauteuil occupé. Si bien qu’un savant peut succéder à un ecclésiastique lui-même successeur d’un écrivain ou d’un duc…
-
[15]
Lettre de Roger Caillois à Jacques Kayaloff, 9 mars 1971, archives Anya Kayaloff.
-
[16]
Le Quotidien de Paris, 10 octobre 1977. Marguerite Yourcenar a reçu le Grand prix de l’Académie française le 15 juin 1977.
-
[17]
Jean Chalon, « Marguerite Yourcenar à l’Académie française », Le Figaro, 26 novembre 1977.
-
[18]
Entretien accordé en septembre 2003.
-
[19]
Le Figaro Magazine, 8-14 mars 1980.
-
[20]
Agence France Presse, 8 novembre 1979.
-
[21]
Dès 1979, la journaliste écrit un article intitulé : « Une femme bientôt à l’Académie », Le Figaro, 9 novembre 1979.
-
[22]
Jean Chalon, op. cit., 26 novembre 1977.
-
[23]
Elle, « Marguerite Yourcenar, déjà immortelle… », 10 décembre 1979.
-
[24]
Cité par Jacques Cordy, Le Soir, « La non-élection de Marguerite Yourcenar à l’Académie française : partie remise ? », 6 décembre 1979.
-
[25]
En 1975 Louise Weiss et Janine Chappat se sont présentées.
-
[26]
Entretien accordé en août 2003.
-
[27]
Marcel Jullian, « Une femme sous la Coupole », Le Figaro, 7 mars 1980. Ces propos du secrétaire perpétuel de l’Académie française datent de 1974.
-
[28]
15 décembre 1979.
-
[29]
L’Express, 8 décembre 1979.
-
[30]
Le Soir, 7 mars 1980. Entretien avec Jacques Cordy.
-
[31]
Jacqueline Piatier, « Marguerite Yourcenar candidate au fauteuil de Roger Caillois », Le Monde, 10 novembre 1979.
-
[32]
Parmi les autres intervieweurs figurent Jean-Claude Lamy, Françoise Xénakis, Bertrand Poirot-Delpech, Jean-François Josselin, Angelo Rinaldi, Matthieu Galey, qui ont tous des tribunes prisées dans la presse et l’audiovisuel.
-
[33]
Concernant l’émission télévisée, on notera qu’elle avait été avancée du 28 décembre au 7 décembre 1979. La première date prévue était fixée au lendemain présumé de son élection qui semblait acquise à l’Académie française.
-
[34]
L’Express, 8 décembre 1979.
-
[35]
Code de la nationalité modifié par la loi du 9 janvier 1973. Article 97-4.
-
[36]
Jean-Christian Harvet, « Scandale à l’Académie française : Marguerite Yourcenar troquée contre Michel Droit. Le mur de la médiocrité est franchi », Les Nouvelles littéraires, n° 2728, 13 mars 1980.
-
[37]
Michel Droit obtient dix-neuf voix pour et treize contre.
-
[38]
Les votes sont secrets, les données dont nous disposons sont issues des suffrages rapportés dans la presse. Parmi ces jeunes élus, figurent deux personnes dont nous ne connaissons pas le choix et une qui était absente le jour du scrutin.
-
[39]
Depuis 1970, sur cent un scrutins, seulement dix-huit comptent des candidatures féminines et les femmes représentent 7 % des effectifs des candidats et 6 % des élus. Le nombre de femmes n’excède jamais deux pour chacun des scrutins. En une trentaine d’années, soixante-trois hommes ont été élus pour quatre femmes et seize femmes ont été candidates pour deux cent vingt hommes. Un quart des femmes qui se sont présentées ont été élues, pour un tiers des hommes, ce qui signifie que le taux de réussite d’entrée à l’Académie est favorable aux hommes malgré un bien plus grand nombre de concurrents dans leur catégorie de sexe. Le droit d’entrée à l’Académie est donc bien marqué du sceau du masculin à l’instar d’autres institutions comme le cnrs (Devreux, Hurtig 2001) ou l’ehess (Naudier 2003). On constate que les femmes étaient plus nombreuses à se présenter sous la Coupole entre 1970 et 1989 (elles figurent dans quinze scrutins sur soixante et un), tandis qu’elles ne se sont présentées qu’à trois élections depuis 1990 sur un total de quarante. En outre le nombre de candidates est passé de sept au cours des années soixante-dix à trois depuis 1990. Si les candidatures des années soixante-dix avaient, pour certaines femmes comme Louise Weiss ou Françoise Parturier, une portée symbolique, il semble que, depuis une dizaine d’années, les femmes ne jouent plus cette carte militante. L’élection de Marguerite Yourcenar n’a pas provoqué une hausse massive des candidatures féminines, et la présence de femmes n’a pas contribué à moderniser l’image de l’Assemblée ni à les attirer.
-
[40]
Le Figaro, « La première Immortelle », 7 mars 1980.
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[41]
Françoise Xénakis, « Marguerite Yourcenar a été largement élue », Le Matin, 7 mars 1980.
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[42]
Depuis 1981, quarante-trois personnes ont été élues à l’Académie parmi lesquelles trois femmes, dont deux, comme Marguerite Yourcenar, appartiennent à la noblesse et la dernière élue est la fille d’un académicien décédé.