Notes
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[1]
Mairie de Paris, Vidéothèque de Paris, « Maîtres et valets », programme du 7 mai au 8 juillet 1997, n° 18.
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[2]
À titre d’exemple : Solaris d’Andreï Tarkowski (1972).
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[3]
En l’occurrence, dans son modèle originel, des agents économiques dépendant d’une institution, d’une entreprise ou d’un produit.
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[4]
C’est symptomatiquement à partir de ce dernier film qu’Albert Memmi a pu montrer le caractère souvent sans issue de la domination, en raison de cet effet de « retour du pendule », ce mouvement de balancier par lequel la domination tend à simplement s’inverser quand une circonstance le permet (Memmi 1968).
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[5]
C’est le cas dans Désiré de Sacha Guitry (1937), dans Douce de Claude Autant-Lara (1943), dans Les belles manières de Jean-Claude Guiguet (1977), dans Une affaire de goût de Bernard Rapp (2001), et en Grande-Bretagne, dans La dame de Windsor de John Madden (1999).
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[6]
Cette parole, quand bien même serait-elle sollicitée, est dénoncée comme illusoire et malsaine : pessimisme social que ne renierait pas le plus averti des sociologues. Ainsi, dans l’enquête menée par Annie Lauran, par exemple, les bonnes soulignent l’intérêt feint des maîtres : « Quelquefois elle me demande [des nouvelles] de ma famille, mais c’est seulement pour la façon de demander ; elle ne s’intéresse pas du tout à moi » (Lauran 1976, p. 85).
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[7]
Pour une analyse de ce film, cf. Bernard Pudal (1996).
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[8]
Ce qui montre bien que, aussi commode que soit son schéma, il mérite d’être fortement enrichi — il est vrai qu’il visait à décrire des situations tout autres : de dépendance économique.
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[9]
Pour une très intéressante relecture du contenu donné par Albert Hirschman (et par d’autres) à la notion de loyalty, cf. Patrick Lehingue (2001).
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[10]
Cette issue fatale nous est pourtant épargnée dans quelques films, qui devront être commentés : Désiré et Tu m’as sauvé la vie de Guitry (1937 et 1950), L’amant de Lady Chatterley de Marc Allégret (1955) et celui de Just Jaeckin (1981), Le fabuleux destin de Madame Petlet de Camille de Casabianca (1995), ou encore Une femme de ménage de Claude Berri (2002).
-
[11]
« L’homme des coulisses », Le Monde, 5 avril 1984, p. 1.
-
[12]
« Shakespeare, en veux-tu, en voilà », Le Matin, 9 avril 1984, p. 84.
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[13]
Bien qu’exclu de notre corpus car la relation maître-domestique n’y représente pas le thème principal du film.
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[14]
Depuis 1982, la catégorie « gens de maison » ne figure même plus dans la nouvelle nomenclature socioprofessionnelle de l’INSEE (Villeneuve-Gokalp 1994).
-
[15]
En 1881, les domestiques représentent en Grande-Bretagne un huitième de la population active dont 90 % de femmes. Et en 1871, on dénombrait 90 000 cuisinières et autant de femmes de chambres, pour 16 000 cochers (Bedarida 1990, p. 99 et p. 144). En France, pour une population de domestiques variant entre 900 000 et 1 300 000 entre 1896 et 1911, le pourcentage de femmes ne cesse d’augmenter à partir de la deuxième partie du XIXe siècle, passant d’un ratio de 69/31 en 1851 à 71/29 en 1871, 73/27 en 1881, 76/24 en 1891, 81/19 en 1896 et 83/17 en 1901 (Fugier-Martin 1979, p. 35).
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[16]
« Si l’on considère le petit nombre de domestiques femmes qui ont comparu aux Assises de Paris entre 1885 et 1895 (21 sur plus de 1000 affaires, soit 2 %), c’est d’abord pour vol et pour infanticide qu’elles sont jugées […]. Dans le registre d’écrou de la prison Saint-Lazare, les sondages faits en juin et décembre 1899 montrent que le vol est la première cause d’incarcération des servantes : il représente plus de la moitié des délits » (Fugier-Martin 1997, p. 222-233).
-
[17]
Dans l’ordre chronologique : Jérome et Jean Tharaud, « Les sœurs Papin n’ont pas encore livré leur secret », Paris-Soir, oct. 1933 ; Louis Martin-Chauffier, « Les sœurs Papin : un crime sans motif », Vu, oct. 1933 ; Paul Eluard, Benjamin Péret, Le surréalisme au service de la révolution (1933) ; Jacques Lacan, « Motifs du crime paranoïaque » (1933) ; Jean Genet, Les bonnes (1947) ; Simone de Beauvoir, La force de l’âge (1960, p. 136-137) ; Louis Le Guillant, « Incidences… » (1963a) ; Louis Le Guillant, « L’affaire des sœurs Papin » (1963b) ; Paulette Houdyer, Le diable dans la peau (1966) ; Gérard Lourmel, L’ombre rouge : dits et non-dits dans l’affaire Papin (2000) ; Sophie Darblade-Mammouri, L’affaire Papin (2000) ; Rachel Edwards, Keith Reader, The Papin Sisters (2001).
Pour les écrits récents du côté des professionnels du psychisme : Francis Dupré, La « solution du passage à l’acte ». Le double crime des sœurs Papin (1984) ; Martine Fleury, « À propos d’un cas de violence criminelle » (1994). -
[18]
Octave Mirbeau, Journal d’une femme de chambre, cité in Guiral et Thuillier (1978, p. 143).
-
[19]
Ce dernier, présentateur vedette du journal télévisé de 20 heures, a animé de nombreuses émissions à succès — littéraires ou cinématographiques — sur Antenne 2 ou France 3 ; ancien correspondant d’Antenne 2 à Londres, il y exploitait notamment ses rapports privilégiés avec William Boyd, P. D. James et Anthony Burgess.
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[20]
Ainsi en Grande-Bretagne, nous dit-on, « Les contrastes sociaux ont rarement débouché sur une lutte révolutionnaire des classes » (Roland Marx 1980, p. 209-210).
-
[21]
Pierre Bourdieu (1992). Les règles de l’art. Paris, Seuil, p. 59, cité in Fabiani (1993).
1La relation maître-domestique est exemplaire d’une relation de domination spécifique : celle qui s’exerce dans un constant face à face. Comment un groupe social particulier — celui des créateurs de films — pense-t-il ce type de relation ? Le matériau filmique peut être considéré — c’est en tout cas ce qu’on s’efforcera de démontrer ici — comme un lieu parmi d’autres où se choisissent et se « testent » dans l’imaginaire des solutions à des problèmes. Comment administrer socialement une relation de forte dépendance réciproque dont la tension se trouve accrue et transformée du fait que les protagonistes s’y trouvent constamment confrontés l’un à l’autre ? Nous qualifierons ce type de relation, de domination « rapprochée ». Que va en faire l’imaginaire des créateurs, et quelles issues va-t-il lui trouver ?
2Nombreux sont les films où apparaissent des serviteurs aux fonctions diverses. En 1997, un festival dédié à la relation entre « maîtres et valets » n’en comptabilisait pas moins de soixante-dix [1]. Mais parmi ceux-ci, quelques-uns font de la relation de domesticité elle-même, de la confrontation entre les deux classes, le sujet principal — et non un ornement secondaire — du récit. Comment déterminer cependant ce caractère principal et secondaire ? Il existe un critère assez simple à cet égard. Le très bref résumé, canonique, accompagnant la mention des films dans les différents dictionnaires du cinéma, va le plus souvent droit à l’intrigue principale du film ; il peut donc servir de principe commode et suffisant de sélection.
3Apparaît alors un double ensemble particulièrement stimulant : le cinéma français et anglais des années trente à nos jours. La relation entre maître et domestique s’y décline en effet de façon à la fois constante, jusqu’à un certain point, et fort divergente en même temps. Reflet du réel ? — faudra-t-il se demander dans un deuxième temps. On suggérera en fait que c’est plutôt propre à une œuvre, à un auteur, ou une époque, — celle de l’univers des pensables autour d’une situation sociale spécifique, la relation entre maîtres et domestiques — dont il s’agit ici. Cet univers des pensables nous dirait alors bien quelque chose du réel, mais par l’intermédiaire seulement de ce qu’un groupe social spécifique — les créateurs de films — est capable de penser, de tester et finalement de proposer comme postures d’ajustement crédibles à une situation sociale conflictuelle.
Notre corpus ainsi délimité comprend vingt-sept films
- Soit un premier ensemble homogène de vingt-deux films, par ordre chronologique :
Désiré de Sacha Guitry (1937)
Douce de Claude Autant-Lara (1943)
Étoile sans lumière de Marcel Blistène (1945)
Journal d’une femme de chambre de Jean Renoir (1946) (avec, seulement à titre de comparaison, celui de Luis Buñuel en 1964)
L’amant de Lady Chatterley de Marc Allégret (1955)
Les Abysses de Nico Papatakis (1962)
The Servant de Joseph Losey (1963)
Le messager du même Losey (1971)
Les belles manières de Jean-Claude Guiguet (1977)
Servante et maîtresse de Bruno Gantillon (1977)
L’amant de Lady Chatterley de Just Jaeckin (1981)
L’habilleur de Peter Yates (1983)
Les vestiges du jour de James Ivory (1993)
La cérémonie de Claude Chabrol (1995)
Le fabuleux destin de Madame Petlet de Camille de Casabianca (1995)
La servante aimante de Jean Douchet (1996)
Mary Reilly de Stephen Frears (1996)
La dame de Windsor de John Madden (1999)
Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis (2000)
En quête des sœurs Papin de Claude Ventura (2000)
Une affaire de goût de Bernard Rapp (2001)
Une femme de ménage de Claude Berri (2002) - À ce premier ensemble, nous ajoutons, en contrepoint, cinq films. Pour trois d’entre eux, la relation maître-domestique, élément important de l’intrigue, n’en constitue cependant pas le noyau principal :
La règle du jeu de Jean Renoir (1936)
Tu m’as sauvé la vie de Sacha Guitry (1950)
Huit femmes de François Ozon (2002) - Pour les deux derniers films, il s’agit de réalisations d’auteurs étrangers, même si elles sont de facture très « européenne » (Elles décrivent les relations de domesticité qui se veulent typiquement françaises, pour Buñuel, ou « british », pour Altman, avec un grand soin de réalisme, Buñuel employant de surcroît des acteurs français comme Jeanne Moreau et Michel Piccoli dans les principaux rôles) :
Journal d’une femme de chambre de Luis Buñuel (1964)
Gosford Park de Robert Altman (2001)
« On n’en sort pas »
5Univers de fiction que celui du cinéma, dira-t-on. Certes, mais fortement corseté par des contraintes de crédibilité ; elles ne tiennent sans doute pas tant au réel lui-même qu’à ce qu’auteur et spectateur tendent à imaginer comme probables ou possibles dans une situation sociale donnée. L’illusion cinématographique exige qu’on puisse y croire a minima. Il arrive certes que l’auteur choisisse de donner dans son œuvre une voie d’entrée importante à l’onirique ou au fantasmatique, ou qu’il choisisse des genres (la fable, le rêve) où ils sont de mise. Mais il nous semble que ce choix est alors le plus souvent explicite, insistant et continu [2]. Quand l’auteur entend en revanche raconter une histoire assumée comme potentiellement vraie, la liberté dont il dispose est prise dans les contraintes dictées par la véridicité de l’illusion qu’il entend créer. Et ces contraintes de véridicité déterminent, entre autres, le « réalisme social » propre à ces auteurs de fiction.
6Ce réalisme les fait choisir, presque d’une même voix, parmi les quelques issues théoriquement possibles qui s’ouvrent aux dominés dans un rapport socialement difficile. Attentif à penser la façon dont des personnes dépendantes dans une relation [3] peuvent administrer cette relation quand elles ne s’en trouvent plus satisfaites, l’économiste Albert Hirschman affirme qu’il existe essentiellement trois postures possibles face à cette dépendance et à cette insatisfaction. Il y aurait l’exit, c’est-à-dire la sortie pure et simple de la relation. On va le voir : elle n’est guère envisagée comme crédible par les créateurs de films, même lorsqu’il s’agit de trouver une fin commode à leur récit. Il y aurait ensuite la voice, le fait de donner de la « voix », individuellement ou collectivement ; c’est une posture consistant à tenter de renégocier la relation par la parole, le cri, la réclamation, l’explication, la fronde : on verra qu’elle n’existe guère pour le domestique de cinéma. Que lui reste-t-il alors comme issue ? La solution diffère étrangement d’un côté à l’autre de la Manche…
7Particulièrement intéressante d’abord est la fin donnée à toutes ces relations de domesticité. Elle constitue l’horizon social des dominés vu du côté de ces élites. La fin de ces histoires est pour le moins troublante : l’horizon des avenirs possibles pour un domestique s’avère aussi restreint qu’il le serait chez le plus pessimiste des sociologues de la domination. Car, de la condition de domestique, au fond, « on ne sort pas ». Les cinéastes se refusent à libérer le domestique de sa condition, sauf dans Une femme de ménage de Claude Berri (2002) et les deux Journal d’une femme de chambre. Dans celui de Renoir (1946), les maîtres poussent la nouvelle bonne, Célestine, dans les bras de leur fils, Georges, dépressif et poitrinaire. Après élimination sanglante des deux prétendants (pourtant socialement plus probables) de Célestine, les deux jeunes gens pourront partir ensemble. Dans le Journal d’une femme de chambre de Buñuel (1964), le réalisateur mexicain d’origine espagnole n’hésite pas, pour sa part, à multiplier la promotion sociale des domestiques par deux : la bonne va épouser quelqu’un de la classe des patrons, et l’homme à tout faire deviendra propriétaire, l’un et l’autre trouvant par ailleurs quelqu’un pour faire le service à leur place. Autre lumineuse exception au pessimisme social du cinéma en matière de domesticité : Une femme de ménage de Claude Berri (2002). Une toute jeune femme de ménage vivant à domicile tombe amoureuse de son patron, quinquagénaire récemment abandonné par sa femme. Mais elle souffre du déséquilibre social qui les sépare. Elle finit par quitter son maître pour un jeune homme de son âge, socialement peu situé. On nous laisse imaginer une possible fin heureuse. Et le film, exceptionnellement, se referme sur une vision de plein air et baignée de lumière : une plage, au soleil.
8L’absence d’issue à la condition domestique est un thème dominant dans les autres films. On ne sort guère de la relation que pour aller vers de nouveaux maîtres, ou pour des enfermements plus sévères. Dans Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis, les sœurs Papin sont décrites comme cernées. On les montre passant de la maison de la mère au couvent, puis aux différentes « maisons de maîtres », et de celles-ci à la prison ou à l’asile psychiatrique. Les rares sorties dont elles disposent sont montrées comme minutées, sous contraintes. Évitant le mariage, elles sont analysées comme ne pouvant échapper ni à la mère, ni à la patronne. Il est presque toujours un moment où le captif croit pouvoir s’échapper (Mary Reilly, Douce, Les vestiges du jour, Les belles manières, Une affaire de goût, Journal d’une femme de chambre). Mais bien des films finissent sur des visions d’enfermement : dans une prison pour ceux qui ont tué les maîtres ou tenté de le faire (Les belles manières, Une affaire de goût, En quête des sœurs Papin), dans une soupente sans vue pour les plus fidèles (Les vestiges du jour, La dame de Windsor), ou sur la route solitaire, à la recherche d’une nouvelle place pour ceux qui ont précipité involontairement la perte de leurs maîtres (Mary Reilly, Douce). Les dernières images de ces films sont souvent cruelles, comme la grille qui se referme derrière le dos du régisseur et de la gouvernante de Douce chassés par leurs maîtres, ou l’éloignement de Mary Reilly retournée au brouillard londonien d’où elle venait. Inoubliable à cet égard : la fin des Vestiges du jour où l’on voit le majordome rattraper un pigeon affolé, égaré dans un grenier, et lui rendre mélancoliquement sa liberté par un vantail d’où lui-même ne fait qu’entrevoir le monde extérieur…
9Les espoirs de promotion entrouverts pendant le temps du récit seront en tout état de cause définitivement anéantis. Au début de l’avènement du cinéma parlant, une petite bonne double excellemment sa patronne, ancienne actrice du muet. Bientôt la doublure se révolte et tente le music-hall. Mais ses débuts y seront une catastrophe. Elle retourne alors à ses casseroles et à son fiancé (Étoile sans lumière de Marcel Blistène en 1945). Janine, solide bonne femme de milieu rural, bonne cuisinière, mais aussi extraordinaire conteuse d’histoires de village, s’avère une aubaine pour sa patronne, scénariste de télévision en panne d’inspiration, qui, l’enregistrant à son insu, fabrique un scénario qui fera un triomphe. Tout le monde réclame alors Janine Petlet, qui finit pourtant par renoncer à la télévision pour écrire des livres de cuisine (Le fabuleux destin de Madame Petlet de Camille de Casabianca en 1995). Tu m’as sauvé la vie de Guitry (1950) raconte comment le baron de Saint-Rambert prend à domicile et en affection un clochard qui lui a sauvé la vie. Voilà qui menace les espoirs de ses domestiques attendant son héritage. Mais le clochard fait la conquête d’une vieille comtesse et quitte le baron. Le film se referme sur les domestiques, languissant toujours après l’héritage… Même dans The Servant de Losey (1963), où le serviteur a finalement réussi à aliéner totalement le maître, il ne sort pas pour autant du groupe et de l’état qui sont les siens. La dernière scène le montre frayant avec d’inquiétants compères auxquels il s’efforce de mêler son maître et la fiancée de celui-ci afin de les rabaisser encore et toujours. Pris dans l’amertume de son ressentiment social, il n’a apparemment comme horizon mental et social possible que de se venger symboliquement. Non, décidément là encore, on n’« en » sort pas [4]. Ce pessimisme social est encore plus radical dans Servante et maîtresse de Bruno Gantillon (1977), où une bonne à tout faire hérite de la fortune de celui qu’elle a longuement servi, un homme seul très riche, qui a déshérité pour elle un neveu, trop indifférent. Celui-ci retourne au bercail, à seule fin de jouer l’héritier. Devenue maîtresse du jeu, l’ancienne servante impose au neveu déshérité de faire et subir à peu près tout ce qu’elle a fait et subi. Elle veut surtout lui imposer ce dont elle est atteinte elle-même : un amour aliénant pour celui qui vous domine. Tout semble lui réussir ; et pourtant, après avoir obtenu sa première nuit d’amour dans le grand lit de son ancien maître, elle se suicide, renonçant à son triomphe.
10Gare enfin à ceux et à celles qui se haussent à la hauteur du maître ou de la maîtresse en commettant l’erreur d’en tomber amoureux. Ils seront bientôt obligés d’en rabattre, rappelés vigoureusement à leur place par l’indépendance plus forte du dominant qui se vérifie aussi dans l’ordre affectif [5]. La fin de L’habilleur de Peter Yates est particulièrement cruelle : un acteur shakespearien que son habilleur vénère — au point de lui avoir sacrifié sa vie et toutes ses affections — finit par mourir, serein, non sans avoir rédigé un testament dont tous bénéficient, à l’exception de l’habilleur, définitivement condamné à la pénombre. Que ce soit par souci des convenances (dans Désiré), par rétorsion (dans Douce), par une sorte de formidable indifférence sociale (dans Les belles manières, ou L’habilleur), ou par respect de la raison d’État (dans La dame de Windsor), le maître finit toujours par repousser le serviteur.
11Les domestiques de fiction, au cinéma, répondent encore d’une autre manière au pessimisme social propre à leurs créateurs : la voice — le fait de donner de la voix — leur est relativement interdite. Les domestiques de théâtre des XVIIe et XVIIIe siècles sont bien diserts quand on les compare aux domestiques de cinéma de ce siècle ! Leur liberté de ton n’a d’égal que la régularité de la répression physique qu’exige le rétablissement de l’ordre social et symbolique : alternent alors joyeusement insolences ancillaires et coups de bâton magistraux. Au cinéma, une des premières manifestations de l’aliénation réside dans l’interdit de parole. Un bon domestique est un domestique qui se tait. Le silence va littéralement étouffer la vie du majordome dans Les vestiges du jour de James Ivory (1993). Il sait n’émettre que les paroles nécessaires à sa fonction : il lui faudra pour cela résister, s’il le faut, aux incitations contraires de son nouveau maître, un Américain qui a racheté la propriété aristocratique en déclin, et à qui il faut tout enseigner du métier de maître. Départageant mal sa vie privée de sa vie professionnelle, le majordome ne saura sortir véritablement de ce parfait autocontrôle ni avec sa famille, ni avec celle qu’il aime. Il lui parlera trop tard, la perdra, et finira célibataire dans la maison qu’il a toujours servie… De même dans The Servant, de Joseph Losey (1963), dès leur première entrevue, le serviteur montre au maître sa supériorité par son professionnalisme : il reste debout et il oppose silence et laconisme aux familiarités de son patron [6].
12Le désordre s’installe bien souvent dans ces films quand le domestique commence à transgresser cette règle. C’est quand il se met à l’appeler « Femme ! » que le palefrenier de la reine Victoria commence à perdre de vue tout ce qui le sépare à jamais de Sa Majesté. La nouvelle soubrette donne un conseil sans qu’il soit demandé : c’est à cet indice que, dans Mary Reilly, le majordome compétent et irréprochable devine le sentiment amoureux qui se noue entre son maître et la nouvelle bonne. Regards, frôlements sont moins immédiatement lisibles pour lui que ces infractions à la réserve qui représente, lui dit-il, « la plus élémentaire des règles de conduite ». L’extraordinaire liberté de ton du régisseur est en partie ce par quoi il séduit la jeune maîtresse héroïne de Douce de Claude Autant-Lara (1943). Rappelons enfin (même si nous sortons là quelque peu de notre corpus strictement anglais au profit du film, certes très « européen », de l’américain Robert Altman) que c’est peu de temps après que l’héroïne de Gosford Park, une des domestiques principales de la maisonnée britannique, ait « répondu » par mégarde à sa patronne — en évoquant de surcroît son patron par son petit nom — que le destin de tous va basculer. Elle est congédiée, le patron est bientôt assassiné, et tous les hôtes devront prendre congé. Mais cette prise de parole intempestive de la femme de chambre préférée du maître est aussi ce qui va attirer l’attention sur elle d’un couple d’Américains qu’elle suivra pour finir. Parler la fait accéder à l’exit vers le « nouveau monde ». Dans La cérémonie de Chabrol (1995), la domestique n’est pas seulement analphabète, c’est tout son rapport au langage qui est atteint. Elle est dissimulée, taciturne, avec un vocabulaire et une syntaxe carencés (« Je sais pas »). La parole advient par l’extérieur de la relation, grâce à une postière qui, elle, lit tout ce qu’elle trouve et dont une grande part de l’agilité langagière est consacrée à la dénonciation des patrons et des bourgeois [7]. Elle sera logiquement celle par qui la révolte va advenir, le massacre des maîtres se produire, et un discours de semi-justification se formuler : et c’est elle qui ponctuera le bain de sang d’un « On a bien fait ?! ».
13Guère d’exit possible, donc, pour le domestique de cinéma, ni de voice, sinon celle qui mène à des cataclysmes. Reste donc, dans le schéma d’Albert Hirschman, la troisième posture : la loyalty, soit le fait d’accepter la relation en l’état. Comment se décline-t-elle donc dans le matériau cinématographique ?
La solution à la française : un exit inversé ?
14C’est alors qu’apparaissent les plus importantes variations entre la France et la Grande-Bretagne.
15En France, le domestique ne parvient à aménager sa situation qu’à la faveur d’une effraction corporelle et d’un bain de sang. Les relations maître-serviteur, pour peu qu’elles constituent le thème central du récit, finissent mal. Et chaque fois, c’est le domestique qui tue le maître (ou quelqu’un de la classe des maîtres). C’est ainsi le cas, dans l’ordre chronologique, de : La règle du jeu en 1936 (même si ce premier film, on le verra, ne se rattache que partiellement à notre corpus), Le journal d’une femme de chambre de Renoir (1946), Étoile sans lumière de Marcel Blistène (1945), Les Abysses de Nico Papatakis (1962), Servante et maîtresse de Bruno Gantillon (1977), La cérémonie de Chabrol (1995), Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis (2000), En quête des sœurs Papin de Claude Ventura (2000), ou encore Une affaire de goût, de Bernard Rapp (2001).
16En marge de notre corpus, La règle du jeu (1936), finit déjà sur le meurtre — certes accidentel — d’un maître par un domestique jaloux. Dans Les Abysses de Nico Papatakis (1962), sur un scénario de René Vauthier, on voit, dans une maison de campagne délabrée, s’affronter deux clans : une famille de bourgeois ruinés qui s’efforcent de sauver les apparences et deux domestiques haineuses qui n’ont pas été payées depuis trois ans. Les maîtres finissent par trouver des acquéreurs pour la maison dont il faudra alors se séparer au plus vite. Les bonnes affolées massacrent la mère et la fille. Mais ce n’est là que le premier de la série de films qui racontent le massacre de plusieurs membres de la famille des maîtres par des figures dédoublées de la domesticité, comme dans La cérémonie de Chabrol (1995), Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis (2000), et le documentaire En quête des sœurs Papin de Claude Ventura (2000). En 2001, encore, Une affaire de goût, de Bernard Rapp raconte l’histoire d’un goûteur appointé et fort malmené par un maître gourmet. Le serviteur finit par assassiner à la machette le maître dans son bain. Et cette violence est dûment mise en avant pour la promotion du film : c’est un bras armé d’une fourchette menaçante et s’approchant du maître qui figure sur l’affiche…
17Car quelle que soit l’arme employée, la mise à mort tend à s’opérer de manière spectaculaire, violente et radicale — et non de façon silencieuse, subreptice et progressive — alors que l’empoisonnement, par exemple, serait si facile aux domestiques ! L’apaisement de la souffrance de la domination réclame que le fourmillement de la vie même soit radicalement anéanti et nié. Ainsi l’adaptateur français du Journal d’une femme de chambre (1946), Jean Renoir, a-t-il éprouvé le besoin de fortement trahir en ce sens le roman originel d’Octave Mirbeau — et ce contrairement à son adaptateur hispanique, Buñuel, pourtant singulièrement obsédé par la mort et le sexe. Préférant s’inspirer non pas directement du roman mais de la pièce qu’en avait tirée André de Lorde, un des spécialistes du « Grand Guignol », Renoir n’a apparemment planté la vie que pour la détruire, et s’en est alors donné à cœur joie :
Tout ce petit « sous-monde » grouille, gambade, fraye, jusqu’à ce que la violence survienne. Foudroyante. À faire peur. On se met soudain à jouer du poinçon, à manier le rasoir, à faire claquer le fouet….
19Rien de tel dans le roman de Mirbeau, où le crime n’existe qu’à l’état de rêverie. Les cinéastes français ensanglantent les solutions littéraires trouvées aux souffrances de la domination. Dans La cérémonie, Chabrol va donner à la violence des domestiques une intensité plus grande et surtout plus délibérée qu’elle ne l’est dans le roman anglais qu’il adapte. Quant à Bernard Rapp, auteur d’Une affaire de goût, il éprouve le besoin de faire tuer le maître à la machette par le domestique : dans le roman homonyme de Philippe Balland, le domestique allait au contraire jusqu’au bout de sa loyalty en offrant à son maître sa propre mort, par amour pour lui, et sans effusion de sang (il s’empoisonne) (Balland 2000).
20Au plus doux, la mort prend la forme de l’incendie comme dans Douce de Claude Autant-Lara (1943) ou Les belles manières de Jean-Claude Guiguet (1977). Et l’incendie est alors montré comme la conséquence directe, brutale et spectaculaire, du trop grand rapprochement physique entre le domestique et le maître. Dans Douce, un incendie se déclenche dans le théâtre où se sont réfugiés la maîtresse et le valet amoureux. Dans Les belles manières, le jeune domestique, Camille, met le feu aux serviettes par lesquelles il avait été essuyé, aux draps dans lesquels il avait été couché, et à la pièce — la lingerie — où il avait été trop sensuellement soigné, lavé, puis mis au lit par sa patronne… Le feu, certes, ne menace que symboliquement cette dernière (elle est absente) mais il est annoncé avec beaucoup d’insistance, par trois fois, par le cinéaste comme un événement sanction dans un processus de rapprochement insidieux entre les classes. Lorsque — moment improbable de proximité physique et sociale — la patronne assoit son domestique à côté d’elle dans son salon et lui fait raconter sa vie, le jeune homme commente ainsi le tableau serein qui est au-dessus d’eux :
J’aime bien le ciel, on s’attend à une éruption volcanique.
22Et le metteur en scène de commenter :
Que faut-il ajouter de plus ? L’incendie aussi est une éruption volcanique .
24Dans tous ces films, le domestique ne trouve donc d’issue aux souffrances d’une domination exercée dans l’espace clos de la domus que dans la mise à mort brutale, réelle ou symbolique, du dominant. La solution de la relation consiste en quelque sorte en un exit radical. Mais imposé à l’autre, cet exit n’est certes pas celui auquel Albert Hirschman fait allusion [8]. L’inversion pure et simple de la domination, notamment, n’y a pas été sérieusement envisagée. La destruction pure et simple de l’autre non plus : faut-il dans ce dernier cas parler d’« exit imposé » ? Et que faire de cette voice bien particulière, cette « expression » sans cri, sans réclamation, sans manifestation symbolique, et tout entière concentrée dans le passage à l’acte ? Les termes d’exit et de voice semblent ici pour le moins inappropriés. Et que faire d’une loyalty, cette adaptation à la situation de dépendance ou de domination, où mijote une violence différée si farouche ? [9]. Reste que le schéma d’Albert Hirschman demeure très heuristique sur un point : c’est en relation entre elles que ces différentes postures doivent toujours être pensées. Si le domestique ne peut sortir lui-même de la relation, c’est l’autre qui en sera expulsé sans parole.
25Il existe d’intéressantes variations à ce traitement proprement français de la relation maître-domestique. La mort du maître y découle plus ou moins directement du caractère intolérable de la relation avec le domestique. Dans Servante et maîtresse, c’est bien une maîtresse qui est condamnée à mort : mais il s’agit, on l’a vu, d’un suicide. Elle se fait mourir, parce qu’ancienne domestique, tentant de se venger de tout ce qu’elle a subi comme domestique en réduisant son ancien maître déshérité en esclavage, elle découvre que c’est au fond la relation de domesticité elle-même qu’elle ne supporte plus, même quand des circonstances exceptionnelles lui ont permis de l’inverser. De même, dans Étoile sans lumière de Marcel Blistène (1945), c’est la maîtresse, ancienne cantatrice, qui provoque violemment sa propre mort, là encore elle ne supporte pas de se voir supplantée sur scène par la petite bonne à la voix puissante incarnée par Edith Piaf. Dans La règle du jeu, en revanche, il se produit un déplacement : c’est par inadvertance que le serviteur — un garde-chasse jaloux — tue un maître, et encore pas le bon : il ne s’agit pas du maître des lieux, riche libertin, mais d’un homme venu de bien plus bas, un aviateur. Dans Le journal d’une femme de chambre, de Renoir, on tue non le patron lui-même, mais celui de la maison d’à côté, quelqu’un qui appartient à la classe des patrons… [10].
Une loyalty à l’anglaise
26Or rien de tel n’apparaît dans la filmographie anglaise, pourtant fort attentive, elle aussi, à la relation de domesticité. Celle-ci filme avec délectation plutôt ce qui fait lien entre maîtres et serviteurs, et notamment le désir, l’érotisation de la relation. Ainsi The Servant, de Joseph Losey (1963), raconte-t-il la relation — à connotation nettement homosexuelle — entre un valet de chambre et son maître, que sa faiblesse et son masochisme moral finit par rendre plus intéressé par son domestique — dont il partage la maîtresse — que par sa propre fiancée. Le messager, du même Losey (1971), fait allusion aux amours ancillaires d’une future vicomtesse avec son fermier, vus à travers les yeux d’un enfant roturier qui sert de messager entre les deux amants, entre les deux classes. Et c’est là encore l’érotisation intense de cette relation, par-delà les frontières de classes, qui est pointée ici en ce qu’elle marquera à jamais l’enfant qui s’en fait le narrateur. L’habilleur, de Peter Yates (1983), dépeint les relations entre un « maître » de théâtre (un grand acteur shakespearien, incarnant rois et princes d’antan) et un domestique un peu particulier : son habilleur de théâtre, son dresser. Le cinéaste a voulu ici aussi effleurer à peine le sexuel :
28Dans Les vestiges du jour, de James Ivory (1993), c’est toute la vie du domestique qui est prise par la passion de servir. La sexualité n’est alors présente que par l’interdit qui lui est fait de se déployer, d’aller dépenser de l’énergie en dehors de la relation maître-valet : le majordome obnubilé par son idéal de perfection dans le service, par sa fidélité à la maison qu’il servira jusqu’à la mort, lui sacrifiera tout désir, toute passion, toute jouissance extérieure à celle-là : amoureux, il lui abandonne l’objet de ses amours. Dans Mary Reilly, de Stephen Frears en 1996, une relation ambiguë s’installe peu à peu entre le Docteur Jekyll et sa servante. Ils finissent par être attirés l’un par l’autre sans que cette attirance puisse s’avouer. La dame de Windsor de John Madden (1999), montre encore la reine Victoria, inconsolable après la mort du Prince Albert, peu à peu rappelée à la vie affective par la virilité sans apprêt de son ancien palefrenier écossais. Celui-ci sera bientôt pris jusqu’à la folie dans cette relation certes quasi-amoureuse, mais qui n’était nécessaire à la reine que jusqu’à ce que le deuil s’accomplisse. Dans toutes ces œuvres est présent ce qui lie l’inférieur et le supérieur, sous l’espèce en particulier, plus ou moins explicite, de la sexualité : elle rapproche malgré la distance de classe, voire grâce à elle. L’érotisation, hétéro, ou homosexuelle, de la relation fait tenir durablement la relation en en masquant ou en en compensant les souffrances.
29Mais elle a pour particularité de devoir demeurer plus ou moins implicite. Jamais le « servant » joué par Dirk Bogarde — acteur aux rôles d’ailleurs toujours si fortement et constamment chargé d’érotisme (La bête s’éveille, Accident, Mort à Venise, Portier de nuit) — ne passe à l’acte avec son maître, ni même avec la fiancée de celui-ci. Le domestique finit simplement par offrir sa petite amie à son maître : c’est par un corps tiers — et un corps appartenant à quelqu’un de la classe des domestiques, la hiérarchie sociale se trouvant ainsi préservée — que le rapprochement sexuel peut s’opérer bien indirectement entre les deux hommes. Pas de passage à l’acte non plus dans Les vestiges du jour, de James Ivory (1993), ou dans La dame de Windsor de John Madden (1999) : le palefrenier écossais et la Reine Victoria se contenteront de quelques parties de campagne en sérieuse compagnie et de quelques promenades solitaires à cheval.
30Quant à Mary Reilly, il peut être lu comme un film tout entier consacré à la répression du désir entre maître et servante, désir qui est ici inséparable de sexe et de mort. Une attirance amoureuse lie peu à peu Mary Reilly, la femme de chambre du Dr Jekyll, à son maître. Mais le rapprochement physique toujours ébauché, toujours interdit, ne s’esquisse qu’avec son alter ego réprimé, M. Hyde. Ce n’est qu’après le suicide du maître que la domestique osera s’allonger, très virginalement, au côté de son cadavre.
31Si le passage à l’acte n’est pas toujours réalisé non plus dans le cinéma français, la sexualité pure, non sublimée, y est bien plus souvent présente. On « couche » véritablement entre les deux classes dans Douce d’Autant-Lara (1946), Le Journal d’une femme de chambre de Renoir (1946), Servante et maîtresse de Gantillon (1977), Une femme de ménage de Berri (2002). S’il n’unit le nouveau domestique à sa maîtresse que dans le sommeil, dans Désiré, le passage à l’acte sexuel s’est bel et bien produit avec sa précédente patronne : c’est même la raison pour laquelle le domestique a été congédié de sa précédente place. Quant à la femme de chambre jouée par Arletty dans le même film, elle évoque sans détour les relations sexuelles qu’elle a pu avoir avec les maîtres, et en souligne le caractère éminemment érotique, non sublimé :
Quand ils couchent avec nous, on croit que c’est pour nous, et puis ils nous disent : « Garde ton tablier » !
33Là encore, les choix et les modes d’adaptation des œuvres cinématographiques ne sont pas anodins : aucun cinéaste anglais pour adapter le roman de D.H. Lawrence, L’amant de Lady Chatterley, où la relation sexuelle est dûment consommée — Lady Chatterley en tombera enceinte — mais deux cinéastes français (dont l’un, Just Jaeckin, le choisira précisément pour ses potentialités érotiques : il est aussi le réalisateur d’Emmanuelle et d’Histoire d’O). Il est des exceptions à cette immédiateté du sexuel dans le film français. Ainsi de La servante aimante de Jean Douchet (1995) : la servante Coraline met tout en œuvre pour faire le bonheur de son maître dont elle est amoureuse. L’amour érotique sera ici totalement sublimé en amour désintéressé. Mais il s’agit d’une pièce de théâtre à succès qu’on a ensuite filmée, une adaptation d’un texte du XVIIIe siècle (Goldoni) : on y retrouve les fonctions et les rôles classiques des valets de comédie.
34Certes, on pourra dire que l’opposition entre cinéma anglais et français n’est que tendancielle : nous avons aussi en France des domestiques que l’amour, au-delà du sexuel, lie à leur maître. Il n’est pas absent dans Désiré : le domestique y est profondément attaché à sa maîtresse. De même, dans Une femme de ménage de Claude Berri en 2002, où une très jeune femme tombe amoureuse de son patron, touché à son tour. Mais ce sont là des exceptions dans la filmographie française.
35Peut-être faut-il voir dans cette érotisation inégale des films français et anglais un trait de deux cultures marquées l’une par le libertinage et l’autre par le puritanisme. Mais il existe une dernière différence entre les deux corpus traitant de la relation maître-domestique. Dans les films anglais, les domestiques sont des hommes. Une exception : Mary Reilly. Mais le majordome s’y montre alors jaloux de la relation privilégiée qui s’instaure bientôt entre la nouvelle femme de chambre et le maître. En France, à quelques exceptions près (Une affaire de goût de Bernard Rapp, Désiré de Sacha Guitry), on a affaire à des femmes. Au mieux, on double parfois la relation maître-servante d’une relation maitresse-serviteur : dans Douce, la très jeune fille du maître s’éprend du régisseur de son père, tandis que son père tombe amoureux de la gouvernante ; et dans Servante et maîtresse, la servante, amoureuse de son maître, le réduit à la servitude, d’où il tombe à son tour amoureux d’elle.
36Deux exceptions, réelles ou apparentes à ce dernier constat. Les belles manières semble d’abord démentir la féminisation systématique de la figure du domestique dans le cinéma français. Une femme d’un certain âge désire engager une jeune fille pour la mettre au service de son fils. Mais c’est un garçon qu’elle doit engager, faute de mieux ; Camille, au prénom fort ambigu, s’avère très jeune, très inexpérimenté, très passif et très doux. Il va être pris sous la coupe semi-amoureuse, semi-ludique de cette maîtresse-femme. Il est aussi protégé par sa grande sœur, une prostituée. Et il finira convoité lui-même et violé par un codétenu, avant de se pendre. Bref c’est une figure bien curieusement féminine qui a été choisie dans ce film français pour incarner un homme en situation de domesticité.
37Il existe de même une exception à la masculinisation systématique de la figure du domestique dans le cinéma anglais : Mary Reilly, de Stephen Frears (1996). Ici la domestique est une femme : est-ce la raison pour laquelle il s’agit du film anglais où la tentation sexuelle et meurtrière entre maître et serviteur atteint son intensité la plus haute ? Mais l’une et l’autre ne pourront aboutir : nous nous retrouvons bien en Grande-Bretagne. Sexe et mort, ici omniprésents, sont cantonnés dans l’en dehors de la relation : avec le mystérieux assistant du Dr Jekyll. Ce dernier, Hyde, suscite bien une tentation suicidaire et sexuelle chez la domestique mais il est constamment décrit comme celui qui n’est pas le maître (il n’a ni sa fortune, ni ses bonnes manières, ni sa calme autorité, ni son maintien vestimentaire), et surtout comme celui que le maître ne peut pas être, qu’il s’interdit d’être avec cette domestique qu’il se contente de désirer de loin.
38Si bien que Huit femmes de François Ozon en 2002 [13] pourrait bien être exemplaire de la façon dont les auteurs français tendent à traiter la figure du domestique. À l’occasion d’une retrouvaille familiale, huit femmes se trouvent réunies autour du maître de maison : l’épouse, la mère, la sœur, la belle-sœur, les deux filles et deux domestiques. On découvre le maître dans un bain de sang, assassiné au couteau. Comme dans les films de notre corpus — et plus que dans ceux-là, puisqu’ici seule une des femmes peut logiquement être coupable — l’assassin de maître est une tueuse. Certes, ce ne sera finalement aucune des deux domestiques, même si elles en auront été dûment suspectées, comme les autres femmes. En revanche le passage à l’acte sexuel entre maîtres et domestiques s’est produit, à plusieurs reprises et de toutes les manières : entre la jolie bonne à tout faire et le maître, entre la cuisinière noire et la sœur du maître, tandis que la petite bonne française tente de séduire sa patronne. Sexe et mort : Ozon a cru s’amuser à faire un film « anglais » (son titre, Huit femmes et le huis clos rappellent irrésistiblement Les dix petits nègres adapté d’Agatha Christie) et le résultat est bien français.
39Le serviteur anglais est donc lié à son maître par une séduction qui permet de faire l’économie de tout passage à l’acte sexuel et meurtrier. En France, la figure du domestique est une femme qui couche et tue, à la faveur d’un bain de sang. Et quand, par exception, on y a affaire à un domestique, on tend à tuer encore, ou à être responsable de la mort du maître, comme dans Une affaire de goût, Les belles manières ou Douce.
Le cinéma, reflet du réel ?
40Comment rendre raison de tout cela ? Aucun des traits caractérisant les films des deux nations ne saurait être imputé avec évidence à la réalité sociale propre aux deux pays.
41En premier lieu, à l’exception peut-être de ceux des années 1930, les films que nous avons cités évoquent une figure qui, pour l’essentiel, a disparu dans les deux pays au moment où leurs réalisateurs en parlent : en 1931, seuls 5 % des ménages anglais avaient encore des domestiques logés à domicile et le chiffre s’est réduit à 1 % en 1951 (Hobsbawm 1977, p. 260). En France, la domesticité s’est de même fortement réduite après la première et surtout la seconde guerre mondiale pour disparaître ensuite quasi totalement [14].
42En second lieu, le pourcentage de femmes dans la population des domestiques est traditionnellement au moins aussi élevé et constant en Grande-Bretagne qu’en France où il représente 80 à 90 % à la fin du XIXe siècle [15]. De même, après la réduction drastique du nombre des domestiques, la figure étrangère au foyer qui y résistera le plus longtemps dans la bourgeoisie, c’est la femme de chambre, bientôt détrônée dans les années 1950 par la « au pair girl » dans les familles aisées avec enfants (Bedarida 1990, p. 91 et 99).
43Alors ? Le produit cinématographique un « reflet » du réel ? Il faudrait affiner beaucoup l’analyse : le majordome présent dans les maisons anglaises constituerait-il par exemple la figure qui aurait réellement fait obstacle à la confrontation directe entre bonnes et patrons (comme tente de le faire le majordome dans Mary Reilly) ? Mais pourquoi alors le jardinier et le chauffeur français qui résidaient aussi chez leurs patrons jusque dans l’entre-deux guerres n’ont-il pas fait l’objet d’une fascination équivalente chez les réalisateurs français ?
44Et peut-on, en troisième lieu, parler d’une violence particulière des domestiques français ? En France, certes :
La criminalité des servantes était un thème traditionnel jadis, les journaux insistant, toujours avec succès, sur cette chronique — encore que les statistiques officielles montrent que cette criminalité est proche de celles des professions libérales et des fonctions publiques.
46Lit-on dans une chronique de la vie quotidienne des domestiques au XIXe siècle (Guiral, Thuillier 1978, p. 143). Il y apparaît clairement que ce sont les domestiques qui sont à la merci des maîtres, et non le contraire :
La haine, la vengeance sont souvent seulement rêvées, et la servante finit vite par être renvoyée ou par changer de place […]. Le domestique, de façon générale, est dans une situation difficile, il n’a guère d’espoir de sortir de sa condition, et ses chances de promotion sont très limitées […]. La seule sanction dans le système de domesticité est le renvoi […]
48De même, pour le XXe siècle, les passages à l’acte des domestiques sur leur maîtres ne semblent pas encombrer particulièrement, à première vue, la jurisprudence pénale française. La grande enquête menée auprès des bonnes en 1946 continue pourtant à montrer leur très grande misère sociale et affective : elles dénoncent leur difficulté à obtenir une sortie hebdomadaire, l’absence de vacances et de vie de famille, et leur exploitation sexuelle par les patrons. Elles disqualifient leur métier, considèrent leurs conditions de vie comme dégradantes et communient dans le désir de sortir au plus vite de cet état : il y aurait là des constantes historiques dans l’autoreprésentation professionnelle (Martin-Huan 1997, p. 95).
49Lorsque la relation de domesticité a fait l’objet d’analyses en sciences humaines, les aménagements réels de cette situation douloureuse s’avèrent bien différents de ceux imaginés dans les films. Au tournant du siècle, lorsque la servante française est criminelle, c’est surtout contre sa propre chair : elle est portée à l’avortement — parce qu’elle ne peut se permettre d’avoir des enfants et ce, qu’elle soit en couple ou pas (Fugier-Martin 1997, p. 222 sq.) — et à l’infanticide. Près de 90 % des ménages de domestiques de cette époque n’ont pas d’enfant. Les agressions contre le maître se limitent aux menus larcins et aux tricheries sur les comptes, aux petites gratifications à la marge, nous rapporte encore l’historien [16]. Une autre issue massivement pratiquée s’avère être la fuite dans la folie, nous disent également un certain nombre de médecins — au premier rang desquels le Dr Le Guillant, frappé comme ses prédécesseurs, dont il rappelle alors avec beaucoup de soin les travaux (Le Guillant 1963a), par le nombre de femmes domestiques présentes dans les services de psychiatrie. Cet exit aussi est radical : mais il est d’une tout autre nature que celui de la mise à mort du maître imaginé dans les œuvres cinématographiques — car, là encore, il est dirigé avant tout contre soi. Bref, ce qui nous paraît devoir être noté ici, c’est la singulière insistance avec laquelle le domestique est représenté, malgré tout ce qui précède, sous l’espèce de celui qui menace sourdement le dominant de meurtre, et de meurtre violent.
50Reste donc une hypothèse pour expliquer le contenu de ces films : le réel serait recouvert par l’imaginaire de ceux qui appartiennent à la classe des maîtres. Car les cinéastes, on va le voir, appartiennent plutôt à cette classe-là.
51Ce qui deviendrait alors signifiant, ce ne serait pas tant l’importance ou les succédanés éventuels de l’« Affaire Papin » que l’attention extrême que les créateurs lui ont accordée. Les Abysses de Nico Papadakis (1962), Les blessures assassines de Jean-Pierre Denis (2000), En quête des sœurs Papin de Claude Ventura (2000) : rien moins que trois films pour une seule affaire judiciaire — un quatrième film, La cérémonie de Chabrol (1995), venant susciter chez son auteur le recours explicite à cette même référence. Mais avant que les cinéastes eux-mêmes ne s’en emparent, les élites cultivées et créatrices avaient démontré d’emblée une fascination pour l’Affaire Papin qui a bien duré une trentaine d’année : rien moins que Jacques Lacan, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Paul Eluard, Jean Genet pour s’arrêter, plus ou moins longuement, sur cette étrange issue proposée à la domination entre maîtres et domestiques. Et cette fascination reprend aujourd’hui : en témoignent films et ouvrages récents [17].
52Cette affaire judiciaire, par l’attention qui lui a été accordée, en dit long sur la façon dont l’imaginaire des maîtres est intimement travaillé par la peur des domestiques. Claude Chabrol pourrait fournir une représentation exemplaire du rapport des cinéastes français à cette réalité sociale. Il faut rappeler que La cérémonie n’est pas une adaptation directe de l’Affaire Papin, mais… d’un roman que Chabrol est allé chercher en Grande-Bretagne, et qui était resté délaissé pendant trente ans par les cinéastes anglais : L’analphabète, de Ruth Rendell, paru en 1965. Il est tout aussi intéressant qu’il ait jugé bon d’en transformer le titre anglais, plus euphémisé (The Judgment in Stone) en La cérémonie, en référence, explique-t-il, aux exécutions capitales dénommées ainsi autrefois. Il est intéressant aussi qu’il ait choisi de rendre le film plus violent au nom de l’insupportable violence symbolique de la domination :
54Et le réalisateur d’ajouter :
Je crois qu’avec le point particulier traité dans La cérémonie, c’est-à-dire la naissance du ressentiment social, je m’approche de la vérité. Très étrangement, les gens sont encore rassurés dans la mesure où ils envisagent la possibilité d’une explosion, ce qui n’est jamais très grave. Alors que moi je crois, et cela ne me ravit pas du tout, à la possibilité d’une implosion, purement et simplement, comme un poste de télévision, de l’intérieur (Passages 1995).
56Cette apparente lucidité de Chabrol serait liée au statut social et économique privilégié du plus riche des cinéastes de la Nouvelle Vague (il a été un généreux mécène pour plusieurs de ses confrères) : non tant, comme il le clame souvent, parce qu’il connaîtrait les bourgeois de l’intérieur que parce qu’il partagerait leurs fantasmes touchant ceux qu’ils dominent.
57Le romancier du siècle dernier se montrait plus réaliste que le cinéaste d’aujourd’hui : la violence sociale du domestique reste dans son œuvre à l’état de potentialité.
Quelquefois en coiffant mes maîtresses [fait dire le romancier Octave Mirbeau à la servante qu’il a inventée], Célestine, j’ai eu l’envie folle de leur déchirer la nuque, de leur fouiller les seins avec mes ongles […]. Ce qui est extraordinaire, c’est que ces vengeances-là n’arrivent pas plus souvent. Quand je pense qu’une cuisinière, par exemple, tient chaque jour dans ses mains, la vie de ses maîtres… [18].
59Est-ce parce que, pour les romanciers du XIXe siècle, entourés de serviteurs, le réel alors était là, palpable, et qu’il faisait quelque peu obstacle au fantasme ? Au XXe siècle, tout se passe comme si l’imaginaire social des dominants enregistrait bien les difficultés objectives des dominés, mais sous une forme déplacée : sous la forme des menaces que ces derniers représentent pour les « maîtres ».
60Reste un problème : l’origine sociale des cinéastes est similaire en France et en Grande-Bretagne. Rien de plus dénié, certes, que ces appartenances sociales : les dictionnaires de cinéma ne font apparaître l’origine sociale ou la profession des parents des cinéastes que — l’art ne pouvant en quelque sorte surgir que de l’art — lorsqu’un artiste figure parmi les géniteurs. Ainsi Guitry (père comédien riche et célèbre), Autant-Lara (mère comédienne, père architecte de théâtre) et Renoir. Le fils du peintre Auguste Renoir, tout particulièrement, s’est frotté de bonne heure à l’ambiguïté de la situation ancillaire avec les domestiques-modèles de son père… avant d’épouser l’une d’entre elles, dont il fera lui aussi pendant un temps la vedette de ses films. Des cinéastes britanniques, on découvre que Losey appartient à une vieille famille anglo-saxonne lettrée et puritaine du Middle West, qui l’a conduit d’abord à des études de médecine, que Frears est diplômé en droit de l’université de Cambridge, qu’Ivory appartient à la Upper middle class de Californie (le père a été un chef d’entreprise en bois de charpente), que Yates a bénéficié très jeune d’une formation à la Royal Academy of Dramatic Art (mais on ne sait pas dans quelles conditions), et que Madden, longtemps directeur artistique de la Oxford and Shakespeare Company est parfois épinglé comme un « institutionnel » du théâtre. Si nos informations sont un peu lacunaires pour quelques autres cinéastes (Blistène, Guiguet et Camille de Casabianca surtout), on sait cependant que trois d’entre eux sont ou ont été journalistes : Blistène, Guiguet (aux Cahiers du cinéma), et Rapp [19]. Bref, il s’agit là au moins de lettrés. L’appartenance de Claude Chabrol à la riche bourgeoisie provinciale n’est pas un secret. De Jean-Pierre Denis, on sait simplement qu’il interrompt son métier d’inspecteur des douanes chaque fois qu’il entreprend de réaliser un film, et de Bruno Gantillon, qu’après trois ans d’études en pharmacie, un passage au service cinématographique des armées l’a amené à produire d’abord une douzaine de téléfilms pour la télévision. Dans ce paysage social, les origines plus populaires tranchent quelque peu : le père de Claude Berry était un assez modeste fourreur du Sentier à Paris, tandis que Nico Papatakis a vu son père perdre son seul bien — un hôtel à Addis Abeba — acquis tout au long d’une vie d’ouvrier.
61On ne peut donc expliquer totalement les divergences de traitement cinématographique de la relation maître-domestique en Angleterre et en France, et telle sera l’évident point aveugle de notre démonstration. Pour aller plus loin, il faudrait des données plus substantielles, ou bien évoquer par exemple, en dépit du caractère un peu relâché de cette hypothèse, les oppositions parfois faites entre les deux pays du point de vue de la conflictualité sociale et politique [20]. Le pays des aménagements s’opposerait au pays « des » révolutions. En France, tout se passe en tout état de cause comme si la réalité (en l’occurrence l’innocuité relative des domestiques, les souffrances sociales qu’ils ne parviennent à retourner que contre eux-mêmes, contre leur esprit et leur chair), n’engendrait pas moins une inquiétude spécifique des élites françaises et des anticipations particulièrement alarmistes sur les réactions des dominés.
62« Que manque-t-il à l’écrivain pour être un grand sociologue ? » se demande Jean-Louis Fabiani à la suite de Pierre Bourdieu, nous incitant à poser la même question à propos du cinéaste (Fabiani 1993, p. 153). Ce qui leur manque, c’est sans doute non tant « la forme dans laquelle [l’analyse du réel] s’[y] livre » comme l’affirme le sociologue [21], que l’obligation un peu moindre faite aux créateurs de romans ou de films d’objectiver et de mettre à distance leurs propres fantasmes politiques et sociaux. Loin de la thèse du cinéma simple reflet du réel, c’est un réel médiatisé par une conscience de classe fort inégalement inquiète qui tendrait à se « refléter » ici. Resterait à comprendre, d’un pays à l’autre, les raisons d’interprétations si divergentes des menaces sociales secrétées dans l’univers confiné de la domus.
Références
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- Villeneuve-Gokalp Catherine (1994). « Les gens de maison ». Population, vol. 49, n° 3.
Notes
-
[1]
Mairie de Paris, Vidéothèque de Paris, « Maîtres et valets », programme du 7 mai au 8 juillet 1997, n° 18.
-
[2]
À titre d’exemple : Solaris d’Andreï Tarkowski (1972).
-
[3]
En l’occurrence, dans son modèle originel, des agents économiques dépendant d’une institution, d’une entreprise ou d’un produit.
-
[4]
C’est symptomatiquement à partir de ce dernier film qu’Albert Memmi a pu montrer le caractère souvent sans issue de la domination, en raison de cet effet de « retour du pendule », ce mouvement de balancier par lequel la domination tend à simplement s’inverser quand une circonstance le permet (Memmi 1968).
-
[5]
C’est le cas dans Désiré de Sacha Guitry (1937), dans Douce de Claude Autant-Lara (1943), dans Les belles manières de Jean-Claude Guiguet (1977), dans Une affaire de goût de Bernard Rapp (2001), et en Grande-Bretagne, dans La dame de Windsor de John Madden (1999).
-
[6]
Cette parole, quand bien même serait-elle sollicitée, est dénoncée comme illusoire et malsaine : pessimisme social que ne renierait pas le plus averti des sociologues. Ainsi, dans l’enquête menée par Annie Lauran, par exemple, les bonnes soulignent l’intérêt feint des maîtres : « Quelquefois elle me demande [des nouvelles] de ma famille, mais c’est seulement pour la façon de demander ; elle ne s’intéresse pas du tout à moi » (Lauran 1976, p. 85).
-
[7]
Pour une analyse de ce film, cf. Bernard Pudal (1996).
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[8]
Ce qui montre bien que, aussi commode que soit son schéma, il mérite d’être fortement enrichi — il est vrai qu’il visait à décrire des situations tout autres : de dépendance économique.
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[9]
Pour une très intéressante relecture du contenu donné par Albert Hirschman (et par d’autres) à la notion de loyalty, cf. Patrick Lehingue (2001).
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[10]
Cette issue fatale nous est pourtant épargnée dans quelques films, qui devront être commentés : Désiré et Tu m’as sauvé la vie de Guitry (1937 et 1950), L’amant de Lady Chatterley de Marc Allégret (1955) et celui de Just Jaeckin (1981), Le fabuleux destin de Madame Petlet de Camille de Casabianca (1995), ou encore Une femme de ménage de Claude Berri (2002).
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[11]
« L’homme des coulisses », Le Monde, 5 avril 1984, p. 1.
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[12]
« Shakespeare, en veux-tu, en voilà », Le Matin, 9 avril 1984, p. 84.
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[13]
Bien qu’exclu de notre corpus car la relation maître-domestique n’y représente pas le thème principal du film.
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[14]
Depuis 1982, la catégorie « gens de maison » ne figure même plus dans la nouvelle nomenclature socioprofessionnelle de l’INSEE (Villeneuve-Gokalp 1994).
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[15]
En 1881, les domestiques représentent en Grande-Bretagne un huitième de la population active dont 90 % de femmes. Et en 1871, on dénombrait 90 000 cuisinières et autant de femmes de chambres, pour 16 000 cochers (Bedarida 1990, p. 99 et p. 144). En France, pour une population de domestiques variant entre 900 000 et 1 300 000 entre 1896 et 1911, le pourcentage de femmes ne cesse d’augmenter à partir de la deuxième partie du XIXe siècle, passant d’un ratio de 69/31 en 1851 à 71/29 en 1871, 73/27 en 1881, 76/24 en 1891, 81/19 en 1896 et 83/17 en 1901 (Fugier-Martin 1979, p. 35).
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[16]
« Si l’on considère le petit nombre de domestiques femmes qui ont comparu aux Assises de Paris entre 1885 et 1895 (21 sur plus de 1000 affaires, soit 2 %), c’est d’abord pour vol et pour infanticide qu’elles sont jugées […]. Dans le registre d’écrou de la prison Saint-Lazare, les sondages faits en juin et décembre 1899 montrent que le vol est la première cause d’incarcération des servantes : il représente plus de la moitié des délits » (Fugier-Martin 1997, p. 222-233).
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[17]
Dans l’ordre chronologique : Jérome et Jean Tharaud, « Les sœurs Papin n’ont pas encore livré leur secret », Paris-Soir, oct. 1933 ; Louis Martin-Chauffier, « Les sœurs Papin : un crime sans motif », Vu, oct. 1933 ; Paul Eluard, Benjamin Péret, Le surréalisme au service de la révolution (1933) ; Jacques Lacan, « Motifs du crime paranoïaque » (1933) ; Jean Genet, Les bonnes (1947) ; Simone de Beauvoir, La force de l’âge (1960, p. 136-137) ; Louis Le Guillant, « Incidences… » (1963a) ; Louis Le Guillant, « L’affaire des sœurs Papin » (1963b) ; Paulette Houdyer, Le diable dans la peau (1966) ; Gérard Lourmel, L’ombre rouge : dits et non-dits dans l’affaire Papin (2000) ; Sophie Darblade-Mammouri, L’affaire Papin (2000) ; Rachel Edwards, Keith Reader, The Papin Sisters (2001).
Pour les écrits récents du côté des professionnels du psychisme : Francis Dupré, La « solution du passage à l’acte ». Le double crime des sœurs Papin (1984) ; Martine Fleury, « À propos d’un cas de violence criminelle » (1994). -
[18]
Octave Mirbeau, Journal d’une femme de chambre, cité in Guiral et Thuillier (1978, p. 143).
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[19]
Ce dernier, présentateur vedette du journal télévisé de 20 heures, a animé de nombreuses émissions à succès — littéraires ou cinématographiques — sur Antenne 2 ou France 3 ; ancien correspondant d’Antenne 2 à Londres, il y exploitait notamment ses rapports privilégiés avec William Boyd, P. D. James et Anthony Burgess.
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[20]
Ainsi en Grande-Bretagne, nous dit-on, « Les contrastes sociaux ont rarement débouché sur une lutte révolutionnaire des classes » (Roland Marx 1980, p. 209-210).
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[21]
Pierre Bourdieu (1992). Les règles de l’art. Paris, Seuil, p. 59, cité in Fabiani (1993).