Couverture de CDAP_005

Article de revue

Fonction publique

Pages 36 à 46

Notes

  • [1]
    Décret du 8 février 2024 relatif à la composition du Gouvernement (article 1) (JORF 9 février 2024).
  • [2]
    Acteurs publics, 15 janvier 2024 ; Acteurs publics, 24 janvier 2024 ; AEF Info, 8 février 2024 (n° 707227).
  • [3]
    Décret n° 2024-131 du 21 février 2024 relatif aux attributions du ministre de la Transformation et de la Fonction publiques (article 3) (JORF 22 février 2024).
  • [4]
    Cf. Frédéric Edel, Chronique « Fonction publique », RFAP, 2022/3, n° 183, p. 880.
  • [5]
    AEF Info, 8 février 2024 (n° 708796).
  • [6]
    Acteurs publics, 12 mars 2024.
  • [7]
    AEF Info, op. cit.
  • [8]
    Pour les ingénieurs, le point de départ de la réflexion a été le rapport du 18 février 2022 sur les grands corps d’ingénieurs comportant différents scénarii établis par la mission V. Berger, M. Guillouet, F. Lavenir (cf. Frédéric Edel, Chronique « Fonction publique », RFAP, 2022/2, n° 182, p. 603) ; le projet de réforme avait suscité, le 11 décembre 2023, une interpellation de la Première ministre par un regroupement d’associations de hauts fonctionnaires afin de défendre les spécificités des corps techniques. Pour les cadres supérieurs hospitaliers, plusieurs réunions ont eu lieu au courant de l’année 2023 avec les organisations syndicales représentant les directeurs d’hôpital (DH), directeurs d’établissement sanitaire, social et médico-social (D3S) et directeurs des soins (DS) qui, mécontentes des perspectives de réforme, ont été à l’origine, en octobre 2023, d’une pétition et d’un mouvement de grève des directeurs de la fonction publique hospitalière ainsi que des élèves directeurs et, là aussi, en décembre 2023, d’une interpellation de la Première ministre.
  • [9]
    Acteurs publics, 5 décembre 2023.
  • [10]
    Désormais secrétaire générale adjointe à la Présidence de la République.
  • [11]
    Décret du 28 février 2024 portant nomination de la déléguée interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État – Mme Braun-Lemaire (Isabelle) (JORF 29 février 2024).
  • [12]
    La troisième depuis le début du premier quinquennat.
  • [13]
    Décret n° 2023-1381 du 28 décembre 2023 modifiant les règles applicables aux modalités de nominations équilibrées dans l’encadrement supérieur de la fonction publique (JORF 31 décembre 2023) (non traité dans la précédente Chronique). Comme l’indique l’intitulé de ce décret du 28 décembre 2023, celui-ci modifie un autre décret : le décret n° 2012-601 du 30 avril 2012 relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l’encadrement supérieur de la fonction publique, lequel a été pris pour mettre en œuvre les dispositions de la loi du 19 juillet 2023 (cf. infra) afin de renforcer la politique contraignante d’égalité des sexes inaugurée par la loi n° 2012-347 dite Sauvadet du 12 mars 2012.
  • [14]
    Loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023 visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique. Sur cette loi : cf. Frédéric Edel, « Fonction publique », Chroniques de l’administration publique, 2023, n° 3.
  • [15]
    Ibidem.
  • [16]
    Cette précision est opérée par l’insertion dans le décret du 30 avril 2012 d’un nouvel art. 4-1.
  • [17]
  • [18]
    Article R. 143-11 du code des juridictions financières.
  • [19]
    À noter que les administrateurs des douanes ou les cadres supérieurs de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne sont pas concernés par la réforme.
  • [20]
    Ces deux dernières entités deviennent des services offrant des emplois fonctionnels à la durée d’occupation désormais limitée (de 4 à 9 ans).
  • [21]
    À noter que le rapport ne porte pas sur le volet de la réforme de la haute fonction publique touchant à la formation initiale des hauts fonctionnaires et à leur mode d’affectation aux premiers postes de leur carrière.
  • [22]
  • [23]
    Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Stanislas Guerini reconduit comme ministre de plein exercice de la fonction publique au sein du nouveau Gouvernement

1 La fonction publique est restée sans ministre pendant près d’un mois puisqu’à la suite de la démission du Gouvernement d’Élisabeth Borne, le 8 janvier 2024, et la nomination d’un nouveau Premier ministre Gabriel Attal, le 9 janvier, la composition du nouveau Gouvernement a été effectuée en deux temps, le 11 janvier d’abord, le 8 février ensuite [1]. Ce n’est, en effet, qu’à la suite d’un décret du 8 février 2024 que M. Stanislas Guerini a été reconduit dans ses fonctions de ministre de la Transformation et de la Fonction publiques en tant que ministre de plein exercice, comme dans le cadre du précédent Gouvernement, et non comme simple ministre délégué, comme cela fut dans un premier temps envisagé [2]. Dans son décret d’attributions du 21 février 2024 [3] le ministre conserve un portefeuille de la fonction publique qui demeure identique à celui qu’il avait antérieurement [4].

Agenda du dialogue social, feuille de route du ministère et réforme de la haute fonction publique

2 À la suite de consultations bilatérales avec les organisations syndicales, le ministre de la Fonction publique a fait connaître à ces dernières le nouvel agenda social 2024. Les principaux sujets potentiels de négociation sont les suivants : premièrement, la question des rémunérations (« la mise en œuvre de la méthode de négociation annuelle sur les salaires » et « les principes et leviers d’évolution pluriannuelle des rémunérations dans la fonction publique, portant notamment sur la structure des grilles indiciaires et des déroulements de carrière ») ; deuxièmement, les conditions de travail (et plus exactement « l’organisation, les conditions et les environnements de travail » dont l’expérimentation de la semaine en quatre jours annoncée par le Premier ministre pour les services de l’État dans sa déclaration de politique générale du 30 janvier 2024) ; troisièmement, l’approfondissement de la politique d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (selon une approchée intégrée) et, enfin, le nouveau projet de loi de réforme de la fonction publique que le Gouvernement entend présenter au Parlement au cours du second semestre 2024 afin de « répondre, dans le cadre du statut, par des mesures opérationnelles et concrètes, aux enjeux d’efficacité et d’attractivité de la fonction publique » [5].

3 À cet égard, la feuille de route adressée par le Premier ministre au ministre de la Fonction publique le 1er mars 2024 précise que ce dernier a notamment comme priorité – dans le domaine de la Fonction publique – de « renforcer l’attractivité de la fonction publique en facilitant les recrutements, en améliorant les conditions de travail et en reconnaissant [le] travail [des agents publics] » et que la réforme attendue visera à « décloisonner » la fonction publique, à « mieux reconnaître le travail et l’engagement » des agents ainsi qu’à « favoriser la diversité des recrutements et des parcours » [6]. Le Premier ministre fixe en outre comme objectif de transposer la réforme de la haute fonction publique aux « cadres d’emploi et aux emplois les plus élevés » des versants territorial et hospitalier, ainsi qu’aux grands « corps techniques de l’État » [7]. La réflexion portant sur l’extension de la réforme de la haute fonction publique dans le versant hospitalier et dans l’encadrement supérieur technique de l’État qui avait été engagée était restée en suspens et avait, dans les deux cas, suscité, en décembre 2023, l’inquiétude des associations de fonctionnaires concernées qui ont été à l’origine d’une interpellation du Gouvernement [8]. Les hauts fonctionnaires territoriaux avaient, au même moment, entrepris une démarche similaire pour obtenir, quant à eux, la transposition de la grille indiciaire des administrateurs territoriaux sur celle des administrateurs de l’État [9].

4 Dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique, la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) est appelée à jouer un rôle de plus en plus grand dans la gestion et la carrière des hauts fonctionnaires. Le 28 février 2024, une nouvelle directrice a été nommée à la tête de cette institution mise en place à partir de 2022 et dirigée jusque-là par Émilie Piette [10] (puis brièvement, par intérim, par Marie Niedergang) : il s’agit d’Isabelle Braun-Lemaire [11] : polytechnicienne et ancienne élève de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), cette inspectrice générale de classe exceptionnelle de l’Insee était précédemment directrice générale des douanes et des droits indirects du ministère des Finances.

5 À l’occasion de la « convention managériale » qui s’est tenue le 12 mars 2024 devant environ 700 hauts fonctionnaires [12], le président de la République a, de son côté, eu l’occasion de réaffirmer la philosophie qui sous-tend la réforme de la haute fonction publique : « le corporatisme n’a jamais servi aucune professionnalisation ; il […] bloque la circulation des talents [et] ne sert […] aucune reconnaissance de mérite ». Il indique que la réforme de la haute fonction publique devrait être « finalisée cette année ». Le Premier ministre a, quant à lui, précisé que l’extension de la réforme de l’encadrement supérieur « aux ingénieurs civils de l’État » passera par « un rapprochement des statuts et des grilles, mais sans fusion des corps ».

6 Le Président a par ailleurs ajouté que « ce sont également les mêmes objectifs de décloisonnement, de mobilité, de valorisation des compétences et des métiers que nous mènerons à toute la fonction publique autour du projet de loi qui est en train d’être préparé par le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques ». À noter que le préfet verra ses compétences encore accrues, y compris dans le domaine des ressources humaines : « le préfet doit être le pilote effectif de l’ensemble des services publics de l’État, opérateurs et agences comprises, au niveau départemental parce qu’il faut de la simplicité de commandement. C’est pourquoi les préfets donneront un avis dans le processus de nomination, la fixation des objectifs et des priorités d’actions, l’évaluation et la construction de la part variable de la rémunération des directeurs et délégués territoriaux ». Le Président a également précisé qu’une partie du complément indemnitaire annuel des cadres dirigeants, notamment celle des préfets, « doit être indexée sur la réalisation des résultats ». Il a enfin indiqué que le régime de responsabilité des fonctionnaires et, de manière plus large, celle des principaux décideurs publics doit être « clarifié [afin de] permette de décider plus simplement et de prendre des risques plus simplement, parce que ce qui inhibe aujourd’hui une bonne partie de l’action publique de la capacité à déroger ou à prendre ses responsabilités, c’est le régime de responsabilité pénale ».

Précisions en matière de nominations équilibrées d’hommes et de femmes dans l’encadrement supérieur de la fonction publique

7 Un décret du 28 décembre 2023 [13] apporte des précisions quant aux obligations mises à la charge des administrations de procéder à des « nominations équilibrées » entre les femmes et les hommes dans les emplois de l’encadrement supérieur dans les trois versants de la fonction publique et qui ont récemment été renforcées par une loi du 19 juillet 2023 [14]. Pour ce faire, il modifie un décret d’application du 30 avril 2012 « relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l’encadrement supérieur de la fonction publique ».

8 Le décret modificatif de la fin décembre 2023 précise le périmètre des emplois concernés que cette dernière loi avait élargi (d’environ 800 postes supplémentaires) [15] et procède à une mise à jour pour tenir compte des modifications apportées par la réforme de la haute fonction publique et par l’entrée en vigueur du code général de la fonction publique. Il détermine le calendrier de publication des données relatives aux primo-nominations ainsi que le montant de la contribution due en cas de non-respect de l’obligation de publication de ces données. En substance, ce décret du 28 décembre 2023 apporte deux précisions véritablement notables :

  • la première concerne le montant de la contribution due en cas de non-respect de l’obligation de « nominations équilibrées ». Il précise que le montant de la contribution de 90 000 euros qui est dû en cas de non-respect l’est – et c’est là son apport – pour chaque personne manquante.
  • la seconde concerne le non-respect de l’obligation de publication annuelle du nombre de nominations de femmes et d’hommes : les employeurs devront publier avant le 30 juin de chaque année le pourcentage de personnes de chaque sexe nommées pour la première fois sur un emploi de direction et le pourcentage de femmes parmi les hauts fonctionnaires déjà en poste. À défaut, une sanction de 45 000 euros est prévue. Pour les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 40 000 et de moins de 80 000 habitants, le montant unitaire de la contribution financière est, quant à lui, fixé à 25 000 euros [16].

Rapport sur la réforme de l’encadrement supérieur de l’État dans les ministères économiques et financiers

10 La Cour des comptes a publié au tout début de l’année un rapport relatif à « La réforme de l’encadrement supérieur de l’État dans les ministères économiques et financiers » [17]. Ce rapport précède la réalisation prochaine d’une enquête globale sur la réforme de la haute fonction publique d’État et prend sa source dans ce qui était initialement un audit – dit « audit flash » – lequel a été transformé finalement en « Observations définitives » [18] à la suite de son examen en Comité du rapport public et des programmes (CRPP) de la Cour. « De façon à intervenir rapidement, l’enquête a porté sur les seuls ministères économiques et financiers (MEF) qui emploient plus d’un tiers des administrateurs de l’État et sont concernés par l’extinction d’importants corps de fonctionnaires qui leur sont rattachés » [19]. En effet, « le périmètre des ministères économiques et financiers est particulièrement représentatif : 1 866 fonctionnaires sont concernés, soit 34 % du total, qui se répartissent entre 944 nouveaux administrateurs de l’État et 915 agents relevant de corps mis en extinction : 651 administrateurs des finances publiques (AFiP), 87 membres du contrôle général économique et financier (CGefi) et 184 membres de l’inspection générale des finances (IGF) » [20].

11 La Cour des comptes met en exergue quatre grandes observations à propos de cette réforme qu’elle qualifie à la fois d’ambitieuse et de complexe et qui a été mise en œuvre dans de brefs délais [21].

12 Premièrement, elle relève que le caractère séquentiel de la mise en œuvre de cette réforme – statutaire, indiciaire puis indemnitaire – constitue une source d’incertitudes pour les agents. « Cette méthode par étapes successives ne permet pas d’avoir d’emblée une vue globale des effets de la réforme, qu’il s’agisse du reclassement statutaire des agents dans le nouveau corps [des administrateurs de l’État] ; des perspectives de promotion d’un grade à l’autre alors que l’accès au troisième et dernier grade, créé « à vide », sera très sélectif et qu’un grade transitoire a été ouvert uniquement pour la phase de reclassement ; ou du reclassement des emplois en quatre nouveaux niveaux d’emplois fonctionnels, s’ajoutant aux quatre groupes d’emplois préexistants, sans que le régime indemnitaire associé n’ait encore été mis en œuvre.

13 Cette situation ne permet pas aux agents de disposer d’une information complète et transparente pour exercer en pleine connaissance leur droit d’option entre l’intégration dans le nouveau corps des administrateurs de l’État ou le maintien dans leur corps d’appartenance mis en extinction. Il en résulte qu’en septembre 2023, si les agents des corps de seconde partie de carrière (Administrateurs des finances publiques et Contrôle général économique et financier) semblent vouloir très majoritairement opter pour intégrer le corps des administrateurs de l’État, les membres de l’inspection générale des finances apparaissent plus réservés. Ils sont, en effet, attentifs à d’autres considérations que statutaires et pécuniaires, notamment la préservation d’un droit de retour dans un corps disposant d’une gestion des ressources humaines de proximité spécifique ».

14 Autre constat : là où par le passé la gestion de corps distincts, liés étroitement à leur service d’emploi, morcelait la gestion d’ensemble des cadres supérieurs, désormais le rôle du secrétariat général (SG) se trouve de facto renforcé puisque c’est lui qui dorénavant centralise la mise en œuvre de la réforme, du fait de son caractère transversal. Aussi, un poste de délégué ministériel à l’encadrement supérieur est rattaché au secrétariat général et chargé d’assurer le lien avec la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, la DIESE.

15 Deuxièmement, la Cour des comptes observe que « l’augmentation indiciaire immédiate est contenue et conforme aux prévisions et qu’elle permet une harmonisation d’ensemble ainsi qu’une amélioration étalée sur toute la carrière.

16 La nouvelle grille indiciaire du corps des administrateurs de l’État est fondée sur une attractivité continue plus qu’immédiate lors du reclassement dans le nouveau corps ».

17 D’une manière générale, « elle réhausse en moyenne de 4,7 % la rémunération brute mensuelle des cadres supérieurs des ministères économiques et financiers au moment de leur reclassement tout en offrant des perspectives de carrière globalement améliorées. Elle revalorise pour l’essentiel les échelons du début et de fin de carrière. Elle multiplie le nombre d’échelons à gravir dans chacun des trois grades tout en réduisant leur durée, avec pour effet de ralentir légèrement les progressions en milieu de carrière. Pour favoriser l’occupation d’un emploi fonctionnel supérieur, le gain d’échelons sera accéléré durant l’exercice des responsabilités et conservé pour la suite de la carrière. »

18 Pour autant, il serait erroné de penser que tout agent bénéficiera des rehaussements indiciaires de l’ensemble de l’échelle : les projections élaborées par la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) qui peuvent le laisser penser retracent en effet « un parcours professionnel optimal comme si, en théorie, chaque agent avait vocation à accéder au niveau sommital du troisième grade et à parcourir les trois grades en un temps minimal ». La Cour laisse entendre que tous les agents concernés par la réforme ne connaîtront pas cette trajectoire indiciaire théorique optimale. La Cour attire l’attention sur le fait que le sujet peut être sensible pour les ministères économiques et financiers dont les emplois fonctionnels sont nombreux, car, elle montre, exemple à l’appui, que « la portée réelle de l’accélération indiciaire des emplois fonctionnels [est] surestimée ».

19 Par ailleurs, « la réforme n’est pas avantageuse pour tous les agents. Dans certains cas, les gains relevant de l’ancien système pouvaient être supérieurs, limitant l’attrait du nouveau régime. »

20 La Cour des comptes considère qu’en pratique, « c’est le nouveau régime indemnitaire qui sera le principal levier d’attractivité de la réforme et donc de la prise de responsabilité. Le régime indemnitaire des ministères économiques et financiers, réputé comme l’un des plus favorables, a été normalisé d’année en année et a permis de faire converger les primes liées aux fonctions entre directions et entre ministères. » Aux yeux de la Cour, « il importera de trouver un équilibre entre une convergence indemnitaire légitime et les besoins des services de moduler la part indemnitaire des rémunérations en fonction des postes d’encadrement et niveaux hiérarchiques existants. La gestion de proximité devra écarter le risque, pour les postes de responsabilité intermédiaires, de cumuler un effet de tassement indiciaire en milieu de carrière avec un classement peu attrayant dans l’échelle des niveaux d’emplois. »

21 Troisièmement, la Cour demande à « veiller à garantir le maintien des niveaux de compétences et de technicité en tenant compte des besoins de promotion interne ». En effet, « la gestion des agents et de leurs carrières ne peut s’inscrire dans une perspective exclusivement interministérielle. Les besoins des services doivent être pris en compte pour conserver parmi leur haut encadrement un certain degré de motivation et de technicité. Trois questions se posent à cet égard : la préservation de la promotion interne, qui est un enjeu majeur pour la DGFiP ; l’affectation lors du retour après un détachement sur un emploi public ou une disponibilité dans le secteur privé ; la prise en compte de l’expérience acquise par les agents séniors ».

22 Aux yeux de la Cour, « la réussite de la réforme, notamment dans les ministères économiques et financiers qui disposent d’un taux élevé d’encadrement supérieur, dépendra de la capacité de la délégation ministérielle à l’encadrement supérieur », incluse dans le réseau ministériel de la DIESE, à mener une gestion opérationnelle équilibrée entre deux orientations opposées : d’une part, « le respect des orientations de transversalité et de diversité des profils, axes centraux de la réforme » ; et, d’autre part, « la gestion de proximité par les directions générales, directions et services, soucieux de répondre à leurs besoins de compétences et d’expérience, validées au cours de parcours professionnels souvent balisés en leur sein ».

23 Enfin, quatrièmement, le rapport met en lumière – comme on pouvait peut-être s’y attendre – la situation particulière de l’inspection générale des finances qui connaît une « rupture [qui] est particulièrement marquante pour un service qui maîtrisait en une autorité unique, chef de corps et chef d’inspection, la conduite de ses missions d’inspection et la politique des ressources humaines d’un corps de fonctionnaires considéré comme un des plus prestigieux de l’administration d’État ». La Cour attire l’attention sur le fait que sa « fonctionnalisation ne devrait cependant pas empêcher l’inspection générale de continuer à exercer une gestion de proximité de ses ressources humaines ».

24 « Suivant le parcours professionnel des agents, des considérations diverses jouent sur les choix et les attentes. Les membres du corps qui occupent à l’heure actuelle des directions d’administration centrale ou interministérielle souhaitent voir leur position reconnue dans un grade et un classement indiciaire plus élevés (ils sont actuellement reclassés en deuxième grade, car détachés sur ces emplois) alors que les inspecteurs généraux en fonction dans le service sont reclassés en grade transitoire. Cette situation pourrait avoir pour effet de bloquer leur avancement indiciaire, même si la circulaire de juillet 2023 ouvre la possibilité d’une sortie du grade transitoire vers le troisième grade. Les agents qui occupent diverses fonctions hors du service et hors de l’administration au sens strict semblent moins attachés à leur situation statutaire ; ils souhaitent en revanche conserver l’avantage du “droit de retour”. C’est aussi la position très majoritaire que prennent les jeunes membres du corps qui anticipent leur départ ».

25 En définitive, le taux d’option en faveur du corps des administrateurs de l’État « pourrait être inférieur à 10 % des effectifs, au vu des déclarations d’intérêt déposées, seuls les inspecteurs généraux en poste dans le service et en fin de carrière manifestant une intention favorable. Cette situation est très différente de celle des autres corps en extinction des ministères économiques et financiers dont les agents devraient très majoritairement opter pour le corps des administrateurs de l’État (de l’ordre de 90 % pour les administrateurs des finances publiques). Le corps de l’inspection générale des finances continuerait donc d’exister sur une période longue, le service s’inscrivant dans une gestion duale ». La Cour demande donc de « définir une politique d’affectation lors du retour dans le corps des administrateurs de l’État ».

Rapport sur la gestion des ressources humaines du ministère du Travail

26 La Cour des comptes a rendu, le 28 février 2024 un rapport sur la gestion des ressources humaines du ministère du travail [22]. La Cour relève que « les effectifs du ministère chargé du Travail (aujourd’hui ministère du Travail, du plein emploi et de la formation professionnelle) ont diminué de 15 % depuis 2015 pour atteindre 8 360 ETPT (équivalent temps plein travaillé) en 2021. Cette baisse est liée non seulement à des suppressions d’emplois mais aussi au transfert de 603 ETPT en 2021 au ministère de l’Intérieur dans le cadre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État. Hors transferts, la diminution des emplois est de 9 % sur la période, ce qui reste significatif. Les réductions d’effectifs ont été en totalité portées par les services déconcentrés : l’effectif du niveau central a même augmenté de 6 % sur la période 2015-2021. » Dans les services déconcentrés la répartition des effectifs entre les différents territoires semble plus ou moins équitable, mais en l’absence d’analyse des besoins de chacun d’eux, il n’est pas possible de conclure à un éventuel sous-effectif ici ou là. Au-delà de l’enjeu budgétaire relatif à la maîtrise de la masse salariale, le ministère est confronté à d’autres enjeux importants.

27 La Cour déplore, en premier lieu, un suivi et une analyse des besoins en effectifs qui sont insuffisants. La direction des ressources humaines « ne dispose d’aucun tableau de bord, pour elle comme pour les « correspondants-RH » au sein des différentes structures du ministère. Le suivi des effectifs est effectué de manière artisanale, hors du système d’information, ce qui est chronophage et inefficient. Les taux de vacance de poste ou d’absentéisme et les délais de recrutement sont inconnus. Il est donc nécessaire d’élaborer un tableau de bord mensuel de suivi de la gestion des ressources humaines, dont une extraction puisse être transmise à chaque direction d’administration centrale et service déconcentré au périmètre qui le concerne ».

28 L’absence de restitutions automatisées est avant tout liée à la qualité insuffisante des données des logiciels en matière de ressources humaines. La direction des ressources humaines présente en outre « un retard dans la dématérialisation » et l’architecture de « ses systèmes informatiques de suivi du temps de travail est trop morcelée, empêchant toute utilisation centralisée des données ».

29 La Cour des comptes estime que la direction des ressources humaines « doit aussi améliorer le suivi des postes occupés par les agents et de leurs missions », au-delà du seul suivi des enveloppes du nombre de personnes travaillant en équivalent temps plein travaillé (ETPT) ouvertes en loi de finances. « Il s’agit d’une condition sine qua non pour une connaissance et une analyse fine des évolutions des activités et des besoins en ressources humaines du ministère. » La Cour attire l’attention sur le fait que ce suivi précis est d’autant plus nécessaire que la réforme de l’organisation territoriale de l’État donne aux préfets la possibilité de réaffecter des effectifs d’un programme budgétaire sur un autre. Il est donc indispensable que la direction des ressources humaines puisse mesurer l’incidence précise de ces mouvements sur ses effectifs et sur les missions qui pourraient, de ce fait, ne plus être exercées.

30 Par ailleurs, la direction des ressources humaines « n’est pas en mesure d’établir la liste des agents mis à disposition par le ministère au profit d’autres organismes ». Selon la Cour, « les mises à disposition gracieuses doivent cesser. En outre, certains agents sont mis à disposition sans que cela soit prévu par une convention, ou le sont dans le cadre d’une convention non à jour ».

31 La Cour des comptes regrette, en second lieu, que l’organisation des ressources humaines soit insuffisamment tournée vers les directions utilisatrices. Les magistrats financiers reconnaissent que le contrôle qu’ils ont réalisé est intervenu dans des circonstances particulières : réorganisation de la direction des ressources humaines (2019), crise sanitaire (2020-2021) et réforme de l’organisation territoriale de l’État (2021). La Cour reconnaît que les habitudes et les méthodes de travail des services centraux et déconcentrés ont été bouleversées et que le déploiement de la politique de réforme des ressources humaines a été entravé par la crise sanitaire. Il n’a donc pas produit les effets escomptés, notamment en ce qui concerne le développement de la transversalité. Bien au contraire, là aussi, le nouvel organigramme a complexifié la compréhension par les partenaires de la direction des ressources humaines du partage des tâches entre les différents bureaux. « La création des secrétariats généraux communs départementaux en janvier 2021 a, de surcroît, démultiplié le nombre d’interlocuteurs. » La Cour des comptes invite à « une organisation des bureaux de gestion non par corps, comme c’est le cas actuellement, mais par service ou structure pour faciliter la relation de proximité ».

32 La Cour des comptes observe, en troisième lieu, un net déficit d’attractivité pour le concours de l’inspection du travail, étant précisé que cette dernière regroupe 42 % des effectifs du ministère. Les données les plus récentes relatives aux concours organisés par le ministère montrent même que cette désaffection « s’aggrave depuis plusieurs années : en 2022, il n’y avait que 400 candidats au concours d’inspecteur du travail alors que le ministère avait ouvert près de 200 postes ».

33 Concernant la question des rémunérations, la Cour souligne que « le ministère chargé du Travail est loin d’avoir toute latitude puisque l’évolution des rémunérations est avant tout liée aux stratégies interministérielles fixées par le ministère chargé de la Fonction publique. La mise en place du « régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel » (Rifseep), qui s’est étalée entre 2015 et 2017, n’a globalement pas donné lieu à des augmentations sensibles de la rémunération des agents. Comparée aux autres ministères, la rémunération moyenne des agents des corps communs employés par le ministère chargé du Travail se situe à un niveau inférieur et a justifié des mesures de convergence indemnitaire au premier semestre 2022. Celles-ci, pour substantielles qu’elles aient été (8,2 millions d’euros pour l’ensemble des ministères chargés des Affaires sociales, dont 3,1 millions d’euros pour le ministère chargé du Travail), n’ont pas permis d’atteindre les niveaux de rémunération des autres ministères les plus élevés. De plus, ces évolutions de régime indemnitaire, forfaitaires et déconnectées du niveau de responsabilité et de la manière de servir, posent question quant à leur cohérence avec les logiques managériales liées au « régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel ». Enfin, elles engendrent d’autres écarts avec certains corps du ministère, notamment celui des inspecteurs du travail.

34 Pour finir, la Cour relève que la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique [23] n’a eu, au périmètre du ministère chargé du Travail, qu’une « portée limitée » (à titre d’illustration aucun contrat de projet n’a été signé et les ruptures transactionnelles restent marginales).


Date de mise en ligne : 15/05/2024

https://doi.org/10.3917/cdap.005.0001c

Notes

  • [1]
    Décret du 8 février 2024 relatif à la composition du Gouvernement (article 1) (JORF 9 février 2024).
  • [2]
    Acteurs publics, 15 janvier 2024 ; Acteurs publics, 24 janvier 2024 ; AEF Info, 8 février 2024 (n° 707227).
  • [3]
    Décret n° 2024-131 du 21 février 2024 relatif aux attributions du ministre de la Transformation et de la Fonction publiques (article 3) (JORF 22 février 2024).
  • [4]
    Cf. Frédéric Edel, Chronique « Fonction publique », RFAP, 2022/3, n° 183, p. 880.
  • [5]
    AEF Info, 8 février 2024 (n° 708796).
  • [6]
    Acteurs publics, 12 mars 2024.
  • [7]
    AEF Info, op. cit.
  • [8]
    Pour les ingénieurs, le point de départ de la réflexion a été le rapport du 18 février 2022 sur les grands corps d’ingénieurs comportant différents scénarii établis par la mission V. Berger, M. Guillouet, F. Lavenir (cf. Frédéric Edel, Chronique « Fonction publique », RFAP, 2022/2, n° 182, p. 603) ; le projet de réforme avait suscité, le 11 décembre 2023, une interpellation de la Première ministre par un regroupement d’associations de hauts fonctionnaires afin de défendre les spécificités des corps techniques. Pour les cadres supérieurs hospitaliers, plusieurs réunions ont eu lieu au courant de l’année 2023 avec les organisations syndicales représentant les directeurs d’hôpital (DH), directeurs d’établissement sanitaire, social et médico-social (D3S) et directeurs des soins (DS) qui, mécontentes des perspectives de réforme, ont été à l’origine, en octobre 2023, d’une pétition et d’un mouvement de grève des directeurs de la fonction publique hospitalière ainsi que des élèves directeurs et, là aussi, en décembre 2023, d’une interpellation de la Première ministre.
  • [9]
    Acteurs publics, 5 décembre 2023.
  • [10]
    Désormais secrétaire générale adjointe à la Présidence de la République.
  • [11]
    Décret du 28 février 2024 portant nomination de la déléguée interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État – Mme Braun-Lemaire (Isabelle) (JORF 29 février 2024).
  • [12]
    La troisième depuis le début du premier quinquennat.
  • [13]
    Décret n° 2023-1381 du 28 décembre 2023 modifiant les règles applicables aux modalités de nominations équilibrées dans l’encadrement supérieur de la fonction publique (JORF 31 décembre 2023) (non traité dans la précédente Chronique). Comme l’indique l’intitulé de ce décret du 28 décembre 2023, celui-ci modifie un autre décret : le décret n° 2012-601 du 30 avril 2012 relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l’encadrement supérieur de la fonction publique, lequel a été pris pour mettre en œuvre les dispositions de la loi du 19 juillet 2023 (cf. infra) afin de renforcer la politique contraignante d’égalité des sexes inaugurée par la loi n° 2012-347 dite Sauvadet du 12 mars 2012.
  • [14]
    Loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023 visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique. Sur cette loi : cf. Frédéric Edel, « Fonction publique », Chroniques de l’administration publique, 2023, n° 3.
  • [15]
    Ibidem.
  • [16]
    Cette précision est opérée par l’insertion dans le décret du 30 avril 2012 d’un nouvel art. 4-1.
  • [17]
  • [18]
    Article R. 143-11 du code des juridictions financières.
  • [19]
    À noter que les administrateurs des douanes ou les cadres supérieurs de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne sont pas concernés par la réforme.
  • [20]
    Ces deux dernières entités deviennent des services offrant des emplois fonctionnels à la durée d’occupation désormais limitée (de 4 à 9 ans).
  • [21]
    À noter que le rapport ne porte pas sur le volet de la réforme de la haute fonction publique touchant à la formation initiale des hauts fonctionnaires et à leur mode d’affectation aux premiers postes de leur carrière.
  • [22]
  • [23]
    Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

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