Couverture de CDAP_005

Article de revue

Administration et libertés

Pages 47 à 58

Notes

Égalite

L’IVG constitutionnalisée

1 Le choix de la Cour suprême américaine de remettre en cause la garantie fédérale de la liberté d’avorter (24 juin 2022, Dobbs, State Health Officer of the Mississippi Department of Health et al. v. Jackson Women’s Health Organization et al.) aura au moins permis la prise de conscience du caractère précaire des droits proclamés et la nécessité de les garantir, en France, au plus haut niveau normatif. Le bilan dressé par le rapport de la Délégation aux droits des femmes au Sénat confirme, de son côté, une fragilisation de ce droit dans plusieurs États du monde dont européens [1]. En l’absence de garantie à un niveau supranational, le « caractère réversible et limité de la protection conférée par la loi ordinaire » [2] a ainsi justifié pour le Gouvernement cette inscription dans la Constitution (Projet de loi constitutionnelle, exposé des motifs). Si des remises en causes peuvent également venir des choix budgétaires, l’exécutif a concomitamment décidé de la revalorisation de 25 % de l’ensemble des forfaits afférents à l’interruption volontaire de grossesse [3]. L’article 34 a en outre finalement été retenu pour son inscription dans la Constitution (les initiatives parlementaires avaient suggéré les articles 3-1 du Préambule de 1946, l’article 1er, 34 ou 66-2), qui, après adoption par le Congrès convoqué le 4 mars (décret du 29 février 2024), prévoit désormais que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » [4]. Si « la femme » apparaît ainsi dans la Constitution, le Conseil d’État a précisé qu’il « résulte de l’objet même de cette liberté […] qu’elle doit être entendue comme bénéficiant à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil » [5], les hommes ayant changé de sexe étant ainsi subsumés sous la catégorie générique s’ils sont en état de grossesse.

Égalite dans les parcours éducatifs et professionnels

2 Constatant l’augmentation des stéréotypes sexistes chez les plus jeunes, le Haut Conseil à l’égalité (HCE) concentre son rapport cette année aux origines du sexisme imputé à ses « trois incubateurs » (famille, école, numérique), l’école cristallisant et perpétuant les inégalités à travers le corps administratif qui se comporte différemment avec les élèves selon leur sexe, les représentations distinctes étant également présentes dans les manuels scolaires [6]. Déterminant comportements et orientations, l’école apparaît aussi responsable des inégalités dans les parcours professionnels, le monde du travail étant quant à lui « perçu comme la sphère la plus inégalitaire, tant dans le choix des métiers exercés que dans les carrières et rémunérations, à qualification et compétence égales » (p. 15). Au moment où le ministère du Travail publiait les résultats 2024 de l’index de l’égalité professionnelle et de la représentation équilibrée (8 mars) [7], la défenseure des droits recommande, pour garantir le principe d’un salaire égal pour « un travail de valeur égale » (car les hommes et les femmes ne font souvent pas le même travail), « aux employeurs publics et aux partenaires sociaux d’évaluer sans délai les systèmes de classification des métiers et de revaloriser les emplois majoritairement occupés par des femmes, notamment dans les secteurs du soin, de l’enseignement et du lien social » [8].

Droit des étrangers versus contrôle de l’immigration

3 Alors que l’année 2023 a marqué une augmentation de 20 % des morts sur les routes migratoires (bilan de l’agence de l’ONU, Organisation internationale pour les migrations (OIM), communication du 26 mars 2024) [9], le début de l’année 2024 a été largement occupé par l’adoption de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. L’accord auquel a abouti la commission mixte paritaire à l’issue d’une procédure accélérée n’a été rendu possible que par l’assurance par le Gouvernement que le Conseil constitutionnel censurerait une bonne partie des amendements les plus sévères déposés par le Sénat [10]. Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi [11], a quant à lui regretté l’absence, « dans le contenu du texte, l’exposé des motifs et l’étude d’impact […d’]éléments permettant de prendre l’exacte mesure des défis à relever dans les prochaines années » ainsi que l’absence d’« un diagnostic d’ensemble des principales mesures législatives prises […qui…] aurait pu également comprendre un premier bilan de l’application de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dont l’objet même est étroitement lié à certaines mesures du projet » (pt. 5). Si ce dernier bilan est établi par un rapport d’information du Sénat datant du 6 mars 2024 (n° 383), il est plus que mitigé et met surtout en avant les « effets concrets limités » de la loi séparatisme (p. 12 et s., notamment).

4 Outre la méthode, le texte a fait l’objet d’importantes critiques sur le fond, de la part notamment de citoyens, d’élus, d’associations et d’organismes de défense des droits de l’homme, de syndicats, d’ONG, d’universitaires (professeurs et présidents d’universités publiques), pour certains à l’origine des 30 contributions extérieures reçues par le Conseil constitutionnel. Seules trois dispositions ont été pourtant invalidées sur le fond, dont deux totalement : la fixation de quotas d’immigration – mais seulement en tant qu’elle impose la tenue d’un débat annuel sur l’immigration au Parlement – décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, §3-9 et l’autorisation de relever les empreintes digitales et la prise de photographies d’un étranger sans son consentement (§135-144). Les 32 autres dispositions censurées – sur 86 articles, donnant ainsi raison au gouvernement – ne l’ont été que sur des motifs de procédure (cavaliers législatifs), « sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles » (formule ponctuée tout au long de la décision). Ainsi, rien n’empêche que les mesures qui ont disparu à l’issue du contrôle de constitutionnalité, comme le durcissement du regroupement familial, la caution demandée aux étudiants étrangers ou le conditionnement de certaines aides sociales à une durée de résidence puissent faire l’objet d’une nouvelle loi. Issue d’un amendement du Sénat, la suppression de l’Aide médicale d’État (AME) a finalement été écartée lors de la procédure parlementaire. Pour la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers (CNCDH) qui avait notamment dénoncé « une grave régression des droits fondamentaux », l’accès aux soins des personnes migrantes répond à un double impératif humanitaire, mais aussi de santé publique [12].

Répression

5 Visant au total une cinquantaine de nouvelles dispositions dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), on retiendra dans les grandes lignes un durcissement des conditions d’entrée et de droit au séjour ainsi que du régime juridique des mesures d’éloignement (comme la possibilité de prolonger et de renouveler ces mesures), certaines de ces conditions se fondant sur le respect des « principe de la République » dans la lignée de la loi séparatisme du 24 août 2021 [13]. Les mesures administratives privatives ou restrictives de liberté peuvent être aggravées par des sanctions pénales. Concernant par exemple les assignations à résidence, le fait de ne pas rejoindre dans les délais prescris la résidence assignée ou de la quitter sans autorisation est désormais passible de 3 ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende (article L. 824-4 du CESEDA) ; de même, l’interdiction du territoire français n’est plus une peine spéciale et peut désormais être prononcée à l’encontre de tout étranger coupable d’une peine d’emprisonnement d’au moins 3 ans (article L. 131-30 du code pénal), mais également pour certaines peines inférieures à 3 ans lorsque le texte le prévoit spécialement. Dans certains cas, les procureurs n’auront pas la possibilité d’exclure le prononcé de l’interdiction du territoire français (ITF), comme pour les délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence prévus à l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse (article L. 131-30-2 du code pénal). Une circulaire du 28 mars 2024 (n° JUSD2409293) adressée aux parquets présentant l’ensemble de ces dispositions précise en outre qu’en vertu du nouveau titre IV de l’article 720 du code de procédure pénale, un étranger condamné à une peine privative de liberté éligible à la procédure de la libération sous contrainte de plein droit (prévu au titre 1 de l’article) qui est l’objet d’une mesure d’éloignement ne pourra bénéficier du régime de libération conditionnelle qu’« à la condition que la mesure d’éloignement soit exécutée ».

Asile

6 La réforme impacte également particulièrement le droit d’asile. D’une part, la loi modifie les règles d’organisation (création de « pôles territoriaux France – Asile » pour centraliser les demandes d’asile et regrouper les services concernés) et de contentieux, prévoyant notamment une réduction des délais de recours (de 7 jours à 48 h) et d’instruction (de 15 jours à 96 h) notamment par la cour nationale du droit d’asile, ainsi que la généralisation des procédures prévoyant un juge unique – articles L. 921-1 et s. du CESEDA, questionnant le respect des garanties procédurales et du droit au recours effectif des personnes étrangères. D’autre part, de nouvelles exceptions sont prévues pour permettre l’expulsion d’étrangers ayant la qualité de réfugié (ou d’autres statuts protégés comme celui de résident en France depuis plus de vingt ans), conduisant à une extension du principe de la double peine que ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’État n’ont entendu remettre en cause (pt. 26 de l’avis du Conseil d’État précité). Pour l’application de cette mesure, le ministre de l’Intérieur a publié une circulaire, signée le 29 janvier, à destination des préfets et des services de police et de gendarmerie, les enjoignant à procéder jusqu’à la fin du mois de mars à un réexamen complet de l’ensemble des situations individuelles d’étrangers dont le comportement constitue une menace grave pour l’ordre public [14].

Travail

7 S’agissant de la mesure perçue comme favorable aux étrangers concernant la régularisation des travailleurs sans papiers dans les « métiers en tension » et qui avait été un temps supprimée par le Sénat lors de la discussion de la loi (ancien article 3), le nouvel article L. 435-4 du CESEDA crée à titre expérimental jusqu’à fin 2026 un cas d’admission exceptionnelle au séjour par le travail, donnant lieu à la délivrance d’une carte de séjour temporaire. Même si, pour le Conseil d’État, une telle mesure « ajoute toutefois une nouvelle catégorie de titres dans un cadre juridique déjà complexe » (avis précité), la véritable avancée de cette mesure, au regard de l’état du droit antérieur sous le régime de la circulaire Valls de 2012, réside dans la possibilité offerte aux travailleurs de faire eux-mêmes la démarche de régularisation sans avoir à passer par leur employeur – qui n’est pas nécessairement disposé à reconnaître avoir employé une main-d’œuvre en situation irrégulière. Les préfets disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder le titre ; une circulaire du ministre de l’Intérieur datant du 5 février (Instruction n° IOMV2402701) vient préciser les quatre critères d’admission au séjour sur lesquels ils devront fonder leurs décisions : outre le critère du casier judiciaire vierge et le critère de résidence ininterrompue d’au moins 3 ans en France, le critère de l’intégration doit notamment permettre aux services de s’assurer « que les comportements ne traduisent pas un défaut d’adhésion aux valeurs de la société en matière de parentalité et d’éducation des enfants notamment la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’égalité homme-femme, de violences sexistes et sexuelles ou de discriminations, de laïcité, de respect de la démocratie et de l’état de droit et des droits et devoirs qui incombent aux demandeurs au quotidien, que ce soit dans l’emploi, dans le logement, dans le parcours de santé ». Quant au critère d’expérience professionnelle et d’emploi dans un métier en tension, l’étranger doit en « apporter la preuve d’au moins douze mois, consécutifs ou non, au cours des vingt-quatre derniers mois et justifier, au jour de [la] décision, d’un emploi relevant de la liste des métiers en tension », celle-ci étant vouée à être actualisée au moins une fois par an (article L. 414-13 du CESEDA), rendant incertaine la décision administrative. Un arrêté du 1er mars 2024 est venu offrir une première actualisation de la liste des métiers en tension (NOR : TSSD2406159A) y ajoutant quatre métiers du secteur agricole. Parallèlement, à l’aune des élections européennes, la mise à jour de la directive sur le permis unique qui simplifie les règles de visa pour les travailleurs étrangers a été adoptée le 13 mars 2024 par le Parlement européen en assemblée plénière (P9_TA(2024)0146). Elle facilite la délivrance d’un permis aux ressortissants de pays tiers souhaitant vivre et travailler dans l’Union européenne et prévoit un ensemble commun de droits pour les travailleurs de pays tiers. Les nouvelles règles devront être officiellement approuvées par le Conseil de l’UE et les États membres disposeront d’un délai de deux ans après l’entrée en vigueur de la directive pour introduire les modifications de leur législation nationale.

Outre-mer

8 Enfin, certaines dispositions de la nouvelle loi Immigration visent les départements d’Outremer – le Gouvernement a été habilité à y étendre et à adapter par ordonnance les dispositions de la loi. La loi crée un régime dérogatoire en matière de regroupement familial et de droit au séjour au titre de la vie privée et familiale en Guyane ; déjà existant à Mayotte, il y est renforcé (article L. 441-4 et s. du CESEDA). De plus, alors que la loi prévoit l’interdiction du placement en rétention de tout étranger mineur (nouvel article L. 741-5 du CESEDA) depuis le 28 janvier 2024 (pratique qui a donné lieu à 11 condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme), cette interdiction est reportée au 1er janvier 2027 pour Mayotte. La circulaire d’application générale de cette mesure vient préciser toutefois qu’il demeure toujours possible de placer en rétention l’« un des deux parents […] et d’assigner à résidence l’autre parent qui accompagne les enfants » [15]. En visite à Mayotte le 11 février, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a exprimé vouloir réviser la Constitution pour mettre fin au « droit du sol », en dérogation avec les règles traditionnelles d’acquisition de la nationalité française.

Libertés collectives

Entre pluralisme et liberté d’expression

9 La cour administrative d’appel de Paris se prononçant sur la politique de communication des personnes publiques sur les réseaux sociaux juge que l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) « ne peut, sans méconnaître la liberté d’expression et d’accès à l’information et le principe d’égalité devant le service public, interdire ou limiter l’accès de tiers à ses propres publications et leur possibilité de les commenter ou de les réutiliser que par l’adoption de mesures nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs de protection de l’ordre public ou de la réputation d’autrui […] » [16].

10 C’est la sauvegarde de l’ordre public qui justifie, pour le Gouvernement, la dissolution de l’association d’ultradroite « La Citadelle » [17] pour avoir promu « au travers de ses interventions et publications une idéologie incitant à la discrimination, à la haine et à la violence envers les personnes d’origine extra-européenne et les personnes de confession musulmane, en présentant l’immigration et l’islam comme des menaces que les Français doivent combattre et en entretenant délibérément l’amalgame entre immigration et insécurité », notamment du fait de propos tenus publiquement par son président lors de l’émission Touche pas à mon poste (6e motif de l’article L. 212-1 et article L. 212-1-1 du code de sécurité intérieure).

11 À propos de la chaîne CNews qui produit l’émission précitée, le Conseil d’État a précisé à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l’étendue et les modalités de son contrôle du pluralisme et de l’indépendance des chaînes de télévision. Reconnaissant l’intérêt à agir de l’association Reporters sans frontière qui « doit être regardée comme une organisation de défense de la liberté d’information reconnue d’utilité publique en France » au sens de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication qui fonde les principes de l’audiovisuel, il juge au fond qu’« [e]n s’en tenant […] à la seule prise en compte du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques pour l’appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l’information », et non, comme le lui intimait l’association, à la « diversité suffisante des points de vue exprimés à l’antenne, notamment à l’occasion des débats sur des questions prêtant à controverse », l’Arcom a fait une inexacte application des dispositions de cette loi [18].

12 Au niveau européen, une résolution du Parlement européen adoptée le 13 mars établit un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur et vise à protéger les journalistes et les médias de l’UE contre les ingérences politiques ou économiques ; elle prévoit que les médias d’information et d’actualité, quelle que soit leur taille, devront publier dans une base de données nationale des informations sur leurs propriétaires (législation européenne sur la liberté des médias, P9_TA(2024)0137).

Manifestation versus maintien de l’ordre

13 En contraste avec une certaine mansuétude dont ont fait preuve les forces de l’ordre à l’égard des agriculteurs lors des actions contestataires et des blocages de janvier, la préfecture de Paris a massivement interdit certaines manifestations en poursuivant sa pratique consistant à publier les arrêtés d’interdiction le jour de leur tenue : 13 arrêtés ont ainsi été pris le 18 février 2024 pour interdire les manifestations en « commémoration du Chahid » et en « soutien du Hirak ».

14 La CEDH a par ailleurs condamné la France pour l’usage par les forces de l’ordre de la technique de l’encerclement (nasse) lors d’une manifestation contre le régime des retraites en 2010 [19]. Rappelons que si le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour apprécier la conformité de cette pratique à la Constitution, elle a été finalement consacrée par le schéma national de maintien de l’ordre (SNMO) que le Conseil d’État a précisément censuré sur la question de la légalité de la nasse [20]. Estimant qu’« il est essentiel que soit défini un cadre d’emploi déterminant de manière précise les circonstances et les conditions de sa mise en œuvre, les modalités de son déroulement et les limites dans le temps de son utilisation » (pt. 92), la CEDH juge que le recours à l’encerclement n’était pas, au jour des faits, prévue par la loi (pt. 94) et conclut à la violation des articles 2 du protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme (liberté de circulation), et 11 (liberté de réunion pacifique) lu à la lumière de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.

15 Toujours pour le maintien de l’ordre, le décret n° 2024-238 du 18 mars 2024 portant application des articles L. 243-1 et suivants du code de la sécurité intérieure et autorisant la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de caméras embarquées dans les véhicules, embarcations et autres moyens de transport des forces de sécurité intérieure et des acteurs de la sécurité civile n’a pas retenu pour sa rédaction la proposition de la CNIL. Dans son avis sur le projet de décret (n° 2024-002 du 11 janvier 2024), celle-ci avait préconisé de préciser que les dispositifs techniques équipant les caméras permettent non seulement de garantir l’intégrité, mais également la disponibilité et la confidentialité des enregistrement (cf. la rédaction de l’article R. 243-2 du code de la sécurité intérieure).

16 La condamnation de la Suisse par la CEDH en matière de contrôles d’identité discriminatoires fait largement écho à l’actualité française [21]. Dans le cadre d’une requête concernant un contrôle d’identité auquel le requérant a refusé de se soumettre, arguant de son caractère discriminatoire, la Suisse est condamnée sur les volets procéduraux et matériels de l’article 14 combiné à l’article 8 en ce que, pour le premier aspect, les tribunaux administratifs et pénaux n’ont pas recherché si les motifs discriminatoires avaient pu jouer un rôle dans la décision de le contrôler – ce qui justifie également une condamnation au titre de l’article 13 – et en ce que, pour le second aspect, le gouvernement n’a pu réfuter la présomption de traitement discriminatoire à l’égard du requérant (CEDH, affaire Wa Baile c. Suisse, Req. n° 43868/18 et 25883/21, 20 février 2024). Déjà partie intervenante dans l’affaire précitée, la défenseure des droits publiait quelques jours plus tard les résultats d’une étude relative au rapport entre la police/gendarmerie et la population et appelait, dans un communiqué de presse, notamment à mettre en place un dispositif d’évaluation des contrôles d’identité, évalués en France à 47 millions en 2021 [22] . Également contestés en France, la Cour de cassation a refusé de transmettre, pour défaut de caractère nouveau ou sérieux, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la question [23]. Au-delà de la condamnation des pratiques, ce sont bien les violences policières à l’égard du jeune Théo Luhaka qui ont été reconnues par la condamnation de trois policiers par la cour d’assises de Seine Saint-Denis à l’issue du procès le 19 janvier 2024.

Lutte contre le terrorisme ?

17 La crainte des attaques terroristes a conduit au renforcement du dispositif de surveillance avec la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 dont les dispositions s’appliquent désormais aux grands événements hors des JO. C’est ainsi que les deux décrets qui encadrent le carnaval de Nice et la fête du citron à Menton (décrets n° 2024-40 et 2024-41 du 25 janvier 2024), s’ils sont rédigés de manière identique à ceux de l’année précédente, renvoient à des dispositions dont le contenu a été modifié et qui permet par conséquent aux dispositions de la « loi JO » de s’appliquer à bien d’autres contextes. Les participants sont désormais soumis aux enquêtes administratives (depuis la loi du 19 mai 2023) et la liste des fichiers consultés est encore étendue (décret n° 2023-1388 du 29 décembre 2023, article 4).

18 Deux expulsions d’imams ont également été confirmées pendant la période. Suivant les juges des référés au Conseil d’État [24], le tribunal administratif de Paris confirme au fond l’expulsion de l’imam Iquioussen [25]. Le même tribunal valide en référé celle de Mahjoub Mahjoubi (arrêté du 21 février 2024) ; il juge que les comportements rappelés par le ministre de l’Intérieur entrent dans le champ de l’article L. 631-3 du CESEDA tel qu’il a été modifié par la loi Immigration, justifiant ainsi, malgré son statut doublement protégé – résidant en France depuis l’âge de 13 ans et en situation régulière depuis plus de 20 ans – son expulsion « en urgence absolue ».

Enfance

19 Les droits de l’enfant ont fait l’objet d’une attention particulière durant la période, le législateur lui consacrant trois lois. La loi n° 2024-120 du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants érige la protection par les parents de la vie privée de l’enfant au niveau de sa santé et sa moralité, et a renforcé les pouvoirs du juge et éventuellement du service départemental de l’aide sociale à l’enfance si les parents ou l’un d’eux y porte atteinte. Par la loi n° 2024-201 du 8 mars 2024 visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport, leur protection contre les violences a été renforcée par l’automaticité du contrôle par l’autorité administrative du casier judiciaire (bulletin n° 2) et du fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), des éducateurs sportifs – que les fonctions soient exercées à titre rémunéré ou bénévole – toute inscription entrainant une interdiction d’exercer, lesquelles peuvent en outre être également décidées à l’égard des dirigeants de clubs par exemple s’ils méconnaissent l’obligation d’information à l’autorité administrative des comportements constituant un danger pour les pratiquants. La CNCDH recommande la création d’un centre pour l’intégrité dans le sport qui centraliserait tous les signalements en matière de violences et discriminations et propose de subordonner l’aide publique au respect des obligations en la matière [26]. Enfin, la loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales acte l’une des préconisations de la Ciivise – celles qui ont pu être formulées avant que son existence même ne soit interrogée – en suspendant l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou mis en examen pour crime commis sur l’enfant ou l’autre parent ou pour agression sexuelle incestueuse, le retrait total étant décidé par le juge en cas de condamnation (sauf décision contraire motivée).

20 S’agissant des enfants enfermés (les 700 mineurs incarcérés, 600 en centre éducatifs fermés et les 22 000 enfants hospitalisés en psychiatrie), la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté constate la faiblesse des durées d’enseignement dans tous les lieux, le manque de moyens élémentaires ; elle souligne plus spécifiquement les difficultés matérielles pour inscrire les jeunes aux examens et elle regrette particulièrement l’absence de cadre légal national relatif à l’organisation de l’accès à l’enseignement au sein des établissements hospitaliers [27].

Environnement

21 Alors que le ministère de la Transition écologique et des Territoires annonçait, le 22 janvier 2024 [28], que le scénario retenu par la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) relève d’une augmentation moyenne de 4 °C de la température en France d’ici 2100 (+3 °C en moyenne mondiale, la France se réchauffant à un rythme plus élevé), ce ne sont pas moins de 17 décrets et arrêtés qui ont été pris sur la période pour reconnaître et gérer les conséquences du dérèglement climatique – reconnaître l’état de catastrophe naturelle (9 arrêtés), prévoir les conditions d’indemnisations liées aux mouvements de terrain (décret n° 2024-82 du 5 février 2024) ou prévoir des zones d’expérimentations pour la reconstruction (3 arrêtés).

À signaler

Bioéthique

22 La CEDH a confirmé la conventionalité du dispositif français en ce qu’il permet aux enfants issus d’un accouchement sous X d’accéder à des informations non identifiantes et de solliciter la réversibilité du secret tout en permettant à la femme qui a accouché et au géniteur de conserver leur anonymat après confirmation par ceux-ci de leur volonté de le maintenir [29]. De son côté, la Cour des comptes dans son rapport publié en janvier 2024 constate que les activités relatives aux prélèvements et à la transplantation pâtissent de manière générale du manque de moyens notamment en personnel soignant et paramédicaux à l’hôpital, qui constitue un frein à l’activité et donc la prise en charge (p. 44, 51, 53 etc.).

Histoire et réparation

23 La loi n° 2023-1251 du 26 décembre 2023 relative à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques crée une dérogation au principe d’inaliénabilité des biens des personnes publiques et vient préciser le régime de ces restitutions en les subordonnant, entre autres critères, au fait que les « conditions de leur collecte portent atteinte au principe de la dignité de la personne humaine ou, du point de vue du groupe humain dont ils sont originaires, leur conservation dans les collections contrevient au respect de la culture et des traditions de ce groupe ».


Date de mise en ligne : 15/05/2024

https://doi.org/10.3917/cdap.005.0001b

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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