Couverture de CDAP_004

Article de revue

Administration et libertés

Pages 40 à 52

Notes

Environnement

1 La période actuelle traduit les paradoxes de l’administration dans son rapport au droit de l’environnement. Quoi qu’inscrits aujourd’hui solidement dans le domaine des libertés fondamentales, les enjeux environnementaux reçoivent un traitement variable, notamment au gré des gouvernements (cf. le déclassement de l’environnement de la cinquième à la dixième place dans l’ordre protocolaire : décret du 11 janvier 2024 relatif à la composition du Gouvernement). Le trimestre passé révèle sur ce thème une actualité particulièrement foisonnante.

2 La loi industrie verte du 23 octobre 2023, qui n’a pas fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, se concentre essentiellement sur la réindustrialisation de la France et le développement des technologies dites vertes. Pour faciliter les projets industriels « d’intérêt national majeur », elle instaure notamment « une procédure exceptionnelle simplifiée » qui s’inscrit dans une réforme de la procédure d’autorisation environnementale déjà amorcée. En outre, trois décrets du 27 novembre (n°s 2023-1096 ; 2023-1097 et 2023-1098) viennent mettre en application l’objectif « zéro artificialisation nette » en 2050 de la loi Climat et résilience n° 2021-1104 (sur la loi, cf. chron. 2021/4 (n° 180)). Le décret n° 2023-1096 établit une nouvelle nomenclature (après que le Conseil d’État a censuré partiellement la première pour son imprécision : CE 4 oct. 2023, n° 465341 à propos du décret n° 2022-763 du 29 avril 2022) permettant de catégoriser les surfaces artificialisées ou non. Pris en application de la loi n° 2023-491 relative à l’accélération des procédures de construction de nouvelles installations nucléaires, un décret du 28 novembre 2023 (n° 2023-1104) permet à l’Autorité nucléaire de reporter jusqu’à un an la finalisation des visites décennales des réacteurs d’EDF pour tenir compte des contraintes opérationnelles du groupe et révise aussi les modalités de l’enquête publique à 40 ans.

3 Le 16 novembre 2023, après que la France s’est abstenue, la Commission européenne a procédé au renouvellement de l’autorisation de l’utilisation du glyphosate pour une période de dix ans. En même temps le gouvernement déclarait, dix jours plus tard dans sa « Stratégie nationale biodiversité » que celle-ci visait à enrayer « l’effondrement du vivant » et à « restaurer la nature » d’ici à 2030, avec notamment la mise en place d’un « plan Écophyto 2030 » destiné à réduire de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires.

4 De leur côté, les juges poursuivent un certain activisme environnemental. En attendant l’adoption d’un instrument contraignant reconnaissant de manière explicite le droit à un environnement sain tel que le recommande la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH Déclaration D-2023-3 du 4 oct. 2023, NOR : CDHX2326383X) et dans la lignée de la reconnaissance par le juge administratif du droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé comme liberté fondamentale (CE, ord. 20 sept. 2022, n° 451129 du 20 sept. 2022, cf. chronique 2022/4 n° 184), le Conseil constitutionnel consacre le droit des générations futures (art. 1er de la Charte de l’environnement) auquel il ne peut être porté atteinte que pour des motifs d’ordre constitutionnel ou d’intérêt général (Cons. const. 27 oct. 2023, Association Meuse nature environnement et autres, n° 2023-1066 QPC). Il précise que « lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard » (pt. 6). Il juge néanmoins le projet de stockage profond de déchets radioactifs de la société Cigéo non contraire à ce principe. Sur le fondement de cette décision, le Conseil d’État confirme alors l’utilité publique du même projet en rejetant le recours de 32 associations et syndicats (CE, 1er déc. 2023, n° 467331 B). Le TA de Strasbourg a pour sa part fait une première application stricte du principe consacré par le juge constitutionnel en suspendant l’arrêté qui avait prolongé l’autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux (mais non radioactifs cette fois) sur le territoire de la commune de Wittelsheim, pour une durée illimitée (ord. réf., 7 nov. 2023, n° 2307183, un pourvoi a été annoncé par le ministre de la Transition écologique).

5 La période voit également se renforcer la responsabilité environnementale pénale et administrative de la puissance publique ou des organismes exerçant une mission de service public. Les deux grandes sagas contentieuses françaises suivent leur cours. Jugeant les efforts pour respecter les seuils européens de pollution de l’air insuffisants à Paris et à Lyon, le Conseil d’État, dans l’affaire Les Amis de la Terre, condamne à nouveau l’État au paiement de deux astreintes de 5 millions d’euros pour les deux semestres courant de juillet 2022 à juillet 2023 - en divisant toutefois par deux le montant de l’astreinte prononcée par semestre (CE, 24 nov. 2023, n° 4284094, pt. 16). On retiendra qu’une affaire similaire conduit la Cour d’appel de Bruxelles à donner « injonction à l’État belge, à la Région flamande et à la Région de Bruxelles-Capitale de prendre (…) les mesures appropriées pour faire leur part dans la diminution du volume global des émissions annuelles de GES à partir du territoire belge d’au moins -55% en 2030 par rapport à 1990 » (Affaire Klimaatzaak, 30 novembre 2023, n° 8411). Dans l’Affaire du Siècle, le TA de Paris juge que l’exécution du jugement du 14 octobre 2021 par lequel il avait enjoint au Gouvernement de prendre, avant le 31 décembre 2022, toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et à prévenir l’aggravation des dommages ne pouvait « être regardée comme étant complète » à cette date (pt. 14 et pt. 18 du jugement) ; estimant toutefois qu’elles le seront au cours de l’année 2023, il refuse de prononcer des mesures d’exécution supplémentaires assorties d’une astreinte (TA Paris, 22 déc. 2023, 2321828/4-1).

6 En Outre-mer, le Conseil d’État saisi en référé par des associations et des habitants, tout en reconnaissant que la crise d’accès à l’eau que connaît le département de Mayotte « révèle également un certain nombre de défaillances dans l’organisation et la gestion de l’eau dans ce département depuis plusieurs années » (pt. 6) estime, au regard des mesures déjà prises par l’administration, qu’il n’apparaît pas qu’« une carence constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales (…) soit caractérisée » (pt. 10) ; il juge ainsi que « les mesures d’ordre général qui avaient été demandées en première instance ne sont pas au nombre des mesures de sauvegarde que la situation permet de prendre utilement dans les délais d’intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice » (pt. 11), rejetant ainsi la requête (CE, JR, 26 déc. 2023, n° 489993).

7 En outre, la répression de la délinquance environnementale s’étend aux entreprises exerçant une mission de service public. Après avoir examiné le contenu du plan de vigilance mis en place au sein de la société La Poste (en application de la loi 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre), le Tribunal judiciaire de Paris lui enjoint de le compléter notamment par une cartographie des risques environnementaux plus détaillée (TJ Paris, 5 déc. 2023, n° 21/15827). Sous un format plus inédit, le président du Tribunal judiciaire de Besançon valide une convention judiciaire d’intérêt public par laquelle SNCF Réseau s’engage à s’acquitter d’une amende de 90 000 euros, de dommages-intérêts de plus de 15 000 euros et de mesures de remise en état pour trois délits en matière environnementale (ord. valid., 14 déc. 2023, n° Parquet 23/341/048). Enfin, en matière de contraventions environnementales, la police municipale voit ses pouvoirs élargis. Par décret du 3 nov. (n° 2023-1021), ses agents sont désormais habilités à constater par PV la méconnaissance de l’obligation d’extinction des publicités lumineuses en période de pic de consommation électrique (contraventions de la 5e classe, C. énergie, art. R. 143-3 ; dans le même sens, C. envir., art. R. 583-7).

Organisation et fonctionnement de la justice

Étrangers

8 La loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 (LOPMJ) transfère le contentieux du placement et du maintien en zone d’attente, de la rétention, de l’hospitalisation sans consentement, des mesures de contention et de placement à l’isolement des étrangers, qui s’effectuait jusqu’à lors sous le contrôle d’un juge des libertés et de la détention affecté dans ces fonctions par décret et donc spécialisé et indépendant du président du tribunal, à un magistrat du siège du tribunal (art. 44 de la loi). Ce contentieux mettant en jeu la liberté et la dignité des étrangers est donc, par « simplification », confié à un magistrat qui sera simplement affecté, dans le cadre de ses fonctions non spécialisées, à ce rôle de juge des libertés et de la détention, mais dans ce cas il n’est plus spécialisé et beaucoup moins indépendant, puisqu’il est susceptible d’être également affecté, par ordonnance du président de la juridiction, dans une autre fonction. La défiance que le ministre de l’Intérieur semble manifester à l’égard des décisions des juges européens contribue également à la fragilisation de la protection juridictionnelle des droits fondamentaux des étrangers. Alors qu’il faisait l’objet d’une mesure provisoire adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme depuis mars 2022 exigeant, pour autoriser ou non son expulsion, d’attendre l’issue de la procédure portée devant elle, le ministre de l’Intérieur a pris le 13 novembre 2023 la décision d’expulser un ressortissant ouzbèke vers son pays d’origine en concluant « J’ai décidé de le renvoyer dans son pays […] qu’importent les décisions des uns et des autres » (cité dans une tribune du Monde du 12 janvier 2024 signée par une centaine d’universitaires en droit). Une ordonnance du Conseil d’État datant du 7 déc. enjoint aux autorités françaises de le réacheminer à leurs frais le surlendemain de l’arrêté fixant le pays de son renvoi (n° 489817).

Violences sexistes et sexuelles

9 L’organisation du service public de la justice connaît des évolutions sous l’effet de la lutte contre les violences. Après la création, pour lutter contre la correctionnalisation massive du viol, des cours criminelles, exclusivement composées de magistrats professionnels et dont l’existence un moment contestée a été confirmée par le Conseil constitutionnel (24 nov. 2023, n° 2023-1069/1070 QPC), le décret n° 2023-1077 du 23 nov. 2023 prolonge partiellement l’une des préconisations du Plan rouge vif - Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales (rapport parlementaire, 22 mai 2023 [1]) en créant des pôles spécialisés au sein de chaque tribunal judiciaire et de chaque cour d’appel. Dans ce cadre néanmoins, les magistrats le composant « ne prendront aucune décision juridictionnelle en cette qualité », les pôles permettant un « regard croisé » entre le siège et le parquet, le suivi et l’évaluation du traitement de ces violences (circ. du 24 nov. 2023, n° JUSB2332178C, p. 3).

10 De son côté, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) a rendu son rapport le 17 novembre 2023. Elle estime à 3,9 millions de femmes et 1,5 millions d’hommes les victimes de violences sexuelles avant 18 ans, l’agresseur étant un membre de la famille dans plus de 4 cas sur 5. Afin de lutter contre « un système d’impunité des agresseurs » (p. 519) et de protéger les victimes, exposées et isolées dans le cadre familial, le rapport préconise que les professionnels (qui ne font rien dans 60% des cas lorsque l’enfant se confie, p. 625) et les administrations (a) repèrent les victimes (obligations de signalements, retours systématiques des parquets, p. 626-627), (b) les accompagnent (au niveau départemental par la création de différents services d’investigation ou d’accueil, par l’intégration des violences dans les schémas départementaux de protection de l’enfance), (c) les protègent (par la création d’une ordonnance de sûreté de l’enfant), (d) préviennent les violences (généralisation dans les administrations du dispositif de prévention et de protection de la cellule ministérielle « signal-sport ») et (e) punissent les agresseurs (priorisation de ces enquêtes, formation des magistrats, augmentation des moyens des forces de sécurité intérieure).

11 Comme si les dysfonctionnements structurels dénoncés avaient besoin d’une nouvelle illustration, le juge Durand, pourtant largement salué pour son travail, a été écarté de la poursuite des travaux de la Commission, entraînant la démission de 11 de ses membres. La nécessité d’un lieu d’écoute institutionnel pérenne et soutenant est également recommandé par le rapport de l’Inspection générale de la Justice et l’Inspection générale des affaires sociales qui consacre une part importante à la question des réparations et de la justice restaurative (Mission aux fins d’amélioration de la prise en charge et de l’accompagnement des victimes de faits d’inceste et de violences sexuelles pendant leur minorité, nov. 2023). Enfin, les violences font désormais déshonneur : des condamnations pour agressions, harcèlement sexuel ou corruption de mineur justifient l’exclusion du titre de la Légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite (arrêtés du 5 octobre 2023 ; décrets du 10 octobre 2023 ; décrets du 2 janvier 2024).

Sécurité intérieure

Police

12 La Commission nationale consultative des droits de l’homme constate que les prérogatives des forces de sécurité se renforcent (avis du 25 oct. sur les rapports entre police et population (A-2023-2), pt. 3 et 7) ; le même jour, un décret (n° 2023-984) permet aux fonctionnaires de la Police nationale et officiers/sous-officiers de gendarmerie de porter leur arme, de façon non visible, dans un établissement recevant du public en dehors de ses heures de service. Devant ce phénomène général, le Conseil d’État formule néanmoins les limites de son office dans deux décisions d’Assemblée du 11 octobre qui portent sur le port du matricule des agents de la police nationale (n° 467771, Ligue des droits de l’homme) et la pratique jugée discriminatoire du contrôle d’identité (n° 454836, Amnesty International France).

13 Dans cette dernière décision, plusieurs associations avaient formé une action de groupe (L. 77-10-1 du CJA) pour demander au Conseil d’État d’enjoindre à l’administration de prendre des mesures assez semblables à celles ayant notamment fait l’objet de recommandations par la CNCDH (comme l’obligation de remettre aux personnes contrôlées un récépissé nominatif – avis préc. recommandation n° 6) ou la Cour des comptes (qui préconise le recensement exhaustif des contrôles d’identité réalisés – rapport du 6 déc. Les contrôles d’identité – Une pratique généralisée aux finalités à préciser).

14 Les deux requêtes tendaient à l’appréciation par le juge d’un manquement ou d’une illégalité de l’administration – l’invisibilité du port de l’identifiant individuel des policiers et gendarmes nationaux dans la première, une politique généralisée du contrôle « au faciès » dans la seconde – et à une injonction de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin. La Haute juridiction administrative affirme dans les deux cas qu’il ne lui appartient pas « de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire ». Dans ce cadre, tout en reconnaissant les manquements de l’administration dans les deux affaires, elle ne fait droit qu’à la requête de la Ligue des droits de l’homme en enjoignant au ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, dans un délai de douze mois, de prendre toutes mesures utiles de nature à faire respecter l’obligation de port effectif et apparent de l’identifiant individuel par les agents de police et de gendarmerie et de modifier les caractéristiques de l’identification individuelle, en particulier sa taille, de façon à en garantir une lisibilité suffisante pour le public dans l’ensemble des contextes opérationnels (art. 3 de la décision). Il rejette en revanche la requête d’Amnesty international France, jugeant que les mesures réclamées par l’association pour mettre fin à l’existence établie par le juge d’une pratique de contrôle d’identité « qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés » (n° 454836, pt. 24), « visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l’ordre public, impliquant notamment des modifications des relations entre les forces de police et l’autorité judiciaire, le cas échéant par l’intervention du législateur, ainsi que l’évolution des relations entre la police et la population » (pt. 26).

Surveillance

15 La disposition de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 (LOPMJ) autorisant, dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction, « l’activation à distance d’un appareil électronique [donc téléphone, ordinateur, montre ou voiture connectée, etc.], à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur » pour permettre sa géolocalisation lorsqu’il s’agit de crimes ou délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil. En revanche, celui-ci a estimé que la même activation à distance pour permettre la captation de sons et d’images, donc que ces appareils électroniques puissent servir à filmer et écouter tout ce qu’ils pourraient capter, « lorsque la nature et la gravité des faits le justifient », était contraire au droit au respect de la vie privée en ce qu’elle était autorisée « non seulement pour les infractions les plus graves mais pour l’ensemble des infractions relevant de la délinquance ou de la criminalité organisées » (Décision n° 2023-855 DC du 16 nov. 2023, §68), ouvrant ainsi la porte à une telle possibilité pour les infractions « les plus graves » de cette catégorie.

16 Parallèlement, « au regard de la menace grave et actuelle contre la sécurité nationale », le décret n° 2023-933 du 10 octobre 2023 enjoint les opérateurs de communication électroniques et toutes les personnes qui offrent un accès à des services de communication au public en ligne à conserver durant un an les données de trafic (toutes les coordonnées, paiements, création de contenu, etc.) et de localisation. La LOPMJ étend également, dans le cadre des enquêtes de flagrance pour les crimes de droit commun, les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de nuit (art. 6 de la loi). Concernant les visites domiciliaires et des saisies en prévention d’un risque terroriste demandées par le préfet (art. L. 229-1 CSI), la Cour de cassation admet que le juge des libertés et de la détention se prononce sur le fondement d’une note blanche relatant des faits « précis et circonstanciés » et « au regard de ces seuls éléments de fait, sans interprétation ou extrapolation » (Cass. crim., sect., 5 déc. 2023, n° 22-80.611) – dans le sens d’une jurisprudence déjà consacrée par le Conseil d’État (par ex. ord., 25 fév. 2016, n° 397153).

Fichage

17 Tous les thèmes abordés dans cette chronique auront fait l’objet de nouveaux fichiers. Les violences intrafamiliales font désormais l’objet de données rassemblées dans le SISPoPP (système informatisé de suivi des politiques pénales prioritaires, décret du 10 oct. n°2023-935) de même que les images captées par les caméras installées sur les drones, qu’ils le soient aux fins des missions de police judiciaire ou de surveillance de la voie publique et des lieux et établissements ouverts au public (décrets du 27 nov. n° 2023-1102 et du 30 déc. n° 2023-1395), un arrêté du 19 octobre précisant désormais la liste des zones dont la captation et le traitement de données est interdite.

18 En application de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques, un décret du 11 octobre précise les modalités de pilotage et l’évaluation de l’expérimentation, pendant les JO et jusqu’au 31 mars 2025, des traitements algorithmiques appliqués aux images collectées par différents moyens de surveillance prévu dans le très contesté art. 10 de la loi (cf. « surveillance généralisée », chronique 2023/2, n° 2) et apporte quelques garanties comme la création d’un comité d’évaluation composé de personnalités indépendantes accueillie favorablement par la CNIL (Délib. n° 2023-060 du 29 juin 2023).

19 Les décrets autorisant la création de fichiers intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, qui peuvent être dispensés de publication voient leur liste s’allonger et leur contenu régulièrement modifié sans que, par définition (puisqu’ils ne sont pas publiés) il ne soit possible de connaître le sens de ces évolutions. Ainsi le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, non publié, est encore modifié par un décret du 29 nov. 2023, sans avis de la CNIL.

20 Le champ des fichiers s’étend sur la période au secteur bancaire (pour le « contrôle de la mono-détention d’un plan d’épargne logement », décret du 8 nov. n° 2023-1031), aux transports (« Mes points permis », arrêté du 13 nov.), aux prises de rendez-vous en préfecture (arrêté du 5 oct.), aux contrôles des cumuls d’activité dans les établissements de santé (décret du 10 oct. n° 2023-936). Dans le secteur social, le Conseil constitutionnel a fait obstacle à l’entrée en vigueur d’une disposition de la loi n° 2023-1196 du 18 déc. 2023 pour le plein emploi permettant le partage de données relatives aux bénéficiaires de leurs services entre les très nombreuses personnes morales participant aux réseaux pour l’emploi (décision n° 2023-858 DC du 14 déc. 2023, §86-87). Néanmoins, la CNIL constate que l’utilisation du numéro d’inscription au répertoire national d’identification (NIR) « à des fins d’évaluation des politiques publiques par les services de l’État se généralise, y compris dans les domaines de l’insertion, du travail et de l’emploi » au sein des administrations centrales, ce qui conduit la CNIL à s’interroger sur le fait que l’exécutif ait moins recours à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et les services statistiques ministériels (Délib. n° 2023-095 du 14 sept. 2023).

Libertés collectives : expression, manifestation, association

21 Appelé par le garde des Sceaux, dans le contexte de la discussion sur la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, à préciser le cadre d’exercice de la liberté d’expression des magistrats, le Conseil supérieur de la Magistrature, dans un avis du 13 déc., en rappelle les limites. Il insiste en outre sur la liberté syndicale dont le plein exercice « conf(ère) aux organisations syndicales et à leurs représentants un droit de s’exprimer qui est encore plus large que celui qui résulte du droit commun. En particulier, la possibilité d’adopter un ton polémique, pouvant comporter une certaine vigueur » (pt. 51). Alors qu’il y était convié, il se déclare en revanche incompétent pour se prononcer sur les appels à la grève (CSM, Avis, form. Plén., 13 déc. 2023).

22 Sur fond de guerre entre Israël et le Hamas, une ordonnance du Conseil d’État, qui admet notamment l’intervention volontaire de l’Union juive française pour la paix (UJFP), confirme l’arrêté d’expulsion d’une militante de 73 ans venue « s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien » (CE, JR, 8 nov. n° 489045). Le juge considère que, contrairement à ses dires, elle est bien « une dirigeante » du Front populaire de libération de la Palestine inscrit sur la liste des organisation terroriste (pt 7), que sa présence est ainsi « susceptible de susciter de graves troubles à l’ordre public » et que son expulsion « ne peut être considérée comme portant une atteinte gravement illégale à sa liberté d’aller et venir, ni, en tout état de cause, à sa liberté d’expression » (pt 8) contrairement à ce qu’avait jugé le TA de Paris. Alors que son visa de court séjour expirait le 24 novembre 2023, elle a été interpellée quelques heures après la décision et renvoyée. De son côté, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, modifiant sa jurisprudence dans le sens de celle de la Cour européenne des droits de l’homme, a expressément reconnu l’appel au boycott comme « une modalité particulière d’exercice de la liberté d’expression en ce qu’il combine l’expression d’une opinion protestataire et l’incitation à un traitement différencié ». La Cour juge que les propos publiés, qui rendaient compte de l’action militante organisée par une association, s’ils incitaient toute personne concernée à opérer un traitement différencié au détriment d’une société identifiée, ne renfermaient pas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence et ne visaient pas cette société en raison de son appartenance à la nation israélienne mais en raison de son soutien financier supposé aux choix politiques des dirigeants de ce pays à l’encontre des Palestiniens (Crim. 17 oct. 2023, n° 22-83.197, F-B).

23 On a pu s’étonner de l’usage d’un télégramme adressé par le ministre de l’Intérieur aux préfets pour leur demander expressément d’interdire les « manifestations pro-palestiniennes ». Une telle interdiction générale et absolue n’a pas été suspendue par le juge des référés du Conseil d’État qui a préféré, de façon constructive, l’interpréter comme une instruction rappelant aux préfets le cadre de l’exercice de leur pouvoir de police administrative (CE, ord. 18 oct. 2023, n° 488860, pt. 5), conduisant par la suite les juges administratifs à confirmer (v. par ex., TA Paris, ord., 28 oct. 2023, n° 2324738/9) ou à suspendre (TA Paris, 19 oct. 2023, n° 2323990) l’exécution des arrêtés préfectoraux interdisant de telles manifestation. Ces évènements ne font que conforter le constat de la CNCDH déplorant, dans son avis sur les rapports entre police et population, la multiplication des arrêtés d’interdiction de manifestations notamment lors du mouvement contre le projet de réforme des retraites (préc. pt. 8).

24 Concernant la liberté d’association, le Conseil d’État a annulé le 9 novembre la dissolution des soulèvements de la Terre, le collectif qui s’était notamment fait connaître par ses actions contre les « méga-bassines » (décision n° 476384). C’était la première fois qu’une association de défense de l’environnement faisait l’objet d’une dissolution administrative, et la validation le même jour de trois autres dissolutions – CRI (n° 459704), GALE (n° 446412), Alvarium (n° 460457) – confirme que la Haute juridiction n’a surtout pas été indifférente à l’objet statutaire de l’association (cf. J. de Gliniasty, Actualités Droits-Libertés, Revue des Droits de l’Homme, janv. 2024).

Lieux privatifs de liberté

Surpopulation carcérale, encore

25 En maison d’arrêt, la surpopulation carcérale atteint un record fin 2022 (taux d’occupation de 142,8%) encore dépassé au 1er déc. 2023 (148,5%) et préoccupe cette fois également la Cour des comptes (Une surpopulation carcérale persistante, une politique d’exécution des peines en question, oct. 2023). Si la France répondait au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à l’une des recommandations adressées au cours de l’Examen périodique universel qu’elle « ne souhaite pas instituer un mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale » car l’objectif sera atteint par la construction de places, la promotion des alternatives et les protocoles locaux de régulation (EPU, 1er sept. 2023), la Cour des comptes constate, comme un rapport d’information parlementaire qui l’avait juste précédé (Assemblée nationale, C. Abadie, E. Faucillon, Sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale, n°1539, juil. 2023), que le nombre de personnes suivies dans les dites alternatives à la prison en milieu ouvert augmente en réalité parallèlement à celui des personnes incarcérées (p. 40) et que les tentatives locales de régulation carcérale faute de dispositif contraignant se heurtent à plusieurs limites (p. 51-55). L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, reprenant les conclusions du rapport parlementaire précité préconisant l’adoption d’un dispositif de régulation contraignant, invite les autorités à expérimenter cette mesure jusqu’à ce que les autres prennent effet (Résolution 2512 du 10 oct. 2023, §18-19). La surpopulation expose, de fait, l’État à de nouvelles condamnations (2043 recours devant les juridictions administratives en 2021, rapport de la Cour des comptes, p. 32). Les effets de l’enfermement ont par ailleurs été examinés sur certains aspects précis, tant au sujet des conséquences spécifiques des longues peines sur les droits fondamentaux (Contrôleur général des lieux de privation de liberté - rapport thématique Incarcérations de longue durée et atteintes aux droits, déc. 2023) que sur la santé mentale des détenus (qui n’a pas fait l’objet d’enquête depuis 2004, ce que regrette le CGLPL et qui fait l’objet de longs développements dans l’avis budgétaire du député Éric Poulliat, doc. Assemblée nationale n°1778, 18 oct. 2023) ou au sujet des mineurs (Cour des comptes, Les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs, juil. 2023 ; ministère de la Justice, Les effets de l’enfermement sur les mineurs détenus, oct. 2023). Le Conseil constitutionnel confirme, comme pour la détention, que le respect de la dignité en garde à vue en conditionne le maintien, toute atteinte à la dignité devant cesser sans quoi le gardé à vue doit être libéré ou peut engager la responsabilité de l’État (décision n° 2023-1064 QPC du 6 oct. 2023, §22). Le droit du travail et les droits sociaux des détenus, enfin, sont pris en compte par plusieurs dispositions.

Droits sociaux

26 D’un côté, le décret n° 2023-1044 du 16 nov. 2023 prévoit que les mères détenues peuvent accompagner leur enfant dans un établissement de santé en cas de besoin de soins urgents et voir leurs enfants rester avec elles en détention au-delà de l’âge de 18 mois, ce que la circulaire explique notamment par la libération prochaine ou une difficulté temporaire d’accueil à l’extérieur (circ du 24 nov. relative à la prise en charge des enfants vivant avec leur mère en détention, p. 33). De l’autre, quatre décrets précisent à la fois les conditions de formation, de cotisation au compte personnalisé de formation, de travail et de participation à la réserve citoyenne de réinsertion des personnes détenues (décrets n° 2023-1121 du 29 nov. 2023 ; n° 2023-1169 du 12 déc. 2023 ; n° 2023-1235 du 22 déc. 2023 et n° 2023-1393 du 29 déc. 2023). Le décret du 12 décembre comprend des dispositions sur la mixité au travail afin de diversifier les emplois des femmes détenues ainsi que relatives au harcèlement dans ce cadre ; il crée également un cadre juridique pour le travail des mineurs détenus.

Précarité

27 Avec l’entrée en vigueur de la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, tous les bénéficiaires de l’allocation chômage, mais également tous les allocataires du RSA, les personnes accompagnées par les missions locales (jeunes) et par Cap emploi (personnes handicapées) seront considérées comme « demandeur d’emploi » et à ce titre inscrites auprès du nouvel opérateur de France Travail (art. 1). La loi crée un nouveau contrat d’engagement (ni contrat d’engagement républicain – prévu pour les associations–, ni contrat d’emploi pénitentiaire…) que tous les demandeurs d’emplois devront conclure auprès de France Travail. Ce contrat leur impose une durée minimale d’activité (travail, formation ou insertion) d’au moins 15 heures par semaine pour bénéficier tant du RSA que de l’assurance chômage. Cette durée, qui peut être minorée en raison de la situation des personnes, ne peut être nulle, sauf si elles « rencontr[e]nt des difficultés particulières et avérées en raison de leur état de santé, de leur handicap, de leur invalidité ou de leur situation de parent isolé sans solution de garde pour un enfant de moins de douze ans » (art. L. 5411-6.-I du Code du travail), ce qui, comme la Défenseure des droits l’avait souligné, ne comprend pas toutes les personnes désaffiliées, parfois incapables de se soumettre à des activités régulièrement fixées. Le contrôle est assuré par France travail (art. L. 5426-1-I c. trav., sauf dérogations). Les manquements à ce contrat d’engagement sont assortis de sanctions (prises par France travail ou par le conseil départemental) pouvant aller jusqu’à la suspension ou la suppression de tout ou partie des versements, sans que le législateur n’ait fixé de plancher (pouvant donc laisser les personnes sans aucune ressource). Les collectivités et autres personnes morales de droit public ou privé, à but lucratif ou non, pourront ainsi, selon leurs besoins, bénéficier des activités des allocataires mentionnés, entraînant une confusion (dénoncée par la saisine parlementaire, p. 19) avec les activités rémunérées dans le cadre d’un emploi.

28 À signaler :

  • • CJUE, gr. ch., OP c/ Commune d’Ans, aff. C-148/22 : la Cour juge qu’une administration communale peut interdire à ses agents, de façon générale et indifférenciée, le port visible, sur le lieu de travail, de tout signe révélant, notamment, des convictions philosophiques ou religieuses [2].


Date de mise en ligne : 21/02/2024

https://doi.org/10.3917/cdap.004.0001d

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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