Couverture de CDAP_003

Article de revue

Administration et libertés

Pages 37 à 47

  • Précarité
  • Libertés collectives
  • Sécurité
  • Santé et bioéthique

Précarité

Logement : procédure administrative et pénalisation de l’occupation illicite

1 La loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite étend la protection des propriétaires et de leurs biens. Malgré le contrôle restreint du Conseil constitutionnel qui n’y a trouvé qu’une disposition contraire à la constitution – celle relative au défaut d’entretien et à l’irresponsabilité des propriétaires en cas de dommages occasionnés sur les occupants mais également des tiers – et une réserve, l’institution a été suffisamment attaquée au sujet de la disposition en cause qu’elle a dû publier un communiqué contre les fausses interprétations de sa décision (Cons. const., actualités, 29 juillet 2023).

2 Envisagée comme exceptionnelle et dérogatoire en 2007 pour protéger sa résidence principale, la possibilité d’expulser un occupant qui s’est introduit ou se maintient « à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte » par voie strictement administrative, sans contrôle du juge judiciaire qui permettait déjà depuis 2020 d’obtenir du préfet auquel la demande est adressée une mise en demeure dans les 48 heures et une évacuation forcée à l’issue du délai fixé (qui ne peut être inférieur à 24 heures) pour les résidences principales ou non, est désormais à la fois davantage circonstanciée – le Conseil constitutionnel ayant entre temps imposé, par une réserve, la prise en compte par le préfet de la « situation personnelle et familiale de l’occupant » (décision n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023, Mme Nacéra Z.) – et de nouveau étendue, cette fois à « tout local à usage d’habitation », donc aux locaux, potentiellement vides, qui ne constituent pas le domicile du demandeur (loi du 27 juillet 2023, art. 6 modifiant l’art. 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007). Dans ce dernier cas, le délai d’exécution de la mise en demeure est porté à 7 jours et l’introduction d’un recours en référé en suspend l’exécution. Toutefois, les deux rapporteurs spéciaux de l’ONU sur le logement convenable et l’extrême pauvreté ont estimé que le caractère administratif de la procédure limitant les recours et facilitant les expulsions était contraire au droit au recours effectif et au droit au logement garantis par le Pacte relatif au droit civil et politique et le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; ils ont également regretté l’absence d’étude d’impact – car issue d’une initiative parlementaire – évaluant les conséquences de la loi sur le nombre de personnes sans abri (Lettre de Balakrishnan Rajagopal et d’Olivier de Schutter à Mme la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, le 30 mars 2023). Par ailleurs, dans un contexte où l’occupation de logements et le maintien illégal dans les lieux procèdent largement de l’« incapacité de l’État à respecter ses obligations en matière de droit au logement ou à l’hébergement [et de] mise en œuvre de politiques publiques ineffectives » (DDD, avis 23-01 du 23 janvier 2023, p. 6), la loi facilite leur expulsion et procède à une pénalisation des occupants. S’ils échappent à la prison, les locataires ne pouvant s’acquitter de leur loyer et se maintenant plus de deux mois dans les lieux après une décision définitive et exécutoire, peuvent en effet se voir infliger une amende de 7 500 euros (sauf bailleur social ou propriété d’une personne morale de droit public) dès lors que le délai maximal accordé par le juge judiciaire « chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales » est réduit de 3 à 1 an (article L. 412-4 c. proc. d’exécutions modifié par l’art. 10 de la loi). Cela pourrait ainsi conduire, étant donné les délais, « à priver de son logement une personne pour laquelle l’État ne serait pas parvenu à remplir ses obligations de relogement » (DDD, avis précité, p. 7). En ce qu’elle vise la protection des personnes via leur domicile, la loi triple les peines en cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui (passant de 1 à 3 ans d’emprisonnement et de 15 à 45 000 euros d’amende), mais elle protège aussi les biens contre les personnes en introduisant un nouveau délit, passible de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, d’introduction et de maintien dans des locaux qui ne relèvent pas de domiciles (à usage commercial, agricole ou professionnel, article 315-1 c. pén.), donc potentiellement des bureaux ou autres bâtiments désaffectés occupés par des sans-abris ou des entreprises occupées lors de l’installation de piquets de grève dans le cadre d’un conflit social (art. 1). Contestée devant le Conseil constitutionnel, la disposition n’a pas été jugée disproportionnée (décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, cons. 9, 15). En outre, comme l’ont vu et dénoncé plusieurs institutions de défense des droits de l’homme, associations et syndicats, la loi pénalise la propagande ou la publicité en faveur de la commission de ce nouveau délit, donc potentiellement des discours syndicaux appelant à occuper ces lieux (président de la CNCDH, lettres des 30 janvier et 17 mars 2023 au Sénat et à l’Assemblée nationale), ou les associations aidant les sans-abris dans un but purement humanitaire (lettre des rapporteurs de l’ONU précitée, p. 4 ; la DDD faisant le parallèle avec le délit de solidarité relatif à l’aide aux migrants, DDD, avis 23-01 précité, p. 9) ; le nouvel article prévoit que l’infraction puisse être commise par voie de presse écrite ou audiovisuelle (article 226-4-2-1 c. pén.).

3 À Mayotte, dans le cadre la lutte contre l’habitat insalubre, le préfet a fait procéder sans contrôle préalable du juge (possibilité offerte par l’art. 197 de la loi ELAN) aux démolitions de logements informels et illégaux dans deux quartiers. Les objectifs annoncés sont néanmoins limités par les difficultés liées à l’insuffisance de logements pour les personnes évacuées, alors que la sécheresse et la pénurie d’eau ont conduit l’État à prendre un décret gelant le prix des bouteilles d’eau sur le territoire (décret n° 2023-611 du 18 juillet 2023) et autorisé les toilettes sèches sur les chantiers (arrêté du 27 juillet 2023 autorisant jusqu’au 31 décembre 2023 l’utilisation dérogatoire de toilettes sèches). La précarité concerne également les enfants, qui ont fait durant la période l’objet de nombreuses dispositions.

Enfance et vulnérabilité

4 Le législateur a étendu le dispositif imposant le relogement des locataires de plus de 65 ans démunis et ayant la charge d’un enfant malade, handicapé ou gravement accidenté auxquels congé est donné (loi n° 2023-622 du 19 juillet 2023, art. 6). Parallèlement, l’intérêt supérieur de l’enfant justifie pour le juge administratif, au vu des circonstances exceptionnelles – une femme avec sa fille de deux ans ayant vécu plus de 6 mois dans la rue –, l’obligation pour le préfet de lui proposer un hébergement d’urgence malgré une obligation de quitter le territoire français (CE, ref, 31/08/2023, 481062). Le législateur s’est également attelé à lutter contre l’exposition des mineurs derrière les écrans en créant une majorité numérique (loi n° 2023-566 du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne) : les mineurs de moins de 15 ans ne pourront s’inscrire sur les réseaux sociaux, définis par la loi, sans l’autorisation d’un parent qui pourra également demander la suspension des comptes (art. 4). Quelques jours plus tard, les textes d’application de la loi n° 2022-300 du 2 mars 2022 sur le contrôle parental sur l’accès à internet ont été publiés (décrets n° 2023-588 et n° 2023-589 du 11 juillet 2023). L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique sera chargée de vérifier auprès des fournisseurs la mise en place des outils techniques permettant ce contrôle un an après l’entrée en vigueur de la loi de 2023 (art. 4 et 7), qui étend également les dispositions permettant de lutter contre les contenus haineux en ligne. À ce propos, l’autorité administrative a rendu un rapport faisant état des moyens mis en place par les différentes plateformes à cette fin (bonnes pratiques et limites, le rapport se terminant par 23 préconisations à destination des plateformes, Arcom, Lutte contre la diffusion de contenus haineux en ligne, 24 juillet 2023). En ligne ou non, le Gouvernement a également organisé la procédure visant à protéger les enfants victimes de harcèlement scolaire : alors que la réponse était généralement jusqu’alors le départ de l’enfant harcelé, l’auteur du comportement harcelant peut désormais voir son accès à l’établissement suspendu, à titre conservatoire, par le directeur de l’établissement et, s’il persiste, être radié de l’école par le maire et affecté à un autre établissement dans la commune ou une autre s’il y est alors accepté. Le directeur peut également engager une procédure disciplinaire à l’encontre d’un élève dont le cyberharcèlement viserait des élèves y compris d’un autre établissement (décret n° 2023-782 du 16 août 2023, art. 1 et 2). Au-delà des sanctions, la prévention se limite à l’établissement d’une formation des personnels prévue par le Plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l’école et le cyberharcèlement et des « cours d’empathie » ont été annoncés par le ministre de l’Éducation nationale pour la rentrée 2024 au moment de la présentation de ce plan par la Première ministre (27 septembre 2023). Hors de l’école, le Gouvernement a mis en place un « Office mineurs » en charge de l’amélioration du traitement judiciaire de toutes les violences – à caractère sexuel ou non –, harcèlement et autres formes d’exploitations dont sont victimes les mineurs, ainsi que de l’évaluation des phénomènes criminels et de la formation des agents sur ces questions (Décret n° 2023-829 du 29 août 2023 portant création de l’Office mineurs – OFMIN). Cette attention aux mineurs s’étend aux jeunes majeurs avec la création, au sein de chaque département, d’une commission départementale d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans pris en charge par l’aide sociale à l’enfance ou par la protection judiciaire de la jeunesse ; elle les accompagne dans l’accès à leurs droits notamment sociaux (arrêté du 8 août 2023 instituant la commission départementale d’accès à l’autonomie).

Libertés collectives

Laïcité : fermeté dans les services publics et ailleurs

5 Le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 précité qui s’inscrit dans la droite ligne de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République précise les règles applicables relatives à la procédure disciplinaire que le chef d’établissement est désormais « tenu d’engager […] lorsque l’élève commet un acte portant une atteinte grave aux principes de la République, notamment au principe de laïcité » (art. R421-10 du code de l’éducation).

6 C’est sous le signe de la fermeté que s’est engagée la rentrée scolaire. Dans sa croisade contre le « séparatisme », le Gouvernement met en place une stratégie interministérielle entre justice et éducation nationale pour éradiquer les infractions commises en milieu scolaire. Une note du ministre de l’Éducation nationale annonce « le renforcement des actions en faveur de la laïcité́ » pour 2023-2024, « en réponse à la montée en puissance du port de tenues de type abaya ou qamis ». Dans le sens du décret précité, elle invite « les chefs d’établissements scolaires à veiller au respect par l’ensemble des élèves de la loi du 15 mars 2004 » c’est-à-dire à interdire ces tenues, considérant qu’elles rentrent dans le champ d’application de l’interdiction du port de signes manifestant une appartenance religieuse dans les établissements scolaires publics prévue par la loi du 24 août 2021 à l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation (circulaire du 31 août, NOR : MENC2317176N, BO n° 32). C’est sur ce point qu’elle a fait l’objet de recours devant le juge des référés du Conseil d’État. Dans un premier temps, sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA (référé liberté), celui-ci a d’abord jugé que l’interdiction du port de l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, interprétant les dispositions de la loi 2021-1109 du 24 août 2021 comme interdisant non seulement les signes d’appartenance religieuse manifestement ostentatoires mais également « ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève » (CE, JR, 7 septembre, n° 487891, §4). Prenant à son compte la définition de l’administration selon laquelle l’abaya est un « vêtement féminin couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage et des mains, ou qamis, son équivalent masculin », il estime que le ministre de l’Éducation nationale n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l’éducation et au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ou au principe de non-discrimination (§6) pour refuser de suspendre l’exécution de la décision d’interdiction du ministre. Dans un second temps, 4 jours après la visite du président de la République au Pape en déplacement à Marseille, le Conseil d’État a une nouvelle fois refusé, cette fois sur le fondement du référé suspension (L. 521-1 CJA), de suspendre l’interdiction du port de l’abaya selon une motivation similaire jugeant qu’il n’y avait pas de doute sérieux sur la légalité de la note de service du 31 août 2023 (CE, JR, 25 septembre 2023, n° 487896). Gageons que la décision au fond ne devrait pas modifier la trajectoire.

7 Une circulaire du garde des Sceaux datant du 5 septembre, qui décrit l’espace scolaire comme un « sanctuaire républicain », détaille quant à elle le partenariat mis en place avec l’Éducation nationale notamment dans la centralisation des signalements des infractions en milieu scolaire et appelle le personnel judiciaire à « une réponse pénale très réactive » (NOR : JUSD2323731C).

8 S’agissant de la protection de l’ordre public, le Conseil d’État, maintenant sa ligne jurisprudentielle établie en 2016 concernant le port du burkini sur les plages, suspend l’arrêté de la commune de Mandelieu-la-Napoule qui réglemente les conditions d’accès à ses plages et à la baignade. La Haute juridiction juge que cet arrêté, qui « a entendu prohiber, sur les plages de la commune, le port de tenues manifestant de façon ostensible une appartenance religieuse » porte « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle » (CE, 17 juillet 2023, LDH, n° 475636).

9 De son côté, la rentrée des avocats a été l’occasion d’affirmer clairement une volonté de neutralité de la profession. Quand bien même les 33 boutons qui couvrent la robe seraient un hommage à l’âge de la mort du Christ, le Conseil national des barreaux (CNB) a décidé le 7 septembre d’interdire formellement de porter dessus tout « signe distinctif », notamment religieux (le nouvel art. 1.3 bis du RIN sera publié au JO après transmission à la Chancellerie).

Liberté de manifestation, liberté d’association

10 Par une ordonnance très motivée du 7 juillet, le TA de Cergy-Pontoise ne suspend pas l’arrêté par lequel, à la suite du décès de Nahel Merzouk à Nanterre et des violences subséquentes, le préfet du Val-d’Oise a interdit la marche commémorative liée au décès d’Adama Traoré qui devait se dérouler pour la septième année consécutive. Il juge que cet arrêté, qui fonde l’interdiction sur la possibilité d’un trouble à l’ordre public (art. L. 211-4 CSI), « porte à la liberté de manifester une atteinte qui n’est pas manifestement illégale » (ord. n° 2309243). Le soutien d’un grand nombre d’organisations et de partis de gauche n’a pas empêché le maintien de l’interdiction. 2 000 personnes se sont toutefois rassemblées place de la République à Paris sans qu’aucun trouble à l’ordre public n’ait été signalé.

11 Statuant exceptionnellement en formation collégiale, le Conseil d’État décide quant à lui de suspendre l’exécution du décret de dissolution du collectif Les soulèvements de la terre. Ce décret, prolixe mais imprécis, se fondait sur l’alinéa 1 de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure qui prévoit la dissolution de toutes les associations ou groupements de fait provoquant « à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Par une motivation quelque peu inédite, après avoir estimé que l’atteinte à la liberté d’association justifiait l’urgence de suspendre la dissolution, le Conseil d’État, ayant accepté l’ensemble des interventions – grandes associations et organisations de défense des droits, mais aussi syndicat de la magistrature, syndicat des avocats, partis politiques et sociétés – juge, d’une part, l’absence d’éléments prouvant que le collectif aurait cautionné les violences à l’encontre des personnes et, d’autre part, que les actions ayant conduit à des atteintes à l’encontre des biens « se sont inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur d’initiatives de désobéissance civile et de ‘‘désarmement’’ de dispositifs portant atteinte à l’environnement, dont il revendique le caractère symbolique, et ont été en nombre limité ». Il fait résulter le doute sérieux quant à la légalité de ce décret du « caractère circonscrit, (de) la nature et (de) l’importance des dommages résultant de ces atteintes (CE, Ref., 11 août 2023, Les soulèvements de la terre, n° 476385, pt. 6).

12 Contestés sur un plan politique, certains projets de bassines ont été jugés surdimensionnés par le tribunal administratif de Poitiers qui annule deux arrêtés autorisant la création et l’exploitation de quinze réserves de substitution en ce qu’ils n’ont pas respecté le « principe de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau » (n° 2101394 et 2102413 du 3 octobre 2023).

Liberté d’expression : le contrôle de la provocation du personnel politique

13 Après avoir été confirmée en appel (CA Paris, 12 mai 2022), la relaxe d’Éric Zemmour accusé de contestation de crime contre l’humanité pour avoir affirmé que le maréchal Pétain avait « sauvé » des juifs français durant la Seconde Guerre mondiale est cassée par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Elle estime notamment, contrairement à la Cour, que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit l’infraction n’impose pas que les propos portent sur une personnalité qui a elle-même été condamnée pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité (ce qui n’est pas le cas de Pétain) et renvoie l’auteur des propos devant une nouvelle cour d’appel (Cass. crim., 5 septembre 2023, n° 22-83.959, FS-B).

14 De son côté, le Conseil d’État se déclare incompétent pour connaître la sanction infligée à un député par le bureau de l’Assemblée nationale sur le fondement de son règlement intérieur. Le 10 février 2023, un député LFI avait fait l’objet d’une censure avec exclusion temporaire de l’Assemblée nationale pour outrages et provocations envers l’Assemblée (art. 70-4 du RAN) après avoir pris la pose avec son écharpe tricolore, le pied sur un ballon à l’effigie du ministre du Travail et diffusé le cliché sur les réseaux sociaux avant qu’il ne se retrouve dans les médias. Bien qu’elle soit la plus élevée dans l’échelle des sanctions, le Conseil d’État ne s’embarrasse pas pour admettre l’absence de recours contre cette sanction disciplinaire : il juge que « la circonstance qu’aucune juridiction ne puisse être saisie d’un tel litige ne saurait avoir pour conséquence d’autoriser le juge administratif à se déclarer compétent » et que les dispositions de la Conv. EDH telles qu’interprétées par la Cour EDH « n’imposent au demeurant pas qu’un parlementaire frappé d’une sanction disciplinaire jouisse d’un droit de recours juridictionnel » (CE, 24 juillet 2023, n° 471482, §2).

Sécurité

Sécurité routière et permis de chasse

15 Semblant jongler entre différentes considérations politiques, le Gouvernement a choisi de créer une nouvelle contravention pour réprimer le fait de chasser en état d’ivresse manifeste, désormais intégrée au code de l’environnement (décret n° 2023-882 du 16 septembre 2023).

Prévention de la fraude et de la délinquance

16 La loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces (JORF n° 0165 du 19 juillet 2023) élargit considérablement les pouvoirs des agents de douane en leur permettant, par exemple, en vue de la recherche de la fraude, de procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes (art. 2). Ces dispositions, déjà prévues dans le code des douanes (art. 60) avaient été abrogées par le Conseil constitutionnel pour avoir été prises dans des termes trop généraux et imprécis, l’abrogation devant prendre effet au 1er septembre 2023 (CC, décision n° 2022-1010 QPC). Le Conseil d’État estime en l’espèce que « le projet de loi définit de façon suffisamment précise et encadrée les lieux et les circonstances dans lesquelles le droit de visite douanière peut désormais s’exercer dans des conditions de nature à prévenir le risque de mise en œuvre de contrôles généralises et arbitraires » (AG, Sect. des finances, avis du 30 mars 2023, n° 406938, pt. 12). Les agents de douane pourront également, dans un cadre précis détaillé par la loi, recourir à un dispositif de sonorisation et de captation d’images dans des lieux ou des véhicules publics ou privés (art. 9), bloquer des accès à des données informatiques stockées à distance (art. 12), exploiter les données collectées par le biais des « lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation » (L.233-1 du code de la sécurité intérieure) dans le cadre d’une expérimentation pendant une durée de trois ans (art. 19), enjoindre aux opérateurs de plateformes et aux hébergeurs de site Internet de faire cesser le référencement de contenus manifestement illicites. La loi habilite également le Gouvernement à procéder par ordonnance à la codification de la partie législative du code des douanes. Ces dispositions n’ont pas fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel.

17 Au niveau communal, le décret n° 2023-579 du 7 juillet 2023 met en œuvre une nouvelle structure dans le paysage judiciaire qui s’inscrit dans le cadre de la concertation sur les priorités de la lutte contre l’insécurité et de la prévention de la délinquance dans la commune prévu par la loi n° 2021-646 pour une sécurité globale : le procureur de la République, concurrençant à ce titre l’exécutif communal, devient compétent pour créer des groupes locaux de traitement de la délinquance composés des services de police judiciaire pour une durée et dans un périmètre qu’il détermine. Contre-intuitivement dans un contexte où les violences policières sont largement dénoncées et ont été particulièrement soulignées par différents États lors de l’examen périodique universel (A/HRC/54/5, Conseil des droits de l’homme, septembre 2023, rapport du Groupe de travail, §45.82 à 45.109), le Gouvernement a également décidé de doubler le stock de munitions des policiers municipaux en ce qui concerne les lanceurs de balles de défense (décret n° 2023-590 du 12 juillet 2023 modifiant l’article R. 511-30 du CSI).

Sécurité intérieure

18 La loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (JORF n° 0177 du 2 août 2023 ; CE, avis, AG, des 23 et 30 mars 2023, n° 406858), à l’instar des dernières lois de programmation, intègre des « dispositions normatives », ici « intéressant la défense nationale » (titre 2). Outre la volonté d’améliorer l’attractivité des armées et d’encadrer strictement les activités privées en rapport avec une puissance étrangère, le législateur crée deux nouveaux dispositifs de réquisition des personnes, des biens et des services pour la sauvegarde de la défense nationale à la discrétion du président de la République (décret en conseil des ministres) ou mis en œuvre par le Premier ministre (décret simple). La loi renforce également les moyens de contrôle des armées sur les activités et installations nucléaires. Outre la censure d’office d’une série de cavaliers législatifs, seule la procédure d’adoption de certains articles contestée a fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité (décision n° 2023-854 DC du 28 juillet 2023, pt. 12).

19 Dans le cadre de l’organisation des prochains événements sportifs mondiaux en France, la cellule interministérielle de crise (CIC) pilotée par le Premier ministre est annoncée comme dispositif de référence ; une circulaire du 27 septembre 2023 reprend ses principes d’organisation et de fonctionnement (n° 6418/SG).

20 L’arsenal répressif est pour l’occasion renforcé. Le décret n° 2023-750 du 9 août 2023 (NOR : JUSD2317060D) crée deux nouvelles contraventions de cinquième classe qui répriment le fait de pénétrer ou de tenter de pénétrer dans les enceintes sportives pendant le déroulement ou la retranscription des manifestations sportives (nouveaux art. R. 332-21 et art. R. 332-22 du code du sport). Le décret n° 2023-776 du 14 août 2023 (NOR : IOMD2314597D) pris pour application de l’article 15 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 JOP 2024, étend aux fans-zones et à l’ensemble des participants le champ d’application de la procédure obligeant les organisateurs de grands événements à demander l’avis de l’autorité administrative avant d’autoriser l’accès d’une personne à un établissement ou une installation accueillant ces grands événements – procédure de « criblage » (art. R. 211-32 à R. 211-34 du code de la sécurité intérieure) ; l’avis rendu devant désormais être conforme.

21 Introduit pour la première fois (à titre expérimental et jusqu’au 31 mars 2025) par l’article 10 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 JOP 2024 [1], la mise en œuvre de caméras « augmentées » trouve son cadre d’application dans le décret n° 2023-828 du 28 août 2023. Les dispositifs de vidéoprotection ou les caméras installées sur des aéronefs que prévoit la loi ont pour finalité de permettre aux services désignés – police et gendarmerie nationales, police municipale, services d’incendie et de secours et services de sécurité de la SNCF – de « détecter en temps réel » et « signaler en temps réel » (art. 1 et 2 du décret) des « évènements prédéterminés » susceptibles de présenter des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes, mais ils « ne peuvent fonder, par eux-mêmes, aucune décision individuelle ni aucun acte de poursuite » (art. 2). Si la CNIL, dans son avis, préconise une anticipation de l’identification des manifestations pour lesquelles les images issues de ces dispositifs pourraient être utiles à la conception des algorithmes afin de pouvoir informer préalablement les personnes concernées dans le sens « d’une meilleure transparence et loyauté à l’égard du public » (délib. n° 2023-068 du 15 juin 2023), l’article 17 du décret reste relativement flou sur la mise en place et le contenu de cette information.

Données à caractère personnel

22 L’actualité est marquée par la création de plusieurs traitements informatisés de données à caractère personnel. On en retiendra deux :

  • Le décret n° 2023-795 du 18 août 2023 modifie l’article R. 841-2 du code de sécurité intérieure relatif aux traitements ou parties de traitements automatisés de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l’État en ajoutant à la liste déjà longue de 20 fichiers un nouveau « Fichier du renseignement pénitentiaire ». Le décret autorisant sa mise en œuvre fait l’objet, conformément aux dispositions du III de l’article 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, d’une dispense de publication – de même que l’avis favorable avec réserve émis par la CNIL (délib. n° 2023-034 du 6 avril 2023).
  • En matière de santé, un nouvel outil de déclaration obligatoire des maladies nécessitant une intervention urgente ou exigeant une surveillance particulière à l’autorité sanitaire – LABOé-SI – remplace les anciens fichiers Si-dep et Contact Covid créés dans le cadre de la lutte contre la pandémie (décret n° 2023-700 du 31 juillet 2023).

Santé et bioéthique

24 Pour leurs impacts professionnels ou non, le législateur a, par deux lois, pris en compte la survenue d’événements familiaux graves : la loi n° 2023-622 du 19 juillet 2023 allonge les durées d’autorisations spéciales d’absence en cas d’enfant handicapé ou gravement accidenté et protège les personnes en ayant la charge au cours du congé de présence parentale. De son côté, la loi n° 2023-567 du 7 juillet 2023 reconnaît l’événement traumatique que peut constituer une interruption spontanée de grossesse : les agences régionales de santé devront former les personnels et mettre en place un parcours pour accompagner les personnes, notamment sur le plan psychologique ; en cas de constat médical d’une incapacité de travailler, les journées d’arrêt seront indemnisées par la sécurité sociale (le jour de carence est supprimé), et le code du travail les protège dans les dix semaines qui suivent l’événement. Le Conseil d’État a de son côté fait droit à la requête d’une femme dont l’enfant mort-né avait été incinéré avant le délai impératif de 10 jours fixé par l’article R. 1112-75 du code de la santé publique : non informée et ayant consenti à sa prise en charge avant ce délai, elle n’avait alors pu réclamer le corps de l’enfant pour organiser ses funérailles, ce qui constitue une faute du centre hospitalier (CE, 29 septembre 2023, n° 468220, Rec.).

25 Le droit de la procréation a été interrogé à plusieurs égards : la Cour européenne des droits de l’homme, saisie en 2016 et 2017, de la question de la conventionnalité du dispositif français qui interdisait l’accès des enfants aux données de leur géniteur ou génitrice et qui désormais le subordonne au consentement des personnes dont les gamètes ont été donnés avant le 1er septembre 2022, a confirmé la conventionalité des deux dispositifs, au regard de la marge d’appréciation dont les États disposent et ne voyant pas, au regard de la garantie des droits pour des situations antérieures constituées, comment l’État « aurait pu régler la situation différemment » (Cour EDH, 7 septembre 2023, G. et S. c/ France n° 21424/16 et n° 45728/17 §131). Si les nouveaux dons sont subordonnés depuis cette date à l’acceptation de la levée de l’anonymat, le décret n° 2023-785 du 16 août 2023 fixe au 31 mars 2025 la fin de l’utilisation des stocks issus de dons anonymes, ce qui va permettre, au moins, d’éviter la destruction de stocks dans un contexte où ces dons sont utilisés de manière prioritaire et où l’arrêté de bonne pratique prévoit désormais que le nombre de tentatives peut être limité en cas de pénurie (arrêté du 5 octobre 2023 modifiant l’arrêté du 11 avril 2008, §IV-3.2.3). La question de la conventionalité de la procréation post-mortem, posée devant la Cour européenne, lui a permis à la fois de confirmer la légalité de l’interdiction française au regard de l’article 8 mais également, dans un obiter dictum dont la nécessité interroge également le juge Elosegui (objet de son opinion concordante), de suggérer le manque de cohérence du maintien de l’interdiction à l’issue de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules (Cour EDH, 5e sect., 14 septembre 2023, n° 22296/20 et 37138/20, B et C. c/ France).

À signaler en matière environnementale

26 L’ordonnance n° 2023-661 du 26 juillet 2023 prise en application des dispositions de l’article 137 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique qui ouvre la possibilité pour certaines collectivités territoriales d’instaurer une taxe afin de faire contribuer les poids lourds au titre de l’usage du réseau routier à compter du 1er janvier 2024.


Date de mise en ligne : 16/11/2023

https://doi.org/10.3917/cdap.003.0037

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