Notes
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[1]
Initialement fixé au 30 juin 2025 (1re lecture du projet de loi devant le Sénat), modifié devant l’AN au 31 décembre 2024 et qui a donc gagné trois mois supplémentaires dans sa version définitive à l’issue de la procédure accélérée.
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[2]
Voir dans ce sens le billet que Roseline Letteron consacre à la loi sur son blog Libertés, Libertés chéries.
- [3]
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[4]
cf. Catto, Marie-Xavière, de Gliniasty, Jeanne (2023), Chronique « Administration et libertés », Revue française d’administration publique, n° 184, p. 1163-1170.
-
[5]
cf. Catto, Marie-Xavière, de Gliniasty, Jeanne (2023), Chronique « Administration et libertés », Revue française d’administration publique, n° 180, p. 1040-1047.
- Contester en démocratie
- Sécurité intérieure
- Égalité et discriminations
- À signaler également
• Contester en démocratie
Atteintes aux libertés collectives
1 Aucun des moyens institutionnels de contestation ni les millions de Français rassemblés lors des cortèges n’ont pu freiner le projet de réforme des retraites, tandis que les membres du Conseil constitutionnel ont déclaré hors-champ du référendum d’initiative partagée (RIP) les deux initiatives parlementaires à ce titre (décisions n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023 §10 et n° 2023-5 RIP du 3 mai 2023 §11). La mobilisation organisée n’a pas conduit l’exécutif à revenir sur les points les plus contestés. Au contraire, le Gouvernement, qui n’était pas assuré de sa majorité, a non seulement décidé du recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, mais encore diffusé, via le ministère de la Justice, une circulaire consacrée au traitement des infractions contre la réforme des retraites (Circ. n° JUSD2307751C, 18 mars 2023 : BOMJ, 21 mars 2023). Le ministère de l’Intérieur ordonnait quant à lui aux préfets de prendre des arrêtés d’interdictions de cortèges, défilés et rassemblements dont certains, parmi ceux « des 17 mars, 18 mars, 20 mars, 21 mars, 22 mars, 23 mars, 24 mars, 25 mars, 26 mars, 27 mars, 28 mars et 30 mars 2023 […] n’ont pas été publiés avant leur application effective ou ont été publiés au recueil des actes administratifs postérieurement à la fin de l’interdiction édictée », ne permettant ainsi ni d’en avoir connaissance, ni par conséquent de présenter un recours utile devant le juge des référés (TA de Paris, ord. n° 2307385/9 du 4 avril 2023, Association de défense des libertés constitutionnelles et autres). Le lendemain, et alors que la Ligue des droits de l’Homme (LDH) était associée aux différents recours ayant pu malgré tout être engagés, le ministre de l’Intérieur répondant à une question d’un sénateur, estimait que le financement de la LDH par des subventions publiques aux niveaux national et locaux mériterait « d’être regardé » (Sénat, Commission des Lois, 5 avril 2023). Si les arrêtés ont ensuite été publiés avant de s’appliquer, ce ne sont pas moins de 56 arrêtés d’interdictions totales ou partielles de manifestations ou de rassemblements publiés sur le site de la seule préfecture de Paris qui ont été pris en deux mois, après le 28 mars (dont une trentaine d’arrêtés d’interdictions liés aux manifestations contre les retraites). Leur objet a évolué : d’abord pris pour empêcher les manifestations contre les retraites, ils ont ensuite eu pour vocation d’empêcher les manifestants de venir politiquement exprimer leurs désaccords en perturbant déplacements présidentiels (« casserolades ») et cérémonies officielles (au sujet desquelles le tribunal administratif (TA) d’Orléans a rappelé que « un déplacement du Président de la République ne saurait être regardé comme justifiant à lui seul, par sa nature, l’instauration d’un périmètre de sécurité » – ord. 25 avril 2023, n° 2301545 suspendant un arrêté), mais encore, alors que des groupes d’extrême droite se rassemblaient, d’éviter les heurts et escalades liés aux discours de haine. Enfin, d’autres arrêtés ont eu pour objet de délocaliser les manifestations. Sur le fond, on retiendra la fréquence et les champs d’application extrêmement larges de ces arrêtés ainsi que les centaines d’interpellations préventives et de gardes à vue donnant même naissance à Lille à un fichier Excel intitulé « suivi des procédures pénales : mouvement de la réforme des retraites » renseigné par les magistrats du parquet près le tribunal judiciaire et déclaré illégal en raison de l’atteinte portée à la vie privée en ce qu’il n’est jamais possible d’enregistrer « l’objet de la manifestation à l’occasion de laquelle une garde à vue a été décidée » et ainsi ordonné qu’il soit procédé à l’effacement des données (TA de Lille, 19 mai 2023, n° 2304177 et 2304186). On retiendra encore le constat du non-respect des délais de publication ou du cadre légal par différents préfets (N. Sweeny, « La lutte par le droit », Politis, 24 mai 2023), mais également la résurgence, à l’occasion des interdictions de rassemblements d’extrême droite, de la jurisprudence Morsang-sur-Orge et de la dignité humaine au fondement de l’ordre public immatériel invoquées dans les motivations de certains arrêtés (arrêté n° 2023-00511 du 12 mai 2023 ; arrêté n° 2023-00514 du 12 mai 2023) ou encore la réglementation de la consommation d’alcool sur la voie publique (arrêté n° 2023-00380 du 6 avril 2023) courant dans de très larges zones jusqu’au 31 décembre 2023 – fondement légal à de potentielles très nombreuses verbalisations dont celles, s’il eût plu à la police, de toutes les personnes qui se trouvaient consommer de l’alcool, par exemple, dans le centre de Paris dans le cadre de la fête issue de la marche des fiertés après 16 heures (cf. arrêté n° 2023-00705 du 21 juin 2023).
2 Au-delà des interdictions de manifester, qui ont donc rendu illégal l’exercice de cette liberté et justifié, aux yeux des députés, la création d’une commission d’enquête sur « la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023 » (résolution adoptée le 10 mai 2023, TA n° 113), c’est, lors des manifestations contre la réforme des retraites et les projets de méga-bassines, le « manque de retenue dans l’usage de la force » que des experts des Nations unies ont déclaré « profondément inquiétant pour l’État de droit » en France (communiqué de presse, le 15 juin 2023). Cet État de droit suppose également a minima de permettre les enquêtes et poursuites contre les agents qui feraient un usage disproportionné de leur force ou contreviendrait au cadre légal. Saisi par diverses associations, le Conseil d’État a rappelé que le port du numéro référentiel des identités et de l’organisation (RIO) de manière visible sur l’uniforme ou le brassard était obligatoire mais, malgré le constat de manquements à cette obligation (§7), le juge a rejeté le recours lui demandant d’enjoindre au ministre de l’Intérieur de rendre effectif le port du RIO, arguant que l’administration l’avait fréquemment rappelé et que d’autres moyens d’identification existaient (CE, ord. 5 avril 2023, n° 472509).
3 L’interdiction de manifester contre les bassines à Sainte-Soline, à l’origine du caractère illégal du rassemblement du 25 mars 2023, a justifié selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sa décision de dissoudre le collectif dénommé Les soulèvements de la terre, annoncée lors d’une séance de questions au Gouvernement (QAG) le 28 mars à l’Assemblée nationale, processus qui a abouti avec le décret du 21 juin 2023 portant dissolution d’un groupement de fait (NOR : IOMD2316840D). Entre-temps, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté les requêtes déposées par plusieurs associations de défense de l’environnement contre les arrêtés préfectoraux autorisant la construction et le remplissage de plusieurs réserves de substitution (« méga-bassines ») dans trois départements (11 avril 2023, n° 1800400, 2002802, 2201761). Pour dissoudre le mouvement, le Gouvernement s’est saisi de la disposition introduite à l’article 16 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République qui élargit considérablement les motifs de dissolution en substituant au critère de la provocation « à des manifestations armées dans la rue » le motif de la provocation « à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » (art. L. 212-1 1° du code de la sécurité intérieure). Le décret met également en cause le comportement de ses membres. Le fait de recourir au terme « violent » ou ses dérivés à vingt-deux reprises n’implique néanmoins pas que les agissements ainsi qualifiés puissent leur être imputés, et que ce soit, pour reprendre le décret, avec les forces de l’ordre que le mouvement souhaitait en découdre, et non avec l’inaction climatique ou les aberrations écologiques visées.
4 L’examen du projet de loi organique relative à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire recèle quant à lui plusieurs possibilités en matière d’atteintes ou de garanties des libertés collectives, puisqu’il a été l’occasion, pour le Sénat, d’adopter en première lecture un amendement portant atteinte à la liberté syndicale des magistrats – avant que l’Assemblée nationale ne revienne dessus ; il pourrait être également l’occasion de confier la procédure d’agrément d’associations luttant contre la corruption à une autorité indépendante de l’exécutif, comme le propose le professeur de droit public Paul Cassia (Le Monde, 24 juin 2023) après l’annulation de l’agrément d’Anticor, pour des raisons tenant au fonctionnement interne de l’association (TA de Paris, 23 juin 2023, n° 2111821/6-1).
• Sécurité intérieure
5 Venue compléter la loi du 26 mars 2018 (n° 2018-202), la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ne comporte pas seulement des mesures dont l’application – sous la responsabilité du préfet de police de Paris étendue à tous les départements de la grande couronne (art. 14) – serait limitée à la période des jeux. Le chapitre III de la loi, « Dispositions visant à mieux garantir la sécurité (art. 9 à 19) » modifie le code de la sécurité intérieure. Outre de nouvelles infractions, comme le fait, lorsqu’il est commis en récidive ou en réunion, « de pénétrer ou de se maintenir, sans motif légitime, sur l’aire de compétition d’une enceinte sportive » puni de 7 500 euros d’amende (art. 17), on retiendra que les mesures les plus discutées ont trait au renforcement de la surveillance généralisée.
Surveillance généralisée
6 La loi du 19 mai 2023 prévoit ainsi un nouveau dispositif expérimental rendant possible le traitement algorithmique des systèmes de « vidéoprotection » ou des caméras installées sur des aéronefs (art. 10). Cette expérimentation de traitement d’images par l’intelligence artificielle – permettant selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) « d’analyser les personnes de manière automatisée afin de déduire certaines informations et données personnelles les concernant » (communiqué, juillet 2022) – prendra fin, après tergiversation [1], le 31 mars 2025, soit bien après la fin des Jeux. Admettant que ces dispositions n’aient pas pour objet de s’appliquer uniquement aux Jeux olympiques, le Conseil constitutionnel juge qu’elles ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée sous réserve qu’elles « oblig[ent] le préfet à mettre fin immédiatement à une autorisation dont les conditions ayant justifié la délivrance ne sont plus réunies » (pt 39). Il précise également que « pour apprécier s’il convient de pérenniser ce dispositif expérimental à l’issue de ce délai, il appartiendra [au législateur] de tirer les conséquences de son évaluation et, en particulier, au regard des atteintes portées au droit au respect de la vie privée, de tenir compte de son efficacité dans la prévention des atteintes à l’ordre public », avisant qu’il pourrait alors faire l’objet d’un nouveau contrôle de constitutionnalité (Conseil constitutionnel, 17 mai 2023, n° 2023-850, cons. 47 et 48). Il valide ainsi l’expérimentation en relevant qu’à tous les stades de la procédure les traitements algorithmiques « demeurent en permanence sous le contrôle et la maîtrise de personnes humaines » (cons. 45). Le Conseil national des barreaux a quant à lui dénoncé la mise en place « prétendument expérimentale » d’un système d’intelligence artificielle (IA) portant « une atteinte inacceptable aux droits fondamentaux et aux règles du RGPD » et alerté sur le « recours à des sociétés privées pour assurer le développement d’une intelligence artificielle de surveillance massive » (CNB, actualités, 6 février 2023).
7 La loi prévoit en outre la possibilité d’écarter la garantie relative à l’information générale du public des systèmes de « vidéoprotection » lorsque « les circonstances l’interdisent ou si cette information entre en contradiction avec les objectifs poursuivis » (art. 10, III). Pour Roseline Letteron, professeure de droit public à Sorbonne Université, cette dérogation pourrait affecter le droit d’accès et de rectification offert à la personne fichée, ainsi que l’éventuel recours dirigé contre la décision d’autorisation [2].
8 La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait déjà, en juillet 2022, pris position pour dénoncer le déploiement des caméras augmentées dans les espaces publics et réclamer une loi spécifique pour fixer « des cas d’usages précis avec des garanties au bénéfice des personnes ». Soulignant cette fois le caractère inédit de l’utilisation en France du recours à de telles technologies aux fins de prévention du terrorisme et d’atteinte à la sécurité des personnes (avis 2022-118, 8 décembre 2022), elle choisit de faire de la thématique des usages des caméras « augmentées » un axe prioritaire de son plan stratégique 2022-2024 [3].
9 La loi du 19 mai 2023 modifie également l’article L. 2251-4-2 du code des transports de façon à étendre les images de vidéoprotection susceptibles d’être visionnées par les agents des services internes de la SNCF et de la RATP lorsqu’ils sont affectés au sein des salles d’information et de commandement relevant de l’État (art. 13). Dans son avis, la CNIL met en garde contre une extension de leurs compétences telles que définies par les textes et l’utilisation des images transmises à d’autres fins que celles de faciliter la coordination des transports publics.
10 Dans son article 15, la loi étend également le champ d’application des enquêtes administratives préalables à l’accès à certains événements, notamment aux « fan zones », désormais pour l’ensemble des participants – sportifs et médecins compris – afin de déterminer s’ils présentent un risque pour la sécurité au regard de la menace terroriste. Ces enquêtes peuvent désormais donner lieu à la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire. Un décret ultérieur désignera les grands événements concernés. Le Conseil constitutionnel précise, pour valider cette disposition, que « l’administration ne peut communiquer à l’employeur ou à l’organisateur de l’événement d’autres informations que le sens de son avis. Par ailleurs, le sens de l’avis ou le refus d’autorisation en résultant peut être contesté devant le juge. »
11 Concernant la surveillance par drones, le changement de doctrine de la juridiction administrative imposé par la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la sécurité intérieure validée par le Conseil constitutionnel (20 janvier 2022, n° 2021-834 DC) est désormais acté. Ainsi, le tribunal administratif de Versailles valide l’usage de drones pour sécuriser le sommet « Choose France » (ord. du 15 mai n° 2303901) et le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse rejette la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté du 16 mai 2023 du préfet de la Haute-Garonne autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de drones lors de la survenue de rodéos urbains (TA de Toulouse, ord. 24 mai 2023, n° 2302868). Quant au juge des référés du Conseil d’État, il valide, dans une longue décision, l’emploi de drones à des fins de maintien de l’ordre en refusant de suspendre le décret du 19 avril 2023 (n° 2023-283) pris pour l’application des dispositions du code de la sécurité intérieure et autorisant l’emploi par les forces de l’ordre de caméras aéroportées à des fins de prévention des atteintes à l’ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens (Conseil d’État, JR, 24 mai 2023, n° 473547). La haute juridiction refuse de se prononcer sur le principe même de la surveillance par drone, mais, dès lors qu’il incombe, selon les textes en vigueur, aux préfets de déterminer dans chaque cas les conditions de recours aux moyens techniques de surveillance dits « caméras aéroportées », elle estime que chaque décision d’autorisation pourra être contestée devant le juge de l’excès de pouvoir, le cas échéant en urgence (cons. 8). Sur le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’exercer un recours effectif, le Conseil d’État considère pourtant qu’il n’appartenait pas au pouvoir réglementaire de fixer un délai permettant un accès utile au juge entre la publication des autorisations préfectorales de recourir à ces moyens de surveillance et son entrée en vigueur (cons. 15).
Fichage ciblé
12 Le décret n° 2023-255 du 6 avril 2023 autorise la création d’un fichier relatif à la prise en charge des mineurs de retour de zones d’opérations de groupements terroristes (MRZOGT) qui a pour finalité tant leur prise en charge et leur protection que – alors que le texte ne fixe aucune limite d’âge (donc qu’un nouveau-né peut y figurer) – « de prévenir leur engagement dans un processus de délinquance ou de radicalisation » (art. 1). Accessible par différents ministères, il contient à leur sujet une cinquantaine d’informations.
Sécurité privée
13 Au vu des prochaines manifestations sportives, l’ordonnance du 16 mai (n° 2023-374) renforce « la formation aux activités privées de sécurité », prévoyant ainsi la création d’un agrément de dirigeant d’organisme de formation et d’une carte professionnelle de formateur (délivrés par le Conseil national des activités privées de sécurité), donnant lieu à un contrôle de moralité. Elle s’accompagne d’un renforcement des obligations lorsque des activités de formation font l’objet d’une sous-traitance. Si la démarche est positive, elle traduit aussi une forme de normalisation de l’externalisation des missions de sécurité. Ces missions seront en outre ouvertes, du 1er juillet au 15 septembre, aux étrangers titulaires d’un titre de séjour relevant des articles L. 422-1, L. 422-4 ou L. 422-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (art. 12 de la loi du 19 mai 2023), alors que le Conseil d’État interprète concomitamment de façon stricte les cinq années de détention d’un titre de séjour nécessaires pour obtenir, de manière générale, l’autorisation d’exercer une activité d’agent de sécurité privée en estimant que les dispositions exigent leur continuité (CE, 24 avril 2023, n° 467023, inédit).
Répression des violences urbaines
14 En réponse aux violences urbaines déclenchées par la mort d’un adolescent tué par arme à feu par un policier à Nanterre le 27 juin, le ministre de la Justice propose d’adapter le dispositif judiciaire en incluant par exemple une permanence dédiée aux infractions commises dans ce contexte au sein des parquets les plus touchés et préconise « une réponse pénale ferme, systématique et rapide aux faits le justifiant » et dont une circulaire du 30 juin détaille les modalités (n° 2023/1687/C13BIS).
• Environnement
15 Les pouvoirs publics affichent une prise de conscience écologique. S’inscrit dans cette démarche, le rapport interministériel (Intérieur, Agriculture et Écologie) n° 014714-0 du 12 avril qui, en réponse au constat de l’intensification de la sécheresse en 2022, compile différents retours d’expérience de la gestion de l’eau au niveau territorial et formule des recommandations relatives aux dispositifs de gestion de crise et plus radicalement à la nécessité de transformer en profondeur notre usage de l’eau.
16 C’est également dans ce sens qu’est présentée l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires (loi n° 2023-491 du 22 juin). Le Conseil constitutionnel, hormis dix cavaliers législatifs, a validé la loi en précisant que le législateur pouvait apporter des limitations à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi » (décision n° 2023-851 DC du 21 juin 2023, pt 25). Dans le sens du Gouvernement, il a souligné qu’en « adoptant des mesures propres à accélérer la réalisation de nouveaux réacteurs électronucléaires, le législateur a entendu créer les conditions qui permettraient d’augmenter les capacités de production d’énergie nucléaire afin notamment de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre » (pt 28).
17 Sur le fondement de la loi n° 2021-1485 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, le décret du 12 avril n° 2023-266 fixe des objectifs particulièrement ambitieux de réemploi et de réutilisation des matériels informatiques réformés par l’État et les collectivités territoriales (cf. art. 3) ; il oblige les collectivités territoriales et les services de l’État à réformer leurs matériels informatiques pour leur permettre d’avoir une nouvelle vie (cession, vente, don, reprise) sans que les modalités concrètes de ce réemploi soient pour autant prises en charge par la collectivité elle-même.
18 Depuis le 1er juin, les règles concernant l’extinction nocturne de la publicité, ainsi que des enseignes lumineuses, dont le Conseil d’État reconnaît qu’elles répondent « à l’intérêt général qui s’attache à la protection de l’environnement et du cadre de vie », sont applicables au mobilier urbain (décret n° 2022-1294 ; CE, 24 février 2023, n° 468221).
19 Le décret n° 2023-385 du 22 mai 2023 précise les conditions d’application de l’interdiction, introduite par la loi n° 2021-1104 portant lutte contre le dérèglement climatique, des services réguliers de transport aérien public de passagers à l’intérieur du territoire français dont le trajet est également assuré par les voies du réseau ferré national en moins de deux heures trente dès lors que « la liaison est assurée sans changement de train entre ces gares, plusieurs fois par jour et avec un service satisfaisant au sens [des dispositions européennes], y compris au regard du caractère abordable des tarifs du transport ferroviaire de substitution (art. 1) ; cette interdiction n’est en outre qu’expérimentale puisque le décret n’a vocation à s’appliquer que pendant une durée de trois ans à compter de sa date d’entrée en vigueur (art. 2).
20 L’actualité contentieuse en matière environnementale est également chargée. La récente consécration symbolique du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (art. 1er de la Charte de l’environnement) comme liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CE, 20 septembre 2022, n° 451129) [4] reste circonscrite : à la faveur d’une application stricte des « circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article (L. 521-2) », le Conseil d’État confirme le rejet de la demande de l’association France Nature Environnement Midi-Pyrénées de suspendre les opérations d’abattage d’arbres pour l’exécution d’un projet de tracé d’autoroute (CE, 19 avril 2023, n° 47633, Association FNE Midi-Pyrénées, §4).
21 L’élargissement de la responsabilité administrative en matière environnementale contribue largement à une prise de conscience par les pouvoirs publics de l’urgence écologique.
22 Au moment où le glyphosate, l’herbicide très controversé de Bayer, pourrait être réintroduit en Europe pour cinq années supplémentaires, le Conseil d’État, à la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 janvier dernier réaffirmant l’interdiction formelle des néonicotinoïdes (CJUE, 19 janvier 2023, aff. C-162/21) annule les arrêtés autorisant par dérogation leur utilisation pour la culture de betteraves sucrières (CE, 3 mai 2023, n° 450155).
23 Par un jugement n° 2200534/4-1 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris reconnaît en outre l’existence d’un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement. Il retient que l’État a commis deux fautes, en méconnaissant d’une part, les objectifs qu’il s’était fixés en matière de réduction de l’usage de produits phytopharmaceutiques et, d’autre part, l’obligation de protection des eaux souterraines et juge que le préjudice écologique présente un lien direct et certain avec ces fautes ; le tribunal enjoint alors au Gouvernement de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique d’ici le 30 juin 2024.
24 La suite tant attendue de la saga « Grande-Synthe » du nom de la commune des Hauts-de-France ayant saisi le Conseil d’État pour cause « d’inaction climatique » des pouvoirs publics pourrait, quant à elle, apparaître décevante. Le Conseil d’État aiguillonne le contrôle de la trajectoire climatique de l’État et s’impose définitivement dans ce rôle. Toutefois, bien que constatant que la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) n’est toujours pas conforme aux objectifs qu’il s’est lui-même fixés – et encore moins aux nouveaux objectifs européens encore plus exigeants –, il choisit, en tant que juge de l’exécution de sa décision du 1er juillet 2021 [5], d’apprécier « les diligences déjà accomplies par l’administration pour procéder à l’exécution » de cette décision et refuse de prononcer une astreinte à l’encontre de l’État français (CE, 10 mai 2023, n° 467982). Aussi, la décision se limite-t-elle à enjoindre de façon assez imprécise à la Première ministre de « prendre toutes mesures supplémentaires utiles » d’ici le 30 juin 2024 et de « produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l’adoption de ces mesures et permettant l’évaluation de leurs incidences » (art. 2).
• Égalité et discriminations
25 Dans le prolongement de la proposition du rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur l’état du sexisme en France, qui préconisait au titre des priorités une « budgétisation sensible au genre » (Rapp. n° 2023-01-23-STER-55, 23 janvier 2023, p. 5), la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale a remis un rapport d’information sur la « budgétisation intégrant l’égalité » (16 mai 2023). Reprenant l’évaluation selon laquelle « ce que coûtent les inégalités entre les femmes et les hommes à l’économie dans son ensemble, et donc, mécaniquement, aux finances publiques […] a été estimé par la Fondation des femmes en mars 2022 à 118 milliards d’euros par an » (p. 12), il envisage un certain nombre de réformes au niveau des collectivités territoriales et au plan national, et notamment une modification de l’article 8 de la LOLF, pour exiger l’exposé dans les études d’impact des conséquences sur l’égalité entre les femmes et les hommes et, pour accompagner sa mise en œuvre, le remplacement du document de politique transversale par une annexe explicative à la loi de finances plus complète reprenant l’ensemble de la démarche des budgets et intégrant l’égalité tant au niveau de leur élaboration que de leur exécution. Il préconise différentes mesures dont celle d’intégrer cet objectif dans le cadre de la commande publique et des conventions d’objectifs et de moyens conclus par l’État.
26 Également tournée vers une logique inclusive et égalitaire, la circulaire du 20 juin 2023 relative à la prise en compte de la diversité des familles et au respect de l’identité des personnes transgenres dans la fonction publique de l’État (NOR : TFPF2314656C) donne des lignes directrices importantes. Elle dispose que « dans les documents administratifs devant être renseignés par les usagers des services publics, et notamment ceux de l’Éducation nationale […] les mentions « mère » et « père » doivent être supprimées ou complétées par des termes permettant la prise en compte de la diversité des familles » (p. 3). Le texte invite également les administrations à respecter la demande des personnes en transition qui la formulent d’utiliser le prénom d’usage et le pronom choisi pour les documents administratifs non officiels (annuaire interne, liste d’émargement, adresse électronique, etc.) et rappelle que les « mentions ‘‘Madame/Monsieur’’ […] ne constituent pas un élément de l’état civil et aucune obligation législative ou réglementaire n’impose d’en faire usage » (p. 4), invitant à y substituer une formule neutre suivie du nom et du prénom, et à « supprimer des références à la civilité au sein des systèmes d’information des ressources humaines ». La circulaire autorise en outre les personnes à utiliser les lieux d’intimité de leur identité de genre déclarée (toilettes, vestiaire, logement) et à en revêtir l’uniforme (p. 7).
• À signaler également
27 - Covid, la fin d’un chapitre ? Conformément à la loi n° 2022-1089, le traitement de données « SI-DEP » est suspendu le 30 juin et les données collectées incluses sont détruites. Le décret n° 2023-549 du 30 juin abroge quant à lui le logiciel de suivi de cas « TousAntiCovid ». Le chapitre est susceptible toutefois d’être rouvert : bien que les données personnelles aient été effacées, les autorités pourraient en effet envisager de convertir cet outil de communication et d’interaction avec les citoyens à d’autres fins. S’agissant de l’exploitation et de la maintenance de cette application, il est à noter qu’une enquête du parquet national financier pour favoritisme est actuellement encore en cours (un marché total de 6,5 millions d’euros aurait été passé sans appel d’offre).
28 - La loi n° 2023-265 du 13 avril 2023 visant à favoriser l’accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré qu’ils se trouvent ou non à proximité d’une structure de restauration universitaire.
29 - La circulaire du garde des Sceaux du 1er juin 2023 relative au travail d’intérêt général qui dresse un bilan du recours à la mesure et vise à le favoriser comme alternative à l’emprisonnement (Circ. n° JUSK2314650C, 1er juin 2023 : BOMJ, 2 juin 2023).
Notes
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[1]
Initialement fixé au 30 juin 2025 (1re lecture du projet de loi devant le Sénat), modifié devant l’AN au 31 décembre 2024 et qui a donc gagné trois mois supplémentaires dans sa version définitive à l’issue de la procédure accélérée.
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[2]
Voir dans ce sens le billet que Roseline Letteron consacre à la loi sur son blog Libertés, Libertés chéries.
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[4]
cf. Catto, Marie-Xavière, de Gliniasty, Jeanne (2023), Chronique « Administration et libertés », Revue française d’administration publique, n° 184, p. 1163-1170.
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[5]
cf. Catto, Marie-Xavière, de Gliniasty, Jeanne (2023), Chronique « Administration et libertés », Revue française d’administration publique, n° 180, p. 1040-1047.