Notes
-
[1]
cf. Cahn, Olivier (2023), « Chronique de police », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, p. 215-235.
-
[2]
cf. son blog Libertés, libertés chéries, billet du 7 février 2023.
-
[3]
Interview du Président de la République, France 2 et TFI, minute 25’, 22 mars 2023.
- [4]
-
[5]
cf. Catto, Marie-Xavière, de Gliniasty, Jeanne (2023), Chronique « Administration et libertés », Revue française d’administration publique, n° 184, p. 1163-1170.
- Administration et justice
- Sécurité intérieure
- Transparence de la vie publique, protection de la vie privée
- Vulnérabilité
- Égalité des sexes
- Liberté d’expression
- À signaler également
• Administration et justice
Administration de la justice
1 Prévue par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire à compter du 1er janvier 2023, la généralisation des cours criminelles composées de magistrats en lieu et place des cours d’assises et de leur jury populaire pour les crimes susceptibles d’une peine égale ou inférieure à vingt ans de prison est largement critiquée par les professionnels de la justice (l’Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la magistrature, le Conseil national des barreaux et la bâtonnière de Paris) notamment du fait des modalités de sa mise en place – absence d’évaluation après expérimentation.
Justice de l’administration
2 Du côté des suites judiciaires de la gestion de la crise sanitaire, la Cour de cassation a, le 20 janvier, annulé la mise en examen de l’ancienne ministre de la Santé par la Cour de justice de la République pour mise en danger de la vie d’autrui dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, jugeant que la commission d’instruction « s’[était] référée à des textes qui ne prévoient pas d’obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d’appréciation personnelle du sujet » (Cass. ass. plén., n° 22-82.535, B+ R).
3 Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la sécurité publique et même le « besoin impérieux que constitue la prévention d’actes terroristes », justifie l’ingérence « d’une particulière intensité » dans la liberté de circulation portée à un ancien détenu radicalisé assigné à résidence durant treize mois à la suite des attentats terroristes en raison du but légitime poursuivi (CEDH, Pagerie c. France, 18 janvier 2023, n° 24203-16, pt 197 et s.).
• Sécurité intérieure
4 En matière de sécurité, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) sera restée longtemps à l’état de projet avant d’être finalement promulguée le 24 janvier 2023 à l’issue d’une procédure accélérée. Elle transpose l’essentiel des propositions du Livre blanc (novembre 2020) et du Beauvau de la sécurité (février-septembre 2021). Il s’agit d’une loi de programmation qui, à ce titre, « détermine les objectifs de l’action de l’État (art. 34C) – on retiendra par exemple une augmentation significative du budget du ministère de l’Intérieur qui passera de 20,78 milliards d’euros en 2022 à 25,29 milliards en 2027. Toutefois, elle est courte – 29 articles annexés d’un rapport plus prolixe mais à la portée normative indéterminée –, en partie insuffisamment instruite aux dires du Conseil d’État lui-même (avis consultatif du 10 mars 2022, Ass., n° 404913, §4, 5 et 8), et composée de mesures hétéroclites modifiant pour l’essentiel le code pénal et de procédure pénale. C’est sous l’angle de l’atteinte aux libertés que celles-ci peuvent ainsi être analysées. On reviendra à cet égard sur les dispositions les plus sensibles.
5 L’« amende forfaitaire délictuelle », dispositif de sanction pénale créé par loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle sans procédure judiciaire contradictoire ni jugement, mais à la discrétion des agents verbalisateurs – alors même que l’infraction est bien inscrite au casier judiciaire – est largement étendue, notamment pour les infractions de « subversion politique » [1] comme le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’établissements d’enseignement scolaire sans y être invité ou d’entraver ou de gêner la circulation. Alors que la Défenseure des droits (DDD) préconise tout bonnement de supprimer cette procédure (avis n° 22-02 du 3 octobre 2022 et décision-cadre n° 2023-030 du 30 mai 2023) et que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a alerté sur le « risque d’arbitraire » engendré par la généralisation des amendes forfaitaires (comm. « Généralisation de l’amende forfaitaire délictuelle », 3 octobre 2022), le Conseil constitutionnel, qui valide la loi dans son ensemble, admet par une motivation minimaliste la constitutionnalité du dispositif et de l’extension de son champ (décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023, §144). Selon le Gouvernement lui-même dans sa réponse à la DDD, 840 000 amendes forfaitaires ont déjà été délivrées depuis 2018.
6 La loi modifie également le code pénal pour prévoir l’extension du recours à la plainte en ligne qui n’est plus circonscrite à l’atteinte aux biens (art. 12).
7 Mesures censées « anticiper les menaces et les crises » (titre IV), les conditions de formation nécessaire à l’obtention de la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ) sont abaissées – mis en application par décret n° 2023-345 –, la catégorie d’« assistant d’enquête » peu qualifié est créée et certaines compétences des OPJ sont dégradées au profit des simples agents de police judiciaire (art. 24).
8 Parallèlement, la loi prévoit un élargissement des compétences de ces agents « sous le contrôle » des officiers de police judiciaire ; les compétences des préfets, notamment pour « faire face aux crises hybrides » (chap. IV de la loi), sont également renforcées. Sur le billet qu’elle consacre à la loi, Roseline Letteron, professeure de droit public à Sorbonne Université, interpelle sur la possible intervention de l’exécutif dans la poursuite des enquêtes pénales par la généralisation des directions départementales de la police nationale sous le contrôle du préfet [2].
• Transparence de la vie publique, protection de la vie privée
Documents administratifs
9 L’accès aux documents administratifs a donné lieu à une actualité sous deux volets : l’ouverture des archives, pour le passé, et sa confrontation actuelle au droit à la vie privée.
10 C’est d’abord l’achèvement de l’ouverture anticipée des archives des procès impliquant Maurice Papon pour son rôle dans la déportation de Juifs entre 1942 et 1944, qui a été annoncée à l’occasion de la Journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité par les ministres de la Culture et de la Justice, selon la procédure de dérogation générale prévue au II. de l’article L. 213-3 du code du patrimoine – l’arrêté du 26 janvier 2023 (NOR : MICC2227152) vient en ce sens compléter celui du 28 mars 2022 (NOR : MICC2209526A).
11 Confronté au droit à la vie privée, le Conseil d’État se prononce, par deux arrêts du même jour, sur la communication d’informations susceptibles de porter atteinte à la vie privée des personnes. Alors que, malgré un avis favorable de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), la maire de Paris a implicitement refusé de communiquer à un journaliste certaines notes de frais engagées par elle et son cabinet, la haute juridiction lui enjoint de réexaminer la demande jugeant, dans un arrêt du 8 février, que « des notes de frais et reçus de déplacements ainsi que des notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d’élus locaux ou d’agents publics constituent des documents administratifs » (CE, n° 452521, pt 9) ; ces documents, qui « ont trait à l’activité de la maire de Paris dans le cadre de son mandat et des membres de son cabinet dans le cadre de leurs fonctions, ne saurait être regardée, selon lui, comme mettant en cause la vie privée de ces personnes », sauf si des circonstances particulières prévues par le code des relations entre le public et l’administration (CRPA) peuvent justifier, par exception, que certaines mentions soient occultées (pt. 10).
12 À l’inverse, le Conseil d’État précise que les données sensibles consignées dans les registres des établissements de santé mentale attestant des mesures de contention et d’isolement ne peuvent faire l’objet que d’une communication restreinte (excluant la divulgation de l’identifiant du patient) et, au cas par cas, seuls les intéressés pouvant ainsi en obtenir l’entière communication (CE, 8 février n° 455887).
Données personnelles
13 Le téléservice de l’Assurance maladie « Contact Covid » permettant l’identification et la prise en charge des personnes malades du Covid-19 et des cas contacts ainsi que les possibilités de contact tracing visant à rechercher les cas contacts dans l’entourage des personnes positives au Covid-19 sont suspendus depuis le 1er février conformément à la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022. Un décret du 27 janvier met fin au dispositif dérogatoire de prise en charge des arrêts maladie liés au Covid-19 (décret n° 2023-37).
14 Saisie par des juges administratifs allemands d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) confirme que les règles du RGPD sont bien applicables au traitement de données à caractère personnel des enseignants à l’occasion de la diffusion en direct par vidéoconférence des cours qu’ils délivrent. Leur consentement, dont la charge de la preuve incombe au responsable du traitement, doit ainsi être recueilli et peut être retiré à tout moment (CJUE, 30 mars 2023, aff. C-34/21).
15 Poursuivant sa croisade contre les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche ne respectant pas la règlementation en matière de cookies (Google, Facebook ou encore Bing), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) prononce le 13 janvier une sanction de 5 millions d’euros à l’encontre de Tik Tok en se fondant sur la difficulté de refuser les cookies portant atteinte à la liberté du consentement des internautes et le manque d’information sur la finalité de ces différents cookies. À l’occasion de la publication de son dernier rapport d’activité le 23 janvier, elle annonce en outre la création d’un service de l’IA (SIA) composé de 5 personnes dont l’objectif est de « renforcer son expertise sur ces systèmes et sa compréhension des risques pour la vie privée tout en préparant l’entrée en application du règlement européen sur l’IA ».
16 Il est rare que la formation spécialisée du Conseil d’État, créée en 2016 pour contrôler, au cas par cas et en application d’exigences de contradictoire largement adaptées, la mise en œuvre des techniques de renseignement (art. L. 773-2 CJA), révèle des irrégularités à l’issue de son contrôle. Elle l’a fait dans un arrêt du 10 mars 2023 précisant ce faisant l’office de la haute juridiction administrative concernant le contentieux des fichiers intéressant la sûreté de l’État. Le Conseil d’État accepte désormais, « dans le cas où une technique de renseignement est mise en œuvre dans des conditions entachées d’illégalité », d’informer le requérant de l’existence de ce fichage – en l’espèce au SIRCID, ancien SIREX, traitement automatisé de données personnelles intéressant la sûreté de l’État dont le décret de mise en œuvre n’est pas publié, tout comme, pour des raisons de confidentialité, l’avis favorable sous réserve de la CNIL. Il enjoint alors aux services de renseignement d’effacer ces données irrégulièrement collectées (n° 450343).
• Vulnérabilité
17 La CNCDH dresse un bilan très critique au regard des enjeux pour les droits fondamentaux du second plan national d’action contre la traite des êtres humains (rapport 2019-2021, publié au JO le 23 janvier 2023), dénonçant « l’absence de portage politique et le manque de moyens » alors que seules trois des 45 mesures que comportait le plan ont été réalisées. La traite demeure appréhendée sous le prisme de l’exploitation sexuelle alors que cette vision oublie l’exploitation par le travail et celle des hommes ou des garçons (§§2, 3, 10, 23). Ce cloisonnement pourrait, selon le rapport, être dépassé avec la transformation de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains en Délégation ministérielle dédiée aux formes d’esclavage moderne placée sous l’autorité de la Première ministre (§3, 103, 118), mission qui devrait être informée par un Observatoire national permanent rassemblant les données administratives du phénomène. Le rapport appelle à la création d’un budget spécifique dédié à la lutte contre la traite (§49) et regrette l’insuffisante implication du ministère de l’Éducation nationale qui ne l’a pas intégrée aux programmes scolaires (§23) et du ministère de l’Intérieur pour mettre en place une fiche de liaison permettant le mécanisme national d’identification et d’accompagnement des victimes (§52). En outre, les statistiques, qui faisaient état d’un faible nombre de titres de séjour octroyés pour traite, ont en 2021 rendu indistincts les titres délivrés pour traite et pour les victimes de violence conjugale, rendant illisibles leurs délivrances (§60). Le non-respect de l’ensemble des engagements conduit à une « défaillance majeure en matière de respect des conventions internationales ratifiées par la France » (§115).
18 Le projet de loi sur l’asile et l’immigration, loin de permettre par la régularité du séjour un début de sortie de la vulnérabilité, prévoyait de conditionner la délivrance d’un titre de séjour, non au suivi de cours, mais à l’acquisition d’un niveau de français. Le projet a été reporté (le Président de la République envisageait, le 22 mars, le découpage du projet de loi immigration en « plusieurs textes immigration » [3]), mais la circulaire envoyée parallèlement aux préfets le 8 février 2023 donne les orientations sur les conduites à adopter à l’avenir sur le sujet (« Priorités pour 2023 de la politique d’intégration des étrangers primo-arrivants », NOR : IOMV2303177J).
19 En outre, le projet de loi prévoyait encore de renforcer la lutte contre l’immigration clandestine au moment où, d’une part, l’incrimination de l’assistance purement humanitaire à l’entrée sur le territoire français est de nouveau contestée, cette fois devant la CEDH, après la confirmation par la chambre criminelle de la Cour de cassation de l’incrimination dudit « délit de solidarité » (25 janvier 2023, n° 21-86.839, au bulletin) – le principe constitutionnel de fraternité ne visant que le séjour et la circulation – et où, d’autre part, le contentieux de la légalité des subventions publiques aux associations (notamment SOS Méditerranée) venant au secours des migrants en mer pourrait conduire à remettre en cause tous les financements des collectivités à ces associations. Les juges, pour l’heure, interprètent différemment la manière dont l’activité de l’association porte ou non atteinte aux engagements internationaux de la France : la Cour administrative d’appel de Paris a annulé la subvention octroyée par la ville, le 3 mars 2023 (n° 22PA04811) quand la légalité de la subvention octroyée par le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine a été confirmée (CAA, Bordeaux, 7 février 2023, n° 20BX04222).
20 Du côté des enfants, le Comité des droits de l’enfant a constaté, au sujet d’un mineur non accompagné dont l’évaluation sommaire de l’âge concluant que sa minorité ne pouvait être établie laissait le mineur à la rue et sans qu’il n’ait pu bénéficier d’une assistance, à la violation par la France de plusieurs dispositions de la Convention (CRC/C/92/D/130/2020 du 25 janvier 2023).
Droit au logement et lutte contre l’habitat illégal
21 À l’heure où le législateur peaufine une loi s’inscrivant dans la même veine, le Conseil constitutionnel choisit de protéger le droit de propriété en validant, par une décision du 24 mars 2023, une procédure administrative permettant l’évacuation forcée, après mise en demeure du préfet, de l’occupant d’un logement lorsque celui-ci a été occupé « à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte ». Il considère toutefois que les dispositions instituant une telle procédure ne peuvent conduire à ce que celle-ci soit enclenchée « sans prendre en compte la situation personnelle ou familiale de l’occupant dont l’évacuation est demandée » (QPC n° 2023-1038, pt 12).
22 Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer s’est rendu à Mayotte en janvier 2023 pour annoncer l’opération Wuambushu dont l’objectif affiché de démolition des habitats illégaux complète celui de lutter contre l’immigration clandestine. La procédure exorbitante du droit commun prévue à cet effet par l’article 197 de la loi Élan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) n’aura pu voir sa constitutionnalité examinée par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État ayant rejeté la QPC pour défaut de sérieux (CE, 10 mars 2023, n° 469663) [4]. Il a également annulé la suspension par le tribunal administratif de Mayotte de l’exécution d’un arrêté préfectoral ordonnant l’évacuation et la destruction de constructions illicites sur le territoire de la commune de Mamoudzou (CE, JR, 16 février 2023, n° 470970). Le 17 mars, le président de la CNCDH a exprimé, dans une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur, ses craintes sur les risques d’aggravation des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé et l’atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d’expulsions massives.
23 Dans une ordonnance du 16 janvier 2023, le Conseil d’État juge, à partir d’une appréciation concrète de l’intérêt de l’enfant, que l’absence d’hébergement d’urgence (reconnu comme liberté fondamentale depuis 2012) constitue « une carence caractérisée de la mission confiée à l’État ». À la lumière de la récente condamnation de la France par la CEDH [5], on peut toutefois s’interroger sur l’effectivité réelle de ce droit d’hébergement d’urgence.
• Égalité des sexes
24 Les avancées et réformes politiques en faveur des femmes, encore traduites par des améliorations récentes en termes de droits, ne sont pas parvenues à contrarier « une société française qui demeure très sexiste dans toutes ses sphères » selon le rapport annuel 2023 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) sur l’état des lieux du sexisme en France (Rapp. n° 2023-01-23-STER-55, 23 janvier 2023, p. 3), lequel constate que certaines formes de sexisme « s’aggravent » et qualifie la situation d’« alarmante » (p. 3). Constatant la permanence de représentations sexistes chez les jeunes (23 % des hommes de moins de 35 ans estiment par exemple qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter (p. 22), et plus de la moitié ne voit pas le problème avec les images véhiculées par les contenus pornographiques), le rapport estime nécessaire d’introduire une obligation de résultat quant à l’application de la loi sur l’éducation à la sexualité et la vie affective, de créer une haute autorité indépendante pour lutter contre les violences sexistes en politique et de réguler les contenus numériques, car il lie cette aggravation aux représentations stéréotypées et dégradantes véhiculées notamment via les contenus pornographiques (« machine à broyer les femmes » selon le rapport de la Délégation aux droits des femmes du Sénat consacré à la question, rapp. n° 900, 27 septembre 2022, p. 40). Le début de régulation confié à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) quant à l’accès des mineurs à ces contenus, prévu par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, a été contesté par les éditeurs de sites, mais après les déclarations d’incompétence du juge administratif (CE, 3 janvier 2023, n° 466454 et n° 466455), la Cour de cassation a refusé de transmettre une QPC pour défaut de caractère nouveau ou sérieux de ces dispositions (Cass., 5 janvier 2023, n° 22-40.017). L’impératif de prévention via un travail sur les représentations et la régulation des contenus est complété, sur la période, par d’autres dispositions répondant aux impératifs de mesure des inégalités, d’assistance et de répression une fois certaines conséquences du sexisme constatées. Le législateur a complété les dispositifs existants par la mise en place d’une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales « attribuée, servie et contrôlée par les organismes débiteurs des prestations familiales pour le compte de l’État » qui prend la forme d’un prêt à taux zéro ou d’un don (loi n° 2023-140 du 28 février 2023). Cette loi prévoit également l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle de lutte contre les violences faites aux femmes qui devait « détermine[r] la trajectoire des finances publiques en matière de prévention et d’accompagnement des femmes victimes de violence » avant le 1er juillet (délai prévu à l’art. 3). Si le HCE appelle à une augmentation des moyens humains et financiers, la loi qui devait régulièrement permettre un bilan, pour ce seul domaine, n’a pas été votée dans le délai que le législateur s’était fixé. En termes d’indicateurs des inégalités, la direction générale de l’administration et de la fonction publique a pu établir qu’« en 2022, les femmes fonctionnaires qui travaillent dans un ministère sont payées en moyenne chaque mois 417 euros brut de moins que les hommes, soit un écart de 11 % », écart constaté à tous les niveaux hiérarchiques (Déborah Massis, Point stat, mars 2023). Sur le volet disciplinaire, le Conseil d’État a annulé une décision du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) en ce qu’elle ne qualifiait pas de harcèlement sexuel le comportement d’un enseignant-chercheur à l’égard de ses étudiantes qui en relevait, le blâme retenu par la juridiction n’étant pas proportionné aux fautes commises (CE, 10 mars 2023, n° 456602). Enfin, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête dirigée contre la commune qui avait fait apparaître les femmes via le recours au point médian – « conseiller·e·s » et « président·e·s » – dans une plaque commémorative de la ville, les requérants arguant que cet usage de l’écriture inclusive ne relevait pas de la langue française imposée par les textes, ce que le tribunal a écarté (TA de Paris, 14 mars 2023, n° 2206681/2-1, Association Francophonie Avenir).
25 La reconnaissance de la diversité des sexes peut-elle également s’inscrire dans les actes d’état civil ? Le respect de l’identité sexuée, qui avait donné à la Cour européenne l’occasion de restreindre la marge d’appréciation des États lorsqu’un élément si intime de la vie privée était en jeu, connaît désormais des tempéraments importants. La Cour a en effet décidé, par deux fois, que la marge d’appréciation des États, faute de consensus européens, rendait conforme à l’article 8 d’abord, le caractère binaire des mentions relatives au sexe sur les actes d’état civil français opposé à une personne intersexuée par le droit français (CEDH, 31 janvier 2023, Y. c. France, n° 76888/17 – également en raison des modifications du droit interne qui s’en suivraient (§89-90)) ; ensuite, l’attribution à un parent trans d’un statut juridique de parent découlant de son sexe déclaré à la naissance et de sa fonction procréatrice afférente (CEDH, O.H. et G.H. c. Allemagne, n° 53568/18 et 54741/18 – également au nom de l’intérêt de l’enfant et de l’intérêt public).
• Liberté d’expression
26 Plusieurs décisions viennent dans la période conforter la liberté d’expression. Par un arrêt de Grande Chambre, la Cour européenne précise les contours de la protection des lanceurs d’alerte à l’occasion de la divulgation par un salarié français à un journaliste de documents confidentiels de son employeur privé relatifs aux pratiques fiscales des multinationales au Luxembourg. Selon la Cour, qui renforce sa jurisprudence Guja de 2008, « pourraient aussi […] relever [du champ des informations d’intérêt public susceptibles de justifier une alerte couverte par l’article 10] certaines informations touchant au fonctionnement des autorités publiques dans une société démocratique et provoquant, dans le public, un débat suscitant des controverses de nature à faire naître un intérêt légitime de celui-ci à en connaître. À cet égard, la Cour rappelle que, dans un système démocratique, les actions ou omissions du Gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi de l’opinion publique » (§§138-139). Après examen concret des critères posés, la Cour conclut à la violation de l’article 10, la condamnation pénale du requérant ayant été disproportionnée (CEDH [GC], 14 février 2023, n° 21884/18, Halet c. Luxembourg). À l’inverse, l’Arcom pouvait, selon la Cour européenne, sanctionner la chaîne C8 en raison des initiatives de son animateur en ce que véhiculer une image stéréotypée des femmes ou des personnes homosexuelles ne relève pas de la liberté d’expression (CEDH, 9 février 2023, n° 58951/18 et 1308/19, C8 c. France) quand un ouvrage présentant des relations entre personnes de même sexe destiné aux plus jeunes ne peut faire l’objet d’une suspension ou d’un étiquetage le présentant comme nuisible au public de moins de 14 ans (CEDH [GC], 23 janvier 2023, Macatė c. Lituanie, n° 61435/19).
27 Sur le plan interne, l’activité de l’Action non-violente-COP21 (ANV-COP21), dont certains membres retiraient les portraits officiels du Président de la République dans les mairies afin d’alerter sur le changement climatique, a trouvé son épilogue judiciaire avec la confirmation par la Cour de cassation de la relaxe des « décrocheurs », l’incrimination de vol aggravé constituant une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression (Cass., crim., 29 mars 2023, n° 22-83.458).
• À signaler également
28 Dans ses conclusions 2022 publiées en mars 2023, qui couvrent la période 2017-2020, le Comité européen des droits sociaux adresse 5 demandes d’informations supplémentaires et fait 9 constatations de conformité et 9 constatations de non-conformité du droit français à la Charte sociale européenne. Sont ainsi visées les conditions de travail en détention (art. 4 de la charte) et notamment du travail à la pièce en ce qu’il ne prend pas en compte le temps de travail effectif mais la productivité. Les conditions de l’exercice du droit de grève dans le secteur public sont également déclarées non conformes à la charte en raison des restrictions liées à son déclenchement, qui devrait pouvoir passer par les syndicats non représentatifs, des restrictions touchant les écoles et les transports et de la règle du trentième indivisible applicable aux agents publics même pour les grèves de moins d’un jour (art. 6 §4).
Notes
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[1]
cf. Cahn, Olivier (2023), « Chronique de police », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, p. 215-235.
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[2]
cf. son blog Libertés, libertés chéries, billet du 7 février 2023.
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[3]
Interview du Président de la République, France 2 et TFI, minute 25’, 22 mars 2023.
- [4]
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[5]
cf. Catto, Marie-Xavière, de Gliniasty, Jeanne (2023), Chronique « Administration et libertés », Revue française d’administration publique, n° 184, p. 1163-1170.