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• Réforme de l’État
Évolution du rôle de la direction interministérielle du numérique de l’État
1 La nouvelle feuille de route de la direction interministérielle du numérique (Dinum) communiquée en mars 2023 a pour objectif d’accompagner et faire réussir les projets numériques de l’État, au service des priorités gouvernementales et dans un souci d’amélioration de l’efficacité de l’action publique. Elle s’est traduite par un toilettage du décret de 2019 définissant les missions de la super DSI de l’État. Le décret n° 2023-304 qui a été publié le 22 avril 2023 met notamment l’accent sur la valorisation des données des administrations, le développement de la mutualisation, l’animation des projets numériques d’intérêt général menés avec les territoires et la sécurité.
2 Ce nouveau cap est construit autour de quatre priorités :
- Engager une mutation profonde des organisations publiques pour initier et conduire dans la durée les projets numériques de l’État. Cela implique de mettre en place progressivement des équipes pluridisciplinaires intégrées plutôt que des équipes en silos, proposer des évolutions avec des échéances régulières et exiger des mesures d’impact au fil de l’eau plutôt qu’une approche purement « solutionniste ». En complément, il conviendra de s’inspirer de l’approche des « start-ups d’État ».
- Renforcer significativement les compétences numériques au sein de l’État. L’État doit disposer des compétences suffisantes en quantité et en qualité, ce qui implique d’attirer, recruter et fidéliser des talents du numérique.
- Développer l’exploitation effective des données pour un État plus efficace dans son action et plus simple vis-à-vis des citoyens, des entreprises et des agents publics. Cette exploitation qui a transformé de nombreux secteurs d’activité privés, des transports à la finance en passant par la grande distribution, n’est pas suffisamment déployée au sein de l’État en dépit des bénéfices certains qu’elle pourrait apporter.
- Préserver la souveraineté numérique de l’État en investissant dans des outils numériques mutualisés. Les produits numériques développés à partir de logiciels libres afin d’assurer la maîtrise, la pérennité et l’indépendance du système d’information de l’État, peuvent pleinement répondre aux attentes des agents dès lors qu’une masse critique de contributeurs est réunie. Cet investissement mutualisé devra s’appuyer sur la doctrine du numérique public élaborée par la Dinum pour l’État et ses opérateurs.
Un nouveau programme à la direction interministérielle de la transformation publique
4 À côté du programme « Services publics + », la direction interministérielle de la transformation publique est en charge de « Fonction publique + ». L’objectif est la transformation des services publics et de leur relation avec les usagers ; il est structuré en quatre piliers : engagements communs aux employeurs publics (promesses de la marque employeur) ; mesure des résultats dans chaque organisation (pour permettre des comparaisons) ; dispositif d’amélioration continue dans chaque administration ; et labellisation.
5 Si, à l’évidence, il est maintenant nécessaire d’améliorer les relations entre l’administration et les usagers des services publics, la création d’un nouveau programme porte le risque d’une tâche supplémentaire de reporting pour les agents... au détriment de leurs missions.
Réforme de la police nationale sur le territoire
6 L’inspection générale de l’Administration, l’inspection générale de la Justice et l’inspection générale de la Police nationale (IGPN) ont rendu un rapport sur la réforme de la police judiciaire. L’objectif du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer est de rapprocher les différentes directions de la police présentes sur le territoire (police judiciaire, sécurité publique, police de l’air et des frontières, renseignement territorial) afin de les faire mieux travailler ensemble. Cette réforme est très critiquée aussi bien par les syndicats de police que par les magistrats et avocats au nom du risque de diminuer les capacités de la police judiciaire. Le ministre a constaté que les différents rapports ne remettaient pas en cause le bien-fondé de la réforme pour mettre fin à une « police nationale qui travaille en silo, qui a besoin d’être modernisée, singulièrement dans la filière judiciaire face au nombre d’enquêtes très important et à la mutation de la criminalité dans notre pays ».
7 La réforme crée quatre filières de métiers : les « filières » sécurité et paix publiques, renseignement territorial, police judiciaire, et frontières et immigration irrégulière. Les directions centrales seront remplacées par des directions nationales, qui n’auront plus d’autorité hiérarchique sur les directions territoriales et les personnels déconcentrés. La direction nationale s’occupera donc du pilotage stratégique, alors qu’un directeur départemental de la police nationale (DDPN) chapeautera les quatre filières de chaque département, sous l’autorité du préfet. C’est en particulier cette organisation qui est critiquée car elle met tous les services locaux sous l’autorité d’un seul directeur. Cette évolution avait été testée dans quatre départements, mais jugés non représentatifs de la réalité policière par les syndicats de police. De même, le Conseil supérieur de la magistrature a indiqué craindre une menace sur « l’indépendance de l’autorité judiciaire » car, conformément à l’article 12 du Code de procédure pénale, la police judiciaire est exercée sous l’autorité des magistrats, procureurs et juges d’instruction, principe à valeur constitutionnelle. Enfin, les syndicats de police redoutent de voir les enquêteurs expérimentés de la PJ être mobilisés sur des tâches liées à la sécurité du quotidien, ou administratives, afin de remédier aux manques d’effectifs.
8 La réforme se met en place progressivement. Des directeurs zonaux ont été nommés en avril ; des directeurs départementaux seront ensuite nommés à l’automne. Le ministre indique que 176 textes de niveau réglementaire devront être pris pour finaliser la réforme, ce qui nécessitera de nombreux mois mais ne perturbera pas la tenue des Jeux olympiques à Paris en 2024.
Réorganisation de l’administration centrale du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer
9 La réforme de la haute fonction publique initiée par la loi de transformation publique d’août 2019 commence à avoir des conséquences sur l’organisation des administrations centrales. Ainsi, le décret n° 2022-1741 du 30 décembre 2022 modifiant le décret n° 2013-728 est venu modifier l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer en valorisant l’idée de l’encadrement supérieur de l’État. La direction du management et de l’administration territoriale (DMAT) est devenue la direction du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES). Cette transformation de la direction est également la conséquence du rôle central de la DMAT dans l’administration territoriale de l’État (ATE) avec le pilotage des services déconcentrés. La mise en extinction des corps de préfets et sous-préfets conduit à une nouvelle terminologie dans les missions de la direction aux préfets : les mots « sous-préfets », « administrateurs civils » et « emplois supérieurs » sont remplacés par une référence aux autorités préfectorales et à l’encadrement supérieur. Outre ce décret, un arrêté précise l’organisation de la DMATES, dont l’organigramme évolue en comparaison de la désormais ex-DMAT. La nouvelle direction s’organise autour de trois entités :
- le service des élections, de la lutte contre la fraude et de l’innovation numérique (SELFIN), remplaçant le service de la modernisation de l’action publique (SMAP) ;
- la sous-direction de l’administration territoriale de l’État (SDATE), qui remplace la sous-direction de l’administration territoriale (SDAT) ;
- la sous-direction des autorités préfectorales et de l’encadrement supérieur (SDAPES), qui remplace la très emblématique sous-direction du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires (SDCPHF).
11 À ces structures s’ajoute un délégué à la mobilité et aux carrières des emplois de direction d’administration territoriale de l’État et très récemment une mission à la mobilité extérieure et aux transitions qui a pour objectif d’améliorer l’accompagnement dans la construction des parcours des cadres supérieurs du MI, et notamment des préfets et sous-préfets dans le contexte de réforme de la haute fonction publique.
12 Au total, il apparaît que le ministère de l’Intérieur s’arme pour faire face aux défis liés à la gestion de ses services en l’absence des habituels corps, à la nécessité de pourvoir les emplois fonctionnels et d’assurer mobilités internes à la fonction publique aussi bien qu’à l’extérieur des services de l’État. Il est probable que tous les ministères se lancent dans de telles démarches de modernisation de leur gestion des ressources humaines, modernisation des organisations indispensable à la réussite de la profonde réforme engagée par le Président de la République.
• Collectivités locales
Assouplissement de la composition de la conférence territoriale de l’action publique
13 La conférence territoriale de l’action publique (CTAP) a pour fonction, dans chaque région, de renforcer la coordination de l’action des collectivités territoriales et de leurs groupements, et de faciliter les délégations de compétences. Sa composition a parfois été critiquée.
14 La loi n°2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration et portant diverses mesures de simplification a ainsi prévu que le nombre de membres de la CTAP est déterminé, au plus tard six mois avant le renouvellement général des conseils municipaux, par délibérations concordantes du conseil régional et des conseils départementaux, prises sur avis favorable de la majorité des conseils municipaux et des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre. Si ces conditions ne sont pas réunies, la composition de la conférence territoriale de l’action publique continuera à être fixée, de manière précise, par la loi. Le décret n° 2022-1581 du 16 décembre 2022 précise les modalités d’élection et de désignation des membres de la conférence territoriale de l’action publique.
15 À compter de 2025, les élus locaux pourront, dans chaque région, déterminer dans une certaine mesure la composition de l’instance. Le but de la mesure est d’« assouplir » la composition de l’instance, jugée trop contraignante quant à sa composition. Cette idée était déjà présente dans les cinquante propositions pour une nouvelle étape de la décentralisation, formulées par le Sénat à l’été 2020. Dans le cas où les élus locaux parviendraient à se mettre d’accord sur le nombre de membres de la CTAP, l’élection ou la désignation de ceux-ci devra respecter des règles que le décret du 16 décembre 2022 vient de fixer. Ce texte, dont l’élaboration a fait l’objet d’un « effort de concertation » de la part du ministère de l’Intérieur, prévoit notamment que l’élection des représentants des communes, des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et, le cas échéant, des établissements publics territoriaux présents dans la métropole du Grand Paris, a lieu dans un délai de trois mois à compter du renouvellement des conseils municipaux et des assemblées délibérantes des EPCI à fiscalité propre et des établissements publics territoriaux. Ce décret entrera en vigueur le 1er janvier 2025.
Simplification des normes
16 Les normes applicables aux collectivités sont trop nombreuses et trop complexes : le Code général des collectivités territoriales a ainsi triplé de volume entre 2002 et 2022 et approche le million de mots. Le Sénat a organisé le 16 mars 2023, à l’initiative de la délégation aux collectivités territoriales, les États généraux de la simplification qui ont réuni de nombreux acteurs autour du Conseil national d’évaluation des normes et les associations d’élus locaux.
17 Cette manifestation a abouti à la signature historique d’une charte d’engagements entre le Sénat et le Gouvernement. Cette charte prévoit de donner de la visibilité sur le calendrier (le Gouvernement s’engage à limiter le recours aux procédures d’urgence pour la saisine du Conseil national d’évaluation des normes) ; de mieux contrôler les textes territoriaux (le Sénat organisera un débat d’orientation sur des textes touchant les collectivités locales et entendra, en tant que de besoin le CNEN) ; et enfin de mieux légiférer (le Gouvernement et le Sénat pourront insérer des clauses de réexamen ; le Gouvernement favorisera les expériences législatives locales).
• Juridictions
Cour des comptes : contrôle de légalité
18 Le rapport annuel de la Cour des comptes (mars 2023) indique qu’entre 2009 et 2021, les services chargés du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire ont perdu respectivement 30 et 38 % de leurs effectifs. Cette diminution a des conséquences sur l’efficacité des contrôles : ainsi, dans 17 préfectures, les agents en charge du contrôle de légalité sont censés vérifier chacun plus de 2 000 actes par an (actes de la fonction publique territoriale, marchés publics, etc.).
Cour des comptes : bilan de la décentralisation
19 Quarante ans après les premières lois de 1982 sur la décentralisation, la Cour des comptes et les chambres territoriales des comptes, dans le rapport annuel de mars 2023, ont tiré le bilan de l’évolution institutionnelle profonde née de ces réformes.
20 Malgré les transferts de compétences des actes I (de 1982 à 1986) et II (2003 et 2004), la France est encore marquée par un très fort centralisme avec de très nombreux domaines d’intervention de l’État ; mais les moyens de l’État se sont réduits, ce qui rend son action moins efficace.
21 L’idée d’un acte III de la décentralisation n’a pas prospéré en absence de consensus entre les différentes catégories d’acteurs locaux. En effet, depuis 2010 selon les opportunités ou les circonstances, le processus législatif a avancé mais sans grande cohérence. Si la loi NOTRe du 7 août 2015 avait opté pour une disparition progressive des départements, la création des « grandes régions » a redonné vie aux départements car le périmètre régional est très rapidement apparu trop grand pour une administration efficace des territoires. De même, les fusions ou rapprochements de communes restent marginaux tant les administrés sont attachés à leur commune et cela parfois au détriment des résultats qui ne peuvent être obtenus faute de moyens financiers, humains et techniques dans les petites communes. Les groupements de communes ont certes augmenté mais leur fonctionnement reste encore délicat car certains maires se sentent privés de leurs compétences et les citoyens, éloignés de leur de décision. Les maires peinent à expliquer à leurs administrés qu’ils ne détiennent plus telle ou telle compétence et l’ensemble reste confus.
22 L’action publique souffre de l’éternel problème d’un trop grand nombre de niveaux de compétences qu’il n’a jamais été possible de diminuer ; cette abondance nuit à l’efficacité car elle implique de nombreuses coordinations, des échanges et donc des dépenses inutiles.
23 La décentralisation s’est également traduite par une augmentation du poids des dépenses locales dans le produit intérieur brut (passé de 8 % en 1980 à 11 % en 2022) ; cette augmentation doit cependant être relativisée car elle inclut les transferts de compétences de l’État vers les collectivités, et donc les dépenses de ces collectivités pour la mise en œuvre de politiques transférées.
24 En ce qui concerne l’État, la décentralisation a obligé à redéfinir le rôle des services sur le terrain ; la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE) avait valorisé les niveaux départemental et régional ; mais les « grandes régions », d’une part, et les groupements de communes, d’autre part, dessinent une autre carte du territoire qui ne correspond pas à celle de l’État. Par ailleurs, la très forte réduction des effectifs de l’État sur le territoire a affaibli son action aussi bien dans le domaine technique (désarmement des services) que dans le domaine juridique (affaiblissement du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire).
25 Enfin, la suppression de certains impôts locaux a distendu les liens entre la commune (le maire) et les administrés et réduit la marge de manœuvre des élus qui attendent plus de l’État à travers les dotations.
26 La Cour conclut à un « panorama insuffisamment propice à l’efficience de la gestion publique locale, à la responsabilisation des acteurs et à l’intelligibilité de la décentralisation », à la nécessité d’approfondir la coopération intercommunale, tout en rapprochant l’administration des administrés.