Couverture de CCGC_005

Article de revue

Champions de demain : prédisposition naturelle optimisée ou amélioration structurelle programmée ?

Pages 85 à 106

Notes

  • [1]
    G. Dine, A. Garnier, P. Schamasch, J.M. Schemitick, J.C. Fournet, L. Duffournet, J.M.Burlet, J.G. Benzimra, G. Varlet, P. Sicalloc, J. Huchet, Biologie et sport aux Jeux olympiques d’Albertville du 8 au 23 Février 1992, Rev. Fran. Lab., 233, 1992, p. 25-27.
  • [2]
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  • [3]
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  • [4]
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  • [5]
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  • [6]
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  • [8]
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  • [9]
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  • [10]
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  • [11]
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  • [18]
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  • [19]
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  • [20]
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  • [22]
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1L’évolution fulgurante du spectacle sportif dans les sociétés industrielles et post-industrielles aux xxe et xxie siècles interpelle à plus d’un titre. Au xixe siècle, le sport relevait de réflexions convergentes qui associaient des démarches philosophique, sociologique, politique mais également médicale. Pendant de nombreuses années, un rapport étroit entre sport-santé et sport de compétition a été maintenu grâce à un système de structures associatives locales, régionales, nationales et internationales. Au cours du xxe siècle, notamment après la Deuxième Guerre mondiale, le sport de haut niveau, à travers de grands rendez-vous planétaires et médiatiques, s’est finalement séparé du berceau originel que constituait pour lui le sport associatif. Ses enjeux sont devenus différents. Les contraintes et les règlementations ont évolué sans véritable réflexion prospective, à propos notamment de l’intégration à l’économie de marché. Le phénomène s’est amplifié à la fin du xxe siècle et se poursuit en ce début de xxie siècle. La relation entre le spectacle lié à la performance et l’impact médiatique, source de spectateurs et de profits, ne cesse de s’accentuer.

2Il n’en demeure pas moins que la performance attendue des acteurs du spectacle reste, dans le domaine du sport de haut niveau, dépendante de leur potentiel mental, physique et physiologique. Ce potentiel a été considérablement amélioré, dans les limites de l’évolution de l’espèce, grâce aux sciences du sport et de la santé. Les matériaux ont progressé : ils sont désormais nécessaires à la performance sportive. L’entraînement physique et physiologique est devenu rationnel et méthodique. Les limites de la performance ont été ainsi régulièrement repoussées depuis la création du sport moderne, et ce quelles que soient les disciplines. Dans ces conditions, l’investissement sur les futurs champions est devenu une des clés indispensables du spectacle sportif, et ce pour ses différents opérateurs, qu’ils soient privés ou publiques. L’organisation planifiée du dépistage du potentiel sportif, du recrutement, de l’apprentissage et de la gestion de la carrière des champions a été particulièrement bien rationalisée lors de la période glorieuse de l’Allemagne de l’Est dans un cadre totalitaire. La reproduction de systèmes comparables, plus ou moins humanisés mais beaucoup plus efficients, qui visent à obtenir le meilleur du corps humain en vue de performances accrues, est devenue aujourd’hui une réalité. Si la question du dopage est implicitement associée à ces dispositifs, ce n’est toutefois qu’une partie de la problématique actuelle. La quête de la performance, facteur clé du spectacle sportif, est confrontée depuis trente ans à l’irruption de la biomédecine et des biotechnologies qui ont modifié considérablement un certain nombre de paradigmes concernant la santé humaine mais aussi peut-être l’évolution de l’espèce. L’intérêt de ces nouveaux outils dans le sport de haut niveau n’est plus à démontrer et dépasse très largement les simples dérives dopantes. Aujourd’hui, l’objet même de la performance se trouve au cœur des préoccupations des opérateurs du spectacle sportif : il s’agit du corps humain comme support incontournable des progrès et des développements attendus dans ce secteur d’activité à fortes implications sociales, politiques et économiques.

L’Évaluation sportive

3Sous ce terme générique sont regroupés en fait de nombreux outils scientifiques employés par les techniciens du sport, et pas uniquement les médecins, pour apprécier le potentiel des sportifs. En vérité, l’évaluation sportive fut d’abord liée à une observation physiologique réalisée dans une finalité plus générale concernant la santé. Ce rapport entre exercice physique et bonne santé a ainsi perduré jusqu’à la fin du xxe siècle avant de se différencier nettement depuis quelques années. La réalité des bénéfices de l’exercice physique pour la santé n’est pas discutable. Elle a été remise au goût du jour par les médias et fait même l’objet aujourd’hui de compétences professionnelles spécifiques et de programmes particuliers à visée collective ou individuelle. Les mêmes outils, utilisés d’une manière optimale, sont employés pour l’évaluation sportive chez les athlètes de très haut niveau. La mise au point de systèmes permettant l’évaluation sportive est aussi ancienne que la création du sport moderne.

4Les premières mesures concernaient essentiellement l’anthropométrie et le mouvement humain. Un ensemble de tests anthropométriques a été défini précocement en vue d’apprécier les différences humaines dans l’application sportive et les relations à la performance. Les notions de taille, de poids et de ratio masse grasse/masse maigre sont très utiles. Vis-à-vis du mouvement humain, l’analyse des segments corporels et donc des bras de levier par rapport à la performance biomécanique a fait son apparition au début du xxe siècle et a permis d’affiner la démarche anthropométrique de base. Ensuite, la définition des différents groupes musculaires utiles à tel ou tel type de performance sportive a été améliorée, permettant ainsi un travail sélectif en fonction de l’objectif sportif recherché. Les critères anthropométriques ont guidé rapidement le repérage nécessaire des différentes catégories de sportifs en fonction des disciplines proposées. La recherche, par exemple, de petits gabarits dynamiques pour la gymnastique sportive a commencé au milieu du xxe siècle. Découvrir de grands gabarits, agiles ou puissants, faisait très tôt partie du cahier des charges des recruteurs du basket ou de l’aviron. Obtenir un panel harmonieux de gabarits différents, caractéristique des besoins du jeu de rugby, est l’objectif de tout entraîneur exerçant dans ce sport. Les exemples peuvent être multipliés. Avec la rationalisation mise en place pour des raisons idéologiques par les ex-pays du bloc communiste de l’Est de l’Europe, cette pratique s’est non seulement accélérée mais surtout, est devenue la règle. Des limites éthiques ont été violées à diverses reprises, notamment lors de la création de véritables centres de reproduction fondés sur des critères morphologiques et de performances sportives, en vue d’assurer la reproduction des champions mâles et femelles. Trente ans après, les progrès de la génétique démontrent qu’une telle dérive ne relevait pas uniquement d’une science-fiction mal employée. Cette démarche n’a d’ailleurs pas été totalement abandonnée par certains pays, en particulier pour produire des joueurs de basket (Chine).

5Si l’évaluation anthropométrique a été optimisée par l’emploi de l’informatique, qui permet de classer et de trier les données, il n’en demeure pas moins qu’elle est vite apparue comme limitée du point de vue de l’analyse de la valeur par rapport à la performance sportive. Les progrès de la technologie appliqués à la médecine ont permis de compléter l’approche rationnelle nécessaire à la définition des critères de la performance athlétique. Avec l’irruption, à partir des années 1960, de tests physiologiques basés sur des métrologies de laboratoires, il a été possible d’apprécier la cylindrée énergétique des individus. L’emploi associé d’abaques mathématiques permettant de valider des tests de terrain plus accessibles à de grandes populations de sportifs a permis une évaluation physiologique, par les entraineurs eux-mêmes, en dehors des laboratoires généralement contrôlés par le corps médical. Pour l’appréciation énergétique, le test vo2 max constitue ainsi un logo identifié et identifiable par tout sportif de compétition. Il est devenu possible, avec la création des ergomètres isocinétiques, de procéder à des évaluations biomécaniques de façon régulière et précise.

6L’exploration du corps humain par segments et par groupes musculaires est devenue une routine dans le sport de haut niveau grâce au transfert de technologie effectué depuis la médecine aérospatiale vers de la médecine du sport. Aujourd’hui, il n’est pas concevable qu’une équipe de football reprenant l’entraînement estival qui précède la compétition annuelle échappe à une évaluation sportive à travers une batterie de tests énergétiques de type vo2 max et au moyen d’analyses isocinétiques sur ergomètres spécifiques.

7Si l’approche devient plus sophistiquée, elle n’en demeure pas moins éloignée de la réalité biologique de la machinerie humaine. Un pas a été franchi, à partir des années 1980, grâce au développement du suivi biologique longitudinal qui permet de mesurer et surveiller plusieurs paramètres biologiques autorisant une introspection du sportif de haut niveau tant du point de vue de sa santé que des facteurs limitant sa performance athlétique [1]. Certains paramètres biologiques relevant du métabolisme énergétique constituent en effet des verrous pour l’amélioration de la performance, quelles que soient par ailleurs les qualités physiques ou physiologiques de l’individu. D’autre part, plusieurs biomarqueurs sont des indicateurs de l’impact délétère d’un entraînement intensif qui pourrait provoquer une contre-performance et la survenue de blessures péjoratives pendant la saison ou la carrière de l’athlète [2]. À partir des recherches effectuées dans le domaine de la myologie grâce aux travaux menés sur les myopathies, les outils de mesure des fibres musculaires sont devenus efficaces. Ils permettent d’analyser la transformation musculaire selon différentes typologies propices à des performances musculaires variées : force, puissance, vitesse, endurance, résistance.

8À l’aube des années 2000, l’utilisation conjointe des démarches anthropométriques, des mesures physiologiques et des analyses biologiques constituent donc la routine de tous les athlètes de haut niveau, qui ne peuvent y échapper en raison des contraintes qui leur sont imposées par les opérateurs du sport, publiques ou privés, devenus leurs employeurs. Dans ces conditions, il était inéluctable que l’outil génétique ne devienne, à son tour, un élément significatif de l’évaluation sportive [3]. La pression économique et financière l’exige et le permet. La connaissance scientifique dans le domaine de la génétique médicale humaine peut rendre son usage pertinent d’autant que les outils analytiques sont à la fois plus simples d’emploi mais aussi beaucoup plus rapides et moins onéreux qu’auparavant. Sans véritables débats ou polémiques, ce qui contraste avec la virulente confrontation sur le dopage, de nombreuses études ces dix dernières années ont fait appel à l’analyse génétique au sein de populations sportives de différents niveaux [4]. Les premiers résultats permettent de noter des prévalences de répartition sur des gènes de type ace ou actn3 [5]. La découverte d’individus présentant des mutations génétiques sportivement intéressantes, en relation avec des performances significatives, a été également signalée, à propos des protéines shp et hfe par exemple.

9Aujourd’hui, l’évaluation est à la base de toute politique sportive de haut niveau, qu’elle soit menée par un État ou par une entreprise privée. Elle concerne l’ensemble de la carrière du sportif, depuis son enfance et sa formation de jeune champion jusqu’au sommet de sa performance. Toutes les phases de sa carrière sont concernées, du dépistage du potentiel à la mesure de la récupération ou à la prévention des blessures. Le sportif de haut niveau est monitoré et introspecté dans son intimité physique, physiologique, biologique et mentale de façon quasi permanente. L’aspect technique peut rebuter et apparaître contraire à certaines éthiques visant à protéger le corps humain, y compris celui des champions. Toutefois, il faut admettre que les connaissances acquises grâce aux travaux de recherche et aux études de routine menées sur les sportifs de haut niveau s’avèrent ensuite largement transférables au reste de la population. En effet, les informations obtenues sont applicables à chacun d’entre nous, du point de vue de notre activité physique et de la préservation de notre santé. Les outils de mesure et les paramètres enregistrés sont similaires. La finalité recherchée, elle, par contre, n’est pas identique et n’exige pas un encadrement aussi coercitif que ce qui est imposé aux athlètes de haut niveau et aux sportifs professionnels.

Le dopage scientifique

10À la lecture de la partie précédente, on conçoit aisément l’importance du dopage dans la quête de la performance sportive. Le sport de haut niveau est né de la création des compétitions modernes à la fin du xixe siècle. Il s’est agi d’aller toujours plus haut, plus vite et d’être toujours le plus fort. Il faut, pour ce faire, dépasser parfois jusqu’aux barrières de l’espèce. L’amélioration du matériel et une meilleure connaissance de la physiologie des organismes humains ont permis des améliorations spectaculaires. Il était inévitable qu’en parallèle apparaisse la volonté d’optimiser ces mécanismes physiologiques en court-circuitant l’adaptation naturelle et en faisant appel aux progrès de la pharmaco-chimie puis des biotechnologies. La quête de l’amélioration de la performance, dans le cadre d’un spectacle sportif soumis à diverses contraintes d’ordre politique, économique et médiatique, s’est ainsi trouvée liée à l’accroissement des progrès scientifiques dans les sciences du vivant et de la santé, ces progrès induisant des possibilités plus ou moins risquées mais très souvent efficaces en matière d’optimisation de la performance. Depuis trente ans, et parallèlement à la rationalisation de l’évaluation sportive, le dopage est ainsi devenu réellement scientifique : il apparaît comme le négatif des progrès acquis dans le domaine du fonctionnement humain et de la thérapie.

11Si l’on prend comme exemple la filière aérobie, on peut exposer schématiquement les choses de la manière suivante : il s’agit de transporter, de rendre disponible et d’utiliser de manière efficace l’oxygène, comburant indispensable à la production énergétique de la devise moléculaire que constitue l’atp en présence d’un carburant comme le glucose. Après une évaluation sélective selon les disciplines sportives, un entraînement spécifique permet de produire les meilleurs champions possibles dans la filière aérobie. On peut se rapprocher des limites maximum en faisant des stages en altitude, en utilisant les chambres hypobares autorisées par l’Agence mondiale antidopage (ama) ou, à l’échelon individuel, des caissons ou tentes hypoxiques. Mais il était tentant de faire aussi appel, et ce dès les années 1970, aux transfusions sanguines, largement employées dans l’athlétisme, le ski de fond et le football à l’époque. L’apparition de l’epo, une des premières molécules recombinantes produite par génie génétique, a amplifié cette dimension du dopage et surtout l’a rendue accessible à l’ensemble des sportifs aérobies. L’apparition du sang artificiel a compliqué la tâche de la lutte antidopage. L’émergence à venir de produits permettant une dissociation de l’oxyhémoglobine, fantastiques médicaments mais agents dopants potentiels, n’est plus qu’une question de temps. Parallèlement, la possibilité d’agir au plan micro-cellulaire par l’irruption de thérapies géniques ciblées, va mettre à disposition, dans les dix années à venir, des produits thérapeutiques exceptionnels mais d’une qualité indiscutable du point de vue de la performance aérobie, plaçant ainsi le contrôle règlementaire à la frontière de la définition même du dopage, sans que l’on puisse déterminer véritablement le niveau de prise de risques en terme de santé humaine.

12Pour ce qui est de la filière anaérobie, ce sont les critères de force, de puissance, de vitesse mais également de résistance à l’acidose qui sont primordiaux et qui constituent les facteurs clés de la performance. Il est évident que de nombreuses disciplines sportives nécessitent l’association des filières aérobie et anaérobie. À la possibilité de maîtriser d’une manière déviée la filière aérobie s’ajoute donc la capacité de manipuler la filière anaérobie sur ces cibles précises. Après une évaluation spécifique, qui peut être évolutive dans le plan de formation de l’athlète, un entraînement particulier et adapté permet d’amener l’individu à son plus haut niveau de performances. Il est possible, vu les contraintes propres à la filière anaérobie, d’optimiser les résultats de manière licite en travaillant sur l’amélioration de la captation par le muscle des acides aminés ramifiés, ce qui suppose des compétences en nutrition spécialisée. On peut également obtenir une amélioration en jouant sur les réserves énergétiques immédiates grâce à des nutriments précis comme la créatine et la carnitine qui en aucune manière ne peuvent être considérés comme des produits dopants. En revanche, le phénomène de « barrière biologique » demeure une réalité, et sa transgression du point de vue de la physiologie représente la limite de la déviance dopante. Dès les années 1970, la mise à disposition des stéroïdes, que ce soient les corticostéroïdes ou les stéroïdes anabolisants, a constitué la base du dopage institutionnalisé des pays du bloc communiste et, plus généralement, celle de beaucoup de pratiques dopantes dans la plupart des disciplines, et ce quel que soit le niveau de compétition. Les progrès réels de la lutte antidopage du point de vue de la toxicologie urinaire ont commencé à mettre un frein à l’emploi des stéroïdes à partir des années 1990. Cela n’empêche pas leur diffusion grâce à Internet dans toutes les couches de la population non soumises aux contrôles antidopage réalisés pour les seuls sportifs de haut niveau. Par contre, les biotechnologies ont permis de fournir des produits aussi efficaces et toujours indétectables : les hormones et facteurs de croissance [6].

13Depuis le début des années 2000, sont apparus des agents nouveaux comme les thérapies ciblées, qui permettent l’inhibition de la résorption musculaire et l’activation des récepteurs hormonaux stéroïdiens. La compréhension des désordres musculaires dans les maladies myopathiques a été grandement améliorée ces vingt dernières années. Les connaissances scientifiques obtenues ont permis, grâce aux biotechnologies, de fournir rapidement et en grand nombre des méthodes améliorant considérablement les différents secteurs de la filière anaérobie impliqués dans la performance sportive. Parallèlement, des médicaments recombinants, comme l’insuline, posent problème en matière de dopage depuis les années 1980. Ces problèmes n’ont pas encore été résolus du point de vue du contrôle antidopage par l’encadrement toxicologique et biologique. En réalité, seules les mesures de coercition, avec une approche juridique et policière, sont susceptibles de changer la donne à ce niveau. À l’horizon 2020, les thérapies ciblées, cellulaires voire géniques, vont constituer une réserve de possibilités dopantes aux résultats inattendus, situés aux frontières mêmes de la performance humaine et difficilement contrôlables mais désormais accessibles grâce à la puissance financière des opérateurs du spectacle sportif [7]. Dans certaines situations, la définition même de la pratique dopante ne relèvera pas d’une frontière toxicologique ou biologique mais d’une utilisation autorisée ou interdite selon les seuls critères éthiques ou déontologiques, ce qui ne peut provoquer que polémiques, confrontations et débats.

Génétique et dopage

14Relier certaines maladies humaines à un dysfonctionnement génique, inné ou acquis, est aujourd’hui possible grâce aux progrès accomplis dans le domaine diagnostique par les biotechnologies analytiques. On parle, avec le couplage aux nanotechnologies, de médecine prédictive, de médecine personnalisée voire de médecine préemptive. La correction d’une anomalie biologique avant qu’elle n’enclenche une maladie au niveau génomique, transcriptomique, protéomique ou métabolomique, ne relève plus de la science-fiction. Le développement de ces outils diagnostiques et thérapeutiques risque d’être accéléré dans les vingt années à venir en raison de nombreux enjeux, humanitaires bien sûr mais aussi industriels et financiers. La pratique médicale risque d’en être bouleversée. L’éthique devra tenir compte de ces modifications fondamentales dans l’exercice des professions de santé. L’articulation des biotechnologies et des nanomédecines avec les sciences de l’information va poser des problèmes de société importants car les comportements humains risquent d’être transformés par les outils mis à disposition. L’usage de traitements personnalisés et ciblés, connus sous le terme de thérapie ciblée, et développés depuis peu dans le domaine des maladies cancéreuses, deviendra banal y compris pour le traitement de maladies moins spectaculaires et moins graves. Une définition du profil de chaque individu pourra être établie par le médecin traitant. La personnalisation de la prise en charge thérapeutique deviendra donc le quotidien à l’horizon 2030. Les progrès accomplis seront aussi utilisés pour la reproduction humaine voire la sélection des futurs enfants.

15Il est donc illusoire d’imaginer que le sport de haut niveau pourra échapper à l’application de ces outils nanobiotechnologiques. Dans le cadre de l’évaluation sportive, le recours à la démarche génétique est déjà une réalité du point de vue scientifique [8]. Avec de tels moyens technologiques, l’évaluation génétique intégrera probablement la pratique de routine dans les centres de formation où sont regroupés les futurs champions, quelles que soient les disciplines. À côté des premières indications de prévalence génétique retrouvées dans certaines populations sportives ont été identifiés des états de prédispositions naturelles propices à la performance sportive. La découverte de la mutation de l’enzyme sh-ptp1 sur le récepteur de l’epo au sein d’une famille finlandaise douée pour le ski de fond a permis de comprendre comment son meilleur représentant, Eero Mantyranta, a dominé la discipline dans la décennie 1970. Plus proche de nous, le meilleur triathlète des années 2000, Rutger Beke, montré du doigt pour des résultats sanguins anormaux, est en fait porteur d’une mutation du gène de la protéine phd2 qui joue un rôle clé dans la filière de signalisation et de production de l’epo au niveau rénal. Ces deux situations génétiquement différentes et ne relevant pas du tout des mêmes mécanismes moléculaires, aboutissent à un résultat similaire : une hyper-production de globules rouges, naturelle et non pathologique. Ces individus étaient prédisposés à la performance aérobie et n’avaient pas besoin de recourir au dopage sanguin. Les deux mutations en question, grâce à la biotechnologie, sont désormais maîtrisées au niveau des modèles animaux et sont actuellement à l’étude pour la définition de nouveaux médicaments ciblés ou l’emploi de démarches transgéniques chez des patients en situation critique. Il est vraisemblable qu’à partir de 2020, nous n’aurons plus à utiliser l’epo, fabriquée par génie génétique en bioproduction, mais que nous utiliserons des médicaments, peut-être par voie orale, qui stimuleront de manière naturelle la production de notre propre epo. Cela revient à dire que ces médicaments, déjà en essai de phase 1 ou 2, constitueront des dopants remarquables car ils agiront au niveau des mécanismes de régulation biomoléculaire de l’organisme humain. Le meilleur exemple actuel pour l’epo est la famille des inhibiteurs du complexe hif-ph.

16À la suite de la mise en place du Passeport biologique sportif développé par notre équipe entre 1995 et 2000, a été mise en évidence l’existence d’athlètes pratiquant le ski de fond, dont les données hématologiques étaient tout à fait anormales, laissant craindre chez eux la pratique du dopage sanguin [9]. Le fait que nous n’ayons pas pu identifier de situations dopantes a amené notre équipe à s’interroger sur l’existence de prédispositions génétiques au niveau du métabolisme du fer. Le fer est indispensable à la production des globules rouges. Il joue un rôle clé dans le métabolisme énergétique du sujet au niveau musculaire. Il est donc nécessaire chez le sportif de haut niveau, quelle que soit sa discipline. Après génotypage, nous avons eu la surprise de découvrir une relation avec une mutation du gène hfe, non responsable de l’hémochromatose humaine (maladie de surcharge en fer), mais se présentant comme un avantage sélectif pour le porteur. Le métabolisme du fer est en effet régi par un système complexe de protection vis-à-vis de l’oxydation, fruit de l’évolution biologique de l’espèce humaine [10]. En fonction de la mutation, l’individu concerné peut présenter une hémochromatose ou peut au contraire bénéficier de cet avantage sélectif. Nos travaux ont mis en évidence une prévalence significative chez les sportifs de haut niveau nécessitant un rendement énergétique musculaire élevé [11].

17La découverte de mutations chez nos cousins mammifères supérieurs permet des accélérations fulgurantes en termes de connaissances sur notre propre métabolisme et autorise le développement de nouveaux concepts thérapeutiques médicamenteux grâce à l’intrication entre biotechnologies et science de l’information. L’identification, au début du xxe siècle, d’une race de bovin à viande dénommée « Blanc Bleu Belge », avait été faite par des vétérinaires de l’Université de Gand. Près de cent ans après, l’origine de la différence spectaculaire, en termes de morphologie musculaire, chez ces bovins a été identifiée dans une mutation d’un gène contrôlant la production de myostatine. Cette protéine est un facteur d’inhibition de la croissance musculaire. Le fait de disposer d’une myostatine moins efficace entraîne le développement de la masse musculaire et la diminution de la masse graisseuse. Du point de vue de la production de viande, il s’agit d’une conséquence intéressante. Du point de vue de la fonctionnalité musculaire humaine, un tel phénomène peut être important pour la performance musculaire du point de vue médical mais également sportif. Quelques années après l’identification de ces anomalies génétiques portant sur ce gène de la myostatine, une anomalie humaine similaire a été identifiée en 2004 chez un jeune garçon originaire d’Allemagne [12]. La surprise, qui suscite une réelle interpellation éthique, tient en ce que ce jeune garçon était le fruit de parents ayant fréquenté les centres d’entraînement de l’ex-Allemagne de l’Est, recrutés pour leurs qualités sportives exceptionnelles. Le père était champion de gymnastique et la mère a été une des meilleures sprinteuses du monde en athlétisme. La précision des outils génomiques aujourd’hui disponible a, en quelque sorte, validé la pratique des idéologues du sport de haut niveau est-allemand. L’application immédiate de cette découverte a permis la production d’une trentaine d’agents thérapeutiques, médicamenteux ou pas, actuellement en essais humains. La maîtrise de la mutation grâce aux modèles animaux transgéniques permet de proposer des solutions thérapeutiques aux enfants atteints de myopathies. Les premières études avec cette approche ont été initiées depuis deux ans dans le cadre d’essais officiels et encadrés chez des enfants myopathes. Une autre alternative pour les enfants myopathes est l’étude d’une thérapie génique parallèle faisant appel à la protéine igf1 intégrée au niveau des groupes musculaires déficients. L’application de ces thérapies géniques aux sportifs de haut niveau est donc aujourd’hui technologiquement envisageable. Nous ne savons pas si le Rubicon a été franchi dans ces indications. Il n’est pas possible d’affirmer que de telles manipulations visant à améliorer le potentiel musculaire seront efficaces du point de vue de la performance sportive. Il n’en demeure pas moins qu’au niveau médical les développements en cours vis-à-vis par exemple des inhibiteurs de la myostatine sont importants car le marché n’est pas simplement les rares enfants myopathes mais bien la réhabilitation des personnes âgées après fracture du membre inférieur ou la lutte contre la sarcopénie, liée au vieillissement. Plusieurs compagnies pharmaceutiques se sont emparées de ce sujet et possèdent des molécules thérapeutiques ciblées. On peut donc imaginer sans mal une application sportive. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller sur internet et de taper les rubriques « myostatine » et « inhibiteurs de la myostatine ». Le paradoxe de la recherche en myologie est la découverte de principes dont les applications dans le domaine médical et dans le domaine sportif n’étaient pas complètement envisageables lors de la réflexion théorique initiale. Il en est ainsi pour de nombreuses autres découvertes scientifiques amenant à des innovations technologiques spectaculaires.

18L’analyse systémique des dysfonctionnements du corps humain grâce aux outils biotechnologiques est une source d’information et de progrès indéniables. Appliquée à certains domaines qui peuvent relever de l’intérêt sportif, la question de l’amélioration de l’espèce devient aujourd’hui une réalité [13]. La maîtrise, par exemple, des anomalies de la calcineurine peut laisser envisager la modulation des fibres musculaires lentes. On peut agir également par transgénèse musculaire et transférer le gène de la myosine 2B dont le caractère explosif n’est pas présent dans l’espèce humaine. Au niveau du muscle, l’ingénierie génique, à la différence des médicaments chimiques, peut permettre d’agir sur des groupes ou sous-groupes musculaires précis et modifier positivement la chaîne biomécanique nécessaire à la performance dans tel ou tel sport [14]. Le contrôle de la protéine ppar au niveau des modèles animaux laisse penser qu’il y sera possible de moduler la croissance des fibres musculaires lentes tout en autorisant une consommation énergétique plus aisée à partir des graisses au détriment du sucre. L’intérêt médical est indéniable mais l’intérêt sportif l’est aussi. Le développement de médicaments ciblés est déjà en cours.

19Certaines voies constituent des impasses parce qu’elles induisent, à côté de l’avantage apporté, des effets secondaires négatifs. Cette réalité pose bien évidemment la question de la transparence des essais avant utilisation. Le foisonnement des recherches fondamentales et appliquées en biotechnologie est source de création de nouveaux secteurs industriels. Le monde de l’économie, et donc de la finance, est concerné. Il paraît difficile d’envisager de mettre un frein à ces développements, voire de proposer un retour en arrière. Les enjeux médicaux mais aussi humains et éthiques sont immenses. Il s’agit ni plus ni moins que de corriger certaines maladies innées ou acquises qui sont au-delà des ressources thérapeutiques actuelles. Le mécano de la thérapie génique peut s’appliquer à la moelle osseuse, aux poumons, aux muscles, au foie, au cerveau, et se propose de corriger ou d’améliorer certaines situations médicales dramatiques. Utiliser de telles méthodes chez des non-malades apparaît comme la frontière éthique à ne pas franchir. Elle est en fait déjà franchie puisque le programme médical de la nasa proposé pour les missions sur Mars envisage très clairement la transgénèse musculaire des spationautes afin de leur éviter l’atrophie musculaire qui sera induite par la très longue période d’apesanteur que vont leur imposer ces missions d’une durée de deux à trois ans, en dehors de la gravité terrestre. Le schéma proposé d’une manière totalement officielle est la mesure des effets préventifs d’une transgénèse de la protéine igf1 au niveau musculaire grâce à un vecteur rétroviral. Si les spationautes sont des gens d’exception, ils ne sont pas des malades. Ils peuvent être considérés comme des modèles de sportifs de haut niveau d’un genre particulier. La thérapie génique tendineuse par transgénèse des facteurs de croissance igf1 et b-fgf est maîtrisée du point de vue des modèles animaux [15]. Les premiers essais humains ont été initiés ces dernières années avec des résultats satisfaisants. Les profits financiers autour du sportif de haut niveau, véritable formule 1 biologique et support du spectacle, autorisent l’accès à ces thérapeutiques onéreuses dont le commun des mortels ne peut bénéficier. La voie a été ouverte par l’emploi, en traumatologie du sport, de la technique dite prp qui relève de la biothérapie. Il s’agit d’utiliser le facteur de croissance pdgf contenu dans les plaquettes sanguines qu’on sépare du sang du patient lui-même, de réaliser ensuite leur concentration par centrifugation avant une réinfusion au niveau de la zone lésée. Les footballeurs depuis trois ans sont les principaux utilisateurs de cette méthode de réparation. La frontière est devenue bien mince entre la réparation améliorée et la préparation optimisée.

20Parallèlement au génie génétique, le génie cellulaire a littéralement explosé en matière de connaissances et de maîtrises technologiques ces dix dernières années [16]. Si la polémique sur les cellules souches a ralenti les applications en raison du problème éthique posé par le fait d’utiliser des cellules souches issues d’un œuf embryonnaire humain sacrifié au dixième jour après sa création, le saut technologique considérable que les chercheurs japonais ont rendu possible par la découverte des cellules souches pluripotentes induites a simplifié le débat [17]. Les applications attendues, du point de vue de la recherche fondamentale, translationnelle et technologique sont énormes [18]. Le patient peut devenir son propre pourvoyeur d’agents thérapeutiques, en permettant la production de ces cellules souches lui-même grâce aux méthodes des cellules souches thérapeutiques induites [19]. Les premières études cliniques sur l’espèce humaine sont en cours pour certaines maladies neurologiques gravissimes. Les développements les plus importants sont attendus chez les patients atteints de maladies de Parkinson ou d’Alzheimer. L’utilisation sportive, en raison du poids financier du sport spectacle a été immédiate et parallèle. Les thérapies cellulaires de réparation sont déjà presque routinières pour le traitement des blessures cartilagineuses, au niveau des genoux par exemple chez le footballeur. Ce type de traitement n’est pas autorisé aujourd’hui par l’Agence française de biomédecine sur le territoire français, mais il l’est dans d’autres pays de l’Union européenne. Les frontières ne sont pas un obstacle à la circulation des individus et donc des traitements qui leurs sont nécessaires. Il en est de même pour le traitement des lésions tendineuses et musculaires. Aujourd’hui, des dizaines de programmes de thérapies cellulaires musculaires utilisant des sources différentes de cellules souches sont en cours, essentiellement pour la réparation cardiaque. La maîtrise des thérapies cellulaires musculaires permettra sans difficulté qu’on les applique aux muscles squelettiques et donc aux sportifs. Le problème de l’encadrement réglementaire va donc être de déterminer la frontière entre la réparation et la préparation assistée biologiquement. Du point de vue des applications, de nombreuses firmes biopharmaceutiques distribuent déjà ouvertement certaines de ces méthodes thérapeutiques, qui améliorent considérablement la récupération des individus mais aussi leur potentiel musculaire et locomoteur. Chez les animaux sportifs, ces mêmes méthodes apportent un plus indéniable du point de vue de la prévention toxicologique. Il faut savoir, en effet, que les chevaux ne supportent pas très bien les corticoïdes et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Mais ces animaux sportifs se blessent comme leurs collègues humains : l’utilisation de ces médicaments, dangereux pour eux, est interdite dans les réglementations du sport animal. Leur emploi est même considéré comme une infraction qui peut relever de la pratique dopante. La thérapie cellulaire s’avère, elle, un outil efficace et beaucoup moins agressif que l’utilisation d’un anti-inflammatoire chez le cheval de course [20]. Elle est donc employée de façon très régulière pour le traitement des tendinites chez les chevaux mais aussi chez les chiens de course, à partir, par exemple, d’un prélèvement de moelle osseuse.

21L’ingénierie du corps humain fait l’objet d’introspections multiples qui font appel à des outils de plus en plus pointus que nous avons présentés dans ce texte. Leurs effets sur la performance sportive ne peuvent être niés. Le développement immédiat, à partir des acquis scientifiques, de techniques diagnostiques et thérapeutiques, constitue un espoir pour beaucoup de patients. Mais d’un autre côté, une bonne partie de ces outils diagnostiques et thérapeutiques peut être détournée, sans grand contrôle éthique, afin d’améliorer la performance sportive. D’autres détournements encore sont imaginables, notamment en matière de reproduction humaine. Le dopage lui-même, on l’a vu, est largement concerné par l’évolution des biotechnologies. Le niveau d’amélioration espérée n’a plus de commune mesure avec ce qui pouvait être permis par l’approche médicamenteuse chimique. La détection par des contrôles réglementaires risque d’être de plus en plus mise en échec. La prise de risques importants que comporte l’usage de techniques, même validées pour des personnes malades, chez des individus ne souffrant d’aucune maladie précise, ne saurait être négligée. Devant ces évolutions techniques et étant donnée l’organisation actuelle du sport spectacle, la question de l’homme amélioré, voire transformé, se pose avec une grave acuité chez les sportifs de très haut niveau.

Conclusion

22Le dopage a accompagné depuis trente ans le développement de l’activité sportive, en particulier dans le sport de haut niveau. Les importants enjeux politiques, économiques, médiatiques et financiers créent des environnements propices à cette dérive alors que l’éthique majoritairement exprimée par les institutions sportives continue de combattre ce qui reste présenté comme un fléau. La progression de la pharmaco-chimie et des biotechnologies a rendu le débat beaucoup plus complexe car les systèmes de contrôle toxicologique ou de surveillance biologique mis en place ne garantissent pas l’efficacité des règlementations en cours. Dans ces conditions, l’hypocrisie est souvent de mise vis-à-vis de la problématique du dopage. Toutefois, des progrès réels ont été accomplis avec la création de l’Agence mondiale antidopage (ama) et les prises de position de l’unesco. La justification de la lutte contre le dopage réside surtout dans la préservation de la santé des sportifs de haut niveau, qui doivent être considérés comme des êtres humains à part entière. L’exemplarité affichée des champions et les mécanismes psychologiques d’identification des fans et des supporters à leurs idoles sont des éléments dont l’importance ne saurait être négligée. Le fait de considérer les produits dopants comme relevant du trafic de drogues a permis l’entrée des forces de police, de douanes et de justice dans les procédures. Cette évolution récente est efficace mais peut porter atteinte à la liberté individuelle du sportif. Ces approches sont néanmoins plus légitimes que la référence à l’équité, à « l’esprit du sport », qui a été souvent mobilisée pour justifier le contrôle antidopage, en dépit des limites de ce dernier face à certains produits qui restent indétectables.

23L’intégrité du corps humain des sportifs de haut niveau peut être mise à mal par le développement des thérapies géniques et cellulaires. Nous avons démontré qu’il ne s’agissait plus désormais de science-fiction. Le problème de ces méthodes, qui ne relèvent pas de la pharmacologie, est celui de leur détection par le contrôle antidopage. Celui-ci pourrait faire ici complètement défaut ou être très complexe à mettre en œuvre, sans parler de son coût. Dès 2005, l’Agence mondiale antidopage a essayé de définir le dopage génique et cellulaire. Il s’agit de l’utilisation non thérapeutique d’éléments cellulaires, géniques ou génétiques, qui possèdent la capacité d’augmenter artificiellement la performance athlétique. Cette position pourrait bien s’avérer un vœu pieux. La frontière entre l’emploi autorisé ou interdit doit en effet être définie pour chaque application précise. Les thérapies géniques et cellulaires représentent des méthodes de traitement performantes pour les blessures aiguës, subaiguës et chroniques provoquées par la pratique du sport de haut niveau, notamment sur les muscles, les ligaments, les tendons, le cartilage et l’os. Dans ces conditions, où se situe l’utilisation non thérapeutique ? Comment des vérifications seront-elles effectuées pour repérer une infraction au règlement ? Les communautés professionnelles et scientifiques concernées par le sujet sont conscientes des difficultés à venir. Elles sont aussi convaincues que ces outils biotechnologiques permettent de modifier réellement le corps du sportif, en le réparant de façon exceptionnelle mais également en l’améliorant ou en le transformant. N’est pas champion qui veut. L’athlète de haut niveau doit disposer de capacités mentales, physiques et physiologiques qui atteignent aux limites de l’espèce et qui sont améliorées par la situation d’adaptation extrême recherchée par un entraînement intensif et spécialisé. Certaines prédispositions nécessaires relèvent du déterminisme génétique. Sans entraînement, l’individu doué qui dispose de ces qualités ne pourra pas être champion. Par contre, quel que soit l’entraînement, celui qui n’en dispose pas ne sera pas un champion [21]. L’évaluation sportive et ses différents outils sont donc indispensables. L’approche génétique prendra nécessairement place dans ce dispositif, même si la plupart des institutions sportives publiques ou privées s’en défendent [22]. Il pourrait exister cent quatre-vingt-dix gènes humains d’intérêt sportif. Ces éléments géniques repérables, par génotypage de l’adn, peuvent jouer sur la consommation maximale d’oxygène, l’efficacité cardiaque, la puissance musculaire, les caractéristiques de l’endurance mais également sur d’autres traits plus spécifiques au plan biomécanique et neurophysiologique. Le potentiel mental, cognitif et mnésique, pourrait être lui aussi concerné. La disponibilité à venir de microsystèmes analytiques va permettre le développement de la médecine personnalisée et de la médecine préemptive. Le décodage du génome des athlètes en vue d’évaluation prédictive pourra devenir une pratique réelle. Les centres de formation des sportifs de haut niveau, déjà considérés par les critiques actuels comme des usines à champions, seront sans doute concernés. L’accès aux technologies géniques et cellulaires qui visent à corriger certains défauts innés ou acquis sera utile pour corriger une perte de chance sportive. On peut craindre qu’un sportif de bon niveau ne disposant pas du potentiel requis pour être un super champion du point de vue de la génétique ne soit en mesure de réclamer une correction par transfert d’un gène d’intérêt sportif pour augmenter ses chances vis-à-vis de concurrents mieux dotés que lui initialement par la nature. La surenchère risque de devenir problématique, pour ne pas dire dévastatrice. Les réponses ne pourront pas être apportées par la seule réglementation antidopage. Des justifications éthiques devront être élaborées pour définir des propositions qui soient acceptées et acceptables par l’ensemble des parties concernées.

24Ces évolutions, si elles ne sont pas encore le fait des champions humains, s’appliquent déjà pour les champions animaux. Les thérapies géniques et cellulaires sont, on l’a vu, dans certaines indications moins agressives chez nos cousins mammifères sportifs que certains médicaments et sont déjà utilisées. La détermination génétique du potentiel sportif des chevaux et des chiens est déjà une réalité. Un premier cheval champion a été cloné récemment. Le passage à l’espèce humaine ne relève pas seulement d’une mince barrière scientifique et technologique mais avant tout d’une frontière éthique, définie selon des critères sociétaux, culturels, idéologiques et politiques. La connaissance des facteurs prédisposant à la performance fournira les cibles des modifications à obtenir quel que soit l’outil thérapeutique disponible. L’avenir immédiat est dépendant des résultats obtenus par les essais en cours dans certaines maladies musculaires par exemple. Si l’efficacité en est prouvée et si le risque est supportable, il y a fort à parier que les applications sportives deviendront tentantes. La frontière, du point de vue intellectuel, est déjà franchie. Si nous voulons coloniser l’espace à partir de notre écosystème terrestre d’origine, nous n’aurons de toute façon pas d’autres solutions que de nous modifier nous-mêmes pour supporter le voyage et revenir au port. L’application de ces technologies et le décodage génétique du sportif de haut niveau ne constituent que la cristallisation des rêves ou fantasmes de l’espèce humaine sur sa progression, sa transformation ou son amélioration dans une activité précise.


Date de mise en ligne : 25/12/2012

https://doi.org/10.3917/ccgc.005.0085

Notes

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