Notes
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[1]
L’appellation « auditeur » désigne le métier et ne fait aucune référence de genre.
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[2]
Par souci de simplification, nous remplaçons le terme de « justice organisationnelle » par celui de « justice ».
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[3]
En France, l’ambiguïté entre les logiques professionnelle et commerciale est d’autant plus singulière par l’absence de domaine de juridiction distinct ou de savoirs spécifiques pour l’auditeur. A son entrée en cabinet et même après plusieurs années, il n’est que très rarement titulaire d’un titre comptable ou membre d’un ordre professionnel (Jerman et Bourgoin, 2018).
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[4]
Exemples de business goals : connaissance du client, connaissance de son secteur d’activité, gestion de la relation client, etc.
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[5]
Un associé RH supervise les projets et les processus RH du cabinet pour sa business unit. Il est également en charge d’évaluer la performance de certains managers.
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[6]
Fourchette indicative propre au cabinet D.
Introduction
1Les risques psychosociaux sont au cœur de l’actualité et des questionnements sur le travail aujourd’hui. Ces risques d’altération de la santé mentale et physique des salariés (Vallery et Leduc, 2012) peuvent avoir des manifestations nombreuses et très diverses : fatigue, dépression, stress, burn-out, etc. Les grands cabinets d’audit représentent des organisations où ces risques peuvent être particulièrement significatifs (Beau, 2017). En 2010, la presse révèle ainsi le décès d’un manager d’Ernst & Young attribué au stress et à l’épuisement (AccountantKey, 2010).
2L’esprit de compétition et l’insécurité qui règnent dans ces organisations (Gendron et Suddaby, 2004 ; Gendron et Spira, 2010) peuvent contribuer à expliquer leur apparition. En effet, une fois intégré au cabinet, l’auditeur [1] est en compétition permanente avec les autres pour progresser au sein d’une pyramide de grades, selon le système de promotion « Up or Out » (Empson, 2001). Pour décider des passages en grade, les cabinets s’appuient notamment sur des outils de contrôle des résultats, les évaluations individuelles. Ces évaluations consistent en une appréciation, par l’auditeur lui-même et ses supérieurs hiérarchiques, de sa performance, tant sur ses réalisations que sur son comportement lors de chaque mission. Parce que les évaluations récompensent certains auditeurs et pas d’autres, elles renvoient au sentiment de justice dans l’organisation.
3Pour Langevin et Mendoza (2013), la justice organisationnelle [2] se définit comme l’ensemble des perceptions des membres d’une organisation quant à la manière plus ou moins juste dont ils sont traités. Elle comprend trois dimensions : distributive, ce que l’individu reçoit de l’organisation, les outcomes ; procédurale, la justice de la procédure qui détermine les outcomes ; et interactionnelle, le traitement de l’individu lors du déroulement de la procédure. Le sentiment de justice est considéré comme crucial pour la régulation de l’organisation. Il peut augmenter la satisfaction de ses membres (Lau et Moser, 2008 ; Sholihin et Pike, 2009), leur motivation (Manville, 2008) et leur engagement organisationnel (Wentzel, 2002), tout en réduisant les tensions interpersonnelles (Lau et Tan, 2005), l’absentéisme et le turn-over (Harder, 1992 ; Covin et al., 1993). La propension des évaluations individuelles à contribuer au bon fonctionnement de l’organisation dépend en ce sens de la façon dont elles sont utilisées et perçues comme justes sur le plan distributif, procédural ou interactionnel.
4Or, la manière dont les évaluations individuelles sont perçues comme plus ou moins justes dans les grands cabinets d’audit, n’apparaît pas clairement dans la littérature. Bien au contraire, présentées comme souvent vexantes (Guénin-Paracini et al., 2014), comme susceptibles de dégrader la réputation professionnelle de l’auditeur (Gill, 2009), elles peuvent amoindrir chez lui, le sentiment de reconnaissance quant au travail fourni. En outre, les évaluations confrontent l’auditeur à des situations ambiguës, à des logiques contradictoires (Mangen et Brivot, 2015), tout particulièrement celles opposant logiques professionnelles et commerciales (Gendron et Spira, 2009, 2010). Les normes et valeurs professionnelles de l’auditeur peuvent alors devenir incompatibles avec celles promues par l’organisation (Blau et Scott, 1962). Ces contradictions peuvent aller jusqu’à créer chez lui un conflit organisationnel-professionnel (organizational – professional conflict – OPC) (Sorensen et Sorensen, 1974), i.e. susciter des attentes inassouvies, de la frustration et du stress (Eaton, 1980). En plus de pouvoir alimenter ce type de conflits psychologiques, les évaluations peuvent exacerber les tensions et l’angoisse de l’auditeur (Brivot et Gendron, 2011), voire le maintenir dans un état de peur permanent (Guénin-Paracini et al., 2014).
5Notre objectif est ainsi d’étudier la manière dont les évaluations individuelles peuvent favoriser l’apparition de risques psychosociaux dans les grands cabinets, selon qu’elles sont perçues comme plus ou moins justes par l’auditeur. Le sentiment de justice n’est en effet ni immanent, ni monolithique. Il s’apparente davantage à une construction individuelle, définie en situation par l’auditeur, selon qu’il se confronte aux difficultés du métier et à la vie politique du cabinet. Notre question de recherche est la suivante : comment, en étant perçues comme plus ou moins justes par l’auditeur, les évaluations individuelles peuvent-elles être sources de risques psychosociaux dans les grands cabinets ?
6Pour répondre à cette question, nous avons mené une étude de cas qualitative auprès des grands cabinets d’audit du Big Four en France. Elle s’appuie sur vingt et un entretiens ainsi que sur l’étude de documentations internes et externes, codés et analysés. Le choix d’une méthodologie qualitative interprétativiste à visée compréhensive nous a permis de comprendre la réalité à l’aide des interprétations des individus, de révéler le sens qu’ils lui donnent (Van Maanen, 1979). Notre démarche ne cherche pas à alimenter un discours alarmiste sur le travail dans les grands cabinets. Nous ne négligeons pas que les évaluations individuelles puissent être sources de motivation et aider l’auditeur à s’accomplir professionnellement. Nous cherchons à comprendre comment elles peuvent favoriser l’apparition de risques psychosociaux dans certains cas.
7Notre étude contribue à la littérature de trois façons. Tout d’abord, elle participe aux recherches soulignant l’insécurité du travail dans les grands cabinets d’audit (Gendron et Suddaby, 2004 ; Gendron et Spira, 2009, 2010 ; Lupu et Empson, 2015), en montrant comment la justice perçue des évaluations individuelles peut favoriser l’apparition de risques psychosociaux. Ensuite, elle contribue aux recherches consacrées à la dimension émotionnelle du travail dans l’audit (Brivot et Gendron, 2011 ; Mueller et al., 2011 ; Guénin-Paracini et al., 2014), en montrant comment le sentiment de justice peut être utilisé par les grands cabinets pour instrumentaliser le besoin de reconnaissance de l’auditeur au service d’un engagement maximal. En ceci, notre étude permet de mieux comprendre la manière dont le sentiment de justice se construit avec les outils de contrôle (Langevin et Mendoza, 2013, 2014). Enfin, notre étude s’inscrit dans le sillage des travaux consacrés à l’identité professionnelle de l’auditeur (Grey 1994 ; 1998 ; Covaleski et al. 1998 ; Anderson-Gough et al. 2000 ; 2001 ; 2005 ; 2006 ; Kornberger et al. 2011). Elle illustre comment la trajectoire professionnelle de l’auditeur dépend de sa capacité à appréhender et à dépasser l’injustice de l’évaluation par-delà l’ambiguïté des logiques contradictoires parcourant les grands cabinets (Durocher et al., 2016). Elle montre ainsi comment son identité professionnelle se singularise par une forme de résilience et d’adaptabilité face aux situations.
1 – Contrôle des résultats, sentiment de justice et risques psychosociaux
8Dans cette première partie nous montrons l’existence d’une culture de l’élitisme dans les grands cabinets d’audit (1.1) Nous soulignons le rôle particulier qu’y jouent les évaluations individuelles et la promesse de justice qui y est associée (1.2). Nous questionnons ensuite ce point en suggérant que les évaluations individuelles peuvent également être à l’origine de risques psychosociaux (1.3).
1.1 – Une culture de l’élitisme dans les grands cabinets d’audit
9Les grands cabinets d’audit se livrent aujourd’hui une concurrence acharnée sur le plan commercial (Cooper et Robson, 2006; Spence et Carter, 2014; Chiapello, 2017), mais aussi sur l’attraction des meilleures recrues.
10Dans ces organisations à fort turn-over (Abelson et Baysinger, 1984), chaque cabinet désire attirer les meilleurs talents. Pour ce faire, les cabinets ont recours à des politiques de communication élitistes et laudatives auprès des recrues potentielles (Durocher et al., 2016). Ces politiques de communication, décrites comme une « marketization » du métier (Picard, 2016), valorisent l’élévation professionnelle offerte par l’audit, i.e. les possibilités de carrière et les salaires qui en dépendent. Elles promeuvent également des conditions de travail de qualité, où prévalent la cohésion d’équipe, l’entraide et le soutien (Durocher et al., 2016).
11Néanmoins, si les cabinets offrent des conditions de travail attractives, ils demandent en contrepartie à leurs recrues un fort engagement (Jerman et Bourgoin, 2018). Ils exigent des heures de travail importantes (Grey, 1994; Anderson-Gough et al., 2001; Lupu et Empson, 2015), un souci constant du client (Anderson-Gough et al., 2000) et une implication significative dans le réseau du cabinet (Anderson-Gough et al., 2006). L’ensemble de ces exigences forme ainsi une culture de l’élitisme dans les grands cabinets d’audit (Guénin-Paracini et Gendron, 2010; Malsch et al., 2012), caractérisée par un esprit de compétition.
12En effet, une fois intégré au cabinet, l’auditeur progresse au sein d’un système de promotion pyramidal (Empson, 2001), le « Up or Out system », où il est en compétition permanente avec les autres. Pour décider des passages en grade, les cabinets s’appuient, notamment, sur des outils de contrôle des résultats, les évaluations individuelles. Ces évaluations consistent en une appréciation, par l’auditeur lui-même et ses supérieurs hiérarchiques, de sa performance, tant sur ses réalisations que sur son comportement lors de chaque mission. Ce sont des outils de contrôle des résultats permettant aux cabinets de fixer des objectifs de performance à chaque auditeur, puis de mesurer leur atteinte pour lui attribuer ensuite une récompense ou une sanction. Parce que les évaluations récompensent certains auditeurs et pas d’autres, elles renvoient au sentiment de justice dans l’organisation.
1.2 – Sentiment de justice et évaluations individuelles
13Le sentiment de justice suscité par les évaluations individuelles est considéré comme crucial pour la régulation de l’organisation. En effet, le sentiment de justice peut augmenter la satisfaction (Lau et Moser, 2008; Sholihin et Pike, 2009), la motivation (Manville, 2008) et l’engagement organisationnel (Wentzel, 2002); réduire les tensions (Lau et Tan, 2005), l’absentéisme et le turn-over (Harder, 1992; Covin et al., 1993). Il est souvent admis que le sentiment de justice se construit autour de trois dimensions : procédurale, interactionnelle et distributive.
14La dimension procédurale correspond à la perception des individus vis-à-vis des procédures instaurées et de leur application cohérente et fidèle (Leventhal et al., 1980). En ce sens, l’une des caractéristiques d’une évaluation jugée comme juste est son formalisme, i.e. la définition précise de la manière dont la performance est fixée, mesurée et évaluée (Langevin et Mendoza, 2013). Le sentiment de justice est alors d’autant plus fort que les objectifs de l’évaluation sont clairs et définis de manière objective (Lau et Sholihin, 2005; Hartmann et Slapničar, 2009).
15Néanmoins, l’importance de l’objectivité du contrôle fait débat au sein de la littérature. Pour certains travaux, un contrôle subjectif est préférable puisqu’en intégrant des aspects qualitatifs et multidimensionnels de la performance, ainsi que l’impact de facteurs incontrôlables, il augmente le sentiment de justice (Gibbs et al., 2004; Bol, 2008; Bol et Smith, 2011). Par conséquent, une évaluation des performances subjective peut avoir tant une influence positive que négative sur le sentiment de justice qu’elle suscite chez l’auditeur. Positive, parce qu’elle peut permettre une prise en considération plus large de la performance. Négative, car elle peut rendre l’évaluation partiale et arbitraire. Le sentiment de justice de l’évaluation peut aussi s’accroître à mesure de l’utilisation de critères d’évaluation non financiers (Hall, 2008; Lau et Moser, 2008), permettant de mieux évaluer le travail réel de l’individu (Dejours, 2003; Dejours et Gernet, 2009). Cette considération plus flexible de la performance individuelle suppose alors un dialogue entre le manager et le subordonné. Faire participer les individus à la définition de leurs objectifs de performance est ainsi, estime-t-on, une des caractéristiques d’une évaluation jugée comme juste (Libby, 1999). De la même manière, la qualité du feedback reçu par l’individu sur son niveau de performance est une composante importante de la justice perçue de l’évaluation (Hartmann et Slapničar, 2009).
16La dimension interactionnelle se divise en deux catégories selon Greenberg (1993) : la justice interpersonnelle et la justice informationnelle. La première renvoie à la convenance et au respect avec lesquels l’individu est traité. La littérature considère que les individus sont très sensibles au traitement interpersonnel dont ils font l’objet lors de l’application des procédures (Bies et Shapiro, 1987). Ainsi en audit, les échanges entre l’auditeur et ses évaluateurs influencent le sentiment de justice vis-à-vis de l’évaluation. La justice informationnelle renvoie quant à elle au partage d’informations du supérieur vers le subordonné et à la franchise de ses explications. Lors des missions d’audit, cette dimension revêt une importance cruciale dans la mise en place des chaînes de vérification nécessaires à la construction des dossiers. Elle se retrouve également au cœur de la politique des cabinets, tant elle renvoie à la promesse d’élévation qu’ils portent.
17La dimension distributive intègre l’ensemble des rémunérations, primes, promotions, i.e. tous les avantages formels ou symboliques que l’individu peut percevoir de son organisation. Ces récompenses sont des motivations extrinsèques (Deci et Ryan, 2012) qui poussent l’individu, du moins en principe, à réaliser les tâches qu’on lui prescrit. Selon la théorie de l’équité (Adams, 1963), un individu se forge une opinion du degré de justice distributive à partir d’un ratio rétributions et contributions. Il évalue ses efforts déployés en fonction des récompenses obtenues, puis juge ce rapport selon son expérience personnelle et en se comparant avec les autres membres de l’organisation. Siegrist (1996) pointe aussi l’importance d’un équilibre entre les efforts réalisés et les récompenses obtenues. Les évaluations individuelles dans l’audit sont ainsi vectrices de justice distributive lorsque l’auditeur estime que les récompenses obtenues sont équilibrées par rapport au travail fourni.
18En définitive, la littérature identifie plusieurs caractéristiques d’une évaluation individuelle des performances jugée comme juste : l’utilisation de procédures formelles ou subjectives, l’intégration de critères d’évaluation non financiers, la participation de l’individu à la fixation des objectifs et la qualité du feedback reçu, le respect et la franchise lors de l’évaluation, le partage des informations, l’équilibre entre rétributions et contributions.
1.3 – Des évaluations perçues comme injustes, potentielles sources de risques psychosociaux
19Les évaluations individuelles sont souvent décrites dans la littérature comme susceptibles de mettre l’auditeur dans un état de tension et d’angoisse. Toutefois, leur propension à favoriser l’apparition de risques psychosociaux, selon qu’elles sont perçues comme plus ou moins justes, n’est pas clairement établie.
20Tout d’abord, les évaluations individuelles peuvent être déstabilisantes pour l’auditeur lorsqu’elles cristallisent les logiques contradictoires s’exprimant au sein des cabinets (Mangen et Brivot, 2015). En effet, le processus d’évaluation peut placer l’auditeur au cœur de situations ambiguës en exigeant qu’il allie performance commerciale – augmentant l’activité et la rentabilité des missions (Gendron et Spira, 2010) – et performance professionnelle [3] – en s’assurant de la qualité des audits réalisés (Cooper et Robson, 2006; Gendron et Spira, 2009). Or, ces acceptions simultanément contradictoires de sa performance peuvent confronter l’auditeur à un conflit organisationnel-professionnel (OPC) (Sorensen et Sorensen, 1974), i.e. à un écart entre ses normes et valeurs professionnelles, et celles de l’organisation. Cette situation peut alimenter des attentes inassouvies, de la frustration et du stress (Eaton, 1980) chez l’auditeur, jusqu’à pouvoir le décider à quitter l’organisation (Hall, 1967). Toutefois, ce conflit s’exprimerait différemment selon les grades. Pour Aranya et Ferris (1984) le niveau d’OPC diminue au fur et à mesure que l’auditeur progresse dans la hiérarchie car il arrive mieux à gérer les demandes contradictoires. Alors que pour Flam (1993), l’individu ne peut diminuer son sentiment d’OPC et sa souffrance au travail qu’en réduisant sa conception du travail « bien fait ». Dès lors pour certains la capacité des individus à réduire de plus en plus leur niveau d’OPC (Adler et al., 2008 ; Gunz et Gunz, 2008) se ferait au détriment de leur éthique professionnelle (Shafer, 2002 ; Suddaby et al., 2009).
21En outre, les évaluations individuelles peuvent placer l’auditeur dans un état de tension et de vulnérabilité, en exacerbant l’incertitude de sa progression hiérarchique. Présentées comme des expériences souvent vexantes (Guénin-Paracini et al., 2014), modelant la réputation professionnelle (Gill, 2009), les évaluations peuvent susciter chez l’auditeur un manque de reconnaissance quant au travail fourni. Or, le besoin de reconnaissance est un facteur essentiel de préservation de la santé mentale (Dejours et Gernet, 2009), susceptible de favoriser l’engagement organisationnel (Hall, 2008). Lorsqu’il est insatisfait, la confiance, le respect ou l’estime que l’auditeur a de lui-même ou des autres, peuvent être dégradés. De plus, en servant à positionner l’auditeur par rapport aux autres, les évaluations peuvent encore renforcer ces tensions et son angoisse (Brivot et Gendron, 2011). Pour Guénin-Paracini et al. (2014, p. 277), elles participent à une « culture de la peur », empêchant les effets d’habitude et peuvent alors inciter l’auditeur à agir dans le sens attendu des cabinets, tout au long de sa carrière.
22Or, en entretenant cette culture de la peur, les évaluations individuelles peuvent être à l’origine de l’apparition de risques psychosociaux dans les grands cabinets d’audit (Beau, 2017). Les risques psychosociaux sont les risques d’altération de la santé mentale et physique des salariés (Vallery et Leduc, 2012). Ils peuvent avoir des manifestations liées aux tensions et à l’éventuel manque de reconnaissance dont l’auditeur peut faire l’expérience : fatigue, dépression, stress, voire burn-out. Alors que les évaluations individuelles sont censées susciter de la satisfaction, de la motivation et de l’engagement organisationnel, il semble qu’elles peuvent aussi avoir une influence plus pathogène sur l’auditeur des grands cabinets. Or, la propension des évaluations individuelles à être perçues comme plus ou moins justes par l’auditeur n’a pas encore été envisagée au regard de ce décalage entre les promesses de ce mode de contrôle et l’apparition de risques psychosociaux dans l’audit. Notre étude se propose donc de répondre à la question de recherche suivante : comment, en étant perçues comme plus ou moins justes par l’auditeur, les évaluations individuelles peuvent-elles être sources de risques psychosociaux dans les grands cabinets ?
2 – Méthode de recherche
23Notre étude de cas qualitative repose sur des entretiens avec des auditeurs de tous les grades, et sur l’analyse de documentations internes et externes (2.1). L’ensemble de ce matériau empirique a été codé et analysé thématiquement (2.2).
2.1 – Collecte des données
24Notre étude a été réalisée en France au sein des quatre grands cabinets d’audit, les Big Four (notés cabinet A, B, C ou D). Ces quatre cabinets ont été étudiés ensemble car leurs activités tendent souvent à être identiques et leurs structures isomorphes (Cooper et Robson, 2006).
25Afin de comprendre les liens entre les évaluations individuelles, le sentiment de justice et les risques psychosociaux, nous avons suivi une méthodologie qualitative interprétativiste, à visée compréhensive. Cette démarche est pertinente pour étudier le sentiment de justice. En effet, cette approche permet de comprendre la « réalité » à l’aide des interprétations individuelles, pour révéler le sens que les individus lui donnent ainsi que leurs motivations (Van Maanen, 1979). Ceci nous a permis de faire émerger des données qui sont des interprétations de la réalité, subjectives et contextuelles (Kaufmann, 2011).
26Au total, 21 entretiens ont été réalisés avec des auditeurs, selon deux phases distinctes dans le temps. La première a permis d’interroger douze auditeurs ainsi qu’une directrice des ressources humaines. Au cours de cette première collecte, nous avons privilégié l’étude des auditeurs appartenant aux « staffs » (de junior 1 à senior 2), i.e. représentatifs de la population des cabinets et pour lesquels l’évaluation joue un rôle primordial dans l’ascension professionnelle. Cette première collecte de données (phase 1), qui s’est déroulée de septembre 2014 à juillet 2015, nous a permis d’étudier des auditeurs à différents stades du processus d’évaluation et de leur carrière. Nous avons complété cette première collecte d’entretiens en réalisant neuf entretiens supplémentaires auprès d’auditeurs plus expérimentés. Cette deuxième phase de collecte (phase 2) s’est déroulée entre novembre 2017 et mars 2018. De cette manière, nous avons pu élargir notre échantillon à des auditeurs plus accoutumés au processus d’évaluation, souvent évalués et devenus eux-mêmes évaluateurs.
27En outre, parmi l’ensemble des auditeurs interrogés, huit sont d’anciens auditeurs au moment de la réalisation de l’entretien. Ceci nous a permis d’accéder à leur expérience des évaluations individuelles, « libérée » des enjeux de promotion interne et de la vie politique du cabinet.
28Nos vingt et un entretiens ont duré entre 40 minutes et 2 heures. Leur durée moyenne est de 63 minutes. Tous les entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits. Dans le tableau 1, nous détaillons les caractéristiques des personnes interrogées en précisant la phase de collecte lors de laquelle nous les avons rencontrées.
Caractéristiques des entretiens et personnes interrogées
Caractéristiques des entretiens et personnes interrogées
29Tous les entretiens ont été réalisés selon un guide d’entretien (Grawitz, 2001). Notre guide débutait par des questions introductives, visant à mettre à l’aise la personne et à obtenir des éléments de contexte. Nous précisions à cet instant que toutes les informations collectées resteraient anonymes. Il était primordial que la personne interrogée soit certaine que ni son nom, ni même celui de son cabinet, ne seraient exposés. Ces prérequis ont permis d’instaurer un climat de confiance propice à un échange libre et sincère.
30Puis nous interrogions la personne à travers des questions focalisées sur le processus d’évaluation individuelle (dispositif utilisé, rôle des différents acteurs, ressentis) ainsi que sur son état psychologique. Au final, par cette démarche en deux temps, il nous a été possible d’apprécier la complexité du sentiment de justice chez l’auditeur aux différents niveaux de sa progression hiérarchique et de son expérience. Le nombre et la variété des entretiens réalisés ont permis de collecter des données nombreuses et de les comparer entre elles. Ceci nous permet d’atteindre une certaine « généralisation analytique », par opposition à la « généralisation statistique » (Yin, 2003), pour comprendre les liens entre le sentiment de justice et l’apparition de risques psychosociaux.
31En outre, afin de comprendre en pratique le déroulement du processus d’évaluation et de saisir les spécificités de ses outils, nous avons collecté un ensemble de documents d’évaluation et de feuilles de temps. Pour saisir les attentes et exigences des cabinets vis-à-vis des auditeurs nous avons également recueilli des documents de formation interne. Enfin, pour connaître la manière dont sont gérés les risques psychosociaux, nous avons obtenu un ensemble de documentations de communication interne réalisées par les ressources humaines au sein d’un des cabinets. Nous présentons les caractéristiques plus détaillées de cette documentation interne dans le tableau 2.
Documentation interne analysée
Nature du document | Nombre de pages |
---|---|
Trois documents d’évaluation à la fois remplis par l’auditeur et son évaluateur : mise en évidence des performances obtenues et des axes d’amélioration. | 9 |
Feuille de temps remplies par l’auditeur à destination des RH indiquant le nombre d’heures passées par semaine en mission et hors mission et présentant le taux de « chargeabilité » de l’auditeur par semaine. | 24 |
Neuf documents de formation à destination des auditeurs juniors : objectifs à atteindre et organisation, comportements en mission et hors mission. | 252 |
Documentation de communication interne des RH à destination des auditeurs visant à sensibiliser aux risques psychosociaux intitulé « mieux travailler ensemble ». | 16 |
Documentation interne analysée
32Enfin, dans une optique de triangulation et afin d’intégrer à notre réflexion la communication externe des cabinets sur le processus d’évaluation et les problématiques de risques psychosociaux, nous avons également collecté leurs rapports RSE et rapports de transparence pour les années 2013, 2014 et 2015.
2.2 – Analyse des données
33Afin d’exploiter les données contenues dans nos entretiens, nous les avons tous retranscrits puis analysés thématiquement (Bardin, 2001). Nous avons repéré les thèmes récurrents afin de catégoriser nos données selon des groupes de phrases rassemblées en fonction du sens donné par les auditeurs et de notre interprétation compréhensive. Pour exploiter nos données, nous nous sommes appuyés sur la méthode de « comparaison systématique » de Lincoln et Guba, (1985). Nous avons comparé des extraits de texte entre eux (retranscriptions des entretiens, extraits des documents internes et externes). En cas de similarité, nous avons regroupé ces extraits au sein de catégories provisoires. Ainsi, nous avons progressivement découpé le contenu de nos entretiens, des documents internes et externes, en unités d’analyse (groupes de phrases) que nous avons ensuite regroupées et codées au sein de catégories de sens (Bardin, 2001). Nous avons condensé nos données sous forme de catégories afin d’apprécier l’importance des thèmes dans le discours en formalisant les relations qu’ils entretiennent entre eux (Allard-Poesi et Maréchal, 2007).
34Pour réaliser notre codage nous avons utilisé le logiciel NVivo 11. En créant des catégories au sein de « nœuds », nous avons peu à peu élaboré une arborescence liant les catégories entre elles comme le détaille la figure 1.
Codage de l’étude représentation de l’arborescence NVivo
Codage de l’étude représentation de l’arborescence NVivo
35Nous avons défini comme premiers nœuds de codage les trois dimensions du sentiment de justice : « justice procédurale », « justice interactionnelle » et « justice distributive ». Au sein de ces premiers nœuds, nous avons regroupé nos verbatim en fonction de sous-catégories. Il s’agissait à ce niveau d’exploiter nos données c’est-à-dire de comprendre les différentes composantes du sentiment de justice. Un second niveau d’analyse a ensuite été effectué pour relier ces catégories aux risques psychosociaux qu’elles peuvent susciter. Ce deuxième niveau de codage nous a permis de mettre en évidence les liens entre le sentiment de justice et les risques psychosociaux. Notre codage s’est achevé lorsque l’analyse est parvenue à saturation, c’est-à-dire lorsque les nouvelles unités d’analyse pouvaient être immédiatement classées dans des catégories existantes (Miles et Huberman, 2007).
36À partir de cette étape, nous avons commencé notre montée en abstraction afin de passer du monde empirique au monde théorique (Angot et Milano, 2007). Nous avons simplifié nos catégories afin de transformer nos données « brutes » en concepts théoriques. Nous avons ainsi traité et interprété nos données pour mettre en évidence les manifestations individuelles des risques psychosociaux induites par un manque de justice de l’évaluation.
37Les vingt et un entretiens réalisés nous ont permis d’accéder à un matériau empirique dense, représentant une diversité de situations. Comme pour toute recherche qualitative, ils sont nécessairement une réduction de la richesse et de la diversité des situations vécues par les auditeurs. Les données empiriques présentées ont été retenues en raison de leur pertinence pour comprendre les liens entre le sentiment de justice et l’apparition de risques psychosociaux. Des verbatim additionnels pour chaque partie de l’analyse sont présentés en annexe 1.
3 – Présentation du cas : les évaluations individuelles dans les grands cabinets d’audit
38Dans cette partie, nous présentons les caractéristiques des évaluations individuelles dans les grands cabinets. Nous montrons que par leur conception, elles sont susceptibles de susciter un sentiment de justice chez l’auditeur, sur les plans procédural, interactionnel et distributif.
39Une fois intégré au cabinet, l’auditeur est en compétition permanente avec les autres pour progresser au sein d’une pyramide de grades, selon le système de promotion « Up or Out » (Empson, 2001). Pour décider des passages en grade, les cabinets s’appuient sur des outils de contrôle des résultats, les évaluations individuelles. Pour les cabinets, ces évaluations ont pour objectif de « remettre la carrière, l’employabilité et les compétences du collaborateur au centre du dispositif en mesurant ses progrès. » et non de « mesurer et [de] noter la performance, [ce qui peut être] source de stress » (Rapport RSE 2014, Cabinet A). Elles reposent sur une procédure formelle et identique pour tous, promesse de justice procédurale. Un auditeur senior nous confie que cette procédure le rassure.
« Comme à l’école, c’est très scolaire. Moi franchement ça me rassure, je ne te le cache pas, savoir où je vais. […] Nous, on fait le travail, on est jugés comme ayant rempli les performances, on passe au grade supérieur, on a l’augmentation de salaire qui va en face. »
41Comme le souligne cet auditeur, à ce sentiment de justice procédurale se raccroche celui de justice distributive. En proposant à chaque auditeur un même cadre, les évaluations individuelles leur promettent une certaine équité professionnelle, selon laquelle un travail bien fait est justement récompensé. Comme nous l’explique un associé, cette promesse de récompense est un facteur de motivation important.
« C’est très normé dans les grands cabinets. Le système d’évaluation est très formalisé. Finalement le fait de dire après chaque mission il y a une évaluation, après chaque saison, il y a un rendez-vous annuel, après chaque rendez-vous annuel il y a une promotion ou pas, avec un certain nombre de passages de grade. Ça scande la vie, la carrière, ça donne une trajectoire, un but à chacun. Il faut que je passe au grade supérieur, il faut que je sois bien évalué. Si je fais bien mon boulot, je serai récompensé. »
43À cet égard, un manager nous décrit l’exercice des évaluations individuelles comme un moyen de retrouver chaque fois la motivation nécessaire pour repartir en mission.
« Ce qui est plutôt bien fait, on a un système d’évaluation qui fait que tous les trois quatre mois on remet un peu de charbon dans la locomotive et on peut repartir motivés. »
45Tout au long de l’année, au fil des missions et en s’appuyant sur les évaluations individuelles, la performance de l’auditeur est ainsi évaluée selon un même calendrier, comme le détaille la figure 2.
Cycle d’évaluation de la performance (d’après une diapositive de formation, documentation interne)
Cycle d’évaluation de la performance (d’après une diapositive de formation, documentation interne)
46Le cycle d’évaluation s’articule selon trois temps marquants : la « fixation des objectifs », « l’entretien individuel de performance » et les « comités d’évaluation ».
47La « fixation des objectifs » individuels débute en octobre, selon un processus participatif. Pour se fixer ses objectifs, l’auditeur est aidé de son « Performance Manager ». Le Performance Manager (encore appelé people manager ou parrain selon les cabinets) est un manager RH, i.e. un manager opérationnel auquel des responsabilités RH sont déléguées, notamment celle d’accompagner la carrière d’une vingtaine d’auditeurs. D’après la documentation RH à destination des nouvelles recrues du cabinet B, son rôle est d’« instaurer un échange permettant de personnaliser la fixation d’objectifs et de conseiller en fonction des besoins individuels ». Un manager RH souligne l’importance de cette responsabilité.
« Le manager RH a un rôle primordial dans la carrière des auditeurs. On les aide, on les oriente. On leur fait bénéficier de notre expérience, parce qu’on parle le même langage. C’est pas comme les RH dans les entreprises… »
49Dans ce cabinet, l’auditeur doit se fixer jusqu’à « 6 business goals » en lien avec les objectifs de sa business unit et du cabinet, ainsi que jusqu’à « 3 development goals » qui lui « permettent de développer ses compétences » (compétences linguistiques, diplôme d’expertise comptable, etc.). Les business goals [4] doivent être définis en fonction des grilles d’évaluation comportementales et techniques du cabinet. Pour chaque grade, des compétences spécifiques sont attendues. Pour fixer ces objectifs, la dimension participative de l’évaluation est clé. Nos résultats indiquent que la subjectivité de l’évaluation est accentuée par la similarité d’expériences entre l’auditeur et son performance manager. La proximité construite avec le performance manager est alors conçue comme un moyen de rendre l’évaluation moins stressante et plus juste pour l’auditeur, comme l’exprime un senior.
« Mon performance manager a fait exactement le même travail que moi il y a dix ans. Il a la connaissance du terrain, des relations, il sait comment ça se passe en ‘off’. Il a connaissance des associés. Si lui-même est bien vu par les associés, tu sais très bien que c’est une écurie quoi, ses poulains seront protégés. »
51L’« entretien individuel de performance » réunit à nouveau l’auditeur et son performance manager. Il se déroule deux fois par an, au milieu (avril) et en fin d’année (octobre). Le performance manager doit donner à l’auditeur un « feedback constructif et structuré sur la période écoulée » ce qui doit participer au sentiment de justice interactionnelle. En effet, ces entretiens sont décrits comme un « moment dédié au conseil et au coaching » ainsi qu’un « point d’étape sur l’évaluation des performances et l’avancement des objectifs » (documentation interne cabinet C). Lors de ces entretiens, la performance de l’auditeur et l’atteinte de ses objectifs sont jugées sur la base de ses évaluations de fin de mission et de ses feuilles de temps.
52Pour chaque mission excédant un certain nombre d’heures (de dix à quarante selon les cabinets), l’auditeur initie son évaluation sur son espace personnalisé dans la plateforme intranet du cabinet. Cette évaluation se décompose en trois rubriques : la performance réalisée (les résultats de la mission et les savoir-faire acquis), les capacités comportementales (les savoir être mobilisés) et une synthèse de la mission (enjeux, spécificités du client, etc.). Chaque rubrique se subdivise en deux : une appréciation rédigée par l’auditeur sur sa propre performance, et son commentaire par ses supérieurs de mission (senior et manager). La figure 3 présente un exemple de formulaire d’évaluation utilisé dans le cabinet B.
Extrait formulaire d’évaluation (source interne cabinet B)
Extrait formulaire d’évaluation (source interne cabinet B)
53Pour chacun des critères d’évaluation, l’auditeur s’autoévalue en s’attribuant soit une note, comprise entre 1 et 4, soit une lettre en fonction du cabinet. Il conclut son évaluation en identifiant des axes d’amélioration. Sur cette base, son supérieur direct au cours de la mission fournit à son tour une appréciation de la performance de l’auditeur. Pour l’auditeur junior, l’évaluation est complétée par une appréciation supplémentaire, celle du manager en charge de la mission. Pour les cabinets, ce formalisme doit permettre d’évaluer les auditeurs sur des bases identiques et objectives, promesses de justice procédurale. Un associé confirme cette intention.
En plus des évaluations de mission, l’entretien individuel analyse l’activité de l’auditeur à travers ses feuilles de temps (timesheets). En effet, pour chaque mission, l’auditeur doit renseigner le nombre d’heures « chargées », i.e. le nombre d’heures travaillées facturées au client. Un taux de chargeabilité est ensuite calculé en divisant le nombre d’heures chargées par le nombre d’heures « chargeables », i.e. les huit heures légales par jour travaillé. La figure 4 fournit un exemple de timesheet utilisée dans le cabinet B.« Les évaluations veulent créer une certaine objectivité. On est quand même dans un Big 4, on veut créer des standards et ces standards viennent des États-Unis. Toutes les grilles d’évaluation sont en anglais. […] Ça permet d’évaluer tout le monde sur les mêmes bases. »
Exemple de Timesheet (source interne cabinet B)
Exemple de Timesheet (source interne cabinet B)
54Les « comités d’évaluation » concluent le cycle d’évaluation. Ils se réunissent deux fois par an (mai et novembre) et se composent de l’ensemble des managers RH et des associés RH [5]. Ils décident des passages en grade et de l’attribution des primes. À partir des évaluations et des entretiens individuels, ils classent les auditeurs selon un système de notation, s’exprimant sous forme de lettre ou de chiffre en fonction des cabinets. L’existence de ce classement doit permettre d’évaluer les auditeurs les uns par rapport aux autres et de rétribuer leurs performances justement. Le tableau 3 détaille ce système.
Système de notation utilisé lors des comités d’évaluation [6]
Système de notation utilisé lors des comités d’évaluation [6]
55Si les augmentations de salaire ne sont pas nécessairement explicitées, l’échelle d’évaluation est présentée à l’auditeur dès son séminaire d’intégration (les deux premières semaines de formation et d’intégration des auditeurs juniors), comme le montre la figure 5.
Échelle d’évaluation des performances (documentation interne)
Échelle d’évaluation des performances (documentation interne)
56Dans leur conception, les évaluations individuelles semblent par conséquent susceptibles de susciter chez l’auditeur un sentiment de justice, tant sur le plan procédural (formalisme, participation et subjectivité), interpersonnel (feedback) que distributif (grades, augmentations salariales, primes).
4 – Résultats : évaluations individuelles, sentiment de justice et risques psychosociaux
57Dans cette partie, nous montrons que les évaluations individuelles, en dégradant le sentiment de justice de l’auditeur, peuvent être sources de risques psychosociaux. Ceci s’explique par : le difficile respect et suivi de la procédure d’évaluation en pratique (4.1) ; l’émergence d’un contrôle normatif des comportements supplantant le contrôle des résultats (4.2) ; et l’incertitude des récompenses (4.3).
4.1 – Suivi de la procédure, manque de fiabilité de l’évaluation et injonctions paradoxales
58S’il est prévu que l’auditeur initie son évaluation puis reçoive les commentaires de ses supérieurs, cette procédure ne semble pas toujours fidèlement respectée. Un auditeur junior peut ainsi faire corriger son autoévaluation par son senior, qui peut lui-même demander l’aval du manager avant de rédiger son propre commentaire. Au final, tous les commentaires peuvent s’écrire de concert comme l’explique un ancien superviseur.
« Chacun doit remplir de son côté en aveugle, mais en pratique tout ceci circule. Il n’est pas rare que le senior fasse valider son commentaire par le manager avant même qu’il soit publié, ou a posteriori, que le manager module son discours en fonction du commentaire du senior. »
60De plus, il semble que certains managers ou associés n’accordent pas suffisamment de temps aux évaluations des équipes, comme le confie un associé.
« Moi je suis un « jeune » associé, donc j’ai toujours connu ce système d’évaluation. J’essaye de bien le faire, de respecter les délais. Mais les associés qui sont un peu plus âgés sont moins alertes sur tout ce qui est outil informatique on va dire… »
62Cette liberté prise dans l’application de la procédure d’évaluation altère autant son formalisme que sa fidélité, i.e. sa propension à révéler ce qui a été bien ou mal fait en mission. A tous les grades, la qualité du feedback peut alors s’en trouver diminuée à cause de commentaires trop généraux, impersonnels ou influencés par ce que l’auditeur estime être des biais subjectifs. En donnant l’impression d’être finalement biaisée, cette application de la procédure peut alimenter un doute chez l’auditeur sur la fiabilité et la justice des évaluations. Un auditeur nous confie l’angoisse que cela peut créer.
« Souvent les évaluations sont très générales… Tu sais pas trop ce qu’on pense vraiment de toi… […] C’est pas évident d’évaluer ta performance du coup ça peut être assez angoissant, pour les passages. »
64Cette angoisse est en outre renforcée par l’utilisation du taux de chargeabilité. Si l’auditeur doit en principe renseigner toutes les heures travaillées sur un dossier, il n’est pas rare en pratique qu’il doive s’en remettre à son manager pour connaître le nombre d’heures à imputer (Agoglia et al., 2015). Un ancien senior nous explique que les managers avec lesquels il a travaillé, ont toujours exigé qu’il minimise le nombre d’heures déclarées.
« Ça sert à voir si le manager dégage de la marge sur la mission […] C’est le manager qui te dit « sur cette mission tu ne charges que 8h », alors que tu as fait réellement 14h ! […] J’ai toujours mis 8h même quand je bossais le week-end. Je n’ai jamais eu un manager qui m’a dit « non non tu charges au réel » »
66Ce comportement s’explique par la position délicate du manager, qui doit articuler performance commerciale et performance professionnelle. En effet, il doit veiller à la qualité de l’audit réalisé – i.e. s’assurer que tout le travail nécessaire a bien été effectué – tout en valorisant la rentabilité de la mission – i.e. minimiser le nombre d’heures travaillées par rapport aux heures facturées. Un manager RH confirme la difficulté à faire coexister ces contraintes.
« Bien sûr, s’ils ont travaillé douze heures il faut mettre douze heures, car nous, on a besoin d’avoir les temps au réel pour évaluer la rentabilité du dossier et les ressources à mobiliser. Mais avant de le faire, il faut vérifier… Si le manager n’est pas d’accord et qu’il veut qu’on charge huit heures même si c’est douze, en principe ils doivent dire non, qu’il faut le faire au réel… En principe. »
68Cette tension est exacerbée par les attentes de l’associé. Ce dernier est en effet responsable légalement de la mission, à la fois de la mise en œuvre de tous les moyens nécessaires à son mandat et de la rentabilité commerciale du dossier pour le cabinet (Barrainkua et Espinosa-Pike, 2015). Le manager doit alors articuler les exigences de l’associé avec la perception des équipes sur la pertinence des efforts à réaliser.
69Du grade de junior à celui de manager, l’auditeur expérimente ainsi une situation de double contrainte (Argyris, 1977). L’utilisation du taux de chargeabilité par le cabinet le confronte à des injonctions paradoxales. Du grade de junior à celui de senior, l’auditeur doit avoir beaucoup d’heures chargées pour être jugé « performant ». Mais dans le même temps, il doit se conformer aux directives de son manager cherchant à minimiser le nombre d’heures chargées (Pierce et Sweeney, 2004; Sweeney et Pierce. 2004). Au grade de manager, l’auditeur doit cette fois s’assurer que toutes les vérifications nécessaires ont été réalisées, quel que soit le nombre d’heures travaillées, pour un audit de qualité. Mais dans le même temps, il doit maximiser la rentabilité de la mission, i.e. minimiser les moyens utilisés. Aux différents moments de la carrière de l’auditeur, ces injonctions contradictoires peuvent alors aller jusqu’à lui donner l’impression d’être prisonnier d’un « cercle vicieux ».
« Si tu charges moins [d’heures], ensuite ils vont te reprocher d’être moins chargé, ensuite ils vont te dire c’est pour ça que ta notation est moins bonne. C’est des cercles vicieux et tu n’as pas trop la main dessus. »
71En étant prisonnier de ce cercle vicieux, l’auditeur peut avoir le sentiment d’être au final évalué par un système injuste. Ce sentiment peut alors remettre en cause le sens qu’il porte à son travail et à sa mission. N’ayant parfois pas le temps de réaliser un travail de qualité, ni l’occasion de saisir l’intérêt des problématiques sur lesquelles il travaille, cette situation peut dégrader la motivation de l’auditeur. Un ancien senior nous confie comment en le conduisant à minimiser le temps passé sur les dossiers, l’utilisation du taux de chargeabilité a eu finalement raison de sa motivation.
« Vu les contraintes qu’on a… vu le temps qu’on doit passer… des fois la qualité de ce qu’on rend… On fait ce qu’on peut quoi ! […] Moi je n’en pouvais plus de cette situation, c’était trop dur à vivre. C’est pour ça que je suis parti. »
73La difficile application de la procédure d’évaluation, l’ambiguïté du taux de chargeabilité et les injonctions paradoxales qui en découlent, peuvent en définitive altérer la dimension procédurale du sentiment de justice. Confronté en pratique à l’incertitude et à l’angoisse, l’auditeur peut voir diminuer sa motivation et le sens qu’il porte à son travail. Cette dégradation du sentiment de justice des évaluations individuelles chez l’auditeur peut favoriser l’apparition de risques psychosociaux.
4.2 – Relations affinitaires, effets de réputation et contrôle normatif des comportements
74En plus de la dimension procédurale, la dimension interactionnelle du sentiment de justice suscité par les évaluations individuelles, peut être dégradée.
75Tout d’abord, la justice interactionnelle des évaluations individuelles est intimement liée au rôle du performance manager. Afin de pouvoir compter sur un soutien impartial et juste, l’auditeur doit en principe ne jamais avoir travaillé avec son performance manager. Cependant, il arrive fréquemment que l’auditeur ait déjà travaillé avec ce manager, voire que ce dernier soit son supérieur hiérarchique. Pour un ancien senior, cette situation est même fréquente à mesure du temps passé au sein du cabinet et de la progression hiérarchique.
« Des fois il y a des gens qui se retrouvent devant leur chef. […] tu as tellement travaillé avec des gens qu’il n’y a plus personne qui peut être indépendant… ».
77Même lorsque l’auditeur ne travaille pas directement avec son performance manager, son manager en mission peut être de la même « promotion de classe » que ce dernier. Dès lors, l’auditeur sait que s’il critique à un moment son manager, il court le risque que cette remarque lui soit directement répétée. De cette proximité, les relations affinitaires entre les managers peuvent interférer dans le processus d’évaluation. Plus précisément, elles peuvent déformer le rôle d’allié et de soutien impartial dévolu au performance manager. Cette situation peut poser problème en menaçant la circulation de l’information entre l’auditeur et son performance manager, notamment au cours de l’entretien individuel de performance. Un senior confie ainsi l’impossibilité de remonter à cette occasion les difficultés liées au management de ses missions.
« Les managers c’est une promo, donc si toi tu critiques ton chef, il va faire quoi le mec ? Il va aller voir ton manager et il va lui dire tout ce que tu lui as dit ! Donc on n’a aucune manière de remonter l’information. »
79Cette situation peut menacer la relation de confiance qui doit unir l’auditeur et son performance manager lors de l’entretien individuel. Mais pour que l’auditeur lui maintienne durablement sa confiance, le performance manager doit aussi démontrer son influence lors des comités d’évaluation. En effet, si chaque performance manager participe à ces comités, tous n’y ont pas la même influence. Un senior nous explique que son performance manager est puissant et qu’il a donc confiance en lui.
« Chaque performance manager ne défend pas son pool de staff de la même façon, c’est un peu la roulette. Il y a des chouchous. Moi mon performance manager est plutôt puissant […] il est prêt à se battre pour moi, à défendre mon bonus. […] A ce niveau-là il y a un peu d’injustice. Ce n’est pas forcément juste, j’ai des collègues qui ont des bonus plus bas que les miens simplement parce qu’ils ont des performance managers pas très influents, et ce n’est pas forcément mérité. »
81La confiance qui unit l’auditeur à son performance manager est donc à double sens. Pour avoir confiance, l’auditeur doit pouvoir tout dire à son performance manager et le considérer en même temps comme « influent » lors des comités d’évaluation. Or, parce que tous les performance managers ne peuvent pas être influents, certains auditeurs seront mieux traités que d’autres. Cette disparité de traitement est alors en mesure de dégrader la dimension interactionnelle du sentiment de justice. Même arrivé au grade de manager, un auditeur nous explique ainsi souffrir de ne pas toujours bénéficier du même soutien de la part de ses associés lors des comités.
« Il y a des associés tu sais que même si tu te défonces pour eux, derrière ils ne prendront pas ta défense. Il y en a qui sont réputés pour ne pas défendre, d’autres qui sont au contraire réputés pour être de très bons soutiens. »
83En outre, l’existence d’effets de réputation peut aussi altérer la dimension interactionnelle du sentiment de justice. Parce qu’ils sont difficilement contrôlables, ces effets de réputation peuvent être stressants pour l’auditeur. Un senior confie ainsi son obsession et son angoisse de méconnaître les informations qui circulent sur lui en « off ».
« L’évaluation est tellement officieuse que les gens sont très attentifs aux regards subjectifs de leurs collègues, de leurs supérieurs hiérarchiques. Lorsque l’on entend quelque chose, on a l’impression d’avoir accès à une information privilégiée… ».
85Ces informations « off » sont précieuses pour l’auditeur en venant compenser les effets du difficile respect et suivi de la procédure d’évaluation décrite précédemment. En effet, aux premiers grades, l’auditeur peut par ce moyen s’informer sur les perceptions de sa performance et estimer son appréciation globale, i.e. sa capacité à progresser dans les grades et à obtenir primes ou avantages. Parvenu au grade de manager, ces informations deviennent véritablement cruciales en permettant à l’auditeur de s’insérer dans la vie politique du cabinet. Elles lui précisent les forces en présence, ses soutiens et ses adversaires. Elles traduisent une influence grandissante de l’informel au fur et à mesure de sa progression hiérarchique (Dirsmith et Covaleski, 1985). Un associé confirme.
« Pendant les quatre ou cinq premières années, l’évaluation se fait sur la façon de travailler, la façon d’être etc. En revanche quand on vise le management group et ensuite associé, c’est davantage des enjeux politiques. »
87De ces effets de réputation et des jeux politiques qui en découlent, de la prégnance de l’informel dans la progression hiérarchique de l’auditeur, émerge un contrôle normatif des comportements en parallèle des évaluations individuelles. Celui-ci exige de l’auditeur qu’il soit en permanence visible, i.e. « présent » en mission comme en dehors des missions. Il faut respecter la « norme », i.e. comprendre que partir « tôt » peut nuire à sa réputation, tout autant que de ne pas participer suffisamment aux événements du cabinet (pots d’entreprise, déjeuners, semaines d’intégration, séjours sportifs…) (Anderson-Gough et al., 2005, p. 482). L’auditeur mesure alors qu’en n’étant pas suffisamment présent lors de ces événements, il risque de manquer des possibilités d’évolution, et ce, en dépit des aptitudes et compétences professionnelles qui lui sont reconnues dans ses évaluations. Un senior cite ainsi l’exemple d’un superviseur n’étant pas devenu manager pour cette raison.
« Si tu n’es pas corporate, c’est plutôt difficile de progresser. J’ai l’exemple d’un superviseur, qui était plutôt bon avec ses équipes, plutôt bon manager dans ses relations, aussi bon techniquement. Malheureusement, le fait qu’il ne fasse pas assez d’actes de présence lors de pots, qu’il ne soit pas assez visible, clairement c’est quelque chose qui a joué en sa défaveur pour son passage manager. On lui a fait comprendre qu’il allait rester assistant manager et du coup ça l’a amené à démissionner. »
89Ce présentéisme et ce souci constant d’être suffisamment visible créent le sentiment d’une surveillance mutuelle permanente, en plus de l’évaluation tout au long de l’année. Ceci peut être porteur de stress, d’angoisse et de pression pour l’auditeur, par crainte de ne pas se comporter comme attendu. Cet engagement significatif de l’auditeur dans son métier peut ainsi profondément déstabiliser l’équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. En étant mobilisé psychologiquement en permanence au service du cabinet, l’auditeur peut éprouver des difficultés à se détacher de la pression du métier. Les cabinets semblent d’ailleurs conscients de ce phénomène. La Figure 6, extraite d’une documentation des ressources humaines à destination des auditeurs, caricature la manière dont les auditeurs se moquent de départs estimés prématurés (ici 19h30). Si ce dessin cherche à sensibiliser au respect des équilibres de vie, il témoigne de l’importance et de l’influence de cette surveillance mutuelle sur l’état psychologique de l’auditeur.
Extrait « Respect des équilibres de vie » (documentation interne RH)
Extrait « Respect des équilibres de vie » (documentation interne RH)
90Tout particulièrement, cette surveillance peut alors dégrader la dimension interactionnelle du sentiment de justice chez l’auditeur. En effet, alors que les cabinets revendiquent avoir développé « un mode de travail plus souple et plus flexible en favorisant le résultat au présentéisme. » (Rapport RSE 2014), il ressort que le contrôle normatif des comportements supplante le plus souvent le contrôle des résultats. Cette dégradation du sentiment de justice de l’évaluation est capable de déconnecter les exigences professionnelles de l’auditeur (qualité du travail fourni, succès de la mission) des attentes organisationnelles portées par le contrôle des comportements (présence, visibilité). Ce conflit peut se manifester dès les premiers grades en détériorant le sentiment de reconnaissance.
« C’est aberrant, pour moi c’est le travail que tu rends à la fin qui compte ! En audit non pas du tout, tu peux rendre un travail moyen, et être très bien vu si tu es resté tard, mais par contre rendre un bon travail, mais si tu es parti plus tôt, ça ne sera pas du tout valorisé ! »
92Chez l’auditeur plus expérimenté et accoutumé au processus d’évaluation, ce conflit est présenté comme une contrainte du métier à laquelle il faut s’adapter. Même s’il reconnaît l’injustice de ce double contrôle, un manager le décrit comme une souffrance inhérente au fonctionnement du cabinet.
« Certes ce n’est pas juste mais les gens sont au courant des méthodes d’évaluation… S’ils ne font pas en sorte de se bouger pour être auprès des bonnes personnes, c’est leur problème ! C’est peut-être un peu dur ce que je vais dire, mais c’est la compétition. C’est à eux de faire avec le système qui est ce qu’il est. Chacun doit tirer son épingle du jeu même si c’est dur. »
94Les relations affinitaires et la confiance liant l’auditeur à son performance manager, les effets de réputation et le contrôle normatif des comportements, peuvent en définitive dégrader la dimension interactionnelle du sentiment de justice. Ils exacerbent l’insécurité de la position et le stress de l’auditeur, en renforçant ses doutes sur sa connaissance et sa maîtrise de tous les aspects du processus d’évaluation, i.e. de la manière dont ses performances seront jugées et reconnues au final.
4.3 – Récompenses matérielles, symboliques et psychologiques perçues comme insuffisantes
95Cette incertitude peut être alors amplifiée par un déficit de justice distributive découlant d’un certain manque de récompenses matérielles, symboliques et psychologiques.
96Tout d’abord, les récompenses matérielles promises par les grands cabinets semblent souffrir de la crise économique de 2008. Pour les auditeurs rencontrés lors de notre étude, le système « Up or Out » semble au ralenti depuis cette date et le turn-over au grade de manager plus faible. En conséquence, l’auditeur expérimenté peut rencontrer des difficultés importantes à quitter le cabinet pour des opportunités équivalentes à celles qu’il pouvait espérer auparavant. Ceci peut se traduire par une importante désillusion, le sentiment de s’être « sacrifié » inutilement pendant plusieurs années. A tel point, que l’auditeur expérimenté peut parfois finalement refuser de quitter le cabinet, tant il estime que ses années dans l’audit doivent être justement récompensées. Dans ce contexte, les récompenses des évaluations individuelles peuvent être instrumentalisées par les cabinets pour favoriser les départs, notamment en augmentant les redoublements de grade. Un senior explique.
« L’année dernière, puisqu’on est toujours en période de crise, on a fait redoubler la moitié de la promo. Tu sais que tu as des gens qui ont redoublé qui n’étaient pas forcément moins bons que d’autres, donc là les évaluations ont joué. »
98Ces sanctions peuvent paraître injustes à l’auditeur et renforcer son stress durant les missions, comme le confie un senior.
« Dès qu’il y a une mission qui se passe mal, tu penses tout de suite à ton passage ! Tu te dis que c’est peut-être compromis. ».
100Elles peuvent même aller jusqu’à démotiver l’auditeur.
« Il y a clairement une démotivation. […] Si tu prends mes camarades de promo qui ont redoublé l’année dernière, ils ne sont pas très motivés. »
102En outre, les récompenses matérielles des évaluations individuelles peuvent aussi être instrumentalisées à travers les baisses inexpliquées des augmentations de salaire et des primes. Ceci contribue à dégrader le sentiment de justice distributive chez l’auditeur, jusqu’à altérer même le moral des équipes. Un senior souligne tout particulièrement l’effet d’une conférence organisée par les ressources humaines à ce sujet.
« Du coup, je me suis retrouvé à toucher quelques fois le même salaire que mes assistants. […] Le RH a dit lors d’une conférence « si vous n’êtes pas contents, vous savez où se trouve la porte ». Ce discours a fait le tour du cabinet et derrière, il y a eu des départs à la pelle ! »
104Si les récompenses matérielles jouent un rôle crucial dans la motivation aux premiers grades, les récompenses plus symboliques semblent prévaloir chez l’auditeur plus expérimenté. Un manager explique ainsi accorder plus d’importance à l’intérêt de ses dossiers qu’à sa rémunération.
« La motivation financière ce n’est pas ce qui fait la différence pour moi. C’est plus le fait d’accéder à des dossiers qui me plaisent, de pouvoir aussi dire non quand y’a des dossiers qui m’intéressent pas. Je me dis que s’ils prennent en compte mon intérêt, ma volonté, c’est qu’ils misent sur moi d’une certaine manière. C’est plus dans ce sens-là. C’est plus symbolique et c’est ce qui m’a fait rester. »
106En plus de motiver dans la durée une carrière en audit, ces récompenses symboliques renvoient au sentiment de reconnaissance chez l’auditeur. Un manager pointe son importance tout au long de son parcours.
« Moi j’ai eu de la chance d’avoir des gens au-dessus de moi qui ont toujours été bienveillants, inspirants et reconnaissants. »
108Pourtant, ce constat n’est pas nécessairement unanime. Une directrice des ressources humaines atteste ainsi que le manque de reconnaissance reste une source de stress importante en audit.
« Dans ce que je vois de la manière dont sont utilisées les évaluations, une des sources premières de stress c’est l’absence de reconnaissance. Le fait de ne pas suffisamment reconnaitre la performance des équipes. ».
110Ce déficit de reconnaissance suscité par les évaluations individuelles peut alors dégrader la dimension distributive du sentiment de justice chez l’auditeur. Or, le sentiment de ne pas voir son travail reconnu peut revêtir des conséquences psychologiques importantes (Dejours et Gernet, 2009). Un senior évoque le cas d’un collègue poussé à la dépression à force de critiques et de brimades dans ses évaluations.
« J’ai un collègue qui a fait une dépression à cause de ça [des évaluations]. […] ils ont complétement détruit son amour propre, son ego. Mais c’est vrai qu’en audit, quand on te dit que tu es nul ou quoi, il ne faut pas le prendre pour toi. Il faut relativiser. ».
112Enfin, ce manque de récompenses symboliques peut être aggravé par un déficit de récompenses psychologiques. S’il est compréhensible que l’auditeur junior ait en permanence à s’améliorer pour être récompensé, les évaluations individuelles peuvent renvoyer à l’auditeur plus expérimenté l’impression de ne jamais en faire assez pour le cabinet. La pression est permanente, voire de plus en plus importante à mesure de la progression hiérarchique, comme l’expliquent ces managers.
« Plus je montais dans la hiérarchie plus ça [le système d’évaluation] devenait pesant. J’avais le sentiment de rentrer dans un cercle vicieux, de ne rester qu’au nom de cette hiérarchie. Mon seul espoir c’était d’augmenter en grade. Je donnais tout, simplement pour des titres, qui ne veulent rien dire au final… »
« Même arrivé au stade de manager, on subit encore la pression des associés. […] Parfois je m’interroge, ça fait presque sept ans que je fais ce métier et je ne suis toujours pas tranquille, et je ne sais pas si je le serai un jour… ».
115Le propos de ce manager ne doit alors pas tromper. En souhaitant être « tranquille », il aimerait en réalité être détaché de la pression permanente et de l’insécurité du travail du cabinet. Cette récompense psychologique, la sécurité espérée aux grades les plus élevés, semble pourtant illusoire, voire impossible. En effet, même arrivé au grade de manager ou d’associé, la performance et le comportement de l’auditeur continuent d’être en permanence évalués (Kornberger et al., 2011). Un ancien associé confirme en particulier la pression commerciale constante exercée par les quartiers généraux des cabinets.
« Quand j’ai quitté le cabinet, c’était la stratégie 2020, multiplier par deux le chiffre d’affaires en 5 ans … Ce n’était pas quelque chose qui avait été décidé par les associés français. C’est top down, la stratégie arrive, il faut la délivrer et si on ne la délivre pas il y a des têtes qui tombent. »
117Des récompenses matérielles, symboliques et psychologiques perçues comme insuffisantes peuvent diminuer la dimension distributive du sentiment de justice chez l’auditeur. Si cette situation peut susciter une certaine désillusion ou de la démotivation, elle perturbe l’équilibre entre efforts et récompenses chez l’auditeur. Elle peut alors accroître son stress en rendant les évaluations individuelles toujours plus incertaines. Elle participe en ce sens à l’apparition de risques psychosociaux.
5 – Discussion et contributions
118Nous montrons que la justice perçue des évaluations peut être chez l’auditeur à l’origine d’insécurité favorisant l’apparition de risques psychosociaux (5.1) et instrumentalisée pour susciter son engagement maximal (5.2). La capacité à dépasser le caractère plus ou moins juste des évaluations devient le moyen pour l’auditeur de progresser hiérarchiquement en dépit des logiques contradictoires parcourant les grands cabinets (5.3).
5.1 – Évaluations individuelles, sentiment de justice dégradé et insécurité
119Par-delà l’image impassible du professionnel comptable, notre étude approfondit la dimension émotionnelle du travail dans l’audit (Brivot et Gendron, 2011; Mueller et al., 2011; Guénin-Paracini et al., 2014). Tout d’abord, selon qu’elles sont perçues comme plus ou moins justes par l’auditeur, notre étude montre que les évaluations individuelles peuvent entretenir un climat d’insécurité.
120En effet, les évaluations peuvent rapidement ne plus apparaître à l’auditeur comme le moyen fiable de construire sa progression et son élévation professionnelle au sein du cabinet. Elles ne sont alors plus reconnues comme un feedback formel et objectif sur sa performance, mais comme le résultat de logiques affinitaires propres à la vie politique du cabinet, porteur d’angoisse (Guénin-Paracini et al., 2014), voire de désillusion (Mueller et al., 2011). Cette perception est renforcée par la découverte progressive que les relations directes de l’auditeur avec son performance manager comptent autant dans son évaluation finale, que les rapports de pouvoir entre les managers RH participant aux comités d’évaluation. Selon nous, ces logiques peuvent lui suggérer de façon trop visible que des biais subjectifs difficiles à comprendre et à contrôler, déterminent son évaluation. Cette découverte peut alimenter chez l’auditeur une remise en cause du feedback reçu, jusqu’à pouvoir créer en lui le sentiment d’être « seul » face à sa hiérarchie, comme le souligne déjà la littérature (Dirsmith et al., 1997; Covaleski et al., 1998; Brivot et Gendron, 2011). Notre étude montre ainsi comment cette remise en cause de l’évaluation peut amenuir la confiance que l’auditeur lui porte.
121En outre, l’auditeur perçoit qu’un contrôle normatif des comportements peut supplanter le contrôle des résultats et son feedback formel. L’auditeur pointe l’importance d’un feedback informel, i.e. d’une réputation héritée de la manière dont il se comporte au sein du cabinet. Cette perception renvoie aux jeux de visibilité et de présentéisme déjà identifiés dans les grands cabinets (Dirsmith et al., 1997; Grey, 1998; Anderson-Gough et al., 2000). Mais surtout elle montre comment les rumeurs, « bruits de couloir » et autres conversations informelles (Dirsmith et al., 1997; Brivot et Gendron, 2011) atteignent profondément l’auditeur. En effet, notre étude montre que ce feedback informel, souvent perçu comme arbitraire et subjectif, peut renforcer un état de stress symptomatique du climat d’insécurité au sein du cabinet. Même si les formes de la politique et des jeux de réputation (Kornberger et al., 2011) varient des grades de junior aux grades plus élevés, la progression hiérarchique exacerbe ce climat d’insécurité.
122De plus, ce climat d’insécurité est entretenu par le manque de contrôlabilité du taux de chargeabilité utilisé dans l’évaluation des performances individuelles. Si l’auditeur débutant doit maximiser ce taux pour valoriser son temps de travail, ses managers lui demandent souvent simultanément de le minimiser. Cette injonction paradoxale participe à mettre l’auditeur sous tension au service de la rentabilité du cabinet (McNair, 1991) dès les premiers grades, en plus de dégrader la justice perçue des évaluations individuelles. Notre étude montre ainsi comment elle peut être à l’origine d’une forme de résignation, de perte de sens ou de démotivation intrinsèque, tant l’auditeur perçoit qu’il ne peut pas satisfaire à toutes ces demandes simultanément.
123Enfin notre étude participe aux recherches sur les conflits organisationnel-professionnel (OPC) (Sorensen et Sorensen, 1974). En effet nous montrons qu’au fur et à mesure de la progression en grade, la confrontation des logiques économiques et professionnelles peut confronter les managers et associés à ce type de conflit notamment lorsque l’exigence de rentabilité du cabinet contredit leur appréciation personnelle du travail « bien fait » et de la qualité des vérifications d’audit. L’OPC apparaît potentiellement créateur de risques psychosociaux tant cette situation peut engendrer du stress, de l’angoisse voire trahir les valeurs personnelles des individus. Si la littérature montre alors que pour réduire leur niveau d’OPC les auditeurs revoient à la baisse la qualité de leur travail (Flam, 1993) ou leur éthique professionnelle (Shafer, 2002 ; Suddaby et al., 2009), nous montrons que cette situation agit sur les risques psychosociaux de deux manières. Réduire le niveau d’OPC peut permettre de diminuer temporairement le stress et l’angoisse des auditeurs mais peut ensuite dégrader le sens qu’ils donnent à leur travail et la satisfaction qu’ils en retirent. Dès lors si la réduction de l’OPC semble pouvoir s’accompagner de celle des risques psychosociaux, cette situation n’est que temporaire. En effet, il apparaît plutôt que la problématique psychologique bascule du stress, de l’angoisse vers la perte de sens, d’intérêt et de satisfaction au travail.
5.2 – Précarité subjective et instrumentalisation
124Parce qu’il évolue dans un climat d’insécurité et est en permanence confronté à la peur de l’échec (Guénin-Paracini et al., 2014), l’auditeur peut se retrouver dans une situation que Linhart (2011) nomme « précarité subjective ». Cette précarité découle de l’utilisation des évaluations individuelles par les cabinets pour perpétuellement remettre en question l’auditeur et ses performances. En effet, notre étude montre que les évaluations confrontent l’auditeur à des injonctions paradoxales et des objectifs contradictoires. Elles peuvent être à l’origine d’une angoisse (Guénin-Paracini et al. 2014, p. 277), d’un stress important en l’empêchant de se fier complètement aux injonctions de performance et procédures d’évaluation. En ce sens, les évaluations individuelles s’apparentent à ce que Chauvey (2010) nomme un « dispositif de contrôle ambigu », potentiellement déstabilisateur pour l’auditeur. En étant confronté à des objectifs ambigus, en devant faire l’objet de critiques récurrentes, l’auditeur peut avoir le sentiment d’être chroniquement inefficace. En ce sens notre étude montre que ce sentiment de précarité subjective participe non seulement à sa peur permanente de l’échec identifiée par Guénin-Paracini et al. (2014) mais altère également son estime professionnelle et personnelle. Cette précarité, et les risques psychosociaux qu’elle peut susciter, peut être également renforcée par l’incertitude, ou plus après la déception, entourant les récompenses matérielles, symboliques et psychologiques distribuées par les cabinets.
125De plus, notre étude suggère qu’avec les évaluations individuelles, les cabinets peuvent instrumentaliser le besoin de reconnaissance et les envies d’élévation de l’auditeur (Grey, 1994 ; Lupu et Empson, 2015). Les évaluations semblent alimenter dans certains cas un discours vexatoire, cherchant à susciter les départs volontaires pour préserver l’équilibre du « Up or Out ». Le sentiment d’être interchangeable (Gendron et Spira, 2009), les pressions éventuelles à la démission, s’apparentent à des formes d’instrumentalisation du besoin de reconnaissance de l’auditeur. Dans ce cas, les évaluations favorisent son désengagement au service de l’équilibre financier du cabinet. De même, en fixant à l’auditeur des objectifs toujours plus ambitieux, voire inatteignables, tout au long de sa carrière, les évaluations instrumentalisent aussi ses envies d’élévation. Les évaluations peuvent ainsi favoriser son engagement maximal au service de la rentabilité du cabinet, ce qui peut participer à des situations d’épuisement physique et mental. En ce sens, la propension des évaluations individuelles à susciter l’apparition de risques psychosociaux selon qu’elles sont perçues comme plus ou moins justes par l’auditeur, se dessine en miroir de la culture de l’élitisme des grands cabinets.
5.3 – Évaluations individuelles, sentiment de justice et identité professionnelle
126Notre étude contribue également aux recherches consacrées à l’identité professionnelle de l’auditeur (Grey, 1994; 1998 ; Covaleski et al., 1998 ; Anderson-Gough et al., 2000 ; 2001 ; 2005 ; 2006; Kornberger et al., 2011; Jerman et Bourgoin, 2018).
127Tout d’abord, nous montrons que les évaluations individuelles, selon qu’elles sont perçues comme plus ou moins justes, permettent de distinguer les auditeurs en fonction de la nature de leurs motivations – extrinsèques et intrinsèques – pour façonner leur trajectoire au sein du cabinet. En effet, la motivation de l’auditeur des premiers grades est souvent essentiellement extrinsèque, i.e. mue par l’argent, la qualification et le statut (Gill, 2009, p. 13). Lorsqu’elles s’accompagnent de redoublements, d’une absence d’augmentation ou de bonis paraissant injustes à l’auditeur, les évaluations individuelles peuvent alors décourager ce type de motivation. S’il reste au cabinet et progresse à travers les grades, c’est que l’auditeur continue de bénéficier des récompenses du cabinet par ses performances reconnues comme exceptionnelles, ou c’est qu’il possède des motivations plus intrinsèques. L’intérêt porté aux dossiers, le sens donné à sa mission, le goût du travail « bien fait », sont autant de motivations qui permettent à l’auditeur de progresser dans la pyramide des grades, malgré d’éventuelles déceptions liées aux récompenses extrinsèques. En mobilisant les motivations extrinsèques et intrinsèques de l’auditeur, le sentiment de justice accompagne son travail identitaire.
128Néanmoins, au fur et à mesure de sa progression hiérarchique de l’auditeur, et par la coexistence de logiques contradictoires au sein des cabinets (Mangen et Brivot, 2015), notamment celle opposant logiques professionnelle et commerciale (Coffey, 1994; Cooper et Robson, 2006) ce sentiment de justice peut s’altérer. En effet, en se basant sur des critères plus subjectifs et sur une prise en compte de la rentabilité financière des missions, les évaluations individuelles de l’auditeur parvenu au grade de manager peuvent dégrader son sentiment de justice. S’ajoutant à l’angoisse du métier, ceci peut conduire l’auditeur expérimenté à rompre avec le cabinet. Mais l’auditeur peut aussi y rester lorsqu’il parvient à trouver des compromis entre le sens de son action et de son professionnalisme (McNair, 1991; Brierley et Cowton, 2000), i.e. lorsqu’il réussit à résoudre ce conflit organisationnel – professionnel (Aranya et Ferris, 1984).
129Par conséquent, dans un contexte où son identité professionnelle est en proie à de multiples déstabilisations (Gendron et Suddaby, 2004, p. 20; Gendron et Spira, 2010), la capacité de l’auditeur à composer avec le sentiment de justice suscité par les évaluations individuelles apparaît comme une composante clé de son travail identitaire. Il ressort de nos observations que l’auditeur se singularise aussi par sa résilience et une certaine élasticité dans son adaptation constante aux difficultés du métier, à ses nouveautés et à ses contraintes (Jerman et Bourgoin, 2018). Notre étude suggère ainsi que cette capacité est peut-être aussi une forme d’habitus ou de préférence, commune aux individus capables de progresser dans les grands cabinets, en plus des caractéristiques socio-culturelles déjà identifiées par la littérature (Malsch et Gendron, 2013; Spence et Carter, 2014; Lupu et Empson, 2015).
6 – Conclusion
130Dans cette recherche, nous étudions la manière dont les évaluations individuelles peuvent favoriser l’apparition de risques psychosociaux dans les grands cabinets, selon qu’elles sont perçues comme plus ou moins justes par l’auditeur. Il est important de rappeler ici que nos résultats ne cherchent pas à promouvoir un discours alarmiste sur le travail dans les grands cabinets. Nous nous proposons plutôt d’aider à mieux comprendre comment l’utilisation des évaluations individuelles peut contribuer à l’apparition de risques psychosociaux. En ce sens, notre étude souligne autant la vulnérabilité de l’auditeur qu’elle rend compte de ce qui fait sa force. Parce que les grands cabinets d’audit sont considérés comme représentatifs du travail dans nos sociétés modernes (Cooper et Robson, 2006), notre étude ouvre en définitive à une prise en compte plus systématique de l’influence des dispositifs de contrôle sur les individus et leur attachement à l’organisation. Elle caractérise l’apparition de risques psychosociaux comme l’un des revers des images élitistes de réussite individuelle promues par les organisations.
Remerciements
Je tiens à remercier chaleureusement la professeure Aude Deville ainsi que les deux réviseurs anonymes pour leurs remarques pertinentes et leurs suggestions constructives qui m’ont permis d’améliorer sensiblement ce manuscrit.Données empiriques additionnelles
Nœuds de codage | Verbatim | |
---|---|---|
Justice procédurale | Incertitude |
|
Sens au travail |
| |
OPC |
| |
Pression |
| |
Justice interactionnelle | Réputation |
|
Présentéisme |
| |
Subjectivité |
| |
Justice distributive | Reconnaissance |
|
Désillusion |
| |
Démotivation |
|
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Notes
-
[1]
L’appellation « auditeur » désigne le métier et ne fait aucune référence de genre.
-
[2]
Par souci de simplification, nous remplaçons le terme de « justice organisationnelle » par celui de « justice ».
-
[3]
En France, l’ambiguïté entre les logiques professionnelle et commerciale est d’autant plus singulière par l’absence de domaine de juridiction distinct ou de savoirs spécifiques pour l’auditeur. A son entrée en cabinet et même après plusieurs années, il n’est que très rarement titulaire d’un titre comptable ou membre d’un ordre professionnel (Jerman et Bourgoin, 2018).
-
[4]
Exemples de business goals : connaissance du client, connaissance de son secteur d’activité, gestion de la relation client, etc.
-
[5]
Un associé RH supervise les projets et les processus RH du cabinet pour sa business unit. Il est également en charge d’évaluer la performance de certains managers.
-
[6]
Fourchette indicative propre au cabinet D.