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Article de revue

La diffusion d’information financière aux salariés dans trois entreprises sidérurgiques françaises (1945-1982) : une lecture bourdieusienne

Pages 9 à 37

Notes

  • [1]
    Notre traduction.
  • [2]
    Notre traduction.
  • [3]
    Notre traduction.
  • [4]
    Le terme « gestion des ressources humaines » apparaît au milieu des années 1980 (y compris en France), avant cette période, on utilise le terme de gestion du personnel.
  • [5]
    Notre traduction.
  • [6]
    Créée en 1953, cette organisation était une émanation de l’OECE. (Organisation Européenne de Coopération Économique).
  • [7]
    Loi n° 46-1065 du 16 mai 1946 tendant à la modification de l’ordonnance du 22 février 1945 instituant des comités d’entreprise. Journal Officiel – 17 mai 1946, p. 4251.
  • [8]
    En 1966, les informations en matière économique sont étendues lors des licenciements économiques.
  • [9]
    Les comités d’entreprise sont instaurés en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il s’agit d’une institution représentative du personnel qui doit être informée de la situation économique de l’entreprise et consultée sur les grandes décisions de l’entreprise (notamment lorsqu’elles ont un impact sur l’emploi).
  • [10]
    Une présentation détaillée des sources mobilisées est indiquée en annexe 1.
  • [11]
    Cette opération a été réalisée avec le logiciel N*Vivo. Les items de codage sont présentés en annexe 2.
  • [12]
    Le lecteur intéressé par l’actualité de ce programme et de cette déclaration pourra consulter respectivement Hessel (2010) et Supiot (2012).
  • [13]
    Après 1982, l’expert-comptable du CE se verra reconnaître un droit de communication plus étendu, identique à celui du Commissaire aux Comptes.
  • [14]
    EAV5001, AAMF.
  • [15]
    EAV5001, AAMF.
  • [16]
    La société a alors la forme d’une commandite par actions.
  • [17]
    Notamment le compte d’exploitation et l’inventaire des stocks (0135Z0001, AFB).
  • [18]
    EAV50014, AAMF.
  • [19]
    SS0988, AFB.
  • [20]
    01MDL0075, AFB
  • [21]
    EA122071, AAMF.
  • [22]
    SS0988, AFB.
  • [23]
    EAV122074, AAMF.
  • [24]
    PV de la réunion extraordinaire du CCE du 08/11/1978 d’Usinor. EA122073, AAMF.
  • [25]
    Embryon de l’Union Européenne, formée en 1952 entre l’Allemagne, la France, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.
  • [26]
    0135Z0001, AFB.
  • [27]
    0135Z0001, AFB.
  • [28]
    Confédération Française Démocratique du Travail.
  • [29]
    Préambule de la constitution du 27 octobre 1946.
  • [30]
    EA122070, AAMF.
  • [31]
    EAV50014, AAMF.
  • [32]
    EA122071, AAMF.
  • [33]
    PV du CCE de la SAC, juin 1963, SS0988, AFB.
  • [34]
    Comité Central d’Entreprise.
  • [35]
    EAV50010, AAMF
  • [36]
    PV du CCE d’Usinor – 20 juin 1978, EA122073, AAMF.
  • [37]
  • [38]
  • [39]
    Quand Bourdieu parle de violence symbolique, il renvoie à l’intériorisation, par les agents, de la domination sociale inhérente à la position qu’ils occupent dans un champ donné et plus généralement à leur position sociale.
  • [40]
    Il serait intéressant de nous poser la question de savoir si les managers sont conscients ou non du caractère doxique de leur discours, c’est-à-dire s’ils sont sincèrement persuadés de ce qu’ils disent ou non. Il nous paraît a priori vraisemblable que les deux situations se rencontrent, mais dans des proportions que seule une étude empirique pourrait révéler. Un tel travail nous éloignerait néanmoins de notre propos.
  • [41]
    Ces derniers n’ont en effet pas les moyens (ou ne se les donnent pas) d’élaborer leur propre système d’information.

1La diffusion des travaux de l’école des relations humaines, dans les années 1930 et surtout après la Seconde Guerre mondiale, avait incité de nombreux universitaires à examiner la question de la diffusion d’information financière aux salariés. De façon concomitante, sur le plan politique, les mouvements sociaux de l’après-guerre en Europe traduisaient une réelle aspiration à la démocratie économique (Supiot 2012) et par conséquent à la diffusion d’information aux salariés (DIS par la suite). Cette question est donc devenue, dans la seconde moitié du XXe siècle, un thème de réflexion récurrent dans la littérature comptable universitaire.

2Dans certains pays comme la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, le législateur s’est saisi de la question pour rendre obligatoire la diffusion par les entreprises de certaines informations financières aux représentants des salariés. En France, c’est la création en 1945 d’instances de concertation entre les employeurs et les salariés (les comités d’entreprise, dorénavant CE) qui a imposé la diffusion d’information financière aux représentants des salariés.

3D’une pratique managériale délibérée et rare avant la Seconde Guerre mondiale (Lewis et al. 1984, p. 276), la diffusion d’information comptable et financière aux salariés est donc passée au stade d’obligation légale dans quelques pays industrialisés.

4À en juger par le nombre de publications sur le sujet, cette question a connu un nouveau regain d’intérêt dans les années 1970 (Lewis et al., 1984) bien que, selon ces auteurs (p. 281), les questionnements n’aient pas évolué.

5Dans une période plus récente, le référentiel IAS-IFRS a désigné les investisseurs comme étant les destinataires privilégiés de l’information comptable et financière (Aglietta et Reberioux 2005 ; Chiapello et Medjad 2009 ; Burlaud et Colasse 2011). En cela il rompt avec la volonté d’informer l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, défendue en particulier par les référentiels comptables allemand et français.

6Du côté des organisations syndicales les discours sont dissonants. Selon Ogden et Bougen (1985, p. 222), l’utilité de l’information comptable pour les syndicats pose un dilemme : « d’un côté, … cela réduirait l’avantage comparatif dont jouit la direction dans les négociations en étant le seul détenteur de l’information. … D’autre part, cependant, en utilisant les informations comptables divulguées par la direction, les syndicats seraient exposés à l’idéologie implicite d’une telle information [1] ».

7Dans le monde universitaire non plus, les discours ne sont pas à l’unisson, comme nous le montrerons plus loin (section 1).

8Les dirigeants d’entreprises, eux aussi, sont face à un dilemme récurrent en matière de divulgation d’information financière aux salariés et à leurs représentants. Soit ils ne divulguent pas d’information financière et ils se privent de dialogue social, soit ils divulguent de telles informations et ils prennent le risque de voir ces informations utilisées contre ce qu’ils estiment être les intérêts de l’entreprise. D’après l’enquête qu’ils avaient menée auprès des employeurs australiens à la fin des années 1970, Hussey & Craig (1980, 45) avaient recensé sept avantages de la DIS : « amélioration des relations sociales et des relations publiques, promotion d’une culture d’entreprise, réduction de l’hostilité des salariés, meilleure compréhension de la nature du profit et du rôle de l’actionnaire, réduction des fausses informations » [2]. Immédiatement après, ces auteurs s’interrogeaient néanmoins. « Étant donné qu’il y a tant d’avantages potentiels dans la diffusion d’information aux salariés, il est pertinent de se demander pourquoi toutes les entreprises ne la pratiquent pas ? [3] »

9Toutes ces dissonances et ces dilemmes disparaissent curieusement dans les manuels destinés à l’enseignement comme dans les revues de vulgarisation. Tout semble se passer comme si tous ces débats ne pouvaient intéresser ou concerner le grand public. Il en ressort un apparent consensus considérant que diffuser de l’information aux salariés et à leurs représentants est a priori une bonne pratique de gestion, signe de modernité et de rapports sociaux pacifiés.

10Pour appréhender les pratiques managériales, nous avons observé, dans trois grands groupes sidérurgiques français pour la période 1945-1982, la diffusion d’information aux comités d’entreprise. En effet, dans le système de relations industrielles français, par ses attributions économiques, le CE est le récepteur pour les salariés des informations financières, même si une diffusion d’information directe aux salariés s’est développée par le truchement des revues internes par exemple (Floquet et Nikitin 2015).

11Il apparaît que ces pratiques sont très largement en contradiction avec les discours des manuels et des revues de vulgarisation. Le poids économique des entreprises observées, la longueur de la période d’observation et la variété des contextes (conjoncture favorable, crise, restructuration, croissance, etc.) nous permettent de disposer d’un assez large panorama de ces pratiques. Nos observations sont tirées des archives très riches de ces trois groupes, ainsi que de travaux de recherche d’ampleur, déjà conduits sur le fonctionnement des comités d’entreprise de ces trois groupes (Combe 1969). Par l’analyse des procès-verbaux des réunions du comité d’entreprise, nous montrons la quasi-absence de volonté de diffusion d’information financière aux représentants des salariés de la part des directions. Ces dernières ne dépassent jamais le niveau de divulgation qui leur est imposé par la loi, hormis à de rares occasions et uniquement de manière opportuniste.

12Dès lors, pour rendre compte du décalage persistant qui existe entre les discours managériaux dominants et les pratiques des managers, nous avons cherché une explication théorique dans les travaux de Pierre Bourdieu. Nous considérons en effet que l’affirmation selon laquelle « la diffusion d’information aux salariés est une bonne pratique » constitue une doxa, au sens que Bourdieu donne à ce terme, c’est-à-dire une affirmation communément admise sans discussion ni examen, « un point de vue particulier, le point de vue des dominants, qui se présente et s’impose comme point de vue universel » (Bourdieu 1994, p. 129). En tant que telle, elle a deux fonctions : d’une part, elle rend la communication possible entre managers et salariés, et en cela un tel « lieu commun » porte bien son nom ; d’autre part, elle permet de maintenir la domination des managers sur les salariés en créant l’illusion, chez ces derniers, que la démocratie industrielle est un objectif réaliste sur lequel ils doivent se mobiliser. L’intérêt de cet article est donc d’élucider ce qui peut apparaître comme un paradoxe, en nous fondant sur la réflexion théorique de Pierre Bourdieu.

13Ainsi, notre étude vise à mieux comprendre les pratiques en matière de diffusion d’information aux salariés à la suite des travaux de Craig et Hussey (1982) ou encore de Lewis et al. (1984) tout en proposant une explication théorique originale à l’instar des travaux de Ogden et Bougen (1985).

14Selon deux angles de vue différents, les deux premières sections de cet article essaient d’apporter une réponse à la question « À quoi sert la diffusion d’information financière aux salariés ? ». Si l’on s’en tient à ce dit la doctrine, telle qu’on la trouve présentée dans les manuels, dans les discours « officiels » des managers et dans un document de l’OECE (Organisation Européenne de la Coopération économique) en 1956, la DIS est une pratique souhaitable qui sert à augmenter l’implication des salariés et est donc de nature à améliorer les performances de l’entreprise. Ce discours est relayé par les études de certains chercheurs, même si quelques voix dissonantes peuvent se faire entendre (section 1). À l’inverse, si l’on observe les pratiques des managers dans le contexte de la sidérurgie française de 1945 à 1982, la DIS ne sert à rien et peut même être contreproductive ; c’est en effet une pratique que les managers limitent au minimum légal, sauf en de très rares occasions et de façon opportuniste (section 2).

15Enfin, si l’on adopte une démarche théorique pour tenter de comprendre la contradiction entre les deux précédentes sections, nous défendons le point de vue selon lequel le maintien du discours dominant (i.e. la DIS est une bonne pratique) répond à deux objectifs : d’une part, il permet la communication entre les partenaires sociaux, et d’autre part, il contribue au maintien de la domination managériale (section 3).

1 – Selon la doctrine, la diffusion d’information financière vise à améliorer les performances de l’entreprise

16Dans cette partie, nous cherchons à montrer que la diffusion d’information, si l’on s’en tient à ce que dit la doctrine entre 1945 et 1982 (i.e. les manuels, les revues professionnelles, les réflexions d’instances internationales comme l’OECE ou l’OIT, et une partie des discours académiques), peut être considérée comme une bonne pratique managériale qui permet d’accroître l’engagement des salariés et in fine la performance de l’entreprise. Décrire la doctrine en matière de diffusion d’information aux salariés nous permettra ensuite de la confronter à notre analyse empirique dans le contexte managérial de l’après-guerre. Comme nous le montrons, ces années sont marquées par une promotion de cette pratique. On en retrouve les traces dans les revues, les discours patronaux, les manuels, les débats législatifs.

17Autrement dit, il existe une acceptation quasi-générale du principe selon lequel une entreprise doit diffuser de l’information aux salariés. Cet impératif naît au milieu du XXe siècle, il est renforcé par la légitimité offerte par le courant Human Resource Management dans le milieu des années 1980 même si certains travaux en remettent en cause la légitimité ou le bien-fondé.

1.1 – Naissance d’une bonne pratique

18À partir de la seconde moitié du XXe siècle, les auteurs de l’École des relations humaines (Mayo, 1933) se sont intéressés à des formes alternatives à la coercition pour contrôler les salariés (Ogden et Bougen, 1985), un consensus semble émerger dans la sphère managériale considérant la diffusion aux salariés d’information comme une bonne pratique. Dès lors, elle est promue par les manuels de gestion du personnel [4]. Cette pratique doit permettre de créer un climat de confiance mutuelle (Finlay et al. 1954, p. 104), de pacifier les relations industrielles (Northcott 1960, p. 62-63), si bien que dès 1948, 91 % des entreprises américaines indiquent qu’elles disposent d’un journal d’entreprise (étude du National Industrial Conference Board citée par Bellows 1954, p. 115). La question du type d’information à diffuser n’est pas oubliée. Ainsi, la crainte de diffuser des données utiles à la concurrence tend à expliquer la non-diffusion de certaines informations financières (McFarland 1968).

19Au-delà des manuels de gestion du personnel, les études de Lewis et al. (1984) sur le cas anglo-saxon et de Floquet (2012) sur le cas français montrent que la diffusion d’information aux salariés est promue par la presse managériale. Cette pression explique que dans les années 1970 au Royaume-Uni « l’un des changements importants dans la reddition des comptes a été la diffusion d’information sur la situation financière de l’entreprise aux salariés » [5] (Purdy 1981, p. 327).

20L’ensemble des pays européens semblent à l’unisson sur cette nécessité d’informer les salariés, comme en témoigne la conférence organisée à Rome en janvier 1956 (OECE 1956) par l’Agence Européenne de Productivité [6] sur le thème des « Relations humaines dans l’industrie ». L’un des principaux objectifs de cette agence « est de convaincre les chefs d’entreprise et les travailleurs des avantages de la productivité et de les conduire à collaborer à son développement » (préambule). Dans ce document, la diffusion d’informations aux salariés est présentée comme une pratique souhaitable, inévitable contrepartie de l’implication demandée aux salariés dans l’effort de productivité.

21Cette bonne pratique est également promue par certains milieux patronaux, notamment le Centre des Jeunes Patrons et est ainsi conceptualisée dans une réforme globale du mode de gestion de l’entreprise (Sudreau 1975) sous la forme, par exemple, d’une mise en place d’une démocratie industrielle (Bloch-Lainé, 1963) ou du pancapitalisme (Loichot 1966).

22S’il existe en effet une promotion de la diffusion d’information aux salariés, elle s’explique et se renforce par l’environnement politique et législatif des Trente Glorieuses.

23Ainsi, au Royaume-Uni, Burchell et al. (1985) montrent que les changements dans le système de relations industrielles à partir des années 1960 ont conduit les syndicats et les gouvernements à soutenir la diffusion d’information aux salariés. En France, le débat semble tranché dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. En effet, le programme du Conseil National de la Résistance prévoit à la libération un nouvel ordre économique. Ce programme est confirmé, d’ailleurs, à un niveau international lors de la création de l’Organisation Internationale du Travail par la Déclaration de Philadelphie, le 10 mai 1944. En pratique, les comités d’entreprise, élus par les salariés, se voient conférer des attributions économiques, ils doivent disposer d’informations financières fournies par l’entreprise et peuvent se faire assister d’un expert indépendant. La diffusion d’information financière en France devient donc une obligation légale dès 1945 dans les entreprises de plus de 50 salariés. D’un point de vue réglementaire, en France, les obligations de diffusion sont fixées définitivement en 1946 [7] et resteront identiques jusqu’au Lois Auroux (1982). Durant cette période, les tribunaux ne sont pas sollicités pour régler d’éventuels litiges, si bien que la jurisprudence en matière de diffusion d’information aux salariés est assez faible, tout comme l’évolution de la réglementation [8]. L’adoption des lois Auroux et le renforcement du rôle de l’expert-comptable du comité d’entreprise ouvriront la voie à une juridicisation de la question (Floquet 2012).

24Dans la sphère managériale, la diffusion d’information s’impose donc comme une bonne pratique, reste à lui adjoindre une légitimité scientifique.

1.2 – Des interprétations universitaires plus nuancées

25Avant de devenir une bonne pratique de GRH au milieu des années 1980, la diffusion d’information aux salariés a d’abord été traitée par les recherches en relations industrielles. En utilisant des approches mesurant les coûts et les avantages liés à la diffusion d’information (Foley et Maunders 1977) ou se fondant sur la théorie des jeux (Elias 1990), les recherches prescrivent la diffusion d’information qui doit permettre de mener des négociations collectives plus efficaces et sur des bases rationnelles (Foley et Maunders 1977 ; Palmer 1977 ; Pope et Peel 1981 ; Elias 1990).

26À partir des années 1980, les approches en ressources humaines semblent avoir éclipsé les travaux en relations industrielles (Guest 1995).

27Sous l’impulsion de l’École des relations humaines, l’approche HRM apparaît comme un cadre conceptuel qui relie des choix de politique de ressources humaines à des résultats attendus et des conséquences à long terme (Guest 1987). Ainsi, une politique de ressources humaines doit permettre d’accroître l’engagement des salariés qui, par voie de conséquence, améliorera la performance. Beer et al. (1985) identifient cette dimension comme centrale dans le management des ressources humaines : le salarié engagé étant plus satisfait, plus productif et plus polyvalent. Dans cette perspective, la diffusion d’information aux salariés et aux représentants de salariés apparaît comme une bonne pratique de gestion qui se justifie par la volonté de la direction d’augmenter la performance individuelle des salariés et de créer l’impression d’un style de management progressiste (Craig et Hussey1982).

28L’étude de Kleiner et Bouillon (1988) aux États-Unis vérifie de façon empirique la robustesse du lien statistique entre la pratique de diffusion d’information aux salariés et la productivité. Mais les résultats les plus probants sont obtenus en considérant non pas chaque pratique considérée séparément mais un ensemble de pratiques complémentaires. Il y aurait ainsi un système incitatif qui favoriserait l’atteinte d’une haute productivité (Holmstrom et Milgrom 1994). Il s’agit alors d’associer des pratiques de communication, de salaire incitatif, de travail en équipe, de formation, etc. (Ichniowski et al. 1997).

29Si la littérature en gestion des ressources humaines a étudié l’effet de la diffusion d’information aux salariés sur la satisfaction au travail et in fine sur la performance, les travaux en comptabilité et en relations industrielles ont cherché à comprendre l’effet de l’information comptable sur le jeu des négociations.

30Ainsi, certaines études ont un tropisme pour les méthodes cherchant à réduire le résultat comptable à l’occasion d’une négociation collective sur les salaires ou avant une restructuration notamment dans un contexte d’un fort taux de syndicalisation (par exemple sur le cas français, Verdier et Boutant 2016).

31En parallèle de ces études quantitatives, Amernic et Craig (1985) montrent le rôle joué par l’information comptable dans la négociation collective : elle apparaît comme une donnée non contestée par les acteurs syndicaux (Knights et Collinson 1987). Owen et Lloyd (1985) soulignent, par ailleurs, l’importance des configurations de relations industrielles dans l’utilisation de l’information financière par les négociateurs syndicaux. Dans ce contexte, nous ne sommes pas surpris qu’Amernic et Craig (2005), dans The Journal of Industrial Relations, regrettent que dans de trop nombreux travaux de recherche en relations industrielles, la comptabilité soit considérée, par les praticiens aussi bien que par les chercheurs, comme produisant des données objectives, sensées mesurer la richesse, le profit, les flux de trésorerie et les coûts. Amernic et Craig sont conscients du fait que la comptabilité n’est qu’une représentation subjective de l’entreprise, mais ils citent plusieurs auteurs selon lesquels la comptabilité doit permettre l’arbitrage au cours des négociations collectives. Trumble et Tudor (1996) estiment ainsi que la « vraie » situation de l’entreprise pourrait être perçue par les représentants des salariés s’ils étaient formés à la lecture des rapports financiers, des plans stratégiques et des rapports annuels. D’autres travaux (Cooper et Essex 1977) vont chercher à prédire les informations utiles aux salariés et à leurs représentants.

32À l’opposé, Ogden et Bougen (1985), s’inspirant du concept de lutte des classes, cherchent à montrer que la comptabilité renforce et propage les valeurs et les propositions de la direction d’entreprise. La comptabilité est vue comme un langage, comme le reflet d’une idéologie. D’un côté, disposer d’information permet de réduire l’avantage des directions qui possèdent la plupart des données. Mais, par ailleurs, cela entraîne les syndicats dans l’acceptation de l’idéologie véhiculée par la conception des documents financiers.

33L’étude du contexte des années 1945 à 1982 montre qu’il existe une acceptation quasi-générale dans la sphère managériale du principe selon lequel une entreprise doit diffuser de l’information aux salariés. Cette doctrine considère la DIS comme une bonne pratique et semble donc suggérer aux entreprises d’aller au-delà des obligations imposées par la loi. Toutefois, la littérature académique ne corrobore pas toujours le constat des manuels et des revues professionnelles. Certes, le courant HRM apporte une justification théorique en assimilant la diffusion d’information à un moyen d’accroître l’engagement des salariés mais les études empiriques peinent à vérifier cette hypothèse et les travaux en comptabilité abordent la question sous l’angle de la domination. Ainsi, diffuser de l’information maintient le rapport de force de la direction dans le jeu des relations professionnelles.

2 – Si l’on observe les pratiques des managers, la diffusion d’information financière aux salariés est une diffusion opportuniste et minimale

34Au-delà de l’étude de la doctrine, nous cherchons maintenant à décrire la diffusion ou l’absence de diffusion d’information comptable et financière en France aux comités d’entreprise [9]. Pour cela, nous étudions les cas de trois grandes entreprises sidérurgiques entre 1945 (instauration du comité d’entreprise) et 1982 (loi Auroux renforçant leurs pouvoirs).

2.1 – Sources et méthodologies

35Notre matériau de recherche pour cette étude est constitué des procès-verbaux des réunions de Comités d’Entreprise des trois principales entreprises sidérurgiques françaises de l’après-guerre : Société des forges et aciéries du Creusot (groupe Schneider et Cie), De Wendel et Cie et Usinor. Nous observons en moyenne deux à trois réunions chaque année du CE. L’une en juin au cours de laquelle les comptes de l’exercice précédent sont présentés ; puis une à deux autres, au cours desquelles une intervention de la direction vise à expliquer la marche de l’entreprise. À ces deux ou trois réunions ordinaires peuvent s’ajouter des réunions extraordinaires, qui au cours des années et des crises traversées ont eu tendance à se multiplier. Ces procès-verbaux peuvent différer sur la forme :

  • certains (la majorité) sont un résumé détaillé des débats, reprenant les principaux dialogues présentés sous forme de verbatim ;
  • lorsque ces procès-verbaux n’étaient pas disponibles nous avons pu consulter les procès-verbaux succincts diffusés, généralement, aux élus du comité d’établissement non membres du Comité d’Entreprise ;
  • lorsqu’ils étaient disponibles, nous avons consulté en priorité les procès-verbaux in extenso qui reprennent l’ensemble des débats sous forme d’un dialogue.

36L’ensemble de ces documents a été collecté auprès des archives de l’Académie François Bourdon pour le cas de la SFAC (dorénavant AFB) et au sein des archives d’Arcelor-Mittal à Florange pour Usinor et De Wendel et Cie (dorénavant AAMF). Au total, plus de 250 procès-verbaux ont été collectés [10], numérisés puis codés [11].

37Le secteur étudié, la sidérurgie, est certes particulier mais présente l’avantage d’avoir connu sur la période étudiée (1945 à 1982) à la fois une période d’intense croissance (notamment dans les années 1950 et fin des années 1960 – début des années 1970) mais aussi des périodes de crises conjoncturelle (1960 à 1962) et structurelle (fin des années 1970). Nous pouvons donc étudier la diffusion d’information en période de prospérité et de restructuration. Enfin, ce secteur constitue sur la période étudiée le premier secteur industriel français.

38Avant de nous intéresser aux pratiques des managers, nous présentons les particularités du système de relations industrielles français pour la période considérée.

2.2 – Le comité d’entreprise entre 1945 et 1982

39Durant la période de l’Entre-deux-guerres, les grandes démocraties européennes instituent les premières formes d’instances représentatives du personnel. On parle alors de contrôle ouvrier (Hordern 1988). En France, il faut attendre la période du front populaire, en 1936, pour voir l’intégration dans le droit du travail des prémices de la démocratie industrielle, sous la forme des délégués du personnel. Toutefois, leurs attributions sont limitées et ne prévoient pas que leur soit diffusée une information économique sur la marche de l’entreprise (Le Crom 2003). Avec l’entrée en guerre de la France, les délégués du personnel disparaissent.

40Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un vent nouveau de démocratie industrielle est porté autant par le programme du Conseil National de la Résistance que par la Déclaration de Philadelphie [12]. Le comité d’entreprise (CE) naît de cet élan. Obligatoire dans toutes sociétés employant plus de 50 salariés, ses membres sont élus sur des listes présentées par des syndicats. Outre des attributions sociales et culturelles, le CE doit jouer un rôle économique. Il est obligatoirement consulté sur l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise. Dans cette mission, il a la possibilité de se faire assister par un expert-comptable rémunéré par l’entreprise. La loi prévoit un certain nombre d’informations obligatoires à transmettre au CE. Pour l’essentiel, il s’agit de documents identiques à ceux transmis à l’assemblée générale des actionnaires [13] : bilan, comptes de pertes et profits et rapport sur l’activité de l’entreprise. En parallèle de ces documents, d’autres informations facultatives, non prévues dans la loi, peuvent être transmises, il peut s’agir des éléments liés à la comptabilité analytique ou aux prévisions.

41Dès la fin des années 1940, le texte législatif est figé et aucune modification importante ne sera observée (Cohen 1984). Les changements majeurs interviendront en 1982 sous la forme des lois Auroux (Le Goff 2008). C’est précisément à cette date que notre étude s’interrompt. Nous travaillons donc sur une période marquée par un environnement législatif stable.

2.3 – Entre silence et communication : 40 ans de diffusion d’information aux salariés

42Nous proposons de ne pas présenter les cas étudiés en suivant un ordre chronologique, lui préférant un découpage thématique. Nous montrons tout d’abord la difficulté à rompre avec la culture du secret puis nous nous intéressons aux rares cas de forte diffusion d’information aux salariés et enfin à l’utilisation de l’information par les représentants de salariés.

La difficulté à rompre avec la culture du secret

43Après le vote de la loi créant les Comités d’Entreprise, les premières réunions de ces derniers auraient dû marquer la fin du secret absolu des affaires pour les salariés, puisque la loi a créé une obligation de communication de l’information comptable aux élus du CE. Ainsi, dès 1947, une grande partie de la réunion du CE de la société ‘Les petits fils de F. de Wendel et cie’ est consacrée à l’examen de l’évolution de la production, des investissements et des effectifs. Si la direction indique précisément les tonnages produits, aucune information n’est diffusée sur le chiffre d’affaires réalisé. Le seul élément financier fourni est le résultat d’exploitation de 1946. Il s’agit d’une perte de 33 millions de francs [14]. Le résultat de la société ‘Les petits fils de F. de Wendel et cie’ devient excédentaire au cours de l’exercice 1947. La réunion du comité d’entreprise de juillet 1948 ne donne pas lieu à communication de ce résultat.

44

Le conseil d’administration de la société ne s’étant pas encore réuni pour examiner les comptes de l’exercice 1947 les renseignements à communiquer au comité le seront à la prochaine réunion [15].

45Les élus ont donc dû attendre la réunion de février 1949 pour connaître le chiffre d’affaires et le résultat d’exploitation de 1947.

46Il s’agit du dernier résultat qui sera transmis aux élus dans les procès-verbaux. La société devient une holding à compter de 1951 à la suite d’une réorganisation juridique du groupe. Entre 1950 et 1951, aucune information financière n’est transmise au comité d’entreprise. Seules les informations liées à la production et aux investissements sont communiquées. Pour éviter la diffusion, les dirigeants utilisent alors une imprécision de la loi qui semble ne s’appliquer dans un premier temps qu’aux seules sociétés anonymes [16]. La pratique est identique pour le cas De Wendel et cie (une société du groupe).

47Pour Schneider et cie, l’expert du comité d’entreprise indique en 1951 et en 1952 que certaines informations [17] ne lui ont pas été transmises malgré ses demandes.

48Sur nos trois cas, seule l’entreprise Usinor décide dès 1949 de diffuser largement les informations comptables et financières à l’expert du comité d’entreprise qui ne manque pas de le souligner [18].

49À partir du milieu des années 1950, on observe cependant que la pratique de diffusion d’information comptable au CE s’est normalisée : l’information obligatoire (bilan et compte de résultat) est régulièrement transmise.

50Au-delà de cette information comptable, les élus du comité d’entreprise ne parviennent pas à obtenir des informations extraites de la comptabilité analytique. Ces dernières deviennent cruciales car ce sont elles qui sont utilisées par la direction pour justifier les fermetures d’usines. Les élus constatent ainsi :

51

PV du CCE d’Usinor – Mai 1968
Les renseignements comptables qui sont fournis ne permettent pas plus aux membres du comité qu’aux actionnaires de prendre une appréciation exacte sur l’opportunité de fermetures ou d’arrêts d’installations (…). Il n’y a pas de renseignements comptables par établissement.

52La comptabilité analytique est très rarement diffusée, à l’image du cas de la SFAC, où la direction utilise dans un premier temps la non-disponibilité de l’information.

53

PV du CCE de la SFAC – Juin 1963 [19]
M. Loiseau [élu, tourneur à l’usine du Creusot] rappelle que les délégués avaient demandé de connaître les comptes d’exploitation et fait remarquer que cette année encore ils n’ont pas été communiqués à l’expert-comptable.
M. Forgeot [Directeur Général] répond qu’une réforme de la comptabilité est en cours et devrait permettre si elle se poursuit dans de bonnes conditions, de connaître les comptes d’exploitation, par usine et même pour les grands services.

54Cette réforme est, en effet, menée. Dès 1964, les comptes d’exploitation par usine ont été identifiés dans les archives de la SFAC, ils font partie des documents transmis aux directions des usines. Toutefois, ces informations continuent à ne pas être transmises aux élus du comité d’entreprise. En 1976, une dizaine d’années plus tard, cette demande d’information est, de nouveau, exprimée par des élus de Creusot-Loire qui essuient un refus de communication, la direction justifie sa décision par l’indivisibilité de l’entreprise.

55

PV du CCE de Creusot-Loire – Juin 1976 [20]
M. Porrain [ajusteur au Creusot] demande si, pour les années à venir, il y aurait possibilité de connaître le bilan usine par usine.
M. Boulin [Directeur Général] répond qu’il n’existe qu’un seul bilan comptable au plan de la société. Si une certaine décomposition est effectuée par unité d’exploitation, pour des questions de gestion, ce découpage reste très arbitraire, et n’a aucune valeur légale. Il appartient aux directeurs d’usines et aux directeurs de divisions de commenter leur situation propre.

56L’imprécision des résultats liée au prix de cessions internes est utilisée également par la direction d’Usinor pour justifier la non-communication des données par établissement.

57

PV du CCE de Usinor – Mai 1970 [21]
M. Borgeaud [PDG] indique qu’il existe des documents à ce sujet, mais que tout ceci reste artificiel étant donné les conventions qu’il est nécessaire d’établir pour le transfert des demi-produits d’une usine productrice à une autre usine de la société.

58Globalement, et à la suite des travaux de Combe (1969), nous identifions trois formes de justification utilisées par la direction pour éviter de diffuser les informations de la comptabilité analytique : une première consiste à répondre aux élus de façon évasive, une deuxième à indiquer que l’information demandée est trop complexe à obtenir, une troisième prend la forme d’un refus pur et simple quelques fois argumenté par un rappel de la législation, encore peu précise à cette époque.

59Si les élus du CE ont des difficultés à obtenir la comptabilité analytique pour mener une analyse centrée sur l’unité de travail, ils rencontrent les mêmes difficultés pour obtenir une information au niveau du groupe fondée sur les comptes consolidés. En effet, les restructurations de la sidérurgie des années 1970 laissent penser aux élus du CE que le niveau décisionnel n’est plus l’entreprise et donc que seule une information à un niveau supérieur doit être envisagée. Le groupe devient le véritable échelon stratégique, les politiques industrielles sont prises à ce niveau et le centre décisionnel semble s’être déplacé. Le groupe et la société mère sont également suspicieux aux yeux des élus. Ils craignent que les résultats de leur société soient sous-estimés au profit des résultats de la société mère.

60

PV de CCE de la SFAC – Juin 1968 [22]
M. Halloion [élu] pense que les résultats SFAC sont inséparables de ceux de Schneider. Il pense que les résultats favorables de la société mère devraient bénéficier directement à la SFAC. Le Président lui répond qu’il s’agit d’entités bien distinctes ; que le dividende Schneider est identique à celui de 1966 ; que les résultats de Schneider proviennent de 1’ensemble de son portefeuille et notamment des dividendes versés par des sociétés où la holding n’est pas majoritaire. La SFAC n’a, au contraire, apporté qu’une contribution très faible aux résultats de Schneider S.A.

61Nous observons également des résurgences de la culture du secret à l’occasion de périodes de crise et de restructurations. En 1981, l’expert-comptable du comité d’entreprise d’Usinor cherche à comprendre l’origine des pertes d’exploitation en analysant les résultats par produits. Il doit faire face à un refus de communication de la part de la direction [23]. De même, à la veille du redressement de l’entreprise Creusot-Loire en 1984, les élus demandent que leur soient communiquées les informations prévisionnelles par établissement. La direction n’accède pas à cette demande. Elle développe deux arguments pour justifier sa position. D’une part, l’indivisibilité de Creusot-Loire est présentée comme un obstacle à la diffusion d’informations par établissement, donc « sectorielles ». Cette position est toutefois difficile à soutenir puisqu’au cours de la même réunion, le PDG remet en cause la présentation de l’activité du groupe par l’expert du CE, en indiquant que le principe de gouvernance du groupe est basé sur une grande décentralisation des décisions. D’autre part, la non-communication est justifiée par la confidentialité des informations et l’utilisation qui pourrait en être faite par la concurrence.

62À l’image du silence de la période des crises, nous observons une attitude similaire lorsqu’il s’agit des opérations de rachat d’entreprise. Ainsi, en 1977, la direction d’Usinor prévoit le rapprochement d’Usinor et de Chatillon Neuves-Maisons. L’opération prendra la forme d’une fusion-absorption d’Usinor par Chatillon, ce qui permet à Usinor de réévaluer ses actifs. Au cours d’une réunion extraordinaire, le comité d’entreprise est appelé à donner son avis sur cette opération. L’opération a déjà été commentée par la presse, les élus sont donc informés par les médias. Le premier communiqué des deux sociétés est diffusé en juillet 1978, il faudra attendre novembre 1978, quelques jours avant le conseil d’administration, pour que le projet soit officiellement présenté au comité d’entreprise. Lors de la réunion de consultation, l’information est réduite à sa portion congrue, le projet industriel n’est pas abordé puisque « les études ne sont pas encore achevées », seul le projet financier est présenté : il entérine l’arrivée de l’état au capital d’Usinor. Toutefois, le terme « nationalisation » est soigneusement évité. Lorsque les élus demandent à obtenir le bilan et le compte d’exploitation de Chatillon Neuves-Maisons (société absorbant Usinor), « le président considère que de telles informations ne relèvent pas d’Usinor » [24]. À une large majorité, les élus se prononceront contre la fusion, mais ce vote sera sans conséquence sur la suite de l’opération.

Des cas d’intense diffusion d’information

63Dans un premier temps, juste après la mise en place du CE en 1946, les directions de De Wendel et cie et de la SFAC montrent une attitude peu encline à la diffusion d’information. Mais, avec la constitution de la Communauté Economique du Charbon et de l’Acier (CECA) [25], les pratiques changent, les directions sont disposées à divulguer des informations sur les enjeux nouveaux de la création de cette communauté économique. Les critiques émises à l’égard de la CECA par les directions de De Wendel et cie, de la SFAC et d’Usinor concernent l’importance des coûts de revient de l’industrie française liée à des charges fiscales, salariales et sociales plus élevées en France qu’en Allemagne et qui défavorise les entreprises françaises dans le jeu de la concurrence.

64

PV de CE de la SFAC – juin 1951 [26]
Tous ces éléments qui grèvent les prix de revient font que la France se trouve désavantagée par rapport à l’Allemagne. On avait commencé par dire : tout cela sera homogénéisé par le pool, mais maintenant on n’en parle plus. Le président espère que cela arrêtera les parlements, mais il ajoute qu’il n’en est pas absolument certain.

65Comment, dès lors, expliquer la diffusion d’information aux salariés au moment de la création de la CECA ?

66Après analyse des documents d’archives, deux raisons complémentaires peuvent être avancées. D’une part, la direction de Schneider ayant constaté que les directions des centrales syndicales étaient elles aussi opposés à la CECA (Dereymez 2005), va tenter de faire front commun avec les élus du CE en leur diffusant beaucoup d’informations et en leur demandant de peser sur leurs confédérations (au niveau national) pour que celles-ci interviennent auprès du Parlement dans un sens conforme aux intérêts de l’entreprise. Charles Schneider conseille ainsi aux élus du CE d’envoyer, par l’intermédiaire de la centrale syndicale, une motion à leur député. Une telle démarche permettait de ne pas impliquer directement la direction de l’entreprise.

67

PV de CE de la SFAC – Mai 1951 [27]
Le président prévient M. Houpe [élu du CE, venant de présenter un projet de résolution] de la portée problématique de sa résolution, qui ira probablement dans un tiroir rejoindre d’autres documents de ce genre. Ce qui serait plus efficace à son avis, c’est qu’à l’intérieur de leurs organisations syndicales, les délégués attirent l’attention sur l’importance vitale de ces questions. Ces organisations syndicales auraient, croit-il, beaucoup plus d’influence auprès du parlement.
M. Houpe est également de cet avis.
Le président recommande également d’éviter de donner à la rédaction de cette résolution un caractère particulier à l’entreprise.
M. Houpe pense qu’il ne faut pas avoir peur d’être brutal, et qu’il faut commencer et demander aux autres de suivre, mais M. Charcosset et M. Micolot [d’autres élus] estiment au contraire qu’une société ne peut pas prendre une position brutale qui pourrait se retourner contre elle.
Le président est de cet avis et pense que la meilleure solution serait une motion d’ordre général sur laquelle les délégués se mettraient d’accord et qu’ils transmettraient à leurs députés ou à leurs organisations syndicales.
D’autres procédés de protestation sont envisagés : parler directement avec M. Schuman, diffuser un texte de résolution dans la presse.
Mais le président estime qu’il vaut mieux ne pas mettre l’entreprise en avant, et qu’une action des centrales syndicales, ou des fédérations des métaux par exemple, est préférable.

68D’autre part, diffuser des informations sur la CECA semble entrer dans une stratégie de communication insistant sur les défis auxquels l’entreprise doit faire face. Un argumentaire en deux temps permet aux directions d’affirmer que la CECA est une menace pour l’avenir des entreprises et donc que ces dernières seront, vraisemblablement et à brève échéance, contraintes de demander des efforts plus importants aux salariés. Il s’agit alors de préparer le terrain pour des négociations salariales futures.

69Les deux principales raisons que nous venons de mentionner pour expliquer la forte diffusion d’information au cours de la création de la CECA en 1952, se rencontrent à d’autres étapes de la vie des entreprises.

70Par exemple, la recherche d’appui et de force de pression auprès des salariés est, ainsi, activée par les directions dans l’affaire boursière Marine-Firminy. Cette dernière met en scène les trois entreprises de notre étude. La société Usinor lance une OPA, en 1974, sur Marine-Firminy, actionnaire de Creusot-Loire, qui pourrait conduire à l’implantation d’Usinor dans certaines sociétés du groupe Sacilor (Société De Wendel), son concurrent historique. Sacilor, dont l’indépendance est mise en jeu, communique largement auprès des salariés sur cette affaire. Le dirigeant met en cause les pouvoirs publics pour leur laisser-faire. Les élus du CE, notamment CFDT [28], regrettent l’attentisme gouvernemental. Dans les autres entreprises concernées par cette opération (Creusot-Loire et Usinor), les Comités d’Entreprise ont beaucoup plus de difficultés à obtenir de l’information et la communication demeure au seuil minimal. Usinor argumente que cette OPA met en jeu sa holding DNEL et donc que les salariés d’Usinor ne sont pas concernés. L’exposé est, peu ou prou, identique dans l’entreprise Creusot-Loire.

71Il semble donc, que dans des situations exceptionnelles, les salariés peuvent représenter une force d’appoint mobilisable. Ces situations se produisent lorsque l’entreprise est mise à mal par des entités extérieures ou quand des modifications défavorables de son environnement la conduisent à attendre une intervention de la part des pouvoirs publics. De façon opportuniste, il est alors consenti une diffusion d’information supérieure aux pratiques habituelles de l’entreprise.

72De l’analyse de nos cas entre 1945 et 1982, nous pouvons résumer la décision de diffuser entre deux pôles extrêmes (figure 1).

Figure 1

Silence versus diffusion

Figure 1

Silence versus diffusion

73Nous abordons à présent la façon dont l’information comptable est utilisée par les CE

Utilisation de l’information comptable par les représentants du personnel

74Lorsque l’information est effectivement transmise aux élus, il reste à comprendre comment celle-ci est utilisée. En effet, le comité d’entreprise jouissait d’attributions économiques dès sa création prévoyant notamment une participation à la gestion de l’entreprise [29]. Le système français de relations industrielles ne prévoit pas un système de cogestion comme en Allemagne mais une consultation des salariés sur la marche de l’entreprise via leur représentation. C’est dans ce but qu’un droit à l’information est prévu par le législateur. Notre étude longitudinale montre que, à réception de l’information, les élus du CE peuvent avoir différentes réactions.

75Dans certaines entreprises, l’information comptable n’appelle pas de questionnement de la part des élus. Par exemple, à la SFAC, une seule question est notée dans le procès-verbal du CE entre 1945 et 1960.

76Au sein de l’entreprise Usinor, entreprise la plus encline à la diffusion de l’information, les premières revendications des élus portent sur le partage des profits.

77

PV de CE d’Usinor – Mai 1949 [30]
M. Lauwers, faisant remarquer que l’on va distribuer 480 millions aux actionnaires, demande s’il n’eut pas été possible de ne leur distribuer que 90 % de cette somme en faisant bénéficier des 10 % restant le personnel de la société.

78Pendant toute la période, l’information comptable viendra alimenter les débats sur la répartition de la valeur ajoutée.

79D’ailleurs ceux-ci deviennent plus techniques lorsque la participation aux bénéfices s’impose aux entreprises. En effet, la manipulation du bénéfice comptable est dénoncée par la CGT, dès 1948, dans la Revue du comité d’entreprise. Pourtant, dans les premières années du CE, peu de débats sont consacrés à la technique comptable. Quelques réflexions dans les années 1950 peuvent être notées.

80

PV de CE de Sidelor – Juin 1952 [31]
« M. Albani présente une observation relativement au poste du bilan « dotation pour stock indispensable ». D’après lui, si la loi n’avait pas permis la constitution de ce poste, son montant figurerait dans les bénéfices et dans son esprit, c’est un bénéfice.
M. Perrin trouve que la part des travailleurs est insuffisante par rapport à celle qui revient aux actionnaires. »

81Il faut attendre les années 1960 pour voir apparaître dans l’ensemble de nos trois cas des remarques portant sur le choix des techniques comptables. À partir de 1967, nous observons une prise en compte systématique des questions d’amortissement des immobilisations par les élus. Faut-il voir dans ce vif intérêt pour la technique comptable une conséquence de l’adoption de la participation aux bénéfices ? En effet, à cette même date, l’ordonnance sur la participation aux bénéfices fixe la formule légale (qui ne changera plus) de calcul de la prime de participation. L’un des facteurs décisifs de la somme allouée est, naturellement, le bénéfice. Aussi, observer le calcul des amortissements et les éventuelles manipulations du résultat comptable revient à contester le calcul de la prime de participation.

82

PV de CCE de Usinor – Septembre 1967 [32]
Monsieur Detti déclare qu’il n’est pas d’accord sur les amortissements qui ont été faits, soit 173 millions et en même temps 155 millions d’investissements. Il estime que c’est la façon la plus simple de dire non aux revendications du personnel.

83Cette intervention ne donne lieu à aucune réaction (reprise dans le procès-verbal) de la part de la direction.

84D’autres remises en cause apparaissent à partir des années 1960. L’étude du bilan et des sources de financement des investissements donne lieu à une série de critiques de la part des syndicats. Les élus estiment, dans nos trois cas, que les capitaux propres ne sont pas suffisamment importants et que les entreprises ont trop tendance à utiliser l’emprunt pour le financement des investissements. En effet, pour certains syndicalistes, l’autofinancement et l’emprunt « proviennent du travail du personnel » [33] alors que seule l’augmentation de capital est un effort consenti par les actionnaires. Pour les élus, les rôles devraient se définir ainsi : aux actionnaires, l’apport des capitaux nécessaires à la croissance de l’entreprise ; aux salariés, l’apport de la force de travail. L’utilisation de l’endettement, selon les représentants syndicaux, revient alors à demander le financement des investissements par les salariés, puisque le remboursement des emprunts est réalisé par une ponction sur les flux de trésorerie d’exploitation, résultant de l’effort du travail. Le débat devient encore plus virulent alors qu’entrent les ressources financières publiques dans le financement de la sidérurgie.

85

PV du comité central d’entreprise (CCE) [34] de Wendel-Sidelor – Octobre 1972 [35]
M. Pegoraro [élu CFDT] affirme que, depuis 1945, sur un total de trente milliards de francs investis dans l’industrie sidérurgique française, deux milliards seulement ont été financés au moyen d’augmentations des capitaux sociaux des sociétés sidérurgiques. Il estime, en conclusion, que les patrons de la sidérurgie prospèrent en se servant de l’argent des contribuables.

86La crise de la sidérurgie et la multiplication des plans de redressement conduisent les élus du comité d’entreprise, tous syndicats confondus (hors CGC), à prendre une posture critique radicale. Ils réclament dès 1975 la nationalisation de l’entreprise. Cette critique radicale s’appuie sur l’information fournie dans le cadre du comité d’entreprise. En se préoccupant de l’utilisation des deniers publics et en revendiquant la nationalisation de l’entreprise, cette instance connaît alors une politisation de son discours. Cette démarche avait été voulue par la CGT dès la création du CE, mais elle ne s’était jusque-là pas manifestée ouvertement dans les trois entreprises étudiées. La politisation du CE intervient à mesure que l’État prend une part financière prépondérante dans le secteur, car l’opposition à la politique de l’entreprise devient ainsi une opposition à la politique gouvernementale. Plus la situation comptable des entreprises se dégrade, plus cette politisation s’amplifie et s’étend, dans les CE, aux élus des autres syndicats.

87Ainsi, par exemple, les élus CFDT demandent la transformation des prêts et des fonds reçus de l’État en participation, et revendiquent donc implicitement la nationalisation de leur entreprise.

88

PV du CCE d’Usinor – Juin 1978 [36]
La CFDT propose que l’État transforme en prise de participation financière les fonds publics dont a bénéficié la sidérurgie.

89Finalement, loin de servir à alimenter des débats sur la gestion de l’entreprise basés sur une supposée neutralité de l’information comptable, l’information comptable est remise en cause et sert effectivement à la direction comme au syndicat à justifier leur analyse de la situation économique de l’entreprise. L’information comptable sert alors de « munition » (Bougen, 1984) pour les deux parties.

3 – À quoi sert-il d’affirmer que la diffusion d’information aux salariés est une « bonne pratique » ?

90Les positions adoptées dans les deux parties précédentes paraissent contradictoires : la première nous amène à accepter que la diffusion d’information est, d’une manière générale et par principe, une bonne pratique, alors que la seconde nous montre que, dans le cadre temporel et géographique que nous avons examiné, le choix de divulguer de l’information aux salariés est soit une obligation légale, soit un choix opportuniste lié aux intérêts à court terme de l’entreprise. On peut alors se demander pourquoi les manuels continuent de présenter la diffusion d’information comme une bonne pratique, comme un principe tellement évident qu’il ne demanderait pas de vérification empirique.

91Dans cette troisième partie, nous souhaitons montrer deux choses :

  1. Que la théorie bourdieusienne nous permet de surmonter le paradoxe apparent issu des deux premières parties de notre article.
  2. Que l’idée selon laquelle la DIS est une bonne pratique a, comme l’explique Bourdieu au sujet de toute doxa (Bourdieu 2003, 141), une double fonction : d’une part elle permet la communication entre les acteurs des relations industrielles, d’autre part elle permet de maintenir la domination des managers sur les salariés. Cette deuxième fonction explique pourquoi la théorie de la doxa chez Bourdieu a pu être également qualifiée de théorie de la domination.

92Après avoir examiné la place de la doxa dans la sociologie bourdieusienne, nous pourrons montrer la double fonction de la doxa concernant la diffusion d’information financière dans le champ des relations industrielles.

3.1 – La place de la doxa dans la sociologie bourdieusienne

93La doxa est un concept forgé par les philosophes grecs présocratiques, et en particulier Parménide. Ce dernier divisait la philosophie en deux parties nettement opposées, la vérité et l’opinion (δόξα ou doxa). La doxa représentait donc les opinions communes, en tant qu’opposées à la connaissance scientifique. Les dictionnaires actuels la définissent comme « Préjugés populaires à partir desquels s’établissent différentes formes de communication ». On trouve de nombreuses présentations de ce concept de doxa, qui montrent que ce que nous venons d’évoquer – le fait de considérer la DIS comme une bonne pratique – se range assez facilement derrière les définitions qu’on en donne : « Considérée comme un agrégat de croyances non vérifiées, la doxa s’assimile aux apparences mouvantes et trompeuses, aux opinions intuitives, et s’oppose à la vérité démontrée » [37]. « Sont des endoxa […] les opinions partagées par tous les hommes, ou par presque tous, ou par ceux qui présentent l’opinion éclairée, et pour ces derniers par tous, ou par presque tous, ou par les plus connus et les mieux admis comme autorités. » (Aristote, Topiques : I, 1). Dans ce cadre, la doxa représente l’espace consensuel préalable à toute argumentation ; en ce sens elle permet la communication. « Elle fournit les points d’accord susceptibles de s’établir sur un sujet donné dans une assemblée d’hommes de bon sens » (Amossy 2006, p. 100) ». Par ailleurs, « La doxa désigne l’ensemble des croyances qui structurent un corps social. Avérées ou pas, elles constituent un socle de connaissances communes qui peut participer à alimenter le sentiment d’appartenance d’agents à une communauté. La doxa, c’est le terreau commun à un groupe, une espèce d’identité collective partagée » [38]. Ou encore « L’adhésion doxique se manifeste à travers un sentiment de familiarité où l’ordre des choses est indiscuté (selon l’image du poisson dans l’eau) et qui, par-là, contribue à le reproduire » (Pinto 2017).

94Bourdieu ne considère pas ce concept de doxa comme central dans sa sociologie, contrairement aux concepts d’habitus, de champ ou de violence symbolique, mais il l’utilise néanmoins dans la plupart de ses travaux et surtout vers la fin de sa vie. Selon Bourdieu, chaque champ a sa doxa (ses idées reçues), et ces idées sont celles des acteurs dominants du champ. Bourdieu se sert donc de ce concept pour montrer comment s’exerce, de façon particulièrement insidieuse, la violence symbolique [39] sur les acteurs d’un champ.

95En fait, la doxa a une double nature : d’une part, en tant que « lieu commun » ou « sens commun », elle facilite la communication. Elle est (Bourdieu 2003, p. 141) : « un ensemble de lieux communs (au sens large), tacitement acceptés, qui rendent possible la confrontation, le dialogue, la concurrence, voire le conflit… ». « Étant par conséquent communs à l’ensemble des agents insérés dans cet ordre, ils sont ce qui rend possible l’accord dans le désaccord d’agents situés en des positions opposées… ». D’autre part, elle constitue une forme de violence symbolique en tant qu’elle est une opinion « imposée » à une partie des acteurs du champ (les dominés) par une autre (les détenteurs du pouvoir). Cependant, « …le pouvoir symbolique est en effet ce pouvoir invisible qui ne peut s’exercer qu’avec la complicité de ceux qui ne veulent pas savoir qu’ils le subissent ou même qu’ils l’exercent » Bourdieu (1979, p. 405).

96La fonction sociétale de la doxa propre à un champ est donc d’inscrire progressivement l’ordre social dans l’individu. La doxa convertit les structures sociales en principes de structuration, en manière d’organiser le monde social : « (…) l’expérience première du monde est celle de la doxa, adhésion aux relations d’ordre qui, parce qu’elles fondent inséparablement le monde réel et le monde pensé, sont acceptées comme allant de soi. » (Bourdieu 2003, p. 549)

97Bourdieu reprend un terme de Durkheim, « conformisme logique », pour indiquer ce processus décisif pour la conservation de l’ordre social : « On voit la contribution décisive qu’apporte à la conservation de l’ordre social ce que Durkheim appelait le ‘conformisme logique’, c’est-à-dire l’orchestration des catégories de perception du monde social qui, étant ajustées aux divisions de l’ordre établi (et par là, aux intérêts de ceux qui le dominent) et communes à tous les esprits structurés conformément à ces structures, s’imposent avec toutes les apparences de la nécessité objective. » (Bourdieu 2003, p. 549-550).

3.2 – La double fonction de la doxa concernant la DIS

98La première fonction de la doxa est donc de permettre la communication entre toutes les personnes qui acceptent les lieux communs du discours doxique. Pour pouvoir communiquer, managers et salariés doivent être d’accord (ou faire semblant de l’être [40]) sur le fait que « Partager l’information est une bonne pratique ». Dans le cas contraire, la communication serait vite rompue. En fait, pour comprendre pourquoi perdurent les lieux communs sur le bienfondé de la diffusion d’information aux salariés, même quand ils sont contredits par des pratiques observables, il suffit peut-être de constater qu’un autre discours est impossible, autant de la part des managers que des représentants des salariés. On imagine mal en effet des DRH affirmant : « La main-d’œuvre est un moyen de production comme un autre, qui ne peut attendre des employeurs autre chose qu’un salaire, et certainement pas des informations financières concernant la marche de l’entreprise ». Un tel cynisme serait perçu comme contraire à toute morale. La dimension morale de cette doxa est d’ailleurs présente dans un très grand nombre de manuels, dans lesquels on voit reconnu le besoin de reconnaissance du personnel.

99Dans les rares occasions où des managers sont sollicités pour expliquer les raisons pour lesquelles ils ne divulguent pas d’information financière, les raisons invoquées ressemblent à des excuses. Craig et Hussey (1980) avaient, ainsi, conduit une telle enquête et avaient obtenu les raisons suivantes : « Nous sommes trop petits, l’information est confidentielle, elle pourrait être mal interprétée, cela concerne les actionnaires ». On retrouve ici des excuses similaires à celles fournies par les dirigeants des entreprises que nous avons étudiées.

100À l’inverse, pour des représentants des salariés, il est difficile de s’en tenir à une position radicale refusant d’accorder le moindre intérêt aux informations fournies par la direction, au risque de n’être pas compris de – et désavoués par – ceux qu’ils représentent. Pour preuve, les représentants des salariés interrogent la direction sur les informations comptables qui leur sont transmises. Le dialogue et la négociation font partie des activités nécessaires pour les directions d’entreprise comme pour les salariés et leurs représentants.

101Cette idée selon laquelle la diffusion d’information aux salariés est indispensable en période stable pour favoriser l’implication et en période de tensions pour permettre le dialogue et la résolution des conflits, peut être étayée par ce que Bourdieu (2003, p. 141) affirme à propos du sens commun : « Le sens commun est un fonds d’évidences partagées par tous qui assure, dans les limites d’un univers social, un consensus primordial sur le sens du monde ».

102L’acceptation de la diffusion d’information comme un objectif souhaitable est une condition du dialogue social. Tous les acteurs du champ sont tenus de faire semblant d’y croire faute de quoi ils perdent toute possibilité du maintien du dialogue et de l’apparence de la coopération.

103La seconde fonction de la doxa est, comme nous l’avons vu plus haut dans les propos de Bourdieu, d’être un instrument de domination. Dans le cas de la diffusion d’information, les représentants des salariés, en acceptant l’idée selon laquelle « la diffusion d’information aux salariés est une bonne pratique », donc souhaitable, peuvent négocier sur la base des informations produites par les services comptables et donc par la direction. Ils accréditent ainsi l’idée selon laquelle les données comptables sont à même de fournir une information pertinente et « neutre ». Ils peuvent bien sûr contester ponctuellement tel ou tel chiffre, mais n’envisagent pas de remettre en cause la machine qui l’a produit. Ce faisant, ils entérinent la position dominante de la direction qui produit les informations et les présente de la façon la plus avantageuse pour elle, sous réserve de l’application des règles comptables. Maintenir chez les salariés l’idée que cette information est « désirable », c’est donc exercer sur eux une forme de domination, ou de violence symbolique, selon l’expression de Pierre Bourdieu. Il est également possible de faire le parallèle avec ce que Bourdieu écrivait au sujet de la langue officielle. Dans l’essai « Ce que parler veut dire », Bourdieu (1982) voit dans la maîtrise de la langue officielle, qui peut-être dans notre cas la langue technique de l’information comptable et financière, l’accroissement de la domination de ceux qui la créent et l’utilisent, c’est-à-dire les dirigeants d’entreprise. La langue n’est pas un véhicule neutre de la pensée et le choix des termes et des tournures contribue à modeler l’esprit de ceux qui les emploient. Cette langue officielle est celle qui va s’imposer aux élus du comité d’entreprise et aux syndicats [41] comme la seule légitime (Bourdieu 1982). En poursuivant la métaphore avec la langue officielle d’un État, nous pouvons voir dans la langue comptable « la condition de l’instauration de rapports de domination linguistique » dans l’entreprise (Bourdieu 1982, p. 28). Cooper et al. (1981, p. 183) signalent également que la comptabilité peut être vue comme un langage élaboré pour créer et soutenir une culture à laquelle les acteurs de l’organisation doivent adhérer dès lors qu’ils l’utilisent dans leurs négociations. Pour leur part, Ogden et Bougen (1985) montrent que la comptabilité renforce et propage les valeurs et les propositions de la direction de l’entreprise. La comptabilité est également vue comme un langage, reflet d’une idéologie. Dans cette perspective, ils proposent de réinterpréter la promotion de la diffusion d’information. Ainsi, la diffusion d’information comptable permet de former les syndicats aux problématiques managériales, et pose également les bases du pouvoir de la direction de l’entreprise. Si la source de cette autorité a été traditionnellement liée au droit de propriété, cette autorité a pu être renforcée en créant de nouvelles bases de justification : le management peut utiliser la diffusion d’information pour faire croire à la nature strictement technique des problèmes auxquels sont confrontées les organisations et justifier le rôle de la direction comme expert technique proposant des solutions techniques. Enfin, la diffusion de l’information comptable permet à la direction d’imposer l’ordre du jour des débats et laisser de côté les discussions qu’elle souhaite éviter, comme le montre également les deux exemples ci-dessous, tirés de Combe (1969).

104En effet, la méthode de production des données chiffrées n’est pas le seul moyen de domination. L’autorité de celui qui les a établies lui permet de les commenter et les transmettre comme il convient le mieux à ses intérêts. Combe (1969, p. 80s) a étudié les déclarations faites par la direction de Schneider, à quelques jours d’intervalle, sur le même sujet, et par la direction elle-même, selon qu’elle s’adresse aux délégués du personnel ou aux actionnaires.

105• Premier exemple :

Aux délégués du personnelAux actionnaires
M. D. (délégué) fait remarquer que notre entreprise n’étant pas uniquement sidérurgique, certaines branches de son activité, la partie mécanique par exemple, ont certainement fait des bénéfices.
Le Président répond qu’en effet des bénéfices ont été réalisés de ce côté, mais que malheureusement ils ne sont pas suffisants pour compenser les pertes faites par ailleurs (26 juin 1951).
Ainsi que nous vous l’indiquons plus haut, la conjoncture dans laquelle s’est exercée l’activité des aciéries et des laminoirs s’est traduite pour ces derniers par des résultats déficitaires.
Mais par contre, les ateliers de transformation et de mécanique ont eu un rendement satisfaisant et leur exploitation est bénéficiaire (Rapport du Conseil d’Administration à l’Assemblée Générale Ordinaire du 29 juin 1951).

106De part et d’autre, le contenu est le même. Dans les deux phrases, il est également question de bénéfices et de pertes à propos des mêmes fabrications. Mais ces deux aspects sont présentés dans un ordre inverse. De toute évidence, c’est ce qui est dit en second lieu qui doit être retenu par l’interlocuteur. L’actionnaire doit croire à une situation favorable et le délégué à une situation mauvaise. Quant au « mais » qui articule les deux membres de chaque phrase, il est à peine besoin de souligner son rôle : accompagné d’un « malheureusement », il accentue pour les délégués la note délibérément pessimiste, tandis que, soutenu d’un « par contre », il corrige dans l’esprit des actionnaires l’impression fâcheuse. Qui des deux est le mieux informé et sera capable de dire, en quittant la réunion si le résultat est positif ou négatif ?

107• Deuxième exemple

Aux délégués du personnelAux actionnaires
(Le Président) tient à préciser que sur un certain nombre de prix, ceux de la société sont vraiment supérieurs et de façon inquiétante.Nos efforts en faveur de l’exportation n’ont pas diminué l’année dernière, mais les résultats obtenus ont été inférieurs en matière de sidérurgie par suite de la cessation presque complète des achats de certains pays.
Il met en relief les dangers de la concurrence allemande… Il rappelle les contacts qui ont eu lieu avec une usine sidérurgique d’Egypte. Notre entreprise était relativement la mieux placée ; les allemands sont arrivés à concurrencer ce marché ; ils ont offert une participation de 20 % de capital, ce qui dépasse largement les possibilités de la Société.
… Cela représente une situation grave qui ne peut durer sans casse.
… Le Président ne voit de ce côté aucune amélioration. « Je suis allé dans l’Inde au mois de février, je me suis aperçu là-bas que pour les commandes c’était une lutte internationale à des prix absurdes qui laissent des pertes que l’entreprise ne pourrait supporter » (23 juin 1954).
En matière de mécanique, nous avons rencontré une concurrence internationale beaucoup plus active, tenant à la fois à l’élévation relative des prix français et à la réapparition des constructeurs allemands sur la presque totalité des marchés, et à l’insuffisance des débouchés intérieurs dans la plupart des grandes industries européennes de biens d’équipement.
Nous avons néanmoins enregistré des succès que nous estimons importants.
Ceux-ci semblent témoigner que nous restons bien placés encore pour supporter la concurrence internationale, si nous savons poursuivre l’intense effort de modernisation que nous avons entrepris depuis la fin des hostilités… (Rapport CA 30 juin 1954).

108Ainsi, en considérant que « Partager l’information avec les salariés est une bonne pratique » est une doxa dans le champ des relations industrielles, nous avons montré pourquoi un tel discours peut perdurer alors qu’il est contredit par l’examen de certaines pratiques. D’une part, ce discours est le seul qui puisse permettre le dialogue entre les acteurs des relations industrielles, notamment la direction et les représentants des salariés. D’autre part, cette « opinion commune » (ou doxa) joue le rôle d’un instrument de domination : en acceptant la doxa, les représentants des salariés négocient sur la base des informations produites par l’entreprise et se retrouvent tenus de parler une langue qu’ils ne maîtrisent pas et de négocier sur la base de données qu’ils n’ont pas les moyens de contester.

Conclusion

109En conclusion de cet article nous pouvons revenir sur le chemin parcouru : nous nous étions fixés pour objectif d’étudier le phénomène de diffusion d’information aux salariés en constatant en préambule que les questions concernant la DIS étaient apparues de façon concomitante avec l’éclosion de l’école des relations humaines dans les années 1920. L’idée selon laquelle une plus grande attention portée aux préoccupations et au confort des salariés pouvait entraîner des gains de productivité s’était alors répandue. Nous avons ensuite abordé deux questions : « Quelle est la doctrine (i.e. ce qui s’enseigne) au sujet de la DIS ? » et « Quelles en sont les modalités pratiques de mise en œuvre dans des entreprises ? » Pour cette seconde question, nous avons limité notre étude à trois grandes entreprises de la sidérurgie française sur la période 1945-1982, bornée en amont par la création des CE et donc l’institutionnalisation de la DIS, et en aval par la promulgation des lois Auroux renforçant de façon significative les obligations des entreprises en la matière.

110Nous avons confronté la doctrine et les pratiques et constaté des écarts. Ces derniers étaient sans commune mesure avec ce que l’on pourrait observer entre un idéal à atteindre et les réalisations pratiques de ceux qui seraient supposés partager un tel idéal. Autant l’unanimité est de mise, dans les manuels et la presse professionnelle, pour affirmer que l’information des salariés est une bonne pratique, susceptible de favoriser l’implication des salariés et donc l’efficacité de l’entreprise considérée, autant nous avons observé des directions a priori réticentes à la diffusion d’informations financières aux salariés au-delà de ce que leur imposait la loi. Dans le cadre des contextes australien et britannique autour de 1980, d’autres études empiriques ont été publiées qui abordaient également la question de savoir pourquoi, alors que selon la doctrine la DIS semble n’avoir que des avantages, les directions ne manifestaient pas d’appétence particulière pour aller au-delà de leurs obligations légales.

111Nous avons ensuite cherché une explication théorique capable d’élucider une telle contradiction. Le fait de considérer que la DIS comme une bonne pratique a priori, sans souci de vérification empirique, nous a paru relever d’une « opinion confuse que l’on se fait sur un aspect de la réalité » ou d’un « agrégat de croyances partagées mais non vérifiées », par opposition à la connaissance rigoureusement établie. À ce titre, le fait de considérer la DIS a priori comme une bonne pratique nous a paru faire coïncider cette idée avec le concept de doxa. Nous avons ensuite cherché chez Pierre Bourdieu, un des auteurs ayant le plus utilisé ce concept, une explication des rôles de la doxa : rendre possible la communication entre ce que nous appelons aujourd’hui « les partenaires sociaux » d’une part, maintenir la domination des dirigeants d’autre part.

112Arrivés à ce stade de la réflexion, il nous incombe bien sûr d’évoquer les limites d’un tel travail et les pistes qu’il pourrait suggérer à d’autres chercheurs. Les limites temporelles et géographiques de notre étude constituent bien sûr un obstacle majeur à toute velléité de généralisation. Cependant, à notre connaissance, aucune étude empirique n’a été menée en France sur le même thème ; cela laisse donc la porte ouverte à des études similaires qui pourraient être réalisées dans d’autres entreprises et d’autres périodes. Si l’on compare nos résultats à ceux obtenus au début des années 1980 par des chercheurs australiens on pourrait suggérer, provisoirement, que la DIS ne constitue pas systématiquement une bonne pratique, mais bien plutôt un dilemme récurrent pour les managers. Il resterait alors à documenter les considérants d’un tel dilemme et les fondements de l’arbitrage à réaliser, c’est-à-dire à mettre au jour une cartographie raisonnée de ses avantages nombreux et apparents, et de ses inconvénients, bien réels mais généralement non dits.

Remerciements

Les auteurs remercient la co-rédactrice en chef de la revue Comptabilité-Contrôle-Audit, Professeure Isabelle Martinez, et les réviseurs pour leurs remarques stimulantes.

Annexe 1

Sources utilisées

tableau im2
Groupe Groupe Schneider Sociétés du groupe Schneider & Cie SFAC Creusot-loire PV de réunion de comité d’entreprise et de comité central d’entreprise 1945 puis lacune Lacune jusqu’en 1951 puis quasi-complet jusqu’en 1972 (manque pour 1955, 1959-61, 1970-71), PV succinct en 1957 et 1958. Quasi-complet jusqu’en 1984 (lacunes en 1975-76) Nbre de PV consultés 43
tableau im3
Groupe Groupe De Wendel Sociétés du groupe De Wendel et Cie Petits fils de François de Wendel Sidelor Société Mosellane de Sidérurgie Sollac Sacilor Wendel-Sidelor PV de réunion de comité d’entreprise et de comité central d’entreprise 1947-68 1947-51 1951-68 1965-68 1971-80 1973-80 1969-73 Nbre de PV consultés 120
GroupeGroupe USINOR
Sociétés du groupeSociété de Denain et d’AnzinUsinor
PV de réunion de comité d’entreprise et de comité central d’entreprise1945-481948-82
Nombre de PV consultés105 (cas exhaustif)
Annexe 2

Liste des items de codage

113Les procès-verbaux des comités d’entreprise ont été numérisés. Ces documents ont ensuite été transformés en texte brut grâce à un logiciel de reconnaissance des caractères. L’encodage a été réalisé à l’aide du logiciel N*Vivo. La constitution des items de codage a, d’abord, été réalisée puis le test de ces items sur une vingtaine de procès-verbaux choisis par toutes les entreprises et toutes les périodes a permis d’ajouter de nouveaux items, et au final, de stabiliser le codage.

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Nombre de documents codés avec l’item. Nombre de passages codés avec l’item.
Nombre de documents codés avec l’item. Nombre de passages codés avec l’item.

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Mots-clés éditeurs : histoire, diffusion d’information, relations industrielles, doxa

Date de mise en ligne : 18/12/2018

https://doi.org/10.3917/cca.243.0009

Notes

  • [1]
    Notre traduction.
  • [2]
    Notre traduction.
  • [3]
    Notre traduction.
  • [4]
    Le terme « gestion des ressources humaines » apparaît au milieu des années 1980 (y compris en France), avant cette période, on utilise le terme de gestion du personnel.
  • [5]
    Notre traduction.
  • [6]
    Créée en 1953, cette organisation était une émanation de l’OECE. (Organisation Européenne de Coopération Économique).
  • [7]
    Loi n° 46-1065 du 16 mai 1946 tendant à la modification de l’ordonnance du 22 février 1945 instituant des comités d’entreprise. Journal Officiel – 17 mai 1946, p. 4251.
  • [8]
    En 1966, les informations en matière économique sont étendues lors des licenciements économiques.
  • [9]
    Les comités d’entreprise sont instaurés en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il s’agit d’une institution représentative du personnel qui doit être informée de la situation économique de l’entreprise et consultée sur les grandes décisions de l’entreprise (notamment lorsqu’elles ont un impact sur l’emploi).
  • [10]
    Une présentation détaillée des sources mobilisées est indiquée en annexe 1.
  • [11]
    Cette opération a été réalisée avec le logiciel N*Vivo. Les items de codage sont présentés en annexe 2.
  • [12]
    Le lecteur intéressé par l’actualité de ce programme et de cette déclaration pourra consulter respectivement Hessel (2010) et Supiot (2012).
  • [13]
    Après 1982, l’expert-comptable du CE se verra reconnaître un droit de communication plus étendu, identique à celui du Commissaire aux Comptes.
  • [14]
    EAV5001, AAMF.
  • [15]
    EAV5001, AAMF.
  • [16]
    La société a alors la forme d’une commandite par actions.
  • [17]
    Notamment le compte d’exploitation et l’inventaire des stocks (0135Z0001, AFB).
  • [18]
    EAV50014, AAMF.
  • [19]
    SS0988, AFB.
  • [20]
    01MDL0075, AFB
  • [21]
    EA122071, AAMF.
  • [22]
    SS0988, AFB.
  • [23]
    EAV122074, AAMF.
  • [24]
    PV de la réunion extraordinaire du CCE du 08/11/1978 d’Usinor. EA122073, AAMF.
  • [25]
    Embryon de l’Union Européenne, formée en 1952 entre l’Allemagne, la France, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.
  • [26]
    0135Z0001, AFB.
  • [27]
    0135Z0001, AFB.
  • [28]
    Confédération Française Démocratique du Travail.
  • [29]
    Préambule de la constitution du 27 octobre 1946.
  • [30]
    EA122070, AAMF.
  • [31]
    EAV50014, AAMF.
  • [32]
    EA122071, AAMF.
  • [33]
    PV du CCE de la SAC, juin 1963, SS0988, AFB.
  • [34]
    Comité Central d’Entreprise.
  • [35]
    EAV50010, AAMF
  • [36]
    PV du CCE d’Usinor – 20 juin 1978, EA122073, AAMF.
  • [37]
  • [38]
  • [39]
    Quand Bourdieu parle de violence symbolique, il renvoie à l’intériorisation, par les agents, de la domination sociale inhérente à la position qu’ils occupent dans un champ donné et plus généralement à leur position sociale.
  • [40]
    Il serait intéressant de nous poser la question de savoir si les managers sont conscients ou non du caractère doxique de leur discours, c’est-à-dire s’ils sont sincèrement persuadés de ce qu’ils disent ou non. Il nous paraît a priori vraisemblable que les deux situations se rencontrent, mais dans des proportions que seule une étude empirique pourrait révéler. Un tel travail nous éloignerait néanmoins de notre propos.
  • [41]
    Ces derniers n’ont en effet pas les moyens (ou ne se les donnent pas) d’élaborer leur propre système d’information.

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