Notes
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[1]
Nous avons consulté la version électronique du chapitre d’ouvrage de Callon (2006) dans laquelle n’apparaissent pas les numéros de pages : http://books.openedition.org/pressesmines/1201.
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[2]
« We conceptualize the process of developing each accounting regulation as a trial of strength, whereby actors interested in mobilizing support for a new regulation seek to test and persuade others with their views ».
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[3]
L’ETAF est un forum comptable informel : « […] auquel participent les responsables des normes comptables des grands acteurs télécoms, et qui leur permet d’échanger sur les enjeux comptables et de se coordonner. Ils y invitent régulièrement des auditeurs […] et puis par ailleurs ils invitent régulièrement l’IASB, les membres du staff, pour échanger sur les enjeux, sur leur compréhension des problématiques, les sensibiliser sur telle ou telle problématique propre à ce secteur d’activité. Maintenant ce forum, il existe sous une forme ou sous une autre dans un certain nombre de secteurs. » (A2).
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[4]
Allemagne, États-Unis, France, Royaume-Uni.
- [5]
Introduction
1Le due process, ou processus de consultation formelle des parties prenantes, est à l’origine un concept juridique, apparu au XIIIe siècle au Royaume-Uni puis inscrit dans la constitution américaine, selon lequel les décisions d’une autorité sont « prises en concertation avec les intéressés et dans le respect des intérêts et des valeurs de l’ensemble des parties concernées » (Le Manh 2016). Durant la décennie 1970, plusieurs organismes de normalisation comptable nationaux, critiqués pour le manque de transparence de leur processus de décision, adoptent un due process, censé renforcer leur légitimité. Le normalisateur comptable international n’échappe pas à cette exigence « démocratique ». Dès les années 1990, l’IASC devenu l’IASB, s’est doté d’un due process et n’a eu de cesse de tenter de l’améliorer depuis lors, notamment pour répondre aux détracteurs qui en questionnent le fonctionnement (Burlaud et Colasse 2010 ; Ram et Newberry 2013 ; Richardson et Eberlein 2011).
2Le due process de l’IASB a déjà fait l’objet de plusieurs recherches mais la plupart d’entre elles se sont concentrées sur l’analyse des lettres de commentaires envoyées au normalisateur pour déterminer la nature des différents répondants et tenter d’évaluer leur influence respective. À notre connaissance, très peu d’études se sont intéressées aux stratégies mises en œuvre par certaines parties prenantes pour influencer les décisions du normalisateur. Notre recherche vise à mieux comprendre ces stratégies et contribue en ce sens à enrichir la littérature sur le due process. Toutefois, analyser de façon approfondie l’ensemble du due process de l’IASB n’est pas réalisable dans un temps limité. Nous avons donc choisi, à l’instar de plusieurs travaux antérieurs, de circonscrire notre recherche à l’étude du due process d’une norme spécifique, la norme IFRS 15 sur la comptabilisation des revenus (RevRec), publiée par l’IASB en mai 2014 (IFRS Foundation 2014). Le choix du projet RevRec est motivé par sa nature controversée qui a conduit l’IASB à publier, fait jusque-là assez rare, un 2e exposé-sondage (ED) avant la publication de la norme finale. Contrairement à la plupart des recherches antérieures, notre travail n’a pas pour objectif d’identifier les acteurs les plus influents, mais d’analyser en profondeur le comportement d’un groupe d’acteurs qui s’est investi dans le due process de la norme IFRS 15. Nous nous intéressons ainsi à un groupe de préparateurs de comptes issus d’un même secteur, celui des télécommunications (les Telcos). Le choix du secteur des Telcos s’explique par sa très grande implication lors du due process, en raison notamment des fortes incidences du texte sur sa pratique historique de reconnaissance du chiffre d’affaires. Ainsi cherchons-nous, à partir du cas des Telcos, à mieux appréhender, dans un cas de contestation, les stratégies mises en œuvre par un groupe sectoriel qui participe au due process de l’IASB.
3La contribution de cet article est double. D’une part, nous proposons d’aborder le due process de l’IASB selon une approche novatrice au regard des recherches antérieures. De manière inédite, nous avons eu accès aux témoignages de participants au due process du projet RevRec sur une période de plus de 3 ans, qui nous a permis de reconstituer une vision la plus exhaustive possible du processus. D’autre part, nous mobilisons de façon originale la théorie de la traduction (Callon 1981, 1986; Latour 1987; Latour et Woolgar 2006) grâce à laquelle nous observons et restituons les différentes phases de la stratégie mise en œuvre par les Telcos pour tenter de faire amender le projet RevRec. À notre connaissance, la théorie de la traduction n’a jamais été mobilisée dans le cadre d’une analyse de la participation au due process d’un organisme de normalisation comptable. Comme le soulignent Dreveton et Rocher (2010, p. 1), plus qu’une théorie qu’il s’agirait de tester, la théorie de la traduction fournit « un cadre explicatif de la constitution des faits ». En ce sens, elle semble particulièrement adaptée à l’objet de notre recherche.
4Ce papier est organisé de la façon suivante. Dans une première partie, nous proposons une synthèse de la littérature sur le due process des organismes de normalisation comptable et présentons le cadre théorique de la recherche. Le contexte de l’étude de cas est explicité dans une deuxième partie. La méthodologie mise en œuvre est exposée dans une troisième partie. Dans une quatrième partie, nous restituons notre étude de cas, puis nous discutons nos résultats dans une dernière partie.
1 – Revue de la littérature et cadre théorique
5Dans cette première partie, nous présentons les principaux courants de recherche sur le due process des organismes de normalisation comptable puis introduisons notre cadre théorique, la théorie de la traduction.
1.1 – Les grands courants de recherche sur le due process
6La littérature sur le due process des organismes de normalisations comptables s’articule autour de deux grands courants (Stenka et Taylor 2010). Un premier groupe d’études cherche à identifier les déterminants de la participation des parties prenantes au due process tandis qu’un second groupe s’interroge sur les résultats de cette participation et sur l’influence exercée par les différentes parties prenantes.
7Le premier courant englobe des études qui s’inscrivent dans le cadre de la théorie politico-contractuelle de Watts et Zimmerman (1978) et/ou dans l’approche coût-bénéfice de Sutton (1984). Selon le cadre théorique développé par Sutton (1984), une partie prenante ne participerait au processus de consultation que si elle estime pouvoir influencer la décision finale et si les bénéfices attendus sont supérieurs aux coûts engagés. Il en conclut que les préparateurs de comptes, qui disposent des ressources les plus importantes, et qui sont, a priori, les plus affectés par les changements de normes, sont plus enclins à participer au due process que les utilisateurs, ce que confirment d’autres études (Georgiou 2002 ; Giner et Arce 2012 ; Jorissen et al. 2012; Knopse et Dobler 2013 ; Le Manh 2012 ; Mezias 1989 ; Tandy et Wilburn 1992 1996 ; Weetman et al. 1996).
8Le deuxième courant regroupe des travaux qui visent à appréhender les éventuels jeux de pouvoir intervenant au cours du due process. Ces recherches empruntent divers cadres théoriques. Une majorité d’entre elles propose d’analyser le due process d’un organisme de normalisation comptable national ou international à partir de cas particuliers d’élaboration de normes. Plusieurs études révèlent une influence avérée des préparateurs sur les décisions finales du normalisateur (Brown et Feroz 1992 ; Cortese et al. 2010 ; Haring 1979 ; Hope et Gray 1982 ; Saemann 1995), alors que celles mettant en évidence une influence prépondérante des utilisateurs sont plus rares (Brown 1981 ; Saemann 1999). D’autres recherches soulignent l’émergence de coalitions entre différentes parties prenantes qui exercent une influence sur le normalisateur (Perry et Nöelke 2005 ; Walker et Robinson 1994). Alors que la domination du processus de normalisation comptable par certains acteurs est souvent perçue négativement, Chalmers et al. (2012) suggèrent, dans une étude sur l’émergence d’une nouvelle régulation en matière d’information financière publiée par les industriels de l’eau en Australie, qu’au contraire la poursuite d’intérêts particuliers peut contribuer à l’intérêt général. Plusieurs chercheurs soulignent que, si les critiques émises par les participants au due process semblent influencer le normalisateur, il est impossible d’identifier un groupe dominant (Hansen 2011 ; Kenny et Larson 1993 ; Yen et al. 2007). D’autres travaux directement focalisés sur l’IASB, révèlent cependant qu’il est difficile d’établir une corrélation entre les réponses des participants et les décisions du normalisateur et s’interrogent sur le rôle et le fonctionnement du due process (Kahloul 2012 ; Le Manh 2012 ; Noël et al. 2010). Plus récemment, Himick et al. (2016) questionnent l’intérêt sociétal du due process dans le cadre de la normalisation comptable, au-delà d’une légitimité démocratique apparente (Botzem 2014).
9Les travaux précités se focalisent donc exclusivement sur la relation entre un acteur ou groupe d’acteurs, et le normalisateur. Notre proposition, qui trouve ses racines dans l’observation d’une tendance émergente, se veut différente. Nous nous focalisons ici sur des entreprises qui s’organisent entre elles, à un échelon transnational, en créant des groupes sectoriels. Il s’agit d’un phénomène relativement récent, ayant fait l’objet de peu de travaux et qui pourrait, selon nous, devenir central dans la compréhension de la production et de la mise en œuvre des IFRS. Plusieurs travaux ont certes d’ores et déjà révélé l’influence de certaines industries sur le processus de normalisation comptable dans un contexte national (Hope et Gray 1982) ou international (Cortese et Irvine 2010) cependant, à notre connaissance, aucune étude n’a mis en évidence la constitution d’un véritable réseau sectoriel transnational dans le cadre de la normalisation comptable internationale.
10Nous proposons ainsi une étude exploratoire qui a pour objectif de restituer le mode opératoire suivi par les Telcos à la lumière de la théorie de la traduction.
1.2 – De l’apport de la théorie de la traduction
1.2.1 – Présentation du modèle théorique
11La théorie de la traduction (Actor Network Theory, ANT) trouve ses origines dans les travaux de Callon (1981, 1986, 1989), Latour (1987) et Latour et Woolgar (2006) dédiés au développement et à la diffusion des faits scientifiques. Dans la littérature, ce cadre théorique apparaît sous différentes dénominations : « théorie de la traduction », « théorie de l’acteur-réseau », « sociologie de l’acteur réseau » (SAR) ou encore « sociologie de la traduction ». Pour Callon (2006) l’association des termes acteurs et réseau a pour ambition de formellement s’affranchir de la dichotomie classique des sciences sociales qui opposent acteur et système.
12Le concept de traduction est défini comme « l’ensemble des négociations, des intrigues, des actes de persuasion, des calculs, des violences grâce à quoi un acteur ou une force se permet ou se fait attribuer l’autorité de parler ou d’agir au nom d’un autre acteur […]. Dès qu’un acteur dit “nous”, voici qu’il traduit d’autres acteurs en une seule volonté dont il devient l’âme ou le porte-parole. » (Callon et Latour 2006, p. 13). Dans ce processus, le rôle du traducteur est de contextualiser et de problématiser un réseau d’actants pour parvenir à dépasser une tension et à faire accepter une cause. Il ne peut toutefois agir seul ; il s’appuie sur des porte-parole qui diffusent la cause qu’il défend : « Le destin de l’innovation, son contenu mais aussi ses chances de succès, résident tout entier dans le choix des représentants ou des porte-parole qui vont interagir, négocier pour mettre en forme le projet et le transformer jusqu’à ce qu’il se construise un marché […] » (Akrich et al. 1988, p. 12). Ces porte-parole sont essentiels car : « Les actants et les intermédiaires étant trop nombreux pour être tous pris en compte individuellement dans le processus de traduction, des porte-parole doivent être identifiés. » (Walsh et Renaud 2010, p. 288).
13Cette démarche de traduction s’achève par la détermination d’un vainqueur, « celui qui peut stabiliser un certain état des rapports de forces en association le plus grand nombre d’éléments irréversiblement liés » (Callon et Latour 2006, p. 14). Enfin, Collin et al. (2016) insistent sur le principe de symétrie selon lequel le chercheur appréhende sur un pied d’égalité les phénomènes issus de la nature et de la société. Callon (2006, p. 267-276) [1] propose ainsi de remplacer « La notion de société faite d’humains […] par celle de collectif produit par des humains et des non humains […] La contribution des non humains ne peut plus être ignorée […] par les sciences sociales… ». Pour formellement lier acteurs humains et non humains les auteurs utilisent le terme générique d’« actant » plutôt que celui d’« acteur ». Ainsi parlerons-nous dorénavant d’actants.
1.2.2 – Utilisation du cadre en sciences de gestion
14Les chercheurs en sciences de gestion, de plus en plus, mobilisent la théorie de la traduction pour éclairer leurs travaux (Alcouffe et al. 2008 ; Baxter et Chua 2003; Joannidès et Berland 2013). Rares sont toutefois les travaux qui ont mobilisé l’ANT pour étudier le changement en matière de normalisation comptable. Nous allons revenir sur ceux de Ezzamel et Xiao (2015) et de Mennicken (2008).
15Les premiers se sont focalisés sur le processus d’implémentation du référentiel comptable international (IAS) en Chine. Les auteurs soulignent le potentiel de l’ANT qui leur a permis d’aborder l’évolution de la pensée comptable en tant que processus impliquant un réseau d’acteurs humains et non humains. Plus particulièrement ils considèrent les « caractéristiques chinoises » comme étant des points de passage obligés « discursifs » qui ont permis de concilier la volonté de converger vers ce référentiel tout en préservant l’identité culturelle chinoise (Ezzamel et Xiao 2015, p. 77).
16Mennicken (2008), mobilise la sociologie de la traduction pour étudier le processus d’adoption de normes d’audit internationales (ISA) dans un cabinet d’audit russe à l’ère post-soviétique. Elle décrit et analyse différentes connections entre les ISA, les instruments développés pour les opérationnaliser et les différents modes de pensée dominants dans la pratique de l’audit. Elle démontre la pertinence du cadre pour traiter du changement, des conflits dont il est à l’origine, et des phénomènes de résistance qu’il engendre.
17Les travaux d’Ezzamel et Xiao et ceux de Mennicken se distinguent toutefois des nôtres par le caractère plus « radical » du changement étudié. Ce dernier intervient à un niveau macroéconomique et accompagne, plus largement, un changement d’orientation de la politique économique en vigueur dans un pays.
18Notre recherche s’intéresse à un changement, qui bien qu’ayant des conséquences importantes dans le quotidien de nombreux acteurs, demeure beaucoup plus circonscrit. Nous utilisons la théorie de la traduction dans la perspective des Telcos, il s’agit en cela d’une utilisation particulière de ce cadre théorique. En effet, le projet IFRS 15 n’est pas examiné dans son intégralité, mais dans la perspective de ce seul groupe. À cet égard, le travail identifié le plus proche du notre est celui de Woods (1998). Ce dernier propose une étude de cas, mobilisant l’ANT, sur la manière dont un groupe de parlementaires s’apprête à déposer un texte de loi en vue d’interdire la chasse d’une espèce animale. Nous sommes donc bien dans une situation de production d’un texte à vocation normative et réglementaire. Woods (1998) démontre alors que l’ANT, malgré certaines limites, peut être mobilisée pour l’étude d’un processus législatif.
19Nous conclurons sur l’intérêt de ce cadre dans notre recherche en citant Ezzamel et Xiao (2015, p. 62) qui résument ainsi le processus de régulation comptable : « Nous conceptualisons le processus de production de chaque norme comptable en tant que rapport de force, au cours duquel des acteurs en quête de soutien en faveur d’une nouvelle norme cherchent à convaincre d’autres acteurs ». [2]
20Nous partageons cette vision et estimons que l’ANT permet d’apporter un éclairage pertinent du processus. Nous insisterons sur la manière dont la construction d’un réseau d’actants multiples est une caractéristique centrale de la démarche des Telcos. Enfin, tout comme l’analyse de Woods (1998), notre étude se termine par un échec de la démarche de résistance des Telcos, échec sur lequel nous tenterons d’apporter un éclairage.
1.2.3 – Le processus de traduction et la mise en œuvre du cadre théorique
21Pour Callon (1986) la traduction est un processus qui consiste à faire converger des acteurs aux intérêts divergents. Ainsi lorsqu’elle est « réussie [elle] permet alors d’aligner les positions (“situations isotropiques”). À l’inverse, dans une traduction manquée, les positions des acteurs restent incommensurables et non-alignées ou mal alignées (“situations polyphonique”). Le réseau est constitué quand les différents acteurs(/actants) sont alignés par la traduction […] » (Walsh et Renaud 2010, p. 288).
22Selon le modèle développé par Callon (1986), le processus de traduction s’articule autour de quatre phases ou moments, auxquels nous nous référerons dans la restitution de notre étude de cas, à l’instar de Woods (1998) et Ezzamel et Xiao (2015). Ces moments ne sont pas nécessairement séquentiels bien que la restitution analytique selon ce phasage puisse donner, à tort, un sentiment de linéarité.
23La problématisation est le premier moment du processus, celui au cours duquel le traducteur identifie et formule un problème avant de sélectionner les actants qu’il juge importants pour atteindre son objectif (Akrich 2006a). Cette phase doit le conduire à « montrer la nécessité et l’utilité du projet qu’ils souhaitent mener. Elle doit permettre de constituer les prémices d’un collectif. » (Dreveton 2014, p. 48). La problématisation construite par le traducteur doit cristalliser les intérêts des différentes parties prenantes et ainsi devenir un « point de passage obligé », autrement dit les acteurs identifiés : « ne peuvent atteindre leurs objectifs individuellement mais uniquement en répondant à la problématisation commune […] La problématisation peut donc être vue comme l’alignement des problématiques des différents actants exprimées au travers de leurs besoins ressentis/perçus ». (Walsh et Renaud 2010, p. 291)
24Suit la phase d’intéressement. C’est à ce stade qu’intervient la convergence des buts et que se développent les liens entre agents enrôlés et enrôleurs. L’objectif est de renforcer les liens précédemment tissés. Plus précisément, les actants identifiés : « doivent accepter la problématique proposée par le traducteur » (Walsh et Renaud 2010, p. 292). Pour y parvenir, ce dernier pourra être amené à neutraliser d’éventuels phénomènes perturbateurs, tels que des messages divergents qui viendraient se dresser entre lui et les actants identifiés. Comme le souligne Walsh et Renaud (2010), il est naturel de voir apparaître lors de cette phase de construction du réseau des problématisations concurrentes, susceptible de fragiliser la force du réseau naissant.
25L’enrôlement « désigne le mécanisme par lequel un rôle est défini et attribué à un acteur qui l’accepte. L’enrôlement est un intéressement réussi » (Callon 1986, p. 189). L’enrôlement est un moment particulièrement délicat, notamment du fait de la montée en puissance des forces contradictoires précitées. La mission du traducteur consiste à poursuivre son travail de persuasion afin que les actants demeurent convaincus que la solution apportée par la problématisation est bien la meilleure pour eux (Walsh et Renaud 2010). Cette phase d’enrôlement doit se concrétiser par des actions entreprises par les différents actants que les traducteurs ont intéressés.
26Au cours de la dernière phase, celle de la mobilisation des alliés, les enrôleurs se confronte à une population élargie, au macrocosme. La question de la représentativité des porte-parole se pose alors avec une acuité particulière. Tous les actants ne pouvant participer aux débats, ils sont représentés par leurs porte-parole qui doivent être suffisamment représentatifs pour qu’un vrai dialogue puisse s’instaurer entre les porte-parole par le biais du traducteur (Walsh et Renaud 2010, p. 293). C’est aussi au cours de cette phase que naîtront de nouvelles controverses qui ne pourront s’éteindre que lorsque la représentativité des porte-parole sera devenue incontestable (Callon 1986, p. 199). Selon Alcouffe et al. (2008, p. 3) ces controverses peuvent intervenir entre différents éléments, avec d’autres membres du réseau, avec des réseaux concurrents, avec des clients, des acteurs non-humains, et avec des forces économiques. Ces désaccords font évoluer voire modifient le processus qui s’adapte en réponse.
27Une fois ce dernier alignement atteint, le processus est arrivé à son terme et le résultat de la traduction s’institutionnalise. Comme le souligne Rocher (2011, p. 139), il est important de noter que « ce modèle ne vise ni à démontrer ni à tester. Il constitue un cadre explicatif favorisant la compréhension d’un processus à partir de la (re)constitution d’une histoire ». Dans ce papier, c’est bien le récit de la participation des Telcos au due process de la norme sur la reconnaissance des revenus que nous avons cherché à reconstituer en suivant les différents moments du modèle. Toutefois, nous porterons une attention particulière aux concepts de porte-parole et d’actants non-humains dont le pouvoir explicatif nous semble particulièrement pertinent pour éclairer nos données.
2 – Le contexte de l’étude de cas
28Notre choix du projet RevRec s’explique par sa durée, inscrit à l’agenda de l’IASB pendant plus de 10 ans, par son caractère généraliste – tous les secteurs d’activité étant concernés – et par les controverses qu’il a suscitées. La réalisation d’une étude approfondie nécessitait de restreindre l’étude à un secteur d’activité spécifique. Le choix des Telcos résulte tant de notre volonté de nous intéresser à un secteur fortement impacté par le projet de l’IASB que d’un comportement d’opportunisme méthodique (cf. § 3.1).
2.1 – Les enjeux de projet RevRec pour les Telcos
29Historiquement, la reconnaissance des revenus au sein de l’industrie des télécoms a toujours suscité de vifs débats (Moreaux et Encaoua 1987; SEC 2011). Avec l’entrée en vigueur des IFRS en 2005 un consensus transnational largement partagé a vu le jour au sein de l’European Telecommunication Accounting Forum (ETAF) [3]. Les travaux du groupe ont permis l’émergence d’une pratique comptable institutionnalisée, inspirée des US GAAP et déjà largement répandue au sein du secteur avant même la mise en œuvre des IFRS.
30L’une des principales difficultés que soulève la reconnaissance des revenus pour les Telcos a trait aux offres « packagée » (bundle). Elles consistent pour un opérateur à proposer un terminal subventionné avec en contrepartie une durée d’engagement minimale contractuellement définie. La problématique comptable en matière de reconnaissance des revenus réside, d’une part, dans l’allocation du prix entre le terminal et les prestations de services, et d’autre part, dans la comptabilisation des coûts d’obtention du contrat : la subvention accordée au client.
2.2 – Pratique actuelle et évolution envisagée par la nouvelle norme
31À ce jour, chez les Telcos, la très grande majorité des revenus est comptabilisée concomitamment à la facturation effective selon la méthode dite du « cash cap ». Celle-ci consiste à comptabiliser en revenus les montants effectivement facturés aux clients (cf. Annexe A).
32Le projet RevRec introduit une modification significative du mode de comptabilisation des contrats bundle. Il prévoit en effet une allocation du revenu entre le terminal et les prestations de services fondée sur le prix relatif de chaque élément livré de façon isolée. Ces deux éléments représentent les « obligations de performance » de l’entité vendeuse à l’égard du client. Le chiffre d’affaires (CA) ainsi déterminé sera reconnu lors du transfert du contrôle de chaque élément stipulé dans le contrat (terminal et prestation de services).
33Pour les Telcos, la nouvelle norme envisagée par l’IASB et le FASB présente plusieurs inconvénients dont les principaux sont (IFRS Foundation 2011) :
- l’allocation d’une partie du revenu généré par le contrat au terminal n’offrirait pas une information utile. La méthode conduit à sous-estimer le CA reconnu au titre des prestations de services (les communications du client) par rapport à la trésorerie effectivement perçue.
- l’estimation des prix de vente de chaque élément isolé (le terminal et les prestations de services) sera complexe et introduira une part significative de jugement, qui pourrait conduire à une réduction de la comparabilité de l’information financière entre les entreprises.
- Les principaux indicateurs suivis par les investisseurs (essentiellement, le revenu moyen par utilisateur « ARPU ») deviendraient moins prédictifs, obligeant les opérateurs à continuer à fournir les informations financières actuelles.
- L’application de la nouvelle norme sera complexe et coûteuse en raison du volume élevé de contrats et de leurs disparités. Une modification significative des systèmes d’information serait à prévoir.
- La reconnaissance d’un CA supérieur au montant de la contrepartie payée pour le terminal ne serait pas appropriée dans la mesure où l’entité ne percevra l’excédent que si elle fournit la prestation de services de communication.
34Plus largement, selon les Telcos, l’application de la nouvelle norme devrait donc avoir des conséquences très lourdes en termes de mise en place opérationnelle et de communication financière.
2.3 – Le projet de norme et son historique
35Le projet RevRec trouve son origine dans les travaux du G4+1 à la fin des années 1990, groupe qui disparut en 2001 avec la naissance de l’IASB. Le thème « revenue recognition » figurait ainsi dans sa liste des projets en cours, publiée en janvier 2001, à finaliser par l’IASB. En janvier 2002, le FASB inscrit le projet revenue recognition à son agenda, suivi par l’IASB en juin 2002. Dès septembre 2002, les deux Boards décident de travailler conjointement sur ce projet. Le processus de production de la future norme a été particulièrement long et s’articule en 5 étapes (Fig. 1).
Chronologie du projet Revenue Recognition
Chronologie du projet Revenue Recognition
2.4 – Chronologie de l’intervention des Telcos
36Trois grandes séquences jalonnent l’implication des Telcos dans le processus de normalisation d’IFRS 15 :
37Séquence 1 : décembre 2008 – novembre 2011 : de la publication du DP à celle de l’ED 2
38Dès la publication du Discussion Paper (DP) en 2008, un groupe de 5 Telcos européens prend conscience des difficultés du projet et commence à en informer l’ensemble de l’industrie. Chaque membre de ce groupe informel se rapproche aussi de ses auditeurs. Ils adressent chacun leur lettre de commentaires à l’IASB, en mentionnant une concertation avec d’autres membres de l’industrie des Telcos, tout en précisant que cette lettre est écrite uniquement en leur nom.
39Après la publication du 1er Exposure Draft (ED1) en juin 2010, qui reprend les principales dispositions du DP, les Telcos font entendre leur voix à l’IASB et une session spécifique leur est dédiée le 11 mai 2011, lors d’une réunion conjointe IASB/FASB. Cependant, l’ED2 publiée en novembre 2011 ne répond pas à leurs attentes.
40Séquence 2 : décembre 2011 – janvier 2013
41La publication de l’ED 2 semble accélérer le processus de mobilisation de l’industrie des Telcos contre le projet de norme. En effet, même si chaque opérateur répond individuellement à l’appel à commentaires de l’IASB, une lettre commune signée par 13 Telcos est envoyée le 26 février 2012. Les contacts avec le staff de l’IASB sont renforcés. En décembre 2012, dans un draft paper, le staff propose au Board de modifier les dispositions de l’ED 2 afin de maintenir un mode de comptabilisation du CA qui pourrait convenir à l’industrie des Telcos. Le Board décide cependant de rejeter cette proposition (IFRS Foundation 2012).
42Séquence 3 : février 2013 – mai 2014
43Conscients qu’ils ne parviendront sans doute pas à infléchir la position de l’IASB, le groupe de 13 Telcos adresse une nouvelle lettre à l’IASB demandant à ce que l’approche portefeuille, évoquée lors des discussions avec le staff, soit explicitement mentionnée dans IFRS 15. L’approche portefeuille permettrait en effet de regrouper les contrats avec les clients par catégories et d’éviter ainsi un traitement comptable, contrat par contrat. Cette approche a bien été reprise dans la norme IFRS 15 publiée en mai 2014.
3 – Méthodologie
44L’ANT préconise d’aborder et de présenter les faits dès leur création ou de mettre en œuvre une approche permettant de les reconstituer. C’est cette seconde option que nous avons retenue.
3.1 – Une étude de cas unique
45L’utilisation d’un cadre théorique a des répercussions plus ou moins importantes sur la méthodologie de recherche. Concernant l’ANT, le consensus porte sur l’importance de la prise en considération de la dimension longitudinale de l’enquête. En effet, pour Collin et al. (2016) : « il est essentiel de restituer les récits […] en train de se faire pour comprendre les raisons de leur succès ou de leur échec, en évitant de recourir aux explications a posteriori […] Pour ce type d’analyse fine il est conseillé de pratiquer la recherche qualitative longitudinale ».
46Nous avons opté pour la réalisation d’une étude de cas unique qui permet un travail en profondeur sur une situation donnée. Yin (2009, p. 52) évoque différentes raisons qui justifient le recours à une étude de cas unique. Parmi elles, il cite le « cas révélateur » qui correspond à la possibilité pour un chercheur d’analyser un phénomène précédemment inaccessible à l’observation scientifique, ce qui semble bien être notre cas. L’étude de cas mérite alors d’être conduite ne serait-ce qu’en raison de l’apport provenant de la seule information descriptive.
47La conciliation des différentes contraintes imposées tant par le cadre théorique que par le choix de l’étude de cas, nous a conduits à diversifier le panel d’actants interviewés ainsi qu’à allonger la durée d’investigation avec des entretiens étalés sur une période de plus de trois années. Cette temporalité nous permet ainsi d’appréhender l’évolution des différentes postures et permet une meilleure compréhension des enjeux et forces en présence.
3.2 – Collecte des données
48La réalisation d’une étude de cas est un défi d’envergure, compte tenu de la somme de données à engranger pour reconstituer un cas exploitable. Pour y parvenir, nous avons fait preuve d’« opportunisme méthodique » comme le suggère Girin (1989) qui invite le chercheur à saisir les occasions qui se présentent à lui. Nous concernant, l’opportunisme méthodique fut lié à l’accès privilégié aux données. Notre souhait était de sélectionner un cas emblématique pour lequel nous pourrions retracer et interviewer le plus grand nombre d’acteurs impliqués dans le processus. Une rencontre, intervenue dans le cadre d’une immersion de plusieurs mois au sein d’un grand cabinet d’audit, avec un associé terrain, coresponsable de la branche sectorielle mondiale Telcos du cabinet, fut déterminante. Il nous a relaté son expérience aux côtés de son principal client Telcos au cours du due process du projet RevRec. Il nous a permis d’entrer en contact avec son client, un grand opérateur, qui nous a reçus à trois reprises pour nous décrire l’évolution des grandes séquences du projet. Nous avons également été mis en relation avec le second responsable Telcos du cabinet, proche de la Direction Technique globale du cabinet, avons pu interviewer un membre du Board de l’IASB, rencontrer deux membres du staff de l’IASB. Le premier opérateur rencontré nous a mis en relation avec d’autres responsables des normes comptables Telcos internationaux (cf. tableau 1). Les membres de la Direction Technique du cabinet ont également largement répondu à nos questions. Nous avons donc eu accès à un panel d’interviewés très riche, tant par leurs fonctions (3 professions) que par leurs nationalités (4 nationalités [4]), ce qui, pour un référentiel transnational, renforce la pertinence de nos données.
Détail des entretiens menés
IASB | Code | Date | Temps |
---|---|---|---|
IASB, membre du Board | I2 | juin-11 | 01:15 |
IASB, 2 membres du staff | I1 | oct-13 | 01:25 |
IASB, membre du Board | I2 | oct-13 | 00:42 |
Auditeurs | |||
Associé audit Télécom / coresponsable secteur Telcos Monde 1 | A3 | juin-11 | 01:15 |
Associé audit Télécom 2 | A2 | mars-12 | 00:57 |
Associé Direction Technique | A1 | avr-12 | 00:35 |
Associé audit Télécom 3 | A7 | avr-12 | 01:16 |
Associé audit Télécom 2 | A2 | mai-12 | 00:37 |
Associé audit Télécom / coresponsable secteur Telcos Monde 1 | A3 | mai-12 | 00:27 |
Senior Manager audit Télécom + fonctions techniques | A4 | mai-12 | 01:30 |
Senior Manager fonctions techniques globales 1 | A5 | oct-13 | 01:32 |
Senior Manager fonctions techniques globales 2 | A6 | oct-13 | 00:35 |
Associé coresponsable secteur Telcos Monde 2 | A8 | janv-14 | 01:07 |
Associé Direction technique | A9 | nov-14 | 01 :00 |
Telcos | |||
Directeur normes groupe opérateur 1 | T1 | mai-12 | 01:58 |
Directeur normes groupe opérateur 1 | T1 | mai-12 | 01:40 |
Directeur normes groupe opérateur 1 | T1 | juin-13 | 02:20 |
Directeur normes groupe opérateur 2 | T2 | juin-14 | 01:40 |
Directeur normes groupe opérateur 3 | T3 | sept-14 | 00:43 |
Directeur normes groupe opérateur 4 | T4 | oct-14 | 00:52 |
Directeur financier opérateur 5 | T5 | sept-14 | 01:01 |
Total | 24:27 |
Détail des entretiens menés
49Nous avons mené 22 entretiens semi-directifs, enregistrés et retranscrits, avec 16 personnes. À cette fin, nous avons construit une grille d’entretien que nous avons fait évoluer selon une logique incrémentale en fonction des entretiens précédents. Nos premiers entretiens furent très exploratoires et se caractérisèrent par des questions générales permettant aux acteurs de décrire leurs actions au cours du due process. Ils nous ont permis de cerner les enjeux du point de vue du secteur et d’amorcer notre processus de compréhension du mode opératoire qu’il a adopté. Au fil des entretiens nous avons affiné notre guide. D’une part, pour prendre en compte l’évolution de nos connaissances ; par exemple, une fois les enjeux techniques assimilés nous pouvions passer ce point rapidement pour nous concentrer sur les éléments jugés plus fondamentaux. D’autre part, afin de trianguler les points de vue et de corroborer les informations. Par exemple, lorsqu’un Telco européen nous décrit ses relations avec les Telcos américains et que nous obtenons un entretien avec un Telco américain, nous l’interrogeons sur sa perception de la demande de ralliement des Européens. Cette approche « croisée » nous a permis d’instaurer une forme de dialogue indirect entre les différents protagonistes.
50Au-delà des entretiens, nous avons aussi utilisé les comptes rendus très détaillés des réunions du Board établis par IFRS Monitor, un organisme privé. Bien que n’étant pas officiels, ces comptes rendus sont considérés comme des proxy fiables des délibérations du Board (Walton 2009). Ils constituent la seule source accessible pour obtenir une restitution exhaustive des délibérations des réunions du Board et ont déjà été utilisés à ce titre par plusieurs chercheurs (Baudot 2012 ; Kahloul 2012). Ces comptes rendus nous ont permis de corroborer les propos tenus par les acteurs de l’IASB que nous avons rencontrés et nous ont fourni des informations sur la teneur des débats intervenus au sein du Board dans des sessions au cours desquelles le cas des Telcos fut abordé. Nous faisons également ponctuellement référence aux documents publics produits par le staff de l’IASB ou encore aux lettres de commentaires produites par les Telcos.
3.3 – Analyse de contenu
51Tous les entretiens ont fait l’objet d’une retranscription exhaustive. Ces derniers ont été analysés à l’aide du logiciel NVivo.
52Notre approche a débuté par une analyse de premier niveau qui nous a conduits à convertir cette « masse de discours » en « unités de sens » (Deschenaux 2007, p. 10). Pour Miles et Huberman (2007), le codage de premier niveau consiste à agglomérer l’information par grands thèmes afin d’en faciliter l’accès. Cette première analyse nous a permis d’organiser et d’articuler nos données d’un point de vue descriptif et longitudinal.
53Nous nous sommes focalisés sur deux aspects spécifiques dans notre codage : (i) les actions réalisées par chaque catégorie d’acteurs sélectionnée, ainsi que (ii) leurs interactions avec d’autres acteurs. Notre codage fut à la fois déductif et inductif : déductif par une recherche d’actions et d’interactions et inductif par l’émergence de sous-thèmes à l’intérieur de ces deux grandes catégories. Nous avons notamment identifié les sous-thèmes suivants : « Rencontres et liens avec l’IASB », « Réponse commune Telcos », « Organisation du travail Telcos », « Enrôlement Telcos »…
54Une fois cette base constituée, nous avons pu réaliser un codage manuel de second niveau qui avait pour finalité d’articuler nos données finement découpées et organisées et les quatre moments de la théorie de la traduction. Cette confrontation au cadre théorique a permis une mise en perspective des données. Nous avons procédé à ce dernier rapprochement manuellement lors de la phase de rédaction, une fois le plan de notre empirie arrêté.
55Notre méthodologie est donc entièrement basée sur une analyse de contenu. Plus précisément, nous avons structuré le processus de traduction conduit par les Telcos en différents moments en accordant une place particulière aux concepts clés issus de la théorie : les porte-parole, qui cherchent à persuader de la force de leur cause, et les actants qui jalonnent tout le processus.
4 – La construction d’un réseau d’acteurs pour infléchir le projet RevRec de l’IASB
56Dans cette partie, nous restituons la démarche d’influence des Telcos en considérant les grands moments de la théorie de la traduction.
4.1 – Les Actants
57La mise en œuvre de la théorie de la traduction implique que les chercheurs identifient un ensemble d’actants « dont ils s’attachent à démontrer qu’ils doivent, pour atteindre les objectifs ou suivre les inclinations qui sont les leurs, passer obligatoirement par le programme […] proposé » (Callon 1986, p. 181). L’exploitation des différents entretiens menés nous a permis d’identifier trois catégories d’actants humains dont le rôle a été prépondérant : les Telcos, les auditeurs et l’IASB.
58Les Telcos constituent nos traducteurs et nous aborderons notre enquête par le prisme de ce groupe qui n’est toutefois pas homogène. Au sein de ce groupe, se dégage un sous-groupe que nous appellerons « noyau » notamment pour souligner le caractère centrifuge de l’intéressement et de l’enrôlement. Ce noyau est donc composé de cinq Telcos européens, plus actifs et plus particulièrement à l’origine de la mise en évidence des problèmes posés par le projet RevRec. Dès la publication du DP de 2008, ce noyau réalise l’enjeu du projet de l’IASB : « durant le processus de commentaire dans DP et l’ED, je pense que les grands opérateurs [NDLR : le noyau], nous avons fait le plus d’analyse, fourni le plus de travail, et avons le plus travaillé ensemble dans notre effort de lobbying » (T3).
59Le noyau fait bien entendu partie de l’ETAF qui fédère la quasi-totalité des opérateurs européens. Par ailleurs, s’agissant d’un projet conjoint IASB-FASB, les Telcos appliquant les normes américaines sont aussi pris en compte dans notre analyse.
60Les auditeurs, et plus particulièrement les Big Four, constituent la 2e catégorie d’actants à laquelle nous nous intéressons. Le choix des auditeurs se justifie au regard de la littérature sur la participation au due process. Différents travaux révèlent que la profession comptable est la plus impliquée après les préparateurs de comptes (Giner et Arce 2012 ; Jorissen et al. 2006 ; Le Manh 2012 ; Tandy et Wilburn 1996). Par ailleurs, à l’exception de Puro (1984), les chercheurs se sont peu intéressés à la position des auditeurs par rapport à celles de leurs clients dans le due process.
61L’IASB, en charge de l’établissement des normes, est évidemment un actant incontournable.
62Enfin, au cours du processus de traduction émergera un dernier actant : le cadre conceptuel de l’IASB. Colasse et Burlaud (2010) ont montré qu’en l’absence de véritable légitimité politique, l’IASB s’est construit une double légitimité, procédurale et substantielle. Sa légitimité procédurale tient à son impartialité qui repose sur l’indépendance des membres du Board et sur l’existence d’un due process. Sa légitimité substantielle se fonde sur la compétence des membres du Board et sur l’utilisation d’un cadre conceptuel, véritable méta-norme censée guider le Board lors de la production des normes. Parmi les objectifs du cadre conceptuel, figure en 2e position : « aider le Conseil à promouvoir l’harmonisation des réglementations, des normes comptables et des procédures liées à la présentation des états financiers, en fournissant la base permettant de réduire le nombre de traitements comptables autorisés par les IFRS » (IFRS Foundation 2010, p. 8). L’IASB s’engage donc à produire des normes applicables à toutes les industries, sans traitements comptables spécifiques optionnels comme il en existe dans le référentiel américain. Dans notre restitution du processus de traduction, cet actant non-humain n’apparaîtra qu’au moment où son poids est devenu décisif, c’est-à-dire très tardivement.
63D’autres acteurs sont intervenus de manière plus marginale et nous avons choisi de ne pas les prendre en compte dans notre analyse : l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), l’ANC (Autorité des Normes Comptables) et les utilisateurs des états financiers.
64Le tableau 2 propose une synthèse des différents moments du processus de traduction engagé par le noyau pour tenter de convaincre les autres Telcos, les auditeurs et l’IASB de la nécessité de maintenir la pratique actuelle du cash cap.
Le processus de traduction initié par le noyau
Le processus de traduction initié par le noyau
65Pour faciliter la lecture, les différents moments du processus de traduction sont présentés successivement. Cependant, ce processus n’est pas forcément linéaire et certaines phases peuvent se chevaucher. Ainsi, comme nous le verrons ultérieurement, certains Telcos que les traducteurs cherchent à intéresser, vont tenter d’initier leur propre processus de traduction.
4.2 – Identification des actants et problématisation
66Dès 2008, les Telcos se fixent pour objectif de limiter les incidences du projet de norme sur la pratique historique du cash cap. Pour y parvenir, ils prennent conscience de l’importance d’avancer unis et donc de fédérer d’autres acteurs autour des difficultés induites par le projet RevRec.
67Suite à la parution du DP, le noyau s’aperçoit très rapidement des problèmes posés par le projet, et s’appuie sur l’ETAF, pour en informer ses pairs comme nous le raconte T1 : « Parce que tout le problème c’est la vision commune […] à l’intérieur de l’industrie. Donc ça, ce travail qui se fait […] c’est un travail entre acteurs de l’industrie, pour essayer de comprendre le projet de norme, d’en avoir une lecture la plus échangée possible […], quand le DP est sorti on a été les premiers à dire : “attendez cette norme elle va nous générer des problèmes majeurs” ». À ce stade, l’enjeu pour le noyau est de sensibiliser ses pairs aux incidences opérationnelles du projet pour obtenir leur adhésion à l’initiation d’une action coordonnée d’influence auprès de l’IASB. Un opérateur de plus petite taille nous confirme avoir été en retrait au début du projet (T5) : « on n’a pas été est très impliqué, enfin finalement, on est un petit opérateur et on se retranche un peu derrière le gros qui est très actif sur tous ces sujets-là ».
68Le noyau est uniquement composé d’opérateurs européens. Ses membres ont cependant cherché à convaincre des opérateurs non européens, notamment américains et asiatiques, de se rallier à l’action : « [on a] travaillé à partir de 2008 à rassembler les opérateurs sur le projet […] en élargissant à ce moment-là très vite la visualisation parce que s’agissant d’un projet commun à l’IASB et au FASB la nécessité de se rapprocher des Américains et d’aller chercher des soutiens en dehors du seul monde européen également ». (T1)
69En dehors du secteur d’activité, les opérateurs ont naturellement collaboré avec leurs auditeurs, leurs interlocuteurs privilégiés pour toutes les questions comptables. Les Telcos présupposant une proximité entre l’IASB et les grands cabinets, ont jugé important de les rallier à leur cause : « Les auditeurs, ils sont dans la classe parce qu’à mon avis, quand même 80 % des membres de l’IASB sont des auditeurs, et deuxièmement ils ont des contacts institutionnels structurés, organisés, donc c’est, la grosse différence entre l’émetteur, le préparateur et les firmes d’audit, elles sont dans le dispositif, un préparateur non » (T1). Pour les convaincre d’adhérer à leur vision en faveur du maintien du cash cap, ils mettent en avant l’incidence du projet sur la vérifiabilité des états financiers du projet.
70En théorie, l’IASB n’a pas besoin de l’accord des différentes parties prenantes pour publier une nouvelle norme mais une trop forte levée de boucliers l’exposerait à plusieurs difficultés. D’une part, la validité du due process, l’un des piliers de la légitimité des décisions de l’IASB (Burlaud et Colasse 2010), pourrait être remise en cause, d’autre part, l’adhésion minimale au texte proposé est un critère important pour que les normes soient ultérieurement correctement appliquées (Black 1997, 2002). Pour interagir avec l’IASB, les Telcos peuvent s’adresser directement aux membres du Board ou au staff. Le staff est en charge de la production des projets de normes tandis que les membres du Board votent les textes définitifs. Le staff dispose donc du « pouvoir de la plume ». Dans son analyse du due process de la norme IFRS et PME, Ram (2013) a mis en évidence son rôle déterminant. La réussite du processus d’influence dépend donc également des liens tissés avec lui, comme le souligne un membre du Board : « C’est très utile de parler au staff et d’essayer d’influencer le staff, bien sûr. D’ailleurs ce qu’on attend du staff, c’est qu’il fasse avant nous, avant le Board, tout ce travail d’« outreach ». […] De ce fait, il faut que les entreprises concernées effectivement s’organisent pour faire connaître leur point de vue au staff le plus tôt possible. » (I2). Et effectivement, les Telcos ont cherché à attirer l’attention non seulement des membres du Board mais aussi du staff : « […] il y a d’abord eu des discussions avec le staff et d’après les lettres de commentaires écrites par les Telcos, il était très clair que le staff et ensuite bien sûr le Board étaient conscients que l’industrie des Telcos était l’une des plus affectées par la norme » (T3).
71Cette sensibilisation se traduit par la définition d’un point de passage obligé, que Callon (1986) définit comme la seule voie qui permettra aux différents actants d’atteindre leurs objectifs (Fig. 2).
La phase de problématisation
La phase de problématisation
72Le succès de la démarche des Telcos nécessite en effet que chacun des actants accepte de se positionner par rapport au traitement comptable imposé par le projet de norme.
73L’identification de porte-parole représentatifs des différents groupes d’actants est essentielle dans le processus de traduction. Le traducteur doit « négocier avec les porte-parole de chaque groupe qui apparaissent comme représentatifs de chacun des groupes afin d’arriver à une problématisation qui soit congruente avec leurs problématiques » (Walsh et Renaud 2010, p. 13).
74Dans notre cas, le noyau joue le rôle de traducteur et tente en même temps de s’ériger en porte-parole des Telcos. Les grandes firmes d’audit sont interpellées par les Telcos sur le sujet mais aucun porte-parole n’émerge clairement avant la publication de l’ED 1. En ce qui concerne l’IASB, nos traducteurs prennent conscience de l’importance du staff qui écrit les normes, fait des propositions aux membres du Board et discute avec les parties prenantes tout au long de la phase de production d’une norme. Le staff semble donc constituer un porte-parole représentatif et facile à sensibiliser aux enjeux du projet pour l’industrie des Telcos.
4.3 – Les Telcos européens tentent d’intéresser d’autres actants
75La phase d’intéressement se traduit par la constitution d’un système d’alliances qui peut nécessiter de rompre les liens qu’entretiennent les acteurs avec leur environnement (Dreveton et Rocher 2010, p. 4). L’intéressement des Telcos européens hors du noyau se fait au sein de l’ETAF : « Depuis maintenant quatre ans et demi [NDLR : l’entretien se déroule en mai 2012], il a eu d’abord un travail d’éducation du secteur […] Et ensuite ça s’est traduit je dirais par des réunions permanentes de l’industrie, par des lettres de commentaires, des contacts avec l’IASB… » (T1).
76La question de l’intéressement s’est posée avec une acuité particulière pour les opérateurs non européens, dont les Américains. Les Telcos ont souhaité parler d’une seule voix afin de porter un message fort et cohérent à l’IASB et au FASB : « créer un lien avec les opérateurs américains en particulier était important parce que nous voulions être sûrs que lorsque nous nous sommes engagés dans les discussions avec IASB, […] que les opérateurs américains délivrent un message similaire […] » (T3). Notons que l’intéressement des opérateurs américains semble être intervenu après celui des Européens. Ce décalage a pu donner le sentiment aux Américains d’être quelque peu « instrumentalisés » par les Européens qui souhaitaient recueillir leurs signatures sur leur lettre conjointe, comme nous le verrons ultérieurement (§ 4.4.1).
77Cette stratégie des Telcos est parfaitement cohérente avec le guide du due process de l’IASB qui évoque formellement l’importance de la représentativité des porte-parole. Il mentionne l’intérêt pour les membres du Board de savoir si les points de vue exprimés sont partagés par l’ensemble des acteurs d’une même industrie (IFRS Foundation 2013, § 3.66), ce que confirme un membre du Board : « On a besoin de comprendre la problématique des entreprises […] Et c’est beaucoup plus intéressant de le faire quand elles viennent en groupe après avoir elles-mêmes mûri en interne et confronté leurs points de vue, et qu’elles ont un consensus […] Donc, rencontrer la délégation qui s’est organisée et qui vient nous dire "voilà le point de vue commun de notre industrie" c’est très intéressant » (I2).
78L’hétérogénéité des contextes locaux dans lesquels évoluent ces différents opérateurs complique la démarche d’intéressement : « la façon dont nous exerçons notre activité aux Etats-Unis est différente de celle rencontrée en Europe, très différente de ce qu’elle est en Inde, au Japon… Nous avions des représentants de tous ces pays, donc nous pouvions parler et comprendre comment nous exercions notre activité et dans quelle mesure les propositions nous impacteraient et elles nous impactent de façon très différente » (T4). Ce propos met d’ores et déjà en évidence des difficultés dans le processus de traduction qui s’amplifieront ultérieurement.
79Ainsi les Telcos européens ont essayé de rompre l’ancrage très local des opérateurs américains, qui contrairement à eux, plus présents à l’international, exercent essentiellement leur activité aux Etats-Unis. Les Telcos américains entretiennent des liens de proximité avec le FASB. Leur premier réflexe a donc été d’entamer un dialogue avec lui, centré sur les préoccupations issues de leur seul contexte nord-américain : « Nous avons depuis longtemps des relations avec le FASB : ils ont l’habitude de nous appeler et de nous demander des informations sur les implications pratiques des projets sur lesquels ils sont en train de travailler. » (T4).
80Lors de leur prise de connaissance du projet RevRec, il semble que les opérateurs américains aient cherché à conduire leur propre processus de traduction en faisant abstraction du caractère conjoint du projet (FASB-IASB). Ils ont donc naturellement manœuvré avec le FASB, comme ils sont habitués à le faire, allant jusqu’à proposer au normalisateur américain une solution alternative dénommée « residual approach » (Annexe A), qui semble peu compatible avec le modèle économique des Telcos européens. En effet, la difficulté comptable est liée la ventilation du CA entre ses sous-composantes : les communications et le terminal. Aux Etats-Unis, du fait des pratiques commerciales, les opérateurs peuvent produire une estimation fiable du prix de vente d’un forfait sans téléphone (appelé SIM Only). Ils peuvent alors par différence évaluer le coût du terminal. Or, en Europe, la majorité des forfaits vendus par les opérateurs restent des contrats bundle et l’estimation du prix de vente d’un forfait « SIM Only » s’avère plus complexe. Les traducteurs ont donc tenté de couper les Telcos américains de leur environnement local en mettant en avant l’importance de faire front commun : « une grande partie du travail a été d’amener les Américains à comprendre qu’il ne pouvait pas y avoir une solution qui marche pour les Etats-Unis et qui ne marche pas pour les Européens » (T1). L’objectif du noyau est bien de s’ériger en porte-parole légitime de l’ensemble de Telcos afin de pouvoir défendre une position commune dans la discussion avec l’IASB.
81Pour tenter de convaincre les auditeurs, nos traducteurs se sont adressés à leurs auditeurs terrain. Ces auditeurs sont ceux avec qui ils entretiennent des relations quasi-quotidiennes et qui sont directement confrontés aux problèmes que peuvent poser l’application et l’interprétation d’une norme comptable dans leur mission de certification des comptes. Ils constituent ainsi des porte-parole représentatifs de la profession, faciles à intéresser.
82Cependant, au sein du groupe des auditeurs émergent des conflits d’intérêts qui peuvent faire obstacle au soutien apporté à l’industrie : « Il y a toujours une tension intérieure des firmes d’audit, car si elles font du lobbying exclusivement pour une industrie, cela peut ne pas être cohérent avec un autre groupe d’industries, un groupe qui fait également partie de leurs clients » (T3).
83Il y a de toute évidence une tension au sein des cabinets entre d’un côté la préservation de la légitimité technique du cabinet vis-à-vis de l’IASB et de l’autre l’accompagnement de la démarche d’un client. Du point de vue de la vérifiabilité des comptes, le maintien du cash cap souhaité par les Telcos est conforme aux intérêts des auditeurs de terrain. Sur le plan de la cohérence conceptuelle et normative, il est, en revanche, très difficile à justifier pour les experts techniques des cabinets, spécialistes en normalisation, qui sont au contact de l’IASB et qui interviennent dans la rédaction des lettres de commentaires des cabinets. En effet, la pratique institutionnalisée du cash cap était admise par les auditeurs (DT) même si, pour certains experts, elle constituait une interprétation discutable de la norme IAS 18. La norme IFRS 15 bénéficie vraisemblablement d’une cohérence conceptuelle plus forte aux yeux des auditeurs DT. Elle est beaucoup plus prescriptive quant à la démarche de reconnaissance et de comptabilisation du chiffre d’affaires et limite fortement les interprétations sectorielles. Les auditeurs DT ne cherchent pas à remettre en cause l’objectif affiché de l’IASB de production de normes non sectorielles, sans option, applicables à tous, autrement dit, l’actant non-humain évoqué précédemment. Ils sont donc moins enclins à défendre les intérêts de clients particuliers, d’une part pour ne pas desservir les intérêts d’autres secteurs et d’autre part car ils perçoivent leur mission différemment : « On va s’intéresser à commenter, le cas échéant, si cela a une portée générale, la faiblesse du texte et pas l’illustration particulière que ça a dans un secteur d’activité. » (A1).
84Enfin, eu égard au normalisateur, l’enjeu consiste d’abord à amener le staff, qui prépare les amendements au projet, à remettre en cause les éléments jugés inappropriés. Les Telcos sont parvenus à avoir l’écoute du staff, comme en témoignent les nombreuses réunions de travail entre les deux parties : « Nous avons fait une liste des réunions que nous avons eues avec les Telcos et c’est une très longue liste » (I1). Cependant, durant ce moment de la traduction, il semble que pour certains membres du noyau, intéresser le staff ne suffit pas pour faire évoluer la position de l’IASB. Il s’agit alors d’entrer en contact direct avec les membres du Board pour se faire entendre. L’un des Telcos, membre du noyau, s’est ainsi rapproché du membre du Board de son pays qui siège à l’IASB : « Il est ambassadeur, donc le fait d’avoir un ambassadeur etc., désigné, ça veut dire que c’est normalement la personne vers laquelle vous allez-vous tourner. […] Bon en plus quand vous avez un [concitoyen] c’est intéressant […] » (T1). Il s’agit d’une tentative d’intéresser un ou plusieurs membres du Board en les amenant à questionner la position dominante. Cette démarche peut être analysée soit comme une remise en cause de la représentativité du porte-parole initialement identifié, le staff, soit comme la prise de conscience que l’IASB ne constitue pas un actant unique mais peut-être scindé en deux actants, le staff et les membres du Board. Selon cette dernière interprétation, qui a notre préférence, les traducteurs identifient en plus du staff, des porte-parole parmi les membres du Board qu’ils tentent d’intéresser.
85Comme expliqué précédemment, le moment d’intéressement est en principe caractérisé par une convergence des buts, c’est-à-dire une acceptation par les actants de la problématique posée par le traducteur. Cela n’exclut pas l’émergence de phénomènes perturbateurs (Walsh et Renaud 2010). Nous pouvons conclure que les traducteurs ont réussi à intéresser l’ensemble des actants identifiés mais que certains éléments perturbateurs significatifs viennent assombrir le tableau : les Telcos américains soulèvent un nouveau sujet, la residual approach, et se sont engagés dans leur propre démarche de traduction en initiant leur problématisation et en tentant de convaincre les normalisateurs de l’intérêt d’envisager cette alternative. D’autre part, les divergences mentionnées au sein du groupe des auditeurs, entre auditeurs terrains et auditeurs DT, soulèvent d’ores et déjà la question de la représentativité des porte-parole identifiés.
4.4 – Un enrôlement partiellement réussi
86Nous analysons ici les actions concrètes entreprises par les différents actants que les Telcos ont tenté d’intéresser.
4.4.1 – La rédaction d’une lettre de commentaires commune
87D’un point de vue général, le manque de moyens, financiers, humains mais aussi techniques constitue un obstacle à la participation au due process de l’IASB (Burlaud et Colasse 2010). L’organisation d’une démarche d’influence sectorielle, sous l’impulsion du noyau, a permis une mutualisation des moyens, donnant ainsi une possibilité d’expression aux plus petits opérateurs venus en contrepartie grossir les rangs des opposants aux propositions de l’IASB : « La différences entre les gens, c’est la capacité. Soit vous avez des gens qui ont des forces internes soit vous n’avez pas de forces internes […] [Il y a des opérateurs] qui ont des capacités limitées […] et ces gens-là se raccrochent, ils sont contents qu’on se batte pour eux. » (T1).
88L’implication du noyau s’est notamment traduite par la prise en charge de la production de documents « collectifs » tels que la rédaction de la lettre commune envoyée par le secteur en février 2012. Une fois la position du groupe arrêtée, le processus d’écriture collectif peut se mettre en œuvre sous l’égide des acteurs les plus investis. En l’occurrence, ici c’est un opérateur anglais qui a écrit la première version de la lettre commune : « Pour ce qui est du travail d’écriture de la lettre, de la première version, et […] du lobbying d’un point de vue général, les quatre autres grands opérateurs, et nous-mêmes, avons été très impliqués dans ce processus. Concernant plus spécifiquement la lettre, c’est moi qui ai écrit la lettre, et qui ensuite ai pris en compte les feedbacks des autres grands opérateurs […] tout simplement parce que ma langue maternelle est l’anglais […] Et ensuite nous avons fait circuler la lettre dans le groupe élargi, et leur avons demandé s’ils voulaient participer. » (T3).
89Le processus d’enrôlement de l’industrie mené par le noyau a en partie fonctionné puisque cette lettre de commentaires a finalement été signée par 13 Telcos (9 Européens et 3 Japonais). Aucun américain ne l’a cependant signée. Les opérateurs européens ont en effet éprouvé de réelles difficultés à enrôler les Telcos américains. De manière intéressante, les origines de ces difficultés ne sont pas perçues de la même manière selon les opérateurs : « Paradoxalement, les Américains ont beaucoup moins l’habitude de travailler avec les normalisateurs qu’on l’a en Europe avec l’IASB. Ils se sont mis à travailler avec le FASB beaucoup plus tard. » (T1). Cette explication diffère de celle de T4, opérateur américain, sur les relations entre le FASB et les Telcos aux Etats-Unis (§ 4.3). Cette perception de T1 pourrait s’expliquer, selon T3, par le fait que pour les Américains le projet conjoint avec l’IASB, tant il était en rupture avec la pratique historique américaine, n’a pas été pris au sérieux, du moins dans un premier temps : « A la base [NDLR : les Américains] n’ont pas pris très au sérieux le premier ED et le premier DP […]. Donc je pense qu’ils ont sous-estimé le désir du Board de produire une norme conjointe […]. Ça n’est que plus tard dans le processus qu’ils ont réalisé cela, et que donc il y avait une problématique majeure […]. Donc ça a été un peu plus dur de s’aligner avec ces acteurs, et de rester informé de la communication qu’ils ont établie avec le FASB. » (T3).
90Une fois les Américains convaincus de la nécessité de s’engager, il a fallu que les Telcos européens et américains s’accordent sur le contenu des messages à faire passer à leurs normalisateurs respectifs. Il semble que si le consensus en faveur du maintien de la pratique du cash cap ait été rapidement atteint, c’est davantage sur les alternatives proposées par les opérateurs à leur normalisateur respectif que des divergences sont apparues : « Personne ne voulait changer, personne ne voulait s’éloigner du cash cap. Mais les […] alternatives qui furent présentées étaient différentes. […] Mais le message : "nous n’aimons pas votre proposition était homogène. […] tous les opérateurs auraient préféré conserver le cash cap » (A8).
91L’enrôlement des opérateurs américains est donc partiellement réussi, le consensus n’ayant porté que sur le rejet de la disparition du cash cap et non sur les propositions de solutions alternatives.
4.4.2 – Les auditeurs conseillent les Telcos et légitiment leur action
92L’enrôlement des auditeurs peut être présenté en distinguant la partie jouée en coulisses de celle intervenue sur scène (Goffman 1973). En coulisses, ils ont joué un véritable rôle de conseil auprès Telcos quant à la stratégie à adopter vis-à-vis de l’IASB. Sur scène en participant aux différentes rencontres entre l’IASB et les Telcos, ils ont contribué à légitimer la position de ces derniers.
Les conseils en amont sur la stratégie et les arguments
93Les auditeurs semblent avoir joué un rôle actif dans la préparation des réunions entre les Telcos et l’IASB : « En prévision de cela [NDLR : les réunions avec l’IASB], nous avions des discussions entre pairs du secteurs, vous savez : comment procéder, quelles alternatives développer… et les Big Four prenaient part à tout cela et bien sûr ils nous conseillaient sur ce qu’ils pensaient, sur ce qui pourrait être la meilleure façon de le présenter ou au contraire si telle ou telle argumentation devait être évitée ». (T2)
94Les auditeurs contribuent ainsi à la réflexion sur les pistes susceptibles de faire évoluer le projet en essayant d’apprécier leur recevabilité par le normalisateur : « nous avons introduit beaucoup d’autres idées, concernant des paragraphes variés qui auraient pu aider les opérateurs télécoms à parvenir à une solution proche du cash cap […] et notre équipe globale a supporté, encouragé ces idées, et a dit à l’IASB tout ce qu’elle a entendu […] mais c’est [l’IASB] qui écrit la norme ». (A8)
95En outre, les directions techniques des cabinets, particulièrement familiarisées avec le mode opératoire du normalisateur et de son staff, ont pu aider les Telcos et les auditeurs terrain : « […] donc moi-même, et mes collègues aux États-Unis, avons eu des conférences téléphoniques avec [les associés terrain], pour parler de ce que les Telcos pensaient, de ce que nous pensions de ce qui pourrait fonctionner, de ce qui pourrait ne pas servir les Telcos, de ce à quoi il fallait être attentif, mais aussi pour aider à les challenger » (A5).
96Le décryptage des interventions des auditeurs est donc plus subtil qu’il n’y paraît. En effet, au-delà du message public du cabinet centré sur la cohérence conceptuelle, tel qu’il apparaît dans la lettre des commentaires officielle, les DT ont joué un rôle actif en conseillant les Telcos dans leur démarche, et notamment dans la construction d’une contre-proposition viable à l’IASB.
Des auditeurs présents lors des réunions avec l’IASB
97La présence de l’auditeur au cours des réunions avec le staff ou les membres du Board est principalement dédiée à témoigner des difficultés en matière d’audit. Pour l’IASB, les échanges avec les auditeurs ont avant tout une visée confirmatoire. Les Telcos ont largement mis en avant les difficultés opérationnelles posées par le texte notamment en termes d’auditabilité, ce que l’IASB cherche à vérifier auprès des auditeurs : « Lorsque les différents ED ont été publiés, l’IASB était très intéressé par comprendre les problématiques d’implémentation […] ils ont écouté les réactions du secteur des télécoms à de nombreuses occasions […] Ils voulaient également entendre les auditeurs pour connaître leur opinion sur les problématiques d’implémentation en partie pour confirmer que ce que disaient les opérateurs, était vrai, et si l’audit de cette implémentation serait compliqué. » (A8). Ces propos d’un auditeur sont confirmés par un membre du staff : « […] j’ai eu certaines discussions avec les auditeurs pour essayer de comprendre comment ils auditent les Telcos aujourd’hui, pour essayer de comprendre les défis… Parce que les opérateurs Telcos nous ont expliqué les défis dans leur application actuelle du modèle […], donc nous avons essayé d’en savoir plus sur les défis en matière d’audit. » (I1)
98Il est toutefois difficile pour les auditeurs de prendre officiellement position pour un secteur particulier. Pour cette raison, la profession a cantonné ses propos « publiques » aux difficultés d’audit engendrées par le nouveau texte, apportant ainsi un véritable soutien aux Telcos : « Je pense que cela nous a aidés qu’ils soient présents lors de ces réunions, ainsi ils pouvaient confirmer que c’était bien leur perception en tant qu’auditeur. Oui, en ce sens, les auditeurs nous ont aidés. […] Ils soutenaient notre point de vue concernant le maintien du cash cap » (T2). Ainsi les auditeurs terrain en limitant leur propos aux difficultés d’audit avérées, sans soutenir toutefois explicitement le maintien du cash cap, sont parvenus à trouver un équilibre interne.
4.4.3 – Le staff de l’IASB trouve un compromis acceptable par les Telcos mais ne convainc pas les membres du Board
99L’enrôlement du staff semble avoir été concluant. Les Telcos ont en effet bénéficié des suggestions du staff pour affiner leur propre argumentation : « Ils nous ont aussi donné des conseils du genre : “si vous voulez être efficace, utilisez un argument de ce type, mais si au contraire vous utilisez tel type d’argument…” » (T2).
100L’enrôlement du staff s’est concrétisé par la rédaction d’un avant-projet (draft paper), qui proposait des alternatives pour les Telcos et qui fut présenté au Board en décembre 2012 mais qui n’a pas su trouver l’assentiment de ce dernier : « Je dirais que finalement ils comprenaient parfaitement notre point de vue et le draft paper, présenté à la réunion du Board en décembre 2012, envisageait différentes façons d’appliquer la méthode de l’allocation du prix » (T2).
101Les Telcos ont également réussi à attirer l’attention de quelques membres du Board sur les difficultés que leur pose le projet de norme, mais cette première étape doit toutefois se traduire par des actions concrètes. Un membre du Board convaincu par une idée pourra la défendre lors des réunions officielles et en coulisses auprès de ces collègues : « Mais je crois qu’il a, à un moment donné, compris qu’il fallait faire quelque chose pour les Telcos parce qu’on n’allait pas lâcher le morceau […] Donc quelque part, il a été déterminant avec quelques autres membres du Board. » (T1).
102Effectivement, lors de la session de juin 2011, un membre du Board plaidera en faveur des Telcos : « [Membre X] dit que s’ils faisaient des changements, ils devaient montrer quels en étaient les bénéfices. Il n’y voyait aucun bénéfice pour les utilisateurs donc il lui semblait préférable de conserver le modèle actuel ». Sa position, bien que ne faisant pas l’unanimité, est appuyée par d’autres membres du Board : « [Membre Y] dit qu’il était d’accord avec [Membre X]. Ils devaient comparer les coûts et les bénéfices. [Membre Z] déclara que d’un côté elle ne voyait aucun mérite théorique au cash cap mais que d’un autre côté l’ensemble de l’industrie utilisait la même méthode sans divergence ou incompréhension. » (IFRS Monitor 2011, p. 33).
103Cependant, la position de ce membre du Board (Membre X) évoluera au cours du due process et il se ralliera finalement au principe général développé par l’IASB : « j’étais convaincu qu’il y avait un avantage à avoir tout le monde sous le même régime plutôt que d’avoir un régime dérogatoire pour les Telcos parce que si je commence avec les Telcos, j’ai ensuite l’industrie des appareils dans le domaine du médical […] puis de proche en proche, on est reparti pour faire des normes où il y a aucune comparabilité […] Comme c’est un choix qu’on a fait d’avoir une norme transversale, je ne vais pas le remettre en cause ! » (I2).
104Ainsi, malgré un enrôlement des différents acteurs en grande partie réussi, les Telcos n’ont finalement pas réussi à convaincre les membres du Board, puisque la norme finale exclut la pratique historique du cash cap.
5 – Discussion : quels enseignements tirer de cette tentative de contestation d’une norme à l’occasion du due process ?
105Notre recherche contribue à l’analyse du processus de normalisation comptable tant sur le plan théorique qu’empirique.
5.1 – Une contribution théorique à la littérature sur le due process
106La plupart des études dédiées au due process qui visent à mieux comprendre les jeux de pouvoir ont cherché à mettre en évidence l’influence de certaines catégories de répondants (préparateurs de comptes, profession comptable, utilisateurs, etc.) sans toutefois questionner l’éventuelle recherche d’alliances entre participants. Notre recherche permet de décrypter le comportement d’un groupe d’acteurs qui tente de constituer un réseau d’alliances pour s’opposer à un projet du normalisateur comptable. Une telle stratégie d’alliances, dans le cadre de la normalisation comptable internationale, n’avait pas été encore été mise en évidence par la littérature. A notre connaissance, dans le cas de l’IASB, seule l’étude de Perry et Noelke (2005) a révélé une domination de la profession comptable et des institutions financières qui expliquerait, selon les auteurs, l’adoption de la juste valeur comme convention d’évaluation privilégiée. Les auteurs concluent à une coalition de fait sans montrer qu’il s’agit d’une stratégie d’alliances initiée par l’une ou l’autre des parties. Par ailleurs, l’une des critiques majeures adressée à la littérature sur le due process tient à l’utilisation quasi-exclusive de données publiques qui ne permettraient d’appréhender les aspects informels du processus (Walker et Robinson, 1993). En inscrivant notre étude dans la perspective d’un groupe d’acteurs restreint et sur la durée, nous parvenons à rendre compte de façon précise du fonctionnement du due process, dans ses aspects formels mais aussi informels. Dans leur étude sur le due process de la norme IFRS et PME, Ram et Newberry (2013) ont complété leur analyse documentaire par une dizaine d’entretiens menés uniquement auprès de membres ou anciens membres de l’IASB ou de l’EFRAG ayant été impliqués dans ce projet. En interviewant des préparateurs de comptes Telcos, des auditeurs et des membres du staff de l’IASB et du Board lui-même, nous obtenons une triangulation des données absentes dans l’étude de Ram et Newberry. Même si les résultats d’une étude de cas unique n’ont pas vocation à être généralisables, notre recherche permet de mieux comprendre ce qui se joue formellement et en coulisses entre les participants au due process et le normalisateur comptable.
107Sur le plan empirique, la mobilisation de l’ANT nous permet de mettre en évidence deux éléments clés de la participation au due process susceptibles d’être utiles pour les parties prenantes dans leurs futures interactions avec l’IASB : la représentativité des porte-parole et le rôle du cadre conceptuel de l’IASB.
5.2 – La représentativité des porte-parole en question
108Une première piste d’explication de l’échec de l’action de lobbying engagée par les Telcos tient sans doute à la représentativité des porte-parole, concept au cœur de la théorie de la traduction. L’échec de la mobilisation tient en effet souvent à une légitimité insuffisante des porte-parole (Callon 1986; Dreveton et Rocher 2010; Rocher 2011; Woods 1998). Dans notre cas, le noyau a rencontré des problèmes de représentativité à l’intérieur même de l’industrie, comme en témoigne cet incident qui se déroule lors de la session spécifique du 11 mai 2011 réunissant les membres du Board, le staff et plusieurs représentants des Telcos. Lors de cette réunion, un opérateur allemand (qui représente 6 autres opérateurs européens), un opérateur suédois et un opérateur américain (qui représente 2 opérateurs américains), ont présenté leur point de vue sur l’ED 1. Tous les Telcos font alors bloc contre le projet à l’exception de l’opérateur suédois qui présente sa méthode de reconnaissance du chiffre d’affaires historiquement très proche des propositions de l’ED 1 (IASPLUS [5]). Selon un auditeur, en faisant intervenir cet opérateur lors de cette session, l’IASB a délibérément cherché à affaiblir la cohésion du secteur : « L’IASB a joué très très fin sur ce sujet. […] L’IASB a demandé à plusieurs opérateurs télécoms de présenter leur politique comptable et ils ont fait en particulier appel à [l’opérateur suédois] […], et qui lui, d’ores et déjà n’applique pas la règle du cash cap. Et très honnêtement c’était un peu maladroit de la part de l’IASB parce que du coup, ils ont conclu la session en disant : “vous nous dites qu’il y a une pratique homogène dans le secteur, alors que ça n’est pas vrai, vous venez de nous présenter deux traitements différents donc on ne peut rien pour vous”. Ce qui n’était pas totalement de bonne foi. Parce que la pratique décrite, concernant le cash cap est une pratique très majoritaire dans le secteur, et [l’opérateur suédois] est un opérateur qui est tout petit à l’échelle du monde. » (A1). En lui donnant la parole, l’IASB remet en cause le caractère fédérateur du message porté par le noyau. Sa légitimité en tant que porte-parole de l’ensemble de l’industrie s’en trouve remise en question.
109L’enrôlement en partie avorté des Telcos américains constitue une autre atteinte à la représentativité du noyau. Cet épisode s’est notamment traduit par le refus des Américains de signer la lettre commune de commentaires de février 2012, refus pour lequel les explications divergent selon les Telcos interrogés. Pour T1, opérateur européen, il serait lié au contexte juridique américain, au sein duquel la signature d’un tel document est particulièrement délicate : « […] partager une même lettre dans le monde mental américain, c’est assez compliqué. Oui, parce que c’est : est-ce j’ai le droit, est-ce que j’ai pas le droit, à qui je dois demander la permission, etc. ». T5, opérateur américain donne une autre version : « Les Européens avaient déjà passé tellement de temps, ils ont simplement dit : “voici la lettre, vous pouvez la signer ou pas”. […] Je ne pense pas qu’elle reflétait notre vision. Nous n’avions pas été impliqués dans la rédaction de cette lettre, ce qui m’a surpris, on nous a simplement demandé si on voulait signer et nous ne l’avons pas signée. Les Européens ne nous ont jamais demandé de les aider à écrire quelque chose qui pourrait mettre d’accord tout le monde ». Ce dernier propos nous donne le sentiment que les phases de problématisation et d’intéressement ont été insuffisamment travaillées avec les Américains, comme si les Européens avaient directement cherché à enrôler les Américains en leur faisant signer la lettre.
110Même si il est difficile d’évaluer l’incidence réelle de l’absence de signature de la lettre commune par les Telcos américains et de l’exception de l’opérateur suédois, il s’agit bien de signaux qui font état d’une coalition sectorielle partielle. Pour Rocher (2011, p. 140) l’échec de la mobilisation peut s’expliquer par la constitution d’alliances trop faibles autour du projet et d’une insuffisance de la représentativité des porte-parole : « des acteurs séduits, convaincus, transformés, s’ils sont poussés trop loin de leurs voies habituelles, peuvent trahir et déserter un projet, une idée […], soit car les transformations successives d’un projet qui les avait attirés n’intègrent plus leurs intérêts propres, soit car ils refusent le rôle imaginé pour eux face à cette innovation. Ils redeviennent alors désintéressés et le réseau s’effondre ». Ce dernier propos entre en parfaite résonance avec le sentiment livré par l’opérateur américain.
111Vraisemblablement, le noyau des Telcos ne constituait pas un porte-parole suffisamment représentatif de l’industrie Telcos au sens large, pour pouvoir infléchir la position de l’IASB.
112Le même type de problème émerge du côté des auditeurs. Certains Telcos jugent plus ou moins sévèrement l’action des auditeurs lors du due process : « Dans les firmes d’audit […] ils ont quasiment tous analysé […] à partir de là, ils n’avaient pas grand-chose à dire […] on a eu un nombre de documents faramineux pour dire voilà comment il faut lire la norme. Très bien, ça n’est pas le sujet, on ne vous demande pas comment il faut lire la norme, on l’a fait aussi, on a compris comment ça marche… » (T1)
113T3 reconnaît cependant que l’intervention des grands cabinets d’audit, bien que tardive de son point de vue, a malgré tout permis de faciliter le dialogue au sein de l’industrie et avec l’IASB : « […] dans les étapes ultérieures du processus de lobbying […] lorsque l’IASB s’est montré plus ouvert pour échanger avec nous, […] les grandes firmes d’audit, ont également fourni des ressources dans le processus de lobbying, pour parvenir à obtenir des changements. » (T3).
114Du fait des contraintes de cohérence interne aux cabinets précédemment évoquées, certains Telcos considèrent que les auditeurs n’auraient pas suffisamment insisté, notamment dans leurs lettres de commentaires, sur les difficultés d’audit que poserait la mise en œuvre de cette nouvelle norme. Nos traducteurs ont identifié leurs auditeurs terrain comme porte-parole de ce groupe, mais étaient-ils suffisamment représentatifs des intérêts de l’ensemble du groupe formé par les auditeurs ? Peut-être pas. Certes il nous est impossible d’affirmer qu’une action plus ciblée sur les auditeurs DT aurait été plus efficace mais l’enrôlement partiellement réussi des auditeurs, la légitimité insuffisante du noyau des Telcos, révèlent la difficulté à identifier et à devenir « un bon » porte-parole. En outre, il nous semble important de préciser que, selon nous, l’ambition première des auditeurs n’est pas de faire en sorte que les desiderata des Telcos soient exhaussés. Leur but est davantage de veiller au (bon) déroulement, puis à l’aboutissement des « conversations régulatoires » (Black 1997, 2002) entre les Telcos et l’IASB. Idéalement, ces échanges se concluent par une forme de consensus. En effet, dans le cas contraire, et ce, quelle qu’en soit la raison, ce sera à l’auditeur de gérer les tensions, incompréhensions et autres mécontentements qui surviendront lors de la phase de mise en œuvre de la norme.
115La faiblesse de la représentativité des porte-parole comme cause d’échec d’un processus de traduction a déjà été mise en évidence dans la littérature. Ainsi, Rocher (2011) explique en partie l’abandon de la mise en place de la consolidation des comptes dans le secteur public local français par une représentativité insuffisante des porte-parole au sein de plusieurs groupes d’actants.
116À cet égard, d’autres cadres théoriques auraient pu trouver à s’appliquer pour expliquer les défauts d’intéressement et d’enrôlement mis en évidence. Nous pensons notamment aux travaux de Habermas (1986) sur la base desquels nous aurions pu nous demander si le noyau avait bien réuni les conditions permettant l’émergence d’un consensus, pour rappel :
- tous les sujets qui le souhaitent sont autorisés à participer à la conversation ;
- tous les sujets sont autorisés à soumettre une proposition ;
- tous les sujets sont autorisés à questionner ou à critiquer toute proposition ;
- aucun sujet n’est entravé ou empêché que ce soit dans ou hors du discours dans l’utilisation des droits précités.
117Ces axes pourraient utilement compléter l’analyse que nous avons développée, et éventuellement inspirer d’autres futurs noyaux à la recherche d’une meilleure représentativité. Évidemment, nous ne pouvons ici développer ces quatre questions dont une partie des réponses se trouve par ailleurs dans nos travaux. Nous pourrions toutefois attirer, à nouveau, l’attention du lecteur sur la notion de périmètre et de bornage délimitant les acteurs inclus de ceux exclus de la conversation. En outre, la réponse à cette question est fluctuante et dépend, entre autres, de la temporalité des actions engagées. Cette notion de temporalité nous paraît être un facteur déterminant à deux égards. Tout d’abord, la construction du consensus élargi doit impliquer très en amont la totalité des acteurs, quand bien même, ces derniers n’occuperaient pas un rôle actif. Cette implication précoce aura pour objet de faciliter l’enrôlement le moment venu. Ainsi, bien que le noyau soit un groupe de travail particulièrement efficient pour produire des livrables, tels qu’une ébauche de lettre de commentaires, il ne doit pas négliger le dialogue régulier avec tous les autres acteurs. Cela implique donc de commencer le processus par un recensement – le plus exhaustif possible – des acteurs à intéresser comme en témoigne le cas des opérateurs américains.
118Le second point a trait à la dimension sectorielle dont nous avons démontré l’importance. Celle-ci varie toutefois en fonction du momentum, à tout le moins, nous semble-t-il, en termes d’arguments à avancer dans les discussions avec le normalisateur – ce qui n’empêche en rien, bien sûr, le travail sectoriel en coulisses. Ainsi le poids relatif de la dimension sectorielle doit, selon nous, se renforcer concomitamment à l’avancement du projet : faible lors de la phase de démarrage du cycle de normalisation – au cours duquel les arguments « conceptuels » sont probablement à favoriser – elle peut se renforcer dans la phase de finalisation du texte. En effet, une dimension sectorielle trop prégnante dans les premières phases du due process peut devenir handicapante en venant se heurter à un autre actant non-humain, de taille : le cadre conceptuel du normalisateur.
5.3 – Une prise en considération insuffisante d’un actant non-humain : le cadre conceptuel de l’IASB
119L’un des fondements du référentiel IFRS annoncé dans son cadre conceptuel (cf. § 4.1) est la réduction du nombre d’options comptables autorisées et la suppression des traitements sectoriels. La réification de cet « idéal » de comparabilité, par son inscription dans cette méta-norme, est donc un facteur tant contraignant qu’habilitant (Giddens 1986). Contraignant car il limite la marge de manœuvre du normalisateur, mais habilitant par le pouvoir qu’il lui confère lorsqu’il prend et justifie ses décisions. Nous avons là une parfaite illustration des rapports entre actants humains et non-humains qu’évoque Akrich (2006b, p. 161) : « ce qui nous intéresse, c’est précisément de savoir comment la configuration même de l’objet technique impose ou non un certain nombre de contraintes sur les relations que les actants entretiennent entre eux et avec l’objet, et, réciproquement, comment la nature de ces actants et les liens qui existent entre eux peuvent (re-)former l’objet et ses usages ».
120En effet, l’IASB s’est longuement penché sur le cas particulier des Telcos mais ces propos tenus par un membre du Board, lors d’une education session sont sans équivoque quant à l’impossibilité de répondre à leur demande : « [Membre W] dit qu’une solution consisterait à adopter une norme différente pour les Telcos mais que c’était compliqué. Le principe de la norme sur la comptabilisation des revenus était précisément d’avoir des revenus comptabilisés de façon cohérente entre les différentes industries ». (IFRS Monitor 2012). Il était donc presque impossible pour les Telcos d’ancrer conceptuellement le rejet de la méthode du cash cap sans remettre fondamentalement en cause les principes fondateurs des IFRS : « Pour justifier un traitement comptable dans un secteur il était nécessaire de prouver en quoi ce traitement était conceptuellement justifié pour tous les cas (A5). Selon T1, les Telcos l’ont bien compris mais ne sont pas parvenus à proposer une alternative conceptuellement défendable : « le problème de l’IASB c’est qu’ils veulent un concept ; d’accord on a bien regardé […] il n’y avait qu’une façon : c’était qu’ils renoncent à leur modèle, il n’y avait pas d’autre choix possible parce qu’ils ne pouvaient pas contenter l’ensemble des acteurs […] Donc on avait très vite identifié que le problème qu’on allait avoir, c’était est-ce qu’on allait trouver une porte de sortie compatible avec leur modèle ? Et la vérité, c’est que non on n’en avait pas trouvé ensuite on a essayé d’en imaginer. » (T1).
121Sans cette justification conceptuelle, il était également extrêmement difficile pour les auditeurs de plaider en faveur du cash cap : « Je suis d’accord avec le fait que c’est probablement la méthode [NDLR : le cash cap] la plus simple en termes d’audit […] Le problème est que pour ce projet, l’IASB veut une norme qui s’applique à toutes les industries, à toutes les entités, la méthode du cash cap ne fonctionne pas dans toutes les entreprises. Et conceptuellement pourquoi le cash devrait piloter la comptabilité n’est pas évident, dans une comptabilité d’engagement ». (A5).
122Si l’un des apports majeurs de la théorie de la traduction est la prise en compte d’actants non-humains, certains chercheurs y voient une difficulté à son opérationnalisation. Woods (1998) par exemple, dans son analyse du vote d’une loi anti-chasse dans une région d’Angleterre au cours des années 1990, s’interroge ainsi sur la possibilité et la pertinence d’accorder la même importance aux cerfs, actants non-humains qu’aux actants humains. Woods souligne que les connections avec un actant non-humain qui ne parle pas sont forcément plus restreintes qu’entre des actants humains. Il est bien sûr plus difficile de composer avec un acteur non-humain, difficulté à laquelle les Telcos n’ont pas échappé. Ici l’idéal de comparabilité est une forme de boîte noire sur laquelle le normalisateur ne souhaite pas revenir : « Une boîte noire renferme ce sur quoi on n’a plus à revenir ; ce dont le contenu est devenu indifférent. Plus l’on met d’éléments en boîtes noires – raisonnements, habitudes, forces, objets –, plus l’on peut édifier de constructions larges. » (Callon et Latour 2006, p. 19)
123Les Telcos ont tenté, sans grand succès, de la contourner en intégrant indirectement cet actant non-humain par le truchement d’autres actants pour lesquels des porte-parole humains étaient identifiables : d’autres industries concernées par le projet de l’IASB. En effet, puisque le cadre conceptuel postule que le référentiel IFRS doit pouvoir être appliqué à toute entité privée, sans prise en compte de spécificités sectorielles, la représentativité peut difficilement se limiter au secteur des Telcos. Une argumentation exclusivement centrée sur les préoccupations d’une industrie a donc peu de chances de succès comme le souligne le membre du Board interrogé : « La difficulté des Telcos à mon avis, c’est que c’est assez dur de les faire rentrer dans le modèle commun, et notre problématique a été : si on commence à élaborer un régime particulier pour les Telcos, il va falloir accepter d’en faire de même pour une autre industrie proche en termes de modèle économique, puis une autre, et de proche en proche on accepte le principe de normes sectorielles » (I2).
124Malheureusement les Telcos n’ont pas su trouver d’autres industries confrontées aux mêmes préoccupations. Un auditeur, membre des équipes techniques, souligne le poids de cette limite à laquelle les Telcos ont été confrontés : « Donc c’était vraiment très difficile pour eux avec une situation tellement unique […].C’était vraiment un grand défi que de trouver un accord. Mais je suis d’accord s’il y avait eu davantage de secteurs avec des problèmes similaires ils auraient pu avoir plus de poids auprès du Board » (A5).
125Ainsi pour Callon et Latour (2006, p. 25) : « Dans ces combats primordiaux que nous venons de décrire, il y a bien des vainqueurs et des vaincus – au moins pour un temps […] Un acteur, nous l’avons vu, est d’autant plus solide qu’il peut associer fortement le plus grand nombre d’éléments – et, bien sûr, dissocier d’autant plus rapidement les éléments enrôlés par d’autres acteurs. La force, c’est donc le pouvoir d’interrompre ou d’interrelier. La force, c’est plus généralement l’intervention, l’interruption, l’interprétation […] »
126Les Telcos ont indéniablement perdu leur premier combat, celui de la préservation du cash cap. Toutefois comme le souligne Callon et Latour (ibid.) la désignation du vainqueur n’est que temporaire. Notre travail aurait pu être écrit du point de vue de l’IASB qui a mené son propre processus de traduction et qui est donc ici le « vainqueur ». Un vainqueur qui n’a pas triomphé par la violence, mais bien par son propre processus de traduction, réussi, puisque les Telcos finissent par reconnaître des qualités au projet de norme : « Les conversations ont changé au fil des ans. Je pense que, dans un premier temps, bon nombre d’entre eux, je pense, ont été contrariés par ce que cela pourrait signifier pour leur industrie. Je pense qu’au fil des ans, au cours des discussions, non seulement nous avons assimilé leur position, mais je crois qu’ils ont mieux compris notre position […], et je crois qu’ils ont l’impression d’avoir été compris et entendus […] Je pense donc que c’est un processus très positif […] » (I1). Cette perception d’un membre du staff se retrouve dans les propos de (T1) : « Il fallait obtenir quelque chose : on n’a pas obtenu exactement la demande complète mais on a obtenu au moins quelque chose. Compte tenu du passage du temps (évolution des systèmes depuis les premiers projets du DP) et d’une clarification de la méthode des portefeuilles […] on devrait savoir faire. Donc quelque part on a obtenu le but de guerre, le 2e, voilà. C’est déjà pas mal ! »
Conclusion
127Notre étude de cas a mobilisé le modèle de la traduction de Callon et Latour pour mieux comprendre comment les Telcos ont tenté d’influencer l’IASB dans le cadre du projet de norme IFRS 15 sur la comptabilisation des produits. Elle procure un regard novateur sur le processus de normalisation comptable internationale en examinant les efforts d’un groupe sectoriel pour faire valoir son point de vue dans le due process.
128L’utilisation de la théorie de la traduction présente selon nous deux apports majeurs. Elle a d’abord permis d’organiser la description des événements et de mettre en perspective le rôle essentiel de l’association d’actants humains et non humains lors du process. En cela, nous nous démarquons des études plus classiques qui se concentrent exclusivement sur la relation entre normalisateur et répondants aux appels à commentaires. Ainsi, nous nous focalisons sur ces associations et ignorons les stratégies d’argumentations qui sont au cœur des travaux traditionnels. Nos résultats mettent en évidence le rôle d’acteurs essentiels du due process : les auditeurs et le staff de l’IASB. La vision transversale du processus que nous proposons dévoile le rôle et le poids des groupes sectoriels dont les auditeurs sont parties prenantes. Ces derniers les favorisent, voire les initient, et, lorsqu’ils sont structurés comme chez les Telcos, entretiennent des liens très étroits avec eux pour favoriser l’échange autour des pratiques comptables et ainsi tendre vers une application plus homogène des normes. Nous contribuons également à davantage de connaissances sur le rôle du staff de l’IASB qui est encore très peu appréhendé par la littérature. Toutes les propositions normatives sur lesquelles se prononce le Board émanent du staff. Entretenir des contacts directs avec le staff est donc un élément clé d’une stratégie de lobbying dans le cadre de la normalisation comptable internationale.
129Enfin, l’utilisation de la théorie de la traduction nous a permis de proposer des éléments explicatifs à l’échec relatif de l’action d’influence des Telcos. Une raison essentielle tient à la représentativité insuffisante des porte-parole de l’industrie. En effet, les porte-parole doivent véhiculer un message représentatif de l’ensemble de la communauté d’acteurs concernés par le projet. Nous avons montré que cette représentativité a été mise à l’épreuve dans un premier temps par l’IASB qui a organisé sa controffensive en confrontant le groupe majoritaire à l’un de ses pairs, en désaccord avec la vision dominante en Europe. Ensuite, le difficile enrôlement des Telcos américains a mis au grand jour les dissensions au sein de ce groupe des Telcos présenté initialement comme homogène. Enfin, il est apparu que la représentativité d’un groupe sectoriel pour l’IASB, a certes une valeur, mais qui reste secondaire face à l’ambition centrale : la construction d’un référentiel sans spécificité sectorielle qui doit permettre d’aboutir à une véritable comparabilité des états financiers. Cet axiome de la non-sectorisation des normes constitue un véritable acteur non-humain insuffisamment pris en considération par les Telcos.
130La chute de l’histoire, montre que, in fine, c’est l’IASB qui est parvenu à imposer son modèle. Rappelons que le même récit aurait pu être écrit du point de vue du normalisateur et que bien entendu en choisissant l’angle des Telcos nous livrons une vision partielle du processus. Une autre limite de notre travail réside dans le sentiment de linéarité que peut probablement dégager, à tort, notre compte rendu de recherche. En effet, ces différentes phases sont interdépendantes et ne sont pas nécessairement successives. Il peut exister des décalages temporels entre phases liées notamment à des degrés d’avancement différents entre actants impliqués.
131Notre travail a d’abord pour ambition de décrire les actions réalisées et les liens tissés par les Telcos avec d’autres actants dans le cadre de leur démarche d’influence. Cette description en tant que telle nous semble suffisamment inédite pour justifier d’un premier apport conséquent. Le cadre théorique nous permet d’aller au-delà et d’émettre un certain nombre d’hypothèses susceptibles d’expliquer l’échec relatif de la démarche des Telcos. Nous ne sommes toutefois pas en mesure d’évaluer ni l’exhaustivité de nos pistes explicatives, ni leur poids respectif. Enfin, notre étude met en évidence la position parfois délicate des auditeurs, à la fois attentifs aux intérêts de leurs clients mais aussi soucieux de garder leur légitimité aux yeux de l’IASB, qui mériterait d’être investiguée dans de futures recherches.
Remerciements
Les auteurs remercient vivement toutes les personnes interviewées ainsi que le co-rédacteur en chef de la revue Comptabilité – Contrôle – Audit, Verdran Capkun et les deux réviseurs anonymes pour leurs critiques et remarques constructives.Le mode de comptabilisation du CA dans l’industrie des télécommunications : pratique actuelle et modèle envisagé par l’IASB (puis imposé par IFRS 15)
132Soient les données suivantes :
- Vente d’un mobile et d’un forfait 12 mois.
- Prix de vente du mobile nu pour l’opérateur : 180 €
- Valeur du forfait : 240 € (12 x 20€)
- Prix de vente du bundle 300 € : mobile 60 €, forfait 20 € par mois (soit une subvention de 120€ sur le mobile)
- Le même abonnement sans mobile associé (SIM Only) serait facturé 16 € par mois.
Modèle comptable historique (Cash Cap). Traitement comptable
Modèle comptable historique (Cash Cap). Traitement comptable
Modèle IFRS 15. Traitement comptable
Modèle IFRS 15. Traitement comptable
Residual Approach (proposée par les Telcos américains). Traitement comptable
Residual Approach (proposée par les Telcos américains). Traitement comptable
133Le total du CA comptabilisé sur l’intégralité d’un contrat est, bien entendu, identique quelle que soit la méthode retenue mais la décomposition entre prix de vente du mobile nu et prix de l’abonnement n’est pas la même. Le nouveau mode de comptabilisation imposé par IFRS 15 introduit une déconnection entre le flux de trésorerie net généré et la marge brute reconnue en comptabilité. Selon le pays dans lequel se situe l’opérateur, IFRS 15 pourrait avoir des conséquences en termes de fiscalité.
Bibliographie
Bibliographie
- Akrich, M. (2006a). La construction d’un système socio-technique. Esquisse pour une anthropologie des techniques. In M. Callon et B. Latour (Eds.), Sociologie de la traduction : Textes fondateurs, Paris : Presses des Mines, 109-134.
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Mots-clés éditeurs : normalisation comptable, due process, IASB, revenue recognition, théorie de la traduction
Mise en ligne 30/03/2018
https://doi.org/10.3917/cca.241.0043Notes
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[1]
Nous avons consulté la version électronique du chapitre d’ouvrage de Callon (2006) dans laquelle n’apparaissent pas les numéros de pages : http://books.openedition.org/pressesmines/1201.
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[2]
« We conceptualize the process of developing each accounting regulation as a trial of strength, whereby actors interested in mobilizing support for a new regulation seek to test and persuade others with their views ».
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[3]
L’ETAF est un forum comptable informel : « […] auquel participent les responsables des normes comptables des grands acteurs télécoms, et qui leur permet d’échanger sur les enjeux comptables et de se coordonner. Ils y invitent régulièrement des auditeurs […] et puis par ailleurs ils invitent régulièrement l’IASB, les membres du staff, pour échanger sur les enjeux, sur leur compréhension des problématiques, les sensibiliser sur telle ou telle problématique propre à ce secteur d’activité. Maintenant ce forum, il existe sous une forme ou sous une autre dans un certain nombre de secteurs. » (A2).
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[4]
Allemagne, États-Unis, France, Royaume-Uni.
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