Notes
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[1]
Selon le PCG, « la comptabilité est un système d’organisation de l’information financière permettant de saisir, classer, enregistrer des données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture ». Selon le framework IASB (2010), les états financiers ont vocation à fournir une information financière relative à l’entité comptable qui est utile aux investisseurs et autres créanciers dans leur prise de décision concernant l’apport éventuel des ressources financières à l’entité. Pour cela, ils doivent refléter la situation financière de l’entreprise ainsi que tous faits ayant un impact sur cette situation.
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[2]
En simplifiant le raisonnement : il faut d’abord présenter un bilan en justes valeurs pour en déduire la performance de la période, entendue comme la variation de la richesse patrimoniale sur la période (sans qu’il n’y ait cession du patrimoine).
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[3]
Selon l’ANC (2011, p. 2) : « Représentation de l’activité économique ou évaluation financière. Approche par le bilan ou par le compte de résultat : … L’approche consistant à privilégier l’analyse du bilan d’une entité en se focalisant sur l’évaluation de ses actifs et passifs pour en déduire le compte de résultat par simple constatation des variations de valeur de ces actifs et passifs… ».
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[4]
La comptabilité doit aider les managers à arbitrer sur trois sujets : la valeur des actifs à détenir à chaque instant (problème de l’expansion) ; la forme de détention de ces actifs (problème de composition) ; et enfin, le mode de financement de ces actifs (problème financier).
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[5]
« Le bilan dynamique » est initialement publié en 1919 en allemand. 1961 est la date de l’édition française. Par la suite, nous ferons exclusivement référence à l’édition française.
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[6]
Par exemple, une société a acquis un terrain pour construire une usine à un prix de 50 000 euros il y a de nombreuses années. Aujourd’hui, ce même terrain peut être évalué à 100 000 euros. Ce terrain contient ainsi une réserve latente mais en pratique non réalisable car l’usine est nécessaire à l’exploitation (Schmalenbach 1961, p. 163).
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[7]
Exceptions faites de cas dérogatoires tels que les titres évalués par équivalence, les différences de conversion passif ou réévaluations libres.
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[8]
En référence aux exceptions précédentes : la contrepartie d’une augmentation de la valeur des titres est en écart d’équivalence, celle d’une augmentation de la valeur des immobilisations en écart de réévaluation et les différences de conversion demeurent en bas de bilan.
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[9]
Le CI diffère du concept classique de résultat net dans la mesure où il inclut des variations de capitaux propres qui ne proviennent pas de sources externes, comme les augmentations de capital ou les distributions de dividendes.
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[10]
Les OCI comprennent (1) les gains ou pertes latentes sur les titres disponibles à la vente, (2) les gains ou pertes latentes sur instruments financiers de couverture, (3) certains écarts de conversion, (4) les réévaluations (facultatives) d’immobilisations corporelles, (5) les ajustements liés aux engagements de retraite, et (6) les corrections d’erreurs antérieures.
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[11]
En cas de distribution de dividendes fictifs (à la date d’Avril 2015), des sanctions pénales peuvent être prononcées à l’encontre des gérants de SARL (C. com. art. L 241-3, 2°), des présidents, administrateurs, directeurs généraux, directeurs généraux délégués (cf. C. com. art. L 248-1) ou membres du directoire (cf. C. com. art. L 242-30, al. 1) des SA (C. com. art. L 242-6, 1°), des gérants des SCA (cf. C. com. art. L 243-1) et des dirigeants des SAS (cf. C. com. art. L 244-1). Sont aussi visés les dirigeants de fait (cf. C. com. art. L 241-9, L 244-4 et L 245-16).
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[12]
Pour une description de la méthodologie d’Alceste, voir par exemple Nègre et Martinez (2013).
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[13]
Chaque u.c.i est découpée par Alceste en u.c.e en se fondant sur la ponctuation.
Introduction
1L’Autorité des Normes Comptables (ANC), instance de régulation comptable en France, a lancé en 2011 un appel à projets de recherche sur le thème de la « définition et représentation de la performance ». Dans cet appel, il est indiqué que « l’objectif est d’apporter des fondements conceptuels et des arguments pour permettre à l’ANC de peser plus efficacement dans les débats internationaux présents et à venir » (ANC 2011, p. 1). La question centrale posée dans cet appel est celle de la capacité de la comptabilité à représenter de manière satisfaisante la performance d’une entité à travers le résultat comptable. Prenant comme point de comparaison le modèle comptable international (IFRS) qui serait fondé sur une approche privilégiant les justes valeurs et donnant la primauté au bilan, le régulateur comptable français se fait l’écho de « demandes de plus en plus fortes [qui] s’expriment pour privilégier ce qui relève de la représentation des performances de l’activité économique à moyen et long terme, en réhabilitant le rôle du compte de résultat et en ne comptabilisant dans ces comptes que les résultats que l’on peut considérer comme définitivement acquis » (ANC 2011, p. 1). Ainsi, brossées à grands traits, deux logiques semblent devoir s’opposer entre une approche de type dualiste (un même bilan permettant d’avoir à la fois la valeur du patrimoine et le résultat de l’activité des firmes) qui serait indissociable d’un recours à des justes valeurs ou bien de type moniste (un seul bilan en coûts historiques pour obtenir le bon résultat, à savoir le résultat réalisé) qui induirait a contrario le recours exclusif à des valeurs historiques.
2La mise à l’agenda d’une telle problématique par le régulateur comptable marque le renouveau d’un débat non tranché depuis plusieurs décennies et ayant pris différentes formes. En trame de fond du débat entre approche dualiste ou moniste, l’interrogation porte sur les destinataires privilégiés et les missions assignées au système d’information comptable. Pour qui doit-on prioritairement élaborer les comptes ? Pour quels objectifs ? Et en conséquence, quelles conventions doit-on retenir ? Quel rôle joue le concept de prudence dans ce choix ? Ces questions n’appelant pas nécessairement de réponses uniques, il convient de garder à l’esprit que la comptabilité est un construit social historiquement daté et que le modèle que sous-tend un référentiel ne saurait être ni atemporel ni universel (Capron 2005, p. 6-7). Ainsi, exprimer le besoin de définir le type de performance que doit traduire la comptabilité pour y associer des conventions de mesure revient à exprimer la nécessité de fixer les objectifs que l’on souhaite lui assigner dans une juridiction donnée. Or selon Colasse (2006), c’est le rôle d’un cadre conceptuel que de définir les objectifs assignés à la comptabilité et fixer l’ensemble des moyens permettant de les atteindre. La question exprimée par le régulateur français concernant la notion de la performance et sa mesure par les états financiers est ainsi à notre sens implicitement rattachée à celle du cadre conceptuel comptable. Conceptuellement donc, les objectifs assignés au système comptable déterminent le type de performance qu’il permet de traduire, ceci induisant de recourir à des conventions d’évaluation appropriées. Or, ni le référentiel français ni le référentiel IFRS ne définissent explicitement la performance que la comptabilité a vocation à représenter (Pierrot 2006) [1]. Par voie de conséquence, une certaine latitude d’interprétation est possible. Depuis l’adoption des IFRS en Europe, plusieurs auteurs ont étayé l’idée qu’en recourant plus largement aux justes valeurs, le référentiel international transformait de facto la performance de l’entreprise, mesure et concept étant par nature intrinsèquement dépendants l’un de l’autre (Chiapello 2005 ; Richard 2005a ; Colasse 2006 ; Giordano-Spring et Lacroix 2007). Ainsi, « la nouvelle mesure de performance risque en effet de refléter autant les mouvements de l’environnement et des marchés financiers que ce qui est imputable au travail de production des biens et services en tant que tel » (Chiapello 2005, p. 129) [2]. Cette perspective est réputée répondre aux besoins de « l’utilisateur des comptes – apporteur de capitaux financiers » qui est le destinataire privilégié par le normalisateur international. L’appel du normalisateur français invite à considérer qu’un arbitrage entre justes valeurs et coûts historiques marquera le choix d’une approche conceptuelle et qu’en rejetant un modèle en justes valeurs, c’est l’approche moniste ou encore « par le compte de résultat » qui sera réhabilitée. Cette double proposition mérite d’être examinée du point de vue des professionnels visés par ces choix, à savoir les producteurs et utilisateurs des comptes.
3Deux motivations principales sont à l’origine de la présente recherche. Tout d’abord, le régulateur comptable se faisant le porte-parole d’une demande sociale en faveur d’une approche privilégiant un résultat réalisé qui exclut les plus-values latentes, il importe d’identifier les arguments issus de la pratique professionnelle qui justifient une telle position. Quelles sont les argumentations développées par les professionnels en faveur d’une telle approche ? Ensuite, considérant que la comptabilité est un système institutionnellement inscrit dans la société, cette recherche a vocation à faire émerger des attentes prioritaires exprimées par des professionnels du chiffre concernant la contribution des états financiers à l’appréciation de la performance d’une entreprise, et ainsi contribuer aux interrogations soulevées par le normalisateur français. Pour l’avenir, doit-on exclure un recours systématique aux justes valeurs pour élaborer un état de performance ? Quel type de performance est-il pertinent de représenter au travers des états financiers ? Quelles sont les voies souhaitables d’amélioration ? À l’instar de Richard (2009, p. 1146) pour qui « une stratégie intelligente […] consisterait à unir les forces plutôt qu’à organiser l’affrontement comptable », il convient ici de contourner l’opposition simpliste entre les référentiels IFRS et français afin de trouver des voies de dépassement et faire des propositions.
4L’objectif prioritaire de notre recherche est donc, en réponse à l’appel à projet de l’ANC, de comprendre quels sont les arguments développés par les professionnels du chiffre en faveur de l’intégration, ou du rejet, de plus-values latentes dans la détermination du résultat comptable. Compte tenu de cet objectif, nous prenons comme point de départ la manière dont les conventions d’évaluation des actifs sont conceptuellement argumentées à travers les théories normatives comptables. L’introduction du concept de prudence ainsi que l’adossement de la distribution de bénéfice sur le calcul du résultat sont ensuite envisagés en tant que déterminants clés des modèles comptables empiriques véhiculés par le référentiel français et international.
5Des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de 31 professionnels du chiffre (producteurs et utilisateurs de l’information comptable et financière – désormais ICF) évoluant dans des organisations à but lucratif et qui sont familiers des référentiels PCG et IFRS. Ils ont fait l’objet d’une double analyse de contenu : une analyse lexicale automatisée à partir du logiciel Alceste et une analyse thématique manuelle. Les principaux résultats de cette recherche qualitative font apparaître quatre classes distinctes de discours représentatifs des positions professionnelles des personnes interrogées. Il ressort que tout d’abord des proximités de langage et de préoccupations entre certaines professions dépassent le clivage émetteur/utilisateur de l’ICF. Il ressort ensuite que coûts historiques et justes valeurs ne sont pas caractéristiques de modèles comptables opposables, mais bien complémentaires de nos jours du point de vue des professionnels interrogés.
6La contribution de cet article est double. D’une part, l’étude qualitative ainsi conduite offre une compréhension originale de la manière dont des producteurs et utilisateurs des états financiers perçoivent l’intérêt de recourir à des justes valeurs en complément du maintien de la convention des coûts historiques. D’autre part, nous formulons des propositions à l’attention du normalisateur en réponse à son appel à projet.
7L’article est composé de quatre sections. Après cette introduction, la première section expose les deux approches théoriques qui fondent l’opposition évoquée par le régulateur français. La seconde section argumente la démarche méthodologique. La troisième section présente les résultats de l’analyse des entretiens menés auprès des professionnels du chiffre. Enfin, la dernière section propose des éléments de discussion et de conclusion.
1 – Coûts historiques vs. justes valeurs : des modèles théoriques au modèle empirique comptable
8La question du choix entre coûts historiques (CH) ou justes valeurs (JV) pour élaborer le résultat comptable s’inscrit dans un débat théorique déjà ancien, mais qui s’est renouvelé à plusieurs reprises dans l’histoire comptable contemporaine. Ce débat s’est en substance cristallisé autour de deux modèles théoriques conceptuellement opposables (Saghroun et Simon 1999 ; Aglietta et Rébérioux 2004 ; Richard 2005a ; Giordano-Spring et Lacroix 2007). Le premier cadre théorique est dit statique et fait référence selon les mots de l’ANC à une « approche par le bilan » [3]. Ce cadre théorique, fondé sur une « théorie de la valeur », propose comme finalité du modèle comptable la mesure de l’accumulation de valeur patrimoniale pour les créanciers et les investisseurs (1.1). Le second cadre théorique est dit dynamique et appréhende la performance d’une entreprise sous l’angle de sa capacité à effectuer efficacement des transactions en lien avec son activité économique principale. Il est fondé sur la « théorie de la transaction » (1.2). Cette seconde lecture est qualifiée d’« approche par le compte de résultat » (ANC 2011). Au fil des époques, ces deux approches ont trouvé à s’exprimer différemment du fait de l’introduction du principe de prudence et de l’exigence de distribuer des bénéfices (1.3).
1.1 – La théorie de la valeur pour une comptabilité en valeurs actuelles
9L’usage de valeurs actuelles comme convention d’évaluation des actifs en comptabilité émerge au début du 19ème siècle en France initialement puis en Allemagne (Richard 2005a). L’approche dite statique, défendue par les juristes, vise à protéger les créanciers et investisseurs de long terme en limitant autant que possible les faillites du fait d’une insolvabilité. Pour atteindre cet objectif, les actifs doivent être présentés au bilan à leur valeur de marché afin de donner une réelle portée informative aux états financiers. Dans cette conception initiale, l’approche repose sur un principe de mort de l’entreprise ou de liquidation fictive à la clôture (Richard 2005a, p. 92). Seules des valeurs objectives, c’est-à-dire issues de cours sur des marchés actifs, sont admises. Les valeurs estimées sont rejetées. In fine, c’est la valeur récupérable par les créanciers financiers qui doit être donnée à voir dans le bilan, au besoin avec l’aide d’experts en évaluation des biens. Les actifs incorporels, difficilement cessibles individuellement, ont en conséquence une valeur comptable nulle. Les autres actifs sont en revanche à présenter en valeurs réelles, y compris en cas de plus-value latente. Cette conception va de pair avec l’inscription au bilan des biens personnels du commerçant, le principe de responsabilité limitée en droit n’étant pas encore généralisée (Richard 2005a, p. 94-95). En prenant appui sur de tels principes, un créancier financier externe doit savoir ce qu’il est possible de récupérer en cas de liquidation.
10A la fin du 19ème siècle, et sous l’impulsion décisive de HV Simon, cette approche statique « pure » est combattue pour privilégier le recours à des valeurs d’usage, au détriment des valeurs vénales. La raison essentielle de cette préconisation est le rejet du principe de mort en faveur d’un principe de continuité d’exploitation (Richard 2005b, p. 79). Selon son promoteur, la seule valeur qui vaille est subjective, dépendante de l’usage du bien dans l’exploitation, exploitation ayant vocation à se poursuivre. Les valeurs données par des marchés externes ne présentent de ce point de vue aucun intérêt. L’avocat allemand promeut une valeur actuelle qui résulte de l’estimation de l’entreprise, seule à disposer de sa connaissance dans le contexte d’affaires. Techniquement, il s’agit d’une valeur actuarielle fondée sur une anticipation de profits escomptés.
11C’est plus tard de l’autre côté de l’Atlantique que l’approche statique trouvera un souffle nouveau dans la seconde moitié du 20ème siècle (Edwards et Bell 1961 ; Mattessich 1964 ; Sterling 1970). Largement inspirés de cette approche statique pure puis évoluée, Edwards et Bell publient en 1961 un ouvrage sur « la théorie et la mesure du résultat de l’entreprise ». Les auteurs font alors coexister les différentes catégories de valeurs actuelles, valeurs objectives ou vénales, et valeurs d’usage ou actuarielles. Leur lecture est bien inscrite dans la théorie statique en ce sens que la performance de l’entreprise doit tenir compte de la richesse patrimoniale accumulée. Etant donnés les actifs mis en œuvre, l’équipe de direction forme des anticipations sur les évènements futurs et compare à chaque instant son propre jugement avec celui du marché. Elle investit dans ce qui présente à ses yeux une valeur subjective supérieure à celle du marché et tente de la convertir en valeur de marché. Les auteurs font coexister à cette fin le recours à des valeurs vénales ainsi que le recours à des valeurs actuarielles afin d’arbitrer entre les activités d’expansion ou de composition [4]. Ainsi selon cette « approche par le bilan », la comptabilité doit collecter des données sur la valeur actuelle de marché des actifs détenus par la firme pour qu’elle puisse séparer correctement ce qui relève des opérations d’exploitation de ce qui relève des activités de détention. Période après période, la comptabilité pourra fournir une mesure précise (1) du profit opérationnel et (2) des gains réalisables qui proviennent de la détention d’actifs dont les prix ont augmenté (Edwards et Bell 1961, p. 273).
12Pour les tenants de cette approche, un jeu unique d’états financiers doit permettre de satisfaire les besoins d’information des utilisateurs internes (les managers) mais également externes (actionnaires, créanciers financiers, état…). En conséquence, l’évaluation de la richesse créée comporte en réalité deux volets. Il s’agit d’une part de l’évaluation faite par le management pour lui-même afin de l’aider dans ses prises de décision. Mais il s’agit aussi de permettre aux autres utilisateurs externes d’évaluer la qualité du management de l’entreprise. Si les comptables ne satisfont pas à cette double exigence en matière de mesure de la performance, les ressources seront mal affectées et les firmes, et la société au sens large, en souffriront (Edwards et Bell 1961, p. 271).
13Cette approche, parfois qualifiée de dualiste, aspire ainsi à déterminer un résultat comptable qui est la synthèse du profit généré par l’exploitation mais également des variations de valeurs patrimoniales, afin de boucler le bilan. Elle est, de ce point de vue, fondée sur une théorie de la valeur. Cette première approche a fait l’objet de nombreuses critiques formulées par les « monistes », pour qui le seul résultat comptable qui vaille doit traduire la performance de l’exploitation et, auquel ne correspond qu’un seul bilan en valeurs historiques.
1.2 – La théorie de la transaction pour une comptabilité en coûts historiques
14Pour les tenants de l’approche dynamique, la comptabilité doit permettre d’informer le dirigeant sur la prospérité ou le déclin de son affaire. Pour cela, il doit chercher à évaluer si l’unité économique productive formée est efficiente. La principale figure de proue de cette seconde approche est l’allemand E. Schmalenbach (Giordano-Spring et Lacroix 2007). Schmidt, avec son bilan organique, peut être considéré comme très proche des thèses du bilan dynamique (Richard 2005b).
15L’objectif principal assigné à l’information comptable est d’aider à la bonne maîtrise de l’exploitation et par conséquent l’analyse de l’efficacité des transactions s’avère déterminante. La qualité des transactions issues du modèle économique prime sur la qualité de la composition du patrimoine de l’entité, qui n’a de valeur que dans la synergie produite entre les actifs. Selon Schmalenbach, un bilan dynamique donne une image des mouvements qui se sont déroulés pendant la période et en particulier ceux liés aux forces déterminant le résultat de l’entreprise, le résultat donnant « la mesure de la gestion d’une entité économique » (Schmalenbach 1961, p. 30). Cette relation bijective entre le bilan et le résultat conduit l’auteur à employer l’expression de « bilan de calcul des résultats » (Schmalenbach 1919 ; 1961, p. 2) [5]. À travers cette expression, c’est une approche moniste qui est défendue : pour calculer le « bon » résultat, un seul bilan est possible. Il convient de lisser au maximum les consommations de dépenses qui sont à l’origine de la création de richesse. Pour ainsi produire des valeurs pertinentes nécessaires au calcul des résultats issus de l’activité, le bilan doit être présenté en coûts historiques, auxquels il faut appliquer des amortissements appropriés. La réévaluation des éléments du patrimoine ferait perdre le fil de la consommation réelle des ressources et doit donc être écartée. L’auteur martèle son opposition à l’approche statique en considérant que « l’on qualifie la conception du bilan de dualiste si l’on s’efforce de déterminer au moyen d’un seul et même bilan à la fois la situation du patrimoine et le calcul des résultats. Les évaluations étant dans les deux cas différentes, nous avons toujours considéré cette conception comme dénuée de rigueur scientifique et rien ne nous permet de réviser ce jugement. D’ailleurs, l’affaire peut être considérée comme classée, les efforts déployés par les dualistes n’ayant jamais aboutis. » (Schmalenbach 1961, p. 18).
16La stabilité des paramètres initiaux (le maintien des CH) revêt un caractère déterminant pour pouvoir apprécier les performances de l’entité et confère toute l’importance et la signification du résultat. En d’autres termes, le bilan est le « serviteur » du calcul du résultat et non le « maître » (Schmalenbach 1961, p. 24). On retrouve le sens de l’expression « approche par le compte de résultat » employée par l’ANC (2011) et également par Saghroun et Simon (1999).
17Le bilan représente le réservoir des forces de l’entreprise et leur consommation dans le cours normal de l’activité doit être répercutée de manière régulière dans le compte de résultat. Ainsi, les moyens d’exploitation achetés figurent au bilan pour le montant de la dépense (donc coûts historiques), déduction faite des amortissements : ils constituent pour l’entreprise des prestations anticipées. Les dépenses pour R&D peuvent par analogie être portées au bilan dans les immobilisations mais non sans une certaine réticence. Les stocks sont des biens de consommation et non d’usage ainsi que le sont les investissements. Ils apparaissent pour le montant intégral de la dépense encourue. In fine, les actifs du bilan sont avant tout des dépenses qui se transformeront en charges pour l’entreprise au cours des exercices suivants. Leur contenu patrimonial ne revêt aucun intérêt particulier dans le calcul du résultat.
18L’objectif assigné au bilan dynamique en coûts historiques est le contrôle de la gestion en direction d’une variété de parties prenantes (dirigeants, actionnaires, créanciers financiers mais aussi salariés intéressés à la pérennité de l’entreprise). Lorsque les associés ne sont pas eux-mêmes gérants, la mission redditionnelle de la comptabilité est d’autant plus forte mais ne change pas l’information qui doit être produite. En cas de doute, il faut donner la préférence aux données qui se rapprochent des faits réels sans faire intervenir de spéculation, i.e. privilégier les coûts d’acquisition plutôt que des valeurs du jour (Schmalenbach 1961, p. 28).
19Au final, l’objectif assigné aux états financiers conformes à ces préconisations est de contribuer à la détermination des dividendes et ainsi au partage des profits entre les associés. Il devient crucial du point de vue des associés qui ne prennent pas part à la vie courante des affaires. Il importe de s’assurer de la réalité du bénéfice déterminé, l’écueil qui doit avant tout être évité étant celui de la distribution de dividendes fictifs. En conséquence, les réserves latentes de l’entreprise (via la sous-évaluation de certains postes d’actifs ou de la surévaluation de postes de passif [6]) ne doivent pas être comptabilisées tant que celles-ci ne sont pas effectivement réalisées.
20Les deux approches théoriques qui précèdent se retrouvent sous des formes atténuées au sein des modèles comptables empiriques, tels que véhiculés par le référentiel français ou le référentiel international. L’introduction du principe de prudence et la vocation du résultat à déterminer le bénéfice distribuable soulèvent des interrogations quant au modèle à privilégier.
1.3 – L’introduction du principe de prudence et la question du bénéfice distribuable
21Les approches statique et dynamique permettent de caractériser les différents systèmes comptables, de type dualiste ou moniste, et leur évolution (Richard 2009). L’introduction du principe de prudence ainsi que la nécessité de distribuer des résultats avant la fin du cycle d’exploitation vont effacer les digues apparentes entre ces deux modèles théoriques. Selon Saghroun et Simon (1999, p. 60) : « le traitement de la question de l’articulation entre bilan et compte de résultat dépend du contexte historique et socio-économique ». Si la comptabilité française s’inspire plus clairement du modèle théorique dynamique alors que la comptabilité internationale est plus inspirée du modèle statique, l’introduction du principe de prudence crée un point de convergence entre les deux en défendant la capacité de l’entreprise à distribuer des dividendes sur une longue période.
22En effet, si HV Simon défend une approche statique revisitée (i.e. recourant à des valeurs actuarielles), il introduit un principe de prudence qui conduit à ne comptabiliser que les moins-values potentielles à l’exclusion des plus-values. Le recours aux valeurs actuelles est en ce sens limité, et ce dans le but de ne pas pouvoir distribuer des bénéfices non encore réalisés (Richard 2005b, p. 81), argument également partagé par Schmalenbach pourtant défendeur de l’approche dynamique. Un des intérêts fondamentaux du principe de prudence – ou principe de dissymétrie – est en substance de conduire à une sous-évaluation du résultat. Cette sous-évaluation permet de soutenir l’autofinancement de l’entreprise au détriment d’une distribution trop rapide de dividendes, ce cercle vertueux devant permettre de soutenir la capacité de l’entreprise à distribuer des dividendes sur le long terme.
23Le modèle empirique français introduit très explicitement le principe de prudence (code de commerce Art. L. 123-20 et PCG art. 121-4). Il y est présenté comme « un remède ou (…) un vaccin contre le transfert de risques et de pertes dans l’avenir » (Saboly 2003, p. 154). Couplé à la convention des coûts historiques, il conduit à ne comptabiliser la valeur actuelle qu’au cas où elle est inférieure à la valeur comptable d’un actif, cette valeur actuelle étant entendue comme la plus élevée entre valeur vénale et valeur d’usage. De fait, la référence au modèle statique (pur puis revisité) ne peut être écartée. Mais il interdit également la comptabilisation de valeurs actuelles supérieures à la valeur historique [7]. En ce sens, il semble plus directement aligné sur le modèle théorique dynamique et moniste. À ce bilan français en coûts historiques correspond en effet un résultat qui a exclu la prise en compte de tout accroissement de valeur patrimoniale, ces éléments restant en capitaux propres sans transiter par le compte de résultat [8]. Selon Saboly (2003), c’est en réalité la Cour de cassation qui au fil de ses prises de position, en particulier la répression du délit des dividendes fictifs en 1867 et, en conséquence par la nécessité de comptabiliser des amortissements, que la notion de bénéfice fondé sur la prudence s’est définie progressivement en France. Le fait que les institutions bancaires ne soient pas parfaitement développées à cette époque et que l’on ait voulu promouvoir l’autofinancement peut expliquer une telle orientation.
24Le modèle empirique international (IAS/IFRS) se fonde lui aussi sur la notion de prudence mais avec une logique différente. Selon un ancien membre du Board de l’IASB, la prudence (conservatism) dans la logique anglo-saxonne est parfois vue avec suspicion comme une opportunité de lissage impropre à donner une image fidèle (Gélard 2012, p. 48). La prudence n’est pas élevée au rang de principe mais doit servir à atténuer ou cadrer l’optimisme des préparateurs lors de leurs estimations de valeurs. Cette conception prend tout son rôle lorsque le système comptable permet pour certains actifs de recourir à des valeurs actuarielles (pour certaines catégories de titres ou d’immobilisations par exemple) dès lors qu’elles sont estimées avec prudence. Rien ne s’oppose alors conceptuellement à ce que des plus-values latentes soient agrégées au résultat issu des transactions, tel que le véhicule le modèle du Comprehensive Income (CI) [9] (Giordano-Spring et Lacroix 2 007 ; Vidal et Giordano-Spring 2012). Ce résultat, que l’on appelle « résultat global » en français, traduit bien cette quête associée aux dualistes, visant à présenter dans un même compte de performance, celle qui est issue du modèle économique et celle issue de la variation de la richesse patrimoniale. La pratique du CI formé par le résultat net comptable et des « Other Comprehensive Income » (OCI) [10], tels qu’ils sont définis par le normalisateur, renvoie in fine à deux conceptions de l’articulation comptable reliant les capitaux propres et le résultat net, que les académiques qualifient de « clean surplus » et de « dirty surplus » (Ramond et al. 2007). Dans la comptabilité de clean surplus, les variations de capitaux propres autres que les opérations en relation avec les actionnaires sont intégrées au résultat de l’exercice alors que la comptabilité de dirty surplus tient compte des autres variations de capitaux propres qui ne transitent pas par le compte de résultat. Cette idée de « saleté » voire « d’opacité » semble traduire la difficulté et l’embarras des normalisateurs à caractériser clairement la nature de ces variations de valeur. Pour l’économiste, pour le juriste, comme pour l’actionnaire, s’il y a surplus, il doit pouvoir être distribué (Hicks 1946). Ainsi, un surplus, qui ne peut sortir de l’entreprise sans risque de modifier sa valeur économique, est un surplus suspect.
25De proche en proche, la question de la convention de mesure de la valeur des actifs au bilan se transforme en une question du bénéfice distribuable que la comptabilité a vocation à déterminer. Si à ce jour, le dividende distribuable en France, exclusivement rattaché aux comptes individuels, est strictement limité avec l’infraction de dividendes fictifs [11], le droit pourrait en disposer autrement à l’avenir (Gélard 2012). Lever le verrou comptable en organisant la reconnaissance de bénéfices anticipés en résultat rendrait le scénario possible dans le futur. C’est sans doute un des enjeux économiques majeurs de la question posée par l’arbitrage entre les conventions de mesure comptables (Richard 2012). La nécessité pour le normalisateur comptable de mieux appréhender les attentes/besoins des producteurs et utilisateurs de l’information comptable dans l’environnement économique actuel se trouve justifiée.
26Les termes théoriques et conceptuels de notre problématique de recherche étant posés, nous cherchons à répondre aux questions du normalisateur français en menant une enquête qualitative et exploratoire auprès d’experts dans le domaine de la comptabilité. Notre propos est d’identifier si une position et des argumentations caractéristiques émergent dans le contexte actuel français, et si des différences notables existent selon que l’on se situe du point de vue de l’émetteur de l’information comptable ou a contrario de l’utilisateur. La méthode de recherche est présentée dans la section qui suit.
2 – Méthodologie de l’étude qualitative
27Compte tenu de la visée compréhensive de cette recherche, une approche qualitative est privilégiée (Grenier et Josserand 1999). Laissant un degré de liberté important dans sa réalisation, il convient donc de rendre explicites certains choix méthodologiques (Wacheux, 1996 ; Huberman et Miles 1991). Notre démarche a d’abord consisté à mener des entretiens semi-directifs auprès de producteurs et d’utilisateurs de l’information comptable à partir d’un guide d’entretien (2.1). Elle s’est ensuite poursuivie par une double analyse, lexicale et thématique, du contenu de ces entretiens (2.2).
2.1 – Guide d’entretien et professionnels interrogés
28Des entretiens semi-directifs ont été conduits auprès d’un ensemble d’acteurs exerçant des métiers représentatifs des professions du chiffre. Le guide d’entretien, fourni en annexe 1, est structuré autour de 4 thèmes qui soulèvent les questions clés issues de l’analyse des théories normatives. La première série de questions vise à appréhender la manière dont les professionnels du chiffre abordent la notion de performance en général, indépendamment du résultat comptable. La deuxième série de questions porte sur la place des états financiers dans l’évaluation de la performance et sur les indicateurs les plus couramment utilisés. Le troisième thème traite du rôle du résultat comptable et du « meilleur » résultat du point de vue des professionnels, c’est-à-dire du solde qui, selon eux, représente le mieux la performance d’une entité. Enfin, la quatrième série de questions appréhende le débat JV/CH et porte plus spécifiquement sur la façon de calculer le résultat.
29Deux catégories de professionnels évoluant dans des organisations à but lucratif et qui sont familiers des référentiels PCG et IFRS ont été interrogées : les producteurs et les utilisateurs de l’information comptable et financière (ICF). Les producteurs sont internes (directeurs comptables et financiers – DAF – de sociétés mères ou de filiales de groupes) ou externes. Dans ce dernier cas, il s’agit des professionnels participant à la production des états financiers tels que les experts-comptables et commissaires aux comptes (EC/CAC), mais évoluant hors de l’entité économique dont on présente les comptes. Concernant les utilisateurs (UT) de l’ICF, ils comprennent des analystes financiers (AF), des experts-crédit en banques et des gestionnaires de fonds. Les professionnels interrogés se répartissent ainsi de la manière suivante : 18 producteurs de l’ICF (dont 11 DAF et 7 EC) et 13 utilisateurs (UT). Le tableau 1 présente le profil des répondants et la durée des entretiens.
Liste des entretiens réalisés
Liste des entretiens réalisés
30Au final, 31 entretiens ont été menés en face-à-face pour une durée totale d’environ 35 heures (soit une durée moyenne par entretien d’1 heure et 15 minutes). Le nombre d’entretiens a été déterminé conformément au critère de saturation de l’information (Poupart et al. 1997). Chaque entretien a été enregistré puis les fichiers audio ont été retranscrits manuellement en format texte.
2.2 – L’analyse de contenu
31Le corpus analysé a concerné l’ensemble des entretiens à l’exception de celui d’un expert-comptable (entretien n° 15) qui n’a pas pu être exploité en raison d’un discours quasi exclusivement centré sur le secteur public et ses spécificités comptables. Sur ces 30 entretiens, une double analyse de contenu a été menée : une analyse lexicale automatisée suivie d’une analyse thématique manuelle (cf. schéma 1). Nous avons cherché, dans un premier temps et à l’aide d’un logiciel, à identifier des univers de discours homogènes à partir des proximités lexicales. Nous avons, dans un second temps, affiné l’interprétation de ces classes d’énoncés à partir d’une analyse manuelle thématique du discours de chacun des 30 entretiens.
32L’analyse lexicale des entretiens s’est faite à l’aide d’Alceste [12]. Il s’agit d’un logiciel d’analyse de données textuelles issu du CNRS qui emploie une méthodologie statistique propre à découvrir l’information essentielle contenue dans un texte ou un corpus de textes. L’objectif est de quantifier le texte pour en extraire les structures signifiantes les plus fortes. Il permet de dégager les mots les plus caractéristiques et d’identifier des « mondes lexicaux » correspondant à des classes d’énoncés distincts (Reinert 1983). Ce logiciel est utilisé dans certaines études fondées sur l’analyse de discours en comptabilité (Giordano-Spring et Pierrot-Platet 2011 ; Nègre et Martinez 2013).
Processus de collecte et d’analyse des données
Processus de collecte et d’analyse des données
33La pertinence de l’analyse conduite est partiellement dépendante de la préparation du corpus. Dans notre cas, le corpus total est constitué des 30 entretiens réalisés et retranscrits. Pour caractériser les divisions naturelles du corpus (appelées unités de contexte initiales ou u.c.i), le chercheur doit définir des « mots étoilés », c’est-à-dire des informations exogènes ou hors corpus. Dans cette recherche, deux mots étoilés sont retenus : le métier du répondant ainsi que le référentiel comptable auquel il est exposé. Une fois le corpus préparé, les formes textuelles (suites de signes séparés par des blancs ou d’autres caractères comme les points ou les virgules) subissent dans Alceste une « lemmatisation » qui les remplace par leur forme réduite : « une forme verbale est réduite en infinitif (mangerai devient manger), un substantif pluriel est réduit en singulier (arbres devient arbre), une forme élidée est réduite sans élision (l’ devient le) » (Marpsat 2010).
34Le logiciel découpe ensuite le texte en u.c.e (ou unités de contexte élémentaires [13]), qui constitue l’unité statistique de base d’Alceste. Pour regrouper les u.c.e. en différentes classes (ou mondes lexicaux), la méthode de classification utilisée est une procédure itérative qui repose sur des tableaux de contingence croisant le vocabulaire et les u.c.e. Ainsi, une classe est formée en fonction de la distribution du vocabulaire et est composée d’u.c.e. contenant les mêmes racines ou lemmes. Un Chi-deux (χ2) signé à un degré de liberté est calculé pour mesurer l’intensité de l’association entre la classe et la forme réduite. Un coefficient positif (négatif) et statistiquement significatif indique que la forme est significativement représentative (non représentative) de la classe (Nègre et Martinez 2013). Le chercheur se doit, sur la base des mots étoilés qu’il a lui-même définis, d’interpréter et de nommer les différentes classes issues de l’analyse automatisée. Pour cela, il peut également s’aider de l’analyse factorielle des correspondances (AFC), issue d’Alceste, qui fournit une représentation spatiale simplifiée des relations entre classes.
35Ainsi, dans le cadre de cette recherche, l’objectif de l’analyse automatisée est de dégager des classes d’énoncés distincts selon le métier des professionnels interrogés et le référentiel comptable, local ou international, auquel ils sont exposés. Après avoir identifié ces classes, il s’agit d’analyser le contenu des discours à travers une analyse thématique manuelle (Bardin 2003). Celle-ci procède « au repérage, au regroupement et […] à l’examen discursif des thèmes abordés dans un corpus » (Paillé et Mucchielli 2012). En d’autres termes, il s’agit de « repérer des « noyaux de sens » qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence d’apparition pourront signifier quelque chose […] » (Bardin 2003). Avec l’analyse thématique, le chercheur fait intervenir des procédés de réduction des données : il résume et traite le corpus de textes à partir de thèmes. « Il s’agit, en somme, à l’aide des thèmes, de répondre […] à la question générique type […] : qu’y a-t-il de fondamental dans ce propos, dans ce texte, de quoi y traite-t-on ? » (Paillé et Mucchielli 2012).
36La démarche générale d’analyse de contenu est séquentielle et chronologique : la préanalyse, l’exploitation du matériel, le traitement et l’interprétation des résultats (Gavard-Perret et al. 2012). La première phase (préanalyse) renvoie à la lecture flottante des entretiens. Après sa retranscription, chaque entretien a fait l’objet de plusieurs lectures successives afin de s’imprégner des éléments saillants du discours des répondants. La deuxième phase (exploitation du matériel) consiste au codage et à la classification des éléments du corpus selon une grille de codage. Il s’agit à ce stade d’affecter les éléments du corpus aux classes d’énoncés distincts issus de l’analyse automatisée d’Alceste. L’objectif est ici d’interpréter les éléments de discours qui caractérisent au mieux les différentes classes (dernière phase de l’analyse de contenu).
37Pour assurer la validité des résultats, tous les chercheurs impliqués ont individuellement réalisé les différentes étapes de l’analyse et les écarts d’interprétation ont été réconciliés.
3 – Identification de discours marqués par les différentes positions professionnelles
38Les résultats présentés dans cette section sont issus de la double analyse, lexicale et thématique, du corpus global. L’analyse lexicale permet d’identifier une structuration en quatre classes disjointes. L’analyse thématique permet de caractériser le discours porté dans chaque classe. L’identification de ces classes fait apparaître des discours représentatifs des positions professionnelles des personnes interrogées, mais également des proximités de langage et de préoccupations entre certaines professions qui dépassent le clivage émetteur/utilisateur de l’ICF.
39L’analyse lexicale est réalisée sur les 2410 u.c.e (ou morceaux de phrases) contenues dans le corpus constitué des 30 entretiens réalisés. Sur ces 2410 u.c.e., 73 % ont été classées en quatre classes stables comme le montre le dendogramme (figure 1), chaque classe étant représentative d’un discours distinct et différenciable du reste au sein du corpus. La classe 2 regroupe le nombre le plus élevé d’u.c.e. classées avec 47 % (contre 29 % pour la classe 1, 13 % pour la classe 3 et 11 % pour la classe 1). Les classes sont détaillées dans l’ordre de leur importance dans le corpus global et illustrées à l’aide de verbatims extraits de l’analyse de contenu manuelle.
3.1 – Le discours convergent entre les banquiers et les experts-comptables
40La classe 2 représente 47 % des u.c.e. Les Chi-deux associés aux mots étoilés permettent d’identifier les locuteurs à l’origine de l’univers lexical distinctif que représente la classe. Ils sont familiers principalement du système comptable français (χ2 = 599) et appartenant aux institutions bancaires en tant qu’experts-crédit (χ2 = 528) ou exerçant une activité d’expertise-comptable/CAC (χ2 = 45).
41Le vocabulaire employé dans cet univers lexical est caractéristique du fonctionnement financier de l’entreprise (crédit, trésorerie, bilan) et de son cycle d’exploitation (client, fournisseur, salarié). Dans ce groupe discursif, la comptabilité est considérée comme ayant pour objet de rendre visible le modèle économique de l’entreprise, et in fine, sa capacité à dégager de la trésorerie et à être performant à partir de l’exploitation.
UT 4 – Expert-crédit : « [le résultat net comptable] Ce n’est pas l’indicateur que la banque retient puisque nous ce qui nous intéresse c’est l’indicateur de rentabilité opérationnelle, d’exploitation, et non pas tout ce qui peut découler après l’exploitation. »
43La comptabilité est toutefois considérée comme trop fortement liée aux règles fiscales et le résultat net comptable souffre de ce point de vue de faiblesses que la pratique professionnelle tente de contourner. En particulier, plusieurs répondants suggèrent que le résultat exceptionnel pose un problème de lecture et de pertinence.
Dendrogramme
Dendrogramme
Seuls les Khi-deux positifs et statistiquement significatifs au seuil de 0,1 % sont donnés (χ2 supérieurs à 10,83) et par souci de simplification, le nombre de formes réduites reprises pour caractériser les classes est limité à 15. DAF = directeur administrateur et financier, AF = analyste financier, EC = expert-comptable, PCG = Plan Comptable Général, IFRS = International Financial Reporting StandardEC 1 : « Il y a un problème au niveau du PCG, c’est au niveau des opérations exceptionnelles. J’ai plusieurs clients qui sont gênés par le fait que certaines opérations soient mises en exceptionnel. J’ai un gros concessionnaire, vente de matériel de location, c’est un concessionnaire de machines-outils… il est obligé de le mettre en exceptionnel alors que c’est de l’opérationnel, et ça, au niveau bancaire, premier jet, ils ne comprennent pas, parce que ça n’entre pas dans la case… Donc la banque m’a demandé de mettre en annexe une mention pour expliquer que c’était du courant et que les opérations comme ça, au minimum il y en avait tous les ans à un certain niveau. Ça je le rencontre assez régulièrement. Le principe c’est surtout pour ce qui est concessionnaires ou les gens qui louent, qui ont un parc de location, des choses comme ça. On va dire qu’il faudrait presque créer un chiffre d’affaires secondaire. Activité principale : location, activité secondaire : vente du matériel de location. Pour moi, la notion de chiffre d’affaires devrait être restructurée. »
UT 7 – Expert-crédit : « Le plus évident est qu’il faudrait faire évoluer l’exceptionnel car il faut bien souvent le retraiter. Par exemple, dans mes clients il y a un camping, un des plus gros de la zone. Il doit remplacer très régulièrement ses mobil homes et doit donc en revendre beaucoup chaque année. Or ces cessions sont classées en exceptionnel alors qu’elles sont devenues récurrentes. Il faudrait pouvoir les remonter en chiffres d’affaires et bien sûr ensuite ventiler le CA pour en faire l’analyse. L’autre point qui pose un véritable problème est celui des transferts de charges dans le compte de résultat. Personne n’y comprend rien. À tel point que pour l’analyse financière faite par la banque, tous les transferts de charges sont purement et simplement « oubliés », sortis des données financières car nous ne pouvons rien en faire. Cela nous pose un vrai problème. »
46La trésorerie constitue un indicateur financier clé apparaissant moins manipulable que certaines informations comptables fondées sur des conventions telles que les amortissements et dépréciations.
UT 7 – Expert-crédit : « le résultat net, il y a tellement de moyens de le travailler que ce n’est pas une fin en soi. (…) On sait très bien que par une politique de provisionnement, par une affectation en charges ou en immobilisations de certaines dépenses, il y a des leviers et le chef d’entreprise en a. »
48Dans les entretiens menés, banquiers et experts-comptables convergent sur deux autres points essentiels. Tout d’abord, la fiabilité doit être la qualité principale du bilan et du compte de résultat. Ces documents doivent permettre pour les uns de s’assurer de la solvabilité de l’entreprise à court terme et à moyen terme (banques), pour les autres de valider vis-à-vis des dirigeants la stratégie qu’ils ont choisie (experts-comptables).
UT 12 – Expert-crédit : « En France ce qui fait foi c’est la liasse, le compte de résultat et les annexes, mais dès qu’on rentre dans d’autres documents avec des situations intermédiaires, des prévisionnels, des états de trésorerie ou des choses comme ça, ça devient beaucoup plus rock n’ roll. Déjà parce qu’il n’y a pas l’estampille de l’expert-comptable, la signature n’est pas la même sur une situation que sur un arrêté d’exercice classique, les démarches ne sont pas les mêmes, les investigations ne sont peut-être pas les mêmes non plus, donc l’information n’a pas la même puissance et la même fiabilité que ce qu’on peut retrouver dans une liasse fiscale. »
EC 1 : « Pour moi ils [les états financiers] servent à valider une stratégie…, parce que l’expert-comptable, malheureusement ou heureusement, il arrive après la bataille. … Souvent, avec des gens qui sont pointus dans leur métier, quand je finis l’exposé des états financiers, à la fin de l’année ils me disent “C’est ce que j’attendais, c’est ce que je pensais”, en fait je valide ce qu’ils pensaient dans leur vision de leur entreprise, ou alors il arrive qu’on soit à côté de la plaque. »
51Ensuite, bien que placés respectivement du côté des émetteurs et du côté des utilisateurs des informations comptables, les experts-comptables et les banquiers partagent un même intérêt appuyé pour certaines valeurs réelles du patrimoine, dès lors qu’elles sont significativement différentes des valeurs comptables. C’est bien souvent une demande qui est faite aux entreprises dans le contexte d’une recherche de financement, et qui de fait conduit à solliciter des expertises externes.
UT 4 – Expert-crédit : « Oui, je préférerais avoir une réévaluation systématique des actifs. C’est ce qu’on fait quand on retraite, on essaie de réévaluer, avec nos compétences mais qui ne sont pas comptables, mais c’est vrai qu’il y a peu d’entreprises qui font d’elles-mêmes des réévaluations d’actifs. »
EC 6 : « Je maintiendrais le principe des coûts historiques dans la présentation des comptes annuels parce que c’est une approche que je qualifierais de prudente ou de juridique de ce que doit être le bilan, mais pour pallier les limites et les insuffisances de ces coûts historiques je pense qu’il serait très intéressant d’avoir une approche en juste valeur communiquée dans les annexes pour permettre d’appréhender ce qui n’est pas traduit dans les comptes. (…) Ça peut intéresser l’actionnaire, le marché, le banquier…, beaucoup de monde. C’est ce qui conditionne pour partie la décision de rachat d’une entreprise, de l’investissement dans cette même entreprise, donc c’est une information qui est capitale. Ce qui est un peu frustrant c’est d’alimenter cette juste valeur, cette valorisation cachée de l’entreprise, sans pouvoir en faire état. »
EC 5 : « Pour tous les éléments d’actif non liquides ou sans valeur de marché reconnue, ce qui devient difficile à définir, les coûts historiques sont sans doute les meilleures mesures puisque quand on bascule sur des justes valeurs, n’ayant pas de marché de référence, on aura toujours du mal à les définir. Par contre, a contrario, si on est sur des éléments liquides et ayant des valeurs de marché reconnues, la valeur actuelle est une mesure qui reste performante. Après, autre question qui rentre en ligne de jeu c’est, soit on détient ses actifs pour une durée certaine, donc modèle économique assurances ou autres, et la juste valeur annuelle n’est peut-être pas une bonne mesure parce qu’elle n’est pas en adéquation avec le modèle économique (à quoi ça sert de gérer des justes valeurs si on détient un bien pour 10 ans, on ne fait que gérer des fluctuations), par contre si on est sur un modèle économique de gestion des actifs de courte durée, la juste valeur est sans doute la meilleure mesure puisque ça évite de faire des fluctuations de résultat à chaque sortie. Tout dépend de quel actif on parle, tout dépend de quel modèle économique on parle, de quel business model on parle, etc. Tout ça est à sérier par petits morceaux. »
3.2 – Le discours convergent des DAF et des utilisateurs externes (analystes financiers et investisseurs)
55La classe 1, qui regroupe 29 % des u.c.e., est majoritairement constituée par le discours des DAF (χ2 = 148), des analystes financiers (χ2 = 68) et des investisseurs (χ2 = 21). Ce groupe discursif est ainsi principalement porté par des professionnels exposés dans leur pratique au référentiel comptable international IFRS (χ2 = 237). Concernant le vocabulaire employé, le discours traduit une vision externe de l’entreprise proche de celle des marchés financiers. La performance d’une entité est vue à travers le prisme du cours de bourse et de la valorisation financière.
UT 2 – fonds d’investissement : « On est des gérants fondamentaux. On pense que les sociétés ont une valeur, que les gérants ont l’expérience, la connaissance pour comprendre cette valeur. Et cette valeur elle devra se retrouver et être retranscrite dans le cours boursiers. Donc ça, c’est le postulat de base. Après, toute la question c’est : à quelle échéance ? »
UT 9 – analyste financier : « Là j’ai un biais de par mon utilisation, la performance se mesure par la valeur, donc a priori une société performante est une société qui est bien valorisée, la résultante de la performance étant la valeur. »
DAF 7 : « Si vous regardez les sociétés cotées sur un même secteur d’activité, on va vous parler de PER. »
59Les indicateurs jugés utiles sont les flux de trésorerie (cash-flows/free cash-flows) qui rentrent en ligne de compte dans les modèles actuariels et qui permettent d’évaluer la valeur boursière (ou marchande) de l’entreprise.
UT 5 – analyste financier : « Si je devais choisir un seul état, je prendrais les cash-flows. Le cours de bourse se calcule sur des cash-flows actualisés. Le cash-flow actualisé (DCF discounted cash-flow) est la résultante du bilan et du compte de résultat. »
UT 2 – fonds d’investissement : « Chez nous, ils regardent quand même pas mal les cash-flows, ou le free cash-flow, l’évolution des projections des cash-flows ».
62Afin d’être en mesure d’anticiper les flux futurs et de mener ces évaluations, il importe particulièrement pour ces catégories de professionnels d’analyser la stratégie de l’entreprise. Les états financiers finissent toujours par refléter le succès ou l’échec de cette stratégie.
UT 3 – analyste financier : « Les marchés sont plus ou moins efficients mais c’est aussi un point de rencontre d’avis divergents. Moi je ne suis pas toujours d’accord avec les autres analystes, avec les investisseurs, donc les analystes vont produire des résultats différents, mais au final on est rattrapés par les chiffres. On voit bien si au bout de 5 ans une société a multiplié son résultat par 2 ou s’il a été divisé par 2. On revient à un principe de réalité qui peut ne pas apparaître obligatoirement…. ».
DAF 8 « (…) Nous on travaille par rapport à l’EBITDA. Tout simplement parce que nos acteurs économiques, quand ils veulent essayer de nous donner une valeur, de quantifier notre endettement ou de nous comparer à notre secteur d’activité, ou nous-mêmes, quand on veut racheter une société, on va tout de suite regarder l’EBTIDA qui est souvent le point de départ des méthodes mathématiques de valorisation que l’on utilise le plus couramment. »
65Finalement, les éléments d’exploitation et le résultat « opérationnel » traduisent le mieux l’impact de cette stratégie même si on retrouve un certain scepticisme à l’égard de la comptabilité française jugée trop fortement liée à la fiscalité.
DAF 5 : « Retombez sur votre objectif de performance en résultat d’exploitation par tous les moyens qui vous regardent au demeurant » (…) Et quand vous regardez une liasse, enfin des états financiers d’une entreprise, il y a quand même je pense, à peu près un tiers, au moins un tiers des informations qui n’ont qu’une vertu et qui est une vertu fiscale. Alors que des éléments importants opérationnels ne sont pas reflétés. »
3.3 – Le discours spécifique des DAF centré sur le principe de prudence
67La classe 3 représente 13 % des u.c.e. et caractérise les éléments de langage des DAF français (χ2 = 91) étant également exposés aux IFRS (χ2 = 59). Ce groupe de répondants est en effet plus à même d’effectuer une comparaison entre les référentiels comptables français et international. Le discours est principalement centré sur le principe de prudence dans son acception française. Un ensemble de notions associées à ce principe de prudence est évoqué (« provisions », « prudent », « clôture », « constater », « perte » etc…) pour y opposer une conception « anglo-saxonne » moins restrictive.
DAF 2 : « On a vu il y a pas longtemps une provision sur un litige que l’on a avec un de nos distributeurs. C’est un litige que nous avons depuis deux ans. Nous avons perdu le premier procès et là, nos CAC ont demandé dans les comptes statutaires que nous passions une provision parce qu’il y avait 50 % de risques que l’on soit complètement déboutés. Donc on y a mis du temps. Nous l’avons mis en annexe sur les comptes statutaires, mais en normes US GAAP on a rien mis du tout, on a rien provisionné. Parce que pour nous, le risque n’est pas fondé, en a encore 50 % de chances de gagner. Et hop ! On va dire que là on est moins prudent, moins conservateur que sur les normes françaises. »
69Cette conception restrictive du principe de prudence français, voire conservatrice, est à lier à la convention de mesure comptable des valeurs au bilan. Une comptabilité en justes valeurs aurait pour défaut fondamental d’introduire une dose trop forte de « subjectivité », que les personnes interrogées définissent en creux comme un manque de consensus.
DAF 8 : « D’abord il faut trouver vraiment la bonne valeur de marché. Chaque fois qu’on fait une évaluation d’entreprise je peux vous dire qu’on est loin du compte. Déjà le vendeur arrive en disant que ça vaut de l’or, pour l’acheteur ça vaut du bronze, on achète de l’argent, et au final on n’est jamais au business plan. Donc où est la vraie valeur là-dedans. C’est hyper subjectif. (…) [le coût historique] Au moins là on sait, ça a été acheté ça, ça a été enregistré pour ça. Évidemment, le jour où je vends un immeuble, c’est sûr que je vais faire venir un expert qui va me dire de le vendre autant, mais qu’est-ce qui me permet aujourd’hui de mettre à l’actif une réévaluation de mes immeubles ? Je ne sais pas. Et si le marché s’effondre, qu’est-ce qui se passe ? Au moins, là on sait combien on l’a acheté. Je ne dis pas que tout est à jeter, mais il rentre beaucoup de valeur subjective là-dedans (…). »
DAF 11 : « [sur la juste valeur] j’ai des réserves très grosses sur la façon dont on la détermine, et surtout son évolution dans le temps. Par exemple si on considère qu’un immeuble a une valeur à l’instant T (valeur du marché ou valeur d’expert), c’est bien la valeur du jour et en aucun cas on ne doit se projeter sur la valeur de demain. (…) Par exemple les stocks, pour moi c’est du coût historique. En tout cas dans mon métier, parce qu’on a une rotation des stocks très rapide. Après, dans les actifs immatériels, les brevets et les marques, là je pense que la juste valeur s’impose. La valeur d’une marque, si tant est que ce soit possible de la quantifier, doit être en permanence remise en cause en fonction de sa notoriété, etc. »
72Il est à noter que la prise en compte de valeurs subjectives à la baisse n’entraine pas pour ces acteurs les mêmes réticences. C’est bien un principe de dissymétrie qui se trouve implicitement légitimé. De proche en proche, les DAF interrogés défendent une vision restrictive de ce qu’il convient de comptabiliser. L’entreprise doit calculer un résultat prudent et ne doit en aucun cas considérer des profits potentiels (gains latents) en vue de la distribution des dividendes aux actionnaires. La juxtaposition éventuelle de deux conceptions du résultat (un résultat aligné sur les CH et un résultat intégrant des produits non encore réalisés) au sein d’un même compte de résultat ouvrirait la voie à des pratiques non orthodoxes.
DAF 8 : « Les anglo-saxons comptabilisent les boni latents et les mali latents. En France on est prudent, on comptabilise les mali latents mais pas les boni latents. (…) Je pense qu’en tant que financier on doit être prudent. Je pense qu’on se plante moins en ne faisant pas apparaître dans le compte de résultat les boni potentiels qu’en les faisant apparaître. (…) on ne va surtout pas distribuer des profits potentiels qu’on ne connaît pas encore ! Là ça devient la boîte de Pandore. »
DAF 10 : « J’ai tendance à privilégier un résultat prudent (…) qui ne fait pas apparaître les plus-values latentes. (…) Je pense que la base des profits distribuables doit être faite sur une fiabilité, donc sur une prudence. »
3.4 – Le discours spécifique des analystes financiers/investisseurs autour de la juste valeur
75La dernière classe (4) représente 11 % des u.c.e. Cet univers discursif est avant tout porté par des professionnels d’abord exposés aux IFRS (χ2 = 70), exclusivement ici les analystes financiers (χ2 = 28). En synthèse, c’est le débat CH/JV qui est à l’origine de cet univers lexical distinct et qui reflète deux positions en partie contradictoires. Pour certains, la juste valeur est une convention pertinente compte tenu des objectifs que se donnent les acteurs du marché financier. Elle permet en effet de mieux apprécier la valeur aujourd’hui de la firme et donc de ses titres. Ce sont ici les avantages de la juste valeur qui sont mis en avant.
UT 3 – analyste financier : « En juste valeur ça me semble bien. Le problème c’est de bien isoler ce qui vient de la variation de juste valeur dans le résultat et ce qui vient de l’activité normale parce que la variation de juste valeur ne reflète pas obligatoirement un enrichissement immédiat mais seulement un enrichissement potentiel » (…) Voilà, donc moi je pense que c’est bien la juste valeur. Moi, mes comptes sont en juste valeur, mes modèles Excel sont en juste valeur, alors que certaines de mes sociétés reportent en juste valeur et d’autres en coût historique. Moi je mets tout en juste valeur ».
UT 6 « En soi, je ne suis pas du tout choqué par une approche en fair value, en valeur de marché. Je pense que si on considère que l’entreprise c’est un ensemble de ressources, ces ressources ont une valeur qu’il faut pouvoir comparer à celles d’une autre entité, ce que le coût historique ne permet pas. L’expression en valeur de marché sur ce plan-là me semble assez sensée. ».
78De plus, pour la majorité des analystes financiers, l’estimation des justes valeurs relève spécifiquement de leur compétence et non de celle de l’entreprise qui publie les comptes.
UT 1 : « [l’estimation des JV] Je le fais moi-même. Je sais ce qu’il y a dans les comptes, et après c’est moi qui donne ma valeur subjective, ma valeur selon les standards… de toute façon, je vais retraiter ou faire ma propre appréciation de la fair value ».
80À l’inverse, certains analystes financiers ont une perception plus critique à l’égard de la convention en juste valeur.
UT2 – directeur investissement : « Certains actifs ont des volatilités induites, qui sont monstrueuses. Qui justement, ne reflètent plus du tout leur vraie valeur, donc ça ne reflète plus du tout une valeur économique. Je vois comme des valeurs du marché, du jour au lendemain, fait le double ou triple, remonte ou redescend, etc… Quand on arrive à des choses comme cela, on se pose la question de la valeur historique. »
82Mais il est intéressant de noter des éléments distinctifs de la critique de la catégorie analystes financiers/investisseurs, qui ne se retrouve pas dans les mêmes termes que ceux des autres professionnels interrogés. D’une part, les inconvénients théoriques de la JV sont à déplorer tant à la hausse qu’à la baisse. Les analystes financiers interrogés avouent en effet une certaine perplexité à l’égard des tests de dépréciation. L’impact de la comptabilisation d’une perte de valeur est en effet souvent plus problématique selon cette profession que celui de la comptabilisation d’un gain qui est beaucoup plus exceptionnel.
UT 9 – analyste financier : « (…) de toute façon dès qu’il y a du goodwill il y a de l’impairment et dès qu’il y a de l’impairment, la subjectivité fait que ça devient du grand n’importe quoi. Donc la précision et l’exigence des normes IFRS ne vont pas avec ces pans entiers qui sont laissés à l’appréciation d’évaluateurs qui vont dire que la valeur des marques ou des parts de marché etc. est ou n’est pas dépréciée. »
84Mais la principale critique portée à la convention de JV est d’ordre méthodologique. La complexité de certaines normes IFRS et des méthodes d’estimation des JV qui en découlent les prive dans la pratique de pouvoir effectuer des prévisions, pourtant au cœur de la méthodologie de ces professionnels.
UT 5 – analyste financier : « Le comprehensive income apporte quelque chose. Je ne base pas mon analyse dessus dans la plupart des cas, mais il apporte parfois des informations intéressantes. Ça ne donne pas d’information sur l’opérationnel, mais des informations complémentaires et parfois essentielles. [le CI] Si on pouvait le prévoir, ce serait intéressant car ce serait sans doute plus proche des prévisions du cours de bourse. Mais il y a là une démarche qui semble difficile (passer beaucoup de temps sur des sujets très complexes et par nature imprévisibles comme par exemple les écarts de change, ou le retraitement IAS19 des écarts actuariels sur les engagements de retraites). »
En synthèse, il ressort de la double analyse, lexicale et thématique, des entretiens :
- des positions plutôt attendues de la part des AF et investisseurs plus favorables à l’intégration de la JV dans les comptes que les autres catégories de professionnels tels que les DAF qui se prononcent résolument pour la détermination d’un résultat prudent excluant de son calcul tout gain potentiel non encore réalisé,
- des proximités moins évidentes entre les banques et les EC-CAC : les utilisateurs et producteurs de l’ICF se rejoignent dans l’idée que dans certains cas, les JV peuvent être utiles et portées en annexe mais sans que celles-ci ne doivent être intégrées au résultat de la période,
- deux discours disjoints de la part des DAF : d’un côté, ils semblent partager la vision des utilisateurs « externes » de l’entreprise, acteurs du marché financier, tout en ayant un autre discours centré sur l’intérêt du principe de prudence et la convention du CH qui est perçue comme son corollaire.
4 – Discussion et conclusion
86Cette section discute les résultats empiriques précédents en approfondissant les éléments saillants au regard de notre problématique. Deux résultats, non attendus et significatifs de cette recherche, appellent en particulier des commentaires. D’une part, les clivages sont apparus moins entre producteurs et utilisateurs qu’entre les professionnels comptables de proximité de l’entreprise (experts-comptables et banques) et ceux qui jugent l’entreprise à plus grande distance (analystes financiers et donc investisseurs qu’ils représentent). D’autre part, coûts historiques et justes valeurs n’apparaissent pas spécifiquement caractériser des positions opposées de la part des professionnels rencontrés. À la suite de cette discussion, nous avançons des propositions en direction du normalisateur comptable, en réponse à son appel à projets.
4.1 – Approche moniste ou dualiste : le rôle clé de la proximité avec le dirigeant ?
87Nous avons précédemment observé que la ligne de fracture principale concernant l’intégration des JV dans le compte de résultat n’est pas entre les émetteurs et les utilisateurs de l’ICF mais sépare les analystes financiers/investisseurs de toutes les autres catégories de professionnels interrogés. Pour les premiers, l’argument en faveur d’un tel choix repose de manière explicite ou implicite sur la pertinence « imaginée » du comprehensive income pour anticiper le cours de bourse. Notons cependant que l’étude empirique de Ramond et al. (2007) n’avait pas confirmé cette qualité du comprehensive income. Pour tous les autres professionnels, la position consensuelle qui se dégage est le souhait de maintenir un compte de résultat exclusivement fondé sur la convention des CH, puis de compléter, selon des normes à définir, certaines justes valeurs significatives par une mention formelle en annexe. L’intégration de plus-values latentes reste à prohiber dans le compte de résultat, compte tenu de ses répercussions non souhaitables en matière de distribution de bénéfice. De ce point de vue, les analystes et investisseurs semblent plus proches de l’approche dualiste (un même bilan permettant d’avoir à la fois la valeur du patrimoine et le résultat de l’activité des firmes) alors que tous les autres s’accordent en synthèse pour défendre une approche de type moniste (un seul bilan en coûts historiques pour obtenir le bon résultat, à savoir le résultat réalisé).
88Une première explication possible à ce clivage apparent pourrait venir du degré d’asymétrie informationnelle entre le dirigeant et les acteurs professionnels. En effet, bien qu’externe à l’entreprise, les experts-crédits par exemple, entretiennent une relation directe avec le dirigeant. Pour les banquiers rencontrés, le degré de pertinence de l’information comptable est apprécié au regard de la personnalité de son dirigeant ainsi que de l’identité de l’expert-comptable le cas échéant. A contrario, le discours des analystes et investisseurs traduit une position plus distanciée par rapport à l’entreprise, dans laquelle la communication comptable et financière joue un rôle clé. De ce point de vue, il pourrait s’agir là d’un résultat qualitatif validant la cohérence empirique qu’il y a entre une comptabilité dualiste en JV et son rôle dans le cadre de la théorie de l’agence. En situation de forte asymétrie informationnelle, la comptabilité contribuerait principalement à alimenter les modèles de valorisation de la part des investisseurs (Charreaux 2000). Cette interprétation des résultats se trouve renforcée par l’observation d’une certaine « schizophrénie » dans le discours des DAF. Les DAF sont en effet à l’origine de deux types de discours assez radicalement différents (se reflétant dans les classes 2 et 3). D’un côté, les DAF ont une vision proche des marchés financiers qu’ils partagent avec les analystes financiers et investisseurs. De ce point de vue, la performance d’une entreprise se traduit en termes de création de richesse patrimoniale (ou actionnariale) et le résultat devrait refléter les fluctuations des marchés y compris lorsque les gains de valeur ne sont que potentiels et non matérialisés par une transaction. Dans cette optique, c’est la notion de juste valeur ou de valeur actuelle qui prévaut. D’un autre côté et à l’inverse, le discours des DAF, appartenant à l’équipe dirigeante de l’entreprise, renvoie à une conception privilégiant le principe de prudence et excluant du calcul des bénéfices distribuables tous gains non encore réalisés.
89Aussi, les besoins d’informations peuvent être différents selon la proximité des utilisateurs des états financiers avec le dirigeant mais également selon les caractéristiques de l’entreprise qu’ils évaluent. On peut suggérer à cet endroit que les facteurs taille et gouvernance de l’entreprise sont susceptibles de jouer un rôle discriminant dans les besoins des utilisateurs de l’ICF, certains étant quasi-exclusivement confrontés à des PME alors que d’autres ont affaire à des sociétés de grande taille. Ces résultats issus de l’enquête qualitative invitent à approfondir l’étude comparative des besoins des différentes catégories d’utilisateurs de l’ICF afin d’en comprendre les besoins fondamentaux communs, ou à l’inverse divergents (El Fassi Bouzoubaa 2015).
4.2 – JV versus CH : complémentarité plutôt qu’opposition
90Concernant la préférence comparative des interviewés à l’égard de la convention de mesure, CH et JV sont jugées utiles et défendues, mais de manière distincte selon la position du répondant. Les experts-crédits en banque expriment un discours en ligne avec la perspective émetteur (DAF et EC-CAC) alors que les analystes financiers/investisseurs affichent là encore une position qui leur est spécifique. Tous expriment néanmoins un soutien marqué à la pertinence des JV lorsqu’elles sont significativement différentes des CH, que ce soit à la hausse ou à la baisse. La divergence de points de vue porte plus particulièrement sur la profession ayant la compétence pour estimer ces JV. En particulier, les experts-crédit en banque rencontrés ont mis l’accent sur leur manque d’aptitude à estimer les justes valeurs qui doivent, selon eux, être déterminées par l’entreprise elle-même et portées en annexe. A contrario, les analystes financiers ont spécifié que l’estimation des justes valeurs relevait de leur compétence et qu’en conséquence, ils portaient un regard critique sur les montants estimés par les entreprises. Ce consensus autour d’un besoin d’information en matière de JV, en tant que donnée comptable complémentaire à celle du CH, conduit à suggérer la pertinence d’un modèle comptable dynamique « hybride », le caractère hybride traduisant la nécessité d’un recours conjoint aux CH et à la JV mais non intégrés au sein d’un document « compte de résultat ». Dans un tel modèle, le principe de prudence renvoie à retenir des CH pour déterminer le seul résultat réalisé, les JV devant être documentées en annexe.
4.3 – Propositions en matière de normalisation
91À la suite de ces résultats empiriques, il nous semble possible de formuler deux types de propositions à l’attention du normalisateur comptable en réponse à l’appel à projet lancé en 2011. La première a trait à l’évolution du référentiel français pour améliorer le résultat d’exploitation en définissant un résultat opérationnel et davantage connecter la comptabilité à la réalité économique des entreprises. La seconde suggère de mieux normaliser les modalités pratiques de recours à la juste valeur ainsi que les méthodes de production de cette information.
92Proposition 1 – Faire évoluer la présentation du compte de résultat français
93L’étude qualitative réalisée met en exergue un besoin convergent aux différentes professions rencontrées, portant sur l’amélioration de la présentation du compte de résultat. Le souhait a été clairement formulé d’obtenir une meilleure décomposition et donc une meilleure visibilité de la performance économique issue de l’exploitation (producteurs et experts crédit en banque) ou de la valeur fondamentale de l’entreprise (analystes financiers). Les professionnels plaident donc en faveur de la définition et la présentation dans les états financiers d’un résultat intermédiaire de type « résultat opérationnel », qui soit une amélioration du résultat d’exploitation et qui demeure distinct du solde « résultat net comptable ». En particulier, les professionnels partagent l’idée que le compte de résultat doit servir à la représentation de la performance du business model de l’entreprise au travers du concept de résultat opérationnel. Ce basculement terminologique de résultat « d’exploitation » à résultat « opérationnel » marque essentiellement le souhait de ne pas s’enfermer dans une logique de comptabilité des opérations par nature mais plutôt par destination économique. L’exemple a plusieurs fois été évoqué au cours des entretiens menés, de l’intérêt de présenter un résultat décomposé en plusieurs colonnes au lieu de considérer certaines activités comme exceptionnelles. Cette attente est de plus en cohérence avec les exigences de la directive comptable unique 2013/34/UE transposable en droit français à partir de 2015.
94Proposition 2 – Mieux normaliser les modalités pratiques de recours aux justes valeurs
95Globalement, les professionnels français ne sont pas opposés à la JV bien qu’ils trouvent que les modalités pratiques d’évaluation et de mise en œuvre posent problème. La JV présente selon eux un intérêt certain mais cet intérêt dépend du type d’actifs et de la durée de détention de l’actif. Le recours à cette convention d’évaluation doit être, de l’avis de tous, adapté au modèle économique de l’entreprise. Mais plus encore, en creux dans les discours, c’est la construction émergente d’un « marché » de la détermination de la juste valeur sans règle suffisamment contraignante qui pose problème. Les utilisateurs de type banquiers appellent de leur vœux une prise en charge de ces estimations par les professionnels comptables (experts-comptables et CAC). En quelque sorte, c’est une extension du domaine de compétence comptable qui est souhaité par les acteurs n’évoluant pas sur les marchés financiers, mais pourtant largement majoritaire dans le tissu économique national. Pour le normalisateur français, œuvrer en ce sens au plan national et international (à travers une contribution au sein de l’IASB ou de la commission européenne) serait susceptible d’accroitre sa légitimité en prenant appui sur l’identification des besoins des utilisateurs (Chantiri-Chaudemanche 2013). En effet selon une perspective historique, le rôle traditionnel de la normalisation comptable est d’uniformiser les pratiques en les contraignant (Chiapello 2005 ; Young 2006). Or, il semble qu’en matière de JV, c’est la trop grande latitude dans les pratiques qui pose problème plus que le principe.
96Pour conclure, selon Young (2006), avant le tournant des années 1960, la question centrale dans le domaine comptable était de mesurer « correctement » la situation financière ainsi que le revenu de la période. Si cette condition était remplie, l’utilité de l’information serait naturellement assurée (Young 2006, p. 582-583). Le présent article contribue à actualiser ce débat, en situant plus explicitement le rôle de la convention de mesure (CH vs. JV) pour déterminer le résultat. Notre étude présente bien sûr des limites liées aux choix méthodologiques qui ont été retenus. Une approche qualitative a été privilégiée afin de faire émerger des problématiques plus fines autour du débat CH/JV sans qu’il soit possible d’effectuer une généralisation statistique, celle-ci nécessitant de poser des questions fermées.
97L’enquête a en particulier permis de mettre en évidence des préoccupations divergentes entre les différentes catégories d’utilisateurs de l’ICF. Or, c’est in fine au normalisateur que revient la responsabilité de dire à qui il destine prioritairement les comptes. Au niveau français, dans son nouveau plan comptable général, l’ANC ne modifie en rien le chapitre I (« objet de la comptabilité ») du PCG et ne désigne aucun destinataire privilégié des états financiers. Au niveau international, la version actuelle du chapitre I du cadre conceptuel en révision consacré aux destinataires revient sur la vocation générale des états financiers sans désormais faire référence à la priorité donnée aux investisseurs. À défaut donc d’identification par les normalisateurs comptables, c’est au niveau hiérarchique supérieur qu’il revient de les désigner, à savoir le niveau politique. Là encore en France, force est de constater que la publication récente du nouveau plan comptable général (ANC 2014) ne s’est pas accompagnée d’une réforme du décret comptable de 1983. Quant au niveau Européen, la commission n’a pas eu à adopter le cadre conceptuel car seules les normes font l’objet d’une telle procédure.
Remerciements
Les auteurs remercient l’Autorité des Normes Comptables (ANC) pour son soutien financier. Cette recherche a été réalisée dans le cadre de l’appel à projet lancé par l’ANC en 2011.Guide d’entretien
1. | La notion de performance |
1.1 | A quoi reconnait-on qu’une entité économique est performante ? |
1.2 | Comment définiriez-vous la performance d’une entité économique (entreprise) ? |
1.3 | Quelles sont les différentes dimensions de la performance d’une entreprise ? |
1.4 | À votre avis, y a-t-il une dimension qui domine ? |
1.5 | Toutes les dimensions font-elles toutes l’objet d’une évaluation ? |
1.6 | Quels sont les acteurs intéressés par l’évaluation de la (les) performance(s) ? |
1.7 | Quels acteurs sont légitimes pour définir la performance ? |
2. | L’évaluation de la performance |
2.1 | Qu’est-ce qu’un bon indicateur de performance ? |
2.2 | Dans votre pratique professionnelle, un indicateur de performance a-t-il votre préférence ? |
2.3 | Quelles doivent être les qualités d’un bon indicateur de performance ? (exhaustivité, précision, clarté, célérité, fiabilité…) |
2.4 | Quel peut être l’intérêt d’avoir un indicateur unique de performance de l’entreprise ? quelles en sont les limites ? |
2.5 | Quel rôle jouent les États financiers dans l’évaluation de la performance ? |
2.6 | À quoi servent les états financiers ? à qui ? dans quelle perspective sont-ils élaborés ? |
3. | Le résultat comme mesure de la performance |
3.1 | Le résultat comptable est-il un bon indicateur de la performance ? Pourquoi ? (définition d’une charge et d’un produit si nécessaire…) |
3.2 | Quelle dimension de la performance permet-il de traduire ? |
3.3 | Quel est le premier destinataire du résultat comptable ? |
3.4 | À quoi sert prioritairement le résultat :
|
3.5 | Parmi ces différents soldes lequel (ou lesquels) est le plus représentatif de la performance de l’entreprise ? que traduit-il ? |
3.6 | Comment définiriez-vous le concept de RO ? Quelles seraient les différences éventuellement avec le résultat d’exploitation en PCG ? Que devrait inclure un résultat opérationnel, et à contrario que devrait-il clairement exclure ? |
4. | Représentation de la performance et référentiel comptable |
4.1 | Quel état financier vous paraît déterminant dans l’évaluation de la performance ? |
4.2 | La performance est-elle mieux traduite dans le bilan ou dans le compte de résultat ? |
4.3 | Selon vous, bilan et compte de résultat fournissent-ils des informations différentes, complémentaires ou identiques sur la performance ? |
4.4 | Selon vous, quel doit être l’objectif principal assigné à la présentation d’un bilan ? |
4.5 | Selon vous, quel doit être l’objectif principal assigné à la présentation d’un résultat ? |
4.6 | Selon vous, doit-on privilégier la présentation des états financiers en référence aux coûts historiques des éléments du patrimoine ? si oui, pourquoi ? |
4.7 | Selon vous, doit-on privilégier la présentation des états financiers en référence aux valeurs actuelles (valeurs de marché, autre ?) des éléments du patrimoine ? si oui, pourquoi ? |
4.8 | Pensez-vous que les éléments réalisés (principe de prudence) et les éléments non réalisés (plus-values latentes) puissent faire partie du même compte de résultat ? |
4.9 | Si oui, comment les présenter : faut-il les séparer de manière distincte (faire apparaître des sous-totaux) ? Ou faut-il privilégier clairement un solde sur un autre ? |
4.10 | Si non, quel résultat faut-il faire apparaître (le résultat « prudent » ou le résultat « en JV ») ? Faut-il quand même informer du deuxième solde quelque part (et si oui, Où ? – dans les annexes, ailleurs… ?) ? |
4.11 | Pensez-vous que des profits potentiels (plus-values latentes) puissent faire partie du résultat distribuable ? |
4.12 | Dans quelle situation êtes-vous amenés à vous référer aux normes IFRS ? |
4.13 | Les normes internationales apportent-elles un progrès dans la représentation de la performance des entités ? |
4.14 | Les états financiers en normes IFRS (notamment le CI) modifient-ils l’horizon de la mesure de la performance ? (CT versus LT). |
4.15 | Selon vous, le référentiel PCG et le référentiel IFRS traduisent-ils la même notion de performance ? Sinon, quelles sont les différences les plus significatives ? Quel est le référentiel qui a votre préférence pour évaluer la performance d’une entité économique ? |
98Profil du répondant : formation, poste occupé, détails entreprise (effectif, CA, activité).
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : principe de prudence, justes valeurs, coûts historiques, théories normatives, analyse qualitative
Mise en ligne 30/11/2015
https://doi.org/10.3917/cca.213.0119Notes
-
[1]
Selon le PCG, « la comptabilité est un système d’organisation de l’information financière permettant de saisir, classer, enregistrer des données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture ». Selon le framework IASB (2010), les états financiers ont vocation à fournir une information financière relative à l’entité comptable qui est utile aux investisseurs et autres créanciers dans leur prise de décision concernant l’apport éventuel des ressources financières à l’entité. Pour cela, ils doivent refléter la situation financière de l’entreprise ainsi que tous faits ayant un impact sur cette situation.
-
[2]
En simplifiant le raisonnement : il faut d’abord présenter un bilan en justes valeurs pour en déduire la performance de la période, entendue comme la variation de la richesse patrimoniale sur la période (sans qu’il n’y ait cession du patrimoine).
-
[3]
Selon l’ANC (2011, p. 2) : « Représentation de l’activité économique ou évaluation financière. Approche par le bilan ou par le compte de résultat : … L’approche consistant à privilégier l’analyse du bilan d’une entité en se focalisant sur l’évaluation de ses actifs et passifs pour en déduire le compte de résultat par simple constatation des variations de valeur de ces actifs et passifs… ».
-
[4]
La comptabilité doit aider les managers à arbitrer sur trois sujets : la valeur des actifs à détenir à chaque instant (problème de l’expansion) ; la forme de détention de ces actifs (problème de composition) ; et enfin, le mode de financement de ces actifs (problème financier).
-
[5]
« Le bilan dynamique » est initialement publié en 1919 en allemand. 1961 est la date de l’édition française. Par la suite, nous ferons exclusivement référence à l’édition française.
-
[6]
Par exemple, une société a acquis un terrain pour construire une usine à un prix de 50 000 euros il y a de nombreuses années. Aujourd’hui, ce même terrain peut être évalué à 100 000 euros. Ce terrain contient ainsi une réserve latente mais en pratique non réalisable car l’usine est nécessaire à l’exploitation (Schmalenbach 1961, p. 163).
-
[7]
Exceptions faites de cas dérogatoires tels que les titres évalués par équivalence, les différences de conversion passif ou réévaluations libres.
-
[8]
En référence aux exceptions précédentes : la contrepartie d’une augmentation de la valeur des titres est en écart d’équivalence, celle d’une augmentation de la valeur des immobilisations en écart de réévaluation et les différences de conversion demeurent en bas de bilan.
-
[9]
Le CI diffère du concept classique de résultat net dans la mesure où il inclut des variations de capitaux propres qui ne proviennent pas de sources externes, comme les augmentations de capital ou les distributions de dividendes.
-
[10]
Les OCI comprennent (1) les gains ou pertes latentes sur les titres disponibles à la vente, (2) les gains ou pertes latentes sur instruments financiers de couverture, (3) certains écarts de conversion, (4) les réévaluations (facultatives) d’immobilisations corporelles, (5) les ajustements liés aux engagements de retraite, et (6) les corrections d’erreurs antérieures.
-
[11]
En cas de distribution de dividendes fictifs (à la date d’Avril 2015), des sanctions pénales peuvent être prononcées à l’encontre des gérants de SARL (C. com. art. L 241-3, 2°), des présidents, administrateurs, directeurs généraux, directeurs généraux délégués (cf. C. com. art. L 248-1) ou membres du directoire (cf. C. com. art. L 242-30, al. 1) des SA (C. com. art. L 242-6, 1°), des gérants des SCA (cf. C. com. art. L 243-1) et des dirigeants des SAS (cf. C. com. art. L 244-1). Sont aussi visés les dirigeants de fait (cf. C. com. art. L 241-9, L 244-4 et L 245-16).
-
[12]
Pour une description de la méthodologie d’Alceste, voir par exemple Nègre et Martinez (2013).
-
[13]
Chaque u.c.i est découpée par Alceste en u.c.e en se fondant sur la ponctuation.