Notes
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[1]
Les objectifs des organismes d’évaluation socio-environnementale diffèrent de ceux du Global Reporting Initiative qui se donne pour objet principal de proposer un référentiel universellement commun de lignes directrices afin d’aider les entreprises à améliorer la qualité de leurs rapports de développement durable.
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[2]
www.novethic.fr/novethic/finance/agences_de_notation/vigeo_et_ethibel_fusionnent_leader_europeen_est_ne/91744.jsp. (visualisé le 27 juin 2013).
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[3]
http://www.batiactu.com/theme/theme-2009-07artisans-et-entrepri.php. (visualisé le 13 novembre 2014).
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[4]
Il a été nécessaire de fixer certaines bornes à notre collecte de données. Parmi les absents, on compte l’Etat, notamment les membres de la fonction publique. Toutefois, étant donné le vent de néolibéralisme qui souffle depuis quelques décennies sur la fonction publique (Harvey 2005), il n’est pas si évident que la prise en compte du point de vue de politiciens et de fonctionnaires aurait contribué, de façon marquée, à nos résultats (Archel et al. 2011). Nous reconnaissons, cependant, que cela demeure une question empirique.
-
[5]
Les praticiens proviennent de six agences d’évaluation figurant dans la liste de 37 agences que l’on retrouve dans Chelli et Gendron (2013, p. 193). Ces six agences constituent des joueurs importants au sein du champ. Quant aux huit entretiens réalisés dans le groupe des « entreprises évaluées », on parle de huit entreprises distinctes, ayant toutes été l’objet d’au moins une évaluation.
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[6]
Le codage des entretiens s’est fait de façon systématique. Par contre, en ce qui concerne la documentation recueillie, étant donné son ampleur, nous avons lu les segments qui nous semblaient pertinents, prenant des notes au passage et soulignant certaines phrases.
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[7]
Tel que mentionné par un des évaluateurs, l’absence d’une forte mouvance critique envers la pratique d’évaluation socio-environnementale pourrait, peut-être, s’expliquer par l’absence, au sein des panels étudiés, de consommateurs, de personnes appartenant à des organisations non gouvernementales environnementales, de syndicats, etc.
-
[8]
Sur ce point, Archel et al. (2011) soutiennent que l’invocation de tels idéaux peut servir de support à la légitimation d’intérêts dominants – en donnant l’impression d’un dialogue exempt de relations de pouvoir.
Introduction
1Dans son livre intitulé « The audit society : Rituals of verification », Michael Power (1999) présente la thèse de l’explosion de l’audit au sein de la société occidentale. En critiquant l’argumentation de Power (1999), Humphrey et Owen (2000) préfèrent mettre de l’avant la thèse d’une explosion de la mesure de la performance au sein de la société. La présente étude porte sur l’une des arènes où la société de la mesure de la performance semble en pleine expansion, à savoir l’évaluation socio-environnementale des entreprises. Depuis son émergence, il y a une vingtaine d’années, la divulgation extra-financière a attiré l’attention de plusieurs chercheurs en comptabilité – ceux-ci ayant principalement examiné les rapports de développement durable produits par les entreprises (Adams et Evans 2004 ; Ball et al. 2000 ; Chelli et al. 2014 ; Cooper et Owen 2007 ; Deegan et al. 2006a, 2006b ; Gray 2000, 2001 ; O’Dwyer et Owen 2005, 2007 ; Owen et al. 2000). Or, tout un éventail de tierces parties se spécialisant dans l’évaluation de la performance socio-environnementale des entreprises a émergé dans la foulée de ces auto-divulgations (Bessire et Onnée 2010 ; O’Dwyer et al. 2011). Ces agences d’évaluation visent, tout au moins en principe, à aider les entreprises évaluées à améliorer leur compréhension des enjeux de développement durable et à fournir aux parties prenantes une information pertinente sur la performance socio-environnementale desdites entreprises. [1] Or, on en sait relativement peu sur la façon dont les agences d’évaluation ont cherché à construire et légitimer leur propre expertise (Bessire et Onnée 2010 ; O’Dwyer et al. 2011). Pourtant, on estime souvent, au sein de la littérature, que la quête de légitimité de l’expertise constitue l’un des principaux traits de la société contemporaine (Abbott 1988 ; Latour 1987).
2Cette étude cherche à mieux comprendre le processus de légitimation de l’expertise des tierces parties en évaluation socio-environnementale des entreprises. Notre enquête porte, en bonne partie, sur les stratégies discursives mises de l’avant par les agences d’évaluation. Toutefois, l’étude ne se limite pas aux articulations stratégiques déployées par ces organismes mais elle explore également leur mise en œuvre et certains de leurs effets au sein du champ, notamment sur les entreprises évaluées et autres acteurs du milieu de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Pour mener à bien notre enquête, nous avons mobilisé, notamment, le concept de légitimité – qui a été largement utilisé au sein de la recherche portant sur les divulgations socio-environnementales des entreprises (Chen et Roberts 2010 ; Cho 2009 ; Spence et al. 2010).
3Dans les sciences de la gestion, plusieurs auteurs se sont intéressés aux stratégies de légitimation que les organisations tendent à adopter pour légitimer leurs produits, services, politiques et activités (Ashforth et Gibbs 1990 ; Dowling et Pfeffer 1975 ; Oliver 1991 ; Scott 2005 ; Suchman 1995). Dans la présente étude, notre attention porte sur les aspects discursifs du processus de légitimation (Green 2004 ; Lefsrud et Meyer 2012 ; Suddaby et Greenwood 2005 ; Vaara et al. 2006 ; Vaara et Tienari 2008). Plus spécifiquement, nous nous intéressons au processus de légitimation entourant les pratiques en évaluation socio-environnementale – en mettant l’accent sur les revendications d’expertise produites et diffusées par les agences d’évaluation. Par revendication d’expertise, on entend tout discours ou argumentation visant à promouvoir et établir certaines aptitudes à l’égard d’une activité ou d’une pratique donnée. Que ces aptitudes soient réelles ou non importe peu – la légitimité étant affaire de perception (Abbott 1988 ; Power 1999). Une revendication met souvent en évidence divers arguments prétendant l’utilité, la qualité, la pertinence, la validité et l’importance du travail proposé.
4Toutefois, notre champ d’analyse n’est pas restreint au domaine des stratégies discursives. Bien que nous reconnaissions les limites inhérentes à notre collecte de données, nous avons voulu explorer certaines réactions des acteurs du milieu de la RSE et des entreprises évaluées à l’égard des revendications d’expertise en jeu. La recherche antérieure en sociologie des professions montre bien qu’un nouveau créneau d’expertise ne se crée pas de façon ordonnée et systématique – où certains pourvoyeurs de services s’établiraient pour répondre à une demande préexistante (Abbott 1988 ; Robson et Cooper 1990). Au contraire, la production, la légitimation et l’institutionnalisation de nouveaux créneaux impliquent un processus social de création de sens et de transmission de discours – ce processus étant caractérisé par maintes expérimentations de la part des revendicateurs d’expertise (Gendron et Barrett 2004 ; Malsch et Gendron 2013). Par conséquent, on se doit de reconnaître que la construction de l’expertise ne se fait pas dans le néant ; elle se situe au sein de relations sociales environnantes qu’il importe de prendre en compte dans la compréhension des processus sous-jacents de légitimation (Gendron et al. 2007). L’un des pans de notre étude vise donc à explorer la façon dont diverses mesures de mise en valeur de l’expertise ont pu entraîner des effets, notamment de conformité et de résistance, au sein du champ de l’évaluation socio-environnementale, particulièrement chez les entités évaluées et les acteurs du milieu de la RSE.
5Afin de mener à bien notre enquête, des entretiens semi-dirigés furent réalisés avec plus d’une vingtaine d’acteurs impliqués dans le champ de l’évaluation socio-environnementale. Nous avons également analysé un certain nombre de documents accessibles au public et de pages web d’organismes d’évaluation et d’entreprises évaluées. L’analyse des données collectées indique que les agences d’évaluation ont recours à diverses stratégies pour légitimer leur expertise, notamment la mise en évidence du vocabulaire de l’expertise, la revendication de processus ouverts de consultation et la mise en valeur d’impacts prétendument tangibles découlant des travaux d’évaluation. Par ailleurs, plusieurs indices donnent à penser que les évaluations produites agissent comme des outils normalisateurs dans la mesure où elles encourageraient la formation d’entreprises et de parties prenantes ayant tendance à avaliser et à se conformer à l’image d’une expertise de la mesure capable de produire des évaluations justes et cohérentes.
6Le reste de l’article est structuré de la façon suivante. Nous y présentons, tout d’abord, le contexte dans lequel se positionne notre recherche. Par la suite, nous présentons notre enquête et les résultats découlant de nos analyses – en mettant d’abord l’accent sur les stratégies de légitimation des agences d’évaluation pour ensuite s’intéresser à leurs effets au sein du champ. Enfin, certains aspects clefs de l’étude sont mentionnés en guise de conclusion.
1 – Contexte de l’étude
1.1 – Revue de littérature
7Au sein de la littérature, un certain nombre de chercheurs se sont penchés sur les activités d’évaluation extra-financière. Diverses études quantitatives se sont intéressées à la relation entre la performance socio-environnementale, telle que mesurée par les agences d’évaluation, et la performance financière des entreprises (Allouche et Laroche 2006 ; Kempf et Osthoff 2007 ; Margolis et Walsh 2003). Les résultats trouvés sont, cependant, très mitigés. D’autres recherches ont analysé les approches méthodologiques mises en place par certaines agences d’évaluation extra-financière – tout en s’intéressant aux mesures produites à partir de ces approches (Chatterji et al. 2009 ; Igalens et Gond 2005). Ainsi, en focalisant l’analyse sur les scores environnementaux établis par Kinder, Lydenberg, Domini Research and Analytics (KLD), Chatterji et al. (2009) estiment que les mesures produites reflètent « convenablement » la performance environnementale des entreprises évaluées. Pour leur part, Igalens et Gond (2005) trouvent que les données non-financières produites par Arese, la première agence française de notation, résultent d’un modèle « fiable » et « approprié » de mesure de la performance. D’autres chercheurs se sont même aventurés à développer de nouvelles approches de notation extra-financière (Gauthier 2005 ; Oulton et Hancock 2005).
8Les études sus-indiquées s’intéressent principalement à la « pertinence » des approches méthodologiques et des modèles de calculs afférents ainsi qu’au lien entre les scores produits et la performance financière, s’inscrivant ainsi dans le paradigme de recherche fonctionnaliste (Jones 1996 ; Bessire et Onnée 2010). Or, très peu d’études ont envisagé l’évaluation socio-environnementale d’un point de vue interprétatif (Colasse 1999 ; Gendron et Baker 2001), notamment en focalisant le regard sur les mécanismes en fonction desquels les agences d’évaluation construisent et légitiment leur expertise en analyse socio-environnementale. Le processus de légitimation de ce nouveau champ d’activité reste encore l’un des parents pauvres de la recherche comptable.
9En sciences sociales, l’intérêt de maints chercheurs envers la notion de légitimité s’inscrit, en partie, dans l’idée que la pérennité d’une entité est menacée lorsque ses propres valeurs et pratiques en viennent à être perçues comme étant inconséquentes avec les valeurs prévalant au sein de son environnement (Dowling et Pfeffer 1975 ; Lindblom 1993). D’ailleurs, la légitimité joue un rôle capital (Phillips et al. 2004 ; Tost 2011) dans la compréhension et l’analyse des structures et pratiques organisationnelles (Colyvas et Powell 2006). Dans les sciences de la gestion, la légitimité a été, notamment, envisagée en fonction de deux vecteurs importants de théorisation, à savoir la théorie de la légitimité (Lindblom 1993) et la théorie néo-institutionnelle (Suddaby 2010). Nous nous abreuvons à ces deux vecteurs afin de développer notre propre perspective d’analyse, s’inspirant d’une logique de « bricolage ». Ainsi, selon Boxenbaum et Rouleau (2011, p. 281), « le chercheur n’est souvent, rien de moins, qu’un bricoleur qui, plutôt que d’inventer de nouvelles théories et de lancer de nouveaux paradigmes, combine d’une manière originale diverses notions théoriques et idées déjà développées dans la littérature ».
10Dans les sciences de la gestion, on estime que les organisations, de plus en plus, sont jugées non seulement sur leur efficacité économique et leur performance organisationnelle mais sur la légitimité de leurs actions, notamment en matière socio-environnementale. Les organisations vont donc s’efforcer de développer, montrer et protéger certaines pratiques, représentations et apparences leur permettant d’atteindre et de maintenir le statut de légitimité sociale recherché (Capron et Quairel-Lanoizelée 2004). La quête de légitimité socio-environnementale s’inscrit, en particulier, dans un cadre socio-politique complexe où les organisations ont intérêt à s’assurer que leurs objectifs, produits, services, politiques, actions et procédures sont perçus comme étant conformes aux normes et valeurs sociétales régnantes (Patten 1991). Selon ce point de vue, la légitimité peut se concevoir comme une ressource stratégique et institutionnelle de laquelle dépend la pérennité de l’organisation. Autrement dit, une organisation est légitime lorsque ses pratiques (du moins ses pratiques formelles) sont perçues comme étant conséquentes avec son environnement externe (Suchman 1995), facilitant ainsi l’accès à diverses ressources matérielles et financières (Bitekhtine 2011 ; Deephouse et Suchman 2008 ; Tost 2011). Pfeffer et Salancik (1978, p. 194) vont jusqu’à prétendre que « l’acceptabilité sociale qui résulte de la légitimité peut être plus importante que la performance économique ».
11D’ailleurs, divers écrits ont établi que les organisations tendent à adopter maintes stratégies de légitimation. À titre d’exemple, Dowling et Pfeffer (1975) se sont intéressés aux stratégies visant à établir une congruence entre, d’une part, les valeurs transpirant des objectifs et des pratiques de l’organisation et, d’autre part, les attentes des parties prenantes. Ashforth et Gibbs (1990) montrent que les organisations peuvent légitimer leurs activités managériales en développant deux styles de management : un management pragmatique et un management symbolique. Suchman (1995) met l’accent sur les dimensions pragmatique, morale et cognitive des stratégies de légitimation. Scott (2005) se focalise plutôt sur les aspects normatifs.
12Certains chercheurs ont envisagé la quête de légitimité d’un point de vue discursif, s’intéressant aux stratégies rhétoriques mobilisées par les organisations pour établir une image de rationalité (Green 2004 ; Suddaby et Greenwood 2005) et promouvoir l’acceptabilité de leurs pratiques (Lefsrud et Meyer 2012 ; Vaara et al. 2006 ; Vaara et Tienari 2008). Chez ces auteurs, la quête de légitimité s’inscrit dans un processus ancré dans la communication et la production de discours (Milne et al. 1999 ; Oliver 1991 ; Phillips et al. 2004). Or, le discours sur l’organisation n’est pas le simple reflet des pratiques concrètement menées à l’interne mais il peut revêtir une tournure fondamentalement construite et politique (van Leeuwen et Wodak 1999), participant ainsi à la création de certaines réalités sociales (Fairclough 1992 ; Hardy et al. 2000). C’est dans cette veine que Hall (1997) met l’accent non seulement sur le caractère pragmatique et instrumental du discours mais également sur son contexte, son contenu et ses conséquences. En somme, la rhétorique, les stratégies discursives et le pouvoir d’influence de la communication font partie intégrante du processus de production et de reproduction de la légitimité organisationnelle (Lefsrud et Meyer 2012 ; Phillips et al. 2004 ; Suddaby et Greenwood 2005), incluant dans le domaine de l’évaluation socio-environnementale.
13En réalisant une recherche-action au sein d’une organisation française de notation et d’analyse sociale, Bessire et Onnée (2010) s’intéressent aux fondements idéologiques qui sous-tendent les stratégies discursives de légitimation adoptées par les agences de notation. Les deux auteurs mettent en relief deux types de stratégies : l’activisme et le conservatisme. L’activisme représente un discours mettant en exergue des arguments éthiques et moraux alors que le conservatisme véhicule un discours instrumental axé sur la démonstration de la pertinence des calculs rationnels dans le domaine de la responsabilité sociale. En s’intéressant également au processus de légitimation entourant l’évaluation, Déjean et al. (2004) et Leca et Naccache (2006) soutiennent qu’Arese aurait joué un rôle conséquent avec celui d’entrepreneur institutionnel, s’efforçant de produire des standards techniques, des normes cognitives, des modèles de comportement et d’action ainsi que des scénarios variés dans le but de contribuer à la légitimation et à l’institutionnalisation du champ d’évaluation extra-financière en France. Se situant dans la foulée de ces recherches, notre article vise à recenser les stratégies discursives mises de l’avant par les organismes d’évaluation socio-environnementale pour légitimer leur revendication d’expertise. On peut immédiatement souligner que lesdites stratégies relèvent tant de la forme (argumentaire portant sur les apparences) que du fond (argumentaire mettant en valeur diverses pratiques de mesure réellement employées dans l’organisation). Notons également que notre étude se distingue des recherches antérieures de par sa focalisation sur la notion d’expertise. En outre, notre champ d’analyse n’est pas restreint au domaine des articulations stratégiques. Nous explorons également les effets des stratégies discursives sur l’auditoire – constitué des entreprises évaluées et autres acteurs du milieu de la RSE.
14La dynamique de légitimation relève donc d’un jeu entre producteurs de stratégies discursives et leurs auditoires, ces derniers n’étant pas des réceptacles passifs mais interprétant et réagissant aux discours et réclamations auxquels ils sont exposés (Tremblay et Gendron 2011 ; Vaara et Monin 2010). Non seulement l’auditoire se met-il à évaluer le discours diffusé mais il crée du sens autour de celui-ci (Bitekhtine 2011 ; Tost 2011). Par conséquent, pour étudier la façon dont la revendication d’expertise des organismes d’évaluation socio-environnementale se légitime et se propage dans le temps et l’espace, il importe de considérer autant la manière dont ces organismes créent du sens autour de leur nouvelle pratique que la façon dont les entreprises évaluées et les parties prenantes y réagissent (Vaara et Monin 2010). Autrement dit, afin de mieux comprendre le processus de construction de l’expertise autour des pratiques en émergence d’évaluation, il nous semble pertinent d’analyser les stratégies discursives de légitimation déployées par les organismes d’évaluation pour influencer les schèmes interprétatifs chez les entreprises évaluées et les acteurs du milieu de la RSE. D’une manière plus générale, notre étude se situe dans le prolongement de travaux portant sur le lien entre expertise et légitimité, tel qu’articulé, notamment, par Abbott (1988) dans son ouvrage fondamental portant sur la mise en rapport de revendications d’expertise concurrentes.
1.2 – Présentation de l’enquête
1.2.1 – Champ de l’évaluation socio-environnementale
15Au sein de la littérature, plusieurs auteurs estiment qu’en réponse aux pressions exercées par diverses parties prenantes, les entreprises ont de plus en plus tendance à rendre compte de leurs politiques et actions dans le domaine du développement durable et à faire état de leur engagement probant en la matière (Chelli et al. 2014 ; O’Dwyer et Owen 2005 ; Owen et al. 2000). Dans un contexte où la sensibilité collective à la question socio-environnementale semble en pleine croissance, on voit alors émerger plusieurs organismes offrant divers outils d’évaluation et de notation extra-financière (Bessire et Onnée 2010). Ces organismes cherchent à mesurer, noter et ordonner la performance socio-environnementale des entreprises à la lumière d’une variété de modèles faisant intervenir diverses variables quantitatives et qualitatives (Chelli et Gendron 2013). Les entreprises évaluées, quant à elles, visent, par le biais des appréciations obtenues, à se doter d’un mécanisme apparemment crédible pour faire valoir leur engagement social et environnemental, dans le but manifeste de solidifier les bases de leur légitimité aux yeux des parties prenantes (Bessire et Onnée 2010 ; O’Dwyer et al. 2011).
16Depuis son émergence, l’industrie de l’évaluation socio-environnementale a connu divers mouvements de création, fusion et démembrement d’agences (Alberola et Giamporcaro-Saunière 2006 ; ORSE 2007). Alberola et Giamporcaro-Saunière (2006) font état de cette mouvance, caractérisée par un chassé-croisé de création de filiales, d’alliances stratégiques et d’acquisitions par les uns et les autres. À titre d’exemple, le premier organisme français de mesure de la performance socio-environnementale, Arese, devient en 2002 l’agence de notation extra-financière Vigeo (Alberola et Giamporcaro-Saunière 2006, p. 8). En 2004, le cabinet de conseil BMJ achète CoreRatings France, pour créer le nouvel organisme d’analyse socio-environnementale BMJ Ratings (Alberola et Giamporcaro-Saunière 2006, p. 8). En 2005, Vigeo et Ethibel s’associent pour donner naissance au Groupe Vigeo (Alberola et Giamporcaro-Saunière 2006, p. 8). [2] En Grande-Bretagne, en 2009, Twotomorrows romp son alliance avec AccountAbility pour se spécialiser uniquement dans les activités de notation extra-financière et de conseil. En 2009, Ginger, spécialiste en ingénierie environnementale, construction et télécommunications, rachète BMJ Ratings. [3] En 2011, l’agence d’évaluation extra-financière EthiFinance et l’organisme de conseil stratégique et financier INDEFI s’associent pour créer ExFi Partners, une agence de conseil spécialisée dans l’optimisation des performances socio-environnementales des sociétés de gestion. En 2012, DNV, une entreprise internationale de gestion du risque, achète TwoTomorrows.
17À la fin de 2007, l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) recensait 28 agences d’évaluation alors qu’en 2010, Chelli et Gendron (2013) en dénombrent 37. Dans la présente étude, nous avons actualisé les données de Chelli et Gendron (2013), parvenant à un total de 31 agences (tableau 2). Le champ émergent de l’évaluation est donc en effervescence et les frontières disciplinaires, encadrant la pratique, sont loin d’être définies. Or, dans la foulée de cette effervescence, les agences d’évaluation sont à la fois alliées et rivales – alliées dans la quête de légitimité entourant l’expertise « générale » en évaluation mais rivales en ce qui concerne les spécificités de leurs méthodes et pratiques.
18Enfin, on peut prendre note que l’évaluation peut revêtir deux formes : l’évaluation sollicitée et l’évaluation déclarative (Chelli et Gendron 2013). L’évaluation sollicitée consiste en une analyse de la performance socio-environnementale d’une entreprise, à la demande de celle-ci. L’analyse est fondée sur les renseignements exigés et colligés par l’agence d’évaluation, tels que fournis par l’entreprise et à la lumière d’entretiens avec ses employés. L’entreprise évaluée acquitte alors les coûts relatifs à l’évaluation et l’établissement du rapport d’évaluation. De son côté, l’évaluation déclarative consiste en une analyse de la performance socio-environnementale d’une entreprise sans que celle-ci ne l’ait réclamée. L’évaluation est alors essentiellement fondée sur les données disponibles au sein de l’arène publique. Notre étude porte sur ces deux types d’évaluation, tous deux ayant fait l’objet de commentaires de la part des personnes interrogées.
1.2.2 – Collecte des données
19Contrairement à la prise de position hasardeuse d’Alvesson (2003) selon qui un entretien n’est rien de plus qu’une représentation théâtrale de la part de l’interviewer et de l’interviewé, nous estimons plutôt que l’entretien, particulièrement lorsqu’il est mené de façon à mettre la personne interrogée en confiance, peut fournir au chercheur des données pertinentes quant aux points de vue, attitudes et compréhension des choses et des événements chez ladite personne (Ahrens et Chapman 2006 ; Patton 1990). Ainsi, pour mener à bien notre enquête, nous avons réalisé des entretiens avec plus d’une vingtaine d’acteurs et procédé à l’analyse de diverses affirmations et déclarations transmises à travers certains sites internet et documents publics. On peut noter que les personnes interrogées proviennent de trois territoires, à savoir l’Angleterre, la France et le Québec. Un tel éventail se justifie en raison de l’internationalisation entourant l’évaluation socio-environnementale, les acteurs impliqués étant souvent exposés à des affirmations émanant de diverses juridictions.
20Avant d’aller plus loin, il faut prendre note que la question de l’évaluation, dans la présente étude, englobe les activités de tierces parties concernant la mesure, la notation et le classement de la performance socio-environnementale des entreprises. C’est pourquoi, de temps à autre, nos matériaux empiriques référeront, notamment, à la production et l’utilisation de notes socio-environnementales.
21Nos entretiens ont été réalisés avec trois groupes d’acteurs impliqués dans le champ émergent de l’évaluation, à savoir les agences d’évaluation, les entreprises évaluées et certains autres acteurs ayant un intérêt envers la RSE. [4] Dans le but de permettre aux participants de témoigner de leurs propres expériences quant au phénomène étudié, nous avons opté pour l’entretien semi-structuré. Bien que nous ne voulions pas influencer outre mesure les schèmes de pensée des personnes interrogées, un guide d’entretien fut tout de même développé pour assurer la couverture de quelques grands thèmes. Ces thèmes portaient principalement sur la façon dont les organismes d’évaluation cherchent à légitimer leur nouvelle pratique, le développement des outils d’évaluation et, enfin, les effets des évaluations produites sur les entreprises évaluées et les autres parties prenantes. En tout, 24 personnes furent interrogées (voir le tableau 1) : sept praticiens impliqués directement dans le processus d’évaluation (panel A), huit employés, de différents niveaux hiérarchiques, œuvrant au sein des entreprises évaluées (panel B) et neuf acteurs du milieu de la RSE (panel C). [5] La durée moyenne des entretiens était d’une heure. Tous les entretiens ont été enregistrés sur un support audio et retranscrits intégralement. La collecte de données a eu lieu en quatre phases distinctes étalées sur une période globale s’étendant de juin 2009 à novembre 2012. Il convient de noter qu’on peut retrouver au sein d’un même panel des interviewés de différents métiers – le discours transmis par ces personnes reflétant alors un certain nombre de particularités locales. Or, il est clair que l’existence d’une telle disparité de métiers au sein de chaque communauté, combinée au nombre d’entretiens réalisés, représente une limite à notre recherche. En ce sens, notre étude ne doit pas être vue comme relevant d’une collecte de données exhaustive et « systématique » ; on cherche plutôt à mettre en évidence certaines tendances et « patterns » imprégnant les discours et les faisceaux d’expériences dont les acteurs interrogés ont pu nous faire part – notre but ultime étant d’alimenter certaines « conversations » (Becker 1986), au sein de la littérature, en ce qui concerne la légitimité de l’expertise en évaluation socio-environnementale.
Entretiens réalisés
Entretiens réalisés
22Un certain nombre de mesures ont été déployées afin de mettre les interviewés en confiance. Il s’agissait d’abord de présenter, au début de chaque entretien et pour chaque interviewé, la nature et l’objectif de l’étude ainsi que la durée de l’entretien, l’importance de la participation au projet de recherche, le droit de mettre fin à la participation avec la destruction des données à titre individuel et, enfin, notre engagement visant à préserver l’anonymat du participant et à protéger les renseignements fournis. De plus, il fut précisé aux interviewés que l’identité de leur employeur demeurerait anonyme. Aucun interviewé n’a fait preuve de réticence ou manifesté d’inquiétude quant à sa participation.
23Par ailleurs, la collecte de données s’est étendue au contenu de certains documents accessibles au public ainsi qu’aux sites internet de 31 agences d’évaluation (voir le tableau 2) et de dix entreprises évaluées. Rappelons que ces 31 agences découlent d’une démarche visant à recenser les principaux joueurs dans le domaine de l’évaluation socio-environnementale. Quant aux entreprises évaluées, elles comptent parmi les plus importantes sociétés cotées en France, à savoir Air Liquide, Danone, EDF, Eiffage, Lafarge, Lagardère, PPR (Kering), Renault, Suez Environnement et Total. Certaines des activités de ces entreprises nous semblaient particulièrement en lien avec la question socio-environnementale. Les documents collectés consistent essentiellement en des descriptifs de méthodes de notation, certains communiqués de presse, divers rapports d’évaluation émis par les agences ainsi que certains rapports récents de développement durable produits par les entreprises suivies. Notre collecte documentaire n’était pas exhaustive. S’inscrivant dans une démarche exploratoire, nous voulions recenser, au sein de la documentation disponible, certains thèmes dominants et tendances qui semblaient, de prime abord, se rapporter à notre objet d’étude.
Liste des agences d’évaluation
Liste des agences d’évaluation
24Au final, les données ont été analysées en utilisant des procédures qualitatives, notamment la condensation par le biais d’un codage relativement inductif (Patton 1990). [6] Les codes de départ étaient au nombre de trois : les stratégies de légitimation de l’expertise en évaluation socio-environnementale, les revendications d’expertise et la réaction des parties prenantes. Plus spécifiquement, nous avons mis en œuvre un processus de codage consistant, en premier lieu, à repérer les principaux thèmes et sous-thèmes se rapportant à chacune de ces trois catégories. C’est précisément à cette étape de l’analyse qu’émergèrent les codes spécifiques concernant les stratégies discursives et les effets disciplinaires. Ensuite, les différents extraits codés ont été regroupés dans une matrice conceptuelle révisée régulièrement en fonction de l’émergence de nouveaux thèmes et de la consultation des mémos théoriques produits au fil de la recherche (Creswell 2006 ; Golden-Biddle et Locke 2007). Tout au long du processus, nous nous sommes intéressés non seulement aux schèmes manifestes de signification mais également aux concepts plus occultes et masqués dans le discours (Berg et Lune 2012). Enfin, nous avons porté une attention particulière aux jeux d’influence entre revendicateurs d’expertise et membres de l’auditoire.
25C’est par l’entremise du concept de « mise à l’épreuve » que nous avons cherché à rendre compte de la réaction de l’auditoire aux revendications d’expertise. Tel que souligné par Gendron et Baker (2005), les revendications d’expertise au sein d’un champ, notamment naissant, font l’objet d’un processus continu de mises à l’épreuve, les auditoires s’astreignant à évaluer la validité des revendications auxquelles ils sont confrontés. La mise à l’épreuve peut, ainsi, se concevoir comme relevant d’une dynamique sociale où les acteurs « testent » les affirmations auxquelles ils sont confrontés (Bourguignon et Chiapello 2005 ; Latour 1987). En particulier, la mise à l’épreuve ne se traduit pas nécessairement par une lutte féroce de pouvoir entre rivaux. Une épreuve de force peut se dérouler sans que les acteurs impliqués ne s’en rendent vraiment compte, par exemple lorsqu’ils adhèrent d’emblée à la pensée des promoteurs. À l’instar de Tremblay et Gendron (2011), nous envisageons la mise à l’épreuve comme un processus social complexe, dynamique et permanent de création de sens, mettant en jeu diverses logiques s’opposant à l’égard de certaines prescriptions, idées, pratiques et technologies.
26C’est donc lors de la mise à l’épreuve que se constituent les réactions de l’auditoire face aux affirmations tenues par les revendicateurs d’expertise. Dans notre cas, ces réactions comprennent, notamment, diverses interprétations et points de vue à l’égard des « dispositifs d’évaluation » établis et diffusés par les agences. Ces dispositifs sont constitués de documents, graphiques, comptes rendus, schémas et tableaux, comportant des inscriptions de toutes sortes à propos de l’activité d’évaluation. En particulier, le descriptif de la méthode de notation utilisée, les notes et les classements publiés, les indicateurs d’évaluation, les critères de sélection, d’inclusion et d’exclusion ainsi que les communiqués de presse peuvent influencer la façon dont les acteurs, notamment les entreprises évaluées et les autres parties prenantes, produisent du sens et interprètent les expérimentations et les « avancées » en évaluation (Espeland et Sauder 2007 ; Kornberger et Carter 2010 ; Wedlin 2006). On peut donc penser que les mises à l’épreuve se réalisent sous l’égide d’un processus continu d’interaction sociale mettant en rapport diverses controverses, visions et intérêts disparates opérant au sein du champ, en émergence, de l’évaluation socio-environnementale des entreprises. Par ailleurs, nous estimons que les revendications d’expertise, au centre des stratégies de légitimation déployées par les organismes d’évaluation, ne peuvent se comprendre en faisant abstraction de la structure sociohistorique environnante – qui, de plus, établit les assises contextuelles dans lesquelles se déroulent les mises à l’épreuve.
27Au final, il importe de souligner qu’un des traits dominants de nos entretiens concerne le faible degré de résistance, de la part de l’auditoire, quant aux prétentions avancées par les revendicateurs d’expertise. [7] Bien que nous ayons été à l’affût des possibilités de manipulation de la part des entreprises évaluées et des pressions que ces dernières peuvent exercer sur les agences d’évaluation, ces éléments ne ressortent pas véritablement des données recueillies. On pourrait croire qu’un élément contribuant au faible degré de résistance résiderait dans le « besoin » des entreprises et de la communauté de la RSE à ce que les évaluations « fonctionnent » et soient effectivement crédibles, ce qui amènerait maints acteurs à ne pas remettre en question certaines prémisses entourant la pratique de l’évaluation socio-environnementale. On peut penser, notamment, aux évaluations qui dressent un portrait assez juste de la performance extra-financière des entreprises, fournissent une base utile de comparaison entre les entreprises, révèlent les activités dangereuses en matière de développement durable, promeuvent une représentation de l’entreprise « idéale », permettent d’ouvrir et d’alimenter des discussions sur des thématiques qui intéressent les entreprises et le grand public, etc. Maints acteurs pourraient donc avoir intérêt à ne pas mettre en doute ces prémisses, cherchant à occulter le côté théâtral de l’affaire (Boiral 2013). Bien que les intérêts explicites puissent effectivement avoir une incidence sur les façons de faire et de penser des acteurs, nos entretiens font davantage ressortir l’influence du pouvoir disciplinaire (Foucault 1975 ; Townley 1994) des agences comme contribuant au développement d’un mouvement de conformisme au sein du champ.
2 – Expertise en évaluation socio-environnementale : légitimation et mises à l’épreuve
28Cette section se compose de deux principales parties : la première porte sur les stratégies discursives de légitimation adoptées par les organismes d’évaluation alors que la deuxième vise à explorer les réactions de l’auditoire auxdites stratégies.
2.1 – Le déploiement de stratégies discursives de légitimation
29L’analyse des matériaux recueillis indique que plusieurs facteurs, dans l’esprit des personnes interrogées, ont contribué à l’émergence d’un « besoin » d’information, de la part des parties prenantes, en matière de performance et d’évaluation socio-environnementale. Tel que suggéré dans l’extrait d’entretien suivant, il s’agit notamment d’un contexte géopolitique et d’une réglementation socio-environnementale favorables, d’une demande sociale prétendument avérée et d’une pression relativement forte de la part de certaines parties, notamment des investisseurs institutionnels :
Selon Bessire et Onnée (2010), l’industrie de l’évaluation socio-environnementale, depuis son émergence, est constamment en quête de légitimité. Divers organismes d’évaluation cherchent à y imposer leur nom et leurs façons de faire. Quelles sont les principales stratégies discursives de légitimation employées par ces organismes afin de favoriser leur essor ? Avant d’offrir certains éléments de réponse, il faut noter que les stratégies discursives répertoriées ci-dessous ne sont pas complètement indépendantes les unes des autres, bien que chacune apporte un certain éclairage quant à la façon dont se fait la promotion de l’expertise.Dans le contexte français, il y a eu la loi sur les nouvelles régulations économiques en mai 2001, le décret d’application de 2002. Il y a la loi Grenelle qui modifie les obligations de reporting. […] Diverses associations jouent un rôle. Alors Greenpeace, le WWF [World Wide Fund], il y a les Amis de la Terre, enfin il y en a plein – ce qui est révélateur d’une demande sociale pour que les entreprises rendent des comptes, pas seulement en matière économique à leurs investisseurs, mais également aux autres parties prenantes. […] Il y a également le marché de l’investissement socialement responsable (ISR) ; en France, c’est un marché qui reste un marché de niche, mais qui est un marché croissant. […] Donc, il y a une demande des investisseurs institutionnels pour avoir des informations sociales, environnementales et de gouvernance sur les sociétés.
2.1.1 – Mise en évidence du vocabulaire de l’expertise
30L’une des stratégies de légitimation utilisées consiste à faire usage de certains termes traditionnellement associés au vocabulaire de l’expertise, tentant ainsi de faire en sorte à ce que l’auditoire relie le travail des organismes d’évaluation au domaine générique de l’expertise. À titre d’exemple, un praticien invoque le rôle d’un comité « d’experts » :
Lorsqu’on fait une évaluation, on réunit un comité d’experts. Le comité d’experts doit être constitué de plusieurs parties prenantes. Il doit être équilibré, il doit être représentatif du milieu traité. C’est le comité qui est responsable du contenu du document. A partir de ce moment-là, c’est le comité d’expert qui fait autorité. Je ne suis là que pour animer la réunion du comité et trouver des points d’entente entre les différentes opinions. Lorsqu’on a trouvé un point d’entente, c’est le comité d’experts qui me dit quoi écrire.
32Un autre praticien souligne l’expérience et la haute technicité des personnes impliquées dans le développement des normes relatives à la notation :
Si vous désirez développer une norme pour la notation de durabilité qui est censée répondre aux exigences multiples des parties prenantes, vous avez besoin de personnes qui sont expérimentées dans l’utilisation de la norme et vous avez également besoin de personnes qui sont expertes par rapport aux questions des parties prenantes. Elles n’ont pas besoin nécessairement d’être des universitaires ou des professionnels. Elles pourraient être des avocats. Je pense que c’est ce type d’individus qui doit être impliqué.
34Cette mise en valeur de « l’expertise », à laquelle certains interviewés ont fait référence, est importante car elle est susceptible, selon nous, d’être invoquée dans leurs interactions quotidiennes. Dans le même esprit, certaines agences adoptent une stratégie discursive de « rationalisation » pour mettre en évidence la compétence et l’expérience de leurs praticiens (Thompson 1990). Tel qu’indiqué dans l’extrait suivant, il s’agit de créer une chaîne de raisonnement logiquement valide dans le but de justifier, aux yeux de l’auditoire, la possession d’une expertise appropriée en matière d’évaluation :
Avec plus de 15 ans d’existence, BMJ Ratings est l’une des premières agences en Europe à avoir élaboré des méthodes d’évaluation pour répondre aux demandes d’analyses extra-financières des organisations, en intégrant spécifiquement la notion de développement durable. Elle s’appuie sur une capitalisation des expériences des missions menées depuis plus de 10 ans auprès des plus grandes entreprises françaises et européennes et depuis 5 ans auprès des collectivités. Précurseur sur son secteur, BMJ Ratings a pu capitaliser sur un savoir-faire et une connaissance unique des « bonnes pratiques ».
36Certaines agences mettent l’accent sur leur « longue expérience » en analyse extra-financière. Par exemple, voici la façon dont un spécialiste en notation s’exprime quant à l’expérience de son agence :
On existe depuis plusieurs années comme agence de notation stricto sensu. On n’a pas encore coulé et j’espère que ça n’arrivera pas dans les années qui viennent. Notre légitimité est un peu historique par rapport à ce métier-là et notre crédibilité découle du fait qu’on existe depuis plusieurs années.
38En somme, les propos des praticiens interrogés mettent souvent en évidence la qualité du savoir-faire des équipes d’analystes et de consultants au sein des organismes d’évaluation. Bien que cette stratégie relève principalement du domaine de la symbolique (dans le sens que les arguments sont très généraux et ne font que peu souvent appel au domaine concret de l’expérientiel et de l’anecdote), elle a souvent été invoquée par les praticiens œuvrant dans les agences – comme si la simple mention du vocabulaire typiquement associé à l’expertise était suffisante pour insuffler un vent de confiance chez l’auditoire.
2.1.2 – Mise en valeur du travail en collaboration et de l’insertion en réseaux professionnels
39Depuis son émergence, le champ de l’évaluation socio-environnementale a connu maintes coalitions et partenariats inter-agence. Ces mouvements, qui peuvent être vus sous un angle stratégique, reflètent diverses initiatives prises par les organismes pour pérenniser leurs assises institutionnelles :
Les initiatives se multiplient depuis 2001 pour assurer une professionnalisation du marché. En décembre 2004, seize organismes d’analyse sociétale se sont regroupés au sein de l’AI CSRR (AI CSRR, Association for Independent Corporate Sustainability and Responsibility Research) pour développer, promouvoir et entretenir des standards, expertises et codes de conduite professionnels de haut niveau pour le secteur de la recherche en RSE [responsabilité sociale et environnementale].
41Notre analyse indique que plusieurs praticiens considèrent l’insertion en réseaux comme une importante stratégie de légitimation. Ainsi,
On participe à des travaux, avec le Conseil supérieur de l’Ordre des Experts Comptables, sur l’introduction du développement durable dans la comptabilité. […] On travaille régulièrement avec des étudiants qu’on accueille en stage et avec des chercheurs, des universitaires. […] On essaie d’avoir un certain nombre de partenariats et de réseaux pour montrer qu’on n’est pas tout seuls dans notre coin, mais que nous sommes partie prenante et qu’on s’intéresse à ce que font les chercheurs, à ce que font les autres agences de notation, à ce que font les grands réseaux.
43Aux yeux de plusieurs praticiens, le développement d’alliances constitue un signal important, montrant que les agences mettent leurs ressources en commun avec d’autres acteurs et organisations pour répondre, de manière prétendument adéquate, aux défis posés par les incertitudes du quotidien. Autrement dit, les organismes d’évaluation ont tendance à mettre en valeur le rôle capital tenu par la constitution de réseaux professionnels dans l’amélioration des processus d’évaluation et dans la mutualisation de leurs efforts de développement. À titre d’exemple, l’ORSE fait allusion au réseau de partenaires SiRi Company (Sustainable Investment Research International Company) qui couvre plus de 4 000 entreprises et réunit dix agences internationales d’évaluation socio-environnementale – et qui jouerait un rôle important dans la légitimation des activités d’évaluation (ORSE 2007, p. 57). D’ailleurs, certains praticiens adhèrent à un discours qui les montre expressément prêts à mettre en sourdine les enjeux de compétition au profit de la coopération. Ainsi :
L’objectif ultime est la convergence et l’harmonisation des pratiques. […] Nous ne les voyons pas [les autres agences de notation] comme des concurrents. Nous les voyons comme des organismes travaillant dans le même secteur où nous devons trouver des voies et des structures appropriées qui, au fil du temps, se rapprochent et deviennent plus collaboratives. […] Notre objectif ultime est de réaliser les jonctions nécessaires afin qu’il y ait une compréhension commune des informations que les entreprises doivent divulguer ainsi que des procédures et des processus d’évaluation.
45On semble donc croire, au sein d’une certaine frange de la communauté, que l’hétérogénéité des pratiques d’évaluation constitue un obstacle à leur légitimité. Du coup, les organismes cherchent à développer un discours qui met en évidence leurs partenariats, leurs collaborations, leurs canaux d’échanges ainsi que leur ouverture face à autrui :
Nous sommes une organisation orientée vers l’extérieur. Nous siégeons sur d’autres comités. Nous siégeons sur d’autres conseils. D’autres organisations siègent sur le nôtre. Il y a énormément de fécondation croisée. […] Vous savez, la petite équipe ici est incroyablement bonne parce que nous parlons à d’autres réseaux, qui se multiplient. Ceci nous amène un grand nombre de personnes qui parlent de notre cas et écoutent nos conversations, qui nous représentent dans leurs propres conversations. Si ce n’était du réseau tentaculaire, nos normes de durabilité ne seraient pas reconnues et utilisées comme elles le sont maintenant.
47Pour cet intervenant, il n’est peut-être pas exagéré de penser que l’étendue des réseaux compterait davantage que la substance des standards et des méthodes d’évaluation pour établir la légitimité des organismes d’évaluation.
48Au final, on se trouve donc à présenter le développement de réseaux professionnels comme l’un des principaux modes par lesquels les organismes cherchent à harmoniser et légitimer leurs pratiques. Tout ceci est en accord avec la stratégie discursive de « symbolisation de l’unité » (Thompson 1990) pour consolider la légitimité du réseau, en fondant certaines agences d’évaluation, en dépit de leurs différences, dans une identité professionnelle collective partagée et apparemment bien déterminée.
2.1.3 – Mise en valeur de corrélations positives
49En dépit de ces appels à l’unité, le domaine de l’évaluation socio-environnementale se caractérise par une variété de mécanismes d’évaluation. Plusieurs agences promeuvent leurs propres méthodes en mettant en exergue leur potentiel de prédiction – en ce que les évaluations produites au temps présent seraient corrélées avec l’atteinte future de certains résultats chez les entreprises faisant l’objet des évaluations. Par exemple, voici la manière dont TwoTomorrows présente sa méthode de notation :
Tomorrow Value Rating s’intéresse aux entreprises largement reconnues, incluant les leaders de durabilité, qui méritent leur place dans les principaux classements de durabilité. Le Rating montre aussi quelles entreprises vont probablement réaliser une valeur d’investissement à long terme suite à l’adoption de pratiques durables. […] Les résultats de Tomorrow Value Rating 2011 sont présentés comme des bandes d’investissement de durabilité pour refléter la prémisse que le potentiel de réaliser une performance durable à long terme constitue un indicateur du cours futur de l’action.
51TwoTomorrows met, ici, de l’avant un lien prospectif entre les notations produites, le « potentiel de réaliser une performance durable à long terme » et le « cours futur de l’action ». Par conséquent, les aptitudes prévisionnelles de l’agence ne se limiteraient pas au court terme mais s’étendraient également au long terme. Autrement dit, TwoTomorrows allègue que sa procédure de notation est capable de révéler diverses tendances dans le domaine de la responsabilité socio-environnementale des entreprises – comme si l’organisme était doté de pouvoirs avérés de prédiction. De même, Vigeo décrit sa méthode de notation comme suit :
Vigeo a développé une méthodologie d’analyse originale et robuste, articulée autour de 5 grands principes, visant à fournir à ses clients des opinions fiables et à forte valeur ajoutée : une opposabilité des critères d’évaluation, une contextualisation sectorielle, un chemin d’analyse structuré, précis et rigoureux, une collecte d’informations multi-sources et traçables, des opinions opérationnelles et argumentées. […] Nos opinions vous informent et vous alertent en continu sur les engagements, les performances et les risques ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance] des entreprises. Elles vous permettent d’affiner votre appréciation de la valeur des entreprises en vous apportant un éclairage sur leur capacité à préserver et développer leurs actifs immatériels.
53Dans cet extrait, Vigeo capitalise sur la relation présumée entre le sérieux de ses méthodes de notation et l’aptitude à prévoir la performance socio-environnementale des entreprises évaluées – notamment en « apportant un éclairage » pertinent en la matière.
54Notre analyse indique également que le discours des agences d’évaluation s’articule autour de prémisses théoriques mettant en valeur une relation associative entre l’engagement socio-environnemental de l’entreprise et sa rentabilité financière. En particulier, on cherche à donner l’impression que les évaluations peuvent aider les entreprises à renforcer leur compréhension des enjeux de développement durable ainsi que leur aptitude à générer des profits (AccountAbility 1999). La responsabilité socio-environnementale et l’évaluation deviennent alors des enjeux fondamentaux que l’entreprise doit savoir gérer pour sécuriser sa rentabilité financière :
L’idée est que vous devez reconnaître ce qui est stratégique et vous devez gérer convenablement les questions stratégiquement pertinentes. Quand nous disons « stratégique », on parle de questions qui ont trait à la viabilité à long terme de l’entreprise. […] Ainsi, les questions de développement durable ont de plus en plus d’impact sur la rentabilité à long terme, à travers l’image et la réputation. La mauvaise gestion des risques socio-environnementaux constitue une grave menace à la réputation. Et cette menace peut se matérialiser subitement et endommager la réputation de l’entreprise à long terme, ainsi que ses revenus et ses actions en bourse.
56Dans cet extrait, on présume l’existence d’une forte corrélation entre la maîtrise des risques socioenvironnementaux et la rentabilité de l’entreprise – corrélation qui relève, en partie, des actions managériales prises dans le passé et au moment présent. Tout un champ propice à l’intervention s’ouvre ainsi, non seulement chez les entreprises faisant l’objet des évaluations mais également chez les agences qui, en plus de l’évaluation, peuvent être amenées à s’investir dans le créneau du conseil en gestion. Dans le même esprit, l’extrait suivant indique qu’un classement favorable de la Région Ile de France par l’organisme Vigeo aurait contribué à l’émission d’un emprunt obligataire :
La notation de Vigeo prise en compte dans des émissions obligataires ! La Région Ile de France a émis, le 20 mars 2012, un emprunt obligataire innovant, d’un montant de 350 millions d’euros, ciblé sur des projets, tels que le développement des énergies renouvelables, la réhabilitation thermique des lycées, la construction de logements sociaux économes en énergie. […] « Le succès de cette opération financière est, pour la Région, une preuve de la confiance des investisseurs. Une confiance portée par les agences de notation financière qui ont évalué positivement sa capacité de crédit (AA+ par Standard & Poors, par exemple), mais aussi par l’agence extra-financière Vigeo. Cette dernière, qui note entreprises et collectivités sur leurs performances environnementales et sociales, la place en effet en tête de 26 collectivités européennes. » a fait savoir la Région dans un communiqué.
58Dès lors, on peut penser que les entreprises évaluées et les parties prenantes ont tout intérêt à prendre note des évaluations accordées. Les agences d’évaluation chercheraient donc à asseoir leur légitimité en théorisant une association entre les actions de l’entreprise concernant le développement durable, l’obtention d’une évaluation favorable et la rentabilité financière de l’entreprise.
59En somme, plusieurs organismes d’évaluation socio-environnementale mettent en exergue certaines prémisses positives associées à leurs travaux. Encore une fois, cependant, les assises expérientielles et empiriques des affirmations en jeu sont loin d’occuper une place centrale dans l’affaire.
2.1.4 – Revendication de processus ouverts de consultation et de dialogue
60Afin d’assurer une base crédible à leur revendication d’expertise, plusieurs agences d’évaluation soulignent que la création de normes et d’indicateurs de performance s’incarne dans un processus, aussi large et ouvert que possible, de consultation, de dialogue, d’engagement et de révision. On semble vouloir véhiculer ici une image rassurante quant à la prise en compte d’une variété de points de vue ; en agitant le caractère consensuel de la méthode, on cherche à susciter l’adhésion des parties prenantes. À titre d’exemple, voici la façon dont un normalisateur en développement durable décrit le processus de création de normes :
C’est un processus qui est profondément démocratique et qui permet aux gens de s’exprimer et de pouvoir mettre en valeur leurs intérêts. […] Une fois que le comité [de développement d’une nouvelle norme] s’est entendu sur le contenu du document, on l’envoie en enquête publique. On rend le document disponible sur notre site internet, on informe les gens du milieu pour dire : « écoutez, on attend vos commentaires ». Et on les passe un par un. […] Ça ne veut pas dire qu’on les accepte tous, évidemment. […] Par après, on s’entend sur les changements à faire suite à l’enquête publique et on sort le document. De cette manière-là, on est allés chercher un consensus beaucoup plus large, on est allés chercher l’adhésion de la population. On a alors des documents qui sont faciles à implanter parce qu’ils ont été acceptés, ils ont été commentés, ils ont été vus par l’ensemble des gens.
62La symbolique joue un rôle important dans de tels appels à la démocratisation. Ainsi, dans cet extrait, on met en exergue l’idéal de démocratisation et on souligne que les différents points de vue exprimés sont tous pris en considération par le comité de développement, en présumant de la neutralité du processus de prise en considération. On invoque également l’idée que d’avoir reçu un certain nombre de commentaires en provenance du public suffit pour prétendre à la représentativité des commentaires. L’idéal de démocratisation peut donc être vu comme un « allié » dans la quête de légitimité. [8]
63En somme, un argument fondé explicitement sur l’enrôlement des acteurs du milieu de la RSE vise précisément à enrôler ceux-ci. La normalisation est conçue comme un processus démocratique, englobant des acteurs en permanente interaction dans une arène sociale où leurs intérêts et points de vue sont tous pris en considération, et ce, de manière rigoureuse.
2.1.5 – Mise en valeur des impacts « tangibles » de l’expertise
64Lors de l’analyse des données, nous avons pu relever plusieurs indications quant à la volonté d’influencer la conduite des entreprises en matière de développement durable. Ainsi :
L’impact le plus significatif vient des normes de durabilité qui aident les entreprises à s’engager, à mieux comprendre les enjeux socio-environnementaux et à agir en conséquence. […] Deux exemples sont mentionnés sur notre site internet. Vous y trouvez des entreprises évaluées qui parlent de l’influence de nos standards de durabilité, notamment par rapport à l’amélioration de leurs divulgations. […] Ces entreprises disent aussi que nos notations les ont aidées à construire une relation de confiance avec maintes parties prenantes et à créer un climat, à l’interne, qui améliore la productivité. […] Il s’agit d’aider les organisations à devenir plus responsables et redevables. Les notations aident les organisations à voir les questions de développement durable d’une façon différente, de mieux cerner la pertinence de leurs actions.
66Dans cet extrait, le spécialiste en notation souligne toute une série d’impacts, dont la tangibilité ne ferait aucun doute dans son esprit, découlant des activités d’évaluation. Cette stratégie d’invocation du réel, apparemment fondée sur l’expérience, est peut-être davantage persuasive, aux yeux de l’auditoire, que de simples affirmations générales. Les organismes peuvent ainsi faire état de résultats découlant de leurs travaux – ici en ce qui concerne une prise alléguée de conscience (ou du moins un renforcement) chez les entreprises évaluées. L’évaluation est décrite comme étant capable de transformer les pratiques des entreprises dans le domaine du développement durable, tel qu’indiqué ci-dessous :
Le fait est que nous influençons cette entreprise. Je peux le voir dans leur performance et les procédures qu’ils mettent en œuvre. Cette entreprise achète chaque année plus de 80 milliards de dollars américains de marchandises dans leur chaîne d’approvisionnement. Notre travail influence leurs pratiques d’approvisionnement. Il change la façon dont les salariés sont traités. Nos notations impactent un tas de décisions. Ultimement, si vous contribuez à changer juste un peu le fonctionnement global de plusieurs chaînes d’approvisionnement, vous changez la façon dont les choses fonctionnent sur cette planète.
68En bref, les organismes d’évaluation extra-financière recourent à diverses stratégies discursives (voir le tableau 3) pour légitimer leur revendication d’expertise et stimuler l’essor de leur nouvelle pratique.
Stratégies discursives de légitimation
Stratégies discursives de légitimation
2.2 – Mises à l’épreuve
69Les revendications d’expertise font toujours l’objet de mises à l’épreuve et ne sauraient se valider sans être continuellement soutenues par un système solide de persuasion et surtout entretenues par des impacts et des « succès ». Or, le « succès » des organismes d’évaluation s’observe principalement à deux niveaux. Primo, il y aurait une solidification de la confiance que les spécialistes en évaluation socio-environnementale ont en leur propre expertise – ce qui tranche, notamment, avec le degré de confiance que les auditeurs financiers peuvent manifester à l’égard de leur propre expertise (Barrett et Gendron 2006 ; Gendron et Suddaby 2004). En effet, les praticiens de l’évaluation socio-environnementale, autant dans les entretiens que dans le discours transmis sur les sites internet, se montrent confiants quant au bien-fondé de leurs revendications. Secundo, il y aurait certaines formes d’impact chez les entreprises notées – et même chez celles qui ne le sont pas. Dans ce qui suit, nous mettons davantage l’accent sur ce deuxième type d’effet en examinant, en particulier, la façon dont l’auditoire a pu réagir aux évaluations produites.
2.2.1 – Autosatisfaction chez les entreprises « gagnantes »
70Pour mieux comprendre le processus de construction de l’expertise, non seulement faut-il s’intéresser aux stratégies de légitimation employées mais également à la manière selon laquelle les auditoires y réagissent (Gendron et al. 2007). Pour ce faire, nous avons porté une attention particulière à la façon dont les entreprises évaluées réagissent à l’obtention, ou non, d’une évaluation favorable. Notre analyse montre que les entités ayant obtenu une évaluation avantageuse participent à la légitimation de l’expertise en évaluation, non seulement en vantant les scores obtenus mais également en mettant de l’avant l’expérience et la crédibilité des agences d’évaluation. À titre d’exemple, voici la façon dont un gestionnaire au sein d’une société réagit à l’obtention d’une notation élevée :
C’est une fierté pour nous parce qu’on travaille dans une organisation [ayant reçu une note favorable] qui se préoccupe de l’environnement. C’est une fierté car j’ai des enfants. Je suis très déstabilisé par le déversement de pétrole dans le Golfe du Mexique – la plateforme Deepwater Horizon. De voir qu’il s’échappe actuellement deux millions de litres tous les jours, dans ma tête, c’est inconcevable. C’est grave ce qui se passe au niveau pollution sur la planète. Donc la notation obtenue me rend fier et me rend fier par rapport à mes enfants et mes enfants seront fiers d’un père qui travaille dans une organisation qui se préoccupe de l’environnement.
72Pour cet employé, la notation obtenue constituerait un événement important, en résonance avec ses schèmes de valeurs personnelles. De même, Renault transmet sur son site internet un discours qui vante ses scores en matière socio-environnementale et fait valoir l’expertise de l’organisme de notation Oekon research :
Oekom research est une agence d’analystes indépendants, ayant une forte influence en Allemagne. Sa notation couvre l’ensemble des données sociales et culturelles (40 %) et environnementales (60 %). Elle aboutit à une évaluation de la performance de la « Corporate responsability ». Résultats 2010 : Les performances de Renault sont récompensées par la note globale B et le groupe se maintient au premier rang des 15 constructeurs automobiles analysés.
74De façon générale, le discours diffusé par les entreprises ayant reçu une évaluation favorable plaide en faveur de la revendication d’expertise des organismes d’évaluation. Les entreprises qui sont de « bons élèves » tendent à utiliser leurs évaluations comme instrument de relations publiques pour promouvoir leur image et réputation ; or, dans ces mêmes déclarations, l’expertise des agences est présentée de manière positive :
Nos grands clients d’entreprise sont des entreprises cotées, donc des entreprises qui sont annotées par des agences de notation financière et également par des agences de notation extra-financière. Donc vous prenez [la compagnie A], vous prenez [la compagnie B]. Vous allez regarder leurs rapports annuels, le rapport de gestion, le rapport de développement durable, il va y avoir quelques pages sur les notations obtenues. Les titres sont comme suit : [la compagnie A] est sélectionnée dans tel et tel et tel indice, [la compagnie A] a obtenu telle note par [l’organisme de notation X]. C’est un élément d’information aux marchés financiers sur les performances extra-financières. Il y a également un élément de relations publiques. On ne peut pas s’en cacher.
76La légitimité de l’expertise en évaluation est également soutenue de par le discours d’entreprises soulignant l’influence positive des évaluations sur leurs décisions et politiques en développement durable. Ainsi :
Bien, en termes de décision : ça peut être un élément qui fait un déclic au niveau du gestionnaire, au niveau de la haute direction en disant : « Oups ! Est-ce qu’on s’est laissés aller cette année ou est-ce qu’on n’en fait pas assez ? » Ça remet en question, puis ça peut mener à des décisions différentes ou à prendre des actions en matière de développement durable qui sont plus ambitieuses. Ça pourrait mener là. […] Ça peut aller jusqu’au changement, et l’amélioration j’espère, de nos pratiques de développement durable.
78Dans le jeu des mises à l’épreuve, certains acteurs du milieu de la RSE adhèrent de façon significative aux revendications d’expertise des agences d’évaluation. Ainsi :
Quand vous vous faites évaluer par Vigeo ou AFNOR, ça a toujours plus de valeur que si vous vous faites évaluer par le consultant [X]. Il y a une image de sérieux qui est en jeu. C’est une image de marque. Dans le cas de Vigeo, ils sont investis depuis plus de dix ans dans ce type de démarche. Si telle ou telle société connaît une catastrophe un ou deux ans plus tard, ça peut vous rejaillir sur la figure (ça n’a pas été le cas ici). L’image de sérieux, vous la bâtissez aussi par rapport au sérieux de votre process. Si jamais une entreprise choisissait [X], les représentants de [X] arrivent, ils regardent, ils lisent sa brochure et lui disent « magnifique, 66 %, merci, au revoir ». Pas très sérieux, quoi. Au contraire, la démarche de Vigeo consiste en plusieurs mois de préparation, une étude documentaire de plusieurs centaines de documents, un grand nombre de parties prenantes externes ou internes interviewées. Quand on regarde ça, on peut se dire que c’est quand même quelque chose d’assez fouillé.
80Il convient néanmoins de souligner que les entreprises ayant reçu une évaluation défavorable font parfois preuve de résistance, prenant contact avec l’agence au sujet des scores et des rangs obtenus. Ainsi :
Oui, on les a contactés. On les a contactés pour comprendre pourquoi on a eu ce score-là, puis on s’est rendu compte qu’ils ont fait des omissions. L’information était publique : soit dans le rapport, soit sur le site internet mais ils ne l’avaient pas vue et ça nous avait pénalisés. Ils nous ont dit que le tout se règlerait l’année suivante. Or, l’année d’après, on avait effectivement remonté, mais est-ce que c’est dû à la correction de cette erreur ou à autre chose ? Je ne le sais pas car la méthodologie avait également changé entre ces deux années-là. Donc c’est difficile de voir pourquoi. Ce n’est pas évident de comprendre les mouvements dans ces classements-là.
82On voit, à travers ce dernier extrait, que les entreprises évaluées, notamment celles ayant obtenu de mauvaises notes, peuvent porter une attention particulière au travail d’évaluation. À noter que la résistance n’est pas très élevée ; tout au plus se contente-t-on d’espérer que l’erreur se corrigera l’année ultérieure. Dans ce segment d’entretien, en effet, le gestionnaire semble faire preuve de conformisme face à un exercice pourtant perçu comme étant plutôt nébuleux.
2.2.2 – Comparabilité et marginalisation
83Plusieurs indices quant à l’influence du pouvoir normalisateur des évaluations ont été détectés dans nos entretiens. Le pouvoir de la norme a été théorisé, notamment, par Michel Foucault (1975) qui estimait qu’une norme est susceptible d’engendrer des effets de discipline et d’autodiscipline au sein d’un champ – particulièrement lorsque ladite norme est utilisée dans une procédure s’apparentant à un examen où les écarts entre la performance (ou le comportement) d’un individu et les attentes face à la norme sont documentés, donc visibles. Ainsi, nos entretiens donnent à penser que les évaluations agissent comme des mécanismes disciplinaires pouvant influencer et transformer la conduite, les décisions et les politiques des entreprises (Miller et Rose 1990). Dans l’extrait suivant, le gestionnaire interrogé associe la notation à un outil instituant de l’autodiscipline chez les entreprises évaluées :
C’est quelque chose qui a un intérêt pour les parties prenantes. Pour les entreprises aussi, pour mieux se comparer. C’est un outil de performance, en fait. On veut toujours être parmi les meilleurs, donc ça pousse tout le monde vers le haut. […] C’est vraiment un outil qui permet à tous de se comparer et d’aller vers le haut. Je pense que c’est d’amener les entreprises ou les organismes, peu importe qui participe au classement, à justement aller faire un pas de plus. […] Je crois que nous sommes cette année au cinquième rang. Evidemment, on est contents quand on est dans le haut, mais on n’est pas contents quand on descend. Donc il y a un pouvoir d’influence, dans l’entreprise, résultant des notations.
85Dans cet extrait, on détecte une volonté, chez ce gestionnaire et ses pairs, d’être parmi les premiers au classement, conséquemment avec la notion du pouvoir de la norme où la comparaison avec un certain standard (par exemple, la moyenne au sein du secteur) joue un rôle clef dans la constitution de la « réalité » chez l’individu et contribue au désir de se surpasser. Implicitement, il y aurait, chez ces personnes, naturalisation de l’expertise des organismes de classement dans la mesure où les évaluations produites ne sont pas mises en doute, étant vraisemblablement perçues comme une juste représentation du réel.
86En fait, à l’instar de Shore et Wright (2000), nos analyses indiquent que les évaluations socioenvironnementales peuvent inciter les entreprises évaluées à se conformer aux normes établies. Ainsi,
L’indice de sustainability de SAM et du DJSI a clairement créé un effet d’émulation, si on peut dire, car maintes entreprises ont envie d’y figurer et font ce qu’elles peuvent pour y arriver. Elles répondent à un questionnaire que SAM leur envoie et, en fonction des réponses et de l’analyse de SAM, elles figurent ou non dans cet indice. Aujourd’hui, SAM s’est rendu compte que ça avait clairement un impact sur les entreprises et qu’elles étaient attentives aux entrées et aux sorties de l’indice.
Gagner en transparence sur les objectifs et les résultats en matière de développement durable et de responsabilité économique et sociale répond à la fois aux attentes des parties prenantes et aux recommandations des institutions. Pour sa part, Suez Environnement s’engage à communiquer des données fiables et pertinentes sur ses objectifs et ses performances. Le Groupe incite ses filiales à faire de même à l’échelle de leur territoire, que ce soit celui d’un pays, d’un site ou d’un contrat. Ces informations respectent notamment les recommandations de la GRI (Global Reporting Initiative) et du Pacte mondial des Nations unies, enrichies des remarques et demandes faites par les parties prenantes, notamment les agences de notation extrafinancières.
89En particulier, le pouvoir disciplinaire jouerait sur la crainte, chez les entreprises évaluées, d’être exclues de la procédure de classement ou d’obtenir une note défavorable. Ainsi,
C’est difficile l’impact de la note. […] Les entreprises ont tendance à vouloir faire preuve de vertu et donc pour elles, c’est important de dire qu’elles sont performantes en matière de responsabilité sociale. Donc se faire exclure d’un indice éthique ou alors avoir une mauvaise note, ce n’est pas une bonne chose pour les entreprises qui sont notées. Parce qu’elles veulent être sélectionnées dans les fonds. Parce qu’elles veulent avoir une bonne image.
91Selon notre analyse, les possibilités d’exclusion et d’inclusion constitueraient un vecteur important de propagation de l’influence des évaluations socio-environnementales, pouvant engendrer chez les entreprises un état d’incertitude les amenant à se soucier de leur rang et à s’engager dans un processus d’amélioration continue. Or, cet état d’incertitude – lorsqu’il est perçu et vécu comme réel – contribuerait à asseoir la légitimité des organismes d’évaluation. Ainsi, certains entretiens suggèrent que c’est parce que les résultats des évaluations sont souvent médiatisés que les entreprises, notamment celles ayant reçu une mauvaise évaluation, s’efforcent de faire preuve, subséquemment, d’un engagement plus ferme. À titre d’exemple, après avoir été critiquée par Greenpeace, l’entreprise Apple aurait, semble-t-il, amélioré ses pratiques socio-environnementales, tel qu’indiqué dans l’extrait suivant :
Je prends l’exemple d’Apple. Greenpeace avait fait le comparatif de différentes industries. Ils ont fait un ranking. Je pense que ça s’appelle EP, c’est un classement de durabilité pour les entreprises en informatique. Il est certain qu’Apple, une fois qu’ils se sont faits critiquer par Greenpeace, ça les a motivés à être plus transparents, à faire encore plus d’efforts, à démontrer ce qu’ils faisaient en développement durable. […] Il y a eu également un impact sur les pratiques au niveau de la chaîne d’approvisionnement. Je pense que les entreprises sont de plus en plus transparentes et qu’elles n’essaient pas de cacher les problèmes. Elles disent : « Ah oui, on a un problème qu’il va falloir régler. » Il est arrivé la même chose avec Nike, Ikea, Wal-Mart, etc. Les entreprises ont conclu : « On se fait dire qu’on n’est pas bons. Il va falloir qu’on change parce que ça joue beaucoup sur notre réputation et l’opinion publique influence notre marché. »
93Ces propos reflètent, chez le participant, une double conviction ; d’une part, que l’expertise des organismes d’évaluation se traduit par des évaluations qui reflètent la réalité et, d’autre part, que les mesures produites influencent les attitudes et les actions des acteurs au sein des entreprises évaluées.
94Autrement dit, chez cet individu, les organismes d’évaluation sont capables de détecter et de révéler de réels problèmes auxquels les entreprises doivent donner suite si elles ne veulent pas voir leur légitimité sociale entachée – et leur performance financière compromise. D’ailleurs, certains acteurs du milieu de la RSE seraient de solides partisans de l’expertise des agences :
Peu importe qu’elles soient bien classées ou moins bien classées, la mesure va toujours motiver l’entreprise. Si l’entreprise est moins bien classée, elle va vouloir aller plus loin ; si elle est bien classée, elle va également vouloir aller plus loin. Il est certain que même si les normes ne sont pas parfaites, même si le classement n’est pas parfait, moi, je le sais, je suis conscient que les entreprises vont continuer à s’améliorer dans cette direction-là. C’est ici pour rester. On a fait un pas en avant, indéniablement. Ça devient une conscience collective – et les outils de ranking ont leur part à jouer là-dedans. Les outils de benchmarking permettent ça aussi.
96Au final, plusieurs extraits mettent en évidence une croyance socialement partagée quant à la capacité des évaluations à influencer et à transformer les conduites et les pratiques chez les entreprises évaluées.
2.2.3 – Au service de l’évaluation
97Tel que brièvement mentionné ci-dessus, les entretiens indiquent que les entreprises évaluées peuvent vouloir entrer en dialogue avec les organismes d’évaluation concernant le processus d’évaluation et les scores obtenus. En effet, dès la publication des rapports d’évaluation, l’entreprise, notamment celle ayant obtenu un résultat défavorable, peut vouloir contacter l’organisme d’évaluation pour s’enquérir des raisons sous-jacentes. Cette communication semble nécessaire, aux yeux de certaines entreprises, dans la mesure où il pourrait y avoir eu erreur dans l’application de la méthode d’évaluation. Par exemple :
Ça s’est fait par courriel en disant : on aimerait comprendre. Il y avait trois indicateurs qu’on ne comprenait pas. On n’avait pas la pondération mais ces indicateurs semblaient significatifs. Pourquoi avait-on eu de mauvais résultats alors que l’entreprise est très bonne là-dessus ? Il y en avait un sur le fonds de pension. On avait un score relativement bas alors qu’on a un des meilleurs fonds de pension au Canada. Donc on les avait contactés pour comprendre cet indicateur-là ainsi que les deux autres. On s’est alors rendus compte que pour deux indicateurs sur trois, il y avait eu des erreurs. Ils n’avaient pas pris les bonnes données qui étaient pourtant disponibles dans le rapport annuel sur l’internet. Alors on leur a dit : « Voici ce qui devrait être amélioré pour l’année prochaine. Si vous avez besoin d’information, appelez-nous, on va vous la donner pour s’assurer que vous preniez la bonne information. » Ils nous ont répondu qu’effectivement, il y avait eu une erreur et qu’ils allaient corriger la situation l’année suivante. […] J’imagine que la plupart des entreprises qui sont dans ce classement-là ont dû les contacter. On n’a pas été la seule entité pour laquelle ils ont fait des erreurs.
99Ainsi, certaines entités évaluées ont pu constater que l’expertise des organismes d’évaluation comportait certaines failles. Or, plutôt que d’utiliser ces failles pour critiquer les revendications d’expertise, les propos du participant indiquent plutôt une volonté de venir en aide aux organismes, en cherchant à améliorer les procédures d’évaluations lors des années subséquentes. Dans cet extrait, le participant ne met pas fondamentalement en doute le bien-fondé des démarches en évaluation socio-environnementale, bien que ses propos indiquent que lesdites démarches peuvent être améliorées.
100Cette tendance à la conformité s’observe également dans l’extrait suivant où la partie prenante interrogée se livre à une critique des pratiques actuelles en évaluation – tout en ayant la certitude que les agences d’évaluation disposent de suffisamment de ressources pour pouvoir s’améliorer :
Donner une notation globale de développement durable à une entreprise, pour moi, ça constitue très souvent une erreur. Il y a beaucoup de déclarations d’intention, de chartes et de grandes statistiques, ça reste compliqué. Une idée serait de créer un label en développement durable qui se déclinerait de manière différente selon les produits. Il faut connaître chaque filière professionnelle : les conditions de travail ne sont pas les mêmes, en France et dans le monde, dans les mines et dans les usines de textile. On ne peut pas comparer ce qui n’est pas comparable. Il faut un label général, une normalisation globale. Ensuite, il faut une analyse de chaque filière. J’imagine que c’est en train d’être fait et je suis sûr que les meilleures agences vont tout faire pour y arriver en mettant en œuvre des outils de notation plus intéressants et plus spécifiés.
102Les réactions des entreprises évaluées et de certains acteurs du milieu de la RSE sont donc loin de s’inscrire dans un mouvement général de résistance à l’égard des revendications d’expertise des organismes. Au contraire, la volonté générale est de repérer et développer les « meilleures » pratiques en matière d’évaluation, dans un souci d’amélioration continue.
3 – Conclusion
103Plusieurs recherches en comptabilité ont exploré et critiqué les différentes pratiques prévalant au sein du champ de la responsabilité socio-environnementale des entreprises (Adams et Evans 2004 ; Gray 2001 ; Owen 2008). Toutefois, il existe peu d’études ayant examiné le processus de légitimation de l’expertise émergente des tierces parties en évaluation socio-environnementale. Notre recherche visait justement à mieux comprendre le processus de légitimation entourant les revendications d’expertise des agences d’évaluation. Au cœur de ces revendications, on retrouve une habileté à discourir sur la performance socio-environnementale, à la concevoir selon un point de vue conséquent avec certaines techniques de mesurabilité, à projeter l’image de praticiens capables de manier lesdites techniques de façon convenable et, au final, à représenter la performance socio-environnementale d’une entreprise à travers une évaluation en apparence juste et équitable. Notre étude ne s’est pas limitée aux stratégies discursives développées par les agences pour légitimer leur expertise mais également, elle s’est intéressée à certains de leurs effets au sein du champ, du point de vue des entreprises évaluées et des autres acteurs du milieu de la RSE.
104S’inscrivant dans la lignée d’études comme celles de Bessire et Onnée (2010), Chelli et Gendron (2013) et O’Dwyer et al. (2011), le présent article permet d’explorer certaines facettes et coulisses des nouvelles pratiques prévalant au sein du champ du développement durable. Il contribue également à la littérature portant sur la construction de l’expertise et l’institutionnalisation de nouvelles technologies de mesure de la performance, en s’intéressant aussi bien aux stratégies de légitimation qu’à leurs conséquences sur les entreprises évaluées et les parties prenantes (Gendron et al. 2007 ; Gendron et Barrett 2004 ; Power 1996). Il faut rappeler, cependant, le caractère relativement modeste de notre collecte de données. Nos interprétations et résultats sont issus d’un processus d’enquête exploratoire que d’autres pourront chercher à enrichir.
105Il convient de noter que plusieurs chercheurs sont dubitatifs face aux revendications d’expertise des agences d’évaluation. Certains contestent la crédibilité des procédés d’analyse dans la mesure où ceux-ci favoriseraient les intérêts de l’élite managériale au détriment de la responsabilité socioenvironnementale des entreprises (Belal 2002 ; O’Dwyer et Owen 2005 ; Owen et al. 2000). On déplore également, en ce qui concerne les notations sollicitées, les restrictions quant à la portée du processus d’évaluation dictées par la haute direction de l’entreprise (Adams et Evans 2004 ; O’Dwyer et Owen 2007). Toutefois, ces récriminations d’universitaires semblent avoir bien peu de poids dans une mouvance plus générale où la logique de la mesure de la performance, dans maints secteurs d’activités, s’impose de plus en plus au sein de la société contemporaine (Humphrey et Gendron 2015 ; Humphrey et Owen 2000 ; Jeacle et Carter 2011 ; Kornberger et Carter 2010). Or, notre analyse donne à penser que l’adhésion à la logique de la performance (et sa mesure) n’est pas la résultante d’un processus de génération spontanée ; maintes énergies sont mobilisées, par divers promoteurs, afin de légitimer l’idée même d’évaluation ainsi que les revendications d’expertise sous-jacentes. Ce qui constitue, aujourd’hui, des phénomènes qu’on estime tout bonnement « naturels » implique souvent, en amont, maintes énergies pour convaincre, solliciter et expérimenter.
106Ainsi, notre analyse indique, à l’instar de Power (1996), que les « besoins » des parties prenantes ne sont pas innés mais que les revendicateurs se doivent d’agir en fins stratèges afin de susciter l’émergence desdits besoins et, ce faisant, légitimer leur prétention à l’expertise. Les diverses stratégies répertoriées comportent, notamment, la mise en valeur de certaines étiquettes communément associées à « l’expertise » ainsi qu’un effort de théorisation (Greenwood et al. 2002) quant à la relation entre évaluation et rentabilité financière. Tel que montré par Bessire et Onnée (2010), les agences d’évaluation transmettent un discours instrumental alimenté par des arguments soulignant la validité des modèles de calcul et la façon dont les entreprises et l’auditoire peuvent fructueusement se servir des évaluations produites. Dans cet effort de promotion de l’expertise largement éclaté, on retrouve, également, la constitution de partenariats inter-agences et la création de réseaux professionnels visant à standardiser les méthodes d’évaluation. À l’instar de Déjean et al. (2004), on peut penser que les organismes d’évaluation socio-environnementale agissent comme des « entrepreneurs institutionnels » – en tant que promoteurs de nouvelles façons de faire et de penser dans le champ de la RSE.
107Par ailleurs, nos analyses montrent que les entreprises évaluées concourent à la légitimation de l’expertise des agences d’évaluation en développant un discours qui vante les scores et les rangs obtenus, d’une part, et valorise l’expérience et le savoir-faire des agences, d’autre part. En fait, les personnes interrogées, toutes catégories confondues, tendent à mobiliser des arguments mettant en évidence toute une gamme d’aspects positifs associés aux évaluations produites, contrairement aux critiques avancées par nombre de chercheurs. À titre d’exemple, certains chercheurs estiment que les différentes pratiques prévalant au sein du champ de la RSE participent à l’institutionnalisation de la « non-redevabilité » entrepreneuriale (Archel et al. 2011), à la destruction de l’environnement et à l’érosion de la justice sociale (Chwastiak et Young 2003 ; Gray 2006), à l’expansion de l’emprise du capitalisme (Gray 2010), à la favorisation de la compétition, parfois déloyale et esquissée, entre les entreprises au détriment d’un processus factuel d’apprentissage (Chenhall et al. 2013 ; Gehman et al. 2013) et à la promotion d’un mode de pensée très réductionniste relevant de l’idéologie du chiffre (Chelli et Gendron 2013). Or, il semble que les récriminations critiques en recherche comptable trouvent bien peu d’échos au sein des entreprises évaluées et chez les parties prenantes. Serait-ce révélateur d’un problème quant aux vecteurs choisis par les universitaires pour diffuser leurs idées ? Est-il possible que les incitations (de plus en plus répandues – Gendron 2013 ; Komori 2015) à la publication dans des revues académiques préviennent nombre de chercheurs en comptabilité, incluant les critiques, de disséminer leurs travaux dans le domaine du public, où l’évaluation par les pairs n’est pas coutume ? Cherche-t-on vraiment, au sein de la communauté de chercheurs critiques, à s’engager dans un processus de confrontation avec les parties œuvrant au sein du champ de l’évaluation ? A l’égard de telles questions, les enseignements de Said (1994) pourraient s’avérer fort utiles pour alimenter la réflexion.
108Au final, nos résultats donnent à penser que le pouvoir de persuasion des stratégies argumentaires mobilisées par les tenants de l’évaluation est important ; les auditoires adhéreraient, en bonne partie, aux arguments avancés. Notre étude laisse également sous-entendre que la conformité des auditoires s’alimente de discours revendicateurs souvent très généraux, dont les assises expérientielles et empiriques ne sont pas toujours évidentes. Si nos résultats constituent un juste reflet des dynamiques ayant cours au sein du champ, on peut alors s’interroger à l’égard de certaines questions de nature sociétale. L’humain n’est-il qu’un être dont l’intellect ne se nourrit, de façon quasi-exclusive, que d’affirmations très générales et peu étayées ? Comment se fait-il, dans une époque prétendument caractérisée par la réflexivité et le doute à l’égard de la tradition (Giddens 1990), qu’on assiste ainsi à un élan significatif d’adhésion à l’égard de revendications d’expertise aux assisses expérientielles souvent peu évidentes (Flottes et Gendron 2010) ? Ne devrait-on pas s’attendre à ce que les auditoires soient davantage critiques des méthodes d’évaluation plutôt que d’avoir tendance à présumer de l’exactitude des notes et classements établis ? Nous espérons que ces questions alimenteront, tout au moins partiellement, la recherche de demain. L’enjeu nous semble capital.
Remerciements
Nous tenons à remercier Simon Alcouffe, Richard Baker, Michel Capron, Sylvain Durocher, Henri Guénin-Paracini et Jacques Richard pour nous avoir fait part de leurs commentaires. Nous sommes également reconnaissants, pour le soutien financier accordé, au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : conformisme, expertise en évaluation extra-financière, stratégies discursives, légitimation, évaluation socio-environnementale des entreprises
Mise en ligne 01/11/2015
https://doi.org/10.3917/cca.212.0063Notes
-
[1]
Les objectifs des organismes d’évaluation socio-environnementale diffèrent de ceux du Global Reporting Initiative qui se donne pour objet principal de proposer un référentiel universellement commun de lignes directrices afin d’aider les entreprises à améliorer la qualité de leurs rapports de développement durable.
-
[2]
www.novethic.fr/novethic/finance/agences_de_notation/vigeo_et_ethibel_fusionnent_leader_europeen_est_ne/91744.jsp. (visualisé le 27 juin 2013).
-
[3]
http://www.batiactu.com/theme/theme-2009-07artisans-et-entrepri.php. (visualisé le 13 novembre 2014).
-
[4]
Il a été nécessaire de fixer certaines bornes à notre collecte de données. Parmi les absents, on compte l’Etat, notamment les membres de la fonction publique. Toutefois, étant donné le vent de néolibéralisme qui souffle depuis quelques décennies sur la fonction publique (Harvey 2005), il n’est pas si évident que la prise en compte du point de vue de politiciens et de fonctionnaires aurait contribué, de façon marquée, à nos résultats (Archel et al. 2011). Nous reconnaissons, cependant, que cela demeure une question empirique.
-
[5]
Les praticiens proviennent de six agences d’évaluation figurant dans la liste de 37 agences que l’on retrouve dans Chelli et Gendron (2013, p. 193). Ces six agences constituent des joueurs importants au sein du champ. Quant aux huit entretiens réalisés dans le groupe des « entreprises évaluées », on parle de huit entreprises distinctes, ayant toutes été l’objet d’au moins une évaluation.
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[6]
Le codage des entretiens s’est fait de façon systématique. Par contre, en ce qui concerne la documentation recueillie, étant donné son ampleur, nous avons lu les segments qui nous semblaient pertinents, prenant des notes au passage et soulignant certaines phrases.
-
[7]
Tel que mentionné par un des évaluateurs, l’absence d’une forte mouvance critique envers la pratique d’évaluation socio-environnementale pourrait, peut-être, s’expliquer par l’absence, au sein des panels étudiés, de consommateurs, de personnes appartenant à des organisations non gouvernementales environnementales, de syndicats, etc.
-
[8]
Sur ce point, Archel et al. (2011) soutiennent que l’invocation de tels idéaux peut servir de support à la légitimation d’intérêts dominants – en donnant l’impression d’un dialogue exempt de relations de pouvoir.