Reporting et Contrôle budgétaire – De la délégation à la responsabilité, 2e édition, Benoît Pigé, Éditions EMS 2011, Cormelles-le-Royal, 2011, 243 pages, ISBN : 978-2-84769-313-3
1L’intérêt de l’ouvrage consiste à poser le contrôle budgétaire et le reporting sous l’angle de la gouvernance. Les outils sont présentés d’une manière claire et concrète et l’auteur pose des réflexions sous jacentes sur le contrôle, l’audit, la diversité des parties prenantes... À ce titre, l’ouvrage peut servir de guide à la fois au praticien, mais également au chercheur pour dégager des pistes à explorer. La consistance des idées est développée à travers les trois chapitres qui composent l’ouvrage.
2Dans le premier chapitre, l’auteur place, en référence à Henri Bouquin, le contrôle budgétaire dans la carte du contrôle interne (p. 10). Dans cette partie, il fournit un aperçu général du contrôle budgétaire, notamment ses fonctions, son processus de construction, de présentation et de suivi des résultats.
3Dans le deuxième chapitre, l’auteur présente le reporting comme un outil permettant de disposer d’une vision globale de l’organisation et d’évaluer les responsables, notamment en permettant au conseil d’administration de contrôler les dirigeants. Ce chapitre expose les éléments de reporting et la diversité des attentes selon les acteurs et les organisations au-delà des données financières. Ainsi, après nous avoir rappelé que l’information doit être cohérente et adaptée, l’auteur propose, comme approche stratégique et opérationnelle, le Balanced Scorecard pour répondre à ces objectifs car sa conception s’appuie sur les facteurs clés de succès de l’organisation.
4Dans le dernier chapitre, l’auteur relie les deux outils dans une optique de gouvernance où il distingue le contrôle budgétaire comme émanant du Principal, et le reporting comme émanant de l’Agent. Ici, l’auteur rappelle l’importance de la dimension humaine et des interactions entre acteurs, à cause de l’asymétrie d’information et des divergences d’intérêt potentielles entre le principal et l’agent. Ces éléments ont conduit l’auteur à mobiliser la théorie de l’agence, la théorie des coûts de transaction ainsi que la théorie des parties prenantes pour mieux appréhender ces outils au sein de la gouvernance des organisations.
5Pour conclure, l’auteur soulève deux interrogations relatives à la normalisation du reporting environnemental et sociétal et de l’audit du reporting. Pour cela, l’auteur propose de repenser le processus d’audit à travers une approche fondée sur les parties prenantes.
6L’ouvrage de Benoît Pigé est rédigé dans une langue très claire et la fluidité des enchaînements en rend la lecture agréable. Il nous permet de cerner davantage les enjeux du contrôle budgétaire et du reporting dans les organisations. Les théories mobilisées sont éclairantes et l’auteur ouvre des pistes de recherche liées à la gouvernance et à l’audit. Si ces deux thèmes sont pleinement traités dans l’ouvrage, on peut regretter que davantage de place ne soit pas consacrée à d’autres aspects du reporting et du contrôle budgétaire. Une bibliographie récapitulative serait également bienvenue. Pour une prochaine édition...
7Mohamed FARIAD DRH – CHAABI BANK,
8Membre du laboratoire PESOR, Université Paris Sud
Finance islamique, opérations financières autorisées et prohibées – Vers une finance humaniste, Aldo Levy, Gualino – lextenso éditions, Paris, 2012 – 252 pages, ISBN-10 : 2297005601
9Cet ouvrage est le bienvenu dans la mesure où, dans un univers financier qui tend à devenir multipolaire, il ouvre la « boîte noire » de la finance islamique en en ôtant le couvercle et en présentant clairement au lecteur ce dont il s’agit. Soulignons le faible nombre d’ouvrages en français sur la question ainsi que le parti pris de l’auteur dans un texte « qui va au-delà de la technique sans ignorer la technique ».
10Ce livre est construit autour de cinq parties :
- La première est consacrée aux fondements de la finance islamique qui propose un rappel des logiques religieuses de l’Islam, les interdits de la charia c’est-à-dire le prêt à intérêt (riba), le rapport au vice caché (garar), l’interdiction de la spéculation (maysir), l’importance de la morale et de l’équité et le zacat que je vais qualifier de taxe de péréquation entre riches et pauvres.
- La seconde porte sur les opérations financières avec la moudaraba venant associer un capital financier, la moucharaca qui construit une forme de partage des risques et des bénéfices, leur titrisation et leur usage dans l’import-export. Elle présente les opérations sans participation, c’est-à-dire les produits financiers permettant de financer les opérations compte tenu du transfert de propriété et de la couverture du fonds de roulement inhérents. On y trouve les ventes avec négociation du prix sans référence au coût de revient (mousawama) et les ventes avec cette référence (baït-al-amana) avec la vente à prix coûtant (tawlya), la vente avec remise (wadia) et la vente avec marge bénéficiaire déclarée (mourabaha). Cette partie aborde également la question de la location avec l’ijara et la location-financement avec l’ijara wa ictina, le salam (vente d’un bien non encore existant) et l’istina (préfinancement d’un bien commandé), le baï-al-inah (acquisition et revente d’un bien entre deux parties), le baï al daïn (forme du billet à ordre) et le tawarouc (opération triangulaire).
- La troisième partie analyse les principaux modes de financement au-delà de ceux qui ont déjà été présentés avec les soukouks (capitaux « hybrides » entre l’action et l’obligation), le soukouk-ijara (forme de location pour une période déterminée), le soukouk-moucharaca qui indique un terme à la moucharaca, les logiques appliquées aux dépôts bancaires (wadia – garde, jwala – services bancaires payants, les toufirs – comptes d’épargne participatifs), l’interdiction des cartes de crédit et les offres en matière de fonds non spéculatifs et de fonds spéculatifs). Elle présente également l’assurance (tacafoul).
- La quatrième partie analyse la présence des banques islamiques à l’international et la gouvernance des établissements financiers islamiques à partir de la dualité « comités charia – conseils d’administration » pour s’achever sur une comparaison entre les banques classiques et les banques islamiques.
- La dernière partie met en perspective la finance islamique dans la crise financière mondiale au regard des logiques des réglementations et des contrôles, les banques islamiques face aux accords de Bâle et les apports de l’IFSB (Islamic Financial Services Board).
11C’est un ouvrage qui permet d’aller au-delà des apparences et des préjugés en rejetant les assimilations rapides voire xénophobes (comme ce qui se passe avec des préjugés tels que – finalement, c’est « comme » de l’intérêt).
12Yvon PESQUEUX, CNAM
13Professeur titulaire de la Chaire « Développement des Systèmes d’Organisation »
Comptabilité et Développement Durable, Jacques Richard, Éditions Economica, Paris, 2012, 263 p., ISBN : 978-2-7178-6145-4
14Le développement durable n’est pas qu’un terme à la mode. C’est surtout un thème très sérieux qui préoccupe Jacques Richard, l’auteur de cet ouvrage. On devine qu’au-delà d’une réflexion de recherche, il s’agit également d’une préoccupation personnelle de l’auteur qui souhaiterait que son livre soit « utile et contribue à changer les choses ! » (p. 236). Dans l’introduction le problème est posé. Nous subissons à l’heure actuelle une triple crise : financière, bien évidemment, mais également environnementale et sociale (p. 7). Ces trois crises, causées par un management des entreprises à dominante financière, sont étroitement imbriquées. De ce constat alarmant résulte l’idée qu’il faut répondre globalement aux différents besoins et non partiellement. L’idée défendue est la suivante : il existe trois sortes de capitaux mais le capital financier, actuellement privilégié, n’est rien sans le capital naturel et le capital humain. Or la dégradation de ces deux derniers est masquée par la progression des indicateurs macroéconomiques traditionnels (p. 8).
15Jacques Richard ne mâche pas ses mots. Les comptables « traditionnels » cautionnent cette dilapidation « en bâtissant des indicateurs comptables biaisés qui justifient une gigantesque distribution de dividendes fictifs » (p. 8). Il poursuit en affirmant qu’il est donc « impératif d’abandonner cette pseudo-comptabilité et de la remplacer par un calcul digne de ce nom qui protège l’ensemble des capitaux, qu’ils soient naturels, humains et financiers » (p. 9).
16Le ton est donné et notre curiosité aiguisée. Mais comment s’y prendre ? S’appuyant sur Max Weber, l’auteur affirme qu’on peut modifier la rationalité des entreprises et instaurer le développement durable, en modifiant la comptabilité d’entreprise ; celle-ci ayant un impact sur l’esprit du capitalisme et en particulier sur le capitalisme financier (p. 10).
17Dans une première partie, l’auteur expose les principales théories du développement durable qui reposent à la fois sur des théories économiques, comptables ou environnementales. À travers une analyse historique des différentes théories des comptabilités existantes, Jacques Richard tire trois enseignements (p. 26) :
- la comptabilité est une technique subjective qui modèle la représentation de la richesse dans le sens de celui qui détient le pouvoir,
- deux modèles différents, celui du « coût historique » et celui de « la juste valeur », sont actuellement en compétition avec des conséquences différentes sur la conservation et la gestion du capital traditionnel (le capital financier),
- Le capitalisme a fait évoluer les théories et les pratiques comptables à son avantage. Dans le même temps, il ne s’est pas soucié de la conservation de ce dernier, comme l’illustre le niveau de surendettement observé au niveau des entreprises et des États. Pour y remédier, il faudrait donc abandonner les « préceptes de la finance moderne » (Brealey et Myers) et revenir aux règles de base, que Jacques Richard qualifie de « règles de bon sens » (p. 31).
- d’un côté des CE « extérieur-intérieur » visant à montrer l’impact des contraintes environnementales (l’extérieur) sur les comptes de l’entité concernée (l’intérieur) ; on y distingue les soft laws (recommandations du type ISO) des hard laws plus coercitives ;
- de l’autre côté, des CE « intérieur-extérieur » dont le but est de montrer l’impact de l’entité sur l’environnement indépendamment de toute réglementation (p. 40).
18Ce constat effectué, il faut encore se préoccuper de la soutenabilité des capitaux. En cas de « soutenabilité faible », les trois types de capitaux se compensent à un niveau global avec les effets pervers que cela peut induire en cas de compensation par des gains financiers... A contrario, une « soutenabilité forte » signifie une complémentarité entre eux, avec des limites physiques à ne pas dépasser (p. 44). C’est cette dernière hypothèse qu’il faut retenir selon l’auteur qui préconise de passer dans les CE, « des amortissements ou des provisions pour risques, spécialement affectés pour financer des mesures qui permettent de s’éloigner des seuils dangereux » (p. 50) tout comme le fait la comptabilité traditionnelle en coût historique. Par ailleurs, seule l’internalisation des coûts de conservation des fonctions environnementales constitue une solution adaptée à gérer la crise écologique et à maintenir le niveau du capital naturel et humain (p. 74). Des exemples concrets sont présentés dans la deuxième partie avec une priorité accordée aux CE de type « intérieur-extérieur », celles-ci permettant de montrer la « totalité des impacts d’une gestion sur l’environnement » (p. 85). En combinant différents critères, les modèles de CE peuvent être de type quantitatif ou monétaire ou encore utiliser des valeurs spécifiques de type écologique. La conservation des trois capitaux peut être « forte » ou « faible », comme cela a été décrit par l’auteur dans la partie précédente.
19Par ailleurs, certains modèles se contentent d’examiner les impacts directs ou indirects sur l’environnement, tandis que d’autres sont plus complets. Par exemple, le modèle de « l’épargne véritable » de la Banque mondiale (Genuine Saving) constitue « un archétype de comptabilité monétaire de type faible » (p. 105). Il prend en effet en compte l’ensemble des parties prenantes à la richesse d’une nation, tout en considérant une possible substitution des gains entre elles. À l’inverse, le modèle CARE (Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l’Environnement) est décrit comme « un exemple de comptabilité monétaire intérieur-extérieur de type fort » (p. 137). Cette fois-ci le modèle repose sur une approche comptable traditionnelle de type dynamique préconisée par Schmalenbach, autrement dit une approche de type coût historique dans laquelle la notion d’amortissement permet de veiller « au renouvellement des capacités des capitaux à exercer leurs fonctions » (p. 138). Quant à la GRI (Global Reporting Initiative), elle ne soutient pas, selon Jacques Richard, une quelconque hypothèse de soutenabilité à défaut d’informations sur les limites environnementales attribuées aux entreprises (p. 166). Jacques Richard n’est pas plus tendre avec la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) du 15 mai 2001, qu’il qualifie cependant, à l’inverse de la GRI, de « loi dure » (hard law), bien qu’elle ne soit pas assortie de sanctions (p. 169). La troisième partie évoque les conséquences du choix des nouvelles politiques environnementales sur la gouvernance des entreprises et des nations. Les modèles de gouvernance sont notés sur une échelle à cinq degrés (du degré 0 au degré 4), selon leur prise en compte des intérêts liés au développement durable.
- Le degré 0 est atteint (si l’on peut dire) par la conception financière de la gouvernance, véhiculée par la finance moderne, et dont l’auteur rappelle que les normes IFRS sont très proches. Dans ce modèle, « ce qui est bon pour les actionnaires est aussi bon pour les autres parties prenantes » (p. 210).
- La vision véhiculée par l’ISR (Investissement Socialement Responsable) se situe au degré 1. Elle considère qu’il n’est pas utile d’intégrer à la gouvernance les autres parties prenantes : seuls les actionnaires ont vocation à régler le problème du développement durable (p. 211).
- L’approche préconisée par la RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise) correspond à un degré 2 de gouvernance en raison de la difficile application concrète de cette approche pour les organes de gouvernance. Jaques Richard évoque notamment les lacunes sur certains concepts clés comme celui des « parties prenantes » et de « valeur ajoutée pour les parties prenantes » (p. 213). Plus qu’une remise en question du capitalisme financier, cette approche conseille surtout aux managers de prendre en compte les intérêts des parties prenantes pour assurer la survie de l’organisation, ce que l’auteur appelle un « capitalisme financier éclairé » (p. 214).
- Finalement seul le modèle CARE trouve grâce aux yeux de Jacques Richard qui le place en haut de l’échelle, en particulier lorsqu’il permet une cogestion environnementale. Ce dernier modèle implique la participation égalitaire au pouvoir des trois apporteurs de capitaux (financier, humain et naturel) et une conception du profit qui assure leur conservation à travers une triple ligne d’amortissement (p. 225).
20Élisabeth Walliser
Maître de conférences HDR
21Montpellier Recherche Management, Université Montpellier 1
Droit social et normalisation comptable, Samuel Jubé, LGDJ Lextenso éditions, Paris, 2011, 673 pages, ISBN-10 : 2275036873
22Si la comptabilité a entretenu et continue, malgré son évolution récente, d’entretenir des liens étroits avec le droit civil et le droit commercial, elle s’est toujours tenue à distance du droit social. D’où le très grand intérêt de l’ouvrage de Samuel Jubé issu d’une thèse en droit privé qui, en définitive, traite de la (très petite) place que la normalisation comptable contemporaine accorde à ce droit et, plus généralement, aux relations sociales et à l’humain. Tentons d’en donner un aperçu bien qu’un tel ouvrage, 673 pages particulièrement riches, échappe à toute recension.
23Selon la tradition juridique la plus pure (mais on peut être classique dans la forme et profondément novateur dans le fond), il se divise en deux parties, divisées elles-mêmes en deux titres, divisés eux-mêmes en deux chapitres. Dans la première partie (« Le droit social et l’essor de la normalisation comptable »), Samuel Jubé traite de la normalisation comptable et de sa pénétration par le droit social. Dans la seconde (« La normalisation comptable et les ressorts du droit social »), il montre les lacunes et les insuffisances de la normalisation comptable dans sa traduction des relations de travail et les apports potentiels du droit social (ses « ressorts ») à son perfectionnement.
24Dans le titre 1 de la première partie, l’auteur questionne le rôle de la normalisation comptable par référence à une distinction subtile entre le « légal » et le « normal » : le « légal », c’est ce qui doit être, ce qui est conforme à la loi ; le « normal », c’est ce qui est conforme à des régularités. La normalisation comptable contemporaine, et particulièrement la normalisation internationale, se serait écartée du « légal » et ferait abstraction du statut juridique des activités de l’entreprise et de celui de ses dirigeants. Elle aurait pour rôle principal de rappeler à ces derniers ce qu’est le normal au regard des régularités du marché, c’est-à-dire le normal économique et financier, et ce par-delà les obligations légales nationales qui pèsent sur eux. Il y aurait là, selon Samuel Jubé, un « véritable tournant » dans l’histoire de la comptabilité. La thèse est forte mais ne tient sans doute pas assez compte de l’histoire de la normalisation comptable elle-même et des différences d’orientation en matière de normalisation que l’on a pu observer d’un pays à l’autre et que l’on observe encore. On peut par exemple penser que la normalisation comptable française, dans l’après deuxième guerre mondiale, avait certes un rôle légal mais également un rôle de rappel ; en effet, il s’agissait aussi pour elle de rappeler aux chefs d’entreprises les normes non pas du marché mais d’un plan économique et social voulu incitatif. Mais la thèse vaut incontestablement pour la normalisation internationale qui fait de l’investisseur le destinataire privilégié de l’information comptable ; ainsi, l’obligation faite par cette normalisation d’évaluer certains instruments financiers à leur juste valeur peut être considérée comme un rappel de la norme des marchés financiers. Cette norme des marchés financiers transcende les normes nationales. Il s’ensuit une domination de l’organisme international de normalisation sur les organismes nationaux et une réorganisation du système mondial de normalisation. Ce qui permet à Samuel Jubé d’avancer une autre thèse forte, celle d’une « féodalisation » de ce système, avec un suzerain, l’organisme international de normalisation, et des vassaux qui lui font plus ou moins allégeance, les organismes nationaux. Cette thèse laisse cependant de côté le rôle joué par d’autres acteurs de la scène internationale tels les grands cabinets d’audit, les autorités des marchés financiers ou une organisation interétatique comme l’Union européenne.
25Le titre 2 de la première partie est intitulé « La pénétration du droit social par la normalisation comptable ».
26Dans le chapitre 1 de ce titre, Samuel Jubé évoque la tentative faite à la Libération, au moment de la création des comités d’entreprise et de la relance de la normalisation comptable, pour faire de celle-ci un « dispositif d’informationconsultation des salariés » au service du nouveau droit social.
27Il montre ensuite, dans le chapitre 2, comment, dans les années 1960, cette tentative sera brisée par la nouvelle donne économique ; c’est alors que le droit social sera effectivement sinon pénétré du moins assujetti à une normalisation comptable à finalité strictement économique.
28La lecture de ce titre est particulièrement stimulante et notamment les passages consacrés aux positions respectives de la CGT et de la CFTC quant au rôle de la normalisation comptable : « objectiver » le « surtravail » des salariés pour l’une, donner du sens au travail pour l’autre.
29Dans le titre 1 de la deuxième partie (« L’image comptable des relations du travail : photo ou négatif ? »), l’auteur n’a guère de mal à montrer que la comptabilité normalisée fait peu de place à l’humain. Il rappelle (chapitre 1) les diverses tentatives infructueuses, connues des chercheurs en comptabilité, qui ont été faites pour intégrer les « ressources humaines » dans l’actif du bilan. Il montre ensuite qu’elles étaient dès le départ, en théorie comme en pratique, vouées à l’échec, ne serait-ce qu’en raison du caractère « insaisissable » de la notion de capital humain qui les inspire. De plus, eu égard à la définition que donne le normalisateur international d’un actif, elles n’ont sans doute aucun avenir. Samuel Jubé montre par ailleurs (chapitre 2) que le passif du bilan normalisé ne tient compte que de façon très imparfaite des nombreuses et diverses obligations de l’employeur à l’égard de son personnel. On sait pourquoi : les normes internationales sont, si l’on se réfère au cadre conceptuel qui les sous-tend, conçues en fonction des besoins d’information des apporteurs de capitaux et en particulier des investisseurs, lesquels raisonnent souvent à court terme et ne sont guère concernés par les obligations à moyen terme et long terme de l’entreprise. Il s’agit certes pour la comptabilité normalisée de fournir une image fidèle de la situation de l’entreprise mais... du point de vue des apporteurs de capitaux. Là est sans doute la source profonde des lacunes du passif du bilan normalisé : le temps de l’investisseur est-il par exemple compatible avec celui des salariés et des relations du travail ? L’auteur revient d’ailleurs en fin d’ouvrage sur ce problème des différences entre les temporalités des parties prenantes à la vie de l’entreprise.
30Dans le titre 2 de la deuxième partie (« Réconcilier les normes comptables et le droit social : un impératif commun »), Samuel Jubé propose un certain nombre de solutions juridiques pour remédier aux insuffisances de la comptabilité normalisée quand il s’agit de traiter des relations du travail.
31Il s’agit selon lui, et c’est l’objet du chapitre 1 de ce titre 2, de faire apparaître en comptabilité les droits et les obligations de l’employeur spécifiés par le droit social. Il lui semble en particulier que la créance de l’employeur correspondant à l’obligation de prestation du salarié pourrait être reconnue à l’actif du bilan (toutefois, il ne dit rien sur son estimation, laissant sans doute aux comptables la résolution de ce délicat problème !). Il lui semble également que les obligations de l’employeur devraient être mieux traitées au passif du bilan, qu’il s’agisse des engagements de retraite à prestations définies, des obligations relatives à la sécurité des salariés ou de celles relatives à leur formation. La discussion de la comptabilisation des engagements de retraite est particulièrement intéressante, elle est en effet à contrecourant du traitement normalisé de ces engagements. Ces propositions pourraient incontestablement faire sortir le travail de l’ombre dans laquelle le tient la normalisation actuelle.
32Dans le chapitre 2 (« Vers un droit social intégrant les enjeux de la normalisation comptable ») de ce titre 2, Samuel Jubé livre une réflexion générale sur les rapports entre le droit social et la normalisation comptable contemporaine. Il place au cœur de cette réflexion, le problème de l’articulation ou de la non-articulation, de la « désolidarisation », entre le temps du social, celui justement du droit social, et le temps du marché financier, celui des normes internationales. Ce qui lui permet d’analyser certains problèmes d’actualité comme celui de la traduction comptable de la « flexicurité » du travail.
33Cet ouvrage important, dont nous n’avons que très sommairement rendu compte, est une nouvelle illustration de la richesse des travaux de recherche menés aux frontières des disciplines, en l’occurrence aux frontières de la comptabilité et du droit social. Il est aussi une illustration de la puissance et de la richesse – quand elle est, ce qui est ici le cas, parfaitement documentée – de la recherche dite réflexive par opposition à la recherche empirique.
34Considérée du seul point de vue de la comptabilité, il s’agit incontestablement d’une contribution de référence à la compréhension, à la discussion et au perfectionnement du modèle comptable normalisé de l’entreprise ; pour que celui-ci, selon le vœu formulé par l’auteur dans sa conclusion générale, traduise aussi correctement que possible ce qui compte vraiment. Espérons donc qu’il sera lu non seulement par les chercheurs en comptabilité mais aussi et surtout par les normalisateurs...
35Bernard Colasse
36Professeur, Université Paris-Dauphine