Notes
-
[1]
Edvinsson et Malone sont les auteurs d’un ouvrage fondateur sur le sujet « Intellectual capital, realizing your company’s true value by finding its hidden brain-power ». Cet ouvrage est le résultat de travaux menés à partir de 1992 chez l’assureur suédois SKANDIA. Selon ces auteurs, le capital immatériel peut essentiellement prendre trois formes : le capital humain, le capital structurel interne (regroupe toutes les informations sur l’organisation l’innovation et le savoir faire) et le capital structurel externe (essentiellement porté sur le capital client).
-
[2]
Les enquêteurs ont examiné le contenu de 300 rapports d’investissements et la fréquence d’apparition d’éléments non financiers.
-
[3]
Cf. La perception du capital immatériel par le marché financier français (Béjar, 2006). L’auteur développe une typologie du capital immatériel tel qu’il est perçu par le marché financier français. Dans cette typologie, toutes les informations de nature non financières attendues par le marché relèvent du capital immatériel.
-
[4]
Informations utilisées dans leurs analyses financières
-
[5]
Pour un listing des applications des méthodes Delphi se rapporter à l’article de Gupta et Clarke (1996).
-
[6]
Les experts notent sur une échelle de Likert de 7 points les informations qu’on leur soumet.
-
[7]
La phase 1 du Delphi est décrite dans le paragraphe 2.2, La phase 2 du Delphi est décrite dans le paragraphe 2.3, Les phases 3,4 et 5 du Delphi sont décrites dans le paragraphe 2.4.
-
[8]
Ces derniers sont considérés comme des prescripteurs à l’investissement.
-
[9]
Il faut compter un entretien pour le brainstorming, un autre pour affiner la liste et généralement trois entretiens pour l’identification du consensus (s’il existe).
-
[10]
Les résultats sont soumis aux experts lors de la deuxième étape du Delphi : c’est la rétroaction de l’information.
-
[11]
Les experts sont tenus de justifier leurs nouvelles notations si elle est fortement déviante par rapport au groupe ou par rapport à une notation donnée précédemment.
-
[12]
Le groupe est constitué de l’ensemble des experts interrogés.
-
[13]
L’ensemble de ces détails sera exploité dans un travail ultérieur pour quantifier l’information publiée par l’entreprise sur son capital immatériel et mesurer statistiquement son impact sur la valorisation de la firme par les marchés financiers.
-
[14]
Même si les résultats du test de Kendall (cf. tableau 9) et la concentration des notes autour de la médiane (cf. tableau 8) semblent privilégier l’unicité de cet « optimum », seule une analyse par sous population peut le confirmer.
-
[15]
Il serait intéressant d’explorer ce positionnement d’une manière plus approfondie. Une enquête exploratoire peut être menée pour tenter d’expliquer pourquoi les gérants n’exploitent pas d’une manière systématique les recommandations d’analystes.
Introduction
1Plusieurs enquêtes ont été entreprises pour cerner les besoins en information des investisseurs. Ces enquêtes ont confirmé le rôle important des informations financières et comptables et elles ont par ailleurs souligné l’importance grandissante d’informations de nature stratégiques et non financières (SRI, 1987 ; ICCA, 1990 ; AICPA 1994...)
2Les rapports récents (FASB 2001 ; SFAF & EURONEXT 2002…) et les recommandations émises dans la littérature académique (Eccles & Mavrinac, 1995 ; Holland, 1997 ; Eccles et al. 2001 ; Lev, 2001 ; Beattie & Pratt, 2002a et b…) soulignent, à cet effet, l’importance du développement de la communication sur le savoir-faire, les brevets, les clients… autant d’éléments appartenant au capital immatériel tel qu’il a été défini par Edvinsson et Malone (1997) [1].
3Bon nombre de ces informations ont fait l’objet d’études d’opinion qui s’appuient sur des déclarations spontanées d’acteurs du marché financier. Ces travaux mettent en avant l’intérêt de ce genre de données et la place qu’elles occupent dans les décisions d’investissements (Eccles et Mavrinac, 1995 ; Mavrinac & Siesfeld, 1997 ; Beattie & Pratt, 2002a et b…).
4Dans l’enquête menée en 1995 par Eccles et Mavrinac, les analystes et les investisseurs décernèrent la mention « extrêmement utiles » à certaines mesures non financières. Ces variables sont les suivantes : la croissance du marché, le développement de nouveaux produits, la part de marché et la productivité de la R&D.
5Dans l’étude de Mavrinac & Siesfeld (1997), les investisseurs valorisent plutôt bien les informations relatives aux ressources humaines. Les mesures indiquant « l’aptitude de l’entreprise à attirer et à retenir des personnes de talent » sont notées 5,61/ 7 (score exceptionnellement élevé pour des informations non-financières). Dans cette étude, les éléments non financiers les plus appréciés des investisseurs sont les mesures qui révèlent la productivité et la créativité dans les organisations orientées vers les personnes. Même si la qualité de la stratégie et des plans d’action est aussi d’une importance cruciale pour les investisseurs, les auteurs constatent que ceux-ci accordent finalement plus de poids à « la capacité des équipes dirigeantes à agir et aboutir ».
6Ces deux enquêtes et bien d’autres encore fournissent certes une description des besoins perçus et des centres d’intérêt des acteurs du marché financier, mais restent difficiles à interpréter puisqu’elles sont fondées uniquement sur des préférences déclarées et des attitudes subjectives.
7Un travail plus récent entrepris par Mavrinac et Boyle (2001) essaie précisément de surmonter ce handicap en établissant une relation entre l’utilisation de données non financières par les analystes et la justesse des prédictions de ces derniers. Contrairement à la démarche précédente (déclarations spontanées des personnes interrogées), cette étude s’appuie sur des comportements réels tels qu’ils ressortent des rapports publiés par les analystes eux-mêmes [2].
8Les résultats montrent que les analystes s’intéressent à un grand nombre de facteurs non financiers, mais que leur nature varie beaucoup d’un secteur à un autre. Il semblerait aussi que les analystes qui tiennent plus fréquemment compte des données non financières sont également capables de prédictions plus justes : les chercheurs ont en effet, établi que les erreurs de prévision décroissent avec la fréquence des analyses effectuées sur des performances non financières.
9Les résultats de cette étude ont également été obtenus à un niveau international. La quantité d’informations publiées par les entreprises détermine significativement et positivement l’exactitude des prévisions des analystes dans les études de Hwang et al. 1998 (échantillon de sept pays) et Chang et al. 2001 (échantillon de 37 pays).
10Sur le marché français, une étude effectuée par Andrieu et Fortiée (1998) vient confirmer la littérature internationale. Elle met en évidence l’importance accordée par les investisseurs à un certain nombre d’informations relevant du capital immatériel.
11De leur côté, Chahine et Mathieu (2003) montrent que le marché financier est sensible aux informations stratégiques contenues dans le prospectus d’introduction en bourse. Dans leur étude, les informations relatives aux atouts technologiques et aux ressources humaines sont les plus informatives. Les résultats de cette étude sont en partie appuyée par ceux de Labégorre et Boubaker (2006). Les auteurs montrent dans une enquête par questionnaire, que les analystes financiers cherchent prioritairement à avoir des informations sur la stratégie (chapitre 4 du prospectus) et sur la situation financière (Chapitre 5 et 7).
12L’observation de cette littérature montre la place accordée aux informations non financières et celles relevant du capital immatériel [3]. Cette place s’est davantage confirmée sur les marchés ces dernières années notamment du fait de l’avènement de la bulle internet. L’éclatement de celle-ci nous rappelle ce qui peut se produire lorsque les informations sur le modèle économique des entreprises sont insuffisantes ou mal interprétées.
13Par ailleurs la relecture de cette littérature et la multiplication de recommandations de la part des institutions financières suggèrent une convergence dans les attentes du marché. Ces dernières semblent se croiser et les investisseurs appellent souvent à la communication des mêmes informations. Cette convergence est-elle réelle ? Concerne-t-elle le marché français ? Les investisseurs manifestent-ils les mêmes attentes et accordent-ils le même ordre de priorité aux informations sur le capital immatériel publiées par les entreprises ?
14Aborder ces questions est important puisque cela peut offrir à l’entreprise un moyen pratique pour répondre efficacement aux besoins des investisseurs. Il peut également contribuer à l’harmonisation des règles de présentation de ces publications et donner plus de visibilité aux investisseurs.
15Le reste du papier est organisé comme suit : la deuxième section présente la méthodologie et le contexte de la recherche. La troisième section développe les résultats de l’enquête Delphi. La quatrième section met en évidence la convergence des avis concernant les informations en capital immatériel à publier. La cinquième section conclut.
1 – Méthodologie et contexte de la recherche
16Ce travail vise à identifier les attentes des investisseurs en matière de publication sur le capital immatériel. Nous ne cherchons pas à déterminer une liste exhaustive de ces informations mais plutôt une liste de celles qui sont considérées comme les plus utiles aux yeux du marché financier. L’objectif de ce travail est de voir s’il y a convergence des attentes des investisseurs.
17Intuitivement la méthode la plus adaptée, pour sonder l’existence de convergences dans les avis des investisseurs, serait d’étudier les critères qu’ils emploient [4] dans leurs décisions d’investissements. L’étude du contenu des rapports d’analyse répond à cette problématique (Previs et al., 1994 ; Rogers et Grant, 1997 ; Breton et Taffler, 2001).
18Cette méthodologie d’analyse de contenu est cependant difficilement transposable dans notre contexte notamment pour la difficulté de collecte des analyses financières. Par ailleurs, elle ne permet pas de sonder l’ensemble des attentes d’informations de la part des investisseurs. Ces derniers peuvent attribuer une forte utilité à une information sans la rapporter dans leurs analyses financières du fait de son indisponibilité.
19Dans ce contexte, seule l’interrogation des investisseurs permet de répondre aux besoins de notre enquête. Une telle démarche pourrait par contre engendrer des problèmes de validité interne dans la mesure où les répondants peuvent ne pas livrer réellement ce qu’ils pensent. Pour contourner cette difficulté, il est important de donner aux personnes interrogées la possibilité de revenir sur leur propos en les amenant à se prononcer par rapport à une opinion de groupe (Jones et Xiao, 2004). Le degré d’accord ou de désaccord qu’ils expriment par rapport à l’ensemble des personnes interrogées nous permet d’identifier l’existence de convergences éventuelles dans les avis. La méthodologie Delphi répond à cette problématique.
1.1 – La méthode Delphi
20Initialement développée dans les années 1950 par Helmer pour la RAND Corporation, la méthode DELPHI a connu de nombreuses variantes et applications dans différents domaines (Éducation, Management, Économie… [5]). Ces applications sont restées très peu nombreuses en finance, notamment pour l’aspect qualitatif qui la caractérise.
21La méthode Delphi consiste en l’administration de questionnaires de façon itérative (en général trois fois de suite) à des experts préalablement identifiés. Chaque expert, en fonction des informations séquentielles identifiées à chaque étape du Delphi, peut soit maintenir son jugement, soit le modifier et ainsi de suite.
22La mise en évidence d’une unicité dans les attentes de publications des investisseurs peut nous aider dans la compréhension de leurs comportements d’investissements et suggérer aux entreprises les axes de communication qui peuvent influencer les décisions d’investissements.
23La validité du Delphi repose sur trois principes de base :
- D’abord l’anonymat des experts : ces derniers ne doivent pas s’influencer mutuellement dans leurs réponses. Leur identification doit tenir compte de ce critère : nous ne pouvons garder dans notre échantillon des experts qui travaillent dans un même service ou qui sont susceptibles de se rencontrer et de parler de l’enquête.
- Ensuite la rétroaction de l’information : il s’agit de présenter aux experts, à chacune des étapes du Delphi, les résultats du groupe afin de leur permettre de se situer par rapport à l’opinion générale. Sur la base des traitements statistiques, les experts révisent ou non leur première évaluation. Ce principe est celui qui permet l’identification des convergences d’opinions des différents experts.
- Enfin l’appréciation quantitative des réponses : la mise en place d’une échelle [6] est nécessaire pour permettre des réponses statistiques des experts. C’est uniquement sur cette base que les experts peuvent réévaluer leurs opinions.
24Plus tard, Okoli & Pawlowski (2004) proposent des améliorations aux travaux de Schmidt (2001). Ils mettent en avant dans leur travail, l’importance du choix des experts et le rôle déterminant qu’ils jouent dans la validité du Delphi. En s’inspirant de leurs travaux (Schmidt & al. 2001 ; Okoli & Pawlowski, 2004) nous avons défini les étapes de notre propre Delphi (cf. tableau 1). Le descriptif des étapes et les choix qui en découlent, sont présentés ci après.
Les étapes de la méthodologie Delphi [7]
Les étapes de la méthodologie Delphi [7]
1.2 – Identification des experts participants à l’enquête
25Comme l’ont préconisé Okoli & Pawlowski (2004), nous avons accordé une attention particulière à l’identification et à la sélection des experts (phase 1). Nous avons sélectionné des experts :
- en mesure d’interpréter les informations publiées par les entreprises ;
- qui émettent des recommandations et définissent des attentes quand à la nature des informations communiquées par l’entreprise ;
- ayant un minimum d’années d’exercice de profession dans l’analyse des informations publiées par l’entreprise ; et participants (d’une manière directe ou indirecte) à la prise de décision d’investissements.
26Le schéma de la profession ainsi présenté justifie l’interrogation exclusive des analystes financiers pour étudier l’importance relative des informations émises par l’entreprise et leur rôle dans les décisions d’investissements. Les analystes financiers sont d’ailleurs, dans la plupart des cas, les seules personnes interrogées dans les études et enquêtes menées sur les politiques de divulgation d’informations financières (Biggs, 1984 ; Bouwman et al. 1987 et 1995 ; Breton et Taffler, 1995).
27Eccles & Mavrinac (1995) montrent pourtant une divergence dans les avis des analystes et gérants de portefeuilles concernant l’importance relative de certaines informations non financières dans l’évaluation de l’entreprise. Compte tenu des résultats de ces auteurs, nous avons préféré interroger les deux groupes d’experts (analystes et gérants de portefeuilles). La présence d’une réelle différence dans les avis de ces deux groupes remettrait en cause l’existence d’une convergence éventuelle dans les attentes.
28À partir de diverses sources d’informations (annuaire de la SFAF, rapports d’analyses et listes internes de sociétés de bourse), nous avons retenu une liste d’experts susceptibles de participer à notre enquête.
29Nous avons délibérément choisi de n’interroger que des experts s’occupant de secteurs technologiques. Ce choix est basé sur l’importance du capital immatériel dans ce genre d’entreprises. Les experts concernés manipulent ainsi d’une manière plus régulière des données de nature non-financière.
30Nous avons contacté ces experts par téléphone et nous leur avons présenté sommairement notre enquête. Nous leur avons précisé que nous cherchions une expertise dans l’évaluation des entreprises et une certaine expérience de leur part.
31Nous avons rencontré une difficulté à convaincre plusieurs experts à participer à l’enquête dans la mesure où trois entrevues doivent être organisées avec chacun d’entre eux à intervalle de temps régulier (une à deux semaines maximum). Plusieurs se sont dits prêts à répondre à un questionnaire et à nous aider à le diffuser au sein de leurs équipes, par contre la mise en place d’entretiens successifs s’avérerait pour eux très contraignante et difficile à gérer.
32Nous avons donc simplifié la démarche pour certains experts en remplaçant le dernier entretien par un entretien téléphonique. Cette démarche ne risquait pas de réduire la validité de l’enquête dans la mesure où la problématique a déjà été comprise lors des deux premiers entretiens et une certaine familiarité avec les variables avait déjà été acquise. Dans ce cas précis, nous avons envoyé par courrier électronique un support pour l’entretien pouvant être rempli par le répondant lors de la communication.
3319 experts (dont 10 analystes financiers et 9 gérants de portefeuilles) ont accepté de participer à notre enquête. Ces derniers présentent les profils résumés dans le tableau 2. L’analyse de ces profils montre que les gérants de portefeuilles sont en moyenne plus, expérimentés que les analystes financiers. La majorité d’entre eux (89 %) ont passé par les fonctions d’analyses et de gérances.
34Nous avons, dans la plupart des cas, enregistré pour les gérants de portefeuille une expérience supérieure à dix ans. Un seul gérant n’obéit pas à cette règle (moins de 10 ans d’exercice de la profession) ; il possède par ailleurs plus de 10 ans d’expérience antérieure dans l’analyse financière. Nous remarquerons plus tard que cette expérience réduit l’erreur dans les réponses des gérants au fil des entretiens.
35Ces derniers arrivent à donner une meilleure estimation de la contribution des informations soumises à l’évaluation de l’entreprise dès le début de l’enquête.
36Les analystes financiers interrogés dans l’enquête, exercent en moyenne leur profession depuis plus de 7 ans (moyenne = 7,7). Leurs analyses portent sur un nombre réduit de secteurs et d’entreprises. Ils couvrent en moyenne, de 10 à 20 entreprises appartenant à moins de 5 secteurs. Les gérants couvrent, quant à eux, plus de 20 entreprises dans plus de 10 secteurs différents.
Profil des experts interrogés
Profil des experts interrogés
1.3 – Identification des informations objet de l’étude
37Une fois l’identification des experts terminée, nous avons procédé à la délimitation de l’objet de l’étude. La mise en place de séances de brainstorming semble nécessaire pour cette étape. Il s’agit d’identifier une préliste d’informations (sur le sujet étudié : dans notre cas les informations en capital immatériel dont la publication est attendue par le marché financier) pour alimenter la base du premier entretien (Schmidt & al. 2001 ; Okoli & Pawlowski, 2004).
38Ces séances de brainstorming ont l’avantage de développer une base large d’informations sans courir le risque d’influencer le déroulement du Delphi. Elles rallongent, par contre, le temps de l’enquête dans la mesure où plusieurs entrevues doivent être envisagées avec chaque expert [9].
39Devant la difficulté d’obtenir un nombre important d’entretiens, nous avons opté pour la Constitution d’une préliste à partir des travaux de la littérature comptable et financière. La Constitution de cette liste est une étape très importante dans la mesure où le choix des éléments qui la composent ne doit pas influencer les réponses des experts.
40Nous n’avons gardé dans cette liste que les informations qui ont été fortement recommandées par les investisseurs et qui sont apparues dans plusieurs études et enquêtes antérieures. Le travail récent de Béjar (2006) portant sur la perception du capital immatériel par le marché financier français nous a guidés dans la sélection de ces informations et dans leur classification. Au final, nous avons retenu 23 informations relevant du capital immatériel. Ces informations sont résumées dans le tableau 3.
Identification de la pré-liste d’information
Identification de la pré-liste d’information
1.4 – Principes de conduite des entretiens
41Conformément à la Démarche Delphi, nous avons prévu d’effectuer trois entretiens successifs (phases 2, 3 et 4 dans le tableau 1) à intervalles de temps réguliers. Les disponibilités des experts nous ont obligés à retenir la période de deux semaines pour séparer les entretiens successifs. Nous ne pouvons pas par ailleurs démarrer un deuxième entretien pour un expert disponible si le premier tour des entretiens n’a pas été achevé.
42Pour mener à bien notre enquête nous avons défini trois règles à respecter pour pouvoir reproduire le même environnement d’enquête face aux différents experts. Des attitudes ou des réactions différentes de notre part peuvent affecter la validité de l’étude (Evrard et al., 1993). Ces règles sont les suivantes :
- tous les entretiens doivent être conduits en deux parties : d’abord nous recueillons les commentaires des experts formulés à l’occasion de la lecture de liste des informations retenues. Ensuite nous enregistrons les notes que ces derniers attribuent à ces mêmes informations ;
- lors du recueil des commentaires, nous devons nous contenter de les enregistrer sans donner un avis ou corriger une éventuelle erreur de compréhension de la part de l’expert interrogé ;
- lors du recueil des notations, nous pouvons demander à un expert de justifier son avis si celui-ci :
- est fortement déviant par rapport aux réponses du groupe ;
- est très différent de celui donné lors d’un entretien précédent.
2 – Résultats de la méthode Delphi
2.1 – Premiers entretiens d’experts
43Nous avons commencé le premier entretien par la présentation du contexte de l’étude et le cadre dans lequel elle sera effectuée. Nous avons répondu, lors de cette première étape, aux interrogations des experts concernant les aboutissements de cette enquête. Une fois le contexte bien défini, nous avons soumis aux experts la liste des informations identifiées à la précédente section (deuxième étape du Delphi).
44Nous avons, dans une première étape, demandé aux experts de lire la liste et de définir, au fur et à mesure, les informations retenues. Les experts ont manifesté certains doutes pour la définition de certaines informations et ont suggéré des changements dans les appellations. Nous leur avons ensuite demandé d’aménager la liste de façon à ne garder que les informations les plus utiles. Nous leur avons également laissé la liberté d’ajouter des informations à la liste si celles-ci leur paraissaient pertinentes. Nous leur avons rappelé à cet effet que le but n’est pas d’établir une liste exhaustive d’informations mais uniquement celles qui s’avèrent les plus utiles pour les décisions d’investissements.
45Certaines incompréhensions ont été également relevées dans les définitions des informations retenues. En effet, 84,21 % des experts se sont demandés si « les risques liés à l’environnement de l’entreprise » incluaient « le risque technologique ». 62,5 % d’entre eux pensaient que ce risque devrait être séparé des autres risques dans la mesure où c’est un risque sur lequel l’entreprise peut agir.
46Une ambiguïté a été également soulignée pour l’information « Productivité de la R&D ». Elle est due à l’utilisation du terme « Productivité » dans l’appellation. Certains experts (36,84 %) préféraient qu’il soit remplacé par le terme « efficacité » qui est plus compréhensible à leur sens. Les autres experts, dans la majorité des cas, n’ont pas émis d’objection quant à l’utilisation de ce terme et l’ont d’ailleurs utilisé spontanément dans leurs discours pour définir cette information.
47Les experts se sont par ailleurs interrogés sur l’absence d’informations sur la politique de rémunération envers les dirigeants et actionnaires. La présence de cette information leur donne un avis sur le management de l’entreprise et les compétences du cadre dirigeant.
48Les experts ont également attiré notre attention sur la présence de répétitions dans notre liste d’informations. En effet, 78,94 % des experts ont perçu les informations « Bénéfices tirés des licences et droits de propriété intellectuelle » et « valeurs commerciales des licences ou droits de propriété intellectuelle détenus par l’entreprise » d’une manière quasi identique. Les deux informations correspondaient, selon eux, à deux détails informationnels caractérisant une même et unique information.
49Près de 95 % des personnes interrogées pensaient que les informations « fidélisation de la clientèle » et « satisfaction de la clientèle » vont de paire et il serait utile de les regrouper. Selon les experts des clients satisfaits donnent forcément naissance à des clients fidèles. De la même manière la « stabilité des compétences dans l’entreprise » découle d’une « capacité de l’entreprise à maintenir des salariés dans l’entreprise ».
50La deuxième étape du premier entretien consistait en la notation, sur une échelle de Likert de 7 points, des informations en fonction de leur contribution à l’évaluation de l’entreprise. Nous avons choisi une échelle de sept points pour offrir plus de souplesse dans les réponses. Certes l’augmentation du nombre de points sur une échelle impose un temps de réflexion plus long, pour les personnes interrogées mais « … les analystes financiers semblent préférer une échelle à sept points,… une échelle à cinq points ne leur laisserait pas assez de liberté. » (Michaïlesco, 1998).
51Par cette étape, nous avons voulu savoir si des incohérences entre les commentaires émis et les notations accordées aux différentes variables, existaient. Nous avons également cherché à savoir si des commentaires ont été oubliés ou omis d’une manière volontaire ou involontaire (une note très basse justifiait-elle qu’on garde l’information dans la liste ? Des notes très dispersées pour une information révélaient-elles une incompréhension de la part les experts ? ). Par ailleurs, cette étape était nécessaire pour quantifier les réponses des experts et identifier l’opinion du groupe [10]. Le tableau 4 résume les résultats de cette étape.
52Les résultats montrent des intervalles de réponses très larges pour plusieurs informations. Certains de ces intervalles peuvent être expliqués par les commentaires précédemment émis :
53Par exemple : Nous avons remarqué que, les notations attribuées à l’information « analyse des risques de l’entreprise » varient sensiblement d’un expert à un autre. Les experts qui se sont interrogés sur l’intégration du risque technologique dans cette information ont donné les notes les plus élevées de l’échantillon. La visibilité sur le « risque technologique » semble de grande importance pour ces experts.
54D’autres intervalles de réponses apparaissent inexpliqués. Les experts ont accordé des notes très dispersées à des informations comme l’« appréciation de la rentabilité par client », ou la « position dominante en recherche ». Nous porterons une attention particulière lors du deuxième entretien à ces informations. Nous demanderons aux experts de justifier leurs positions par rapport à ces informations.
55Par ailleurs, nous avons enregistré des notes assez basses pour les trois informations suivantes : « Présence de comités spécialisés… » ; « Efficacité des systèmes d’information » et « Présence d’administrateurs indépendants ». Lors du deuxième entretien, nous demanderons aux experts en cas de confirmation de tendance s’il est nécessaire de les garder dans la liste d’informations. Si dans le cas contraire la tendance de notation changeait, nous leur demanderons de justifier leur position.
56Suite à ces résultats, nous avons opéré certains changements que nous avons présentés aux experts lors du deuxième entretien. Conformément aux attentes des experts, nous avons intégré deux nouvelles informations dans la liste : « Analyse du risque technologique » et « Politique de rémunération envers les dirigeants et actionnaires ».
57Nous avons par ailleurs remplacé le terme Productivité par l’efficacité dans l’information « Productivité de la R&D ».
58Enfin, nous avons regroupé les informations suivantes :
- « Bénéfices tirés des licences et droit de propriété intellectuelle » et « valeurs commerciales des licences ou droit de propriété intellectuelle détenus par l’entreprise » en « Valorisation des licences ou droits de propriété intellectuelle détenus par l’entreprise »
- « Fidélisation de la clientèle » et « satisfaction du capital client » en « Fidélisation et satisfaction de la clientèle ». La tendance de notation que nous avons d’ailleurs enregistrée confirme cette opération puisque ces deux informations ont recueilli quasiment les mêmes notations (même médiane et même moyenne).
- « Stabilité des compétences dans l’entreprise » et « capacité de maintien des salariés dans l’entreprise » en « Stabilité des compétences dans l’entreprise ». La tendance de notation confirme également cette opération puisque ces deux informations ont recueilli les mêmes notations (même médiane et même moyenne).
2.2 – Déroulement et résultat du deuxième entretien
59Lors du deuxième entretien, nous avons présenté aux experts la nouvelle liste d’informations. Ces derniers nous ont fait part de leur satisfaction. Très peu de commentaires ont été d’ailleurs émis et dans des proportions très faibles.
60Nous avons par la suite, informé les experts des résultats du tour précédent et nous leur avons demandé de fournir une nouvelle notation pour les informations retenues [11].
61Nous avons enregistré, suite à ce deuxième entretien, une réelle amélioration des résultats. Les changements de notations sont, dans la plupart des cas, intervenus pour les informations dont l’appellation était ambiguë ou mal comprise (cf. tableau 5).
Comparatif des résultats obtenus lors des deux premiers entretiens (informations retenues)
Comparatif des résultats obtenus lors des deux premiers entretiens (informations retenues)
M1 et M2 (respectivement Me1 et Me2) représentent les moyennes (médianes) des réponses obtenues lors des deux premiers entretiens ; I1 et I2 représentent les intervalles de réponses ; Seules les informations communes aux deux entretiens ont été incorporées dans ce tableau.62Les notations accordées aux différentes informations sont devenues plus homogènes. Concernant l’information « efficacité de la R&D » anciennement, « Productivité de la R&D », les experts invoquent la même justification que précédemment en précisant que le terme de productivité s’apparentait plus aux ressources humaines et que la difficulté de compréhension du sens de l’information lors du premier entretien les a induits en erreur lors de la notation.
63On a également enregistré quelques changements pour d’autres informations tels qu’« Appréciation de la rentabilité par client » ; « Position dominante en recherche » ; « Bénéfices tirés des partenariats et alliances » ; « Analyse la dépendance vis-à-vis des clients ». Ces changements sont intervenus chez les experts qui ont donné des notes extrêmes lors du premier entretien. Deux explications ont été avancées de la part des experts : la première invoque l’erreur involontaire « … je pense que j’ai été trop dur sur la réponse…, … j’ai dû me tromper en cochant cette case… » La deuxième invoque le scepticisme des experts quant à la réelle publication de ces informations « je voulais marquer le coup sur certaines questions… effectivement ce serait intéressant d’avoir cette information … mais je pense qu’elle est difficile à obtenir… »
64D’un autre coté, une confirmation des tendances s’est imposée pour les trois informations suivantes (faible moyenne et médiane) : « Présence d’administrateurs indépendants » ; « Présence de comités spécialisés (audit, rémunération,…) » et « efficacité des systèmes d’informations ». Nous avons alors attiré l’attention des répondants sur ces informations en leur demandant s’il est nécessaire de les garder dans la liste définitive.
65Les réflexions des répondants restent dans le même ordre d’idée. Concernant les deux premières (« Présence d’administrateurs indépendants » ; « Présence de comités spécialisés »), le commentaire d’un gestionnaire de portefeuilles que nous avons rencontré résume assez bien les propos des personnes interrogées « La composition et le fonctionnement du conseil d’administration est quand même une information importante, et on préfère avoir une idée sur cette information même si on lui attribue une note plus faible que d’autres informations… il serait peut-être, par contre, utile de regrouper les deux informations en une seule. »
66Concernant la dernière information (« efficacité des systèmes d’informations »), les experts se sont accordés sur sa suppression de la liste. Ils pensent que les informations décrivant l’organisation d’une entreprise diffèrent et il serait plus judicieux de laisser à l’entreprise le choix de l’information à publier. Le plus important serait de prouver la qualité de l’organisation, son efficacité et sa pérennité.
67Dans un dernier point, le regroupement des variables n’a posé aucun souci. Les résultats du deuxième entretien ont confirmé la tendance exprimée par les experts lors du premier entretien.
68Au vu de ces résultats, quelques changements ont été effectués dans le but de préparer le troisième entretien.
69D’un côté, les informations « Présence d’administrateurs indépendants » et « Présence de comités spécialisés (audit, rémunération,…) » ont été regroupées en une seule information « Composition et fonctionnement du conseil d’administration ». Celle-ci est considérée par les experts comme un indicateur d’une certaine responsabilisation au sein de l’entreprise.
70D’un autre côté, les informations « efficacité des systèmes d’informations » et « qualité de la structure organisationnelle » ont été supprimées.
71La liste d’information présentée aux experts lors du troisième entretien est celle reportée dans le tableau 7. Elle correspond également à la liste d’informations retenues à l’issue de l’enquête.
3 – Résultats du troisième entretien et confirmation du consensus
3.1 – Les résultats du Delphi
72La présentation de la liste définitive d’informations retenues (cf. tableau 7) a suscité une satisfaction de la plupart des experts. 94 % d’entre eux ont exprimé leur satisfaction quant aux résultats obtenus. Les experts ont confirmé que la publication de la part de l’entreprise de l’ensemble de ces informations est révélatrice de ses opportunités de croissance et de sa vraie valeur.
73Les notations attribuées lors de ce troisième entretien ont confirmé les dires des experts. Aucune incohérence n’a été relevée dans les notations attribuées. Le tableau 8 montre une concentration des notes autour de la médiane pour l’ensemble des informations retenues et écarte la présence de notes extrêmes.
74Ce résultat suggère la présence d’une réelle opinion de groupe [12] par rapport à l’objet de l’étude et conforte l’idée d’un consensus.
75Les experts précisent par ailleurs, qu’une attention particulière doit être portée à la présentation des informations retenues lors des communications financières. Selon les personnes interrogées, la publication d’un certain nombre de « détails informationnels » est nécessaire pour assurer la compréhension de chaque information retenue.
76Ce commentaire revient à chaque étape du Delphi par la majorité des experts interrogés. Ces derniers livrent spontanément ces détails et insistent sur l’importance de leur présence pour aider de manière efficace à l’estimation de la valeur de l’entreprise.
77Pour illustrer ces propos, nous reprenons le commentaire d’un analyste financier qui décrit l’information attendue sur la « part de marché » : « … ça ne m’intéresse pas d’avoir un chiffre statique… des indications sur sa définition, les possibilités de son évolution dans le temps et l’espace… des données chiffrées… et des justifications solides seront appréciées… »
78Un travail de collecte de ces détails informationnels a été effectué parallèlement à l’enquête. Ce travail nous a permis de développer un outil de mesure qui apprécie la qualité de l’information publiée par les entreprises et son adéquation avec les attentes du marché [13].
Informations retenues et jugées comme les plus utiles aux yeux des investisseurs
Informations retenues et jugées comme les plus utiles aux yeux des investisseurs
79Les experts attirent également notre attention sur le fait que rares sont les entreprises qui peuvent publier l’ensemble des informations retenues avec les détails attendus. Ils précisent que la liste définie (cf. tableau 7) est un optimum difficile à atteindre et ne peut que servir de référence aux entreprises qui souhaitent signaler leur qualité au marché financier.
80Les experts restent conscients que la décision de rendre publique l’ensemble des informations retenues (accompagnées des détails informationnels définis) engendre des coûts de propriétés (Verrecchia, 1983, Wagenhofer, 1990) et des externalités négatives qui désavantagent l’entreprise par rapport à ses concurrents (Dye 1990 ; Verrecchia 1990). Ces experts font d’ailleurs remarquer dans ce sens, que c’est à l’entreprise de fixer son seuil optimum de publication pour répondre aux attentes du marché et refléter au mieux sa valeur.
Ordre de priorité accordé aux différentes informations
M. : Moyenne des réponses obtenues lors du dernier entretien, Me : Médiane des réponses obtenues lors du dernier entretien, E : Écart entre la moyenne et la médiane des réponses exprimé en valeur absolue, PrE : Écart entre la moyenne et la médiane des réponses, exprimé en pourcentage et en valeur absolue.3.2 – Mise en évidence de la convergence des avis
81Les différents entretiens menés, nous ont permis de définir une liste d’informations considérée par les experts comme les plus utiles aux yeux du marché. Cette liste issue d’une convergence des réponses, apparaît comme un consensus de la part de la profession au vu des notations attribuées lors du troisième entretien (cf. tableau 8).
82Cette convergence des réponses est vérifiable statistiquement par le calcul du coefficient de concordance de Kendall à partir des notes attribuées par les experts aux différentes informations.
83Ce dernier est un coefficient de corrélation qui indique le degré d’accord entre divers classements relatifs aux mêmes individus. Le « W » de Kendall se situe entre 0 (pas d’accord) et 1 (accord total). Schmidt (1997) a dressé une table d’interprétation des coefficients de Kendall. Un coefficient de 0,7 indique une forte concordance des avis et une valeur inférieure à ce seuil montre une concordance modérée de la part des personnes interrogées.
84Ce test a été effectué sur l’ensemble des résultats obtenus lors des trois entretiens (cf. tableau 9). Les résultats montrent une forte concordance des avis exprimés lors du troisième entretien au seuil de confiance de 99 %. Cette concordance a été moins forte pour les deux premiers entretiens notamment pour les ambiguïtés qui existaient autour de certaines informations.
85Bien que graduelle dans les entretiens, cette convergence a été exprimée par les experts sans influence de la part de l’enquêteur. En effet ce dernier a toujours eu un rôle passif de collecte d’informations contrairement aux enquêtes Delphi classiques qui visent à « produire » un consensus.
Coefficient de concordance de Kendall
Coefficient de concordance de Kendall
86Pour consolider notre travail, il nous a paru nécessaire de vérifier que « l’optimum de publication » est le même pour les deux populations d’experts (analystes financiers et gérants de portefeuilles) [14]. Cette vérification a été initialement prévue pour tenir compte des résultats d’Eccles et Mavrinac (1995). Elle s’est par ailleurs imposée d’elle-même suite aux déclarations spontanées de certains gérants de portefeuilles concernant la lecture qu’ils font des recommandations d’analystes. Ces derniers affirment ne pas toujours tenir compte du travail entrepris par les analystes dans leurs décisions d’investissements. Ce positionnement semble curieux dans la mesure où la majorité des gérants interrogés a préalablement occupé des fonctions d’analystes [15].
87Pour procéder à cette vérification, nous avons comparé les moyennes et médianes des réponses données par les analystes et par les gérants de portefeuilles lors du dernier entretien. Un test de différence des moyennes et des médianes a été effectué (cf. tableau 10). Nous avons retenu le test de Wilcoxon pour tester les différences entre les médianes des réponses des deux groupes d’experts. C’est un test non paramétrique qui permet de vérifier si deux échantillons liés appartiennent à une même population. Il s’agit, pour nous, de vérifier si les deux échantillons composés par les analystes financiers et par les gérants de portefeuilles (deux échantillons liés de part leur profession) appartiennent à la même population. Si tel est le cas, alors leurs réponses doivent être quasi confondues pour l’ensemble des informations objets de l’enquête.
88Les résultats des tests effectués sur les données du troisième entretien sont résumés dans le tableau 10. L’hypothèse H0 est acceptée pour l’ensemble des variables avec un seuil de confiance de 99 %. Aucune différence significative n’existe dans les réponses données respectivement par les analystes et par les gérants de portefeuilles. Une légère différence (au seuil de 10 %) est enregistrée pour l’information concernant les parts de marché. Les gérants de portefeuilles semblent accorder plus d’importance que les analystes à cette information (note moyenne de 6,3 contre une moyenne de 5,8 pour les analystes). Cette différence est confirmée par l’analyse des médianes.
89Hormis cette information, les résultats des tests reflètent la quasi-coïncidence des attentes des deux groupes d’experts (gérants et analystes). Ce résultat est contraire aux prédictions d’Eccles & Mavrinac (1995). Ces auteurs montrent une divergence dans les avis des analystes et des gérants de portefeuilles concernant l’importance relative de certaines informations non financières dans l’évaluation de l’entreprise.
90Nous pouvons également penser que ce résultat est contraire aux déclarations spontanées de certains gérants qui disent ne pas exploiter d’une manière systématique les recommandations d’analystes. Cependant nous ne pouvons pas l’affirmer notamment parce que nous ne savons pas si le désaccord exprimé par les gérants concerne de leur point de vue, l’information attendue ou l’analyse de l’information elle-même.
91Si nous nous référons aux résultats obtenus lors cette enquête, le positionnement des gérants par rapport aux recommandations émises semble plutôt fonction de l’analyse menée sur les informations publiées par l’entreprise. Les gérants expriment en effet au même titre que les analystes financiers, les mêmes attentes et accordent le même ordre de priorité aux informations retenues. Nous pouvons cependant, imaginer qu’ils n’approuvent pas systématiquement le traitement que font les analystes de l’information ce qui les conduit à des prises de position parfois contraires aux recommandations émises.
92Cette coïncidence des attentes peut contribuer à justifier l’interrogation exclusive des analystes pour définir les besoins en informations financières du marché français. À notre connaissance, ce raccourci souvent utilisé dans la littérature n’a pas fait l’objet d’une vérification empirique. Par ce travail, nous apportons une contribution modeste qui doit être améliorée au travers d’une enquête plus approfondie. Il serait en effet intéressant d’étudier l’influence des recommandations d’analystes sur les pratiques des investisseurs pour mieux comprendre les comportements d’investissements et mieux les anticiper.
Conclusion
93À l’issue de ce travail, nous sommes parvenus à identifier la liste des informations en capital immatériel les plus utiles aux yeux du marché financier. Cette liste s’établit d’une manière consensuelle lors des entretiens réalisés auprès des analystes financiers et gérants de portefeuilles du marché français.
94Ces derniers confirment que la publication de la part de l’entreprise de l’ensemble de ces informations constitue un effort optimum pour révéler au marché financier ses opportunités de croissance et sa vraie valeur. Ils précisent, par ailleurs, que cet optimum est difficile à atteindre et que l’intensité de l’effort fourni par l’entreprise déterminera la qualité de sa publication. Cette intensité est appréciée par les détails informationnels accompagnant la publication de chaque information. Ces détails font la qualité de l’information et différencient les entreprises qui décident de les publier.
95Par ailleurs, la convergence des réponses obtenues à la fin de l’enquête, a été confirmée d’une manière statistique par le calcul du coefficient de Kendall. Un consensus autour des informations à publier et leurs importances relatives a été clairement démontré. L’obtention d’un coefficient de W = 0,757 confirme une forte concordance des avis. (Schmidt, 1997).
96Les résultats de ce travail doivent être néanmoins nuancés notamment pour les aménagements que nous avons apportés au Delphi du fait des spécificités des experts interrogés.
97Tout d’abord, la Constitution d’une préliste d’information a probablement influencé le déroulement de l’enquête et donc orienté les réponses des experts. Pour maîtriser au maximum l’influence d’une telle démarche, nous avons amené les personnes interrogées à aménager la liste afin de l’adapter au contexte et la rapprocher au mieux de leurs attentes.
98Ensuite le remplacement pour certains experts du troisième tour du Delphi par un entretien téléphonique a peut être induit un biais dans les réponses. Ce biais est certainement présent mais reste à notre avis négligeable au niveau de notre enquête. Nous avons en effet enregistré peu de commentaires sur la liste d’informations entre le deuxième et le troisième entretien. L’interactivité avec l’expérimentateur a été davantage dirigée vers la définition de la qualité de l’information et de son contenu.
99À ces limites méthodologiques, peut se rajouter l’extrapolation des résultats à l’ensemble du marché financier. L’enquête menée a certainement contribué à mieux cerner les attentes en termes d’informations non financières mais il est difficile d’en tirer une représentativité fidèle du marché. Les notions de convergence des avis ou d’effort optimum de publication présentent ici leurs insuffisances.
100Le travail effectué dans le reste du papier sur la stabilité du consensus tente de répondre partiellement à cette difficulté. Nous avons essayé de comparer les réponses avancées par les analystes financiers et par les gérants de portefeuilles pour mesurer la convergence des attentes. Une coïncidence des réponses a été démontrée et appuyée par les résultats du test de Wilcoxon.
101Ces conclusions nous permettent d’une part de confirmer la convergence des attentes de publications des acteurs du marché financier. D’autre part, de justifier (ne serait-ce que partiellement) le raccourci souvent utilisé dans la littérature qui est l’interrogation exclusive des analystes financiers pour rendre compte des comportements d’investissements du marché.
Annexe 1 - Informations présentées aux experts lors du deuxième entretien
Annexe 2 - Exemple de présentation de l’opinion du groupe à un analyste financier (X) lors du deuxième entretien
102Le tableau ci-après résume les résultats du premier tour des entretiens. La médiane vous donne une indication sur la concentration des réponses. La note minimale et la note maximale vous donnent une idée sur les réponses extrêmes.
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Notes
-
[1]
Edvinsson et Malone sont les auteurs d’un ouvrage fondateur sur le sujet « Intellectual capital, realizing your company’s true value by finding its hidden brain-power ». Cet ouvrage est le résultat de travaux menés à partir de 1992 chez l’assureur suédois SKANDIA. Selon ces auteurs, le capital immatériel peut essentiellement prendre trois formes : le capital humain, le capital structurel interne (regroupe toutes les informations sur l’organisation l’innovation et le savoir faire) et le capital structurel externe (essentiellement porté sur le capital client).
-
[2]
Les enquêteurs ont examiné le contenu de 300 rapports d’investissements et la fréquence d’apparition d’éléments non financiers.
-
[3]
Cf. La perception du capital immatériel par le marché financier français (Béjar, 2006). L’auteur développe une typologie du capital immatériel tel qu’il est perçu par le marché financier français. Dans cette typologie, toutes les informations de nature non financières attendues par le marché relèvent du capital immatériel.
-
[4]
Informations utilisées dans leurs analyses financières
-
[5]
Pour un listing des applications des méthodes Delphi se rapporter à l’article de Gupta et Clarke (1996).
-
[6]
Les experts notent sur une échelle de Likert de 7 points les informations qu’on leur soumet.
-
[7]
La phase 1 du Delphi est décrite dans le paragraphe 2.2, La phase 2 du Delphi est décrite dans le paragraphe 2.3, Les phases 3,4 et 5 du Delphi sont décrites dans le paragraphe 2.4.
-
[8]
Ces derniers sont considérés comme des prescripteurs à l’investissement.
-
[9]
Il faut compter un entretien pour le brainstorming, un autre pour affiner la liste et généralement trois entretiens pour l’identification du consensus (s’il existe).
-
[10]
Les résultats sont soumis aux experts lors de la deuxième étape du Delphi : c’est la rétroaction de l’information.
-
[11]
Les experts sont tenus de justifier leurs nouvelles notations si elle est fortement déviante par rapport au groupe ou par rapport à une notation donnée précédemment.
-
[12]
Le groupe est constitué de l’ensemble des experts interrogés.
-
[13]
L’ensemble de ces détails sera exploité dans un travail ultérieur pour quantifier l’information publiée par l’entreprise sur son capital immatériel et mesurer statistiquement son impact sur la valorisation de la firme par les marchés financiers.
-
[14]
Même si les résultats du test de Kendall (cf. tableau 9) et la concentration des notes autour de la médiane (cf. tableau 8) semblent privilégier l’unicité de cet « optimum », seule une analyse par sous population peut le confirmer.
-
[15]
Il serait intéressant d’explorer ce positionnement d’une manière plus approfondie. Une enquête exploratoire peut être menée pour tenter d’expliquer pourquoi les gérants n’exploitent pas d’une manière systématique les recommandations d’analystes.