Notes
-
[1]
Selon la logique de l’analogie qualitative mise à jour par Evans-Pritchard (1956) dans son étude sur la religion des Nuer, « – écrivait Lévi-Strauss dans la Pensée Sauvage – un concombre vaut, en tant que victime sacrificielle, un œuf, un œuf un poussin, un poussin une poule, une poule une chèvre, une chèvre un bœuf » (2008 : 798).
-
[2]
Parry a montré que cet usage de l’épithète est tellement généralisé dans l’épopée homérique que l’adjectif « divin », par exemple, peut s’appliquer aussi bien aux dieux, aux guerriers et aux héros qu’à un « troupeau de cochons » (cit. in Nagy, 1994 : 61, 152).
-
[3]
Pour un premier développement à partir de cette définition, voir les textes réunis par J. Bonhomme, F. Berthomé et G. Delaplace in HAU, Journal of Ethnographic Theory 2 (2) : 129-312.
-
[4]
Ce qui va suivre, bien évidemment, ne reflète que mon point de vue, et n’engage donc que ma responsabilité.
« Les vivants viennent des morts comme les morts viennent des vivants »
2Qu’est ce qu’un rituel ? Dans un livre paru une première fois il y a une vingtaine d’années (1994 ; repris et augmenté quelques années plus tard : 1998 et 2009) M. Houseman et moi-même avons soutenu qu’un rite, plus que par son sens et sa fonction, est défini par sa forme. Par forme, nous entendions une configuration relationnelle particulière, qui confère à l’interaction rituelle une dimension ontologique propre, se situant en position de forme et de fonds par rapport à la vie sociale ordinaire. Cette dimension, que nous définissons dans le sillage de Bateson (1977-1980) comme une fiction sérieuse, n’impliquait pas seulement, comme le voulait la tradition anthropologique, que le monde évoqué au sein d’un rituel fût toujours à interpréter selon un registre symbolique, et que donc, comme dans le cas du sacrifice chez les Nuer analysé par Lévi-Strauss (2008), un concombre puisse par exemple prendre la place d’une victime animale [1]. Pour nous, non seulement les objets, mais aussi les sujets de l’action rituelle se trouvaient définis par un statut particulier de l’identité, composé à la fois de traits pluriels et contradictoires. Ainsi, comme dans le Naven, le rituel de travestissement océanien que nous avions choisi d’analyser, une mère pouvait, à certaines conditions, se situer par rapport à son fils en position d’épouse, tandis que son fils pouvait, par rapport à elle, assumer une position d’ancêtre. Dans d’autres cas, un oncle maternel pouvait, quant à lui, se situer par rapport à son neveu utérin, simultanément en position de mère (grâce à une identification avec sa sœur) et d’épouse (grâce à l’identification d’ego avec son père). Le Naven permettait de mettre à jour une dynamique spécifique au rituel, qu’on pourrait appeler de complexité croissante. La cérémonie n’assumait pleinement sa forme que lorsque, en mobilisant progressivement des groupes d’oppositions binaires définissant l’identité spéciale des participants, elle finissait par opposer non plus seulement des hommes à des femmes, ou des géniteurs à des enfants, mais aussi, croisant les deux axes du genre et de la descendance, des groupes d’ hommes maternels à des groupes de femmes paternelles, réalisant ainsi, le temps de la célébration d’un Naven, une sorte de transformation généralisée du corps social.
3Depuis, nous avons essayé de généraliser ce modèle, qui s’appliquait alors à un seul exemple, choisi pour son caractère à la fois élémentaire et paradigmatique. Nous avons d’abord cherché à dépasser les limites imposées à notre approche par les traits spécifiques du cas empirique que nous avions choisi d’analyser. Ainsi, puisque le Naven se présentait comme une interaction, bien que complexe, en grande partie fondée sur des couples binaires, M. Houseman a essayé d’appliquer notre méthode à des cas d’action rituelle où la forme de l’interaction mobilisait des ensembles à trois termes (Houseman, 2012). Pour ma part, j’ai proposé d’étendre l’approche relationnelle d’abord à des situations où c’est un certain usage du langage (dont le rôle est mineur dans le Naven), qui réalise l’action rituelle (2002, 2007), et ensuite à des rites où, grâce à une abduction de subjectivité, un artefact inanimé prend la place du sujet de l’action (2008, 2010).
4Dans cet article je voudrais essayer de franchir un pas de plus, et montrer comment l’approche relationnelle peut éclairer des situations où l’interaction se trouve inscrite dans des contextes autres que rituels. Soit parce que ces interactions ne satisfont pas, comme certaines formes de jeux, toutes les conditions qui définissent normalement une situation cérémonielle, soit parce qu’elles se trouvent inscrites non pas dans un seul rite, mais plutôt dans des cycles d’actions qui mobilisent différents rituels.
5Pour cette première exploration, qui poursuit aussi une recherche que j’ai commencé ailleurs sur la relation rituelle entre morts et vivants en Grèce ancienne (2010), je prendrai comme point de départ les jeux funéraires destinés, dans l’Iliade, à honorer la mémoire de Patrocle.
6* * *
7Dans le Livre XXIII de l’Iliade, Homère décrit le grand rituel qu’Achille célèbre à la mémoire de Patrocle. Les faits qui, dans l’épopée, ont précédé cette célébration sont connus : devant le refus d’Achille de continuer à combattre pour la conquête de Troie, Patrocle a pris ses armes et son armure pour aller au champ de bataille à sa place. En pleine bataille, il a rencontré Hector qui, grâce à l’intervention secrète d’Apollon, a pu le tuer. Furieux, Achille venge Patrocle, en tuant Hector. Cet acte de guerre n’épuise pas son deuil, et ne calme pas sa douleur. Trois épisodes décrivent, dans cette partie de l’Iliade, l’extraordinaire douleur d’Achille. Le premier est centré sur la violente réaction du héros à la nouvelle de la mort de son ami :
« Il parla ainsi et un nuage noir de douleur l’enveloppa. En prenant des deux mains la cendre brûlée, il s’en frotta la tête et le beau visage. La cendre souilla sa douce tunique, et puis il se jeta à terre longtemps, et il se défigurait le visage, et il s’arrachait les cheveux » (Homère, 2002, XVIII : 22-27).
9Le deuxième épisode, parmi les plus connus de toute l’épopée, a lieu pendant la nuit. Après le repas avec les autres guerriers Mirmidons, Achille s’endort. Pendant son sommeil, l’image de Patrocle lui apparaît :
« Enfin le sommeil le prend donnant congé aux soucis de son cœur, épandant sa douceur sur lui… Et voici que vient à lui l’âme du malheureux Patrocle, en tout pareille au héros pour la taille, les beaux yeux, la voix, et son corps est vêtu des mêmes vêtements. Il se dresse au-dessus de son front et il dit à Achille : « Tu dors et moi, tu m’as oublié, Achille ! Tu avais souci du vivant, tu n’as nul souci du mort ». Ensevelis-moi au plus vite, afin que je passe les portes d’Hadès (Livre XXIII : 60-70).
11Achille cherche à l’embrasser, veut pleurer avec lui :
« Mais viens plus près de moi, qu’un instant au moins, aux bras l’un de l’autre, nous jouissions de nos tristes sanglots » (Livre XVIII : 96-99).
13Mais il s’aperçoit aussitôt que seule une « âme » ou une « ombre » est restée de Patrocle, où l’« esprit » (frenes) a disparu :
« Il… tend les bras, sans rien saisir, l’âme, comme une vapeur, est partie sous terre, avec un petit cri » (ibid. : 100-101).
15En réalité, Achille ne peut calmer sa douleur sans que son deuil ne prenne une forme publique. Une fois essuyées ses larmes, son devoir est d’accomplir un rituel. C’est ce qui est décrit au Livre XXIII : une célébration solennelle, qui mobilise à la fois l’action rituelle et les jeux funéraires. Unique dans l’Iliade, ce grand rituel se distingue par l’excès de fureur qui caractérise les actes d’Achille, et par une référence constante au sacrifice, qui est normalement, en Grèce ancienne, réservé aux divinités. Achille y organise, à la mémoire de Patrocle, un véritable holocauste de victimes sacrificielles. À l’« implacable élan du feu » sont offerts des moutons, des chiens, des chevaux, des jarres remplies de miel et d’huile, mais aussi « douze nobles fils des Troyens magnanimes », qu’Achille massacre avec son épée (Livre XXIII : 175), un cas virtuellement unique de sacrifice humain dans l’épopée homérique. Une fois le rituel terminé, Achille retient ses guerriers, les invite à s’asseoir en cercle, et lance un appel aux jeux.
16Or, à quoi jouent les guerriers d’Homère ? Achille annonce bien un « prix pour les cavaliers rapides » (Homère, 2002, XXIII : 262). Mais une seule compétition ne peut suffire. Il faut, en l’honneur du mort, établir, par une série d’épreuves (la course, le pugilat, le javelot, le disque, le combat armé…) quel guerrier sera déclaré le meilleur. Achille, dont l’un des épithètes est précisément celui-là, « meilleur des Achéens », ne participe pas aux jeux, tout en y jouant un rôle essentiel. Au cours du rituel, il a joué le rôle d’organisateur et de célébrant. Dans les jeux funéraires, il devient juge. C’est lui qui va déclarer qui sera le vainqueur. Dans la Grèce d’époque homérique (les spécialistes s’accordent à la situer autour du viiie siècle A.C.), comme dans beaucoup d’autres cultures, la compétition ludique couronne donc l’action rituelle, mais ne fait pas partie du culte. Qu’apporte donc le jeu à la célébration du rite ? Pourquoi le passage d’un contexte à l’autre, de la célébration d’un deuil à la compétition, semble ici aussi naturel que nécessaire ? Quelle image du mort émerge pendant les jeux, et comment cette image ludique se distingue-t-elle de sa représentation rituelle ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre ici.
17Les anthropologues ont longtemps débattu sur la relation qui peut s’établir, dans bien des sociétés, entre rite et jeu (Valeri, 1981 : 210-243), et notamment entre rituels funéraires et jeux de compétition, sans qu’une position claire n’émerge véritablement de ces débats. La position de Claude Lévi-Strauss, exposée en quelques pages dans La Pensée Sauvage, tranche par sa clarté et par sa puissance d’intuition. Résumons son argumentation (2010 : 48). Lévi-Strauss s’interroge sur la relation entre action ludique et action rituelle en analysant les usages funéraires d’un groupe Algonquin des Grands Lacs, les Mesquakie, que les colons Français de l’Amérique du Nord, qui leur ont longtemps fait la guerre, ont appelés Fox. Comme les Achéens d’Homère, pour honorer leurs guerriers morts en bataille, les Fox pratiquaient aussi bien des rituels que des jeux. Lorsqu’un guerrier mourait, la tradition imposait avant tout de remplacer immédiatement le mort par un être vivant. Cette nécessité prenait une double forme. La première était rituelle, individuelle, et éphémère. Un des compagnons d’armes du défunt dansait une danse qui donnait à voir les circonstances de sa mort. La source de Lévi-Strauss, un texte de 1903 de Truman Michelson publié dans le Bulletin of American Anthropologists, décrit l’un de ces guerriers, dont le nom était Hirondelle à Tête Blanche qui se lance dans une folle course à cheval, tombe comme son camarade était tombé, pour finalement « mourir » comme lui, en une sorte de pantomime funéraire, dont il sortait naturellement bien vivant. En ce cas comme dans certains rituels messianiques Apache, où l’on dansait directement sur la tombe du mort pour le faire immédiatement revenir à la vie (Severi, 2007), la relation entre le vivant et le mort était individuelle et directe : la mort du guerrier était à la fois représentée et niée par la présence d’un remplaçant vivant, qui s’identifiait rituellement avec lui. Toutefois, l’effet de cette sorte de pantomime ne pouvait être que temporaire, puisqu’elle n’empêchait pas, aux yeux des Fox, le retour de l’âme du guerrier disparu parmi les vivants.
18Pour s’assurer de sa disparition définitive, les Fox pratiquaient une deuxième forme de remplacement du défunt , plus stable : l’adoption d’un vivant réel à la place du mort, que seuls les jeux funéraires, fondés sur la compétition, rendaient possible. Les guerriers se partageaient alors en deux groupes de joueurs : ceux qui, pour l’occasion, représentaient les « vivants » et ceux qui représentaient les « morts ». La règle de la compétition, pourtant, était fixe : les « morts » (c’est-à-dire le groupe social dont le mort faisait partie, et qui devait donc rituellement adopter un « remplaçant ») gagnaient toujours sur les « vivants », qui devaient leur fournir un nouveau guerrier, pour récompenser leur « victoire ». Par rapport à la danse du guerrier, le jeu collectif n’établissait donc plus une relation d’identification directe, un à un, entre un guerrier vivant et un guerrier mort. Le jeu de compétition représentait plutôt la relation aux morts à travers l’invention « par jeu » d’une autre relation, qu’on pourrait appeler d’opposition fictive, entre deux groupes de vivants. Le groupe des guerriers Fox, pour honorer ses morts, se scindait donc en deux.
19Lévi-Strauss proposait de voir dans cette action ludique l’opposé de l’action rituelle. Si le rituel sert à établir un lien social – écrivait-t-il – le jeu (et notamment le jeu de compétition) a pour fonction d’interrompre temporairement ce lien, en créant une dimension dans laquelle la norme sociale se trouve suspendue. Il en déduisait que l’action ludique se fonde sur la reconnaissance d’une dimension distincte de la vie quotidienne. Une fiction socialement approuvée, dont la « séparation des antagonistes », si fréquente dans les jeux de compétition, est l’exemple le plus simple. Lévi-Strauss en concluait que :
« Le jeu apparaît ici comme disjonctif : il aboutit à la création d’un écart différentiel entre des joueurs individuels, ou des camps, que rien ne désignait au départ comme inégaux. Pourtant, à la fin de la partie, les uns et les autres se désignent en perdants et gagnants » (Lévi-Strauss, 2010 : 48).
21Nous reviendrons sur cette intuition théorique de Lévi-Strauss sur la nature de l’action ludique, et sur ses conséquences. Reconnaissons pour l’instant que, si l’on adopte cette perspective, on ne pourra comprendre quelles analogies et quelles différences s’établissent entre rituel et jeu dans le cas homérique sans comprendre quelles relations s’instaurent, dans la dimension fictive du jeu, entre Achille, les joueurs et l’image de Patrocle défunt. En fait, comme un certain nombre de commentateurs, parmi lesquels Erwin Rhode et Giorgio Agamben, l’ont reconnu, les jeux homériques se caractérisent par un trait distinctif tout à fait singulier : puisque l’action ludique est délibérément inscrite dans le rituel funéraire, les joueurs ne jouent pas seulement entre eux. Pendant les jeux, au sein de cette « dimension exceptionnelle » qui fonctionne comme prémisse implicite de l’action, quelque chose comme « une présence réelle du mort » (Rhode, 1952 ; Agamben, 2001) émerge. En engageant une compétition entre eux, les guerriers qui se livrent au jeu jouent donc aussi, d’une manière qu’il faudra élucider, avec Patrocle. Cette idée, qu’Agamben a assimilé un peu vite à des pratiques contemporaines (comme celle, qu’il rappelle, de « jouer aux cartes avec le mort ») est sans doute cruciale pour la compréhension de ce type de jeux. Mais comment penser cette présence du héros mort au combat aux côtés des joueurs ? Comment évaluer les modalités et les conséquences de cette présence de Patrocle dans la comparaison entre l’action ludique et l’action rituelle ? Pourquoi joue-t-on, à quoi joue-t-on dans les jeux funéraires pratiqués par les guerriers mobilisés par Achille ?
22Les commentateurs de l’Iliade répètent, l’un après l’autre, que les guerriers achéens ne jouent pas seulement pour s’approprier des prix qu’Achille promet aux vainqueurs (parmi lesquels Homère énumère « des bassines, des trépieds, des chevaux, des mules, des têtes fières de bœufs et des captives à belle ceinture » (Homère, 2002, XXIII : 260 et suivants), mais aussi et surtout « en l’honneur de » Patrocle. C’est là le vrai but collectif du jeu offert au héros défunt. Mais quelle relation entre Patrocle, le groupe des joueurs et le vainqueur du prix qui se sépare de son groupe en tant que « meilleur des guerriers » est ici désignée par le mot « honneur » ? Comment insérer ces relations ludiques au sein d’un rituel qui semble suivre sa propre logique, orientée par une forme spécifique de relation entre célébrant et défunt ? Pour répondre à ces questions, nous reviendrons d’abord au texte de l’Iliade, pour analyser en détail le rituel qui s’y trouve décrit. Avant d’essayer de comprendre la dynamique du jeu, il nous faudra donc saisir, dans toute sa complexité, l’ensemble des relations mobilisées par le rituel funéraire homérique.
23Mais signalons d’abord une difficulté préliminaire. Tel qu’il nous est apparu au cours d’autres études, le rituel funéraire grec (par exemple celui qui s’organise autour de l’attribution d’une parole à un kouros ou à une koré) se déploie entièrement à travers l’élaboration d’une image et d’un acte verbal, qui se situent dans le présent d’une action rituelle bien réelle. Qu’ils viennent de sources écrites ou de l’archéologie, les témoignages rassemblés par Svembro (1993) ou Vernant (1989, 1990) permettent toujours, en ces cas, de reconstituer un acte. Le cas de l’Iliade semble profondément différent. La description du rituel accompli par Achille est non seulement située à une époque mythique, dont seule la tradition orale témoigne, pour nous comme pour les Grecs que nous connaissons. Achille et Patrocle ne sont au fond que les personnages d’une intrigue. Ils se trouvent inscrits en une séquence narrative, qui en constitue, pour ainsi dire, l’horizon et la prémisse. Nous avons pu, dans nos analyses de la parole rituelle prêtée aux statues funéraires en Grèce archaïque (Severi, 2010), étendre l’étude des relations d’identification de la pure action rituelle opérée par des personnes réelles, à l’univers des artefacts. On a ainsi pu comprendre certains actes et certaines paroles que les humains leur attribuaient. Mais comment imaginer d’appliquer cette méthode à une narration ? Comment passer d’un célébrant réel (ou supposé tel) au protagoniste d’une épopée ? La difficulté ne concerne pas seulement le passage d’un acte accompli dans certaines circonstances et sous certaines conditions à la narration. Elle implique aussi des aspects techniques. Dans le cas de la lecture de l’épitaphe par le célébrant (par exemple celle citée par Vernant : « je suis Glaukos, le jeune guerrier que tu as connu vivant »), nous savons que le vecteur de l’identification était un effet de redondance qui s’organisait autour de la parole « je », qui signifiait, au sein de cet acte verbal, aussi bien le célébrant que le défunt. Quelle technique linguistique permettrait d’établir un processus d’identification analogue au sein d’une narration poétique ? Quelle serait l’action, ou la circonstance, qui permettrait, dans l’œuvre d’un poète, de reconstruire un « je » complexe, une identité constituée de traits contradictoires, comme celle que nous avons pu attribuer au célébrant du rituel funéraire ?
24Pour répondre à cette question, une contribution cruciale nous vient des travaux de Gregory Nagy (1994) sur la tradition orale homérique. En reprenant les découvertes de Parry (1971) et les perspectives comparatistes de Lord (1960), Nagy rappelle qu’on ne trouve jamais, dans cette forme de poésie, régie par une extrême rigueur technique, d’écart individuel par rapport à une tradition. Chez Homère, écrit Nagy (1994 : 23) un contenu spécifique (une action de guerre, une rencontre, un voyage, un banquet) se trouve toujours étroitement lié à une formule presque fixe. La diction du texte, sa forme spécifique dans la tradition, y est toujours liée à un thème. Cette étonnante exactitude formelle de l’Iliade et de l’Odyssée, qui a fait penser à un véritable principe d’économie verbale (Parry, 1971 ; Page, 1959 : 222-224 ; Nagy, 1994 : 23) qui gouvernerait l’ensemble de l’épopée, est la preuve, pour Nagy, que cette poésie n’est pas l’œuvre individuelle d’un poète. L’épopée grecque est le produit d’un processus collectif, anonyme et lent (dont la dernière phase se situe du viiie à la fin du vie siècle av. J.-C., date à laquelle nous trouvons encore, notamment chez les peintres de vases, des traditions homériques qui n’apparaissent pas dans la version que nous connaissons (Lowenstam, 1997). Ce processus d’affinement progressif est fait d’innombrables sélections, mises à l’épreuve et ajustements qui transforment un grand nombre de traditions locales, chantées par des aedoi différents, en ce grand patrimoine de traditions orales, collectif et panhellénique, que nous rassemblons, par convention, sous le nom d’Homère. Les thèmes dominants, l’art et la technique verbale de ces poèmes « ne sauraient être assignés à un seul poète. Ils appartiennent aux innombrables générations de poètes antérieurs imprégnés des mêmes traditions » (Nagy, 1994 : 25).
25L’univers du poème homérique coïncide donc avec l’univers de la tradition de la Grèce archaïque. Son langage et ses thèmes coïncident avec ceux de la tradition. L’exemple le plus simple de la relation exacte entre forme et contenu qui serait le résultat de ce processus est l’usage de l’épithète. Lorsqu’il mentionne par exemple, la flotte des Grecs, le poète homérique aura très souvent recours à une formule évoquant la légèreté, la vitesse, la forme ou la couleur noire des bateaux. Achille y sera toujours appelé « seigneur d’hommes », « fils de Pelée », ou « pied rapide ». Zeus sera appelé « fils de Chronos » ou « pensée complexe ». Les chênes seront toujours « de haute chevelure » ; la mer sera dite « hurlante » ou, plus rarement « couleur du vin ». En fait, Nagy a montré qu’on peut identifier, au sein de la tradition orale homérique, deux mouvements présidant à l’usage de ces définitions verbales. D’une part on trouve un processus de dissémination, qui conduit à la prolifération de certains termes, comme « divin » [2]. D’autre part, le répertoire des épithètes dont dispose un poète semble faire l’objet d’un processus de sélection, qui limite l’usage de certaines formules précises à des personnages bien définis.
26Nagy propose donc de distinguer entre des épithètes génériques et des épithètes distinctives (Nagy, 1994 : 40). De ces dernières, Homère fait un usage très rigoureux. La formule « égal à Arès », par exemple, qui qualifie un guerrier comme semblable au dieu de la guerre est réservée dans le poème (à la seule exception de Léonce) à deux personnages : Achille et son antagoniste troyen, Hector (ibid. : 340). Il y a donc une logique rigoureuse dans l’usage de ces formules verbales. Mais Nagy a montré que la tradition homérique n’affine pas seulement les formules et les épithètes. Elle sélectionne et définit soigneusement les mots eux-mêmes, et avant tout les noms propres des personnages. En tant que forme verbale spécifique qui s’inscrit dans une diction, le nom propre homérique acquiert un sens, un rapport direct avec un contenu. Pour saisir l’identité d’un personnage de l’épopée, il faut donc traduire le nom propre, et l’associer à la série d’épithètes que la tradition lui attribue. Le mot « Achille » est par exemple traduit par Nagy, comme « celui qui porte le deuil (akhos) à son groupe de guerriers (laos) » (ibid. : 93 et suivantes), une définition qui contient une sorte de préfiguration de son destin et du rôle qu’il joue dans l’intrigue. De même Patroklos, signifie « celui qui porte le kléos (la renommée posthume) des ancêtres (patroon) ».
27Le caractère d’un personnage de l’épopée est donc défini par la tradition par un processus très probablement lié à une technique mnémonique : caractérisé d’abord par un groupe d’épithètes génériques (dont dios : « divin », « anax andron », seigneur d’hommes, « pied rapide » etc.) un personnage comme Achille sera de plus en plus individualisé à travers l’usage d’un groupe restreint d’épithètes spécifiques, dont « fils de Pelée », « meilleur des Achéens » et, comme on a vu, « égal à Arès », avant que le sens de son nom propre n’indique, par allusion, sa propre histoire.
28Cette approche a le mérite d’éclairer aussi bien le contenu de l’épopée que les aspects formels, et même techniques, de la tradition grecque ancienne. On pourrait, en d’autres termes, concevoir les séries noms propres/épithètes génériques et distinctives comme des foyers de mémoire. Si le nom des personnages a un sens, on peut en effet le concevoir comme un instrument mnémonique. Si au nom propre s’ajouteront, dans le cours de la narration, des épithètes distinctives, on pourra reconnaître, à travers leurs usages, les épisodes auxquels ils se réfèrent. Certains traits des mnémotechniques archaïques, dont on connaît seulement les résultats, pourraient ainsi, grâce à l’analyse de la relation entre noms propres, épithètes et peut-être aussi, épisodes, apparaître sous une lumière nouvelle.
29Ce point – qu’il faudra articuler avec quelques pages d’Auerbach (1973) sur le style d’Homère – méritera sans doute une étude à part. Retenons, pour l’instant, que la tradition orale dont témoigne l’épopée homérique est un phénomène collectif et anonyme, parfaitement comparable à l’univers du rituel que nous avons étudié ailleurs : le langage du poète y coïncide toujours avec celui de la tradition, et chaque personnage s’y trouve défini par une série de formules verbales qui permettent d’en mémoriser, progressivement et avec exactitude, l’identité, les fonctions et, parfois, à travers l’interprétation du nom propre, le destin qui l’attend.
30Mais il y a plus. L’épithète homérique ne sert pas seulement à marquer dans la mémoire du poète oral un personnage, par exemple à travers sa fonction (« héraut à la voix résonnante »), ou son lignage « Antiloque le Neleïde »). Lorsqu’il se focalise sur l’épithète distinctive, ce mode de définition « par formule verbale » peut devenir plus complexe, et assumer une fonction nouvelle. L’exemple sur lequel Nagy a le plus travaillé concerne précisément les deux protagonistes du rituel et des jeux funéraires que nous allons étudier : Achille et Patrocle. Reprenons l’épisode où commence la vie de guerrier de ce dernier (Homère, 2002, Livre XI : vv. 604 et suivants). Patrocle s’habille de l’armure et des armes d’Achille, et sort de la tente pour rejoindre le champ de bataille où il va trouver la mort. À ce moment-là Homère le définit, une seule fois dans tout le poème, comme « égal à Arès » (Nagy, 1994 : 56-57), le dieu de la guerre.
« Patrocle sortit, égal à Arès, et ce fut le début de son malheur » (Homère, 2002 : XI, 604).
32Le poète utilise ici, pour compléter la définition « par nom propre et épithètes multiples » de Patrocle, un épithète normalement réservé, au moins dans le camp des Achéens, à Achille. Indirectement, Patrocle incarne ainsi, par le nom qu’il porte, la figure d’Achille. L’usage de l’épithète distinctif ne véhicule plus, en ce cas, une définition générique du personnage, liée à sa mémorisation. Il sert à transférer provisoirement sur un personnage (à la manière d’une image : tout comme les armes d’Achille qu’il porte) une formule verbale qui en caractérise normalement un autre, tout en préfigurant, pour la mémoire du poète oral, un développement à venir de l’intrigue.
33Du point de vue technique, il s’agit sans doute d’une indication proleptique, à travers laquelle la mémoire d’un personnage inclut ici son futur, le destin que l’épopée lui réserve. Mais l’échange d’épithète devient aussi un moyen pour établir un premier indice d’une relation d’identification entre Patrocle et Achille, qui va s’intensifier progressivement dans le texte. L’un apparaît ainsi, une première fois, sous les apparences de l’autre. Cet exemple offre donc une première clé technique pour montrer comment la narration épique peut, par ses propres moyens, accomplir ce que le rituel réalise par l’action : une identification, bien que partielle et liée à une circonstance spécifique, de personnages différents.
34Voyons maintenant comment cette relation, que l’usage de l’épithète permet de représenter, presque sous forme de préfiguration narrative, se développe dans l’action rituelle.
L’image à travers le texte : Identification, hiérarchie et préfiguration
35Le rituel commence par des pleurs. La nécessité de « rendre son dû » à Patrocle se répand parmi les Mirmidons comme un impératif moral. Il faut donner à Patrocle son géras, sa part du butin de guerre. Seulement ainsi, pourra-t-il se réfugier dans l’Hadès, et ne plus tourmenter les vivants, comme il l’a promis à Achille. Entouré de ses guerriers, Achille « met ses mains d’homicide », qui ont tué Hector, sur le corps de Patrocle. Commence ainsi un cycle d’actions qui semble suivre deux trajectoires parallèles : l’honneur rendu à l’ami pour sa « belle mort » coïncide avec l’outrage perpétré sur le cadavre d’Hector. Il est d’ailleurs possible que là réside la raison de l’excès, relevé par tous les interprètes de ce passage, qui caractérise ce rituel. À l’excès de cruauté qui se manifeste sur le corps d’Hector doit correspondre, par une sorte d’hyperbole, l’excès d’honneur (exprimé par un géras hypertrophique) qu’Achille veut rendre à la mémoire de Patrocle. En fait, Achille, avant de célébrer le rituel à la mémoire de Patrocle, « étend le corps d’Hector, face au sol, dans la poussière » (XXIII : 25), le blessant et l’humiliant. Il le lie à son char et le traîne dans la boue, avant de l’abandonner, outragé, en pâture aux chiens et aux oiseaux. Au corps de Patrocle, sont au contraire consacrés le feu et le sang des victimes du sacrifice :
« force taureaux blancs meuglent autour du fer qui entre dans leur gorge, force brebis et chèvre bêlantes ; force porcs aux dents blanches, débordant de graisse, grillent, étendus au milieu du feu d’Héphaïstos ; et leur sang, puisé à pleines coupes, coule partout autour du mort » (ibid. : 30-32).
37Suivent les scènes, dont on a déjà en partie parlé, dans lesquelles Achille se montre en proie au « désir endeuillé » (le pothos) d’entrer en contact avec le mort, et presque, de mourir comme lui. Patrocle répond à Achille par une prédiction et par une requête. Avant tout, il lui révèle qu’au moment de sa propre mort, Achille va subir le même sort (« et ton destin à toi-même, Achille pareil aux Dieux, n’est-il donc pas aussi de périr sous les murs des Troyens opulents ? » (ibid. : 80-82). Nous savons, en effet, qu’Achille sera tué, tout comme Patrocle, par Apollon. Ensuite, Patrocle demande que ses os et ceux d’Achille soient un jour enfermés dans la même urne. À cette image de conjonction des corps et des destins du défunt et du célébrant du rite, répond le geste du groupe des guerriers, qui, plus tard coupent leurs cheveux et en recouvrent le corps de Patrocle. Ce geste inclut Patrocle dans ce qu’on pourrait appeler le corps commun des guerriers (« ils avaient revêtu le cadavre de leurs cheveux »). Même après sa mort, Patrocle est donc l’un d’entre eux. Plus tard, Achille reprendra ce geste, et déposera ses propres cheveux « dans les mains de son ami » (Homère, 2002, XXIII : 135-136 ; Vernant, 1989 : 66).
38Suit la scène du sacrifice par le feu. Achille enduit le corps de Patrocle de la graisse des victimes sacrificielles. Il ajoute le miel, et jette dans le feu les victimes : des chevaux, des chiens, des moutons et douze jeunes Troyens (Homère, 2002, XXIII : 175). Après plusieurs tentatives d’animer le feu, qui a du mal à prendre, Achille, en pleurs, verse une dernière fois le vin pour Patrocle (ibid. : 222), et passe à la répartition des os, en séparant ceux des animaux sacrifiés de ceux du corps de son ami. Le site de la sépulture est marqué (ibid : 255) et les os sont recueillis dans une urne d’or, protégés par la graisse animale, et « couverts d’un souple tissu » (ibid : 254). Les indications d’une conjonction entre l’image d’Achille et celle de Patrocle sont si nombreuses dans cette séquence de scènes rituelles qu’il serait difficile de nier que la forme homérique du rituel funéraire ne se fonde, encore plus que sur l’expression publique du pothos, sur une identification entre célébrant et défunt. Lorsque Homère définissait Patrocle, sortant de la hutte qu’il partage avec Achille pour aller au combat « égal à Arès », il ne faisait que préfigurer un cycle d’actions qui conduisent à intensifier progressivement, au cours de la narration, une identification entre lui et Achille. Déjà au combat, Patrocle, qui a pris les armes de son ami, était, pour tous les guerriers, l’image d’Achille. Mais les mots de Patrocle, et les actions rituelles qui s’organisent autour de sa mort vont encore plus loin.
39Les deux amis « vont mourir d’une même mort »sous les murs des Troyens. Et après leur mort, leurs os seront mélangés dans une même urne. Ces indications convergent toutes sur un terme que l’épopée utilise constamment pour désigner le lien qui associe Patrocle à Achille : l’un est le terapon de l’autre. Quel est le sens de ce terme ? Comme Annie Schnapp-Gourbeillon l’a rappelé, « on a écrit des fleuves d’encre sur les rapports d’amitié entre Patrocle et Achille. Il est certain que, déjà dans l’Antiquité, le sens originaire de leur relation héroïque était déjà perdu, au point qu’elle était déjà réduite à un modèle assez banal de camaraderie virile » (1982 : 85). Le travail récent de Tarenzi (2005) nous permet d’éclaircir cette question. Ce terme a, bien souvent dans l’épopée homérique, la signification presque banale de « compagnon d’armes » ou « écuyer ». Il s’agit d’une définition disséminée dans l’épopée. Presque tous les grands guerriers ont, dans l’Iliade, leur terapon. C’est le cas de Ménélas, d’Agamemnon, d’Idoménée, de Sarpédon ou de Nestor. En général, on voit au cours de la narration, ces terapontes recevoir des invités, s’occuper des chevaux, aller chercher du bois, ou même, après une bataille, dépouiller de leurs armes les ennemis tués par leurs maîtres (références in Tarenzi, 2005). Comme Tarenzi l’a remarqué, le cas de Patrocle fait exception. On le voit bien, lorsqu’il habite sous la même tente qu’Achille, s’occuper de menus détails de la vie quotidienne de son maître. Mais, en ce cas, Homère ne l’appellejamais terapon. Cette diction n’apparaît que lorsqu’il s’agit de désigner une relation rituelle entre Achille et Patrocle. En fait, Nagy a démontré que ce terme désigne en ce cas une relation sociale bien moins vague que celle de « serviteur » ou de « compagnon d’armes ». « Terapon – écrit Nagy – est un mot que les Grecs ont emprunté, sans doute au cours du iie millénaire, à des langues anatoliennes, où il signifiait « remplaçant rituel » (1994 : 56, qui se réfère à Van Brock, 1959 et à Lowenstam, 1981 ; voir aussi Chantraine et alii, 1980).
40En fait, on trouve dans la littérature consacrée à la civilisation mésopotamienne, par exemple chez Bottéro (1987) une description de l’usage de ce terme, qui désignait à Sumer la personne ou l’animal qu’on choisissait pour remplacer le roi, lorsqu’un présage indiquait que celui-ci allait mourir, ou devait subir un destin funeste. Bottéro rapporte l’exemple d’un rituel célébré pour éviter la mort d’un roi malade. Le souverain devait se coucher dans son lit avec une petite chèvre. Le matin suivant, on creusait une tombe, où le roi et la chèvre devaient se mettre. On faisait alors le geste d’égorger les deux, sauf que, dans le cas du roi, l’exécution était feinte. On traitait ensuite le corps de la chèvre – qu’on appelait tarpalli – comme un cadavre humain : on la lavait, on la parfumait, on l’habillait des vêtements du roi, et on célébrait autour de sa dépouille un rite funéraire à la mémoire du roi (ibid. : 145-165).
41Techniquement, terapon (dérivé de tarpalli) est donc, dans son sens religieux, le remplaçant rituel de quelqu’un : celui qui peut, au cours d’un rituel, en prendre la place et en partager le destin. Dans le langage proposé par Nagy, il faudra donc en conclure que Patrocle (« honneur des ancêtres ») est pour Homère le remplaçant rituel d’Achille (« celui qui portera le deuil à son groupe de guerriers »). Mais cette étymologie – dont les spécialistes jugeront les fondements – ne peut naturellement suffire à une analyse, comme celle que nous tentons ici, centrée sur l’action rituelle. Comment associer ce concept général d’« identification cérémonielle » à la séquence d’actions qui scandent le rituel célébré par Achille ? La forme homérique de ce rituel, dont tous les commentateurs soulignent le caractère singulier, parfois même aberrant, renvoie certainement à une identification entre les deux. Mais cette relation s’y établit selon des modalités fort différentes de celles que nous avons pu identifier ailleurs. L’analyse de ces modalités nous permettra d’une part de préciser notre langage, et d’autre part de commencer à entrevoir un rapport inattendu entre rituel et jeux funéraires.
42Suivons encore Nagy. Celui-ci remarque qu’en un premier temps, l’Iliade présente Patrocle comme le « double mineur et récessif » d’Achille (Nagy, 1994 : 339). Patrocle vit dans sa tente, et le poète le représente comme un guerrier seulement lorsqu’il se trouve en présence de son protecteur. Du point de vue formel, donc, la relation entre Patrocle et Achille n’est pas une simple équivalence. Il s’agit plutôt d’une relation double, qui comprend deux niveaux : l’un implique une identité de nature entre les deux guerriers (qui sont « compagnons d’armes depuis l’enfance, lorsque Patrocle, qui avait tué un compagnon, a été accueilli dans la maison de Pelée »), l’autre impose au contraire une différence hiérarchique, où l’un est conçu comme supérieur à l’autre. En empruntant le langage de Louis Dumont (1966), on pourrait dire que la relation d’identité englobe ici une relation différente, proche de la domination de l’un sur l’autre, qui, parfois émerge nettement dans le texte. Or, le développement de la narration et la description du rituel modifient progressivement cet aspect de la relation entre les deux guerriers. À partir du moment où il sort de la tente pour aller au combat, Patrocle évolue jusqu’à devenir l’égal d’Achille. Cette évolution, qui se réalise en plusieurs étapes, devient particulièrement évidente lorsqu’Antiloque, sur ordre de Ménélas, raconte la mort de Patrocle au Livre XVII (Homère, 2002 : vv. 685 et suivants) :
« Antiloque, disciple de Zeus, viens ; désormais tu comprends toi aussi qu’un Dieu verse le deuil sur les Achéens et la victoire est désormais des Teucres : mort est le meilleur des Achéens, Patrocle, et aux Achéens il ne reste qu’un immense regret ».
44Nous reconnaissons ici un exemple de la technique d’échange de l’épithète que Nagy a mis en lumière : « Mort est le meilleur des Achéens – déclare le texte – , Patrocle ». Lorsqu’il entend cette épithète, le lecteur d’aujourd’hui (et le public d’Homère) attendait, naturellement, Achille, puisque « meilleur des Achéens » est une épithète distinctive qui lui est réservée. C’est à travers ce nouvel échange que le texte peut suggérer que la mort de Patrocle préfigure celle d’Achille, comme l’épithète « égal à Ares » appliqué à Patrocle préfigurait la valeur guerrière qu’il allait montrer au champ de bataille. En effet, Achille sera tué plus tard par le même dieu qu’a tué Patrocle, Apollon. Comme l’a remarqué Schnapp-Gourbeillon, « Patrocle et Achille sont, en ce moment, deux figures rigoureusement indissociables, qui représentent le héros dans les diverses manifestations de son ubris. Patrocle meurt à cause du même dieu qui va faire mourir Achille… un dieu, pas un homme, mettra fin à son existence ». Il faut rappeler, en effet, que Patrocle, malgré les apparences, n’a pas été tué par Hector. Comme Patrocle le déclare lui-même, Hector n’a aucun mérite : il « est venu entier » (Livre XVI : 850), parmi les hommes, après Euphorbe, mais aussi, et de façon décisive, après « le fils de Latone », Apollon. « La mort d’Achille est donc bien visible en filigrane dans la narration de la mort de Patrocle et des funérailles qui se célèbrent en son honneur » (Schnapp-Gourbeillon, 1982 : 85-86).
45Ce processus d’intensification de l’identification de Patrocle avec Achille atteint son acmé lorsqu’à l’annonce de la mort de Patrocle, comme l’écrit Nagy (1994 : 147), Thétis et les autres sœurs d’Achille, chantent une lamentation funèbre solennelle pour la mort d’Achille, que le texte présente par ailleurs comme vivant et prêt à la vengeance, comme si celui-ci était déjà mort, et son corps prêt pour la prothesis (l’exposition publique) rituelle :
« Écoutez donc sœurs Néréides, pour que vous sachiez bien quelle douleur j’ai dans le cœur. Moi, mère malheureuse d’un guerrier valeureux, j’ai engendré un fils parfait et puissant, il a la gloire parmi les héros. Il a poussé comme arbrisseau. Je l’ai élevé avec Patrocle, je l’ai envoyé à Troie pour combattre les Teucres, mais jamais je ne le reverrai de retour à sa patrie, dans la maison de Pelée » (Homère, 2002, XVIII : 52 ss.)
47À la mort de Patrocle, on pleure donc la disparition d’Achille. L’un remplace, cette fois complètement, l’autre. C’est là tout le sens du terme terapon, si on le comprend, comme Nagy propose de le faire, comme « remplaçant rituel ». Mais il faut reconnaître qu’Achille et Patrocle sont liés par une relation plus complexe que celle que nous avons appelé « identification rituelle » ailleurs. Composé en partie d’égalité absolue (impliquée lorsqu’Achille est saisi par le désir d’être, lui aussi, mort comme son ami), en partie de domination (lorsqu’Achille protège son ami inerme) et de préfiguration (lorsque Patrocle, par sa mort, annonce celle de son terapos) le lien qui fait de l’un le terapon de l’autre se situe à certains égards sur l’axe de la symétrie, et par d’autres aspects sur celui de la complémentarité. Ce sont les actions de Patrocle qui le conduisent d’une situation de « double mineur » à un statut plein de héros, équivalent à celui d’Achille. C’est ainsi qu’il peut devenir, comme lui « égal à Arès ». Lorsqu’il meurt sur le champ de bataille, il est ensuite reconnu, comme Achille, « le meilleur des Achéens ».
48Plus tard, ce sera encore à l’action rituelle de modifier les termes de la relation. Patrocle est maintenant célébré par Achille et ses Mirmidons comme le guerrier qui a atteint la « belle mort », cet état de « jeunesse définitive » (Vernant) qui fait de lui un héros presque divin. Là réside sans doute une autre raison de l’aspect exceptionnel de ce rituel, qui nous enjoint de ne pas en faire un modèle général. Patrocle est le destinataire d’une célébration solennelle pendant laquelle Achille va s’incliner devant lui, en rendant hommage à sa mort glorieuse. Au cours du rite, où la référence à l’identification entre les deux guerriers reste bien présente, l’aspect hiérarchique de la relation entre les deux s’inverse. C’est Achille, maintenant, qui va rendre hommage au héros. On peut même percevoir, au sein de l’action rituelle, comme un sentiment de compétition entre le défunt et le célébrant. Accomplir ce rituel signifie, à travers les mêmes gestes, à la fois s’identifier avec et reconnaître la supériorité de celui qui « ayant expérimenté le premier la mort au combat » (Nagy, 1994 : 341), a atteint le premier la condition de héros, qui le rend presque digne d’un culte. C’est pour cette raison que Patrocle, mort au combat en tant que « meilleur des Achéens », se voit célébré non seulement comme victime d’Apollon, mais aussi comme vainqueur d’une autre épreuve, celle qui conduit un humain à la condition de héros. À sa mémoire, les Grecs ne doivent pas seulement le kléos et le géras, mais aussi un sentiment plus proche d’une timé, cette révérence religieuse qui est presque exclusivement réservée, chez les Grecs, aux Dieux, et que les héros peuvent emprunter. Le tour de son terapon, qui pour l’instant se cantonne dans le rôle de célébrant, viendra plus tard. À lui aussi, un autel sera consacré sur l’Hellespont, où il prendra la forme d’un feu qui ne s’éteint jamais.
49En même temps, il est clair pour tous que l’un occupe, dans l’univers du rite comme dans celui du jeu, la place de l’autre. C’est Achille qui annonce et organise les jeux en honneur de Patrocle. C’est lui qui prépare et distribue les prix aux gagnants. La mort de son terapon est une annonce de la sienne, comme son honneur est le sien. C’est cette relation singulière, qui semble associer remplacement et compétition, qui permet d’entrer dans la dimension des jeux funéraires, où les deux terapontes rituels sont confondus dans une même double figure, où l’un peut toujours prendre la place de l’autre, comme « un autre soi-même » (Schnapp, in Vernant et Gnoli, 1982 : 86). La tradition des jeux panhélleniques fera même de cette figure ambiguë une image paradigmatique du héros. Les jeux en l’honneur de Patrocle deviendront en effet, pour toute l’Antiquité, l’ancêtre mythique des jeux olympiques. Ces jeux sont offerts à Patrocle, et ils sont destinés à en honorer la mémoire. À Olympe, on devait en effet, avant de commencer les jeux, accomplir un rituel funéraire. Mais ce rituel était célébré en l’honneur d’Achille, non de Patrocle.
50Avant de passer aux jeux, résumons notre analyse. Le rituel décrit par Homère, bien que marqué par une série d’anomalies liées à l’exaspération du contraste entre les deux morts en présence, Hector livré aux chiens et aux oiseaux, Patrocle honoré comme un héros, semble se situer dans le même horizon relationnel des cultes funéraires, éloignés dans le temps et mentionnés dans des sources de nature différente, que nous avons précédemment étudiées. L’identification rituelle entre le célébrant et le défunt s’y réalise à travers la relation spécifique associant deux terapontes, qui est très différente, du point de vue formel, des chaînes d’identification partielle que nous avons pu identifier ailleurs. Ce lien, progressivement intensifié au cours de la narration, implique deux plans contradictoires de la relation, d’égalité et de hiérarchie, qui se trouvent englobés l’un dans l’autre. Tout en intensifiant progressivement l’identification, jusqu’à confondre post mortem leur deux corps, l’action rituelle inverse les termes de la hiérarchie, en faisant du protégé le protecteur, et du jeune inerme le héros dont on célèbre la mort comme une victoire. Jouant sur une série d’échanges d’épithètes distinctives, la tradition homérique réalise cette identification complexe à travers une séquence cyclique d’épisodes, qui fait de l’un des termes de la relation la préfiguration du destin de l’autre. On peut donc imaginer les divers épisodes que nous avons étudiés comme un cycle d’identités successives, dans lequel Achille et Patrocle, ensemble, désignent une présence complexe du guerrier défunt au milieu des vivants. C’est cette forme de présence complexe, véritable forme intermédiaire entre les vivants et les morts, que les jeux funéraires vont développer.
Être Patrocle
51On connaît le déroulement des jeux funéraires dans cette partie de l’Iliade. Achille organise une série de compétitions : la course à cheval autour de la tombe de Patrocle, (la course des chars autour de la tombe, le javelot, le pugilat, la lutte, le combat armé, le disque, le tir à l’arc) et promet aux vainqueurs une série de prix de grande valeur. Celui qui est, par définition « le meilleur des Achéens », va prendre la place qu’il refuse, pour une fois, d’occuper. Lorsqu’il annonce une des premières compétitions, celles de la course aux chars, il le déclare explicitement. S’il participait aux jeux, il serait toujours vainqueur (Homère, 2002, XXIII : 280 et s.).
52Même dans le rôle de juge, Achille se montre, à nouveau, lié à Patrocle par un lien très étroit. Le schéma symétrique qui régissait la relation entre Patrocle et Achille ne change pas au cours des jeux : ce qui « honore » la mémoire du guerrier mort au combat confirme le prestige de celui qui en célèbre la mort. Mais les jeux inventent aussi une forme d’interaction spécifique, que le rituel ne connaît pas, et qui concerne la relation que le groupe des Myrmidons établit avec le mort à travers l’identification d’un vainqueur. On se souviendra que Lévi-Strauss, dans son étude des mœurs funéraires Fox, avait suggéré de réserver au jeu une fonction disjonctive. L’ethnographie Fox qu’il utilisait pour faire avancer sa réflexion (trop fragmentaire pour permettre une vraie analyse), lui offrait l’exemple de deux manières distinctes d’opérer une disjonction « ludique ». La première était fondée sur une relation individuelle entre le mort et le vivant qui faisait mine de le remplacer, en montrant comment il pouvait sortir vivant de circonstances qui avaient provoqué la mort de son compagnon d’armes. La seconde passait par l’invention d’un jeu de compétition, où deux groupes s’affrontaient : ceux qui, le temps du jeu, représentaient les « vivants » et ceux qui représentaient les « morts ». La règle du jeu était fixée d’avance : les morts (c’est-à-dire le groupe social dont faisait partie la personne destinée à être adoptée à la place du mort) l’emportaient toujours sur les vivants. Par rapport à la danse du guerrier, le jeu collectif n’établissait donc plus une relation d’identification directe, un à un, avec le mort. Il représentait la relation aux morts à travers l’invention d’une relation entre deux groupes opposés de vivants. L’invention de cette nouvelle relation marquait la possibilité théorique, propre au jeu, d’étendre l’espace social mobilisé par le rituel, en rendant possible le passage d’une relation individuelle entre un vivant et un mort, à une relation « jouée » entre les vivants, qui redoublait celle qui les liait aux morts, tout en l’exprimant sur le plan collectif.
53Voyons ce qu’il en est, de cette possibilité théorique, dans les jeux funéraires décrits dans l’Iliade. Ici aussi, une relation rituelle de deuil, qui mobilise une relation duelle entre défunt et célébrant, se trouve prolongée en une activité collective où la relation au monde des morts se trouve évoquée. Ici aussi, au contraire de l’action rituelle qui semble associer le groupe des guerriers en un seul corps collectif qui inclut Patrocle, le jeu assume une fonction « disjonctive ». L’enjeu de l’action ludique consiste en effet, à chaque compétition, à établir qui est « le meilleur des Achéens » au sein d’une compétition où un vainqueur va émerger. Toutefois, comme Rhode l’avait déjà remarqué, les joueurs ne jouent pas seulement entre eux. Ils jouent aussi avec Patrocle. Comment s’opère, entre jeu et rite, cette conjonction avec le monde des morts ?
54Toute relation aux défunts s’établit, en Grèce ancienne, sur une prémisse implicite : les morts s’opposent aux vivants et leur réclament la « part du butin » (géras) qui leur revient. Les vivants, qui sont en situation de dette par rapport aux morts, sont tenus de leur offrir des actes rituels. Les jeux funéraires qu’Homère décrit ne changent pas cette structure d’ensemble, mais construisent un champ parallèle de relations où ce qui s’oppose au monde des morts n’est pas un « monde de vivants » compact, mais deux groupes de joueurs engagés en une compétition réciproque. L’action de chacun des joueurs va donc se situer, le temps du jeu funéraire (impensable – faut-il le rappeler – sans l’action rituelle) au sein de deux espaces parallèles : l’un qui voit des vivants jouer contre d’autres vivants, et un autre espace, matérialisé par le rituel qui reste en toile de fond, et qui oppose les morts aux vivants.
55Ce processus de redoublement du contexte, rituel dans un cas, ludique dans l’autre, a une double conséquence. D’une part, il préserve une autonomie de l’action ludique par rapport à l’action rituelle. Il est indéniable que l’univers du jeu suit ses propres règles, qui ne se confondent pas avec les règles constitutives du rite : on cherche pendant le jeu à identifier celui qui va gagner un prix. Rien n’est offert à Patrocle, sinon, précisément, le jeu. D’autre part, cette référence constante, pour chaque action ludique, à deux espaces relationnels distincts (celui du rituel, qui oppose les vivants aux morts et celui du jeu, qui oppose des vivants entre eux) confère aux comportements des joueurs une double valeur relationnelle.
56Voyons comment. Celui qui gagne, par exemple à la course à cheval ou au pugilat, se voit attribuer des objets de valeur qu’Achille a choisis. Son image publique est donc définie, en première instance, par la relation complémentaire que le jeu a établi entre le groupe des joueurs et le vainqueur (qui, pour une fois, n’est pas Achille). Toutefois, son image est aussi définie par rapport au monde des morts. En tant que vainqueur aux jeux il est aussi proclamé, « le meilleur des Achéens ». Il devient donc, pour un temps, l’image vivante de Patrocle. C’est à travers cette valeur relationnelle parallèle que Patrocle entre dans le jeu : le vainqueur en devient en effet, par jeu, l’image vivante.
57À travers la mobilisation de deux groupes de relations parallèles, ludiques et rituelles, qui impliquent simultanément les jeux joués entre vivants et le rite consacré à la mémoire du mort, la compétition entre vivants engendre une relation mimétique avec le mort. À travers cette compétition, une transformation se réalise qui fait de celui qui gagne, par jeu et pour un temps défini, l’égal de Patrocle. Cette fonction identificatoire ne se limite pas seulement au fait que le vainqueur assume, comme le héros mort, le titre et l’épithète de « meilleur des Achéens » prenant, pour une fois, la place d’Achille. Elle est aussi plusieurs fois confirmée par la nature de certains prix que celui-ci lui attribue. Parmi ces prix on compte bien des objets de valeur, des chevaux, parfois des femmes. Mais apparaissent aussi des objets-mémoire (des sémata, pourrait-on dire) de Patrocle, liés à sa vie et à sa personne : il s’agit notamment du cratère qui lui appartenait, et même de certaines armes qu’il a pris à l’ennemi, comme la javeline, le casque et le bouclier que Patrocle avait enlevés à Sarpédon, ou même du poignard que lui-même, Achille, a enlevé à Astéropée, pour se venger de la mort de Patrocle. Celui qui gagne aux jeux va tenir entre ses mains ces objets, et son triomphe sera l’honneur de Patrocle. C’est ainsi que la compétition engendre, sur un autre plan, la mimesis. Voilà donc à quoi jouent les guerriers : à être Patrocle. Comme un fidèle d’Apollon peut lui offrir son colossos en forme de Dieu triomphant (Patton, 2009 : 180), de la même manière Achille offre son honneur à Patrocle, en lui offrant l’image d’un guerrier vainqueur.
58On peut donc expliciter le type d’articulation qui s’opère, dans la tradition homérique, entre l’action rituelle et le jeu. L’action ludique étend l’espace de la relation au défunt, qui passe d’Achille au groupe des guerriers, et en même temps, elle en exclut (au sein de son propre univers relationnel) toute ambiguïté. Patrocle qui, au sein du rituel, était à la fois traité comme victime et comme vainqueur, n’assume plus, au sein du jeu funéraire, qu’une image positive. L’action rituelle, qui se jouait essentiellement au sein d’une relation duelle entre terapontes, conservait à l’image du mort toute l’intensité d’une présence à la fois proche et ambivalente. Le jeu introduit une distance, et construit une représentation où Patrocle devient, à travers une suite indéterminée de vainqueurs aux jeux, le héros de tous.
59Notre analyse nous a conduit à apprécier, entre jeu et rituel, deux formes différentes de complexité relationnelle. Liée à une image univoque du défunt qu’elle est destinée à honorer, l’action ludique semble ignorer ce qui fait l’essentiel de l’action rituelle, la condensation de traits d’identités contradictoires qui définit l’identité des célébrants. Illustrée par la relation entre terapontes rituels, celle-ci est en revanche bien présente dans la forme homérique de rite funéraire. La représentation qu’elle engendre de la figure traditionnelle du héros est à la fois double et contradictoire, aussi bien sur l’axe de la hiérarchie que sur celui de la compétition. On pourrait en conclure que le rituel homérique, entre préfiguration, inversion des rapports hiérarchiques et identification, esquisse une image complexe du héros, composée de traits qui appartiennent, ou appartiendront au vainqueur et à la victime, tandis que le jeu n’en saisit qu’une seule image, celle du vainqueur.
60À la fois instable et collectivement engendrée, la forme ludique de l’identification au mort se construit donc dans l’épopée homérique parallèlement à sa forme rituelle, sans se confondre avec elle. Cette articulation entre rituel et jeu désigne une forme complexe d’action à double contexte, ludique et rituel, dont ce premier exemple nous aidera peut-être, à l’avenir, à concevoir le modèle, pour d’autres expérimentations d’anthropologie comparative.
61* * *
62Il serait pourtant parfaitement illusoire d’opposer schématiquement, à partir de cette lecture du Livre XVIII de l’Iliade, tout rituel à tout jeu, en prétendant par exemple que ce dernier aurait, partout et en toute occasion, une structure « plus simple » de l’action rituelle. La seule constatation, inévitable, que le mot « jeu » ne désigne nullement une classe de phénomènes comparables, mais plutôt une série, peut-être incontrôlable, de ressemblances de famille (Wittgenstein, 1965), suffirait pour le démontrer.
63En réalité, notre étude (même lorsqu’elle se révèle utile à l’analyse d’autres cas ethnographiques) nous mène, loin de ces typologies, vers deux directions nouvelles. D’une part, elle nous conduit vers le territoire empirique de ce qu’on pourrait appeler les interactions quasi-rituelles – des situations qui, sans répondre à la définition que nous avons donnée d’action rituelle, se laissent pourtant étudier en utilisant la méthode, fondée sur l’identification des relations sous-tendues par l’action, que nous avons jusqu’ici construite à travers nos études sur le rite [3]. Le jeu funéraire est un excellent exemple de ces formes d’interaction, qui peuvent se lier au rituel sans se confondre avec lui. D’autre part, nos conclusions nous conduisent aussi à quelques réflexions théoriques, qui concernent la généralisation possible de nos analyses sur le rituel. Dans le papier qu’elle consacre au cannibalisme funéraire wari’ dans ce volume, (infra pp. 38-53) Aparecida Vilaça s’attache, bien que sur un cas ethnographique très différent, à deux questions que nous venons de traiter : la condensation d’identités contradictoires et le degré de complexité qui caractérise l’action rituelle par rapport à d’autres types d’interactions. Vilaça décrit le cannibalisme des Wari’ (que nous n’allons pas traiter dans le détail, puisqu’on pourra s’y référer infra, pp. 38-43) comme un rituel en deux temps. Dans un premier temps, les parents de la personne décédée (qui l’ont longuement veillée, en gardant un contact physique avec son corps pendant l’agonie, en s’abstenant de l’appeler par son nom, et en n’utilisant que des moyens indirects de la désigner) font appel aux non-parents pour qu’ils dépècent, cuisent, et enfin consomment son cadavre. Ce moment du rituel, pendant lequel le deuil est si intense que les proches – nous dit-on – tentent parfois le suicide pour rejoindre l’esprit du mort dans l’au-delà, est marqué par une interdiction absolue, pour les parents, de participer à ce repas. Tout sera fait, à leur place, par les non-parents désignés.
64Dans un deuxième temps, qui marque la fin du deuil, on organise une chasse au pécari, suivie par un repas collectif, auquel parents et non-parents participent, et où on nomme explicitement « cadavre» l’animal que l’on consomme. Selon Vilaça, ce rituel dévoilerait que chez les Wari’ la personne, normalement définie en termes doubles – simultanément comme « humaine » (wari’) et comme « animale » (karawa) – se trouve, grâce au cannibalisme funéraire, réduite à une seule identification, celle de proie animale. Le corps de la personne décédée n’apparaît en fait, qu’à la fin du rite, seulement en tant que pécari, appelé « cadavre », et collectivement consommé à la fin du cycle rituel. En ce cas, affirme-t-elle, l’action rituelle (ici le cannibalisme funéraire), se charge de dé-complexifier la définition de la personne, au lieu d’en rendre la définition plus complexe par rapport à la vie ordinaire, comme M. Houseman et moi-même l’avons affirmé dans notre livre sur le Naven (1994) [4]. Il y aurait donc, dans le cas wari’, un paradoxe : d’une part, un rituel sans condensation d’identités contradictoires et d’autre part, une définition par identités contradictoires (humain vs. animal) dans « la vie ordinaire ».
65Qu’il puisse exister, au sein de certains rituels funéraires, quelque chose comme un processus de dé-complexification des liens sociaux, notamment là où la personne se trouve déjà définie par des liens de condensation associant des identités contraires, comme cela semble être le cas chez les Wari’ – on peut, en principe, l’accorder. Pour le prouver, il faudrait toutefois reprendre dans le détail quelques aspects de l’ethnographie de ce rituel, ici rapidement esquissés. D’une part, il serait sans doute utile de rendre compte d’une série de détails, parmi lesquels les appellations spéciales et indirectes que l’on réserve au moribond nous paraissent particulièrement importantes, puisqu’elles préfigurent la relation rituelle qui va s’établir plus tard entre le mort et les vivants. Il faudrait, d’autre part, rendre compte de la différence – très marquée dans le rite – entre le corps vivant (où les deux définitions humain/animal coexistent) et le corps du mort qui n’incarne plus (pour les non-parents au cours de la première partie du rite, et pour tout le monde à la fin du cycle) qu’un seul des termes de la paire wari/karawa, à savoir le côté « proie animale » (exprimé par l’identification rituelle entre le mort et le pécari). En fait, lorsqu’un proche parent demande, pendant le rite, à un non-parent de consommer, comme s’il s’agissait d’une proie animale, le corps d’un de ses proches, qui conserve pour lui toutes les caractéristiques d’une personne (« on se souvient trop fort de lui », déclare l’un d’eux), il semble bien évoquer précisément un lien « par condensation », entre d’une part les humains et les animaux, et d’autre part, au sein de la société humaine, entre les « gens qui ont la même chair » (c’est-à-dire, pour les Wari’, les parents proches), et les « gens qui ont une chair différente » (les non-parents).
66Considérons le couple wari (humain) et karawa (animal) qui, selon Vilaça, définit l’être humain pour les Wari’, et les transformations que l’action rituelle lui fait subir. En tant que « wari’ » le non-parent consomme bien « à la place » (et à la demande) d’un parent la chair d’un humain rituellement assimilée au corps d’un animal. En tant que karawa, il se comporte, parallèlement, en prédateur. Son identité rituelle est donc bien le résultat d’une série complexe d’identifications composées de traits contradictoires : il est à la fois animal et humain, non-parent et parent (puisque, bien que non-parent, il prend sa place à sa demande). Le parent demandeur est, lui, « fait de la même chair », et donc identifié avec le mort, mais aussi, indirectement, identifié à ce non-parent qui consomme la chair du mort à sa place. En somme, s’il faut voir dans ce rituel une décomplexification, elle concerne en premier lieu, le corps du parent décédé (ou, sa figure inverse, le pécari appelé « cadavre »), et non pas les autres participants à l’action rituelle.
67Mais réfléchissons encore sur la présence rituelle du mort. Une brève analyse des « fêtes de boissons » des Wari’, rapidement évoquées dans l’article de Vilaça, montre en fait que la paire wari/karawa est en réalité une triade, puisque la relation rituelle entre humains et animaux y implique pratiquement toujours la présence, au cours de l’action, des morts. Au cours de ces fêtes où les amphitryons jouent les humains et les invités doivent se montrer sous forme animale, on découvre bien souvent que les invités sont aussi les « morts », soit qu’ils le deviennent symboliquement, parce qu’ils ont perdu conscience à cause de la bière qu’ils sont forcés d’ingurgiter (un état de conscience altérée que les Wari’ assimilent à la mort) ; soit que, comme au cours du tamara, les morts se rendent sur la terre de leurs parents, en prenant la forme de pécaris ; soit que, comme à d’autres occasions, les invités, qui se présentent sous forme animale, se fassent rituellement « tuer comme des pécaris » par leurs hôtes. N’oublions pas, d’ailleurs (comme Vilaça le relève) qu’au cours de ces rituels, les Wari’ réservaient à ces morts-invités à leurs fêtes, les mêmes précautions verbales qu’ils utilisaient pour appeler le moribond qu’ils allaient consommer au cours du rite funéraire. Pour eux aussi, le passage de personne à corps anonyme précédait donc celui de corps humain à proie animale. Il y a donc, dans les deux cas, pour les morts et pour les invités, transformation de la relation.
68À cette identification entre mort et animal, d’autres semblent s’ajouter, puisque chez les Wari’ les animaux peuvent, à leur tour, se présenter, à d’autres occasions, comme des étrangers, des affins, des ennemis, ou même des sorciers, selon un axe progressif de formes d’altérités de plus en plus complexes, typiquement amazonien. En somme, l’analyse relationnelle du cycle des fêtes qui précède le rite funéraire fait apparaître une chaîne de transformations, une sorte de cycle rituel de vie, où l’alternance d’identités condensées, assumées pour ainsi dire à tour de rôle pendant les fêtes de la chicha, pourrait bien constituer la toile de fond qui prépare progressivement les identités des participants au rituel funéraire (qui ont bien été, chacun à leur tour, amphitryons ou invités) sous cette forme de « condensation diffuse » qui fait la toile de fond de la définition « univoque » du mort en tant qu’animal.
69Les identités des participants au rituel funéraire, celles des parents et des non-parents, apparaissent ainsi, pourrait-on dire d’entrée de jeu, « complexes », ou en tout cas appréhendées dans un contexte évoquant la complexité, à l’ethnologue qui s’apprête à en faire l’analyse. Parler à ce propos d’identité « propre à la vie ordinaire », qui serait à « décomplexifier » rituellement, relèverait donc d’une véritable illusion optique, puisque ce serait bien cet univers de transformations ritualisées, progressivement construit par les identités complexes propres au champ relationnel des fêtes de la chicha, qui engendrerait le cycle que le rituel funéraire serait appelé, et encore, provisoirement, à conclure par un processus de « dé-complexification». Ce qui ne serait pas visible du point de vue de l’analyse d’un seul rituel, émerge donc clairement si l’on choisit d’étudier, au-delà du seul rite funéraire, des cycles d’actions cérémonielles où chaque rituel de la série constitue le contexte pertinent pour la compréhension de l’autre.
70On pourrait même ajouter que ce cycle incessant des transformations, aux yeux des Wari’, ne pourrait certainement pas s’arrêter à la mort, puisque, comme le montre l’interprétation indigène du suicide et le mythe que Vilaça mentionne, « mourir » n’est pour les Wari’ qu’une manière pour les vivants de rejoindre un lieu où, bien que tous réduits à l’état d’animalité, les morts se perçoivent entre eux, selon la formule perspectiviste qui nous est devenue familière après les travaux de Tania Stolze Lima (1996) et de Viveiros de Castro (1998), comme les analogues exacts des humains. Le mort-animal retrouverait ainsi, post-mortem, sa part d’humanité. Il suffirait donc d’inclure pleinement le rôle des morts sur la scène rituelle, pour voir réapparaître, même dans le cas du cannibalisme funéraire des Wari, la condensation rituelle et le type d’identité « par articulation de contraires » qu’elle engendre.
71Mais nous ne voulons nullement réduire à la perspective du Naven, et encore moins dissimuler les spécificités de cette ethnographie. En fait, si l’on peut parler de découverte pour l’approche relationnelle du rite que nous avons proposée, c’est bien parce qu’on a montré que l’on peut interpréter les rituels comme des champs de relations complexes, et nullement parce qu’on prétendrait qu’il existe un seul schéma valable pour tous les rituels. Si l’étude du Naven a pu montrer comment certains liens sociaux se construisent, d’autres rites pourront montrer comment il est possible de les modifier, ou même de les dissoudre. Dans cette perspective, on pourrait lire le cas Wari’ comme une variante de notre schéma relationnel, où la relative dé-complexification de la personne apparaîtrait sur un background caractérisé par une sorte de « condensation diffuse », soigneusement préparée (ou évoquée, peu importe) d’une part par les actes qui précèdent, pendant le rite funéraire, la consommation de la proie animale identifiée au cadavre humain, et d’autre part, par la série de rituels qui constituent la toile de fond sur laquelle le rite lui-même s’inscrit. On aurait donc un cas de figure (peut-être typique de certains rituels funéraires) dans lequel l’action rituelle, pour un temps, marquerait sa spécificité par d’autres moyens que dans le cas du Naven. Ce qui se présentait comme un paradoxe, ne serait en somme qu’une inversion de forme et fond. Du point de vue de la méthode (et donc du type de généralisation que la théorie relationnelle du rituel est susceptible d’engendrer) on aurait à la fois confirmation et renouvellement possible. Confirmation, parce que, dans ce cas précis, la relation entre action rituelle et d’autres systèmes de relation, resterait comparable à celle qui s’établit entre la forme et le fond dans une expérience de psychologie de la Gestalt. Et renouvellement, parce qu’avec l’interprétation du cas wari’, on passerait de l’analyse des manifestations diverses d’un seul rite, comme dans le cas du Naven, à l’analyse de relations entre rites, et donc à l’étude de groupes de groupes de relations rituelles.
72Nous ne pouvons, en revanche, être d’accord avec Vilaça, lorsqu’elle affirme que la notion de condensation a pour fondement, dans notre livre, une notion « individuée » (pour ne pas dire individualiste) de la personne. Pour soutenir une telle affirmation, elle cite un passage où nous écrivons, à propos du travestissement rituel, que « l’émergence des totalités relationnelles [du rite] dérive de la condensation de relations nominalement incompatibles… qui se fondent elles-mêmes sur la reconnaissance de différences irréductibles entre les hommes et les femmes » (Houseman-Severi, 2009 : 212). On ne peut, en effet, établir des liens de condensation qu’entre des termes marqués aussi bien par des similitudes que par des différences, qu’elles soient implicites ou explicites. Reconnaissons toutefois qu’entre le fait de reconnaître que les corps des hommes et des femmes sont bien marqués par un dimorphisme sexuel (ce qu’on ne peut que confirmer), et le fait de définir la personne sociale, rituelle ou ordinaire, en termes symboliquement univoques, il n’existe aucun lien logique. On peut reconnaître et décrire, comme nous le faisons dans notre livre, des processus de mise en place de constellations d’attributs engendrant des identités complexes, sans nullement en nier l’existence. Strathern, qui affirme que les hommes voient dans la physiologie du corps féminin la vérité de ce qu’affirment les mythes à propos de leur féminité originaire (1988 : 99-103), est elle-même loin de le nier.
73Mais avançons encore. On peut, selon Strathern (1988), définir la personne mélanésienne comme « dividuelle » dans la mesure où elle est composée d’aspects entièrement définis par les relations dans lesquelles ils se trouvent impliqués. Dans cette perspective, la relation sociale n’est plus à penser comme la « résultante » d’une identité biologique ou psychologique progressivement socialisée, un peu comme le croyait Mead (mais non Bateson !), mais comme l’expression même, instable puisque dépendante d’interactions variables, de cette identité. Tel est le cas du genre au sein du système d’échange de dons cérémoniels dans les Hautes Terres mélanésiennes, où les traits définitoires de la personne, peuvent mobiliser des « sexes complexes » et changeants, indépendamment de toute prédéfinition, biologique ou psychologique. Si l’on adopte cette définition, on pourra aisément répondre que toutes les positions relationnelles (les identités complexes) que nous décrivons dans le Naven sont dividuelles. Les identités rituelles dans le Naven sont plurielles (bien qu’elle ne soit peut-être pas seulement doubles, ou formulées par paires) précisément parce qu’elles sont composées de dividualités – ce qui signifie qu’elles surgissent au sein d’ensembles d’interactions constitutives (mobilisant des relations contradictoires) où chaque personne, loin de « posséder, ou d’être pour ainsi dire l’auteur de sa propre identité » est « construite en tant que dépendant d’autres personnes pour la connaissance de soi » (Strathern, 1988 : 119). Seul le conflit entre ces champs de relations contradictoires définit l’identité, complexe et indirecte, des personnes participant à un Naven. Si l’on trouve bien dans notre livre une reconnaissance du dimorphisme sexuel, on n’y trouvera en revanche aucune référence à une conception individuelle de la personne.
74Loin de dériver d’une conception de la personne, la différence qui distingue le Naven du Gender of the Gift est de nature épistémologique et formelle. Si nos deux démarches diffèrent, c’est que nous ne choisissons pas le même point d’observation du phénomène. Dans le Naven, nous considérons les relations par les champs relationnels qui se croisent, presque par complexité croissante, au cours d’interactions complexes, tout en focalisant notre attention exclusivement sur la nature d’un seul rituel, dans ses diverses manifestations. Strathern, qui se donne l’objectif, bien plus vaste, de décrire plusieurs systèmes de relations, rituels et non rituels, qui caractérisent « la vie sociale en termes d’échange de dons » (1988 : 132) sur l’ensemble de la Mélanesie, considère ces relations une par une, cas par cas, et système par système. Le résultat est que les relations qu’elle envisage mobilisent toujours deux termes (ou deux fois deux termes), pour construire progressivement une situation générale d’une rare complexité. Nous considérons, à l’inverse, détail par détail, la dynamique interne d’un seul rite, en prenant un faisceau de relations comme point de départ, pour essayer ensuite d’identifier certaines de ses composantes. Il faudra sans doute revenir sur ces questions, qui concernent non pas la relation entre « rite » et « vie quotidienne », mais plutôt le type de complexité que l’analyse de ces relations de relations peut atteindre.
75Soulignons pour l’instant le pas que nous venons de franchir : l’interprétation du paradoxe apparent posé par le cannibalisme wari’ n’est concevable que si nous passons d’une perspective focalisée sur des manifestations diverses d’un rituel, à l’analyse d’un contexte méta-rituel : et donc à l’étude des relations de relations qui peuvent s’établir au sein de cycles où chaque rituel constitue une condition logique pour l’interprétation d’un autre rituel. Parallèlement à l’étude des interactions quasi-rituelles, dont nous avons essayé d’interpréter ici un premier exemple dans les jeux funéraires de l’Iliade, l’analyse des situations méta-rituelles ouvre une autre voie à la généralisation de l’approche relationnelle inaugurée, voici bientôt vingt ans, avec notre essai sur le Naven.
Bibliographie
- Agamben, G.
- 2001 « Il paese dei balocchi. Riflessioni su storia e gioco », in Infanzia e storia. Distruzione dell’esperienza e origine della storia, Turin, Einaudi.
- Auerbach, E.
- 1973 Mimésis : la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard.
- Bateson, G.
- 1977-1980 Vers une écologie de l’esprit, Paris, Seuil, 2 vol.
- Bottéro, J.
- 1987 Mésopotamie : l’écriture, la raison et les dieux, Paris, Gallimard.
- Bühler, K.
- 1990 [1934] Theory of Language : the Representational Function of Language, Amsterdam, John Benjamins.
- Chantraine, P. et alii.
- 1980 Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, tome IV-2.
- Dumont, L.
- 1966 Homo hierarchicus : essai sur le système des castes, Paris, Gallimard.
- Evans-Pritchard, E.E.
- 1956 Nuer Religion, Oxford, Clarendon Press.
- Gell, A.
- 1999 Art and agency, Oxford, Clarendon Press.
- Homère, 2002,
- Iliade, Chants XIX-XXIV, Paris, Les Belles Lettres.
- Houseman M. et Severi, C.
- 1994 Naven, ou le donner à voir. Essai d’interprétation de l’action rituelle, Paris, CNRS Editions et Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 224 p.
- 1998 Naven, or The Other Self, A Relational Approach to Ritual Action, Numen Book Series Leiden-Boston-Köln, J. Brill 1998 : I-XVI, 1-325.
- 2009 Naven, ou le donner à voir, édition en langue française, revue et augmentée de Houseman-Severi 1994.
- Lévi-Strauss, C.
- 2008 La Pensée Sauvage, in Oeuvres, Paris, Gallimard (« La Pléiade »).
- Lima, T.S.
- 1996 « O dois e seu múltiplo : reflexões sobre o perspectivismo em uma cosmologia tupi », Mana2(2) : 21-47.
- Lord, J.
- 2010 The singer of tales, Harvard, Harvard University Press.
- Lowenstam, S.
- 1981 [1975], The Death of Patroklos, A Study in Typology, Hain : 60-66.
- 1997 « Talking vases : the relationship between the Homeric poems and archaic representations of epic myth », Transactions of the American Philological Association 127 : 21-76.
- Nagy, G.
- 1990 « Sema and noesis : The Hero’s Tomb and the reading of symbols in Homer and Hesiod », in Greek mythology and poetics, Ithaca, Cornell : 202-222.
- 1994 Le meilleur des Achéens. La fabrique du héros dans la poësie grecque archaïque, Paris, Seuil.
- Parry, M.
- 1987 The making of the Homeric Verse, Oxford, Oxford University Press.
- Patton, K. Ch.
- 2009 Religion of the Gods. Ritual, Paradox and Reflexity, Oxford et New York, Oxford University Press.
- Rhode, E.
- 1952 Psyche, le culte de l’âme chez les Grecs et leur croyance à l’immortalité, Paris, Payot.
- Schnapp-Gourbeillon, A.
- 1982 « Les funérailles de Patrocle », in J.-P. Vernant et A. Gnoli, éds, La mort, les morts dans les sociétés anciennes, Cambridge, Cambridge University Press - Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme : 77-88.
- Severi, C.
- 2002 « Memory, Reflexivity and Belief. Reflections on the ritual use of language », Social Anthropology Special Issue on Religious Reflexivity : 23-40.
- 2004 « Capturing Imagination. A Cognitive Approach to Cultural Complexity », The Journal of the Royal Anthropological Institute 10, 4, December 2004 : 815-838.
- 2007 Le Principe de la chimère. Une anthropologie de la mémoire, Paris, Éditions Rue d’Ulm-Musée du Quai Branly.
- 2008 « Autorité sans auteur : formes de l’autorité dans les traditions orales », in A. Compagnon, éd., De l’autorité, Colloque annuel du Collège de France, Paris, Odile Jacob : 93-123.
- 2010 « La parole prêtée. Comment parlent les images », in C. Severi et J. Bonhomme, éds, Paroles en actes (Cahiers d’Anthropologie Sociale, 5), Paris, L’Herne : 10-41.
- Strathern, M.
- 1988 The Gender of the Gift. Problems with Women and Problems with Society in Melanesia, Berkeley, University of California Press.
- Svenbro, J.
- 1993 Phrasikleia. An Anthropology of Reading in Ancient Greece, Ithaca et Londres, Cornell University Press.
- Tarenzi, V.
- 2005 Patroclo terapon. Quaderni Urbinati di Cultura Classica 80 (2) : 25-38.
- Valeri, V.
- 1981 « Rito », in Enciclopedia, vol. 12. Turin, Einaudi : 210-243.
- Van Brock, N.
- 1959 « Substitution rituelle », Revue hittite et asianique 65 : 117-146.
- Vernant, J.-P.
- 1989 L’Individu, la mort, l’amour. Soi-même et l’autre en Grèce ancienne, Paris, Gallimard.
- 1990 Figures, Idoles, Masques, Paris, Juillard.
- Viveiros de Castro, E.
- 1998 « Cosmological deixis and Amerindian perspectivism », Journal of the Royal Anthropological Institute 4(3) : 469-488.
Mots-clés éditeurs : jeu funéraire, Wari’, cycle cérémoniel, Rituel, Iliade, cannibalisme
Date de mise en ligne : 03/11/2019
https://doi.org/10.3917/cas.010.0147Notes
-
[1]
Selon la logique de l’analogie qualitative mise à jour par Evans-Pritchard (1956) dans son étude sur la religion des Nuer, « – écrivait Lévi-Strauss dans la Pensée Sauvage – un concombre vaut, en tant que victime sacrificielle, un œuf, un œuf un poussin, un poussin une poule, une poule une chèvre, une chèvre un bœuf » (2008 : 798).
-
[2]
Parry a montré que cet usage de l’épithète est tellement généralisé dans l’épopée homérique que l’adjectif « divin », par exemple, peut s’appliquer aussi bien aux dieux, aux guerriers et aux héros qu’à un « troupeau de cochons » (cit. in Nagy, 1994 : 61, 152).
-
[3]
Pour un premier développement à partir de cette définition, voir les textes réunis par J. Bonhomme, F. Berthomé et G. Delaplace in HAU, Journal of Ethnographic Theory 2 (2) : 129-312.
-
[4]
Ce qui va suivre, bien évidemment, ne reflète que mon point de vue, et n’engage donc que ma responsabilité.