Notes
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[1]
Detienne et Vernant (1974 :12).
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[2]
Mètis était fille d’Océan et de Thétys.
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[3]
3 Les Imrâgәn ont été, jusque dans les années 1950, les seules populations maures à pratiquer la pêche.
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[4]
Ce que nous subsumons sous l’expression de « minimalisme technologique » a été très largement évoqué dans l’ensemble des écrits relatifs à cette question : Cheikh, A. W. O. (2002 : 18) évoque une pêche « très sommairement outillée », d’autres auteurs comme Anthonioz, R. (1968 : 338) insistent sur l’immobilisme de ce patrimoine « ces pêcheurs vivent pratiquement comme il y a 50 ou 500 ans. » (1968 : 338).
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[5]
Dans les années 1940 s’amorce l’introduction successive de matériaux et savoir-faire allogènes. Les principaux foyers d’innovations techniques étant venus du Sénégal (Saint-Louis) ou importés par les industries françaises installées dès le début du xxe siècle à Port-Etienne.
-
[6]
C’est avec l’apparition de la pêche à la courbine, soit au tournant des années 1960 que la pêche se double de l’usage d’une embarcation.
-
[7]
S’agissant des relations de l’Afrique à la mer, le geste théorique le plus largement esquissé par la littérature consista le plus souvent à les caractériser par leur marginalité voire leur inexistence : « L’océan constitua (pour les sociétés africaines) une véritable barrière à laquelle (elles) s’adossèrent sans véritablement en utiliser les ressources » (Chauveau, 1986 : 176). Cette thèse a été entérinée par grand nombre d’auteurs dont Richard-Molard 1952, Person 1970, Barry 1981, X. de Planhol 2000.
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[8]
La modernité, et l’apport massif durant la première moitié du xxe siècle d’un outillage approprié, ont naturellement eu pour conséquence d’éroder l’ensemble de ces modalités traditionnelles. C’est sur le témoignage des anciens qu’a été possible la reconstitution de ce rapport antérieur à la mer.
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[9]
Detienne, M. et Vernant, J. P. (1974 : 33).
-
[10]
Voir Artaud, H. (2012) Dans la perception Imrâgәn de la mer se présentent d’emblée comme enchevêtrés les mondes naturels et surnaturels. Les modalités de leur articulation procèdent toutefois de logiques que seuls distinguent et maîtrisent certains initiés, dépositaires du « secret de la mer ». Quelques familles, issues des groupes maraboutiques Bârikalla et Buhubbayni, ont ainsi réussi à asseoir leur légitimité sur la côte par l’exercice de pouvoirs ésotériques supposés influer sur les phénomènes naturels maritimes (intensité des vents, force et orientation des courants, cycle de la lune…) autant que sur le comportement de certaines espèces marines (dauphins et tortues), dont ils ont fait leurs principaux émissaires. Ces pratiques sacrées, qui favorisent ou défavorisent l’activité de pêche, ont opéré, entre les Imrâgәn et le milieu marin, une médiation spécifique et inscrit le sacré au cœur de l’écologie imrâgen et au principe de l’équilibre naturel. Les pratiques opérées sur le tablier de cuir du pêcheur faisaient partie d’un ensemble de dispositions censées favoriser la pêche.
-
[11]
Leroi Gourhan, A. (1964 : 82) : « Il faut comprendre comme leurre tous les procédés, objets ou parties d’objets qui, créant chez l’animal convoité l’image d’une proie ou l’impression de sécurité, l’attire vers un dispositif de capture. »
-
[12]
Bahuchet, S. (1985 : 62).
-
[13]
Leroi-Gourhan, A. (1964 : 82).
-
[14]
Oppien (1817 : 185-186).
-
[15]
Kronen, M. (2003).
-
[16]
Idem.
-
[17]
« À la suite de Viveiros de Castro, Willerslev propose un double perspectivisme, qui permet aux Yukaghir d’assumer la perspective d’un animal-gibier (via la mimésis) tout en demeurant des chasseurs engagés dans la traque » cité par Wiesniewski, 2007.
-
[18]
Uexküll, J. (1965 : 99-100).
-
[19]
La « méthode des leurres » consiste à réduire les stimuli complexes déclenchant un comportement spécifique à des stimuli plus simples dont la variation n’implique qu’un seul des facteurs en cause.
-
[20]
Lévi-Strauss, C. (1983 : 145).
-
[21]
Howes, D. (2005) ; Candau, J. (2000).
-
[22]
Gibson, J. J. (1996 : 254).
-
[23]
Bahuchet (1985 :283) «… ce cri est rarement une imitation exacte du cri de l’antilope ».
« On ne gagne d’empire sur la nature qu’en lui obéissant »
1L’idée qu’il faille dominer la nature pour s’en rendre maître, la transformer pour y avoir une présence avérée a abouti, semble-t-il, à tendre un voile d’opacité sur des formes de maîtrise et d’emprise plus discrètes sur le milieu naturel. Un rapport qui procèderait moins par l’abrogation des lois qui instruisent la nature [1] que par leur utilisation raisonnée, moins par un tour de force instrumentalisé que par une anticipation maîtrisée : telle semble être cette autre forme d’efficacité que décrivent M. Detienne et J.-P. Vernant (1974) par l’analyse du concept grec de mètis.
2La mètis, cette ruse avisée qui étend indifféremment son règne parmi les hommes et les animaux, cette force paradoxale qui permet « aux faibles, aux chétifs », à tous ceux qui sont démunis des moyens nécessaires à la domination du monde, d’en obtenir les faveurs, semble bien en effet stimuler de tout autres dispositions, tant cognitives que corporelles. C’est ici de la mètis en contexte maritime qu’il sera question : d’abord pour qu’y soit illustré son original ancrage ; ensuite, pour qu’à partir des quelques exemples littéraires et ethnographiques mobilisés, puisse être engagée une réflexion plus systématique sur le leurre et la sensibilité. Comment le leurre, dont la mètis est le présupposé, travaille-t-il la sensibilité du sujet leurrant ? Que nous apprend-il de la façon dont celui-ci perçoit, pour en transcrire sensiblement les saillances, le monde des autres ?
L’esthétique des pêcheurs Imrâgәn de Mauritanie
3Il est difficile de réfléchir à la mètis, cette « intelligence assez retorse et souple pour ployer en tout sens [2] », sans porter un regard vers l’espace où son illustration semble la plus spontanée : la mer. Si l’on songe à l’origine océanique de la déesse Mètis [3], à la mobilisation systématique – pour décrire les caractéristiques de cette aptitude à la versatilité – du bestiaire maritime, une réflexion comme la nôtre, sur cette forme toute particulière de mètis qu’est le leurre, semble inéluctablement devoir s’y arrimer. C’est bien effectivement de la mer, – plus précisément de la façon toute particulière dont les sociétés de pêcheurs Imrâgәn ont interagi avec elle –, qu’a affleuré le questionnnement dont cet article est le résultat.
Minimalisme technique et compensations corporelles
4En dépit d’un fonds bibliographique relativement important, – que la création, en 1976, du Parc National du Banc d’Arguin (dans lequel résident les pêcheurs Imrâgәn) a étoffé d’une littérature nouvelle, aucun travail ne s’était appliqué à comprendre la relation singulière qui liait ces communautés à la mer. La raison d’une telle négligence ou, lorsque quelque attention s’y était portée, d’un tel déni, semble double. Outre l’analogie entre les mondes maritimes et continentaux qui incita les auteurs à absorber dans des catégories pastorales plus familières l’exception Imrâgәn [4], le minimalisme technique la caractérisant [5] a de toute évidence fortement mis en question leur aptitude à maîtriser la mer. Jusqu’au premier quart du xxe siècle [6], en effet, les moyens de la parcourir [7] ou d’en extraire les ressources demeuraient rares. De cette parcimonie extrême, les auteurs étudiant les pêcheurs Imrâgәn ont déduit le caractère improvisé, « bricolé » de l’appréhension du milieu [8]. Pourtant, loin de réduire ou nier l’aptitude à interagir avec le milieu maritime, ce minimalisme radical de l’outillage Imrâgәn semble avoir, au contraire, déployé un champ d’innovations et de compensations multiples au niveau de la sensibilité et des techniques du corps. S’orienter en mer, consistait par exemple à prélever dans le milieu immédiat, à la faveur d’un canal sensible privilégié (auditif, olfactif, tactile etc.), des indicateurs naturels (faunes, flores, ou minéraux) dont l’emplacement stabilisait la trame d’itinéraires invisibles. Pêcher impliquait, de façon analogue, l’apprentissage de dispositions corporelles spécifiques : façons de se mouvoir dans l’eau sans éveiller la curiosité des poissons, de se fondre dans un environnement, ou de faire de celui-ci un piège. En somme, la capacité d’interagir avec le milieu maritime consistait pour chaque pêcheur à en extraire une téléologie convertible à ses propres besoins, à parfaire une logique de substitutions pour faire de chaque élément naturel disponible le moyen d’accomplir une action précise.
La mètis chez les pêcheurs Imra- gәn
5Cette disposition toute particulière des pêcheurs I-mra- gәn qui consistait à maîtriser la mer en épousant ses régularités plutôt qu’en les contrariant, à faire d’un défaut initial – le manque d’un outillage approprié – un revers de domestication insoupçonnée, se rapproche de celle que subsume la notion grecque de mètis. Telle que M. Detienne et J.-P. Vernant la décrivent dans Les ruses de l’intelligence, la mètis vise à combler le manque de force physique par un surcroît de vigilance et d’anticipation ; à renverser la logique des rapports de dominations attendus, en faisant que « les faibles, les chétifs ne soient pas vaincus d’avance. » [9] [10] Déjouant les règles d’un déterminisme primaire dont la valeur de prédiction échouerait à donner l’agencement du monde, la mètis y composerait donc des combinaisons nouvelles. Dans le cas des pêcheurs Imrâgәn, le défaut d’équipement matériel ne les prédispose effectivement pas à occuper dans leur environnement une place passive, « vaincue ». L’expérience nous montre, au contraire, que l’indigence matérielle, induisant une dépendance plus grande des pêcheurs à l’égard du monde extérieur, leur donne les moyens d’en faire ployer la résistance, ou de l’utiliser pour y adosser une maîtrise ingénieuse du milieu. Des exemples précis éclaireront ce propos.
6Un facteur exogène avec lequel les pêcheurs ont en grande part eu à composer est la morphologie sous-marine. Ces irrégularités morphologiques, qui constituèrent pour beaucoup de navigateurs étrangers à la zone des écueils redoutés (Vincent, 1861 : 17), devinrent pour les Imrâgen des éléments appropriés à la maîtrise des ressources. De ces reliefs partiellement invisibles, les Imrâgәn ont une connaissance précise, supportée par la toponymie particulièrement dense qui caractérise la zone marine du Banc d’Arguin. L’apprentissage de cette toponymie, et des informations qu’elle cristallise, permet aux pêcheurs une anticipation constante des singularités morphologiques dont ils pourront dès lors faire usage en utilisant, par exemple, la cavité annoncée d’un relief sous-marin pour en faire le lieu où piéger et stocker le poisson. Le nombre des techniques qui mobilisent les singularités du relief pour favoriser la prise du poisson sont nombreuses et ont fait l’objet d’une attention particulière dans ma thèse (Artaud, 2011). Par souci de clarté pour le présent propos, quelques-unes de ces techniques peuvent être signalées. La technique dite « tänäwräv » se pratique dans des « egdawal », sorte de cavités rocheuses qui « piègent » le poisson au moment où la mer se retire, ou dans les zones nommées « twkәrt », places parfaitement visibles et asséchées à marée basse. La technique dite « Tmarniš », nécessite pour sa part la présence de « taḅәlġit », trous sous-marins, dans lesquels les poissons venant « pâturer » sont encerclés par les filets. La technique de « ṛaḅt » est pratiquée dans les « krā » (sorte de canal). Cette technique consiste à y planter par marée basse des piquets, auxquels sont fixés des filets de chaque côté de la vasière. Lorsque la marée est pleine, le canal se remplit d’eau, les poissons rentrent dans la brèche où ils seront par la suite piégés par le ressac et maintenus dans cet enclos rocheux par les filets des pêcheurs posés à son extrémité. Ces quelques exemples montrent combien la connaissance de ce qui aurait pu constituer un obstacle à leur mobilité, a au contraire eu vocation à engager pratiquement le pêcheur sur la mer, à lui donner sur elle l’atout d’une action préméditée, réfléchie.
7Ici, notre attention se portera davantage sur un autre facteur exogène, dont la connaissance a également assuré aux pêcheurs une maîtrise optimale du milieu : le comportement des poissons. À cette connaissance est en effet suspendue toute l’entreprise de la pêche. Les pêcheurs Imrâgәn l’ont traditionnellement pratiquée à la période estivale dans le complexe insulaire et en hiver, sur le continent, en bordure de rivage. Leur réussite dépendait essentiellement de l’aptitude qu’avaient les pêcheurs à prédire le comportement du banc, à éviter tout ce qui en eut contrarié le passage, dissout la cohésion. C’est de cette connaissance particulière du comportement du poisson que va résulter le leurre sur lequel nous allons plus longuement nous étendre ici et qui présente la spécificité d’avoir, dans la littérature notamment, des résonnances multiples dont nous donnerons deux exemples.
Sur quelques « relations croisées » des sensibilités
De la culotte de cuir Imrâgәn vers d’autres relations « croisées »
8Les pêcheurs Imrâgәn avaient pour habitude, en rentrant dans la mer, de revêtir une culotte de cuir (äzәffa- l). Les interprétations relatives à cette pratique ont naturellement été nombreuses.
« Il ne faudrait pas croire, écrivent Gruvel et Chudeau, que les pêcheurs mettent ce solide tablier par un geste de pudeur, […] c’est une élémentaire précaution qui a son importance… On n’ignore pas […] que les brisants de la côte dans lesquels opèrent les pêcheurs sont infestés de requins… » (1920 : 80)
10De l’avis de nos informateurs, son usage est justifié d’une façon toute différente, en relation directe avec la réussite de la pêche. La première des trois explications qu’ils donnent de l’efficacité supposée d’äzәffa- l tient à une qualité extrinsèque, à une formule magique qui en doublait la confection pour favoriser la pêche. Cette première explication nécessiterait le rappel d’analyses déjà partiellement développées ailleurs [11], et nous amènerait loin de nos présentes réflexions. C’est davantage sur les deux suivantes que se bornera ici notre attention. Selon celles-ci, l’efficacité de la culotte de cuir n’implique pas de mobiliser un principe transcendant les régularités naturelles ; elle en dépend, au contraire. Dans la deuxième explication, en effet, son efficacité tient à l’« invisibilité » qu’elle confère à celui qui la revêt. L’« invisibilité » n’est pas ici à comprendre comme un phénomène magique, défiant les lois naturelles. C’est bien au contraire sur celles-ci que s’échafaude la ruse : la neutralité sensible de la culotte de cuir, du point de vue du poisson, est le principe même de son efficacité. Dans la troisième explication, l’efficacité de la culotte repose, au contraire de la précédente, sur son caractère attractif : le cuir stimulant chez le poisson, au lieu de l’indifférence [12] d’abord supposée, une sorte d’irrésistible attraction. Même si, dans l’une et l’autre explication, le but recherché semble contraire : invisibilité ou attraction de la culotte de cuir, son efficacité suppose un même principe qui consiste à entrer dans le monde de l’espèce leurrée, à s’y inscrire, et, se faisant, à tendre le piège le plus efficace qui soit : celui de la familiarité.
11La capacité qu’a tout pêcheur amrig (plur. Imrâgen), mais plus généralement tout sujet leurrant, à se mettre à la place de sa proie, à en investir le monde pour s’y dissimuler, semble donc être la condition de possibilité même du leurre. C’est ce perspectivisme qui en constituerait le geste inaugural. Selon toute vraisemblance, en effet, ce qui devrait attirer ou, au contraire, repousser le sujet leurré, dépend du point de vue singulier qui est le sien, et qui est inclus dans son monde. C’est ainsi qu’on attire un aigle des singes (Stephanoatus coronatus) en imitant le cri de sa femelle [13], un faucon par la forme d’un oiseau factice aux ailes étendues ; qu’on annule toute vigilance de l’animal en revêtant un déguisement approprié, voire en poussant « le souci d’exactitude, (comme chez les Eskimos qui veulent approcher les phoques) jusqu’à gratter le sol avec une patte de phoque artificielle pour donner au gibier qui se trouve sous la glace l’impression de sécurité complète à la surface [14] ». Il faut que les éléments qui constituent le leurre soient, pour le sujet leurré, chargés d’une signification spécifique. De cette logique semble d’ailleurs dépendre si profondément l’efficacité du leurre, qu’on la retrouve dans les leurres opérant entre des non-humains. C’est en effet sur ce même principe d’imitation que sont, entre autres, structurées les ruses végétales ou entomologiques. Que dire en effet de certaines espèces d’orchidées (Ophrys) qui pour attirer l’insecte (Labiées ou Papillonacées) qui va les féconder, se donnent visuellement la forme de sa femelle ou en émettent l’odeur, ou de cette autre ruse qu’est celle du phasme dont la morphologie – fondue dans son environnement – en suspend la vigilance ? L’efficacité du leurre, quel qu’en soit l’instigateur (humain ou non-humain), est donc toujours proportionnelle à l’imitation d’un trait distinctif du sujet à leurrer, que ce trait soit la couleur (homochromie), le mouvement (homokinésie) ou la forme (homomorphisme). Or, l’exemple donné à l’instant chez les pêcheurs Imrâgen tient son étrangeté de ce que le cuir de chèvre (dont est faite la culotte), – a priori totalement étranger au monde du poisson –, puisse susciter chez lui des réactions familières : être, dans son monde, un élément chargé de significations. Comment l’efficacité du leurre pourrait-elle venir d’un élément qui n’appartiendrait pas à l’univers du poisson, mais en serait distinct au point d’appartenir à un tout autre milieu : ici terrestre ? Ce type de configuration, que j’ai appelée « relations croisées », n’est pas sans ébranler en effet quelques-unes des logiques sur lesquelles semblait se fonder l’efficacité du leurre, et nécessiter de ce fait de pousser encore quelque peu notre réflexion. Qu’est-ce que les exemples de leurres fondés sur des « relations spécifiques croisées » nous apportent sur les caractéristiques et la compréhension de ce dispositif ?
Les « relations croisées » dans les exemples de piège chez Oppien
12Oppien écrivait au iie siècle de notre ère un poème fondé sur l’observation de l’île de Mélite en mer Adriatique, où son père et lui avaient été exilés. Parmi les nombreuses descriptions et anecdotes que comprennent les Halieutiques, un exemple (1817 : 180) ne manque pas de surprendre par le rapprochement qu’il offre avec celui des Imrâgәn à l’instant évoqué. Dans cet extrait, Oppien relate l’événement suivant :
« Les sargues ont un vif amour pour les chèvres : elles sont l’objet de leurs désirs […] Quoi de plus merveilleux que ce rapprochement d’animaux sortis les uns des mers, les autres des monts escarpés ! Les bergers qui en sont pour la première fois témoins, restent frappés d’étonnement […]. Le génie de l’homme tournera contre vous (les sargues) votre attachement, pour vous tromper, pour vous donner la mort. Revêtu de la peau des chèvres, la tête surmontée de deux cornes, il s’y rend muni d’un appât… Cette odeur amie, cette forme trompeuse, les attirent sans qu’elles aient le soupçon d’aucun piège et se jouent autour du pêcheur ennemi déguisé sous la peau des chèvres [15]… »
14La présence ponctuelle des chèvres en bordure de mer aurait suffit à faire d’elles des éléments significatifs dans le monde des sargues, ainsi qu’en témoigne cet autre passage des Halieutiques :
« Lorsque tout retentit des bêlements de joie de ces tendres chevreaux, l’aimable sourire anime la figure des bergers. Les sargues montrent le même empressement autour des troupeaux de chèvres. Lorsqu’un assez long séjour dans les eaux a satisfait leurs besoins, elles retournent vers la bergerie. Les sargues affligées les suivent alors tous en masse et de près jusqu’à la dernière ride des ondes qui touche à la terre [16] »
16C’est moins sur la véracité de cet exemple, – démentie quelques siècles plus tard par Lacépède, dans son Histoire naturelle des poissons –, que sur l’élément de compréhension qu’apporte cette anecdote, qu’il convient de concentrer notre lecture. Cette fable des sargues et des chèvres, mais surtout le commentaire de l’auteur qui en interprète les étapes, témoigne d’un effort perspectiviste : le même effort dont nous disions à l’instant que dépend en première instance l’efficacité du leurre. Le pasteur revêt une peau de chèvre, après avoir constaté que les poissons n’y étaient pas indifférents. Mais – et c’est là sans doute l’originalité de cet exemple –, il conserve, dans ce déplacement de point de vue, des logiques affectives proprement humaines qui sont celles du sentiment amoureux, du « désir ». Le pêcheur est ici un entremetteur d’un genre particulier, entré dans une logique amoureuse dont il remplace l’origine par un appât. Le leurre ne se borne donc pas ici à connaître et reproduire des logiques naturelles propres aux sargues. Il consiste à projeter sur un monde auquel on impute une certaine autonomie – puisque ce monde nécessite un changement de perspective –, des logiques affectives qui sont essentiellement celles du sujet humain leurrant. Le leurre apparaît donc, avec ce premier exemple de « relations croisées », être autant du côté du monde du sujet leurré que du côté du monde du sujet leurrant, et jouer ce rôle de compromis entre les logiques et les représentations de l’un et l’autre. Avant d’opérer la synthèse de ces réflexions, poursuivons par un dernier exemple, plus rigoureusement ethnographique celui-ci.
La fable du rat et du poulpe
17Cet exemple relate l’origine d’un type de pêche au leurre : le maka feke, pratiqué dans l’archipel des Palau. Celui-ci repose encore une fois sur une relation de type « croisé », entre deux espèces animales qui ne partagent pas a priori les mêmes mondes et que le leurre va pourtant mettre en interaction :
« La légende du maka feke raconte l’histoire d’un rat pris au piège sur une pirogue malmenée par la tempête et qui finit par se briser. Le rat tremblant de peur, cherche de l’aide, ou quelque chose à quoi se raccrocher. Il remarque alors un poulpe nageant dans l’eau près de lui et lui demande de le ramener à terre. En échange, il lui promet une généreuse récompense. Le pouple accepte. Il laisse le rat s’asseoir sur sa tête et se dirige prudemment vers le rivage. Dès qu’ils atteignent la plage, le rat saute de la tête du poulpe et court se réfugier sur la terre ferme. Lorsque le poulpe réclame sa récompense, le rat lui répond malicieusement : «Tu n’as qu’à te toucher la tête.»… On dit que, depuis lors, le poulpe s’estimant trahi, cherche à se venger du rat pour le punir de son attitude insultante. C’est pourquoi le leurre tongan appelé maka feke a la forme d’un rat [17]. »
19Dans cette anecdote, le piège est double : d’une part, il intervient au niveau de l’histoire initiale entre le rat et le poulpe, puisque le rat abuse de la confiance du poulpe avec la promesse trompeuse d’une récompense en contrepartie de son retour sur la terre ferme ; d’autre part, le piège intervient finalement dans la fabrication d’un leurre qui va à nouveau tromper le poulpe, sur la base d’une autre ruse, visuelle cette fois-ci, reposant sur le souvenir archétypal du rat. Ce qui nous intéresse ici est moins cet enchâssement de ruses et d’illusions, que ce qui touche à l’efficacité même du leurre : au renversement radical qu’opère cette anecdote. Nous venons à l’instant de le rappeler : l’efficacité du leurre tient, semble-t-il, à son aptitude à comprendre les éléments significatifs du monde du sujet leurré et à se substituer à eux. Le leurre supposerait donc que soient distincts le monde du sujet leurré et celui du sujet leurrant, quitte à ce que certaines inférences, basculant de l’un vers l’autre – comme l’a montré la fable précédente – en brouille ponctuellement les limites. Or, l’exemple présenté ici nous indique autre chose. Dans ce cas, en effet, c’est moins l’attention scrupuleuse à la spécificité d’un monde considéré comme clos et singulier, que le continuum les liant l’un à l’autre, qui semble être le gage de l’efficacité du leurre : la logique mythologique prend ici le pas sur les relations écologiques, ou plus précisément, l’une et l’autre, écologie et mythologie ne sont pas conçues comme distinctes. Les deux plans, humain et non-humain, semblent indissolublement liés, dans la trame d’une histoire commune, sur la structure de laquelle repose ultimement l’efficacité du leurre.
La poïétique du leurre : du perspectivisme [18] inaugural au schématisme sensible
20L’exemple à l’instant évoqué a bien montré que, pour engager une réflexion sur le leurre, il ne suffit pas de la structurer sur des séries contrastives telles que nature/culture, mondes animal/monde humain, réel/symbolique. Nous avons choisi à dessein d’employer les termes de « sujet leurrant » et « sujet leurré » pour que ne soient pas reconduites des oppositions que le leurre tend en partie à suspendre, à la faveur d’une labilité essentielle. Toutefois, en raison de la place intermédiaire occupée par ce dispostif en éthologie – où le leurre est conçu comme un système d’expérimentation destiné à l’animal – et dans les sociétés humaines, – parmi lesquelles, nous venons de le voir, les notions d’animalité et d’humanité ne sont pas adossées l’une à l’autre, mais forment, pour des régimes ontologiques variés, un continuum (Descola, 2005) – le contenu associé à chacun des termes de cette triade (leurre-leurrant-leurré), dans l’une et l’autre de ces perspectives, varie. En mettant en vis-à-vis dans ce troisième moment le leurre de l’éthologue et celui qui est présent dans les sociétés humaines, notre but n’est pas de faire du leurre un révélateur de perspectives ontologiques. Plutôt que sa relation avec l’ontologie, il nous importe davantage ici d’appréhender la relation du leurre avec la sensibilité. Revenons donc à ce point de notre réflexion.
21Le leurre comme schématisme sensible
22Le leurre suppose à son principe un déplacement de la perspective du sujet leurrant vers le sujet leurré, soit la suspension de référents et représentations propres au sujet leurrant pour que puisse s’opérer un basculement spontané vers le monde du sujet leurré. Ce principe semble – nous l’avons vu avec les exemples ci-dessus –, dans bien des cas discutable. Toutefois, le principe qui sous-tend ce perspectivisime : l’idée qu’il n’existe pas un mais des mondes, pas une perspective unique sur la réalité, mais de multiples, cette idée subsumée en éthologie sous le terme allemand d’Umwelt, peut apporter à notre réflexion sur les relations du leurre et de la sensibilité, quelques éléments de compréhension importants.
23Dans sa Théorie de la signification, Uexküll prend pour illustrer ce concept l’exemple de la tige d’une fleur sauvage dont il décline les significations pour une jeune fille, une fourmi, une cigale et une vache. Dans ces quatre perspectives, la fleur n’a pas la même façon d’apparaître. La fourmi retiendra le caractère tactile qu’elle enregistre avec ses antennes par le biais desquelles la tessiture « carrelée » de la tige est l’élément le plus important ; la cigale en retiendra le caractère gustatif dont elle apprécie la densité pour construire les murs fluides de sa maison aérienne ; la jeune fille en contemple la couleur, accordant la plus grande importance à son caractère visuel, etc. Les mondes de chacune d’elles apparaissent donc selon des voies sensibles multiples, ou, pour être plus exact, les mondes de chacune d’elles sont ces voies sensibles elles-mêmes. Les rendre présentes les unes et les autres, revient donc à prélever les traits sensibles saillants (qu’ils soient tactiles, gustatifs ou visuels) de ces univers et, les ayant retenus, à en opérer la réplique matérialisée.
« La première tâche dans une recherche sur le milieu consiste à isoler les caractères perceptifs de l’animal parmi tous ceux de son entourage et à en bâtir le milieu de l’animal… [19] »
25L’éthologie nous apporte ici un élément de compréhension essentiel. Dire, en effet, que le leurre implique un changement de perspective ne peut se comprendre sans préciser en quoi ces perspectives diffèrent et quelle est la teneur des mondes qu’elles démultiplient et apposent. Le monde est sensation. Le monde, tel que l’appréhende l’éthologie est cette trame sensible, partiale et partielle, à laquelle est liée une espèce et qui constitue, de son point de vue, un tout achevé et signifiant. L’exemple de Tinbergen sur les épinoches est sur ce point des plus éclairants. Un bref rappel nous permettra de préciser notre pensée. Tinbergen raconte (1953) comment, étudiant le comportement des épinoches mâles territoriaux dans des aquariums placés sur une fenêtre, il en vint finalement à comprendre la qualité sensible minimale sur laquelle s’échaffaudait le monde de l’espèce. Lorsqu’une camionnette rouge de la poste passait devant la fenêtre, les épinoches présentaient immédiatement un caractère agressif et essayaient de l’attaquer comme s’il s’agissait d’un rival mâle. De cette curiosité, Tinbergen retint que l’élément significatif dans le monde de l’épinoche était moins la vraisemblance morphologique de l’aspect d’un congénère, l’odeur que pouvait dégager un individu mâle ou les vibrations que sa présence stimulait, que la seule couleur rouge, apparue sur la partie inférieure de leur corps lors de la période d’accouplement et qui opèrait dans cet intervalle comme le signal d’un danger imminent. L’idée lui vint donc – ainsi que le figure la frise ci-dessous (fig 1) – de réduire à la seule couleur rouge, quelle que soit la forme qui la supporte, proche ou éloignée de celle du poisson –, le monde de l’épinoche.
26La diversité des perspectives, la distinction entre un monde et l’autre, entre sujet leurrant et sujet leurré consiste donc en une trame sensible dont le leurre constitue le patron, la forme minimale perceptive. Pour l’éthologie, le leurre consiste donc à prélever, après les avoir méthodiquement déduits d’un processus complexe d’expérimentation, les traits sensibles structurant le monde de l’animal, et à les schématiser. Le leurre opérerait donc la rétention et la réduction des qualités sensibles jugées significatives pour le sujet leurré. La « méthode des leurres [20] » laisse par conséquent supposer que les perceptions du vivant puissent tenir en des formes sensibles contrastées, résiduelles et schématiques, que les mondes puissent s’égrener en une multitude de variables sensibles. Qu’en est-il du leurre sur lequel l’anthropologie porte son attention : un leurre qui consiste moins en un dispositif d’expérimentation qu’en un dispositif de prédation ou de domestication ? Le schématisme sensible opère-t-il également dans les techniques de pêche, de chasse, de lactation ?
Le schématisme sensible comme compromis
27Il semble, en effet, que la réduction à quelques traits sensibles du monde du sujet à leurrer opère également dans les leurres utilisés pour la chasse, la pêche, la lactation, l’adoption ou la séduction. Ces voies sensibles peuvent être auditives, comme dans les techniques dites de huchements (Léotar, 2006) ou les imitations des cris d’animaux par des appeaux (Bahuchet, 1985) ; elles peuvent être également olfactives, comme dans les techniques d’adoption où la peau d’un nouveau mort-né recouvre la structure d’un mannequin (Bernus, 2005) ; et se décliner ainsi selon les divers canaux sensibles et perceptifs jugés fondamentaux pour la phénoménalisation du monde du sujet leurré. Le leurre, quelles qu’en soient les formes, quelqu’en soit l’émissaire ou le destinataire consisterait donc essentiellement, dans les sociétés humaines également, à opérer la rétention et exhiber l’esquisse sensible d’un monde spécifique par l’extraction de certaines de ses qualités. Sur ce point, le leurre de l’éthologie semble correspondre dans sa définition aux occurrences sensibles du leurre dans les sociétés humaines. Toutefois, si, comme le suppose l’éthologie, l’Umwelt des non-humains est partiel et partial, réductible à quelques cablâges sensoriels, il ne peut être exclu que le monde humain présente une partialité tout aussi manifeste. Cette partialité tendrait alors à infirmer l’idée qu’un accès à un monde autre en tant que tel, un monde résolument distinct du nôtre, comme peut l’être celui de l’animal, soit possible. Car si le monde humain se diffracte également en une multitude de variables, il faut envisager que le modèle perceptif qui fonde la possibilité de ce déplacement, soit également ce qui le limite. La phrase de Uexküll selon laquelle « tout sujet tisse ses relations comme autant de fils d’araignée avec certaines caractéristiques des choses et les entrelace pour faire un réseau qui porte son existence » (1965 : 29) n’est donc pas sans rappeler celle de Lévi-Strauss qui écrivait en 1983 : «… Chaque culture constitue en traits distinctifs quelques aspects seulement de son milieu naturel mais nul ne peut prédire lesquels ni à quelle fin [21] ». Il y a à l’intérieur du monde humain des saillances sensibles qui structurent la perception sur la base d’une inclusion ou d’une exclusion dont nul ne peut prédire lesquelles ni à quelles fins. Qu’il n’y ait pas des mondes animaux et un monde humain, ainsi que le laisse supposer l’intitulé du livre de Uexküll, mais bien une infinité de mondes humains, distincts les uns des autres par l’implication et l’acuité sensible qui est la leur, est ce que les théories issues de l’anthropologie des sens [22] tentent de mettre en lumière ces dernières décennies. Si les moyens organiques pour apprécier la réalité sont donc les mêmes, les prédispositions culturelles, l’« éducation de l’attention [23] » qui contribue à les stabiliser, conditionne de façon imprévisible ce qui sera retenu du monde. Chaque culture isole du fait de cet apprentissage des zones de sensibilités et de non-sensibilités différentes. Si tout n’est donc pas également perceptible pour un individu culturellement familiarisé avec son milieu, le perspectivisme qu’il engage vers le monde du sujet leurré est également partiel. Il ne verra de la complexité du monde du sujet leurré – humain ou non-humain – que ce que sa matrice culturelle l’aura prédisposé à voir ; il n’interprétera de relations de cause à effet que celles que ses propres inférences culturelles l’auront sensibilisé à déceler, et n’entendra dans les sons émis par les non-humains que ceux que son schéma culturel lui aura donné la possibilité d’entendre. C’est ainsi que pour les pygmées Aka, l’imitation des cris d’animaux repose sur des détails qui constituent bien souvent des répliques « inexactes » du cri émis par l’animal, dans la mesure où celui-ci a subi, dans sa perception, puis dans son imitation les modifications que son propre cadastre culturel lui impose. Le schématisme sensible présenté par le leurre tel que le construisent les sociétés humaines, serait donc, à la différence de celui qui est conçu par l’éthologue, moins une tentative d’opérer un basculement complet vers le monde jugé indépendant du sujet leurré, que celui d’en faire apparaître l’essentielle continuité.
28Si l’éthologie s’est jusqu’alors attachée à comprendre le monde animal de l’intérieur en l’objectivant, faisant ainsi du leurre un moyen expérimental pour comprendre la perception qu’a un sujet du monde qu’il habite, il n’en est pas de même du leurre tel que l’utilisent des sociétés humaines pour chasser, pêcher, traire ou domestiquer. Dans ces derniers cas, le leurre devient la forme schématisée de ce qui est significatif pour le sujet leurré du point de vue d’un sujet leurrant. Son analyse engage donc de se placer dans cette interface sensible, – plutôt que dans des univers résolument distincts et indépendants les uns des autres –, et d’observer dans leurs variétés, leurs labilités et leurs interactions les câblages sensoriels qui structurent la relation au monde.
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- http://www.ethnographiques.org/2007/Wisniewski.html
Notes
-
[1]
Detienne et Vernant (1974 :12).
-
[2]
Mètis était fille d’Océan et de Thétys.
-
[3]
3 Les Imrâgәn ont été, jusque dans les années 1950, les seules populations maures à pratiquer la pêche.
-
[4]
Ce que nous subsumons sous l’expression de « minimalisme technologique » a été très largement évoqué dans l’ensemble des écrits relatifs à cette question : Cheikh, A. W. O. (2002 : 18) évoque une pêche « très sommairement outillée », d’autres auteurs comme Anthonioz, R. (1968 : 338) insistent sur l’immobilisme de ce patrimoine « ces pêcheurs vivent pratiquement comme il y a 50 ou 500 ans. » (1968 : 338).
-
[5]
Dans les années 1940 s’amorce l’introduction successive de matériaux et savoir-faire allogènes. Les principaux foyers d’innovations techniques étant venus du Sénégal (Saint-Louis) ou importés par les industries françaises installées dès le début du xxe siècle à Port-Etienne.
-
[6]
C’est avec l’apparition de la pêche à la courbine, soit au tournant des années 1960 que la pêche se double de l’usage d’une embarcation.
-
[7]
S’agissant des relations de l’Afrique à la mer, le geste théorique le plus largement esquissé par la littérature consista le plus souvent à les caractériser par leur marginalité voire leur inexistence : « L’océan constitua (pour les sociétés africaines) une véritable barrière à laquelle (elles) s’adossèrent sans véritablement en utiliser les ressources » (Chauveau, 1986 : 176). Cette thèse a été entérinée par grand nombre d’auteurs dont Richard-Molard 1952, Person 1970, Barry 1981, X. de Planhol 2000.
-
[8]
La modernité, et l’apport massif durant la première moitié du xxe siècle d’un outillage approprié, ont naturellement eu pour conséquence d’éroder l’ensemble de ces modalités traditionnelles. C’est sur le témoignage des anciens qu’a été possible la reconstitution de ce rapport antérieur à la mer.
-
[9]
Detienne, M. et Vernant, J. P. (1974 : 33).
-
[10]
Voir Artaud, H. (2012) Dans la perception Imrâgәn de la mer se présentent d’emblée comme enchevêtrés les mondes naturels et surnaturels. Les modalités de leur articulation procèdent toutefois de logiques que seuls distinguent et maîtrisent certains initiés, dépositaires du « secret de la mer ». Quelques familles, issues des groupes maraboutiques Bârikalla et Buhubbayni, ont ainsi réussi à asseoir leur légitimité sur la côte par l’exercice de pouvoirs ésotériques supposés influer sur les phénomènes naturels maritimes (intensité des vents, force et orientation des courants, cycle de la lune…) autant que sur le comportement de certaines espèces marines (dauphins et tortues), dont ils ont fait leurs principaux émissaires. Ces pratiques sacrées, qui favorisent ou défavorisent l’activité de pêche, ont opéré, entre les Imrâgәn et le milieu marin, une médiation spécifique et inscrit le sacré au cœur de l’écologie imrâgen et au principe de l’équilibre naturel. Les pratiques opérées sur le tablier de cuir du pêcheur faisaient partie d’un ensemble de dispositions censées favoriser la pêche.
-
[11]
Leroi Gourhan, A. (1964 : 82) : « Il faut comprendre comme leurre tous les procédés, objets ou parties d’objets qui, créant chez l’animal convoité l’image d’une proie ou l’impression de sécurité, l’attire vers un dispositif de capture. »
-
[12]
Bahuchet, S. (1985 : 62).
-
[13]
Leroi-Gourhan, A. (1964 : 82).
-
[14]
Oppien (1817 : 185-186).
-
[15]
Kronen, M. (2003).
-
[16]
Idem.
-
[17]
« À la suite de Viveiros de Castro, Willerslev propose un double perspectivisme, qui permet aux Yukaghir d’assumer la perspective d’un animal-gibier (via la mimésis) tout en demeurant des chasseurs engagés dans la traque » cité par Wiesniewski, 2007.
-
[18]
Uexküll, J. (1965 : 99-100).
-
[19]
La « méthode des leurres » consiste à réduire les stimuli complexes déclenchant un comportement spécifique à des stimuli plus simples dont la variation n’implique qu’un seul des facteurs en cause.
-
[20]
Lévi-Strauss, C. (1983 : 145).
-
[21]
Howes, D. (2005) ; Candau, J. (2000).
-
[22]
Gibson, J. J. (1996 : 254).
-
[23]
Bahuchet (1985 :283) «… ce cri est rarement une imitation exacte du cri de l’antilope ».