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Article de revue

La subtilité du phoque. La nature équivoque dans la Grèce archaïque

Pages 129 à 141

Notes

  • [1]
    Le jeu de mots d’Ulysse face à Polyphème se présentant comme Outis, Personne, pour tromper autant le Cyclope que les cyclopes de l’île est tout à fait révélateur de cette pratique.
  • [2]
    L’anthropologie homérique est un sujet d’études qui lie les travaux de Marcel Detienne, Jean-Pierre Vernant, Giulia Sissa, David Bouvier, Claude Calame, James Redfield, Gregory Nagy, Jesper Svenbro, Eric Havelock, pour ne citer que les auteurs modernes.
  • [3]
    Cette situation est fréquente dans les récits de tradition orale : pour obtenir une connaissance, les héros sont contraints de passer par une série d’épreuves, au cours desquelles ils obtiennent l’aide de proches de l’homme ou du monstre auquel ils sont confrontés. Je remercie François Flahault de m’avoir suggéré un rapprochement que l’on trouvera étayé dans de nombreux passages de son ouvrage La Pensée des contes, (2001).
  • [4]
    Selon Aristote et Pline, les oiseaux se transforment au cours de l’année, leur chant, la couleur de leur plumage et leurs formes changent (Aristote, Histoire des animaux, IX, 51). D’après Aristote, les oiseaux passent d’une espèce à l’autre, ils subissent une métabollè, ainsi le rouge gorge devient un rouge-queue. « À une certaine époque de l’année, ils [les oiseaux] deviennent totalement différents d’eux-mêmes », écrit Pline (Histoires naturelles, Livre X, XLII, traduction d’E. Littré). Les sophistes n’étaient donc pas les seuls à penser que la nature pouvait être parfois gouvernée par le leurre et l’artifice. Ce dernier, encore chez les oiseaux, est un outil de séduction. Dans le traitement littéraire de la métamorphose, l’accent sera mis sur le passage de l’humanité à l’animalité. La métabollè est vue, notamment chez Ovide, comme une forme d’emprisonnement dans une condition animale consécutive à un écart de conduite, elle est une punition pour l’homme ; l’Ovide moralisé du Moyen Âge accentuera cette tendance.
  • [5]
    Ainsi Philomèle et Procné devenues hirondelle et rossignol, ou Arachnè transformée en araignée.
  • [6]
    Dans l’Hymne homérique qui lui est consacré, ne voit-on pas Hermès lâcher un vent pour se dégager de l’emprise d’Apollon ?
  • [7]
    Pline l’Ancien (Histoires naturelles, XXII, 144) relève un autre élément d’ambivalence. Il rappelle, en effet, une pratique de la médecine antique consistant à prélever la présure, l’enzyme récupérée dans la caillette du phoque, et à introduire cette substance grasse dans les narines des femmes prises de crises d’épilepsie. On trouve la même ambivalence chez la tortue.
  • [8]
    De ce point de vue, l’article de Renée Koch-Piettre est extrêmement précieux.
  • [9]
    L’épisode du Cyclope est de ce point de vue tout à fait emblématique.
  • [10]
    Comme le remarque Renée Koch-Piettre et le confirme François Flahault, op. cit, les questions de comptabilités, ou plus généralement, « l’ambivalence des signes », Renée Koch-Piettre : 137, sont un des ressorts narratifs des contes. Pour un aperçu du vertige de la mètis dans l’Odyssée, l’ouvrage de référence est Pucci (1995).
  • [11]
    Renée Koch-Piettre parle même de pantomime.
  • [12]
    Pandôra possède elle aussi l’avantage de l’inattendu et de l’inconnu.
  • [13]
    Nous sommes de ce point de vue très éloignés de la tradition des scènes de chasse.

1Projeter de montrer que le phoque est un animal subtil relève a priori de la gageure, tant, chez cet animal, rien ne semble indiquer qu’il possède les qualités requises pour être qualifié de la sorte. Ses déplacements lents et poussifs laissent entendre que la nature ne lui a pas été favorable. Sa mollesse et sa paresse – il aime se prélasser au soleil sur la grève – le rendent, certes, sympathique, mais elles font de lui un animal apparemment plus inoffensif et vulnérable que véritablement retors. Pourtant, d’après Marcel Detienne, il fait bien partie du bestiaire des animaux que les Grecs de l’époque archaïque considéraient comme doués de mètis, cette forme d’intelligence technique, pratique et tactique dont usent aussi bien le rusé Ulysse que des divinités industrieuses telles qu’Athéna ou Hermès. Marcel Detienne le cite, en effet, au côté du crabe, dans un chapitre du fameux ouvrage « Les Ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs » (1974 : 244-260). Étrange d’imaginer que, pour les Grecs, cet animal possède des qualités stratégiques l’assimilant à la mètis animale au même titre que le renard ou le poulpe, eux, maîtres reconnus en art de l’esquive et du leurre. L’extrémité atrophiée de ses membres le rend peu véloce et apparemment fort démuni lorsqu’il s’agit de fausser compagnie à un poursuivant. L’association de la lenteur et de la mètis semble improbable, tant cette dernière semble à première vue fondée sur des critères de vitesse et de rapidité d’exécution ; néanmoins, telle est la thèse que nous voudrions défendre : la non vélocité n’implique pas forcément l’absence de ressources, de tours, d’astuces, outils par excellence de la mètis. Le renard est considéré, par exemple, comme plus rusé bien que moins rapide que le lapin.

2La première idée que nous voudrions avancer est qu’en réalité le phoque incarne un type singulier de mètis propre à l’univers marin. Dans ce contexte bien particulier auquel Ulysse est confronté lors d’une bonne partie de son errance, ruser, leurrer ne renvoie pas à la même logique et à la même dynamique que celles déployées pour triompher d’un adversaire sur le sol, sur la terre ferme, dans un environnement stable. La mètis est en effet la forme d’intelligence convoquée pour se sortir d’une passe difficile, pour renverser des situations défavorables, pour éviter des écueils et dépasser les apories, en se rendant insaisissable. Elle octroie à celui qui la possède une souplesse du corps et de l’esprit, une habileté à s’adapter aux situations et à tromper l’adversaire en altérant ses sens et sa conscience, bref elle joue, à tous les niveaux, sur la bien souvent trop grande rigidité des êtres sûrs de leur puissance. Glisser entre les mains de leurs poursuivants, tel pourraît être un des effets de la mètis des êtres marins. Avec ces caractéristiques, on comprend toute l’utilité de considérer l’importance de la mètis aquatique dans une approche du leurre. Le monde marin se prête en effet tout particulièrement à des phénomènes d’altération : brumes, vapeurs, humidité, ondoiement, mouvance, tous ces termes caractérisent l’univers aquatique. Ce monde étant aussi celui de l’absence ou du brouillage des repères, c’est sur cette logique, sur la possibilité de faire perdre une stabilité, un équilibre autant sensoriel qu’intellectuel, que repose le principe du leurre. En nous approchant de la singularité du phoque, nous postulerons, ensuite, que l’énigme entourant l’efficacité du phoque se déploie à partir d’une indécision quant à un statut qui le rend, par certains aspects, proche du monde terrestre, par d’autres, proche de l’univers aquatique. L’indécision est une ouverture à travers laquelle se faufile le leurre. Ce point nous mènera à une observation sur le statut du phoque. Le plus étonnant à ce propos tient à ce que cette subtile fluidité de l’animal que nous tentons de cerner n’est pas une astuce qu’il emploierait en certaines circonstances ; plus fondamentalement, elle participe à son être, elle lui colle à la peau pour le dire trivialement, ce qui le rend fascinant, mais aussi par certains aspects étrange, voire inquiétant. Ce n’est donc pas en tant qu’objet et sujet de chasse qu’il intéresse l’imagination des poètes (Homère) et des naturalistes de l’Antiquité (Aristote, Elien, Oppien, Pline l’Ancien), mais parce qu’il possède les principales qualités d’une ambivalence difficile à cerner. Son statut, sa situation au sein de l’ensemble des vivants, est à lui seul un phénomène étrange, dont l’opacité a fait couler beaucoup d’encre. C’est par cette porte que l’on peut approcher sa subtilité. Être de passage, le phoque, quittant les profondeurs pour s’étendre sur la grève ramène toute l’opacité des profondeurs aquatiques.

3Puis, d’un point de vue tactique, nous allons tenter de montrer que, pour la tradition homérique, ce que n’a pas le phoque en qualités de locomotion, il l’a en art du toucher et de la préhension. Son originalité vis-à-vis des animaux à mètis plus connus (renard, seiche) vient de ce que sa technè (art, mais aussi ruse) relève moins de subterfuges d’esquives et de fuites que d’une habileté au contact. Inversement, le phoque n’offre pas de prises, sa peau lisse et humide est une surface glissante. Pourtant cette dernière, une fois l’animal écorché, devient une matière adhésive. La subtilité du phoque se nourrit de ce paradoxe. En un mot, il fascine, déroute et capte les attentions. L’inaboutissement, l’entre-deux qu’il incarne en fait une figure de passage, et à ce titre suscitant un intérêt comparable à celui des autres entités possédant un statut ambivalent et équivoque. C’est de la qualité et de l’efficacité tactique, en tant qu’instrument de leurre, de ce statut et de la fonction, plus imaginée que véritablement réelle, de passeur qu’il sera question dans cet article.

4Pour décliner cette insaisissabilité physique et intellectuelle du phoque, nous voudrions nous appuyer sur un passage de l’Odyssée. La poésie grecque archaïque regorge de scènes de leurres : nous pensons, par exemple, au cheval de Troie ou à Pandôra, du côté d’Hésiode ; le chant IV de l’Odyssée dans lequel Protée, gardien des phoques de Poséidon, pourtant maître en art du leurre, est trompé par un Ménélas dissimulé sous une peau de phoque en est une scène typique. Ce passage homérique narre non pas un seul leurre, mais une succession et une compétition de leurres, où l’art de l’observation et de la dissimulation le dispute à celui de la transformation. Par un jeu d’inversion et de renversement, nous allons voir que, dans la confrontation entre Protée et Ménélas, la subtilité et la fluidité change de camp et vient seconder celui qui au départ en paraît le plus dépourvu. Après une analyse de cet épisode, nous comparerons la tactique de Ménélas aux stratégies de leurre les plus couramment évoquées dans l’Antiquité, en particulier la métamorphose, et nous tenterons de voir en quoi la ruse de Ménélas s’en démarque et paraît plus efficace. Ensuite, nous donnerons un éclairage sur les données partagées par la « communauté des naturalistes de l’époque » et les poètes à propos de l’étrangeté du phoque. Fort du constat de cette perméabilité des savoirs, nous envisagerons les contours de ce que l’on pourrait appeler une poétique du leurre. Les déplacements de forces, mais aussi de sens, sont tout à fait emblématiques de la poétique homérique, où une tromperie, un jeu de langages ou d’apparences en cache toujours un autre [1]. L’astuce est donc aussi d’ordre poétique, elle s’appuie sur une dynamique du renversement des puissances, des qualités et des situations et sur l’effet de surprise qu’elle produit chez son récepteur.

5L’arrêt que nous voudrions proposer sur la subtilité du phoque pourrait mettre en évidence la richesse anthropologique d’une mètis, qu’ont en partage les Grecs, les hommes et les animaux. Cette dernière est également au centre de ce qu’il est convenu d’appeler l’anthropologie homérique, elle est aussi le noyau du schéma narratif de l’Odyssée[2]. Comme l’ont montré J.-P. Vernant et M. Detienne, elle délimite conceptuellement l’espace de référence de la pensée européenne quand il s’agit de considérer une forme de raison, de pensée, non pas spéculative mais pratique, voire tactique. La question du leurre tend évidemment à approcher cette seconde forme de raison.

Protée et Ménélas

6La tradition homérique semble avoir habilement noté que les qualités tactiques du phoque sont moins affaire d’agilité, de rapidité que d’équivoque et de fluidité. Dans le chant IV de l’Odyssée, Ménélas est aux prises avec Protée, le gardien des phoques de Poséidon. Le « vieillard de la mer » s’emploie à échapper à l’emprise de l’Atride, sa capture étant indispensable pour la suite du périple de Ménélas, et notamment son retour sur ses terres. Y est décrit ce que l’on pourrait appeler une chaîne de leurres prenant au piège les corps et les esprits ; l’ensemble donne un large éventail des moyens de tromper un adversaire. Le premier, nous le verrons, relève de l’art de la dissimulation, le deuxième de l’esquive par la métamorphose, dont Protée est un fin utilisateur, le dernier d’une logique plus opaque, où Ménélas parviendra, par une astuce, à dépasser les limites d’une humanité qui, auparavant, le tenait prisonnier d’un corps peu habile, lors de sa confrontation à la fluidité du milieu aquatique, dont Protée est un des représentants. Le passage de l’Odyssée pourrait être résumé de la façon suivante : de retour de Troie, Ménélas et ses compagnons se trouvent bloqués sur une île de la lointaine Égypte, Pharos. Faute de vents favorables, ils sont contraints de « rester à quai ». La situation de Ménélas n’est pas simple. L’absence de vents favorables n’a rien d’un phénomène purement naturel, elle est l’expression d’un mécontentement divin, qu’un acte rituel, un sacrifice, mettrait dans de meilleures dispositions, si ce n’est que Ménélas ignore quel dieu il a offensé ; ce faisant il ne peut pas satisfaire l’obligation d’un sacrifice dont il ne connaît pas le destinataire. Il se trouve qu’habite sur cette île un être dont le savoir est justement celui dont Ménélas a besoin. Il s’agit de Protée, le « vieillard de la mer », au savoir prophétique. Ce dernier pourrait lui donner le nom de ce dieu insatisfait et lui indiquer quel sacrifice il doit accomplir. Malheureusement pour l’Atride, Protée n’est pas homme à se laisser approcher aisément. Il ne supporte que la présence des phoques dont son père, Poséidon, lui a confié la charge. L’arrivée d’un quelconque humain à sa proximité déclenche chez lui une série de métamorphoses lui permettant à coup sûr de prendre la fuite. Ici, Ménélas peut compter sur Idothée, la fille de Protée [3]. Cette dernière fournit au héros et à trois de ses compagnons les peaux de quatre phoques qu’elle est allée récupérer dans les fonds marins. De cette manière, ils peuvent s’approcher de Protée sans attirer sa méfiance. Au moment propice, ils se saisissent de lui, l’empoignent et le tiennent assez fermement pour que les métamorphoses du vieillard ne produisent pas l’effet escompté. Finalement, conscient qu’il a affaire à plus rusé que lui, Protée abandonne la partie. Il consent à parler à Ménélas et à lui délivrer son savoir.

7Dans cette histoire de manipulation et de contact épidermique la peau de phoque est l’élément narratif essentiel. En effet, dans cet épisode, Ménélas et ses compagnons, dissimulés sous les peaux de phoques parviennent à saisir ce qu’à tout humain il est impossible d’empoigner, à savoir l’élément liquide, la dernière transformation de Protée étant en eau fuyante. L’instant d’un leurre, l’Atride devient un être équivoque et par là il acquiert une efficacité qui lui faisait défaut auparavant. Il renverse, pour son propre intérêt, l’efficacité de la logique de la métamorphose dont Protée semblait, avant la rencontre avec l’Atride, le détenteur indétrônable. Cette logique de transformation est vue dans l’Antiquité comme étant une particularité du monde de la nature [4]. Les mythes étiologiques donnent des explications à l’apparence de tel animal en recourant à la narration de métamorphoses d’hommes en bêtes [5]. L’épisode de l’Odyssée n’est pas aussi définitif. La logique est celle de la complicité et de l’échange. Comme dans l’épisode du Cyclope, la confrontation n’est pas pensée en vue d’une victoire par élimination, par anéantissement, mais dans l’optique de forcer, par la ruse, un passage, d’établir une communication, d’inverser les forces et de transférer les savoirs. De même qu’Ulysse avait besoin de la puissance de Polyphème pour enlever la pierre qui obstruait la sortie de sa grotte, de même Ménélas a besoin de la connaissance de Protée. Le schéma narratif privilégie l’idée d’une compétition non pas entre force et ruse, mais entre deux formes de leurres.

8Quelles questions soulève cet épisode et en quoi nous permet-il d’avancer sur le chemin d’une réflexion ayant pour objet le leurre ? Dans la tradition homérique, le monde aquatique est un univers étrange, hostile, échappant totalement au contrôle de l’homme, il est un piège dont le navigateur Ulysse est parvenu à s’extirper. Ménélas dans cet épisode semble aller plus loin et trouve le moyen d’en devenir le complice en retournant l’arme de la subtile fluidité. Que s’est-il donc passé pour que Ménélas parvienne à dépasser une nature humaine inadaptée à l’élément aquatique et à devenir aussi ondoyant que son adversaire, doué, lui, pour épouser une diversité de formes ? Le contact avec les peaux de phoques n’aurait-il pas permis, l’espace d’un instant, de bouleverser sa nature, de la transformer, de l’animaliser ? Et donc de le faire passer du statut de victime de la mètis aquatique, comme l’est tout homme confronté à l’élément marin, à celui de partenaire ?

La logique des métamorphoses vs l’ambivalence du phoque

9À la différence des métamorphoses décrites par Ovide, celles d’Homère, en lien avec la mètis, sont avant tout tactiques. Elles donnent les moyens d’échapper à l’emprise d’un adversaire. Comme nous le disions plus haut, on pourrait ranger cette stratégie fondée sur des leurres visuels dans le cadre de l’aiolomètis, de l’art de rendre les choses fluides et insaisissables. L’adjectif aiolos, signifiant changeant, mouvant, donne une texture fluide à la mètis. Dans une typologie plus générale du leurre, le processus de métamorphose est apparenté à celui de la perte d’une forme unique, qu’elle soit divine ou humaine, et le gain d’une diversité d’apparences empruntées au monde de la nature (air, eau, feu) ou de l’animal. Cette technique est l’apanage, dans l’Odyssée, des figures marines possédant la mètis. Apollodore (Bibliothèque, III) fait allusion aux métamorphoses de Thétis cherchant à échapper aux assauts de Pélée. La nymphe se transforme en feu, puis en eau. Le cas de Psamathé est encore plus intéressant pour notre propos. Pour ne pas être faite prisonnière d’Eaque, elle prend diverses apparences animales, dont celle du phoque. Ce choix est là encore surprenant, nous avons vu que la morphologie de l’animal apparaît essentiellement comme un handicap dans ce genre de situation où il s’agit d’échapper à un poursuivant. À ce propos, poursuivons dans la description de ces défauts apparents. Comme le note Detienne, la démarche du phoque est traînante, il donne le sentiment de ramper laborieusement sur le sol. Les naturalistes de l’Antiquité attribuaient ce peu d’aisance dans la locomotion aux anomalies morphologiques dont il était la victime. Aristote le dit apodès, privé de pieds (Histoire des Animaux, 497 b 24). Il est à noter, en effet, que ses membres antérieurs sont excessivement courts et peu dégagés du corps, tandis que ses membres postérieurs ne sont d’aucune utilité dans les déplacements sur le sol. Lorsqu’il est sur terre, le phoque progresse par reptation, incapable de se redresser sur ses nageoires pectorales. Ce « corps étalé », comme le décrit Detienne, le rend vulnérable. En revanche, dans l’eau, dirigé et propulsé par ses membres postérieurs il s’avère être un excellent nageur. Autre caractéristique qui ne concourt pas à une représentation « à son avantage » de l’animal : sa mauvaise odeur. De fait, le phoque, chaque année, mue, il perd sa peau au moment où commence la saison chaude. Ce phénomène de mue et d’abandon d’une fourrure usée et souillée, conjuguée à une température qui grimpe produit une odeur désagréable. C’est cette peau de phoque abandonnée que les populations eskimos utilisaient comme surface adhésive, ce détail n’est pas sans importance pour la suite de notre raisonnement. Dans l’imaginaire de la Grèce archaïque, la mauvaise odeur du phoque était pensée comme provenant du fait que le phoque passait une partie de son temps dans le monde chtonien des profondeurs marines, lieu, selon eux, infesté d’impuretés. Ainsi lorsqu’il réapparaissait à la surface de l’eau et en sortait, il ramenait de cet univers malsain et malfaisant une odeur de mort et de pourriture. Elle était le signe de ce que le phoque était baskanos, porteur du « mauvais-œil ».

10Une fois ces caractéristiques réunies, l’énigme du choix de cette forme animale dans un cycle de métamorphose reste entière. Dans un contexte concurrentiel ou agonistique, le « devenir phoque » n’est en rien assurance de fuite et d’esquive réussies. Il faut cependant tenir compte de la diversité de l’aiolomètis des figures et des êtres marins, le leurre invitant d’ailleurs à une reflexion sur la compréhension de l’ensemble de ces postures tactiques. L’aoilomètis, cette ruse du changement, confère une habileté au passage et au renversement. À ce propos revenons sur la mauvaise odeur de phoque. Elle peut être également un moyen de tenir à distance les prédateurs [6]. La sémantique du terme baskanos (qui jette un sort), comme celle de pharmakon, que nous avons évoqué plus haut à propos des mauvais présages liés à l’arrivée du phoque, est, en réalité, elle aussi empreinte de l’ambivalence et de l’ambiguïté de l’aiolomètis. Si pharmakon signifie selon les circonstances soit poison, soit contrepoison, le baskanion signifie quant à lui le mauvais œil, mais aussi l’amulette permettant de s’en protéger [7]. Dans l’imaginaire antique, le phoque incarne la possibilité du passage entre polarités opposées, ce qui d’un point de vue pratique et intellectuel est vertigineux, notamment lorsqu’il s’agit de leurrer. Plus que la rapidité, c’est cette intelligence du passage que renforce la possession de la mètis.

L’équivoque du phoque

11Dans le cycle naturel, l’animal n’est pas vu par les naturalistes de l’Antiquité comme se métamorphosant, en revanche, se penchant sur sa nature, son mode de vie, ils tendent à souligner l’ambivalence qui le constitue et qui fait du phoque une entité insaisissable, labile, termes qui qualifient parfaitement la notion grecque d’aoiolomètis, d’intelligence de la fluidité et du changement. Cette forme de mètis est employée pour altérer les apparences, brouiller la vision et rendre son utilisateur insaisissable.

12Pour l’homme de l’Antiquité, le phoque est une espèce animale équivoque pour trois principales raisons. D’abord, parce qu’il adopte un genre de vie propre aux amphibiens, ensuite parce qu’il possède une nature pinnipède et enfin, parce qu’il noue des relations ambivalentes avec son entourage et en particulier avec les hommes.

13Sur la question des amphibiens, la littérature des naturalistes de l’Antiquité est abondante. Aristote, Elien, Pline notent tout d’abord que les phoques dorment sur la grève, sur de la terre mouillée et, ensuite, qu’ils ne cessent, comme tous les amphibiens, de faire des va-et-vient entre terre et mer, donc entre sec et humide. Ils sont hybrides dans leur mode de vie. Pour les Grecs, l’hybridité est synonyme d’étrangeté, mais aussi d’efficacité. Si Protée détient un savoir prophétique, c’est certainement parce qu’il a adopté un mode d’existence proche de celui des bêtes dont il a la charge, et donc une forme d’hybridité. Il est un homme qui choisit de vivre en compagnie d’animaux. Ainsi, après que les bêtes soient sorties de l’eau, il les fait s’aligner pour les dénombrer, puis il s’allonge au milieu d’elles non pour les surveiller, mais pour partager leur sommeil. De cette manière, il adopte, pour ainsi dire, leur mode d’existence.

14L’ambivalence des phoques est évidente lorsque l’on observe leur morphologie, ce que n’ont pas manqué de faire les naturalistes. Ce sont des mammifères pinnipèdes, au lieu de pattes, ils sont dotés de nageoires, de mains palmées. Cette particularité, la possession de « mains humaines », de doigts, était vue à l’époque antique comme un élément de proximité vis-à-vis de l’homme. Sur le même plan, on peut ajouter la viviparité. Elien va même jusqu’à considérer une philanthropie du phoque. Pour illustrer son propos, il narre une histoire d’amour entre un phoque et un pêcheur d’éponge (Personnalité des animaux, V, 56). Il ne faudrait pourtant pas oublier, à l’inverse, qu’étant un être marin, il appartient à un univers que les Grecs considéraient comme totalement hostile à l’homme. Ce statut ambigu, Marcel Detienne le résume en mettant en avant l’orientation double et divergente du phoque, tourné parfois vers la terre et les hommes et à d’autres moments vers le monde aquatique.

15Enigme, ambivalence, on retrouve dans la description des naturalistes les ingrédients qui font du phoque un remarquable sujet poétique. Il est bien imprudent dans la relation entre Protée et Ménélas de définir l’un ou l’autre comme appartenant clairement, au moment de l’épreuve, soit à l’espèce animale, soit à l’espèce humaine. Homère semble surtout intéressé par la possibilité du passage de l’un à l’autre.

Au contact du phoque

16Dans la confrontation entre Ménélas et Protée, il existe des zones d’ombre dans le texte, des anomalies, voire des énigmes. Elles sont de plusieurs ordres et opèrent à différents niveaux. Comment, par exemple, Protée ne parvient-il pas à échapper à l’empoignade de Ménélas et de ses compagnons, alors qu’il a pris l’apparence d’eau courante ? Avant de proposer une explication à cette difficulté de lecture, je voudrais remonter plus en amont la chaîne des leurres et m’arrêter sur deux autres points opaques de la narration. Pour quelle raison Idothée choisit-elle de fournir précisément quatre peaux de phoques à Ménélas et à ses compagnons ? Quelle importance stratégique revêt ce chiffre ? Seconde interrogation : comment Protée, qui chaque soir prend un soin méticuleux à compter le nombre de phoques, ne découvre-t-il pas la supercherie ? Le comptage devrait, en toute logique, lui signaler la présence des quatre intrus.

17Pour analyser ces différents leurres, nous ferons référence à l’article très stimulant de Renée Koch-Piettre, intitulé précisément « Les comptes de Protée » (1993 : 129-146). Anthropologiquement, cet épisode est particulièrement intéressant en ce qu’il fait allusion à des techniques de comptage très éloignées de celles en cours dès la période classique [8]. Homère décrit la scène de la manière suivante, à travers les paroles d’Idothée : « En parcourant leurs rangs, il va compter ses phoques ; quand il en aura fait, cinq par cinq, la revue, près d’eux il s’étendra » (IV, 411-413). Le poète renseigne très clairement sur la méthode du comptage en employant le verbe pempazô, qui signifie compter sur ses cinq doigts. La méthode de Protée n’est donc pas intellectuelle mais physique, tactile. Il dénombre ses phoques en arpentant le sol devant eux, après les avoir mis en ligne. Le dispositif montre bien l’aspect physique de l’opération. Idothée semble avoir été particulièrement attentive au procédé qu’employait son père. Le vieillard ne connaît pas le nombre total de phoque, il a, en revanche, la certitude, puisqu’il utilise les cinq doigts de sa main, qu’il s’agit d’un multiple de cinq. Le leurre pensé par Idothée s’appuie sur le fait que son père ne connaît pas d’autres moyens de dénombrer sa colonie. Elle sait qu’en mettant à disposition de Ménélas un nombre de peaux de phoques multiple de cinq, la vigilance de Protée sera trompée. Pourtant Idothée fournit non pas cinq, mais quatre peaux, ce qui est pour le moins surprenant. Le poème aborde là une autre dimension du leurre, à savoir le jeu sur les mots, grande spécialité homérique [9]. Dans cet épisode, l’énigme du nombre apparemment illogique de peaux ne se résout qu’à travers la prise en compte de la subtilité cette fois poétique mise en place par Homère [10]. Pour décrire cette scène, le poète s’amuse à employer des formes verbales homonymes (lége, lédzetai ou lekto). Dans le récit de Ménélas, Victor Bérard a choisi de traduire les expressions suivantes : « lékto d’arithmon » (451), « lége » (452) et « lékto kai autos » (453), par « il les compte », « il dénombre » et « il se couche à son tour ». Pourquoi avons-nous placé ces expressions côte à côte ? Pour mettre en relief le jeu de mot poétique. Leur proximité montre qu’elles sont construites autour de mêmes formes verbales, pourtant la dernière expression « lékto kai autos » (« il se couche à son tour ») est traduite différemment des deux premières. Elle paraît, cependant, tout à fait adaptée au contexte. En réalité, ces formes sont tirées du verbe légô. Légô possède un double sens, il peut signifier coucher, mais aussi rassembler, énumérer dans le détail et donc compter, voilà où est l’astuce. Ainsi, dans le dernier passage, une traduction comme « il se compte à son tour » aurait été aussi acceptable qu’« il se couche à son tour ». Le poète joue sur la duplicité sémantique de ce verbe possiblement traduisible dans ce contexte de deux façons différentes. Ainsi, si l’on adopte la traduction par « il se compte à son tour », on saisit pourquoi Idothée a fourni quatre et non pas cinq peaux de phoques. Elle a bien compris la méthode de comptage de son père, elle a observé que Protée se comptait avec les phoques, il est un des doigts sur lequel il s’appuie pour dénombrer tactilement la colonie. En se comptant, il s’étend au milieu des phoques. Le fait de se coucher parmi eux fait partie de la séquence du décompte. Du début à la fin le procédé est physique [11]. La nymphe avait bien saisi les limites d’un dénombrement physique. Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

18Ces leurres que nous venons de mettre en évidence sont extrêmement subtils, le dernier concernant l’empoignade de Protée ne l’est pas moins. Il y est aussi question de manipulation au sens presque littéral du terme puisque les mains, et particulièrement celles de Ménélas, en sont les pièces maîtresses. Le héros et ses compagnons ont passé l’épreuve du contact tactile avec les peaux de phoque, qui n’a rien de facile tant ces dernières dégagent une odeur pestilentielle insupportable. Heureusement Idothée leur a aussi fourni l’ambroisie, le pharmakon, dont l’olfaction rend supportable le contact des peaux de l’animal. Mon hypothèse est que le toucher, la relation capillaire avec la peau et la morphologie du phoque, a bouleversé l’humanité de Ménélas. Pendant un court instant il a pris la peau d’un phoque et a supporté son odeur. Ainsi, il s’est éloigné d’une humanité marquée par une hostilité vis-à-vis du monde aquatique puisqu’il a fait corps avec l’un de ses représentants. Épousant l’apparence du phoque, il est devenu le complice de l’élément marin, ce qui est une sorte de présage de la complicité qu’il va finalement obtenir de Protée. L’eau n’est plus une substance dangereuse, à craindre, Ménélas avec une peau de phoque peut l’utiliser, s’y mouvoir. Elle n’est plus pour lui insaisissable. Ce passage par l’état-phoque lui a rendu possible ce qu’est refusé à tout autre homme, à savoir la possibilité d’empoigner de l’eau. Les leurres de Protée sont devenus inefficaces, face à cet homme, finalement, devenu aussi hybride et équivoque que les phoques dont le vieillard a la charge.

19Pour comprendre la phénoménologie homérique du leurre, il faut encore s’arrêter sur une expression du poème. Elle renvoie à la manière par laquelle Protée comprend le tour que Ménélas vient de lui jouer : « De quel Dieu, fils d’Atrée, suivis-tu le conseil (boulè) pour me forcer ainsi et me prendre en ce piège ? » Le vieillard note, d’emblée, ce que sa défaite a d’anormal, d’extraordinaire ; elle n’est pas humaine en conclut-il. Il est convaincu que Ménélas a été aidé par un dieu. Grâce à cet appui, il a pu réaliser un acte hors du commun. Protée attribue donc sa défaite à une boulè, une volonté et une intervention divine. Il raisonne vite et bien, et surtout sa remarque montre qu’il ne s’arrête pas au seul leurre des peaux de phoques. Il réalise qu’il a assisté, à ses dépens, à une scène prodigieuse. Cet émerveillement n’est pas sans rappeler le nôtre quant à la manière dont se déroule la capture du vieillard. C’est à cette boulè qu’il faut attribuer l’aspect extraordinaire du parcours de Ménélas voyant sa peau, une fois recouverte de celle du phoque, acquérir des propriétés, des qualités extra-humaines. La réaction de Protée est de l’ordre de la thauma, de l’émerveillement, voire de l’admiration, face à ce renversement de situation et de nature. À l’efficacité de la dissimulation fait suite celle de l’ébranlement et de la surprise. Les Troyens ont vécu à leurs dépens une autre thauma liée à un phénomène de leurre, celle du cheval de Troie. Ce dernier était aussi objet d’émerveillement et d’inquiétude. Dans les deux cas, les protagonistes ne sont pas trompés par le leurre de la vraisemblance, de l’imitation, mais par le surgissement de l’insaisissable et de l’inconcevable. Ce à quoi ils assistent ne ressemble à rien de ce qu’ils pouvaient imaginer. Ils sont ébranlés par un artifice qui ne se fonde pas dans du déjà vu, du déjà connu, mais au contraire dans l’inconnu et l’incroyable [12], à savoir dans le cas de Protée, la rencontre d’un homme capable d’empoigner de l’eau [13]. Le jeu déstabilisant sur l’inattendu, l’équivoque fait partie de l’arsenal des ruses d’un autre dieu possédant la mètis : Hermès. Dans l’Hymne qui lui est dédié, on le voit tromper Apollon et Zeus par le charme non seulement de ses paroles mais aussi d’une musique ayant le pouvoir de prendre au piège les soucis. Apollon est fait prisonnier du plaisir qu’il prend à entendre Hermès, il est rendu amèchanos (impuissant) par la mèchanè (artifice, leurre), le charme, de la musique d’un jeune frère au demeurant si inventif. Hermès est thaumatapoïos, il crée des effets de surprise, au même titre que Ménélas dans le passage que nous avons étudié. Ce leurre vise à rendre complice celui dont on peut craindre l’adversité, c’est dans cette dynamique de retournement que se situe l’efficacité de la mètis. Hermès s’appuie sur une puissance d’étonnement et d’émerveillement qui fait entrer la logique du leurre dans le registre de la production et de l’émotion esthétique. Cette intrusion attirera les critiques véhémentes de Platon, le grand chasseur de leurres.

20À l’instar du crabe, le phoque incarne donc une forme d’ambivalence le rendant insaisissable, étonnant et inquiétant pour les observateurs de l’Antiquité, qu’ils soient naturalistes ou poète (Homère). Ce passage de l’Odyssée montre que la frontière entre observation naturaliste et expression littéraire est passablement poreuse. La subtilité du phoque est dite des deux côtés : les poètes, Homère en l’occurrence, s’appuient implicitement sur une observation précise des particularités du phoque – notamment morphologiques – pour accentuer la subtilité de l’exposé poétique.

21L’univers homérique parce qu’il est agonistique est aussi heurté et instable que celui de mètis. Lorsqu’il est affaire de mètis, les apparences deviennent trompeuses – ses handicaps morphologiques pour le phoque. L’anomalie n’est plus considérée comme une tare mais comme une étrangeté déstabilisante faisant perdre l’équilibre aux certitudes trop bien établies. La subtilité du phoque est donc d’un ordre tout à fait particulier, lié à la possibilité, grâce à la labilité d’un statut ambivalent, de transformer l’anomalie en avantage : Homère, dans l’Odyssée, s’en est fait le témoin et le porte-parole. Cette dynamique de transformation, d’inversion et de renversement est un marqueur anthropologique du monde antique, aussi bien chez Homère que chez Ovide. La poésie homérique révèle les aspects les plus mouvants d’un univers où la frontière entre vérité et fiction est passablement perméable. Dans ce contexte, on comprend toute l’attention portée par cette tradition à la logique et à la dynamique des leurres.

Bibliographie

Bibliographie

  • Aristote
  • 1964-1969 Histoire des animaux, traduit par P. Louis, Paris, Les Belles Lettres.
  • Detienne, M. et Vernant, J. P.
  • 1974 Les Ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Paris, Flammarion.
  • Elien
  • 2001-2002 La Personnalité des animaux, traduit par A. Zucker, Paris, Les Belles Lettres.
  • Flahault, F.
  • 2001 La Pensée des contes, Paris, Anthropos.
  • Koch-Piettre, R.
  • 1993 « Les comptes de Protée », Mètis, Anthropologie des mondes grecs anciens VIII, 1-2 : 129-146.
  • O’Nolan, K.
  • 1960 « The Proteus Legend », Hermès 88 : 129-138.
  • Plass, P.
  • 1969 « Menelaus and Proteus », The Classical Journal 65, 3 : 104-8.
  • Pline l’Ancien
  • 1947-1998 Histoires naturelles, traduit par A. Ernout, Paris, Les Belles Lettres.
  • Pucci, P.
  • 1995 Ulysse polutropos. Lectures intertextuelles de l’Iliade et de l’Odyssée, traduit par J. Routier-Pucci, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.

Mots-clés éditeurs : Grèce archaïque, mètis, Homère, phoque

Mise en ligne 03/11/2019

https://doi.org/10.3917/cas.009.0129

Notes

  • [1]
    Le jeu de mots d’Ulysse face à Polyphème se présentant comme Outis, Personne, pour tromper autant le Cyclope que les cyclopes de l’île est tout à fait révélateur de cette pratique.
  • [2]
    L’anthropologie homérique est un sujet d’études qui lie les travaux de Marcel Detienne, Jean-Pierre Vernant, Giulia Sissa, David Bouvier, Claude Calame, James Redfield, Gregory Nagy, Jesper Svenbro, Eric Havelock, pour ne citer que les auteurs modernes.
  • [3]
    Cette situation est fréquente dans les récits de tradition orale : pour obtenir une connaissance, les héros sont contraints de passer par une série d’épreuves, au cours desquelles ils obtiennent l’aide de proches de l’homme ou du monstre auquel ils sont confrontés. Je remercie François Flahault de m’avoir suggéré un rapprochement que l’on trouvera étayé dans de nombreux passages de son ouvrage La Pensée des contes, (2001).
  • [4]
    Selon Aristote et Pline, les oiseaux se transforment au cours de l’année, leur chant, la couleur de leur plumage et leurs formes changent (Aristote, Histoire des animaux, IX, 51). D’après Aristote, les oiseaux passent d’une espèce à l’autre, ils subissent une métabollè, ainsi le rouge gorge devient un rouge-queue. « À une certaine époque de l’année, ils [les oiseaux] deviennent totalement différents d’eux-mêmes », écrit Pline (Histoires naturelles, Livre X, XLII, traduction d’E. Littré). Les sophistes n’étaient donc pas les seuls à penser que la nature pouvait être parfois gouvernée par le leurre et l’artifice. Ce dernier, encore chez les oiseaux, est un outil de séduction. Dans le traitement littéraire de la métamorphose, l’accent sera mis sur le passage de l’humanité à l’animalité. La métabollè est vue, notamment chez Ovide, comme une forme d’emprisonnement dans une condition animale consécutive à un écart de conduite, elle est une punition pour l’homme ; l’Ovide moralisé du Moyen Âge accentuera cette tendance.
  • [5]
    Ainsi Philomèle et Procné devenues hirondelle et rossignol, ou Arachnè transformée en araignée.
  • [6]
    Dans l’Hymne homérique qui lui est consacré, ne voit-on pas Hermès lâcher un vent pour se dégager de l’emprise d’Apollon ?
  • [7]
    Pline l’Ancien (Histoires naturelles, XXII, 144) relève un autre élément d’ambivalence. Il rappelle, en effet, une pratique de la médecine antique consistant à prélever la présure, l’enzyme récupérée dans la caillette du phoque, et à introduire cette substance grasse dans les narines des femmes prises de crises d’épilepsie. On trouve la même ambivalence chez la tortue.
  • [8]
    De ce point de vue, l’article de Renée Koch-Piettre est extrêmement précieux.
  • [9]
    L’épisode du Cyclope est de ce point de vue tout à fait emblématique.
  • [10]
    Comme le remarque Renée Koch-Piettre et le confirme François Flahault, op. cit, les questions de comptabilités, ou plus généralement, « l’ambivalence des signes », Renée Koch-Piettre : 137, sont un des ressorts narratifs des contes. Pour un aperçu du vertige de la mètis dans l’Odyssée, l’ouvrage de référence est Pucci (1995).
  • [11]
    Renée Koch-Piettre parle même de pantomime.
  • [12]
    Pandôra possède elle aussi l’avantage de l’inattendu et de l’inconnu.
  • [13]
    Nous sommes de ce point de vue très éloignés de la tradition des scènes de chasse.
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