Présentation de G. Cullere-Crespin
1Danielle Lecoq, pédopsychiatre, s’occupe d’une Unité Petite Enfance qu’elle a contribué à créer au sein de l’Intersecteur de pédopsychiatrie de l’hôpital Robert Ballanger à Aulnay-sous-Bois.
2Elle m’a proposé, dans le cadre d’un travail partagé maintenant depuis plusieurs années, d’animer des réunions qui ouvriraient un espace de réflexion et de régulation regroupant différents professionnels organisés dans un réseau en étoile, comprenant des personnels de PMI, de maternité, de néonatalogie, de pédiatrie hospitalière et de pédopsychiatrie.
3Ce qui a rendu possible ce travail, c’est de pouvoir sortir du cadre hiérarchique qui rendait difficile la circulation de la parole. Le démarrage a été long, mais ce lieu est devenu un espace d’échanges très riches, où chaque personne se risque à une parole l’engageant dans l’exposé de son travail, de ses questions, et permet une analyse partagée du suivi en cours.
4Ces réunions mensuelles sont le lieu où on peut travailler des situations rencontrées dans différents lieux mais souvent partagées par différents professionnels, et suscitent des échanges autour de l’émergence du psychisme, les états de souffrance précoce, les difficultés de développement et leur prise en charge.
Présentation du cadre de travail du Dr Lecoq
5Dans son rapport sur la périnatalité, F. Molénat pose la question : « au plan institutionnel en pédopsychiatrie, comment organiser en amont une sécurité médicale, sociale, affective ? Comment éviter l’incohérence, le manque de continuité quand bien même une prise en charge est établie ? Comment croiser les effets positifs d’un accompagnement personnalisé et ceux d’un modèle institutionnel axé sur une construction subjective d’une histoire singulière décloisonnant le travail des équipes ?
6Comment créer un état d’esprit qui nous rend disponible ?
7Peut-être en se sentant nous-mêmes en sécurité individuelle et collective. Ceci renvoie à la formation, à la cohérence inter-services, au soutien émotionnel des acteurs. Comment transmettre des outils relationnels plutôt que le transfert en l’état du contenu des consultations psychologiques ? » [2].
8Les notions de culture du travail en réseau, d’intériorisation par les professionnels sont développées : « La transmission inter-professionnelle doit être abordée avec la plus grande rigueur, elle constitue ce par quoi se tisse un environnement humain. Le travail en commun, c’est entrer dans le champ de l’autre, c’est accepter d’être sous le regard de l’autre, ce qui permet de se regarder autrement. »
9Nous avons choisi d’exposer le cas de Léa car il nous semble exemplaire des intrications en jeu entre une histoire individuelle et une histoire collective institutionnelle.
10Deux mois après la première consultation, Léa a été présentée à la réunion mensuelle de l’Unité Petite Enfance.
11C’est une unité fonctionnelle du service mise en place depuis dix ans à laquelle participent les soignants intervenant dans le champ de la périnatalité (0-3 ans), au sein des structures suivantes :
- Au plan intra-hospitalier, ce sont : le travail dans le service de néonatalogie, le groupe bébé en pédiatrie, le pôle de consultation pour jeunes enfants (unité parents/enfant) et le travail de liaison en maternité et chirurgie infantile.
- Au plan extra-hospitalier, ce sont nos activités avec les équipes de PMI comme les accueils parents et enfants.
12Les courants théoriques de la thérapie institutionnelle nous ont guidés pour créer cet outil de travail ; ils développaient une approche humaniste de l’institution où l’enfant est sujet de son désir et non objet d’observation, d’évaluation, ou de classification.
13Ce cadre institutionnel valorise nos capacités à penser tout en les préservant, il permet une construction historique en isomorphisme avec celle de l’enfant. Nous pouvons aussi nous représenter l’Unité Petite Enfance comme un contenant pour les unités suffisamment différenciées entre elles qu’elle intègre ; porteur aussi de la question de l’origine, contenant animé d’un mouvement solidaire, avec comme dessein la construction d’un lieu psychique pour une traversée subjective.
14A cette réunion participe depuis plusieurs années une psychanalyste, Graciela Cullere-Crespin. Sa présence nous apporte la reconnaissance implicite que nous ne sommes pas tout-puissants dans la maîtrise du processus thérapeutique ; distance permettant en miroir à l’enfant et à la famille de pouvoir « lâcher » ses positions défensives de maîtrise et de contrôle. La question est de trouver un équilibre entre le plaisir à se raconter, à adresser à un tiers qui peut être le groupe ou la psychanalyste extérieure à l’institution soutenant notre travail, et la tolérance d’une certaine frustration qu’apporte tout effort de rédaction et de tentative pour soi de se faire reconnaître. Un sentiment d’appartenance se construit au travers de la reconnaissance du travail de l’autre quand il rend compte dans l’après coup de son implication dans l’évolution souvent imperceptible d’une situation.
Présentation de l’histoire de Léa
15Léa est la deuxième fille d’un couple antillais arrivé en métropole depuis une dizaine d’années. A l’âge de 19 mois, elle est adressée en août 2000 à l’équipe de pédopsychiatrie par le médecin pédiatre responsable de l’Unité de Néonatologie, qui la rencontre régulièrement en consultation depuis sa naissance.
16Il demande un bilan à la psychomotricienne qui intervient dans le Service de Néonatologie. En faisant part de son étonnement, il écrit :
« Cette enfant est atteinte d’une atrophie hémisphérique droite sans trop de répercussions motrices. La chose qui me frappe en consultation, c’est son hyperagitation, des périodes de câlins entrecoupées de gestes assez explosifs ».
18Les professionnels intervenant en néonatalogie se souvenaient de ce bébé hospitalisé en néonatalogie 18 mois plus tôt, ce qui nous a permis de reconstruire son histoire à partir des éléments cliniques.
19Lors de sa première consultation en pédopsychiatrie, Léa pousse des cris insupportables pour l’entourage dans la salle d’attente.
20Que ce soit lors du bilan en psychomotricité ou lors de la première consultation avec la pédopsychiatre, les parents évoquent très anxieux ce cri apparu brutalement le jour de leur arrivée sur le lieu de vacances en montagne, début août. Ce sont les premières vacances de la famille après la naissance de Léa.
21Souvent, lors de l’anamnèse, les parents parlent volontiers d’un incident auquel ils attribuent la responsabilité, au sens causal du terme, du début des troubles.
22En fait, les parents perçoivent très tôt les difficultés de leur enfant, même s’ils ne peuvent pas les identifier ; ils en parlent à leur entourage qui les rassure, plus particulièrement les médecins.
23Ce savoir subliminal se cristallise dans l’après-coup dans une construction imaginaire. A l’instar du souvenir écran freudien, la construction imaginaire parentale, que G. Cullere-Crespin appelle le mythe des origines de l’autisme se constitue dans l’après-coup, reprend des éléments de la vie quotidienne, qu’elle réorganise pour signifier un vécu qui autrement resterait dans le domaine de l’impensable. Le mythe selon Lacan est une fiction qui a statut de vérité.
24Depuis cet incident désigné par les parents comme le début des troubles, ils disent que ces cris stridents n’ont pas cessé ; ils ont relayé les quelques mots qu’elle exprimait « Maman, Papa, tiens, donne, bébé », et il ne subsiste que des vocalises.
25La survenue de ce cri décrit comme « mi-humain, mi-animal » laisse les parents perplexes. Outre ce signe bruyant, nous notons :
- L’hyperagitation avec des gestes brusques et saccadés ;
- L’asymétrie faciale due à la pauvreté de la mimique et au strabisme divergent ;
- Le regard particulier à la fois teinté d’évitement et d’agrippement à celui de l’adulte ;
- Les écoulements permanents du nez, la bouche qui reste ouverte, et la respiration superficielle.
26En consultation, nous retraçons l’histoire périnatale de Léa. Les parents sont atones, parfois très tendus soutenant difficilement le regard de l’interlocuteur. Ils échangent entre eux de rares paroles à l’évocation du parcours de Léa. Les parents s’entendent pour décrire un bébé au corps mou qui rendait tout portage difficile. Ils nous annoncent que des troubles organiques ont été décelés grâce à l’IRM à quelques mois de vie révélant une atrophie cérébrale. Les troubles qu’ils nous décrivent nous font supposer une pathologie grave où la déficience se profile.
27Ils insistent sur la prématurité d’apparence banale qui a nécessité une hospitalisation de quinze jours dans l’unité de néonatalogie. La mère décrit cette période comme « traumatique dont je ne me suis jamais remise ». Au moment de la sortie du service : « Léa pleurait beaucoup et restait inconsolable ». La mère évoque son impuissance à l’apaiser et ses moments d’errance qui suivaient.
28Ils décriront l’effet cisaillant de l’annonce du pronostic, faite selon eux sans ménagement après plusieurs heures d’attente, où un avenir vers l’installation d’un déficit inéluctable soigneusement décrit par un médecin radiologue leur était prédit.
29Ces paroles nous évoquent les propos de F. Molénat :
« Souvent lors d’une rencontre ultérieure, les pédopsychiatres entendent les plaintes des parents concernant l’absence de dialogue, les attitudes décalées, les sensations d’abandon, qui ont verrouillé des éléments douloureux anciens dans un moment, la naissance où les parents sont très sensibles à leur environnement. A l’inverse, la perception d’un environnement cohérent a des effets psycho-dynamiques remarquables au moment où l’enfant construit sa sécurité de base. La capacité des professionnels à parler avec les parents de ce qui a pu être difficile représente pour les parents un remarquable modèle éducatif : la capacité à reconnaître compétences et limites mutuelles, comme ils auront à le faire avec leur enfant pour ne pas l’enfermer dans leurs propres angoisses ou leur désir de réparation ».
31Les incohérences dans le fil du récit, l’observation de l’activité spontanée et du comportement de la petite fille nous sortent de l’état de torpeur dans laquelle les parents nous engluent.
32Léa apparaît calme, attentive et à l’écoute quand nous développons la plasticité du cerveau, sa capacité insoupçonnable à construire des voies de suppléance, exemples à l’appui, pour combattre la conviction parentale du sombre verdict prédit.
33Il nous vient alors à l’idée que ce cri insupportable de Léa est peut-être une tentative d’entrer dans le champ de l’Autre.
34En effet, s’il existe des moments d’agitation, elle est capable cependant de se poser autour de jeux d’encastrement. Quand elle manipule les objets, elle interpelle sa mère par des cris stridents mais qui s’atténuent rapidement si elle obtient son attention, puis amorce un sourire.
35Elle déploie en vain une rage impuissante, et des efforts démesurés pour solliciter ses parents. Son regard parfois pénétrant oscille lorsque nous nous adressons directement à elle, entre un accrochage « œil à œil », et des moments de fuite. Ils ont déjà une représentation péjorative du déficit de leur fille, mais le cri de celle-ci vient perturber le jeu de leurs représentations fixes et silencieuses.
36Nous avons institué dès la rencontre une prise en charge faite d’une consultation spécialisée mensuelle et d’une thérapie en psychomotricité de deux séances par semaine.
37Connaître l’histoire pédiatrique (du moins celle que la lecture des nombreux courriers échangés entre le pédiatre et le neuropédiatre nous laissait imaginer) devenait essentiel, vu :
- la présentation atypique de la situation ;
- et la mobilisation de la problématique psychologique de Léa après quelques semaines de prise en charge.
38A l’âge de trois mois, un signe préoccupait les pédiatres : « des difficultés visuelles faites d’une absence de suivi oculaire et des globes oculaires qui vont dans tous les sens » avant que le strabisme divergent ne soit mentionné quelques mois plus tard, et pour lequel une prise en charge instituée à l’Hôpital Trousseau conduira à une intervention chirurgicale vers l’âge de deux ans pour le corriger.
39Les pédiatres expriment régulièrement leur surprise face à cette symptomatologie qualifiée d’explosive dont l’évolution est atypique, sans lésion significative à l’examen clinique ou lors des examens complémentaires. Il est noté que les parents s’affolent devant les résultats d’une échographie transfontanellaire réalisée « rapidement en ville », justifiant un nouvel examen de contrôle concluant cette fois à une limite de la normale.
40Quand Léa atteint dix mois, le neuropédiatre, au vu l’IRM, conclut : « une atrophie diffuse cortico sous corticale droite ayant une origine anté-natale, au pronostic lui paraissant très positif puisque l’EEG montre peu de répercussions fonctionnelles ». Il décrit Léa toujours « explosive, déchaînée » en consultation, ayant un langage oral très pauvre.
41La problématique complexe de Léa où se nouaient manifestement des éléments organiques et psychiques, désarçonnant les médecins, nous a amenés à nous inscrire dans leurs échanges. La mise en place d’une triangulation des liens entre l’enfant, l’équipe soignante de pédopsychiatrie, et les pédiatres, a peut-être permis à l’enfant d’amorcer un travail de séparation-individuation. Nous leur avons fait part de nos impressions cliniques, notamment que leurs observations croisées à l’histoire de Léa racontée par les parents laissaient imaginer l’existence de signes autistiques précoces. D’autre part s’ils évoquaient « un problème de maturation des voies visuelles », nous supposions que les signes ophtalmologiques notés étaient la conséquence de troubles de l’accrochage du regard ayant existé précocement.
42Nous pouvons nous demander pourquoi les résultats neuro-radiologiques eurent un tel impact auprès de la famille et des pédiatres ? Ceux-ci les rassuraient-ils en donnant des résultats visualisables, apportant de l’objectivité et du contrôlable face à ce qu’ils vivaient comme incompréhensible. Plus la technologie est avancée, et plus elle peut entretenir le fantasme que l’on va enfin pouvoir pénétrer dans la boîte noire, en comprendre le fonctionnement interne, et ainsi se représenter l’irreprésentable. Au fil des examens, Léa passait ainsi du statut de sujet à celui d’objet à réparer.
43Dans leur quête permanente d’avis médicaux, les parents rencontrèrent un chirurgien en esthétique pour modifier le faciès de leur fille qu’ils jugeaient trop laid à leur goût, et un chirurgien ORL pour la voix qu’ils estimaient trop rauque.
44En identification à Léa, existerait-il pour les soignants de l’Unité Petite Enfance animés par un désir de reconnaissance, présentant au groupe leur rencontre avec elle, un crochetage à l’instar de celui que Léa tente d’établir avec son entourage, en s’interrogeant : qui suis-je pour l’Autre ?
45Les mouvements d’allées et venues narratives créent une plasticité au réseau facilitant une mise en représentation constructive/déconstructive. Quelles sont alors les polarités qui émergent, font flamber l’activité fantasmatique, réchauffent par des voies inconnues un gel pulsionnel, et déverrouillent enfin un étau pathogène ? Nous imaginons qu’un verrou (représenté ci-dessous) s’était refermé autour d’elle, l’enserrait, et son cri était un appel à l’aide ultime adressé à l’entourage (cf. schéma ci-dessous)
Schema du verrou qui enserre Lea
Schema du verrou qui enserre Lea
46Nous avons l’illusion que le travail en réseau initial de l’Unité Petite Enfance a inauguré un « déverrouillage » de la problématique et a institué une nouvelle constellation subjective pour Léa ouvrant la voie vers d’autres aménagements psychologiques. Cette hypothèse serait peut-être confirmée par les changements de tonalité des courriers pédiatriques dont la fréquence diminue après notre entrée en scène.
47Alors que l’existence d’une « atrophie cérébrale droite » est affirmée dans le premier courrier qui nous est adressé en juillet 2000 ; en mars 2002 le neuropédiatre mentionne que les résultats de l’IRM et de l’EEG sont normaux, après avoir cité en juin 2001 « une discrète atrophie corticale retrouvée à l’IRM, sans aucun autre signe pathologique ».
48D’autre part, si leurs courriers jusqu’en 2001 insistent sur le désarroi voire l’état dépressif des parents, en juin 2002, le pédiatre mentionne « le changement de profil du climat des consultations, devenu plus serein ».
49De nombreuses questions restent ouvertes :
50Quels fantasmes ont envahi l’espace de la rencontre mère-bébé comme celui de la peur du monstre que les œdèmes généralisés à la naissance alimentaient ?
51Quelles spirales interactives s’étaient installées au cours des premières semaines de vie comme en témoignent les signes atypiques, les intuitions cliniques notées à divers moments par les médecins redoutant le diagnostic de troubles du développement aux séquelles parfois monstrueuses ? Pourquoi tant de descriptions catastrophiques des images radiologiques auxquelles se fixaient les parents ?
52Nous ne déplierons pas tous les feuillets de la prise en charge de Léa qui bénéficie toujours de soins psychologiques en ambulatoire, et dont l’évolution clinique est très satisfaisante. Elle est actuellement scolarisée en CLIS sans difficultés particulières d’intégration et acquiert des apprentissages remarquables.
53En conclusion, sans nous laisser prendre au piège des comparaisons rapides et sans méconnaître les sauts épistémologiques difficiles à franchir entre les théories appliquées à l’individu et au groupe, nous entretenons l’illusion que des liens existent. Tenter de les théoriser au plus près de notre travail de liaison avec la pédiatrie nous aident à réinvestir le fonctionnement institutionnel en pédopsychiatrie et à « féconder l’activité soignante » pour citer J. Hochmann.
Commentaires
54Par Graciela Cullere-Crespin
55L’observation de Léa et du travail accompli autour d’elle et de ses parents, soulève la difficile question des effets produits par l’annonce du handicap et du pronostic. Car dans les situations où les antécédents neurologiques sont lourds, comme dans le cas de Léa, l’écueil à éviter c’est de leur donner la place d’élément causal de tout ce qu’on observe : car une des conséquences alors peut être d’aboutir à un déficit annoncé, sinon fabriqué.
56Il est nécessaire de tenir compte d’une part, de la façon dont les parents vont vivre et restituer le moment de l’annonce, avec leurs mécanismes de dénégation et de refoulement, et d’autre part, ne pas oublier les mécanismes de défense des soignants. L’important ne sera donc pas de retrouver la supposée réalité de ces échanges, mais de repérer, chez les parents, l’impact subjectif produit par l’annonce. Car ce qui s’inscrit à ce moment-là pour les parents, pourra être à l’origine de ce qui fera déficit après.
57Ainsi, lors de la première présentation de Léa à notre réunion de travail, ce qui me frappe d’emblée c’est l’apparition des cris stridents, survenus, d’après les parents, après un séjour à la montagne. Ces cris prennent valeur dans l’après-coup, au moment de la prise de conscience de la famille des difficultés de Léa, donnant sens rétroactivement à ses difficultés qui sont antérieures, sans doute déjà là.
58La première question que nous nous poserons sera donc : Qu’est-ce que Léa tente de nous dire quand elle crie ?
59Parce que les parents, totalement pris dans la « logique neurologique », déclarent que « leur enfant est molle », et de ce fait pensent que ses troubles sont très sévères, ce qui sous-entend qu’ils sont aussi la cause de l’apparition des cris, qui demeurent, de ce fait, hors sens.
60Et ce qu’il y a d’intéressant dans l’observation de Léa, c’est que tout se passe comme s’il y avait une organisation subjective en miroir des parents et des soignants : il n’y a pas que l’aspect déficitaire qui est en cause dans tous les examens prescrits de radiologie. Il s’y glisse aussi la question du regard posé sur les difficultés de cet enfant.
61C’est pourquoi il était si important de faire tiers, de servir d’intermédiaire entre la famille et les services hospitaliers, comme l’a si bien montré le travail présenté par D. Lecoq.
62Nous avons fait d’emblée l’hypothèse que les cris insupportables de Léa étaient une tentative d’entrer en contact avec le champ de l’Autre : en effet, les cris s’arrêtent quand Léa parvient à mobiliser l’attention de sa mère.
63Mais la représentation très péjorative qu’ont les parents de leur fille fait que ses cris, au lieu de les interpeller, de leur parler, viennent seulement les déranger, les bousculer.
64L’opération du strabisme, qui a lieu alors que Léa a deux ans, se situe dans la même logique : elle évite de se poser la question du regard, en réduisant le problème à une simple déficience visuelle.
65Dans la suite de cette observation, l’évolution très satisfaisante de cette fillette, compte tenu de ses difficultés de départ et des caractéristiques des prises en charge médicales du début, confirme la pertinence de l’hypothèse que ses cris étaient un appel à l’aide. En effet, cette hypothèse a permis l’écoute et l’intervention mise en place par D. Lecoq. Regardant l’observation de Léa au travers de la grille PREAUT, nous pensons qu’elle aurait été positive aux signes de risque de la recherche, avec la particularité d’avoir des troubles neurologiques associés.