Couverture de CAPRE1_016

Article de revue

Psychanalyse pour ceux qui ne parlent pas ? L’image et la lettre dans la clinique avec le bébé

Pages 229 à 281

Notes

  • [1]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre X (1962-1963), L’angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Le Seuil, 2004, p. 49.
  • [2]
    Les trois temps (instant de voir, temps pour comprendre et moment de conclure) ont été d’abord utilisés par Lacan afin d’aborder le temps logique. Le premier montre la valeur instantanée de son évidence, c’est une hypothèse formelle qui représente une matrice encore indéterminée. Le deuxième évoque une intuition que le sujet objective, et l’évidence de ce moment suppose la durée d’un temps de médiation. Le troisième est une assertion sur soi, par où le sujet conclut le mouvement logique dans la décision d’un jugement. J. Lacan (1945), « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée, un nouveau sophisme (1945) », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1992.
  • [3]
    J. Allouch, Lettre pour lettre. Transcrire, traduire, translittérer, Toulouse, érès, 1984. La translittération est une forme de déchiffrement qui permet la lecture de l’image non pas basée sur la signification, mais par ce qui s’écrit avec les images, appuyées sur l’homophonie.
  • [4]
    J. Allouch, op. cit., p. 69.
  • [5]
    J. Allouch, op. cit.
  • [6]
    Ibid., p. 72
  • [7]
    Ibid.
  • [8]
    G. Le Gaufey, Le lasso spéculaire, une étude traversière de l’unité imaginaire, Paris, epel, 1997.
  • [9]
    G. Didi-Hubermann, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Les Éditions de Minuit, 1992.
  • [10]
    Ibid., p. 9.
  • [11]
    Personnage dans Ulysse.
  • [12]
    M. Foucault, Problematizações do sujeito : psicologia, psiquiatria e psicanálise, dans Dits et écrits, tome I : 1954-1975, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001.
  • [13]
    Ibid., p. 76.
  • [14]
    S. Freud, « Representação por símbolos nos sonhos – Alguns outros sonhos típicos » (1900), A interpretação dos sonhos, Obras completas, Rio de Janeiro, Imago, 1969, p. 375.
  • [15]
    Ibid., p. 374.
  • [16]
    Ibid., p. 76.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    S. Freud, « Considerações de representabilidade » (1900), A interpretação dos sonhos, parte II, Obras completas, Rio de Janeiro, Imago, 1969.
  • [20]
    Ibid., p. 362.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    G. Le Gaufey, op. cit., p. 193.
  • [23]
    J. Lacan, Fonction et champ de la parole et du langage dans la Psychanalyse (1953), dans Écrits, op. cit., p. 243.
  • [24]
    J. Allouch, Lettre pour lettre, op. cit.
  • [25]
    É. Roudinesco, M. Plon, Dicionário de Psicanálise, Rio de Janeiro, Jorge Zahar, 1997, p. 108.
  • [26]
    Ibid., p. 37.
  • [27]
    P. Kaufmann, « Imaginaire », dans L’apport freudien : éléments pour une encyclopédie de la psychanalyse, Paris, Larousse-Bordas, 1998, p. 232.
  • [28]
    D.-R. Dufour. Lacan et le miroir sophianique de Boehme, Paris, epel, 1998.
  • [29]
    J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique » (1946), dans Écrits, op. cit., 1992, p. 181.
  • [30]
    J. Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique » (1949), dans Écrits, op. cit.
  • [31]
    « Le stade du miroir est un drame dont la poussée interne se précipite de l’insuffisance à l’anticipation – et qui pour le sujet, pris au leurre de l’identification spatiale, machine les fantasmes qui se succèdent d’une image morcelée du corps à une forme que nous appellerons orthopédique de sa totalité, – et à l’armure enfin assumée d’une identité aliénante », J. Lacan, « Le stade du miroir… », op. cit., p. 97.
  • [32]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre I (1953-1954), Les écrits techniques de Freud, Paris, Le Seuil, 1971.
  • [33]
    Ibid., p.127.
  • [34]
    « L’ordre, c’est à la fois ce qui se donne dans les choses comme leur loi intérieure » et « celle moins manifeste qui fait “tenir ensemble” (à côté et en face les uns des autres) les mots et les choses », M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 11 et p. 9 respectivement).
  • [35]
    C’est ainsi qu’un klaxon de voiture ou un aboiement d’un chien, de l’autre côté de la rue du cabinet ont la même valeur que la voix qui lui parle à l’intérieur du cabinet.
  • [36]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre I (1953-1954), Les écrits techniques de Freud, op. cit., p. 280.
  • [37]
    A. Vorcaro, Crianças na psicanálise, clínica, instituição e laço social, Rio de Janeiro, Companhia de Freud, 1999.
  • [38]
    G. Le Gaufey, op. cit.
  • [39]
    « C’est lui, ce point de regard, que l’enfant va chercher en se retournant, signant par là le fait que cette image spéculaire, il peut la considérer comme sienne, et jubiler de cette découverte – au prix d’énucléer cette image d’un regard qu’il lui faut chercher ailleurs, hors miroir. Ce furtif et discret mouvement de la tête viendrait ainsi dans le droit fil de la nature même de toute image, révélant la nécessité de déposer hors d’elle le un infractionnable qui lui assure sa consistance », ibid., p. 239.
  • [40]
    Ibid.
  • [41]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre X (1962-1963), L’angoisse, op. cit.
  • [42]
    C. Soler, Déclinaisons de l’angoisse, Collège clinique de Paris, 2000/2001, cours édités, diffusion Francis Ancibure, p. 19.
  • [43]
    A. Vorcaro, A criança e a clínica psicanalítica, Rio de Janeiro, Companhia de Freud, 1998.
  • [44]
    S. Freud, Cinco lições de psicanálise (1910), Quarta lição, Obras completas, Rio de Janeiro, Imago, 1969, p. 39.
  • [45]
    C. M. Fernandes, A criança em cena : o infantile e a perversão, São Paulo, Casa do Psicólogo, 2007.
  • [46]
    B. Golse, L’être bébé, Paris, Puf, 2006.
  • [47]
    D. Stern, Le moment présent en psychothérapie. Un monde dans un grain de sable, Paris, Odile Jacob, 2003.
  • [48]
    B. Golse, op. cit.
  • [49]
    M. Foucault, « Introduction » à L. Binswanger, Le rêve et l’existence, Paris, Desclée de Brouwer, 1954.
  • [50]
    Bernard Golse propose une autre lecture très intéressante sur les disputes provoquées par le travail avec le bébé parmi les professionnels. Il pense qu’il s’agit de la capacité du bébé d’activer la plus haute sensibilité chez un professionnel qui est déjà décidément fragile, qui doit être fragile pour réussir à arriver jusqu’au bébé (Sobre a psicoterapia pais-bébé : narratividade filiation et transcription, Coleção Primeira Infância, São Paulo, Casa do Psicólogo, 2000).
  • [51]
    Il ne s’agit pas de mépriser l’importance de la pratique de soutien des parents, mais de souligner son excès.
  • [52]
    Une référence aux recherches sur les compétences et le rôle actif extrêmement précoce des bébés dans ses relations.
  • [53]
    J. L. Borges, « Le jardin aux sentiers qui bifurquent », dans Fictions. Paris, Gallimard, 1951.
  • [54]
    A. Souza, De um corpo ao outro, Trabalho apresentado na XV Jornada do Espaço Moebius, nov. 2005, p. 8.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    J. Allouch, Lettre pour lettre, op. cit.
  • [57]
    Ibid., p. 20.
  • [58]
    L’assonance est une sorte de figure d’élocution par consonance qui se définit par la « même terminaison ou la même chute de différents membres d’une phrase ou d’une période. […] la rime est essentielle à notre versification » (P. Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977, p. 350). Elle conduit le son, la rime à la fin de la phrase ou de ses parties. L’homophonie, répétition du même phonème, se fait à chaque mot isolé et peut arriver aussi, comme dans les rêves, entre l’image et la lettre.
  • [59]
    De toute façon, l’image muette est intrinsèquement liée à l’objet voix.
  • [60]
    R. Lethier, conferências em São Paulo, http ://www.projetotecer.org.br, Acesso em junho de 2009.
  • [61]
    J. Lacan, « Le temps logique… », op. cit.
  • [62]
    Celle qui devient aveugle.
    « Elle était assise comme les autres pour le thé.
    Il m’apparut d’abord qu’elle tenait sa tasse
    un peu différemment des autres.
    Puis elle sourit. Cela fit presque mal.
    Lorsqu’enfin on se leva et bavardant
    on traversait des chambres nombreuses
    lentement au hasard (on parlait et riait),
    tout à coup je la vis. Elle suivait les autres,
    timide, comme quelqu’un qui dans un instant
    devra chanter devant un vaste public ;
    sur ses yeux clairs qui se réjouissaient
    la lumière se posait du dehors comme sur un étang.
    Elle suivait doucement, il lui fallait longtemps,
    comme si quelque chose devait être encore surmonté ;
    et pourtant, au bout d’un moment c’était comme
    si elle n’allait plus marcher mais voler. »
    R. M. Rilke, Nouveaux poèmes suivi de Requiem, Paris, Le Seuil, 1972.
  • [63]
    A. Vorcaro, A clínica da psicanálise com crianças, op. cit.
  • [64]
    J. Lacan, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud » (1957), dans Écrits, op. cit., 1992, p. 511.
  • [65]
    A. C. B. M. Masagão, A impressão da marca e a rasura do traço na escrita das margens, tese defendida no Instituto de Psicologia da Universidade de São Paulo usp, São Paulo, 2007.
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    H. Yankelevich, Do pai à letra, Rio de Janeiro, Companhia de Freud, 2004, p. 261.
  • [68]
    J. Ritvo, « O conceito de letra na obra de Lacan », A prática da letra, Escola letra freudiana, Ano XVII, n° 26, Rio de Janeiro, Publicação Escola Letra Freudiana, 2000.
  • [69]
    J. F. Brauer, Ensaios sobre os distírbios graves da infância, São Paulo, Casa do Psicólogo, 2003.
  • [70]
    Ibid., p. 92.
  • [71]
    J. Lacan, « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.
  • [72]
    E. Porge, « Le transfert à la cantonade », Littoral,L’enfant et le psychanalyste, no 18, 1986.
  • [73]
    E. Porge, « L’analyste dans l’histoire et dans la structure du sujet comme Vélazquez dans Les ménines », Littoral, Clinique du psychanalyste, no 26, 1988.
  • [74]
    Ibid., p. 6.
  • [75]
    Ibid., p. 13.
  • [76]
    Il s’agit, bien sûr, d’une référence au livre de C. Mascarenhas-Fernandes (ndt).
  • [77]
    R. Lethier, Seminários brasileiros Roland Lethier. Org. Jussara Falek Brauer, http ://www.projetotecer.org.br, Acesso em junho de 2009.
English version

1Le chapitre présenté ci-après est une partie de la thèse de doctorat qui a engendré le livre Psychanalyse pour ceux qui ne parlent pas ? L’image et la lettre dans la clinique avec le bébé. Ce texte a comme point de départ l’idée selon laquelle la clinique psychanalytique avec les enfants provoque un bouleversement dans sa praxis, celle-ci nécessitant alors des outils autres que l’association libre, tradition de la méthode psychanalytique. L’usage de jeux et de dessins dans le soin clinique avec les enfants a soulevé l’hypothèse que les enfants ont besoin de « montrer » dans la séance des paroles qui ne peuvent pas encore être dites. L’hypothèse principale de cette thèse fut l’idée que dans la clinique psychanalytique avec les bébés (qui ne font pas encore usage de la parole), la psychanalyse continue à avoir des outils pour ce travail. L’image et la lettre dans cette clinique posent les axes fondamentaux pour que nous considérions la « monstration » comme l’un de ses concepts. Pouvoir montrer, et à la fois cacher, dans un lien entre la parole des parents et ce que « fait » le bébé dans la séance, en dit long sur l’effet de réel de cet espace de « non-parole » que le bébé provoque tantôt chez les parents tantôt chez le psychanalyste lui-même, qui fait lui aussi partie du cadre, de l’encadrement. Ainsi, ce n’est pas des parents que vient une détermination sans équivoque sur la fabrication d’un signe de souffrance chez l’enfant, mais cet espace de non-parole provoqué par un bébé fait éclore des effets de Réel dans la position des parents. La clinique avec ceux qui ne parlent pas encore est une expérience radicale de la psychanalyse en tant que pratique de discours sans paroles. C’est une expérience de positions que la non-parole, en positionnant chacun dans la structure, traite des spécificités de la rencontre de l’infans avec le langage. Ce chapitre a été un parcours nécessaire pour repositionner la place de l’image (donc de la monstration, de l’agir) dans la clinique psychanalytique, en la retirant d’une place négativée.

2C. M.-F.

« Chapitre 3 »

« Lecture 3 »

Le monde

3L’orientation est faite par le pédiatre avec une observation : il s’agit d’une urgence. Aurais-je un créneau horaire immédiatement disponible dans les prochains jours ? Le père et la mère arrivent et veulent une réponse rapide concernant le jour férié, puisqu’il y avait le problème des congés des domestiques. Le mari pense solutionner le problème en proposant un voyage, afin de s’éloigner de cette « ambiance » où la fille avait des difficultés pour manger.

4Là se trouve l’homogénéité du monde : urgence médicale, les domestiques pendant le week-end, la pédiatre, le refus alimentaire, la demande d’un horaire rapide, le voyage suggéré par le père. Tout avec le même poids et la même mesure comme un fond plat, au point de provoquer des inquiétudes dans une écoute moins avisée : comment passer autant de temps à parler de domestiques devant une situation si urgente ?

La scène : première histoire

5La mère, au milieu d’autant d’orientations médicales diverses face à la problématique de sa fille, décide d’écouter principalement l’une de ces orientations : arrêter d’allaiter immédiatement. Son lait, selon un certain médecin, pourrait être en train de « provoquer » une allergie chez sa fille. Enfin, le pèlerinage vers les médecins commence et Ana Francisca va de plus en plus mal. Beaucoup d’hypothèses et beaucoup d’examens, certains très invasifs.

Dans la scène : deuxième histoire

6Pendant la grossesse de cette fille, le père a eu un cancer. Même si tout porte à croire que maintenant il est guéri, il demeure le fait que l’annonce d’un cancer avait envahi la période de la grossesse.

7Le fils aîné de sa mère, qui n’habitait plus avec elle, avait subi il n’y avait pas longtemps un accident grave de voiture. Il avait été défiguré – un autre envahissement important s’agissant de la même position : celle d’un enfant.

8À chaque fragment de l’histoire l’encadrement de la scène devient plus net. L’entrelacement des scènes amenées avec les scènes montrées au cours des séances commence à prendre forme. Ana Francisca montre lors de cette première rencontre son manque d’intérêt par le monde.

9En citant Lévi-Strauss, afin de discerner la structure et l’image, renvoyée à la scène qui a une place privilégiée, Lacan [1] distingue trois moments. Premier : c’est le monde tel qu’il est. Deuxième : c’est la scène sur laquelle nous montons le monde. Troisième : c’est la scène sur la scène, quand le personnage essaye de mettre en scène la scène, donner corps à l’image.

10Liée à deux types d’identification, l’image est structurante pour le Moi et pour le sujet : la première identification de l’image spéculaire, au moment de la scène sur la scène, quand elle s’incorpore à l’image du personnage ; et la deuxième identification, celle de l’objet du désir, perdu, qui s’incorpore à la scène par la voie de l’identification.

La scène de la scène

11Lors de la deuxième venue d’Ana Francisca, la mère propose de donner le biberon pendant la séance. Pourquoi montrer cela dans la séance ? Qu’attend-elle de l’analyste ?

12Instant de voir [2] (valeur instantanée de l’évidence) : À un moment donné la mère dit que c’est l’heure du biberon, elle veut « me montrer ». Dans ce « vouloir me montrer » il y a déjà l’indication des deux autres temps. Dans les bras de sa mère, le bébé commence à téter le biberon. Tout va bien jusqu’au moment où, dans une fraction de seconde, le bébé fait une « indication » de pause de la tétée. La mère savait-elle qu’il y aurait une interruption ? Le visage maternel et le moindre mouvement de la mère à ce moment-là décrivent immédiatement une inquiétude : c’est un ensemble de muscles, regards et gestes subtils qui indiquent un changement par rapport à son état antérieur.

13Temps pour comprendre (intuition du sujet qui provoque un temps de médiation) : Je demande : que s’est-il passé ? Elle répond que c’est comme cela : si sa fille s’arrête de téter là, après elle passe toute la journée sans rien manger, « très bientôt » vont apparaître les cernes et elle va se déshydrater. Elle traduit : « C’est ainsi que ça se passe toujours, je dois tout donner vite, si elle s’arrête, elle ne tète plus, elle se déshydrate et est hospitalisée. »

14Le temps pendant lequel se déroule cette scène de la scène est celui d’une fraction de seconde : il y a le regard de la mère qui cherche le témoignage de l’analyste, des paroles qui affirment la certitude sur l’arrêt de la tétée et une certitude encore plus grande que, un peu plus, son bébé va se déshydrater. Cette lecture de la mère les enfermait dans un circuit répétitif d’envahissement et de mort.

15La « monstration » de la scène dans une séance est déjà une transcription appuyée sur l’image visuelle, une sorte de lecture de l’image avec l’image. L’arrêt de la tétée du bébé est une lecture opérée par le bébé, que je désigne ici de transcription transitive, une lecture de l’image qui se passe entre corps. Alors, face à cet excès de sens maternels (traduction maternelle) et la précipitation de la transcription transitive du bébé face à la mère, une autre lecture a été nécessaire : la traduction. L’arrivée de l’imaginaire de l’analyste, loin d’interpréter, s’offre afin de servir comme d’autres points d’ancrage à une traduction plus éloignée du déterminisme de la traduction maternelle. C’est la possibilité d’entamer d’autres traductions : « Est-ce qu’un bébé n’aurait pas besoin, de temps en temps, de faire quelques pauses pendant la tétée ? » L’analyste opère une traduction, mais, comme une altérité par rapport à la traduction maternelle : « elle va se déshydrater ».

16Moment de conclure (assertion sur soi sous jugement) : la mère écoute l’analyste et continue, pour la première fois, à donner le biberon après cet arrêt du bébé, et celui-là est le premier jour à partir duquel le bébé ne sera plus hospitalisé.

Première bascule

17Malgré la bascule concernant la fin des hospitalisations du bébé, il faudra encore quelques allers-retours dans ce champ douloureux de répétitions. Ce retour du moment de conclure re-positionne les deux autres temps comme étant ceux qui étaient écrits (la certitude maternelle de la déshydratation et l’arrêt du bébé).

18Selon Jean Allouch [3], la translittération nécessite une traduction et une transcription, à l’issue de quoi une articulation entre ces trois lectures se réalise.

De la scène : troisième histoire

19La mère raconte qu’elle est née avec l’anus sans ouverture. Encore pendant sa deuxième semaine de vie, elle subit une chirurgie, qui semble avoir laissé la famille effrayée. Tous restent ensemble pendant cette période, et ainsi, après cela, dans toutes les situations de maladie d’enfant, « tous arrêtent tout » et « restent ensemble » jusqu’à son rétablissement.

Deuxième bascule

20Ce sera la deuxième bascule dans la cure. Que se répète-t-il quand ces hospitalisations se répètent ? Pour répondre à cette question, une troisième lecture se fait nécessaire.

Transcription littérale des scènes

21« La fille ne peut pas manger étant donné que la mère ne peut pas faire caca », ce serait une interprétation. C’est une lecture possible pour l’analyste, mais non pas pour le patient, puisqu’il s’agissait d’un temps de vie où les paroles n’avaient pas encore, même pour la mère, la possibilité d’un sens.

22Cette clinique décidément n’est pas une clinique de l’interprétation, « cela est cela », précisément parce que, comme cela a été dit avant, les effets interprétatifs sont donnés par le patient.

23Ce qui semble fonder une autre particularité du fragment présenté, c’est l’embarras face à des situations qui ont été marquées avant l’acquisition de la parole parlée, tantôt chez le bébé tantôt chez les parents ; par conséquent, ce texte est écrit autrement, avec des aspects idéographiques de la lettre.

24Ce n’est pas seulement le bébé actuel qui ne peut pas encore se débrouiller avec la parole parlée, mais aussi la mère, quand elle subit les effets de réel de l’événement de la chirurgie, n’étant pas encore, en tant que fille, porteuse d’une condition minimale de parole. Ainsi, la difficulté ici ne s’arrête pas au ne pas parler de la fille, mais au ne pas parler de la mère quand elle était une fille, puisque le chiffrage ne tient pas compte du temps chronologique mais d’une condensation du temps.

25La mère, quand elle était une fille hospitalisée, n’était pas encore âgée de 1 mois, ses lectures étaient aussi des opérations réelles. Sa fille, maintenant âgée de quelques mois de vie, opère dans un registre réel, et une interprétation du style « cela est cela » part d’un registre intrinsèquement symbolique. Il s’agit, donc, dans cette scène, d’une écriture qui n’est pas purement alphabétique. Afin de réaliser une prévalence du texte, ayant comme référence la lettre, une lecture alphabétique est-elle nécessaire ? L’homophonie implique l’écriture alphabétique et la translittération se réalise à partir d’une homophonie, affirme Allouch[4].

26Il ne s’agit pas là, donc, d’une recherche frénétique des homophonies, mais de quelques rapprochements ponctuels dans l’écriture de ces deux textes qui se superposent, dans une sorte de transposition littérale.

27Deux textes qui s’écrivent et se superposent : un bébé qui ne fait pas caca / un bébé qui ne mange pas. Une mère / une fille. Une fille opérée / une fille hospitalisée. Une mère préoccupée / une fille attentive à sa mère. Et à partir de là toutes les possibilités combinatoires. La sœur appelée Ana Verônica et le glissement de Ana pour la deuxième fille, Ana Francisca, crée là un arrière-plan qui emballe le texte qui est en train de s’écrire de façon très particulière.

28Depuis la première fille de ce mariage, la peur de la mort d’un enfant existait déjà, donc, avant l’accident du fils aîné et le cancer du mari. Les noms ont été posés sur les personnages de la scène sur la scène.

29Toute formation de l’inconscient est un hiéroglyphe en ce sens d’abord qu’elle résiste à la saisie immédiate, qu’elle n’est pas transparente et qu’elle ne se laisse lire qu’avec un travail de déchiffrement [5]. Ce travail réclame l’association libre : que lit cela et cela ?

30Quand Allouch affirme que « le rêve translittère : il écrit, en figures, des éléments littéraux [6] », il dit que le rêve écrit, mais le rêve s’écrit encore en figures chez un rêveur qui parle, qui possède une inscription symbolique qui rend possible cette opération, la translittération du rêve.

31Dans cette clinique, il s’agit d’un travail d’établissement de conditions pour un chiffrage, « puisqu’ il y a chiffrage là où il y a enjeu [7] ». Cet « enjeu » est l’implication du sujet dans sa question. Le fait que l’on puisse lire indique que le sujet est impliqué et que le chiffrage a une valeur de déchiffrement.

32Le bébé, par sa condition de « non parole », provoque le réel des parents ; le réel de quand, eux aussi, n’avaient pas encore de parole. Il s’agit d’une expérience de positions, et non de paroles. Il faut faire comprendre que ce n’est pas le passé des parents qui détermine ce qui arrive à l’enfant, mais c’est le réel que la position d’enfant provoque avec sa « non-parole » qui va accéder au réel dans la position des parents, et c’est de cette manière qu’apparaît la scène d’un moment de « non-parole » des parents.

33La scène des parents apparaît comme une image en hiéroglyphes face au réel piqué par la « monstration » du corps de l’enfant.

34 Peut-être pour cette raison l’image prend-elle dans ce travail une dimension importante – elle est ce qui se peut toucher du pur réel ; c’est à cela qu’elle sert. Le bébé, dans la position d’objet, en fonction de cette condition de transitivisme réel et de « non-parole », met en scène une matérialisation de l’inconscient parental ; de cette manière il est aussi lettre et, étant lettre, cela peut se chiffrer. Ainsi, la présence du bébé dans le travail clinique fait toute la différence.

Dans la scène de la scène : quatrième histoire

35Le premier et peut-être plus significatif effet de la séparation des corps entre mère et fille a été la reprise par le corps de la mère de sa propre contamination.

36La mère commence à tomber malade. À chaque séance il y avait une suspicion de kyste, une allergie, une douleur dans le corps, une ancienne maladie qui revient. Toujours la vérification si sa fille avait aussi les mêmes choses. Par exemple, des boutons rouges apparaissent chez la mère et elle a besoin de vérifier si le même arrive à sa fille, mais elle croit déjà le médecin : elle a des boutons rouges, mais ils sont différents… les corps ont été séparés.

37Enfin le corps de la mère est celui de la mère. Le bébé va bien, mange, joue, dort. La mère remarque que parfois sa fille oscille quand elle est plus inquiète avec quelque chose, quand elle se dispute avec son mari, quand elle reçoit le résultat d’un examen.

38Ce fait est en soi un indicateur d’une séparation entre le corps de la mère et le corps de la fille, et favorise des différenciations entre réel et imaginaire sous le fond du registre symbolique.

Troisième bascule

39Où vont alors autant de selles ?

Scène de la scène : cinquième histoire

40Le biberon ne peut pas rester une seule minute sans être couvert par un linge. « Pourquoi ? » Je demande. « Il est évident, répond-elle, elle peut attraper un germe, une bactérie. » « Et si elle en attrapait, que se passerait-il ? » La chaîne signifiante est déjà possible, maintenant plus comme une pure image visuelle, mais comme un glissement signifiant : « Elle peut perdre de la résistance, elle peut tomber malade, elle peut mourir… »

41Depuis la naissance de la première fille, la mère a une « manie de propreté ». Les habits et les objets de la fille sont lavés et étendus séparément. Les domestiques, quand elles arrivent, doivent se doucher, se brosser les dents, changer de vêtements (vêtements qui restent chez la patronne).

42Rien ne peut être contaminé. « Contaminé comment ? » je demande. « Par des germes et des bactéries qu’il y a partout », répond la mère.

43La scène était celle d’un bébé qui empêchait la nourriture d’entrer, ce qui était l’envers symétrique du bébé qui empêchait la nourriture de sortir. Une figure topologique : une bouche qui ne met pas le caca dedans. Le dedans était le monde avec la mère qui poussait des déchets / la nourriture ; le dehors était le corps du bébé qui refusait les déchets / la nourriture du monde maternel. Tel que le dedans était le caca dans le corps de la mère et le dehors était la nourriture de la fille. Le dedans et le dehors n’avaient pas ces limites du champ euclidien, il ne s’agissait pas du côté de la mère ou du côté de la fille : le dedans et le dehors sillonnaient entre mère et fille dans les temps présent et passé.

44 L’appel maternel du « ne (me) mange pas », était l’appel « ne mange pas mes déchets ». Ce bébé, que pourrait-il faire de plus pour ne pas se contaminer avec la tétée offerte par la mère ?

45Le bébé refusait à juste titre les déchets qui provenaient de l’agent maternel, non pas l’outil biberon ou le liquide du lait, mais c’était le refus du fantasme maternel, un fantasme de mort – « tout ce qui est dans mon corps est sale, et si ça sort, ça peut contaminer ».

46C’est à un prix élevé que ce genre de refus peut crier l’appel au sujet : le prix du risque de sa propre mort.

La grande querelle sur la notion d’image

47Dans la grande querelle sur les images [8], l’image semble-t-il n’a pas été la cible de grands débats pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne. Mais comme l’image n’est jamais neutre, ni sa manipulation innocente, ce manque de grands débats doctrinaux ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu des problèmes. L’« inéluctable modalité du visible [9] » intéresse ici, non pas particulièrement afin d’aborder tout l’héritage des débats entre représentation, vérité, image, son inscription ou style, mais, surtout, afin de peser sa participation dans le débat sur la notion d’image pour la psychanalyse, ses marques et ses buts.

48C’est aussi l’inéluctable scission entre regard et vision qui perce ce débat inévitablement, de telle manière que le visible peut être pris comme ce qui obtient une visibilité dans un océan d’invisibilités.

49De la même façon que c’est en traitant ce qui se voit qu’il est possible de discuter aussi bien l’invisible que l’être vu : ce que nous voyons ne vaut que par ce qui nous regarde.

50« Inéluctable est pourtant la scission qui sépare en nous ce que nous voyons d’avec ce qui nous regarde [10]. » Un bel exemple que l’auteur transcrit est un passage de l’Ulysse de Joyce, où Dedalus [11] se rend compte que tout ce qui est à voir est regardé par la perte de sa mère.

La critique de Foucault

51Imprimant une nouvelle tonalité à la querelle sur la notion d’image, c’est la critique de la psychanalyse par Foucault qui mérite ici d’être soulignée, par sa position d’altérité par rapport à la pensée psychanalytique. Foucault introduit ce débat dans son caractère le plus radical : la psychanalyse minimise la valeur de l’image.

52Cette position radicale est provocatrice par la bonne argumentation qu’elle soutient, en ce qui concerne la valeur négativisée que peut porter l’image pour la psychanalyse freudienne.

53C’est dans un texte apparemment sans prétention, comme toute préface habituelle, que Foucault inaugure une critique aiguë sur la notion d’image pour la psychanalyse. Apparemment sans prétention, par la teneur très tangentielle au contenu du livre, puisqu’il ne propose pas une analyse existentielle de la phénoménologie ni ne fait une exégèse du livre de Biswanger, Lerêve et l’existence, en 1954 [12], la préface se transforme rapidement en une dure critique au traitement donné par la psychanalyse à la notion d’image. Foucault souligne cette déconcertante critique envers la psychanalyse freudienne, qui instille une suspicion déterminante sur le fondement à partir duquel se construit la notion d’image, lorsque, selon l’auteur, elle considère que si la signification s’investit en images, « c’est par un surplus » et, donc, la plastique imaginaire ne sera pour les sens qui s’y font jour que « la forme de sa contradiction [13] ».

54Consulter directement le texte freudien permet de souligner quelques points qui donnent force à cette critique, tels que les problèmes concernant la notion de représentation, lorsque Freud affirme, par exemple, que « le rêve emploie cette symbolique pour une figuration déguisée de ses pensées latentes [14] ». Pour Foucault, la psychanalyse freudienne essaie de formuler le contenu de l’image avec ce qu’elle peut cacher et, ainsi, le nœud qui lie l’image au sens est toujours tangentiel, contingent.

55Et s’il y a donc un nœud caché, tangentiel, c’est parce qu’il y a un nœud originel et nécessaire entre l’image et le sens qui a besoin d’être re-découvert (« l’emploi surabondant de la symbolique pour figurer le matériel sexuel dans le rêve [15] »). L’auteur ajoute : « La psychanalyse n’a jamais réussi à faire parler les images. » Mais c’est surtout la théorie freudienne du symbole qui y est attaquée.

56Il y a dans la théorie freudienne, selon Foucault, une certaine confusion entre les notions de signification et indice. Les indices n’ont pas de signification, affirme la critique foucaldienne. Amenant les exemples cités dans le texte, nous trouvons des traces sur la neige comme des indices – pour un chasseur elles peuvent indiquer qu’un lièvre vient de passer ; néanmoins, elles n’ont pas d’autres significations qu’elles ne pourraient avoir pour quiconque d’autre qui passerait par là, tel qu’il n’y a pas que lui qui puisse avoir l’image du lièvre à l’esprit.

57Une voix qui tremble lors d’un énoncé peut indiquer de la colère, donc, les mots « lièvre » ou « colère » sont significatifs, et la voix qui s’éraille, la trace imprimée sur la neige sont des indices. Le philosophe français considère que la psychanalyse explore uniquement une dimension de l’univers symbolique : celle du vocabulaire symbolique.

58L’analyse du langage des rêves réalisée par la psychanalyse, selon Foucault, se fait uniquement à partir de sa fonction sémantique, « la dimension proprement imaginaire de l’expression significative est entièrement omise [16] ». Il continue plus loin, « et pourtant, il n’est pas indifférent que telle image donne corps à telle signification [17] », puisque « l’image est un langage qui exprime sans formuler [18] », mettant en doute, à partir de là, l’idée qu’il existe un endroit dans la psychanalyse freudienne pour l’image proprement dite dans le langage.

59La psychanalyse freudienne, définie par son fondateur comme talking cure, s’affirmant comme la cure à travers les paroles, n’a pas manqué de s’offrir à une première lecture : interprétation que Foucault défend. Et si la psychanalyse freudienne a été, sans doute, partisane d’une relégation au deuxième plan de l’image et des actions dans une cure, cela n’a jamais voulu dire « sans importance ».

60La parole parlée s’est fait essentiellement objet même du travail de la psychanalyse freudienne et « l’image muette » s’est présentifiée comme simplement un moyen d’arriver jusqu’à la parole parlée, puisque c’était, proprement parlant, l’objectif de telle talking cure.

La réponse de Freud

61Une lecture attentive de « La prise en considération de la figurabilité [19] » – chapitre du Livre des rêves concernant la question de l’image elle-même – montre avec précision l’importance de la place que Freud destine à l’image, c’est-à‑dire, c’est justement à travers l’image que les rêves pourront être figurés : « Ce qui est imagé peut être figuré dans le rêve, on peut l’introduire dans une scène, alors qu’une expression abstraite est aussi difficile à représenter qu’un article de politique générale par une illustration [20] ».

62Et plus loin il ajoute : « Une fois que la pensée du rêve, inutilisable sous sa forme abstraite, a été transformée en langage pictural [21] », toute facilitation à être présentée dans un rêve devient viable. L’image est facilitatrice de la présentation de la pensée inconsciente.

63Ainsi, ce n’est pas le manque d’importance de l’image qui est en jeu, mais vraiment la théorie dans laquelle Freud la fonde dans sa conception de représentation, et la nécessité que les paroles et les images soient représentées dans une relation bi-univoque réduit la complexité du langage. Mais lui, Freud, n’ignore pas l’ambiguïté des représentations.

64Les mots, selon Freud, dans ce texte, sont destinés à l’ambiguïté, et les rêves « se servent » des images pour des fins de condensation et de déplacement. L’image a, donc, la valeur de rendre possible le rêve (une notion très positivée, donc). Freud affirme encore que non seulement les images sont douteuses mais les mots aussi ! Il prend alors l’image comme une voie d’accès à l’inconscient, lieu d’une valeur positivée. Tout le travail analytique sur le rêve sera la tentative de lier la représentation de chose à la représentation de mot afin d’accéder au conscient. Il s’agit, alors, de la base épistémique que soutient Freud : « La représentation a conservé sa duplicité constitutive, se contentant de reléguer au second plan à la fois ce qu’elle représente, et celui pour qui elle représente [22]. »

65Malgré les problèmes que peuvent apporter la notion de représentation, le clinicien né qu’était Freud nous a légué justement, à partir de l’utilisation que les rêves font de l’image, une piste qui corrobore cette thèse : l’image peut être utilisée en faveur de la cure de ceux qui ne parlent pas encore et, ainsi, elle peut être enlevée d’une probable place secondaire ou négativisée, puisqu’il y a des images qui ne peuvent être dites.

66La critique de Foucault finit par se référer beaucoup plus à la théorie de la représentation présentée par Freud, essentiellement quand celui-ci confond significations avec indices. Quoique l’image et l’imaginaire soient essentiels pour la psychanalyse, il me semble que ce qui demeure confus, c’est l’utilisation qu’elle a fait de l’image au cours de l’histoire de la clinique. Et si la critique de Foucault se restreint, à mon avis, à la psychanalyse freudienne, il n’est pas possible, néanmoins, de laisser de côté le fait qu’il y a un certain ton défensif quant à l’utilisation de l’image dans la clinique psychanalytique, révélateur de quelques préjugés dans la façon d’aborder cette question dans la clinique. Cet aspect concerne les lectures des lacaniens qui, basés sur la première partie de l’œuvre de Lacan, ont considéré pendant un certain temps l’imaginaire comme quelque chose d’une valeur moindre que le symbolique.

Le mouvement de Lacan

67Il s’agit de trois axes d’influence qui sont attelés à des préjugés concernant l’utilisation de l’image dans la clinique : le premier naît de l’utilisation de l’interprétation directe sur l’image elle-même ; le deuxième, de l’enflure provoquée par la tendance de Lacan à séparer sa théorisation des théories psychanalytiques de tradition anglaise ; et le troisième, du préjugé concernant les actions proprement dites du patient pendant la séance.

68Le premier, concernant le préjugé surgi de la lecture de la psychanalyse lacanienne et qui a beaucoup influencé une négativation de la notion d’image, fut l’insistance de Lacan pour dépsychologiser la psychanalyse, pour la libérer d’une pratique appuyée sur les émotions et les sensations.

69Pour une telle entreprise, il prend la référence du structuralisme de Lévi-Strauss comme point de départ et se réfère à la notion de matrice symbolique comme un axe central, favorisant une dévalorisation de l’imaginaire par rapport à cette matrice.

70Le deuxième, directement lié au premier, est un effet de la longue critique de Lacan à la psychanalyse anglaise, qui donnait la primauté au Moi comme référence dans la direction de la cure ; dans les années 1950, l’imaginaire devient, de façon équivoquée, moins privilégié par la tradition lacanienne, dans l’attention et dans les interventions de l’analyste par rapport au symbolique.

71Ces deux mouvements sont décrits par Lacan au début de son texte « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse [23] », sous trois chefs, je les cite entièrement : « Fonction de l’imaginaire, dirons-nous, ou plus directement des fantasmes dans la technique de l’expérience et dans la constitution de l’objet aux différents stades du développement psychique. L’impulsion est venue ici de la psychanalyse des enfants, et du terrain favorable qu’offrait aux tentatives comme aux tentations des chercheurs l’approche des structurations préverbales. C’est là aussi que sa culmination provoque maintenant un retour en posant le problème de la sanction symbolique à donner aux fantasmes dans leur interprétation.

72Notion des relations libidinales d’objet qui, renouvelant l’idée du progrès de la cure, remanie sourdement sa conduite. La nouvelle perspective a pris ici son départ de l’extension de la méthode aux psychoses et de l’ouverture momentanée de la technique à des données de principe différent. La psychanalyse y débouche sur une phénoménologie existentielle, voire sur un activisme animé de charité. Là aussi une réaction nette s’exerce en faveur d’un retour au pivot technique de la symbolisation.

73Importance du contre-transfert et, corrélativement, de la formation du psychanalyste. Ici l’accent est venu des embarras de la terminaison de la cure, qui rejoignent ceux du moment où la psychanalyse didactique s’achève dans l’introduction du candidat à la pratique. »

74Cela est très clair dans le premier point : c’est à partir de la psychanalyse avec des enfants, avec son habitude d’aborder « des stades du développement psychique » pour tenir compte d’états préverbaux, que s’ajoute l’idée que la psychanalyse est arrivée à un état de phénoménologie existentielle à partir des relations libidinales d’objet prises comme direction de la cure, en plus du contre-transfert et de la formation du psychanalyste.

75Toutes ces relations sont prises comme un axe pour considérer la fin d’analyse, et sont à l’origine de cet a priori par rapport à l’image et à l’imaginaire ; enfin, ces trois points corroborent ce mouvement lacanien de secondarisation de l’image et de l’imaginaire.

76Le troisième effet du préjugé par rapport à l’utilisation de l’image dans la clinique peut être lié [24] à l’hésitation et à la complexité concernant les interventions de l’analyste à propos des « monstrations » survenues pendant la cure.

77Cela fait partie de l’histoire de la psychanalyse la notion d’acting out comme héritière de l’abandon de l’hypnose dans la cure psychanalytique, soulignant que la valeur que l’acting out porte est un préjugé lié à la référence de l’hypnose dans la cure. L’acting out est défini, de manière générale, comme ce que l’analyste ne peut pas lire, et il sera synonyme de « manque d’analyse » ou de « manque d’interprétation », selon l’approche. Ainsi, admettons qu’il y a une certaine asepsie du côté du psychanalyste, quand il s’adresse aux actions et à l’image dans la pratique clinique, même si la théorie le dément.

78C’est dans le séminaire L’angoisse, en 1962, quand un autre regard sera adressé aux phénomènes d’acting out et de passage à l’acte, que Lacan les met dans le champ de l’angoisse avec d’autres phénomènes tels que le symptôme, l’inhibition, l’embarras, l’émotion, entre autres.

Que fait la psychanalyse avec l’image ?

79Ce thème, sans aucune hésitation, donne continuité à un débat très cher à la psychanalyse avec enfants, surtout à la clinique avec ceux qui ne parlent pas encore, puisque la psychanalyse avec enfants interroge, peut-être sans le formuler clairement, la charpente de la psychanalyse : que faire avec l’image qui apparaît dans la clinique ?

80Dans le dictionnaire de Roudinesco et Plon [25] nous trouvons le terme imago (introduit par Carl Jung en 1912) pour désigner une représentation inconsciente à travers laquelle un sujet désigne l’image qu’il se fait de ses parents. Quant à l’imaginaire, il est utilisé différemment par Lacan, à partir de 1936, comme : « le lieu du moi par excellence [26] ». Il ne s’agit pas ici de faire une exégèse de la notion d’image dans la théorie psychanalytique, mais, surtout, de mettre à distance la polémique concernant la psychanalyse avec jeunes enfants et/ou qui ne parlent pas des discussions sur « l’utilisation du jeu », « la présence des parents », « la technique du dessin », « l’âge de l’enfant en analyse », entre autres.

81 Le travail clinique, en considérant l’image, concerne vraiment une question épistémologique majeure, qui interroge la praxis et le fondement de la psychanalyse qui offre à la parole parlée une place d’outil et d’objet.

82L’imaginaire, l’image et l’imagination sont trois notions distinctes pour la psychanalyse. L’image, c’est ce qui se montre et ce qui se cache dans le jeu spéculaire.

83L’imagination peut être lue comme une des manières de support des rapports au fantasme. L’imaginaire, notion lacanienne, est un des registres qui soutiennent la topique du sujet. Le réel, le symbolique et l’imaginaire sont des registres structurels du sujet, et le Moi se forme sous un angle prioritairement imaginaire. Le jeu d’images spéculaires, les idéaux et l’objet qui le composent indiquent les possibles rapports entre les deux notions : « Il n’y a pas moyen de saisir quoi que ce soit de la dialectique analytique si nous ne posons pas que le Moi est une construction imaginaire. Cela ne lui retire rien, à ce pauvre Moi, le fait qu’il soit imaginaire – je dirais même que c’est ce qu’il a de bien. S’il n’était pas imaginaire, nous ne serions pas des hommes, nous serions des lunes. Ce qui ne veut pas dire qu’il suffit que nous ayons ce Moi imaginaire pour être des hommes [27]. »

Un parcours chez Lacan

84L’image, contrairement à l’affirmation de la critique foucaldienne, aura une valeur positivée dans l’œuvre de Lacan. Si nous suivons la lecture de Dufour [28], nous pourrons retrouver l’idée que, dans l’histoire du lacanisme, le stade du miroir représente son point clé, puisque c’est à partir de là que Lacan est devenu Lacan, selon l’auteur. La valeur pionnière de ce texte inaugural est la valeur donnée à l’image aussi.

85 L’esprit pionnier de ce texte, qui valorise de telle façon l’image est donné à partir de deux dramatisations : l’interdiction de lire son texte dans le congrès et le texte perdu qu’il oublie de rendre pour qu’il soit publié – ce qui le place dans une position de texte fondateur, celui qui a été effacé.

86Toujours en référence au texte de Dufour, une des voix qui parlent dans ce texte de Lacan, c’est la théorie des miroirs, de la théosophie de Jacob Boehme, dont le miroir est le cœur de son œuvre baroque. Dans la théorie du miroir sophianique, qui affirme que Dieu se conçoit comme sujet et s’exprime dans l’homme à son image, dans un mouvement jamais achevé. En passant du Un (invisible) au multiple (visible), il y a cet œil de la sagesse divine qui contient les images de tous les individus. Au-delà de l’idée que le un, qui ne peut parvenir à s’exprimer que dans l’autre et par l’autre, est présent dans ses textes initiaux sur la conception du sujet et ses avatars, les idées de jeux spéculaires s’y trouvent aussi, ce qui au final concerne la question de l’image.

87La notion d’image pour la psychanalyse lacanienne est inaugurée avec une valeur constitutive et, donc, positivée.

88En 1946, Lacan rédige une nouvelle version de la problématique de l’image dans Propos sur la causalité psychique. Tous ces phénomènes, depuis l’identification spéculaire jusqu’à la suggestion mimétique et à la séduction, passant de la jalousie aux premières formes de sympathie, s’inscrivent dans une ambivalence primordiale qui apparaît en miroir, en ce sens que le sujet s’identifie à son sentiment de soi à travers l’image de l’autre, et l’image de l’autre vient captiver dans le sujet ce sentiment.

89« Ainsi, point essentiel, le premier effet qui apparaisse de l’imago chez l’être humain est un effet d’aliénation du sujet [29] » ; c’est dans l’autre que le sujet s’identifie et s’expérimente initialement. Le désir s’inscrit aussi dans la dialectique de cette médiation : désir de faire reconnaître son désir. Il indique même dans ce texte la tentative d’isoler le phénomène de l’imago : « assomption triomphante de l’image avec la mimique jubilatoire », « la complaisance ludique dans le contrôle de l’identification spéculaire ».

90 Il y a autour de cette image une série de phénomènes d’illusion : hallucination du double, apparition onirique et objectivations délirantes. La quête des avatars des relations du sujet avec l’image est l’input initial de la recherche lacanienne.

91Le stade du miroir va aborder cette anticipation provoquée par la maturation précoce de la perception visuelle, face à la prématurité de la naissance dans l’espèce humaine. Les chances d’identification de cette image reçoivent appui du narcissisme, exprimé par la tendance suicide du mythe de Narcisse face à son image (pulsion de mort ou masochisme primordial).

92L’identification est une forme de causalité psychique, et l’imago, encore à ce moment-là de la théorie, a comme fonction de réaliser cette forme d’identification résolutive d’une phase psychique, c’est-à‑dire « une métamorphose » des relations entre l’individu et son semblable.

93Déjà en 1949, dans le célèbre texte « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique [30] », Lacan présente sa thèse : un bébé qui, porté par un autre, sans coordination ou maîtrise de la marche, se précipite devant son image dans le miroir et, avec une attitude jubilatoire, fixe un aspect instantané de la gestalt de son image. Et son acte d’intelligence est de reconnaître son image dans le miroir.

94L’extériorité de l’image que le bébé, dans son immaturité, anime en expérimentant l’animer, est reconnue par le bébé.

95Le stade du miroir sera cette identification « quand le sujet assume une image ». Il est impossible de ne pas accompagner la valeur que l’image assume dans ces textes fondateurs de Lacan.

96C’est la manifestation d’une matrice symbolique où le Je (qui sera le Moi idéal, source de toutes les autres identifications) se précipite dans une forme primordiale avant qu’il ne puisse objectiver la dialectique avec l’autre ou avec l’utilisation du langage.

97L’image visuelle est la source du monde visible, même dans les phénomènes d’hallucination, dans des projections objectales et phénomènes du double. Le stade du miroir nous sert comme un cas particulier de cet imago qui a comme fonction d’établir un lien entre l’organisme et son image, entre le connu et l’inconnu [31].

98Le séminaire sur Les écrits techniques de Freud[32] vient organiser le lieu de l’imaginaire dans la structure. Pour ce faire, il reprend l’importance de l’image, au-delà d’être le premier endroit où Lacan théorise le schéma optique. Dans le stade du miroir, cette relation du sujet avec l’image montre que, même dans l’optique, l’espace réel et l’espace imaginaire se confondent. C’est cette impression de réalité, offerte par l’illusion optique qui donne un statut à l’imaginaire ; d’ailleurs il complète : « Plus vous serez loin, […] plus l’illusion sera complète [33]. »

99Parler d’imaginaire, c’est parler de l’intrication des liens entre le monde réel et le monde imaginaire dans l’économie psychique. Je peux dire que c’est une nouvelle version de la problématique entre externe et interne dans l’économie psychique.

100 Dans le lien entre imaginaire et réel, dans la constitution du monde comme résultat de ce lien, tout dépend de la position du sujet. Et la position du sujet est donnée par sa place dans le monde des mots. Il est certain qu’il existe une réalité formée par la confusion entre réel et imaginaire, mais cela ne trouve un discernement que dans le lien avec la parole. Les mots seraient la condition de structuration et de différenciation entre le réel et l’imaginaire sans quoi le monde reste plat. Il y a là encore un Lacan qui privilégie la parole et, certainement, le symbolique.

101Mais, pourquoi une idée d’ordre ne peut-elle venir de l’image elle-même [34] ? Chez les enfants avec des difficultés dans la structuration de la réalité, tout semble absolument pareil [35], pareillement indifférencié, donc.

102C’est là le caractère uniforme de la réalité. Pour ces enfants, le langage n’a pas impliqué le système imaginaire, ainsi, le réel et l’imaginaire sont équi­valents – c’était l’explication de Lacan pour le cas kleinien, le célèbre cas Dick. Dans ce cas, les symbolisations de l’analyste servent à introduire une position initiale pour que le sujet puisse faire agir le réel et l’imaginaire. Les choses doivent arriver dans un certain ordre, dans le cas contraire la figure dans son ensemble reste dérangée. Et c’est de cette manière que les interprétations kleiniennes fonctionnent : elle « enfonce » des signifiants en Dick.

103La projection de l’image succède constamment à celle du désir, la réintrojection de l’image est la réintrojection du désir. L’enfant se répète là-dedans et, tout au long de ce jeu de bascule, le désir est réassumé par l’enfant et ainsi il apprend l’ordre symbolique : en passant par l’autre, il est réprouvé ou approuvé par lui.

104On peut s’attendre à ce que la psychanalyse indique de diverses manières que ce qui est placé premièrement, c’est le symbolique ; de cette manière, le sujet en question pourra ordonner le réel et l’imaginaire, les distinguant de ce fond plat. Lacan définit : « La parole est cette roue de moulin par où sans cesse le désir humain se médiatise, en rentrant dans le système du langage [36]. » La monstration imaginaire peut être considérée comme un moment qui fait sauter cet imaginaire de sa condition « dite secondaire ». Mais il n’y a rien de secondaire dans la notion d’imaginaire parce que, pour qu’il y ait un accès au symbolique, il faut notamment passer par lui, et, affirmer que ce qui est placé d’abord est symbolique, ne veut pas dire qu’il y ait en lui une primauté, mais la nécessité du symbolique pour « désaplatir » le monde.

105Selon Vorcaro [37], l’organisme affecte l’imaginaire, c’est-à‑dire, l’organisme du bébé affecte l’imaginaire des parents. Les parents répondent aux appels de tension et d’apaisement du bébé à partir de cet imaginaire et là il se crée un rythme qui instaure une matrice symbolisante. Sachant que ce rythme n’est jamais respecté de la même manière, l’enfant devra imaginariser sur ce qui cause cette variation. Ainsi, en plus de la visibilité forcée par l’enfant avec son corps qui nécessite des soins, l’image de l’autre et l’imaginarisation des raisons des soignants seront nécessairement une introduction au monde du sujet.

106Il y a donc des liens possibles entre image et matrice symbolisante, entre organisme et corps.

107Le rapport à l’image dans la théorie devient modifié, selon Le Gaufey [38], à partir du poids que Lacan commence à offrir au geste de l’enfant envers l’assentiment de l’Autre, au moment où il se retourne vers le hors miroir – décrit pour la première fois dans le texte « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache », en 1960.

108Selon Le Gaufey, c’est l’introduction du miroir plan qui permet à Lacan de différencier le Moi idéal et l’Idéal du moi, en plus d’aborder le narcissisme primaire et secondaire.

109 Mais c’est surtout la position du sujet qui entre en scène, puisqu’il voit plus que son image, il voit le point du sujet situé hors miroir. Le sujet sera représenté non plus par l’œil, mais par ce point vers lequel le bébé se retourne en quête de reconnaissance, l’idéal du Moi.

110L’œil qui est placé à côté de l’image réelle, après l’entrée du miroir plan, ne pourra plus la voir directement.

111Par conséquent, celui qui verra l’image dans le miroir n’aura aucune ressource pour comparer cette image ; cet œil supposé symboliser le sujet part d’un « invisible que seule sa réflexion introduit dans le visible [39] ». Qu’est-ce qui amène l’enfant, après s’être prélassé devant son image, à l’abandonner et à se retourner vers l’adulte dans une quête d’assentiment [40] ?

112Le Gaufey souligne la nécessité de ce retournement vers l’adulte par le sujet en corps de bébé, en affirmant qu’il faut un témoignage face à l’unité de l’image qui lui donnerait, en plus de la preuve de réalité, son jugement d’existence. L’adulte est un complice, il participe directement à l’événement et fait partie de l’image que l’enfant découvre.

113Il questionne encore : pourquoi le bébé ne reste-t-il pas fasciné par son image ?

114Ce retournement de l’enfant vers l’adulte arrive une fois qu’il s’est vu dans le miroir. Et ce regard de l’enfant, selon Le Gaufey, est furtif, ce n’est pas le même regard examinateur de la fascination devant la reconnaissance de l’image totale dans le miroir, c’est un regard qui vient en rencontrer un autre, et ce qui apparaît dans cette brève rencontre, c’est la trace résultant de cette collusion des regards. C’est à partir de cette collusion que se produira l’assentiment, qui est toujours un et indivisible, puisqu’un assentiment n’a pas de « mais », il est ou il n’est pas. C’est de cet assentiment unaire dont l’enfant a besoin ; il a besoin de son témoignage.

115J’ajoute, à partir de mon expérience, que c’est aussi probablement en raison de la terreur de l’apparition tellement fulminante pour le bébé de son unité de l’image du corps qu’il se retourne vers l’adulte, non seulement pour plaider « qui est celui que je me reconnais ? », mais pour essayer de se débarrasser de cette anticipation tellement vorace et paralysante de son image totale.

116Il faut un laps de temps, un repos face à cette image illusoirement et momentanément totale. Quelle est cette jouissance tellement mortifère que cette image provoque en moi ? Face à cette jubilation, je distingue là l’interprétation de Le Gaufey, qui considère ce retournement comme la tentative de décompléter l’image provoquée aussi par le mouvement devant le miroir, de l’interprétation qui m’apparaît à partir de la clinique.

117Je crois qu’au-delà de l’incomplétude venue du mouvement face à l’image dans le miroir, il faut une certaine hésitation du côté du sujet face au visuel de la gestalt de son image ; par une sorte d’appel face à un possible vacillement d’un dévorer du sujet par l’image, la recherche de l’autre, de l’assentiment à travers le regard, serait également une recherche de sortie de cet emprisonnement du visuel de la gestalt de l’image.

118Certainement, les deux interprétations convergent vers l’idée qu’il y a une sorte de nécessité de se retourner vers l’autre. Mais il y a une différence : dans l’une, c’est la visée syncopée entre le mouvement du bébé et l’image qui provoque cette cassure dans l’illusion de complétude et sa jouissance, sa jubilation, ce qui provoque ainsi l’appel à l’assentiment (Le Gaufey) ; dans l’autre interprétation (la mienne), ce retournement est la fuite devant la terreur que la jubilation (sa jouissance), avec son pouvoir d’emprisonnement, provoque chez le bébé – fuite de cette sorte de fascination d’une illusion de complétude, acte et image de terreur.

119Mais qu’est-ce que ce retournement provoque chez l’adulte qui participe à cette scène en tant que complice ?

L’image et l’angoisse

120L’héritage de la psychanalyse avec enfants a donné lieu aussi à un autre type de problématique. Ainsi, ce ne sont pas seulement la notion d’image et sa valeur dans la théorie qui sont en cause, mais aussi la manière de s’en servir dans une clinique où la parole n’est pas associée, comme dans la clinique avec l’adulte. Évidemment cela a des conséquences, surtout pour la clinique avec de jeunes enfants, avec une aggravation pour la clinique de ceux qui ne parlent pas encore.

121Dans le séminaire L’angoisse[41], en 1962, la relation imaginaire s’y trouve déjà, selon le fait que le sujet se constitue dans le lieu de l’Autre. La valeur de l’image y est soulignée par la jubilation de l’enfant quand il se retourne vers son autre ; c’est là que l’enfant se questionne sur la valeur de l’image. L’angoisse sera, alors, l’émergence de l’image dans le lieu où rien ne devrait apparaître. L’on peut remarquer clairement comment l’image spéculaire peut devenir cette figure étrangère et cette source d’angoisse, qui est le double.

122À partir de ce séminaire, il sera plus clair que l’objet a n’a pas d’image, mais l’image l’enveloppe, puisque de toute manière c’est le séminaire où l’objet a commence à être discerné autrement. De quelle manière ? L’image cache l’objet a, le dissimule. Le sujet n’a pas d’image non plus, il a un corps [42]. Mais le sujet peut parler à travers ses images. De là surgit – je conclus – la place ambiguë pour l’image : tantôt de déflagration tantôt de protection de l’angoisse. Déflagration de l’angoisse quand c’est l’image qui apparaît dans le lieu où rien ne devrait apparaître, et protection quand elle est un vêtement pour l’objet : l’image voile, couvre l’objet. Cette ambiguïté permet de comprendre la prudence employée dans l’utilisation de l’image dans la clinique avec ceux qui ne parlent pas encore, néanmoins, cela ne veut pas dire que nous devions reculer face à ce paradoxe.

123Qu’est-ce qui fait en sorte que cette place ambiguë glisse d’un côté ou d’un autre ? Le lien à l’Autre, puisqu’il doit y avoir un double trou, une double méconnaissance, du sujet et de l’Autre.

124Le désir de l’Autre est toujours une énigme pour le sujet. Donc, la disparition du voile du désir de l’Autre provoque l’angoisse.

125Étant donné qu’il s’agit du rapport entre la psychanalyse et la pratique clinique concernant l’image, admettons : il faut un rapport prudent. Délicatesse et prudence, puisque l’interprétation de l’image fondée uniquement sur la traduction peut provoquer une incitation au dévoilement de l’image, en retirant tout l’enjeu ambigu que l’image enveloppe, et en prenant le risque, donc, de retirer de là sa fonction de vêtir l’objet. Si le bébé se trouve à la place de l’objet, ce dévoilement peut provoquer de profondes angoisses maternelles (par exemple, la férocité du fantasme d’infanticide). Quand la mère n’arrive pas à calmer les pleurs de son enfant, par exemple, cela provoque de l’angoisse, puisqu’il y a une signification qui n’est pas en train d’être traduite ; se révèle, dans ce cas-là, un vide de signification, dimension symbolique de l’angoisse. L’angoisse peut surgir aussi lorsque, face au désir de l’Autre (réalisé à partir de la demande du sujet), le sujet ne sait pas que l’image devra revêtir pour correspondre et, alors, se revêt d’objet.

126Il semble que tout au long du parcours sur les psychanalystes qui ont reçu des enfants, leurs disputes, leurs théorisations, leurs difficultés bordaient le cœur de cette dimension de l’image pour la psychanalyse, pas seulement en termes théoriques et épistémologiques, mais, surtout, dans la pratique clinique avec l’enfant, grâce à son rapport au langage.

127À propos de l’histoire de la psychanalyse avec enfants, cette lecture de la place accordée au Moi a favorisé une certaine apologie des mécanismes de défense du moi comme points de départ pour les interventions et la direction de la cure, et des lacaniens – alors censés faire valoir le projet lacanien – ont réalisé une sorte de « moins-value » par rapport à tout ce qui concerne l’image, l’imaginaire et le Moi. Le pari ici consiste à montrer qu’un travail dense sur les questions concernant l’image est nécessaire dans la psychanalyse avec enfants de manière globale, mais surtout dans la clinique avec ceux qui ne parlent pas encore, afin que cela devienne vraiment une condition de possibilité.

128Il se trouve qu’en psychanalyse avec enfants, en général, on travaille avec ce que l’enfant montre, même si la parole parlée continue à être son emblème majeur.

129 La clinique avec ceux qui ne parlent pas encore doit accorder une place à l’image, qui peut être utilisée comme un élément digne de travail ; digne dans « ses résons ». Il est vrai qu’il y a une « schize » dans ce qu’elle montre étant donné qu’il y a deux perspectives relatives à l’image : l’image totale, Moi idéal, d’où le sujet se voit ; et la trace d’où le sujet se voit, considérée comme l’idéal du Moi.

130L’image, jeu spéculaire, sera prise comme ce qui donnera une consistance à ce qui deviendra corps, littéralement, qui revêt l’objet ; en même temps qu’elle sert comme un écran de protection à ce qui ne se donne pas à voir.

131Cette opération est possible grâce à l’identification au trait lu comme désir de l’Autre. Donc, l’image (ce qui se montre et ce qui cache) portera une dimension de la division du sujet, sa disjonction étant l’identification au trait – symbolique, donc – l’autre axe de soutien.

132Si nous pensons que l’image en tant que support de la lettre est une partie constitutive du sujet en corps d’enfant, du point de vue de la psychanalyse, la discussion doit se faire sur la façon de s’en servir pour le travail avec ceux qui ne parlent pas encore.

133Lorsqu’une « monstration » quelconque est amenée à la séance par les patients, captés par ce qui ne peut être dit et doit être montré, il est possible de vérifier que l’analyste, dans ce cadre, fait fonction de support du lieu vers où ils vont se retourner dans le point hors miroir. Passer à autre chose, en passant par l’analyste, c’est aussi faire apparaître la différence de ce qui se voit pour celui qui les regarde.

La visibilité et l’invisibilité du bébé

134L’enfant matérialise une place de dévoilement du fantasme de l’adulte. C’est, donc, à titre de position dans la structure familiale ou de position de l’enfant dans cette structure que la question de l’image mérite d’être considérée.

135Il y a, néanmoins, un autre axe dans ce débat, ce qui se dévoile dans l’adulte quand le bébé se retourne vers lui. Après tout, que donne à voir la visibilité du bébé ?

136Freud a rendu très clair le rapport de l’enfant à l’adulte : transparence et visibilité. Apparemment, le caractère de visibilité [43] souligné par Freud chez l’enfant, par ses extériorisations sexuelles, rend l’infantile chez l’enfant signe de sa transparence. « Il n’est pas même difficile d’observer les manifestations de cette activité sexuelle infantile; il faut bien plutôt un certain art pour ne pas la voir ou pour faire dire à l’interprétation qu’elle n’existe pas [44] ». Ainsi, l’enfant porte, selon Freud, la capacité et la tâche de montrer cet infantile articulé par la simultanéité entre géographie du plaisir dans le corps et fantaisies infantiles [45], lien perdu ou refoulé chez l’adulte.

137La visibilité prêtée à l’enfant par la psychanalyse montre, à partir de Freud, que cet enfant de la psychanalyse, s’il est un « dévoileur », c’est parce que dans le point où il se montre, il provoque un leurre : ce que l’adulte lit comme étant son idéal et ce que la visibilité de l’enfant cache de l’infantile de l’adulte : en termes freudiens, son inconscient. Ainsi, il y a un Autre parental qui, portant cet enfant qui ne possède pas encore la maîtrise de la marche, comme dit Lacan, se précipite face à sa demande de reconnaissance, dans un dévoilement de son objet de jouissance et désir.

138C’est en divisant l’Autre parental entre Moi idéal (narcissisme perdu de l’enfance) et idéal du Moi, point non spécularisable de la visibilité du bébé par rapport à l’adulte – puisque celui-ci ne le reconnaît pas, au contraire, demande une reconnaissance – que le bébé devient objet a, celui qui divise le sujet. Une autre dimension des effets de terreur, d’angoisse, que le réel du bébé provoque.

139La phénoménologie citée par Golse, par exemple, pour faire face à cet aspect de visibilité accordé à l’enfant, mais surtout au bébé, fut une tentative de traiter cette complexité.

140Dans son livre L’être bébé[46], il emprunte de Missonnier les réflexions entre Paul Ricœur et Daniel Stern sur les idées d’« identité narrative » et d’« enveloppe prénarrative » respectivement, qui évoquent le fait d’habiter subjectivement le temps comme une expérience humaine fondatrice [47], et que le changement dans une cure se fonde sur l’expérience vécue subjectivement. La phénoménologie pense que le monde y est, avant la réflexion. Ainsi, la discussion se base là sur l’approche de l’expérience comme étant ce qui fonde la représentation, et les premières pensées ne seront pas celles décrites dans le cadre des hallucinations primitives, mais dans les pensées qui concernent la temporalité des interactions [48]. Ou mieux encore, pour résoudre cette question de la visibilité de l’enfant, ils abordent l’idée du vécu du temps présent qui fonde l’expérience.

141Chez Foucault [49], comme nous l’avons vu, la question est précisément plus complexe, puisque, selon l’auteur, même si la phénoménologie arrive à distinguer indices et significations, elle accorde néanmoins à l’image un caractère négatif voire secondaire par rapport à la signification.

142Pour la psychanalyse, il ne s’agit pas de l’expérience antérieure à la représentation, il ne s’agit même plus d’expérience ni de représentation, mais, d’interactions, de marques, avant même la naissance du bébé, puisqu’il s’agit d’une naissance déjà immergée dans le langage. Il s’agit ainsi de la nécessité de passer par l’Autre pour que le sujet existe. Mais l’Autre parental est lui aussi divisé par le réel du bébé et, donc, dans les avatars de cet Autre qui devient sujet divisé par le bébé comme objet, le jeu spéculaire n’entre plus dans un espace euclidien – qui sépare un côté et l’autre côté –, mais dans un espace topologique, où il n’y a pas de limites entre les personnages, et où les mouvements de profondeur et de temps des relations humaines intrinsèques se tissent.

143Le manque effectif de paroles parlées pousse le jeune enfant encore plus dans sa qualité de « dévoileur » du fantasme de l’adulte, et en qualité, de façon très propice, de coller dans le lieu d’objet a. La visibilité de l’enfant serait-elle donc la qualité elle-même de miroir pour l’adulte ? Sa division rééditée ?

144Cet enfant « dévoileur » est l’enfant qui interpelle les effets de réel chez l’adulte. L’enfant qui ne parle pas encore est un signe encore plus transparent de la visibilité que l’adulte lui prête, d’où probablement la raison pour laquelle le travail avec les bébés provoque autant de disputes [50] (parmi les professionnels) et autant de défilés de conseils [51] (des professionnels envers les parents).

145Le bébé ou l’enfant qui ne parle pas encore arrive à promouvoir dans ce jeu de miroirs entre enfant et adulte des aspects qui ne sont pas du tout spécularisables. Le « ne pas encore parler » rend ces bébés intrinsèquement provocateurs de leurs parents, étant donné qu’ils les renvoient au temps narcissique où ils ne parlaient pas encore non plus. De prime abord, il est possible que ce réel suscité par le corps de celui qui ne parle pas encore soit son aspect le plus actif [52] dans ses relations, quand le réel de son corps affecte celui qui prend soin de lui. C’est une donnée pratique également : quand le corps du bébé vient donner des limites aux soins ou aux volontés des parents. C’est pourquoi le réel du corps du bébé provoque des effets dans le réel des agents parentaux : la révélation en eux d’un temps de « non-parole ».

146Les miroirs ont quelque chose de monstrueux. Pas seulement parce que, comme dans la copulation, ils multiplient le nombre des hommes, selon Borges [53], mais aussi parce que, au-delà de multiplier, ils laissent en dehors du champ de vision les angles non spécularisables ; c’est le réservoir libidinal qui demeure retenu dans l’imago du corps lui-même et qui n’est pas représenté dans l’imaginaire.

147Il y a, en effet, la nécessité de passer par l’Autre, mais ce point non spécularisable des relations entre celui qui ne parle pas encore et ses parents, cet aspect de ce qui est là et ne se voit pas, c’est ce qui exige des lectures – ne se voit pas mais est ancré dans ce qui se montre, de façon spéculaire. « Ces opérations imaginaires qui se développent autour des fonctions de l’objet a conservent une accommodation difficile [54] », et plus loin l’auteur complète que « l’image spéculaire vient illustrer une fonction qui est celle de masquer les trous organiques et abstraits du corps, établissant une équivalence paradoxale entre la représentation visuelle que l’on a de lui et son représentant verbal [55] ».

148Il y a le support imagétique qui se montre (demande un regard, un déchiffrage) et ce que l’inscription de ce support cache (efface et chiffre). Il faut, néanmoins, face à ceux qui ne parlent pas encore, que le chiffré qui est en train de s’écrire dans le corps du bébé puisse passer par l’image, se montrant dans la séance (matérialité du corps du bébé), pour que, alors, se situant en lieu d’objet, il divise le sujet en lieu d’Autre parental, ses signes de souffrance, siège d’énigmes, pour qu’il « passe à autre chose ». Il s’agit de passer de l’écriture avec images (puisque l’image écrit des signes [56]) à une écriture avec lettres, pour que sa cause puisse être lue, pour que ce soit possible de montrer ses raisons.

La clinique de l’écrit

149L’image qui se montre dans la clinique peut être lue de diverses manières et dans des positions distinctes. Je propose que dans la clinique cette lecture se fasse selon trois positions : analyste, agents parentaux et bébé. De la même manière, il y a les trois possibilités de lecture de l’image qu’Allouch souligne : la transcription, la traduction et la translittération. Toutefois, en plus de ces trois possibilités, j’en ajoute une, venant de la position du bébé : la transcription transitive. Dans ce cas, c’est la considération de ces trois lieux et de ses lectures respectives, ancrées dans l’espace topologique, qui peut soutenir la clinique avec ceux qui ne parlent pas encore, parce qu’elle inclue ce qui semble être efficient pour cette clinique : la dimension analytique de l’image lorsqu’elle est conjuguée à la lettre.

Transcription, traduction, translittération et transcription transitive

150Il a fallu trouver un axe méthodologique pour ce qui se montrait dans la clinique de ceux qui ne parlent pas encore et, face aux rapports à l’image et à la lettre proposés par Freud déjà dans L’interprétation des rêves, il était nécessaire de rendre compte de cette « monstration ». Il est vrai qu’il faut lire, mais comment ?

151La trilogie d’Allouch, traduire, transcrire et trans­littérer, souligne une méthode de lecture et, par l’intérêt d’advenir d’une lecture et écriture sans paroles, cette trilogie semble utile à la formalisation de cette clinique. Toutefois, si c’est vraiment une clinique de l’écrit, la lecture de cette écriture par l’écriture, cela passe par plusieurs places, y compris par la place du bébé.

152Selon la proposition d’Allouch, quand c’est une transcription, cette lecture est régulée par le son ; quand il s’agit de la traduction, elle est régulée par le sens et, dans le cas de la translittération, la lecture est régulée par la lettre. La considération de cette trilogie entraîne des conséquences, par exemple : transcrire, c’est réguler l’écrit sur quelque chose qui est en dehors du langage, et son cas le plus exemplaire est le son, même si l’on peut essayer de transcrire d’autres objets complexes différents du son, comme la danse et le geste. Il faut remarquer, néanmoins, que quand on opère avec la transcription, on entre dans le champ du langage, même dans les cas où l’objet un jour visé n’est jamais récupéré, ce qui indique que l’on travaille avec une opération réelle, dans le sens lacanien, puisque l’accès à ce qu’elle écrit n’est pas permis. De cette manière, elle ne peut pas s’auto-­fonder, il faut toujours une référence pour être lue. Dans le rapport avec l’image, en réalité, une partie de la transcription se donne aussi par le son, puisque souvent il s’agit de l’image comme une « image muette ».

153La traduction, cet autre type de lecture, c’est une écriture régulée par le sens. Que veut dire cela ? Cela veut dire qu’elle révèle plutôt l’imaginaire du traducteur et, ainsi, son risque majeur est, prenant l’imaginaire pour référence, de méconnaître sa propre dimension. Il n’y a pas de théorie de la traduction, et plus elle réclame des sens littéraux, plus apparaît sa nécessité d’ancrage. Normalement le traducteur est ancré sur un apport théorique qui peut le soutenir dans une référence pour lutter contre la fugue des sens.

154Dans le cas particulier de la translittération, qui s’écrit en régulant l’écrit par l’écrit, l’on prend en compte une lecture qui se réalise quand il y a deux écritures différentes régies par le même principe : « On pourra voir, et me semble-t-il démontrer, comment ce transfert d’une écriture (celle qu’on écrit) à une autre (celle qui écrit) permet d’épingler comme symbolique l’instance de la lettre [57] ».

155 Toutefois, cela ne veut pas dire que la lettre soit autonome et indépendante. Elle est le substrat de quelque chose et doit, donc, être placée comme secondaire à un domaine qui soit restreint à la lettre. Il y a alors le signifiant, qui implique un ordre numérique, musical entre autres. Ainsi, la translittération doit passer par la transcription, même si la plupart du temps il lui est proposé de rester plus attachée à une traduction avec son ancrage dans le sens.

156L’image peut s’appuyer sur l’assonance [58], sur l’homophonie ou sur l’interprétation. La question liée à l’objet voix est, donc, la transcription, tandis que l’homophonie enracinée dans le signifiant se lie à la partie matérielle de celui-ci, la lettre.

157L’interprétation, « cela veut dire cela », me semble être le prototype de la traduction gouvernée par le sens.

158Dans la clinique avec ceux qui ne parlent pas encore, il s’agit d’une image qui doit être lue : la scène de la scène. Dans ce cas-là, la lecture est d’abord régulée par la transcription, mais elle passe aussi par la traduction, de la même manière qu’elle doit arriver jusqu’à la lettre, avec la translittération.

159Tel qu’il a déjà été dit auparavant, la transcription comme une opération de lecture est éminemment celle du son, mais elle peut encore être référée à un autre type de « monstration » ayant un point de réel en dehors du langage, comme ce que cette clinique exige – par exemple, l’image pure avant d’être parlée, une image « muette [59] ».

160La transcription s’offre au lecteur sous la condition d’un chiffrement ; et dans cette clinique, étant donné les conditions du monde, de la scène et de la scène sur la scène, il y a une écriture idéographique.

161Face à une image et sa transcription, nous avons l’action proprement dite dans la séance, face à mon regard de témoignage qui transcrit ce qui se passe en dehors de la séance. Il y a, donc, un racontage de ce qui se passe dehors, mais en images. C’est comme s’il n’y avait pas encore la possibilité d’une lecture phonétique.

162Je propose là que cette première lecture de la « monstration » elle-même, de l’image muette, c’est la lecture la plus liée aux effets du réel qu’il puisse y avoir. Je propose également qu’une forme de transcription, c’est de mettre en scène la scène face au regard de l’autre. Sous le regard de l’analyste, serait-il possible de transformer des images en chiffres lisibles quand l’on sait que passer à autre chose c’est passer par la chose de l’autre ?

163La « monstration » dans la séance est une seconde transcription réalisée. La lecture en paroles, de la façon la plus littérale possible de la scène de la scène, trans­littère en des paroles parlées ce qui a été montré. La lecture littérale de l’image muette dans la séance transcrit, passe de l’image, du son muet, aux paroles descriptives, donc, une possibilité initiale à ce qui peut et doit être dit.

164Il faut, ainsi, face au non-savoir que toute image propose à l’analyste, aller jusqu’au bord de l’abîme, comme le dit Lethier dans sa conférence à São Paulo [60]. Néanmoins, j’affirme l’idée de chercher la logique de la présentation de l’image elle-même, de traquer ce qui est en train de prévaloir, mais pour cela il faut accueillir l’image qui apparaît.

165 Face à l’image, il faut un temps logique [61] qui ne peut être le temps de l’urgence (que ces cas apportent en général), mais le temps du « h(a)té », de celui qui va se précipiter face à ce qu’il ne sait pas, dans cette anticipation nécessaire. Toutefois, il faut un certain calcul en secondes, comme le décrit très bien Rilke dans un poème sur la marche de quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il y a devant ses pas, mais qui nécessite marcher : « comme quelqu’un qui dans un instant devra chanter devant un vaste public [62] ».

166Devant la certitude maternelle, dans la vignette présentée antérieurement, la certitude qu’« une possible pause (dans la tétée) » est un arrêt sans retour qui porte la marque de la déshydratation, il fallait « h(a)ter », postérieurement à la transcription, maintenant dans une traduction, dans une lecture qui risque la prévalence du sens, un sens différent de cet unique sens maternel. Il est vrai que le problème de la traduction n’est pas proprement le problème du sens, mais celui de la nécessité de réclamer un sens unique afin de pouvoir fuir les « faux » sens.

167Ce moment de carrefours rend importante la recherche d’une référence dans l’altérité que l’image peut provoquer. Même si pour l’analyste l’enjeu n’est pas celui de chercher l’éloignement d’un faux sens devant une désignation parentale, la transcription et la translittération peuvent ouvrir des possibilités d’une autre traduction, qui provoque une coupure dans une éventuelle précipitation du côté du bébé à répondre à la demande parentale ancrée dans l’idée d’un sens unique.

168Le bébé fait lui aussi sa lecture, donc. L’enjeu, c’est de savoir laquelle.

169La transcription transitive est ici conçue comme une opération afin de répondre à ce que la clinique avec ceux qui ne parlent pas encore nous montre. Quand le bébé donne un signal symptomatique quelconque, il faut comprendre, à partir d’un appel à la « monstration », qu’il y a quelque chose à être lu, et que, quand le bébé montre, il exécute simplement dans son corps un type de lecture. Cela doit être pour cette raison que parfois on entend l’idée que le bébé lui-même est là celui qui « interprète » ; cependant, je dirais que le bébé transcrit transitivement.

170Ce bébé provoque l’Autre parental dans sa division, mais, surtout, il y fait une lecture de l’Autre, incarné par le soignant primordial, avec l’appareil de son corps. Je nomme ici une lecture qui est une transcription transitive du réel du corps du bébé au réel du corps du soignant primordial, et qui promeut une lecture réelle de la part du bébé : ce sont des muscles, des regards, des odeurs, la voix, rien.

171Cette lecture décidemment réalisée par le bébé est prise par l’Autre primordial dans un appareil fantasmatique qui va, dans un moindre laps de temps, affiner les significations : « il le fait exprès », « regarde comment il fait exactement ce que je ne voulais pas qu’il arrive », « ce qu’il fait là veut dire ce dont je vous avais parlé » … parce que le bébé apparaît là comme objet a.

172Il est possible d’amener l’idée du jeu entre tension et apaisement [63]. Le mouvement instauré entre la mère et son bébé inscrit une habitude de tensions et apaisements qui permettent au bébé la possibilité d’anticipation ; pas encore une anticipation imaginaire, mais un mouvement réel, du réel du corps. Ainsi, je pense que le bébé réalise une lecture réelle de l’agent parental, dimension maternelle majoritairement (quand la mère change pendant la tétée ses petits « maniérismes »). La lecture qu’il réalise est celle du réel de l’image, une transcription transitive, étant une opération réelle qui se fait entre des corps.

173L’on ne peut pas dire que le bébé réponde à ce qu’il « imagine ou croit » être le désir maternel. Il chiffre à partir d’une transcription transitive qui promeut une lecture directe, un transitivisme de l’affect, pouvant même arriver à une transcription de la pensée non parlée.

174Si le bébé chiffre et déchiffre ce qui se passe dans le réel du corps, facilité par le dessin d’un seul corps entre agent parental et enfant, ce n’est pas si difficile de comprendre que le bébé puisse arrêter de téter quand la mère se « pré-occupe » qu’il puisse arrêter de téter – il s’agit d’une transcription par l’assonance, voire par la phrase. En arrêtant de téter, le bébé fait une lecture, une transcription (une lecture qui utilise l’image ou le son) transitive (qui passe de corps à corps).

175La nécessité d’ajouter le mécanisme du transitivisme à l’opération de transcription, afin de couvrir ce qui se passe depuis la place du bébé, se donne en raison de la perspective selon laquelle il y a une opération de lecture d’un corps à un autre et qu’elle a l’affect comme voie de passage dans une lecture réelle.

176Le corps du bébé transcrit transitivement, c’est-à‑dire, il lit ce qui se passe dans le réel du corps de l’autre transcrivant d’une image à une autre ce qui se passe dans le corps. Cette image du corps de l’autre qui lit se réfère aux plus subtils détails qui, sous l’effet de tensions et d’apaisements, transitivent au bébé les éventuels changements qui laissent une trace. Ainsi, ce n’est pas une opération qui se passe dans la lecture du sujet au monde, mais d’un organisme à un autre. La traduction de cette transcription transitive réalisée par l’agent parental sera ancrée dans la translittération de la transmission de la lettre, ce qui favorise la tendance de cette traduction à un sens unique. À partir de là, un circuit fermé s’installe et les lectures qui en découlent se répètent ; et se répètent dans leur transmission, puisque toute lecture se transmet.

Tissant les fils : l’image, la lettre et le transfert

177Les rapports entre image et lettre sont esquissés par Lacan dans le texte « L’instance de la lettre dans l’inconscient [64] », où il cite Freud à partir de l’image du signifiant et considère que cela n’a rien à voir avec la signification : « Qu’est-ce qui distingue ces deux mécanismes (condensation et déplacement), qui jouent dans le travail du rêve, Traumarbeit, un rôle privilégié, de leur homologue fonction dans le discours? » Il répond lui-même que ces mécanismes jouent le rôle de rendre possible la figuration et, même s’ils sont limités, favorisent cette condition de figurabilité, que Freud a désignée en tant que représentabilité.

178Alors, s’il y a une raison pour le privilège des figures de la condensation et du déplacement à la place d’autres, c’est parce qu’elles sont plus propices aux conditions de représentabilité. C’est, après tout, un privilège pour l’image. Et la marque, la lettre, comment se présente-t-elle ?

179Il y a des relations intrinsèques entre trace, image et lettre. Étant donné que le sujet ne se reflète pas dans le miroir, mais dans la trace qu’il cherche en se retournant vers l’Autre. C’est, donc, en dehors de l’image que l’on cherche l’identification. Ce tournant dans la théorie lacanienne – passer du trait unaire de la reconnaissance du sujet par l’image à la trace lue par le sujet comme signe de l’amour de l’Autre, justement dans ce qui se trouve en dehors de l’image – suggère un certain décentrement de l’image. Néanmoins, c’est justement la différence entre le point où le sujet se voit comme total (donc Moi idéal) et celui qu’il voit comme un signe de reconnaissance de l’Autre (Idéal du Moi) qui institue tout le champ des avatars du sujet, où il n’y a pas de hiérarchisation entre les instances, réel, symbolique et imaginaire.

180C’est donc à partir de ce leurre, provenant de la bifurcation de l’investissement libidinal (image totale et trace en dehors de l’image), qu’il y aura toujours un point dans le jeu spéculaire qui ne se donnera pas à voir, un point non spécularisable. À partir de cette idée Lacan introduit la notion d’objet a, son invention. « L’objet a échappe à la fonction idéalisante de l’amour, puisqu’il résiste à n’importe quel appel unitaire [65]. »

181 Il se voit dans l’image réelle et inversée de son propre corps, dans le schéma du Moi, mais il se regarde en dehors du miroir.

182Encore faut-il un développement supplémentaire : pour que le trait unaire fasse marque il doit être effacé, il doit être nié. Le trait inaugure la chaîne signifiante par la répétition [66].

183La matérialité de la lettre sert d’appui puisque « l’inconscient est le nom des modalités, de la structure et des effets de la rencontre entre le langage et le corps [67] ». Il intéresse ici de savoir qu’il y a deux pôles de la lettre : celui qui oppose la lettre comme un signifiant et celui qui aborde la lettre pulsionnelle. Les deux ont affaire au corps et à la transmission. D’un côté de la médaille : marque, inscription (axe pathémique, que ce soit au niveau inconscient, signifiant, ou au niveau pulsionnel [68]), et de l’autre côté de la médaille : ce qui se transmet (l’axe mathématique). La lettre comme inscription dans le corps, d’un côté, et la lettre comme ce qui se transmet, de l’autre côté, composent la clinique avec ceux qui ne parlent pas encore. Si d’un côté il y a un rapport direct à ce qui se montre pour être chiffré et lu dans un lien direct avec l’image, de l’autre côté il y a ce qui ne se montre pas, dans une opposition à l’image, qui est ce qui se transmet de lettre.

184C’est l’idée de la lettre qui permet de distinguer la notion selon laquelle la psychanalyse est aussi une pratique de lecture. Si, comme argumente Brauer [69], le champ de la psychanalyse lacanienne se situe entre l’écrit et la parole, il est possible de comprendre de façon encore plus large la référence au champ de l’inconscient comme champ de langage.

185L’auteure affirme encore que si la psychanalyse privilégie le signifiant, il ne s’agit pas de n’importe quel signifiant, mais de celui « à condition qu’il ait valeur d’écriture du cas singulier [70] ».

186Le signifiant qui compte est celui qui se fait lettre, c’est-à‑dire qui se fait transmettre et peut se donner à lire. Ce point unaire, vers lequel se retourne le bébé en cherchant dans le regard de l’autre son assentiment, fait lettre. À travers les miroirs, est-il possible de lire le transfert dans cette clinique ?

187Probablement l’analyste se trouve, au début du travail clinique, à la place de l’Autre, vers où les parents se mettent en quête d’un quelconque signe d’assentiment de leur place de parents.

188Dans la clinique avec les bébés, l’analyste se trouve d’abord également à la place du miroir plan. L’on s’attend à ce que le travail favorise, donc, la rotation d’un quart de tour relatée par Lacan [71], afin que l’analyste puisse se retirer de cette place dans le miroir plan, et que l’agent parental puisse, ainsi, se trouver en condition de l’assumer. C’est pourquoi, dans certaines situations, le travail clinique avec le bébé peut être simplement un premier temps d’une demande d’analyse de la part de l’un des agents parentaux.

189Le transfert doit être pensé dans son rapport au savoir. Il a déjà été souligné antérieurement que je considère l’idée de Porge sur le transfert à la cantonade [72] comme un jalon décisif pour penser le transfert par rapport à ceux qui ne parlent pas encore ; cependant, nous avons maintenant des éléments pour penser aussi que, si nous pouvons quitter l’idée du miroir et considérer ce jalon du « retournement » du bébé dans un appel à l’assentiment de l’Autre comme une structure qui inclut l’analyste, nous sommes en train de conjecturer que, pour penser le transfert, il faut le penser dans un cadre, au-delà du jeu de miroirs, et que justement c’est l’analyste qui compose le cadre. Le retournement du bébé vers l’adulte indique que, s’il se trouve à côté du miroir concave, donc dans un point en dehors du miroir plan, il faut un écran plus grand qui l’inclut dans ce cadre.

190La coalescence entre structure clinique et transfert dans son rapport au savoir est très bien décrite par Porge dans son texte sur « L’analyste dans l’histoire et dans la structure du sujet comme Vélazquez dans Les ménines[73] », et nous intéresse ici l’encadrement qu’il fait de cette coalescence comme la possibilité de la penser dans le faire tableau comme une structure.

191Ce qui nous intéresse, c’est l’idée que l’analyste est déjà inclus d’avance dans le tableau, c’est-à‑dire dans la structure du transfert. C’est pourquoi l’enjeu n’est pas de savoir si le bébé « transfère » ou pas, mais s’il y a une structure de rapport au savoir qui, rompue précocement, prend l’analyste comme une partie de ce tableau. C’est pour cette même raison qu’il y a dans cette clinique ce jeu entre les positions (analyste, bébé et agents parentaux) et les lectures (traduction, transcription, translittération et transcription transitive).

192Le passage vers la structure qui comprend déjà l’analyste et l’effet de son acte lui-même est, comme affirme l’auteur en citant Lacan : « Le psychanalyste ne peut rien instituer de son expérience clinique sans y présentifier la fonction de son propre regard [74]. » Mais comment ?

193Je défends l’idée que la psychanalyse aborde la clinique de ceux qui ne parlent pas encore, et c’est l’image appuyée sur la lettre qui peut apporter premièrement la possibilité de présentifier ce regard. Loin de confondre regard et vision, c’est en étant face à un invisible que l’analyste doit se laisser faire devant un visible par rapport auquel l’enfant comparaît si bien, mais qui ne manque pas d’engendrer ce qu’il y a d’invisible, comme souligne l’auteur, « le regard comme tel, cet objet insaisissable, invisible qui se déplace dans le champ du visible [75] ».

194Il n’appartient pas à l’analyste d’interpréter ce qui se passe face à la « monstration » devant ses yeux. Dans un premier temps, il laisse exhaler l’actualité du regard à partir du semblant de la vision de ce qui se montre, afin de voir ce qui a été choisi pour être montré et ce qui le regarde, sachant que ce choix n’est décidément pas sans importance, afin que, dans un second moment, ce soit possible de transcrire et de translittérer l’image en lettres qui peuvent devenir ses points de lecture sur et pour celui qui ne parle pas encore, devant sa transcription transitive.

195Tel que l’auteur le distingue bien, il y a le miroir et le tableau, les deux travaillent avec l’image – visible et invisible – si fondamentale pour cette clinique.

196L’analyste, au moment de la « monstration », est mis dans ce point hors miroir vers lequel l’agent parental se retourne, quand il le laisse attraper dans ce temps de non-parole que son bébé, qui ne parle pas, provoque. D’où les lettres qui, inscrites dans ce point hors miroir mais à l’intérieur du tableau, seront lues.

197La clinique de la psychanalyse est une seule. Cette affirmation, en plus de ne pas défaire les spécificités (étant donné que la singularité est la clinique), et même si elle est absolument vraie, ne peut pas être prise comme évidente. Dans le prochain chapitre, celui des considérations finales, notre lecture 4[76] aura pour fonction d’annoncer au lecteur l’une des principales conclusions : l’idée selon laquelle la psychanalyse pour ceux qui ne parlent pas encore, avec tous les effets de ses spécificités, ne se restreint pas à la clinique avec le bébé, et c’est plus spécifiquement la clinique du manque de la parole.

198À partir de Freud, la clinique de la psychanalyse comprend, il est bien vrai, le fait qu’il y a souffrance précisément lorsque l’on ne peut pas parler ; et même dans la clinique freudienne il se trouve déjà révélé que les moments les plus intenses de transfert et de son remaniement sont ceux où la parole manque. Si la clinique psychanalytique est une clinique du discours sans paroles, et si la spécificité de cette clinique avec ceux qui ne parlent pas encore n’est donc pas le manque de paroles, de quelle spécificité s’agit-il ? Tous les auteurs – qui travaillent ou ont travaillé avec des bébés – cités au premier chapitre – ont construit des concepts pour soutenir la spécificité d’une clinique dans laquelle le patient ne parle pas, et dont le socle sur lequel il devrait reposer, serait celui d’une modalité de traitement que l’on donne à l’image, et non celui du manque d’une parole parlée.

199Ce n’est pas le manque de la parole parlée qui définit la spécificité de cette clinique, encore moins le « développement psychique » de ses patients, mais la nécessité qu’elle présente, à travers la présence de cette rencontre de non-parole : la nécessité de « monstration ».

200C’est la clinique de ce qui est montré, parce que ce ne peut être dit [77]. Puisque cela se montre, cela se passe de cette manière parce que cela ne peut pas être dit, il faut que ce qui ne cesse de se montrer puisse avoir sa place dans les séances, dans la clinique du jour le jour.

201Si la clinique pour ceux qui ne parlent pas encore est la clinique psychanalytique elle-même, s’il existe une spécificité dans la clinique avec le bébé, ce n’est donc pas le fait qu’il ne parle pas encore, mais la manière radicale dont il le montre : à travers l’image, donnant au traitement de l’image une grande possibilité de moments de bascule dans le travail.

Notes

  • [1]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre X (1962-1963), L’angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Le Seuil, 2004, p. 49.
  • [2]
    Les trois temps (instant de voir, temps pour comprendre et moment de conclure) ont été d’abord utilisés par Lacan afin d’aborder le temps logique. Le premier montre la valeur instantanée de son évidence, c’est une hypothèse formelle qui représente une matrice encore indéterminée. Le deuxième évoque une intuition que le sujet objective, et l’évidence de ce moment suppose la durée d’un temps de médiation. Le troisième est une assertion sur soi, par où le sujet conclut le mouvement logique dans la décision d’un jugement. J. Lacan (1945), « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée, un nouveau sophisme (1945) », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1992.
  • [3]
    J. Allouch, Lettre pour lettre. Transcrire, traduire, translittérer, Toulouse, érès, 1984. La translittération est une forme de déchiffrement qui permet la lecture de l’image non pas basée sur la signification, mais par ce qui s’écrit avec les images, appuyées sur l’homophonie.
  • [4]
    J. Allouch, op. cit., p. 69.
  • [5]
    J. Allouch, op. cit.
  • [6]
    Ibid., p. 72
  • [7]
    Ibid.
  • [8]
    G. Le Gaufey, Le lasso spéculaire, une étude traversière de l’unité imaginaire, Paris, epel, 1997.
  • [9]
    G. Didi-Hubermann, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Les Éditions de Minuit, 1992.
  • [10]
    Ibid., p. 9.
  • [11]
    Personnage dans Ulysse.
  • [12]
    M. Foucault, Problematizações do sujeito : psicologia, psiquiatria e psicanálise, dans Dits et écrits, tome I : 1954-1975, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001.
  • [13]
    Ibid., p. 76.
  • [14]
    S. Freud, « Representação por símbolos nos sonhos – Alguns outros sonhos típicos » (1900), A interpretação dos sonhos, Obras completas, Rio de Janeiro, Imago, 1969, p. 375.
  • [15]
    Ibid., p. 374.
  • [16]
    Ibid., p. 76.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    S. Freud, « Considerações de representabilidade » (1900), A interpretação dos sonhos, parte II, Obras completas, Rio de Janeiro, Imago, 1969.
  • [20]
    Ibid., p. 362.
  • [21]
    Ibid.
  • [22]
    G. Le Gaufey, op. cit., p. 193.
  • [23]
    J. Lacan, Fonction et champ de la parole et du langage dans la Psychanalyse (1953), dans Écrits, op. cit., p. 243.
  • [24]
    J. Allouch, Lettre pour lettre, op. cit.
  • [25]
    É. Roudinesco, M. Plon, Dicionário de Psicanálise, Rio de Janeiro, Jorge Zahar, 1997, p. 108.
  • [26]
    Ibid., p. 37.
  • [27]
    P. Kaufmann, « Imaginaire », dans L’apport freudien : éléments pour une encyclopédie de la psychanalyse, Paris, Larousse-Bordas, 1998, p. 232.
  • [28]
    D.-R. Dufour. Lacan et le miroir sophianique de Boehme, Paris, epel, 1998.
  • [29]
    J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique » (1946), dans Écrits, op. cit., 1992, p. 181.
  • [30]
    J. Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique » (1949), dans Écrits, op. cit.
  • [31]
    « Le stade du miroir est un drame dont la poussée interne se précipite de l’insuffisance à l’anticipation – et qui pour le sujet, pris au leurre de l’identification spatiale, machine les fantasmes qui se succèdent d’une image morcelée du corps à une forme que nous appellerons orthopédique de sa totalité, – et à l’armure enfin assumée d’une identité aliénante », J. Lacan, « Le stade du miroir… », op. cit., p. 97.
  • [32]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre I (1953-1954), Les écrits techniques de Freud, Paris, Le Seuil, 1971.
  • [33]
    Ibid., p.127.
  • [34]
    « L’ordre, c’est à la fois ce qui se donne dans les choses comme leur loi intérieure » et « celle moins manifeste qui fait “tenir ensemble” (à côté et en face les uns des autres) les mots et les choses », M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 11 et p. 9 respectivement).
  • [35]
    C’est ainsi qu’un klaxon de voiture ou un aboiement d’un chien, de l’autre côté de la rue du cabinet ont la même valeur que la voix qui lui parle à l’intérieur du cabinet.
  • [36]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre I (1953-1954), Les écrits techniques de Freud, op. cit., p. 280.
  • [37]
    A. Vorcaro, Crianças na psicanálise, clínica, instituição e laço social, Rio de Janeiro, Companhia de Freud, 1999.
  • [38]
    G. Le Gaufey, op. cit.
  • [39]
    « C’est lui, ce point de regard, que l’enfant va chercher en se retournant, signant par là le fait que cette image spéculaire, il peut la considérer comme sienne, et jubiler de cette découverte – au prix d’énucléer cette image d’un regard qu’il lui faut chercher ailleurs, hors miroir. Ce furtif et discret mouvement de la tête viendrait ainsi dans le droit fil de la nature même de toute image, révélant la nécessité de déposer hors d’elle le un infractionnable qui lui assure sa consistance », ibid., p. 239.
  • [40]
    Ibid.
  • [41]
    J. Lacan, Le Séminaire, Livre X (1962-1963), L’angoisse, op. cit.
  • [42]
    C. Soler, Déclinaisons de l’angoisse, Collège clinique de Paris, 2000/2001, cours édités, diffusion Francis Ancibure, p. 19.
  • [43]
    A. Vorcaro, A criança e a clínica psicanalítica, Rio de Janeiro, Companhia de Freud, 1998.
  • [44]
    S. Freud, Cinco lições de psicanálise (1910), Quarta lição, Obras completas, Rio de Janeiro, Imago, 1969, p. 39.
  • [45]
    C. M. Fernandes, A criança em cena : o infantile e a perversão, São Paulo, Casa do Psicólogo, 2007.
  • [46]
    B. Golse, L’être bébé, Paris, Puf, 2006.
  • [47]
    D. Stern, Le moment présent en psychothérapie. Un monde dans un grain de sable, Paris, Odile Jacob, 2003.
  • [48]
    B. Golse, op. cit.
  • [49]
    M. Foucault, « Introduction » à L. Binswanger, Le rêve et l’existence, Paris, Desclée de Brouwer, 1954.
  • [50]
    Bernard Golse propose une autre lecture très intéressante sur les disputes provoquées par le travail avec le bébé parmi les professionnels. Il pense qu’il s’agit de la capacité du bébé d’activer la plus haute sensibilité chez un professionnel qui est déjà décidément fragile, qui doit être fragile pour réussir à arriver jusqu’au bébé (Sobre a psicoterapia pais-bébé : narratividade filiation et transcription, Coleção Primeira Infância, São Paulo, Casa do Psicólogo, 2000).
  • [51]
    Il ne s’agit pas de mépriser l’importance de la pratique de soutien des parents, mais de souligner son excès.
  • [52]
    Une référence aux recherches sur les compétences et le rôle actif extrêmement précoce des bébés dans ses relations.
  • [53]
    J. L. Borges, « Le jardin aux sentiers qui bifurquent », dans Fictions. Paris, Gallimard, 1951.
  • [54]
    A. Souza, De um corpo ao outro, Trabalho apresentado na XV Jornada do Espaço Moebius, nov. 2005, p. 8.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    J. Allouch, Lettre pour lettre, op. cit.
  • [57]
    Ibid., p. 20.
  • [58]
    L’assonance est une sorte de figure d’élocution par consonance qui se définit par la « même terminaison ou la même chute de différents membres d’une phrase ou d’une période. […] la rime est essentielle à notre versification » (P. Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977, p. 350). Elle conduit le son, la rime à la fin de la phrase ou de ses parties. L’homophonie, répétition du même phonème, se fait à chaque mot isolé et peut arriver aussi, comme dans les rêves, entre l’image et la lettre.
  • [59]
    De toute façon, l’image muette est intrinsèquement liée à l’objet voix.
  • [60]
    R. Lethier, conferências em São Paulo, http ://www.projetotecer.org.br, Acesso em junho de 2009.
  • [61]
    J. Lacan, « Le temps logique… », op. cit.
  • [62]
    Celle qui devient aveugle.
    « Elle était assise comme les autres pour le thé.
    Il m’apparut d’abord qu’elle tenait sa tasse
    un peu différemment des autres.
    Puis elle sourit. Cela fit presque mal.
    Lorsqu’enfin on se leva et bavardant
    on traversait des chambres nombreuses
    lentement au hasard (on parlait et riait),
    tout à coup je la vis. Elle suivait les autres,
    timide, comme quelqu’un qui dans un instant
    devra chanter devant un vaste public ;
    sur ses yeux clairs qui se réjouissaient
    la lumière se posait du dehors comme sur un étang.
    Elle suivait doucement, il lui fallait longtemps,
    comme si quelque chose devait être encore surmonté ;
    et pourtant, au bout d’un moment c’était comme
    si elle n’allait plus marcher mais voler. »
    R. M. Rilke, Nouveaux poèmes suivi de Requiem, Paris, Le Seuil, 1972.
  • [63]
    A. Vorcaro, A clínica da psicanálise com crianças, op. cit.
  • [64]
    J. Lacan, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud » (1957), dans Écrits, op. cit., 1992, p. 511.
  • [65]
    A. C. B. M. Masagão, A impressão da marca e a rasura do traço na escrita das margens, tese defendida no Instituto de Psicologia da Universidade de São Paulo usp, São Paulo, 2007.
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    H. Yankelevich, Do pai à letra, Rio de Janeiro, Companhia de Freud, 2004, p. 261.
  • [68]
    J. Ritvo, « O conceito de letra na obra de Lacan », A prática da letra, Escola letra freudiana, Ano XVII, n° 26, Rio de Janeiro, Publicação Escola Letra Freudiana, 2000.
  • [69]
    J. F. Brauer, Ensaios sobre os distírbios graves da infância, São Paulo, Casa do Psicólogo, 2003.
  • [70]
    Ibid., p. 92.
  • [71]
    J. Lacan, « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.
  • [72]
    E. Porge, « Le transfert à la cantonade », Littoral,L’enfant et le psychanalyste, no 18, 1986.
  • [73]
    E. Porge, « L’analyste dans l’histoire et dans la structure du sujet comme Vélazquez dans Les ménines », Littoral, Clinique du psychanalyste, no 26, 1988.
  • [74]
    Ibid., p. 6.
  • [75]
    Ibid., p. 13.
  • [76]
    Il s’agit, bien sûr, d’une référence au livre de C. Mascarenhas-Fernandes (ndt).
  • [77]
    R. Lethier, Seminários brasileiros Roland Lethier. Org. Jussara Falek Brauer, http ://www.projetotecer.org.br, Acesso em junho de 2009.
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