Couverture de CAPRE1_014

Article de revue

Accueil d’un enfant de 3 ans et demi souffrant de troubles autistiques

Témoignage de l’équipe pluridisciplinaire d’une crèche de la région parisienne

Pages 243 à 252

Notes

  • [1]
    Pour des raisons de secret professionnel dû à la famille, cette équipe a souhaité garder l’anonymat. Tous les noms et les lieux ont donc été modifiés. Ce texte a été écrit conjointement avec l’équipe (éducatrice de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, cap petite enfance, psychomotricienne et psychologue) qui a accueilli cet enfant, dans le but de soutenir et favoriser la réflexion quant à l’accueil de ces enfants en structure collective dite ordinaire.
English version

L’arrivée de O.

1 O. est un petit garçon de 3 ans et demi quand il arrive à la crèche à la rentrée de septembre.

2 Il est assez grand pour son âge, le teint pâle, les cheveux bouclés, c’est un bel enfant à l’air doux.

3 O. ne parle pas, et à la maison, la famille parle l’anglais (les parents sont d’origine étrangère).

4 L’année précédente, il a fréquenté quatre demi-­journées par semaine la halte-garderie mitoyenne de la crèche. Selon l’équipe qui l’a accueilli, tout s’était très bien passé, sans aucune difficulté.

5 Les parents de O. souhaitaient que leur enfant aille à la crèche pour qu’il puisse être socialisé et apprendre le français. Ils aimeraient qu’il puisse aller à l’école l’année suivante. Ils nous présentent ce projet comme étant un « challenge », ils sont très déterminés et prennent la vie de leur fils à bras le corps.

6 L’équipe est très touchée par ces parents, tous les professionnels s’identifient à eux, et sont très admiratifs de leur volonté et de leur courage. Tous ont envie d’aider O. à s’intégrer en milieu ordinaire, convaincus que c’est une grande chance pour lui.

Le parcours de O. avant son arrivée à la crèche

7 C’est donc quasiment à plein-temps, dans la section des grands, que O. vient à la crèche.

8 Ses troubles autistiques ayant été confirmés l’année précédente, ses parents ont choisi pour lui la thérapie aba. Ses séances avaient lieu chaque jour à son domicile (en fin de journée de 15 à 18h).

9 O. n’avait aucun suivi dans un service public de soins, selon le choix des parents, et le dossier mdph n’avait pas encore été fait.

10 Les troubles de leur enfant, repérés par la maman très tôt, n’auraient pas été reconnus par le pédopsychiatre, psychanalyste, consulté en libéral à leur initiative, lors de la première année. Ils resteront très marqués par cette rencontre, et cela déterminera leur choix futur de ne pas avoir affaire avec le service public de soins car réputé, selon eux, comme étant en France, trop marqué par la psychanalyse.

11 Ils jugeront que l’approche psychanalytique est complètement inadaptée pour le traitement des troubles autistiques, et ils consulteront alors, via la communauté anglophone parisienne, une spécialiste aba.

Le début de l’accueil

12 Ce n’est qu’au fur et à mesure de l’accueil de O. que l’équipe a commencé à être confrontée à de très nombreuses difficultés tout au long de la journée.

13 Il était difficile pour O. d’être en jeux libres par exemple, car il s’enfermait dans des stéréotypies (ensemble de gestes répétitifs, rythmés, sans but apparent) mais qui n’avaient pas, d’après l’expérience des professionnels, le caractère compulsif et involontaire des tics. Il alignait inlassablement, par exemple, des voitures dans un même endroit, il jetait des petits cailloux dans la cour, il jetait les doudous contenus dans les poches à doudous des autres enfants, il vidait les étagères pour se recroqueviller dedans…

14 Pour O., rester à table était très difficile : il était nécessaire que sa référente soit toujours à ses côtés pour l’accompagner.

15 O. avait également besoin d’un accompagnement spécifique à l’endormissement : une professionnelle devait le contenir de ses bras pour qu’il puisse se laisser aller en toute sécurité dans le sommeil.

16 Malgré cet effort d’ajustement très fin de la part de toute l’équipe aux besoins spécifiques de O., l’équipe était de plus en plus en proie aux doutes :

17 Devait-on modifier le projet pédagogique de ce groupe d’enfants car il se révélait ne pas être adapté pour O. ?

18 Et si oui, que lui proposer ?

19 Peut-on donner les mêmes réponses à O. qu’aux autres enfants ?

20 Est-ce que ces réponses différentes ne vont pas troubler les autres enfants ?

21 Est-ce que cela ne va pas produire le chaos dans l’esprit des enfants, et donc dans le groupe ?

22 Comment réagir ? Est-il possible au vu du nombre des professionnelles de donner tant d’attention à un enfant, et n’est-ce pas injuste pour les autres ?

23 En quelle langue fallait-il s’adresser à cet enfant ?

24 Toute l’équipe se sentait « perdue », « désorientée », et a demandé de l’aide.

25 Le service petite enfance de la ville a invité madame G. Crespin (psychologue, psychanalyste, présidente de préaut) à venir rencontrer les équipes de crèche de la ville lors d’une conférence pour donner des informations sur les troubles autistiques et leur accueil en milieu tout-venant.

26 Lors de son intervention auprès de notre équipe, elle nous a confirmé que les enfants ayant des troubles autistiques ont besoin d’être stimulés, « il faut aller les chercher », disait-elle, et donc on ne peut pas les laisser à des jeux libres comme les autres enfants, car cela relance leurs défenses autistiques. Il est donc nécessaire d’avoir un accompagnement très individualisé pour ces enfants.

La relation avec les parents

27 Deux mois environ après l’arrivée de O. dans le groupe, l’équipe était en grande difficulté avec les consignes que donnait le père pour l’accueil de O. dans la journée.

28 En effet, à la maison, les parents appliquaient la méthode aba, et le père transmettait à l’équipe une manière de faire avec son fils qui bousculait profondément les professionnelles de la crèche.

29 Par exemple : quand O. se levait de table, il fallait lui appuyer sur l’épaule pour qu’il se rassoit, et cela sans lui parler, ni le regarder. Ou quand il était dans la cour, refaisant le même geste à l’infini, il fallait le prendre, le mettre sur un tricycle par exemple, et le pousser, sans lui expliquer ni le regarder.

30 Ces instructions sur la manière d’être avec l’enfant étaient extrêmement troublantes pour les professionnelles, car elles ont été formées à une tout autre manière d’être en relation avec l’enfant : elles se mettent à leur hauteur, leurs parlent en les regardant, tiennent compte de leurs ressentis qu’elles respectent… C’est devenu leur « langage professionnel » avec tous les enfants.

Le « conflit » des cultures

31 Les professionnelles du service petite enfance ont pu bénéficier il y a quelques années des formations assurées par l’association Pickler-Lóczy, et leur travail au quotidien auprès des tout-petits en est profondément imprégné.

32 Pour appliquer les consignes du père avec O., il fallait qu’elles inventent un autre langage, à chaque instant, tout en ayant tous les autres enfants dont il fallait s’occuper et avec qui elles devaient continuer à utiliser leur langage professionnel habituel…

33 Cela a été un jonglage parfois étourdissant, confusionnant… entraînant de la fatigue sur le plan psychologique, mais aussi de l’anxiété et même de la culpabilité.

34 En effet, elles avaient le sentiment de devoir répondre dans l’urgence au comportement de O., souffrant de ne pas le comprendre, n’ayant pas d’informations suffisantes, et n’ayant pas suffisamment de temps pour réfléchir à leurs pratiques professionnelles ni pour parler des émotions ressenties, du sentiment d’impuissance, d’incompréhension dans lequel elles ont été souvent plongées.

35 Se sentir dans la confusion : accepter que O. pousse violemment l’adulte par exemple, mais l’interdire aux autres, accepter qu’il monte sur les meubles, tout en l’interdisant aux autres, ne pas dire « non » à O. puisque le père avait dit que cela ne servait à rien, qu’il ne le comprenait pas…

À la recherche de solutions …

36 Cette incohérence ressentie avec force nous a contraints à chercher du sens. Nous avons donc demandé aux parents s’il était possible que la thérapeute aba qui supervisait le travail à domicile des deux thérapeutes de O. puisse venir à la crèche nous parler du travail que O. faisait en thérapie, attendant des clés de compréhension, des outils pour mieux nous occuper de O. dans le quotidien.

37 Madame I. est donc venue à la crèche. Ce sont les parents qui ont financé l’intervention de cette spécialiste.

38 Elle a découvert ce jour-là ce qu’était un lieu d’accueil pour jeunes enfants, et nous avons pu lui expliquer quel en était le fonctionnement.

39 Elle a confirmé les consignes que le père donnait à l’équipe régulièrement, sans fournir d’explications en plus.

40 Cette intervention n’a pas aidé l’équipe, et a même augmenté la confusion et le sentiment d’incompétence que l’équipe éprouvait à s’occuper de O.

L’apprentissage de la propreté

41 Puis O. a suivi un « programme propreté » pendant deux semaines. Le père a pris quelques jours de congé pour appliquer ce programme auprès de son fils. Une des thérapeutes aba était à domicile 24 h sur 24 pendant deux jours pour les guider.

42 Ce « programme propreté » consiste à donner à boire à l’enfant une très grande quantité d’eau, à le mettre nu, à s’asseoir près de lui aux toilettes, à le mettre sur le pot, et quand il urine, à le gratifier d’une récompense, en l’occurrence ici, d’un chocolat.

43 O. est venu avec son père à la crèche après une semaine de ce programme à la maison, pour apprendre à son enfant où se trouvaient les toilettes, ainsi que pour expliquer aux professionnelles la marche à suivre par rapport à la récompense.

44 O. a donc été propre rapidement, de manière très efficace !

45 À la crèche, nous avons appliqué notre pédagogie dans le respect de l’enfant quant à l’acquisition de la propreté, hormis le fait de donner à O. la récompense chaque fois qu’il allait aux toilettes.

46 O. a eu des gestes violents envers les adultes et les enfants, de plus en plus fréquemment, l’équipe s’interrogeant sur des liens possibles entre la violence du programme propreté pratiqué à la maison et l’augmentation de sa violence physique…

47 Puis, les vacances de Noël sont arrivées et O. est parti en voyage avec ses parents dans un pays lointain.

48 Après trois semaines d’absence, O. est revenu, et ses gestes violents ont encore augmenté.

49 Comment comprendre cette violence, comment la contenir ? L’équipe a été à nouveau très en difficulté. Puis, une nouvelle habitude a surgi, il urinait sur les genoux des professionnelles, cela avec beaucoup de malice, augmentant le désarroi des professionnelles et de ses parents…

Une nouvelle demande d’aide

50 Face aux difficultés rencontrées, nous avons pu bénéficier d’une séance de travail avec madame Crespin.

51 Grâce à ce travail, nous avons compris qu’accueillir un enfant souffrant de ces troubles est un accueil qui nécessite un ajustement bien spécifique à ses besoins, et que, pour ce faire, il est primordial :

52 – que l’équipe et la personne référente de l’enfant soient d’accord et se sentent aptes pour s’occuper d’un enfant souffrant de troubles autistiques ;

53 – avant que l’enfant n’arrive à la crèche, rencontrer l’équipe qui a accueilli cet enfant, afin d’échanger avec ces professionnels pour mieux connaître l’enfant, et pour prendre connaissance de ce qui a été mis en place pour l’accueil de cet enfant ;

54 – de rencontrer les parents pour réfléchir avec eux au cadre de l’accueil de leur enfant ;

55 – de se documenter : qu’est-ce que l’autisme ? Réfléchir à mettre en place des stimulations sur le plan sensori-moteur ;

56 – de penser l’accueil de cet enfant dans la section : un aménagement de l’espace est-il nécessaire, de la temporalité, par exemple ? Est-ce que le projet pédagogique de la section est adapté pour accueillir cet enfant souffrant de troubles autistiques ? Et comment l’adopter ?

57 – de réfléchir en équipe aux interrogations et aux inquiétudes de chacun ;

58 – de réfléchir au sens de ce que peut apporter l’inclusion en milieu ordinaire à un enfant souffrant de troubles autistiques ;

59 – de la possibilité qu’une personne supplémentaire intègre l’équipe qui accueille cet enfant qui a des besoins spécifiques ;

60 – et la nécessité de parler avec le groupe d’enfants et leurs parents de la différence des êtres, et du respect à y porter.

61 O. a quitté la crèche quelques semaines après que l’équipe a pu bénéficier du travail avec madame Crespin.

62 Nous avons été très surprises par la soudaineté de son départ, mais les parents ont finalement opté pour que leur enfant intègre un institut spécialisé pour enfants avec autisme.

63 O. avait été très investi par l’équipe, mais aussi par les autres enfants : « On a porté O., mais les autres enfants l’ont porté aussi ! », comme disait l’éducatrice de jeunes enfants.

64 C’est un peu désorientées face à la soudaineté du départ de O., un peu déçues aussi peut-être, avec quelques regrets sans doute, que les professionnelles ont continué à accompagner les enfants accueillis dans cette crèche.


Date de mise en ligne : 03/01/2018.

https://doi.org/10.3917/capre1.014.0243

Notes

  • [1]
    Pour des raisons de secret professionnel dû à la famille, cette équipe a souhaité garder l’anonymat. Tous les noms et les lieux ont donc été modifiés. Ce texte a été écrit conjointement avec l’équipe (éducatrice de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, cap petite enfance, psychomotricienne et psychologue) qui a accueilli cet enfant, dans le but de soutenir et favoriser la réflexion quant à l’accueil de ces enfants en structure collective dite ordinaire.
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