Notes
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[1]
« La plupart de ceux qui exercent les arts mécaniques, ne les ont embrassés que par nécessité, et n’opèrent que par instinct. À peine entre mille en trouve-t-on une douzaine en état de s’exprimer avec quelque clarté sur les instruments qu’ils emploient et sur les ouvrages qu’ils fabriquent. Nous avons vu des ouvriers qui travaillent depuis quarante années, sans rien connaître à leurs machines. Il a fallu exercer avec eux la fonction dont se glorifiait Socrate, la fonction pénible et délicate de faire accoucher les esprits, obstetrix animorum » (Diderot, « Prospectus » de l’Encyclopédie, 1751, Œuvres complètes, éd. Roger Lewinter, Paris, Le Club français du livre, 1969-1973, t. II, p. 294).
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[2]
Mémoires sur différents sujets de mathématiques [Paris, Durand, 1748], « À Madame de P*** », Œuvres complètes, ibid., t. II, p. 9.
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[3]
Commencée le « 1er janvier 1748 », la fiche (NAF 10781) de police énumère en paragraphes successifs les différents écrits de l’auteur Diderot ; l’approximation de la désignation générique participe de l’accroissement de la faute : « Il a fait les Pensées philosophiques, Les Bijoux et d’autres livres de ce genre./Il a fait aussi l’Allée des idées, qu’il a chez lui en manuscrit, et qu’il a promis de ne point faire imprimer./Il travaille à un Dictionnaire encyclopédique avec Toussaint et Eidous./Le 9 juin 1749 il a donné un livre intitulé : Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient./Le 24 juillet il a été arrêté et conduit à Vincennes à ce sujet » (reproduit in Franco Venturi, Jeunesse de Diderot (de 1713 à 1753) [Giovinezza di Diderot], trad. Juliette Bertrand [1939], Genève, Slatkine reprints, 1967, p. 379). Quand il complète la fiche une fois Diderot libéré, Berryer rassemble l’ensemble des pièces délictueuses en un seul « ouvrage » proprement polygraphique : « Entré au donjon de Vincennes le 24 juillet 1749, mis en liberté du donjon et a eu le château pour prison par ordre du 21 août suivant./Sorti le 3 novembre, même année. Pour avoir composé un ouvrage intitulé : 1° Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient clair ; Les Bijoux indiscrets ; Pensées philosophiques ; Les Mœurs ; Le Sceptique ou l’Allée des idées ; L’Oiseau bleu, Conte bleu, etc. » (reproduit in François Moureau, Le Roman vrai de l’Encyclopédie, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard Littératures », 1990, rééd. 2001, p. 158).
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[4]
Appliquée par analogie à l’analyse littéraire, la polyphonie désigne la « Qualité de moyens d’expression propres à produire des formes et genres littéraires variés » (Trésor de la langue française).
-
[5]
Édition de référence : La Religieuse, éd. Michel Delon, dans Contes et romans, dir. Michel Delon, Paris, Éditions Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2004.
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[6]
« Note sur le texte », ibid., p. 990.
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[7]
« La répétition de la date de 1760 sur les différents manuscrits est pourtant troublante. Elle désignerait alors, non la diffusion dans la Correspondance littéraire, mais la correspondance originale entre les protagonistes du drame » (Michel Delon, ibid., p. 1031).
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[8]
Michel Delon, ibid., p. 991. Voir aussi la synthèse éclairante de Christophe Martin (« Né d’un échange épistolaire fondé sur une mystification, le roman se développe sous la forme d’un récit-mémoires auquel Diderot adjoint finalement une préface-postface qui démystifie l’origine du texte et exploite le double registre du pathétique et de l’ironie, de l’enthousiasme ému et de la distance réflexive », La Religieuse de Diderot, Paris, Gallimard, coll. « Foliothèque », 2010, p. 22) et l’article de Vittorio Frigerio, « Nécessité romanesque et démantèlement de l’illusion dans la “Préface-Annexe” à La Religieuse de Diderot », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 16, avril 1994, p. 45-59.
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[9]
D’après Christophe Martin, La Religieuse de Diderot, op. cit., p. 160, Michel Delon indiquant que « Diderot a repris le dossier dont il tire une préface pour son roman » (p. 1036). Les vérifications sont, il est vrai peu aisées, le dossier (1770) de La Religieuse étant absent des rééditions imprimées de la Correspondance littéraire (éd. Buisson, 1812, t. II ; éd. Tourneux, 1879, t. IX).
-
[10]
Pour un résumé clair du degré de complexité du dossier : « La composition de La Religieuse s’est donc étalée sur plus de vingt ans et elle a intégré des fragments de lettres de Croismare et des commentaires de Grimm, sans qu’on puisse ni dresser une chronologie précise de la rédaction, ni mesurer la part des éléments allogènes intégrés dans le roman, ni même décider le titre et la place à donner à cette préface diffusée comme postface » (Michel Delon, p. 975).
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[11]
L’allusion renvoie aux fausses protestations d’amitié qui sont signifiées à Suzanne tout au long de son périple, pour mieux la faire renoncer à ses démarches : lors de sa première prise d’habit (« Elle joignit à ces propos insidieux tant de caresses, tant de protestations d’amitié, tant de faussetés douces ; je savais où j’étais, je ne savais pas où l’on me mènerait, et je me laissai persuader », p. 244) ; à Longchamp, au moment où l’héroïne se décide à entamer une procédure pour « résilier ses vœux » (« On m’interrogeait, on affectait de la commisération et de l’amitié », p. 275). Il est donc suggéré que les importuns dérangeaient Diderot en arborant le masque de l’ami...
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[12]
« L’idée de Mme Madin de se faire adresser à un des amis du généreux protecteur, était une suggestion de Satan au moyen de laquelle ses suppôts espéraient inspirer adroitement à leur ami de Normandie de s’adresser à moi et à me mettre dans la confidence de toute cette affaire ; ce qui réussit parfaitement, comme vous verrez par la suite de cette correspondance » (p. 396-397). Plus loin en effet, est reproduite une lettre de Croismare à Mme Madin dans laquelle il lui promet d’écrire à « M. G*** secrétaire des commandements de M. le duc d’Orléans » (p. 404).
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[13]
Sur l’un des deux manuscrits conservés de La Religieuse, le dossier de Grimm repris douze ans plus tard par Diderot porte comme titre « Préface de la Religieuse. Tirée de la correspondance littéraire de M. Grimm, année 1760, avec quelques notes nouvelles de M. Diderot » (p. 974-975). Autre « note nouvelle » après la première et la plus longue des lettres de Suzanne au marquis : « Cette lettre se trouve plus étendue à la fin du roman où M. Diderot l’inséra, lorsque après un oubli de vingt et un ans, cette ébauche informe lui étant tombée entre les mains, il se détermina à la retoucher » (p. 388).
-
[14]
C’est dans ce sens que Naigeon utilise le mot « roman » dans sa note à l’édition de 1798 de La Religieuse : « Mais l’intérêt qu’ils lui inspirèrent pour la jeune religieuse devenant très vif, ils furent obligés de la faire mourir et de terminer ainsi un roman qui n’avait pour but que de le ramener au milieu d’eux » (p. 410-411).
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[15]
« Vous brûlerez cet écrit, et je vous promets de brûler vos réponses » (p. 242).
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[16]
« Cette digne religieuse sentit de loin son heure approcher ; elle se condamna au silence ; elle fit porter sa bière dans sa chambre. Elle avait perdu le sommeil, et elle passait les jours et les nuits à méditer et à écrire : elle a laissé quinze Méditations qui me semblent à moi de la plus grande beauté. J’en ai une copie ; si quelque jour vous étiez curieux de voir les idées que cet instant suggère, je vous les communiquerais ; elles sont intitulées Les Derniers Instants de la sœur de Moni » (p. 268).
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[17]
Derniers mots de l’introduction du dossier, évoquant les lettres « écrites de bonne foi » par Croismare, « ce qu’on eut toutes les peines du monde à persuader à M. Diderot qui se croyait persiflé par le marquis et par ses amis » (p. 385). Ils font écho à l’une des rares lettres authentiques évoquant la mystification : « Le marquis a répondu ! Et cela est bien vrai ? Son cœur est-il bien fou ? Sa tête est-elle bien en l’air ? N’y a-t-il point là-dedans quelque friponnerie ? Car je me méfie un peu de vous tous » (à Mme d’Épinay, vers le 10 février 1760, Œuvres complètes, éd. Roger Lewinter, Paris, Le Club français du livre, 1969-1973, t. IV, p. 797).
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[18]
Ibid., t. IV, p. 814.
1 Après une définition assez neutre du mot polygraphe (« Auteur qui écrit sur des matières variées »), Le Petit Robert (éd. 1990), propose comme exemple la phrase : « Diderot se fit polygraphe pour rédiger son Encyclopédie. » Loin d’être critique à l’égard de l’écrivain, l’affirmation rappelle allusivement la genèse du Dictionnaire raisonné des arts et des sciences : la locution verbale qui fait du substantif « polygraphe » un attribut suggère que c’est par nécessité, pour respecter le plan d’édition, parce qu’il ne trouva pas d’ouvrier à même de décrire ce qu’ils « opér[aient] par instinct [1] », que certains de ses auteurs lui firent défaut ou bâclèrent le travail, par nécessité donc que Diderot se fit simultanément grammairien, juriste, artisan, etc.
2 Si l’écrivain pratiqua (presque) tous les genres, joua de tous les tons, il convient de préciser que « sa » polygraphie n’a que peu à voir avec celle d’un Voltaire, champion de la démultiplication des écrits, du nombre de notices dans le Catalogue de la Bibliothèque nationale de France (près de six mille), du nombre de noms d’emprunt (plus de 175) : forme de polygraphie ouverte, satirique et publique à laquelle Diderot choisit très tôt de renoncer : « Je veux que le scandale cesse, et sans perdre le temps en apologie, j’abandonne la marotte et les grelots, pour ne les reprendre jamais, et je reviens à Socrate [2]. » Sages résolutions de 1748, reniement rhétorique des impertinents Bijoux indiscrets, qui n’empêchèrent pas Diderot d’être incarcéré au donjon de Vincennes quelques mois plus tard où, goûteux paradoxe, il eut tout le temps d’en revenir à Socrate en traduisant son… Apologie. À lire la fiche que le lieutenant de police Berryer rédigea à l’époque sur Diderot, il semble bien que la grande diversité des écrits qu’il avait « fait[s] » avait nourri la méfiance des autorités et peut-être décidé de son arrestation [3]. Quoi qu’il en soit, après Vincennes, Diderot ne reprit ses marottes que semi-clandestinement (pour le lectorat d’élite de la Correspondance littéraire) ou dans le complet secret de son cabinet, pour les textes qui, comme Le Neveu de Rameau, ne furent révélés que longtemps après sa mort.
3 On dit souvent des textes de Voltaire qu’ils se reconnaissent à leur style, à cette fameuse « ironie voltairienne » qui lui permet simultanément d’avancer masqué tout en s’adressant, plus ou moins discrètement, aux « frères », aux initiés, ou plus simplement aux bons lecteurs. La marque du style de Diderot se situe davantage du côté de la variation, de la surprise, du brouillage des identités. Parce qu’un grand nombre de ses textes d’idées ou de fiction sont constitués de dialogues, on parle volontiers à son propos de polyphonie, où il est remarquable que le préfixe poly- n’a ni le même sens ni les mêmes valeurs que dans le mot polygraphe. Dans ce dernier, il exprime, on l’a vu, l’idée d’un nombre excessif (d’où la connotation latente de manque d’originalité) ; dans « polyphonie », terme à l’origine d’analyse musicale, l’idée de nombre se joint à celles de combinaison, de mélange, de superposition, bref d’une variation qui n’est plus déperdition, mais enrichissement, virtuosité [4]. Ne peut-on pas dire de Diderot qu’il est polygraphe à la manière d’un polyphoniste, qu’en d’autres termes il mêle autant dans ses œuvres les voix que les graphes, les strates d’écriture, effaçant sciemment les traces de son trait de plume ?
Un roman polyphonique
4 La Religieuse est sans doute le texte de Diderot où cette polyphonie écrite, cet entremêlement des graphes et des voix sont les plus évidents, même si ce n’est pas l’aspect du roman qui, à notre connaissance, a été le plus commenté. On sait qu’il est né d’un jeu d’écriture, d’une mystification jouée au marquis de Croismare, dans l’espoir de le faire revenir à Paris porter secours à une religieuse imaginaire. Le roman est dans cette perspective une pièce à conviction qui, à défaut d’avoir convaincu le marquis, prouverait la friponnerie de ses amis réunis autour de Mme d’Épinay et de Grimm. Le corps du délit est le texte même, la seule trace de l’existence fictive de Suzanne Simonin (« Cette correspondance et notre repentir sont donc tout ce qui nous reste de notre pauvre religieuse », p. 385 [5]) comme d’ailleurs des pièces authentiques de la mystification, dont aucune n’a été retrouvée [6].
5 On sait aussi que, comme d’autres grands textes de Diderot – Le Fils naturel, pièce de théâtre précédée d’un préambule auto-fictionnel et prolongée par le dialogue théorique Dorval et moi ; les trois dialogues formant Le Rêve de d’Alembert –, La Religieuse se compose de plusieurs pièces curieusement agencées : le roman lui-même – dont maints commentateurs ont souligné la nature incertaine, entre lettre, journal et mémoire rétrospectif – puis une « préface du précédent ouvrage, tirée de la Correspondance littéraire de M. Grimm, année 1760 [7] », quand le roman ne fut diffusé en plusieurs livraisons dans le périodique manuscrit que vingt ans plus tard (1780-1782), mais sans la « préface postposée » que Diderot ajoute sur ses manuscrits. Au-delà de la « situation paradoxale [8] » de cette dernière, il convient de la regarder de près, et de rappeler pour commencer qu’elle avait paru une première fois dans la Correspondance littéraire du 15 mars 1770, en complément du compte rendu de la représentation de « La Religieuse de La Harpe » (de son vrai titre, Mélanie ou la Religieuse forcée). Dix ans plus tard, Diderot se serait contenté dans ses manuscrits de supprimer les deux premiers paragraphes du dossier [9], où Grimm brossait le climat idéologiquement tendu de l’année 1760. Mais ce faisant, Diderot brouilla surtout les cartes, mélangea les plumes [10].
La voix de Grimm
6 Qui donc écrit le dossier, future Préface-Annexe d’un roman alors avorté ? La phrase d’introduction de 1770 ne semble pas laisser de doute : « La Religieuse de M. de La Harpe a réveillé ma conscience endormie depuis dix ans, en me rappelant un horrible complot dont j’ai été l’âme, de concert avec M. Diderot, et deux ou trois autres bandits de cette trempe de nos amis intimes » (p. 409). Tout invite à reconnaître sous ce je Grimm, maître d’œuvre de la Correspondance littéraire, qui toutefois reste anonyme tout en s’attribuant la paternité de la mystification. Lestée de ces deux premiers paragraphes, l’ouverture de la « préface du précédent ouvrage » de 1782 (p. 383-385) créerait un fort effet d’in medias res si elle ne suivait directement le roman : « Ce charmant marquis nous avait quittés au commencement de l’année 1759 pour aller dans ses terres en Normandie, près de Caen. »
7 La suite du texte remet en scène le Nous du complot, le je de l’éditeur (« je ne sais quel malheur », « la correspondance que je vais mettre sous vos yeux ») et « M. Diderot », présenté cette fois comme l’instigateur du complot (« M. Diderot résolut de faire revivre cette aventure à notre profit ») et l’auteur des lettres de « la prétendue religieuse » au « loyal et charmant marquis de Croismare ».
8 L’identification de Diderot à « l’auteur des mémoires qui précèdent » (deuxième paragraphe) est de l’ordre de la supputation, avant que le roman ne soit évoqué, d’abord comme une simple « circonstance [...] singulière » – « échauff[é] » par l’affaire, Diderot « se mit à écrire en détail l’histoire de notre religieuse », affirmation aussitôt étayée par l’anecdote bien connue de la visite d’Alainville qui aurait trouvé l’écrivain « le visage inondé de larmes » – puis soudainement et de manière surprenante enterré : « Il est certain que s’il eût achevé cette histoire, elle serait devenue un des romans les plus vrais, les plus intéressants et les plus pathétiques que nous ayons. [...] Mais ce roman n’a jamais existé que par lambeaux et en est resté là. » L’enterrement est même double puisque du roman avorté, on passe à une forme d’éloge posthume d’un écrivain, dont l’ami Grimm moque gentiment l’altruisme chronophage : « il est perdu ainsi qu’une infinité d’autres productions d’un homme rare qui se serait immortalisé par vingt chefs-d’œuvre, si meilleur économe de son temps, il ne l’eût pas abandonné à mille indiscrets que je cite tous au Jugement dernier, où ils répondront devant Dieu et devant les hommes, du délit dont ils sont coupables. »
9 Sans qu’aucun effort soit fait pour atténuer l’impression d’incohérence, suit alors un paragraphe entre parenthèses, d’évidence ajouté ultérieurement, qui ressuscite le roman et son auteur : « (Et j’ajouterai, moi qui connais un peu M. Diderot, que ce roman, il l’a achevé, et que ce sont les mémoires mêmes qu’on vient de lire, où l’on a dû remarquer combien il importait de se méfier des éloges de l’amitié [11].) » Enfin, avant que ne débute la correspondance, le scripteur premier reprend la parole pour rappeler une nouvelle fois que les lettres qui suivent font dialoguer le faux et le vrai, Diderot et Croismare, en une étrange formulation humoristique assimilant le premier au diable : « Vous voudrez bien vous souvenir que les lettres signées Madin, ou Suzanne Simonin ont été fabriquées par cet enfant de Bélial, et que les lettres du généreux protecteur de la recluse sont véritables et ont été écrites de bonne foi. »
10 De même que le roman de La Religieuse joue des tensions entre écriture diariste et rétrospective, l’introduction de cette Préface a donc de quoi dérouter. Grimm y présentait en 1770 les « lambeaux » d’un chef-d’œuvre inconnu ; Diderot y intervient très parcimonieusement douze ans plus tard pour dire le contraire mais sans prendre la plume en son nom : si la formule « l’auteur des mémoires qui précèdent » peut être de modestie, l’ajout de celui qui dit « conna[ître] un peu M. Diderot » dédouble la voix de Grimm, brouillant un peu plus l’écheveau.
11 On retrouve, dans la suite du dossier-Préface, ces mêmes effets de polygraphie. Au travers de ses présentations et commentaires des lettres de Suzanne, Mme Madin et Croismare, Grimm poursuit le récit de la mystification, en suggérant qu’il tira peut-être davantage les ficelles qu’un Diderot dévoré d’inquiétudes, qui reprocha ainsi à ses complices d’avoir envoyé le billet où Suzanne commente avec un peu trop d’esprit le sceau du marquis : « M. Diderot n’ayant pu se rendre à l’assemblée des bandits, cette réponse fut envoyée sans son attache. Il ne la trouva pas à son gré, il prétendit qu’elle découvrirait notre trahison ; il se trompa, et il eut tort, je crois, de ne pas trouver cette réponse bonne. Cependant pour le satisfaire, on coucha sur les registres du commun conseil de fourberie la réponse qui suit et qui ne fut point envoyée [...] » (p. 390). En présentant plus loin l’idée de pousser Croismare à lui écrire comme une « suggestion de Satan [12] », Grimm désigne peut-être Diderot, ci-devant « enfant de Bélial », mais rien n’est explicite et le diable pourrait bien désigner, dans les deux cas, une tierce personne. Enfin, comme dans l’introduction, est encore exprimé le regret que le roman de la religieuse n’ait jamais vu le jour : « Ainsi finit l’histoire de l’aimable et infortunée sœur Suzanne Saulier (dite Simonin dans son histoire et dans cette correspondance). Il est bien triste que les mémoires de sa vie n’aient pas été mis au net ; ils auraient formé une lecture intéressante » (p. 407). En bonne logique mais en tout illogisme, la parenthèse sur le nom « Simonin » ne peut être encore qu’une des « Notes nouvelles [13] » de Diderot, tout comme le dernier paragraphe de la préface qui oppose au « récit » premier de Grimm les « mémoires » enfin par lui mis au net : « S’il se trouve quelques contradictions légères entre ce récit et les mémoires, c’est que la plupart des lettres sont postérieures au roman ; et l’on conviendra que s’il y eut jamais une préface utile, c’est celle qu’on vient de lire, et que c’est peut-être à la seule dont il fallait renvoyer la lecture à la fin de l’ouvrage » (p. 407). Comment ces « lettres », dernier « reste de notre pauvre religieuse », et pièces à charge du complot, pourraient-elles être postérieures à un roman dont on regrettait de surcroît plus haut qu’il n’ait jamais vu le jour ?… Inadvertance ou nouveau pied-de-nez, le diable dans tous les cas rit sous cape.
12 Les motifs de la diablerie et de l’écrit maléfique parsèment toutes les pièces du dossier de la « coquinerie ». On sait peu de chose sur cette « chute » que Suzanne a caché, dont elle souffre puis meurt, mais sa santé paraît au moins autant liée à ces lettres qu’elle écrit, attend et lit. « Je suis à côté de son lit et elle me presse de vous écrire » (p. 390) sont les premiers mots que la fausse Mme Madin adresse à Croismare, tandis que Suzanne est « à toute extrémité » et affaiblie par « l’effet de votre billet sur elle » (p. 391). Aussi cherche-t-on à lui épargner ces émotions fortes (« Je ne me sens pas de joie, mais ils ne veulent pas que j’écrive, ils m’empêchent de lire, ils me tiennent, ils me noient de tisane, ils me font mourir de faim, et tout cela pour mon bien », p. 397). Après lui avoir encore défendu d’écrire à Croismare « de crainte de [l’]importuner » (p. 399), Mme Madin, pour calmer peut-être les « impatiences » de sa protégée, « lui demand[e] si elle ne v[eut] pas [lui] écrire », et apprend alors l’existence d’une « longue lettre » qu’elle découvre avec effroi : « Je la priai de me montrer ce qu’elle avait écrit ; j’en fus effrayée : c’est un volume, c’est un gros volume. « Voilà, lui dis-je en colère, ce qui vous tue. [...] Et quand avez-vous pu griffonner tout cela ? – Un peu dans un temps, un peu dans un autre » (p. 402, nous soulignons). L’écriture affaiblit, obsède, mène à la mort. Par prudence ou superstition, le marquis demande dès le départ qu’on lui renvoie ses lettres, déclare s’être ressenti, comme envoûté à son tour, de « quelques incommodités [...] depuis plusieurs jours » (p. 397). À la mort de Suzanne, et alors qu’elle avait scrupuleusement suivi les instructions de Croismare, Mme Madin lui renvoie de nouveau ses lettres qui paraissent s’être multipliées et évoque les « papiers » contenant le roman de Suzanne, sans faire le lien au « gros volu me » dont elle avait parlé quelques jours plus tôt : « Voici toutes les lettres dont vous nous avez honorées ; j’avais gardé les unes et j’ai trouvé les autres parmi des papiers qu’elle m’a remis quelques jours avant sa mort : c’est à ce qu’elle m’a dit, l’histoire de sa vie chez ses parents et dans les trois maisons religieuses où elle a demeuré, et ce qui s’est passé après sa sortie. Il n’y a pas d’apparence que je les lise sitôt » (p. 405). En meilleur poéticien, et comme s’il avait eu connaissance de la structure de La Religieuse, le marquis de Croismare exprime en retour son fort désir de se voir « communiquer les mémoires et les notes qu[e Suzanne] a faits de ses différents malheurs » (p. 406), glose très exacte de la phrase qui ouvre l’épilogue du roman : « Ici les mémoires de la sœur Suzanne sont interrompus ; ce qui suit ne sont plus que les réclames de ce qu’elle se promettait apparemment d’employer dans le reste de son récit » (p. 374, nous soulignons dans les deux cas).
13 La mise à mort de Suzanne qui termine doublement son « roman », le récit de ses malheurs et la fiction de son existence [14], n’est à bien y regarder que la fin logique d’un procès qui s’ouvre avec le début de ses malheurs. La Religieuse est un roman de formation à l’écriture, dans lequel une héroïne arrachée au monde et à l’innocence se (re) construit en affrontant ses adversaires la plume à main. Elle sait le poids des mots depuis le matin où la supérieure de Sainte-Marie s’est présentée avec la lettre fatale de sa mère qui lui apprend que sa famille l’a condamnée au couvent : « Il semblait que sa main n’eût pas la force de soulever cette lettre » (p. 247). À peine lue, la missive devient, comme le voile que Suzanne prendra bientôt, comme une tunique de Nessus : « Quelquefois je tenais à peine ce papier, ou je le tenais comme si j’eusse voulu le déchirer, ou je le serrais violemment comme si j’avais été tentée de le froisser et de le jeter loin de moi » (p. 248).
14 Dès « le voile de la grille » tombé sur la cérémonie de sa première prise de voile (p. 252), Suzanne sait qu’il lui sera inutile de proférer « non », fût-ce « d’une voix plus ferme » : les paroles ne sont que vent, peuvent être déformées (« Je répondis, non, mais celles qui m’accompagnaient répondirent pour moi, oui »), non écoutées. Pour renoncer et exister, elle doit écrire elle-même, ne plus laisser une supérieure, même compatissante, le faire « bien » à sa place (p. 244, 248-249). L’apprentissage est douloureux, ses premiers essais catastrophiques : le mot écrit « sur un bout de papier » à son père (« ce fatal papier s’est retrouvé, et l’on ne s’en est que trop bien servi contre moi », p. 260), le « témoignage écrit » confié à la supérieure de Sainte-Marie mais utilisé contre elle par sa famille. C’est à Longchamp, après la mort de la mère de Moni, que Suzanne se décide à faire de ses coutumières confessions écrites un vrai mémoire propre à nourrir à la fois une procédure judiciaire, et les futurs mémoires (littéraires) adressés au marquis de Croismare (« je rédigeais dans ma tête ce que j’avais à proposer ; c’était en abrégé tout ce que je viens de vous écrire », p. 275). Quand elle l’a achevé, Suzanne sait la violence que recèle son sulfureux brûlot, et celles qu’il lui vaudra. Comme la première lettre de sa mère, comme ses futurs mémoires qu’elle invitera Croismare à détruire [15], il lui brûle littéralement les doigts : « D’abord je pensai à le coudre dans mon traversin ou dans mes matelas, puis à le cacher dans mes vêtements, à l’enfouir dans le jardin, à le jeter au feu. Vous ne sauriez croire combien je fus pressée de l’écrire, et combien j’en fus embarrassée quand il fut écrit » (p. 276).
15 On connaît la suite : le transfert du mémoire, avec la complicité de la religieuse amie, à l’avocat Manoury, les victoires mitigées de ce dernier qui, à défaut de liberté, obtient pour Suzanne, son transfert au confortable couvent d’Arpajon, le soudain affaissement moral de l’héroïne qui se soumet incrédule et passive aux séductions de Mme***. Comme si les sévices physiques subis à Longchamp avaient annihilé en elle tout désir de recouvrer sa liberté, Suzanne ne proteste plus, se laisse choyer et caresser, ne touche plus à ses plumes que pour poursuivre son récit à Croismare. Pire, son écriture est maintenant toute autre : elle n’est plus combat, dénonciation, mais exercice mondain, féminin, minauderie. Les préoccupations de plume de Suzanne sont désormais d’ordre esthétique et solipsiste (réflexions regardant ses deux manières d’écrire et de se montrer à Croismare, p. 372-373 ; post-scriptum maniéré sur ses craintes de s’être peinte trop « aimable », mais « naturellement et sans artifice », p. 382). Évadée, elle use ses dernières forces à achever ce « gros volume » qui la « tue », à la recherche inconsciente d’une forme de rédemption posthume par l’écrit, à l’image de ces Derniers instants de la Sœur de Moni, dont elle a recueilli une copie et qu’elle offre à la curiosité morbide du marquis de Croismare [16]…
L’écrivain mystificateur mystifié
16 Les effets de polygraphie dans La Religieuse sont aussi vertigineux que l’effort accompli par Diderot pour s’absenter de son roman, s’y fondre en s’identifiant à l’héroïne comme en épaississant le rideau de fumée entourant sa genèse. Il n’est pas exclu, comme l’a suggéré Grimm, que le marquis de Croismare ne fut pas le plus mystifié de l’affaire et que la « friponnerie » ait d’abord visé le philosophe trop crédule [17]. Dans la « Question aux gens de lettres » qui referme la Préface-Annexe (p. 408), Diderot-Grimm soupèse les valeurs respectives du pathétique et du vraisemblable, à propos de lettres qui auraient pu être lues si l’écrivain ne les avait pas corrigées (« gât[ées] »). Outre que le lecteur est conduit à s’interroger sur le statut des lettres qu’il vient effectivement de lire dans la Préface-Annexe, c’est là une manière élégante de rappeler que l’écrivain reste au bout du livre le seul maître de l’illusion littéraire.
17 Mais La Religieuse peut se lire aussi comme un témoignage des pouvoirs de l’écriture confrontant le romancier à la perte de contrôle, à la folie et à la mort. En témoignent les extraordinaires lignes confiées à Damilaville, le 1er août 1760, où l’expérience de l’écriture tient à la fois du drame d’Orphée et de la traversée de l’Achéron : « Je suis après ma Religieuse. Mais cela s’étend sous la plume, et je ne sais plus quand je toucherai la rive [18]. »
Notes
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[1]
« La plupart de ceux qui exercent les arts mécaniques, ne les ont embrassés que par nécessité, et n’opèrent que par instinct. À peine entre mille en trouve-t-on une douzaine en état de s’exprimer avec quelque clarté sur les instruments qu’ils emploient et sur les ouvrages qu’ils fabriquent. Nous avons vu des ouvriers qui travaillent depuis quarante années, sans rien connaître à leurs machines. Il a fallu exercer avec eux la fonction dont se glorifiait Socrate, la fonction pénible et délicate de faire accoucher les esprits, obstetrix animorum » (Diderot, « Prospectus » de l’Encyclopédie, 1751, Œuvres complètes, éd. Roger Lewinter, Paris, Le Club français du livre, 1969-1973, t. II, p. 294).
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[2]
Mémoires sur différents sujets de mathématiques [Paris, Durand, 1748], « À Madame de P*** », Œuvres complètes, ibid., t. II, p. 9.
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[3]
Commencée le « 1er janvier 1748 », la fiche (NAF 10781) de police énumère en paragraphes successifs les différents écrits de l’auteur Diderot ; l’approximation de la désignation générique participe de l’accroissement de la faute : « Il a fait les Pensées philosophiques, Les Bijoux et d’autres livres de ce genre./Il a fait aussi l’Allée des idées, qu’il a chez lui en manuscrit, et qu’il a promis de ne point faire imprimer./Il travaille à un Dictionnaire encyclopédique avec Toussaint et Eidous./Le 9 juin 1749 il a donné un livre intitulé : Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient./Le 24 juillet il a été arrêté et conduit à Vincennes à ce sujet » (reproduit in Franco Venturi, Jeunesse de Diderot (de 1713 à 1753) [Giovinezza di Diderot], trad. Juliette Bertrand [1939], Genève, Slatkine reprints, 1967, p. 379). Quand il complète la fiche une fois Diderot libéré, Berryer rassemble l’ensemble des pièces délictueuses en un seul « ouvrage » proprement polygraphique : « Entré au donjon de Vincennes le 24 juillet 1749, mis en liberté du donjon et a eu le château pour prison par ordre du 21 août suivant./Sorti le 3 novembre, même année. Pour avoir composé un ouvrage intitulé : 1° Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient clair ; Les Bijoux indiscrets ; Pensées philosophiques ; Les Mœurs ; Le Sceptique ou l’Allée des idées ; L’Oiseau bleu, Conte bleu, etc. » (reproduit in François Moureau, Le Roman vrai de l’Encyclopédie, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard Littératures », 1990, rééd. 2001, p. 158).
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[4]
Appliquée par analogie à l’analyse littéraire, la polyphonie désigne la « Qualité de moyens d’expression propres à produire des formes et genres littéraires variés » (Trésor de la langue française).
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[5]
Édition de référence : La Religieuse, éd. Michel Delon, dans Contes et romans, dir. Michel Delon, Paris, Éditions Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2004.
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[6]
« Note sur le texte », ibid., p. 990.
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[7]
« La répétition de la date de 1760 sur les différents manuscrits est pourtant troublante. Elle désignerait alors, non la diffusion dans la Correspondance littéraire, mais la correspondance originale entre les protagonistes du drame » (Michel Delon, ibid., p. 1031).
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[8]
Michel Delon, ibid., p. 991. Voir aussi la synthèse éclairante de Christophe Martin (« Né d’un échange épistolaire fondé sur une mystification, le roman se développe sous la forme d’un récit-mémoires auquel Diderot adjoint finalement une préface-postface qui démystifie l’origine du texte et exploite le double registre du pathétique et de l’ironie, de l’enthousiasme ému et de la distance réflexive », La Religieuse de Diderot, Paris, Gallimard, coll. « Foliothèque », 2010, p. 22) et l’article de Vittorio Frigerio, « Nécessité romanesque et démantèlement de l’illusion dans la “Préface-Annexe” à La Religieuse de Diderot », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 16, avril 1994, p. 45-59.
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[9]
D’après Christophe Martin, La Religieuse de Diderot, op. cit., p. 160, Michel Delon indiquant que « Diderot a repris le dossier dont il tire une préface pour son roman » (p. 1036). Les vérifications sont, il est vrai peu aisées, le dossier (1770) de La Religieuse étant absent des rééditions imprimées de la Correspondance littéraire (éd. Buisson, 1812, t. II ; éd. Tourneux, 1879, t. IX).
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[10]
Pour un résumé clair du degré de complexité du dossier : « La composition de La Religieuse s’est donc étalée sur plus de vingt ans et elle a intégré des fragments de lettres de Croismare et des commentaires de Grimm, sans qu’on puisse ni dresser une chronologie précise de la rédaction, ni mesurer la part des éléments allogènes intégrés dans le roman, ni même décider le titre et la place à donner à cette préface diffusée comme postface » (Michel Delon, p. 975).
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[11]
L’allusion renvoie aux fausses protestations d’amitié qui sont signifiées à Suzanne tout au long de son périple, pour mieux la faire renoncer à ses démarches : lors de sa première prise d’habit (« Elle joignit à ces propos insidieux tant de caresses, tant de protestations d’amitié, tant de faussetés douces ; je savais où j’étais, je ne savais pas où l’on me mènerait, et je me laissai persuader », p. 244) ; à Longchamp, au moment où l’héroïne se décide à entamer une procédure pour « résilier ses vœux » (« On m’interrogeait, on affectait de la commisération et de l’amitié », p. 275). Il est donc suggéré que les importuns dérangeaient Diderot en arborant le masque de l’ami...
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[12]
« L’idée de Mme Madin de se faire adresser à un des amis du généreux protecteur, était une suggestion de Satan au moyen de laquelle ses suppôts espéraient inspirer adroitement à leur ami de Normandie de s’adresser à moi et à me mettre dans la confidence de toute cette affaire ; ce qui réussit parfaitement, comme vous verrez par la suite de cette correspondance » (p. 396-397). Plus loin en effet, est reproduite une lettre de Croismare à Mme Madin dans laquelle il lui promet d’écrire à « M. G*** secrétaire des commandements de M. le duc d’Orléans » (p. 404).
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[13]
Sur l’un des deux manuscrits conservés de La Religieuse, le dossier de Grimm repris douze ans plus tard par Diderot porte comme titre « Préface de la Religieuse. Tirée de la correspondance littéraire de M. Grimm, année 1760, avec quelques notes nouvelles de M. Diderot » (p. 974-975). Autre « note nouvelle » après la première et la plus longue des lettres de Suzanne au marquis : « Cette lettre se trouve plus étendue à la fin du roman où M. Diderot l’inséra, lorsque après un oubli de vingt et un ans, cette ébauche informe lui étant tombée entre les mains, il se détermina à la retoucher » (p. 388).
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[14]
C’est dans ce sens que Naigeon utilise le mot « roman » dans sa note à l’édition de 1798 de La Religieuse : « Mais l’intérêt qu’ils lui inspirèrent pour la jeune religieuse devenant très vif, ils furent obligés de la faire mourir et de terminer ainsi un roman qui n’avait pour but que de le ramener au milieu d’eux » (p. 410-411).
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[15]
« Vous brûlerez cet écrit, et je vous promets de brûler vos réponses » (p. 242).
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[16]
« Cette digne religieuse sentit de loin son heure approcher ; elle se condamna au silence ; elle fit porter sa bière dans sa chambre. Elle avait perdu le sommeil, et elle passait les jours et les nuits à méditer et à écrire : elle a laissé quinze Méditations qui me semblent à moi de la plus grande beauté. J’en ai une copie ; si quelque jour vous étiez curieux de voir les idées que cet instant suggère, je vous les communiquerais ; elles sont intitulées Les Derniers Instants de la sœur de Moni » (p. 268).
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[17]
Derniers mots de l’introduction du dossier, évoquant les lettres « écrites de bonne foi » par Croismare, « ce qu’on eut toutes les peines du monde à persuader à M. Diderot qui se croyait persiflé par le marquis et par ses amis » (p. 385). Ils font écho à l’une des rares lettres authentiques évoquant la mystification : « Le marquis a répondu ! Et cela est bien vrai ? Son cœur est-il bien fou ? Sa tête est-elle bien en l’air ? N’y a-t-il point là-dedans quelque friponnerie ? Car je me méfie un peu de vous tous » (à Mme d’Épinay, vers le 10 février 1760, Œuvres complètes, éd. Roger Lewinter, Paris, Le Club français du livre, 1969-1973, t. IV, p. 797).
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[18]
Ibid., t. IV, p. 814.